Suara 52: Défis de l'évangélisation en Amérique latine

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Suara 52 Afgiftekantoor: Antwerpen x P 508033

La voix des peuples

Missio Belgique, Bd du Souverain 199, 1160 Bruxelles

Publication trimestrielle de Missio

JUIN – JUILLET – AOUT 2013

Défis de l’évangélisation en Amérique latine «N’oublie pas les pauvres!»

De plus en plus de personnes situent dans ce contexte la personnalité et le style du pape François. Un style chaleureux, simple et direct, avec des mots et des gestes d’une grande signification symbolique (proximité avec les pauvres, miséricorde, collégialité). Sa simplicité, il la tient du «poverollo d’Assisi» et fondateur de l’Ordre des frères mineurs (Franciscains) qui vécut au XIIIe siècle. A cet égard, il y a ici un message fondamental que le nouveau pape lance aux Eglises historiques et à tous les hommes de bonne volonté: se laisser influencer par la situation du pauvre. Si le monde perçoit celui-ci comme un être sans signification, il ne doit pas en être ainsi parmi les chrétiens. Le pape se souvient sans doute de cette interpellation de l’archevêque de São Paulo Claudio Hummes lorsque les votes en sa faveur avaient atteint les deux tiers pendant le conclave de 2013: «Et n’oublie pas les pauvres!» La présente livraison de Suara attire l’attention des lecteurs sur cette invitation fraternelle. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire les différentes réactions à l’élection du pape François et l’interview que le théologien Gustavo Gutiérrez nous a récemment accordée à Paris.

Photo: Lon&Queta

A l’heure où nous mettons un terme à la campagne 2012, nos regards se tournent de nouveau vers l’Amérique latine et l’Amérique centrale. Nous pensons à l’engagement de l’Eglise dans la société au sein de cette partie du monde. Nous prenons la mesure de l’intuition de Jean XXIII sur une Eglise des pauvres dont la théologie de la libération a fait par la suite une option préférentielle dans la perspective de la nouvelle évangélisation.

La longue route du Guatemala «Plusieurs évêques et prêtres appuient les agriculteurs et, de ce fait, reçoivent régulièrement des menaces. Mais même si la route est encore longue et que nous avons encore besoin de beaucoup de soutien, nous ne renonçons certainement pas!»

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à l’écoute du théologien Gustavo Gutiérrez «La pauvreté déborde la sphère socio-économique et devient un problème humain global et, par conséquent, un défi au vécu et à l’annonce de l’Évangile. C’est une question théologique.»

Kalamba Nsapo

Suite p. 8.

© Wereldmediatheek, Johan Denis

Dans ce numéro • “N’oublie pas les pauvres!” • Crise alimentaire au Guatemala (Conférence Episcopale) • La longue route du Guatemala • Paradigmes de l’évangélisation en Amérique latine

• Le pape François. Un nouveau souffle? • La communauté Trinidad au Brésil • JMJ de Rio. L’heure approche • Lu pour vous

• Croire aujourd’hui • Interview avec le théologien Gustavo Gutiérrez


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Sincères remerciements! L’année dernière, Missio a recueilli 2.219.208 €. • 984.026 € ont été destinés à la construction ou la rénovation des églises, des chapelles et des hôpitaux catholiques. • 527.524 € ont servi à la formation des prêtres et responsables de l’Eglise dans le monde. • 707.657 € ont été dépensés dans le cadre de l’appui des projets pour enfants: construction et soutien des écoles et orphelinats. Merci à vous tous qui avez apporté une aide à tant d’hommes et de femmes à travers Missio!

5 On se rechauffe.

Photos: Missio

Photo: Hans Medart

5 Beauté d’Afrique à Anvers.

5 Gagnants du concours “Chanteurs à l’étoile”.

5 Cours de musique à Mechelen.

Pour la Conférence épiscopale du Guatemala, «la crise alimentaire qui touche des milliers de guatémaltèques est plus grave que la crise financière». Agence Fides Un nouveau modèle de développement Dans un message publié le 26 janvier 2013, sous le titre «Bienheureux les artisans de paix (Mt 5, 9)», la Conférence épiscopale du Guatemala recueille les conclusions de l’Assemblée plénière qui a eu lieu du 21 au 25 janvier. Elle souligne la nécessité de promouvoir «un nouveau modèle de développement et une nouvelle vision de l’économie afin de réaliser un développement intégral, solidaire et durable». Pour ce faire, le gouvernement doit, selon les Evêques, «offrir au pays un projet national à court, moyen et long terme, en posant les bases de la prospérité future et de la qualité de la vie des guatémaltèques, surtout des jeunes et des enfants».

La crise alimentaire: un affront à la dignité Afin de mettre en place le nouveau modèle économique et de développement, le document des Evêques signale qu’il est «nécessaire de réformer les lois qui réglementent les investissements portant sur l’exploitation des ressources naturelles non renouvelables du pays, de manière à ce que de telles activités économiques permettent effectivement d’améliorer la qualité de la vie des guatémaltèques». La crise alimentaire qui frappe des milliers de guatémaltèques, en particulier des enfants, victimes de malnutrition chronique, «est un affront à la dignité humaine de tous ceux qui souffrent» et «est plus grave que la crise financière». L’épiscopat critique le Parlement: «Le refus de la discussion et de l’éventuelle approbation du projet de loi sur le développement rural longuement mis au point par différents secteurs représentant les intérêts des paysans, démontre que les législateurs doivent prendre au sérieux leurs responsabilités et la mission consistant à être de véritables représentants du peuple», écrivent les Evêques.

Photo: Peter Casier

«Bienheureux les artisans de paix» (Mt 5, 9)


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Marleen Renders | La longue route du Guatemala Durant un an, le Guatemala a été le pays phare de la campagne annuelle de Missio. Nous nous sommes arrêtés sur le rôle que l’Eglise y joue dans la défense des droits humains. Le projet choisi a mis en lumière la nécessité d’un enseignement de qualité pour les enfants et les jeunes guatémaltèques. Au terme de cette campagne, nous avons interrogé, Marleen Renders concernant le chemin que le Guatemala a déjà parcouru et doit encore parcourir. Marleen Renders travaille depuis de nombreuses années au Guatemala comme Sœur de la Chasse. Elle y rend entre autres possible l’éducation populaire pour les adultes dans les quartiers marginalisés. Caroline Medats & Catherine De Ryck

formation des personnes à l’esprit critique. Celui qui suit l’enseignement privé bénéficie d’une meilleure formation. Cela concerne malheureusement une très petite partie de la population. Les études supérieures également, en raison du coût, ne sont pas abordables pour la population moyenne.»

«Plusieurs évêques et prêtres appuient les agriculteurs et (…) reçoivent régulièrement des menaces. Mais (…) nous ne renonçons certainement pas! »

Missio: Pourriez-vous dire un mot au sujet de l’avenir des jeunes? Renders: «L’avenir de notre jeunesse ne paraît pas très rose. 82% de la population active n’a pas d’emploi fixe. Beaucoup de jeunes chômeurs deviennent la proie de gangs. Heureusement, il existe un certain nombre de projets qui tentent d’amener les jeunes sur la bonne voie. Le projet Educación Popular para Adultos (éducation populaire pour adultes) par exemple. Avec ce projet, nous aidons les jeunes à trouver du travail pendant la semaine et à étudier pendant le week-end. Plusieurs anciens élèves ont maintenant un diplôme universitaire en poche et multiplient ainsi les chances pour leur avenir.» Photo: Hug It Forward

Missio: Comment pourriez-vous apprécier l’enseignement au Guatemala? Marleen Renders: «L’enseignement au Guatemala reste encore souvent insuffisant. Non seulement de nombreux enfants et jeunes n’y ont pas accès, mais aussi la qualité de cet enseignement est insatisfaisante. L’éducation au Guatemala n’est pas orientée vers la

Missio: Le Guatemala progresse-t-il en matière de respect des droits de l’homme? Renders: «Les organisations sociales se battent réellement pour les droits humains. Elles ont, par exemple, veillé à ce que le procès de l’ancien chef de la junte Rios Montt débute, en dépit de plusieurs tentatives de la défense pour l’arrêter. Ceci est important afin que la souffrance subie soit reconnue et que le passé ne se répète pas. Mais il y a encore un long chemin à parcourir. La situation des paysans du Guatemala, par exemple, est plus difficile que jamais. Avec le soutien de l’armée, de grandes sociétés minières internationales les délogent de leurs terres. Plusieurs évêques et prêtres appuient les agriculteurs et, de ce fait, reçoivent régulièrement des menaces. Mais même si la route est encore longue et que nous avons encore besoin de beaucoup de soutien, nous ne renonçons certainement pas!»

Paradigmes de l’évangélisation en Amérique latine Cet article se veut être une contribution à la réflexion sur les défis de l’évangélisation

Colonisation et évangélisation Dans le contexte colonial, le modèle de la mission reposait sur une évangélisation qui signifie transposition des institutions, des symboles et des mœurs de la culture chrétienne européenne. De l’inculturation à la décolonisation et à l’interculturalité Le christianisme en Amérique latine s’est identifié à la culture européenne et américaine. L’inculturation a cherché à incarner le message de l’Evangile dans les différentes cultures, et plusieurs fois, sans se rendre compte que l’approche des cultures était marquée par la pensée coloniale, puisque « la domination a empêché que les groupes conquis puissent produire une culture autonome, exprimant leur identité propre ». L’interculturalité se situe dans un autre horizon et veut rendre possible le dialogue et l’enrichissement mutuel. De la vérité absolue au respect des diverses vérités et philosophies Décoloniser l’évangélisation signifie favoriser la considération et le dialogue avec

la riche diversité religieuse exprimée (et parfois conservée) au plus profond de la vie des populations latino-américaines et des caraïbes. Pour ce faire, il est nécessaire de passer de la vision d’une vérité unique et absolue, à une vision partagée, à la cohabitation des différences.

«Une Eglise «en état de mission» pourrait être une Eglise qui s’inquièterait plus des conditions de vie du peuple, soucieuse d’annoncer un Dieu proche, qui nous habite et nous aide à redonner un sens à la vie, à croître dans la solidarité.» Evangéliser ou décoloniser et porter attention... Une évangélisation engagée dans un processus de décolonisation n’est pas suffisante pour renouveler son contenu, sa

forme, son ardeur, ses méthodes et ses expressions. Dans un paradigme plus dialogique, de reconnaissance et de respect des différentes cultures et d’expériences religieuses, l’évangélisation pourrait contribuer à l’éveil des personnes et des communautés. Elle pourrait signifier un retour de la population au Dieu présent dans sa vie, de façon gratuite. Avenir de l’évangélisation Le thème de l’évangélisation demeure une préoccupation pour les Eglises. Une Eglise «en état de mission»pourrait être une Eglise qui s’inquièterait plus des conditions de vie du peuple, soucieuse d’annoncer un Dieu proche, qui nous habite et nous aide à redonner un sens à la vie, à croître dans la solidarité, à croire à la possibilité de nouvelles formes d’exercice du pouvoir, de nouvelles relations entre les hommes et les femmes, entre les divers groupes ethniques et les différentes races. Ce serait une Eglise qui invite à former des communautés qui s’enrichissent de leurs diversités. Un terme qui pourrait exprimer l’objectif de l’évangélisation, dans des contextes aussi divers que ceux des LatinoAméricains, serait par exemple « porter

Photo: M. Escalera

Silvia Regina de Lima Silva

attention ». Si nous entendons l’évangélisation dans le sens de « prendre soin de la vie », de la vie concrète de l’homme, de la nature, de la planète, nous pourrons petit à petit surmonter la mentalité coloniale présente dans le concept de mission et d’évangélisation. Nous parviendrons aussi à nous rapprocher du projet de Jésus qui prit soin des petits et leur apprit le sens de l’amour des uns et des autres. Tel est le grand défi et le futur de l’évangélisation en Amérique latine. Silvia Regina de Lima Silva est directrice du Département de recherche œcuménique, Costa Rica.


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Le pape François | JUSTIN (ETATS-UNIS)

Foto: Christus Vincit

Êtes-vous heureux de l’é lection du nouveau pape ? «Oui, j’en suis très heureux même si, au départ, j’ai été Je ne connaissais pas totale très surpris. me il est important de se faire nt le Cardinal Bergoglio. Pour moi, un avant qu’après son élection e idée sur sa personnalité aussi bien .»

Qui est le pape François?

Depuis le 13 mars dernier, les catholiques ont un nouveau chef spirituel, à la suite de la démission du pape Benoît XVI. Le pape François se trouve maintenant à la tête de l’Eglise catholique. Catherine De Ryck

Le pape François est né Jorge Mario Bergoglio le 17 décembre 1936 à Buenos Aires, en Argentine. Son nom de famille témoigne de ce que ses parents ne sont pas d’origine argentine. Ce sont des travailleurs migrants italiens. Etudes et carrière dans l’Eglise Bergoglio possède différents diplômes. Il a non seulement étudié la philosophie et la théologie, mais aussi la chimie. L’étude d’une science exacte est d’ailleurs typique de l’ordre des jésuites, un ordre dans lequel Bergoglio est entré en 1958 et où il a été ordonné prêtre en 1969. Bergoglio a également enseigné pendant quelques années la littérature et la psychologie, et plus tard fut aussi professeur de théologie. En 1992, Bergoglio devient évêque auxiliaire de Buenos Aires, puis archevêque en 1998. Le pape Jean-Paul II l’a créé cardinal en 2001. La première fois que nous avons sans doute entendu parler de Bergoglio, c’était en 2005. A ce moment, il était le principal concurrent du cardinal Ratzinger (Benoît XVI), mais ce dernier l’emporta. En 2013, c’est au tour de Bergoglio d’être élu. Attentes Bergoglio est le premier pape non-européen au cours des siècles et le premier pape jésuite. De ce fait, il suscite déjà des espoirs. En choisissant d’emblée le nom François, ces attentes n’ont fait que grandir. La référence claire à François d’Assise fait rêver les catholiques d’une Eglise humble, ouverte sur le monde et les pauvres. Le pape François a maintes fois clairement indiqué qu’il veut faire revenir l’Eglise à son essence: concilier le service aux gens et la relation à Dieu. Bergoglio avait déjà de telles préoccupations avant de devenir pape. Il s’est par exemple beaucoup occupé de gens dans les bidonvilles et a appelé à une répartition équitable des biens. François d’Assise était un réformateur, et c’est une chose que l’on attend aussi du pape François. La préparation de la réforme de la Curie a d’ailleurs déjà commencé à Rome. Les avis sur la ligne éthique que le nouveau pape va emprunter sont partagés. En mettant l’accent sur les personnes plutôt que sur la doctrine ou les exposés théoriques, on s’attend, d’une part, à ce que le pape François soit plus souple que Benoît XVI dans ses prises de position éthiques. D’autre part, Bergoglio est connu pour ses vues conservatrices. En 2010 par exemple, il s’oppose fortement au mariage homosexuel en Argentine. En fait, Bergoglio serait perçu plutôt comme un conservateur modéré. Est-ce peut-être ce que nous pouvons attendre d’un pape en ce domaine? L’histoire le dira.

Qu’attendez-vous de son pontificat? «Tout d’abord, qu’il fasse ce que Dieu lui demande. C’est pourquo i nous prions aussi pour lui, comme il l’a demandé. Ensuite, j’espère qu’il res tera égal à luimême. Il me semble que les cardinaux le connaissaient et voulaient qu’il devienne le successeur de Saint Pierre , étant donné le peu de temps entre le déb ut du conclave et l’élection. J’espère donc qu’il gardera sa personnalité et mettra ses talen vice du Siège de Rome. Jus ts au serqu’à présent, il le fait très bien.» Quels sont les principaux besoins de l’Eglise aux Et ats-Unis? «À première vue, l’Église aux Etats-Unis doit princ ipalement restaurer sa crédibilité. Cepe ndan sur les apparences, mais sur t, la question de fond n’est pas basée le sens profond du témoig devons nous ressourcer nage. Nous au quotidien auprès du Seigneur. C’est seulement là que nous ser ons besoin. C’est alors que no les témoins dont les gens ont le plus tre image pourra être res tau foulée des scandales récen ts. Ce chemin est évidemm rée dans la ent ironique: pour apporter une restau ration de l’image publiqu e, nous devons nous comporter comme des fidèles disciples de Jés us Christ et ne pas nous soucier de notre image publique.» Pensez-vous que le pape François signifiera beau l’Eglise aux Etats-Unis? coup pour «Dans la pratique, je pense qu à la nomination des évêqu e le Pape François pèsera par rapport es. Je crois que son style pe rsonnel peut constituer une source d’insp iration dans la suite du Se igneur.» Justin Anderson enseigne la théologie à l’université Seton New Jersey (États-Unis). Hall dans le

RENEE (ARGENTINE) «Un pape pour les pauvres! C’est le 13 mars à 16h30 que nous avons reçu cette bonne nouvelle. Nous avons vu les images à la télévision. Personne ne pouvait s’y attendre. Dans le village, il y a eu une grande fête en l’honneur d’un pape proche des gens, celui dont le monde a besoin. Personnellement, je me souviens d’une messe célébrée, à l’époque, par l’actuel chef de l’Eglise catholique et de son sermon que j’avais fort apprécié. Je me rappelle avoir perçu le regard d’un homme sincère, qui souffre de l’injustice et veut défendre les sans-voix. Avec François, le monde va changer. Il mérite l’amour de tous.» Soeur Renée Paquet travaille à Campo Largo, dans le sud Argentine, depuis des décennies.


Dialogue

| Un nouveau souffle?

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Rencontre Solidarité

CHRISTINE (BELGIQUE)

Qu’attendez-vous de lui? «Je m’attends à ce que surgisse une autre Eglise pour les pauvres. Un tel pape est aussi capable de suivre l’exemple de Jésus en apportant de l’espoir au monde, en témoignant d’un amour de compassion et en apparaissant comme un berger conciliant. Il peut apporter énormément en termes d’unité et de diversité, de dialogue interreligieux, de nouveau souffle en Europe. Il peut même orienter vers une conception de la laïcité qui permet de construire des ponts entre les hommes.» Quels sont les principaux besoins de l’Eglise? «L’Eglise devrait retrouver un climat chaleureux et convivial sous la conduite d’un berger humble. Sa rénovation s’impose. Elle doit revenir à l’essentiel, à l’Évangile, tel un enfant prodigue. Aussi, lui faut-il des pasteurs de communautés animés d’une foi vivante et de la volonté de mettre en œuvre une nouvelle évangélisation.» Pensez-vous que l’élection du pape François a un sens pour l’Eglise en Belgique et au Brésil? «Je pense que son élection est un bon signe et fait renaître l’espoir et la confiance en Amérique latine. Le nouveau pape est celui qui créera des ponts entre le Nord et le Sud. Il a l’habitude d’affronter les défis de la culture mondialisée (cf. laïcité, l’anticléricalisme, la dévotion populaire, l’écart entre la pauvreté et la richesse). Il incarne le dynamisme d’une jeune Eglise engagée dans l’action sociale. Il est ouvert. Il pratique une pastorale d’ancrage.» Ceci dit, le pape François peut également compter sur notre soutien et nos prières.» Sœur Christine Everaere est supérieure générale des Sœurs de Bethel Noire. Elle réside en Belgique, mais se rend régulièrement au Brésil. Les Soeurs Noires oeuvrent à Salvador de Bahia au service des pauvres et des exclus.

OLIVIER (BURKINA FASO) nouveau pape? d’une nouvelle Êtes-vous satisfait de l’élection du rits par sa simplicité. C’est le début esp les é rqu ma a il s, our disc r mie «Dans son pre très heureux.» Saint Esprit. J’en suis évidemment ère dans l’Eglise. C’est l’œuvre de cat? re. Il veut ‹une Qu’attendez-vous de son pontifi e éclaire le chemin qu’il veut suiv Pap que t tan en te por il qu’ nom vreté, le pape «Le choix du par la guerre, les maladies et la pau ahi env nde mo un ns Da ›. vres pau Eglise pour les Il soutient que les armes doivent apporte une réponse prophétique. de tous les chrétiens.» se taire et en appelle à la solidarité s pour l’Eglise? Quels sont les principaux besoin . Mais il n’appartient pas seulement «L’Eglise constitue un énorme défi e les problèmes. L’Eglise universell au Saint-Siège de surmonter tous ons dev roche dynamique. Nous devrait réfléchir à une nouvelle app t nous travaillons et mieux prendre complètement repenser la façon don re de vivre la foi. en compte les fidèles et leur maniè inter-religieux demeure très opporEn outre, la question du dialogue et du Niger en ont parlé en février tune. Les évêques du Burkina Faso lée générale.» 2013 dans le cadre de leur assemb na Faso? beaucoup pour l’Eglise au Burki ra ifie sign is nço Fra e pap le que du dialogue, de Pensez-vous placer son pontificat sous le signe de é ont vol sa é ntr mo à déj a e pap l de mettre un «Le nouveau tes religions. Aussi, lui importe-t-i éren diff les re ent l tue mu ect resp la recherche du l’amitié et du pauvreté dans un monde orienté vers la et x pai la ice, just la sur lier accent particu lise du Burkina s’en réjouit.» profit à tout prix. En ce sens, l’Eg cèse de Kaya au Burkina Faso. Olivier Poly Lompo est prêtre du dio

SHAJI (INDE) Êtes-vous heureux de l’élection du pape François? «L’élection du pape François offre des signes d’espoir à une Eglise secouée par de nombreux scandales. Comme l’ont fait des milliers de personnes à travers le monde, je salue également ce nouveau pape et lui rend témoigne de mon enthousiasme.» Q u’ a t t e n d e z vous de son pontificat? «Le pape François a su gagner les cœurs par son humilité et sa simplicité. Je crois qu’il sera un pape proche du peuple. Je m’attends à ce qu’il agisse comme un pêcheur d’homme.» Quels sont les principaux besoins de l’Eglise en Inde? «Tout d’abord, l’engagement de l’Eglise en Inde doit être plus apprécié. Malheureusement, nous n’avons pas toujours la reconnaissance de notre implication dans la pastorale en Inde et dans le monde. Ensuite, il y a un besoin d’ouverture et de dialogue interreligieux». Pensez-vous que le pape François signifie beaucoup pour l’Eglise en Inde? «Le pape François peut être une source d’inspiration pour l’Eglise et, particulièrement, pour les personnes qui souffrent de la pauvreté. Celles-ci représentent à peu près 35% de la population indienne! En outre, je pense que le nouveau pape est capable de contribuer à l’ouverture de l’Eglise afin que celle-ci soit en mesure d’accepter la critique des autres et d’opérer des changements que la situation pourrait exiger». Shaji George Kochuthara est prêtre et professeur au collège Dharmaram de Bangalore en Inde.

Foto: Shaji

Êtes-vous heureuse de l’élection du pape François? «J’en suis heureuse. Ce pape a déjà touché les cœurs de croyants et incroyants lors de sa première apparition publique. Ses premiers mots étaient empreints d’humilité et de simplicité. C’est le pape dont nous avons besoin. Un pape qui se soucie des pauvres et demeure attentif à l’égard des malades, des blessés et des infirmes. Il a un charisme réconfortant.»


Rencontre

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L’Eglise avec les deux pieds sur terre | La communauté Trinidad au Brésil

Lu pour vous | L. Boff, La nouvelle évangélisation. Perspective des opprimés, Paris, Cerf, 1992

Foto: Jan Van Den Hoven

Dormir à même le sol dans une église, vivre de fruits et légumes ramassés sur le marché et encore trouver entretemps l’inspiration pour aider ceux qui sont esclaves de la drogue et de l’alcool, c’est ce que fait sans difficultés Jan Van Den Hoven. Herlinde Hiele

Il y a cinq ans, Jan Van Den Hoven démarrait la communauté Trinidad, à Salvador de Bahia, une ville côtière brésilienne. Il recueille des personnes qui se retrouvent dans la rue, suite à leur dépendance visà-vis de la drogue ou de l’alcool. « Tous ceux qui viennent à nous recherchent une issue à leurs ténèbres: échapper à la boisson et aux drogues. Nous leur offrons un accueil chaleureux’ », ainsi s’exprime Jan Van Den Hoven. Et de poursuivre: « Au départ, on reçoit les personnes pendant la journée. Chaque après-midi, il y a des activités auxquelles sont invités ceux qui vivent dans la rue. Ils peuvent se doucher, laver leurs vêtements et recevoir un repas chaud. Parfois un film est projeté ou une conférence proposée. Chacun est bienvenu, même s’il consomme encore de

5 Repas festif dans l’église. la drogue ou de l’alcool. C’est seulement au cas où il est saoul comme des polonais qu’il ne peut pas accompagner.’ » Avec sa communauté Trinidad, Jan Van Den Hoven veut être plus qu’un simple poste de secours. Il ajoute que si une personne exprime le besoin de se désintoxiquer et d’assumer une responsabilité, alors on l’invite à faire partie de la Communauté. « Nous vivons entre 35 et 50 personnes ensemble dans l’église qui est à la fois une salle à manger, un dortoir et un lieu de prière. On y dort à même le

sol. Nous mangeons tous ensemble autour d’une grande table. Toute la nourriture en notre possession est partagée. Dans le chœur de l’église se trouve notre espace liturgique, où nous récitons la prière du matin et du soir, en suivant la liturgie de Taizé. » Quand on demande à Jan d’où il tire son énergie, il réplique: « Nous vivons frugalement, mais tirons notre force du vivre ensemble, de la prière et de la liturgie. »

JMJ de Rio | L’heure approche! Nous nous approchons de la date de la rencontre historique des JMJ de Rio de Janeiro. Missio se met de nouveau à l’écoute des jeunes qui y participeront.

Isaac Stevens

Aurélie Lecomte

J’ai été aux JMJ de Sydney et de Madrid. Je compte aller à Rio en juillet 2013. Pour moi, ces événements ont été des expériences inoubliables. J’y ai rencontré beaucoup de gens de nationalités très différentes. Ca m’a également permis de faire évoluer ma foi, grâce à la prière avec plusieurs millions de jeunes rassemblés autour du Pape et du Christ. Dans notre société actuelle, je crois que les JMJ sont un moment où l’on peut vraiment vivre sa foi et faire halte ou un examen de conscience, loin des préoccupations du quotidien qui nous empêchent de réfléchir sur le sens de notre vie et notre lien avec le Christ.

À Rio, je vivrai mes quatrièmes JMJ. Chaque expérience fut différente mais il y a toujours la musique, la rencontre, le sourire, la joie, l’émotion. Je crois qu’un événement qui provoque toutes ces choses à des millions de jeunes est indispensable dans notre société! De chaque JMJ je garde des souvenirs magiques: le partage des expériences de la foi sous la pluie dans la forêt, en marche vers Cologne et les chants dans les métros avec des pèlerins italiens. Une centaine de belges qui admirent, sourire aux lèvres, un superbe coucher de soleil sur une plage d’Australie. Chanter « Alegria de estar aqui » et ressentir que vraiment nous sommes heureux d’être là…

De quoi s’agit-il dans ce livre? Dans ce livre (d’autant plus d’actualité suite à l’élection de l’évêque de Buenos Aires à l’évêché de Rome), le théologien Leonardo Boff s’efforce de répondre à l’appel de Jean-Paul II qui en 1983 à Haïti a appelé à une «nouvelle évangélisation» dans la perspective de la célébration des 500 ans de l’arrivée des conquérants espagnols sur le continent qui deviendra l’Amérique. L’Église d’Amérique latine se préparait à la réunion de la IVème Conférence Générale de l’épiscopat latino-américain et des Caraïbes qui devait se tenir à saint Domingue en 1992. Le thème proposé pour cette Conférence était celui de l’évangélisation des cultures. Était-ce une façon de marginaliser la théologie de la libération? Il s’agit par conséquent dans ce livre pour le théologien brésilien de la libération d’articuler les deux thèmes et de montrer qu’une véritable évangélisation des cultures doit partir de la culture des opprimés. A partir de cette entrée, restant fidèle à sa démarche de libération, Boff paradoxalement propose à l’Église catholique deux choses, d’abord de lever les obstacles qu’elle a elle-même mis en place dans l’histoire et qui empêchent une inculturation de l’Évangile aujourd’hui et d’autre part de se laisser évangéliser par les cultures des populations pauvres d’Amérique latine. Que trouvez-vous de spécial à ce livre? Une des grandes qualités de ce livre est l’ampleur de l’analyse théologique pour un volume très petit: 170 pages. De manière concise et juste, Boff traite de questions complexes et fondamentales portant sur le sens de la foi chrétienne, de l’évangélisation, du rapport aux cultures et spécifiquement dans le contexte latino-américain. En effet, la troisième partie porte sur la rencontre entre l’Évangile et le monde Indien d’Amérique. En peu de lignes, il réalise la gageure de faire comprendre la théologie de la libération, l’évangélisation et l’inculturation de la foi dans les diverses cultures. Y-a-t-il une idée de ce livre dont il restera une trace en vous? Une idée qui laisse des traces en moi, c’est la «nécessité pour l’Église d’être évangélisée par les cultures» (chapitre VII de la première partie). Ceci résonne avec une expérience vécue à Riobamba, en Équateur, avec le monde indien des Andes: véritablement les pauvres m’ont évangélisé.


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Campagne 2013 | Ensemble, misons sur l’avenir Sous le signe de “Ensemble, misons sur l’avenir”, la nouvelle campagne de Missio met en évidence l’Eglise-famille du Burkina Faso. Outre le journal de campagne (1,50 € par journal), le dossier liturgique (3,00 € par dossier) et le carnet de prière (1,50 € par carnet), on y découvre d’autres éléments, dont les suivants: Naomi, Simon en Samuel | Revues de foi pour enfants Missio et les éditions Averbode unissent leurs forces. Ensemble, nous éditons les revues de foi suivantes: Naomi (4-7 ans), Simon (7-10 ans) et Samuel (10-13 ans). Avec cela, nous soutenons la formation à la foi des enfants d’une manière active. Ces revues bimestrielles fournissent des informations sur les moments clés de l’année liturgique et pastorale. Le premier numéro est entièrement consacré à la campagne de Missio! Pour plus d’info, consultez le site: www.averbode.be Journaux enfants et jeunes Chaque année, Missio développe du matériel didactique destiné aux écoles et aux paroisses. Pendant notre campagne «Ensemble, misons sur l’avenir», nous avons une offre variée pour différents groupes d’âge. Les enseignants, les catéchistes et les accompagnateurs d’enfants trouveront leur compte dans le matériel de Missio. Ces journaux contiennent des articles d’éclairage généraux sur le thème de la campagne, en lien avec le Burkina Faso qui est notre pays phare. Le journal coûte 0,50 €. Les grandes bougies (9,00 € par bougie) et les petites bougies (4,00€ par bougie) marquées du slogan de la campagne. Jeu Par ici la Mission Un parcours de questions sur Missio, la campagne, les Chanteurs à l’étoile et la religion. Utilisable pour le cours de religion ou la catéchèse des enfants de 11 à 13 ans. Le jeu coûte 8,00€. Sans oublier les Pralines de Missio (4,00€ par boîte de 100 g)

Calendrier de la campagne 2013 Missio donnera le coup d’envoi de sa nouvelle campagne au début d’octobre 2013. Pendant tout le mois, en plusieurs endroits du pays, seront organisées diverses activités. Mais même après octobre, vous pourrez participer à nombre de celles-ci. Le site de Missio vous donnera suffisamment d’informations. Aussi, pouvez-vous déjà retenir quelques dates: Dimanche 6 octobre: Coup d’envoi Dans tous les diocèses, ce sera le coup d’envoi de la nouvelle campagne. Pour en savoir davantage, gardez un œil sur notre site web. Dimanche 20 octobre: Dimanche de la Mission Universelle Janvier 2014: Action Chanteurs à l’étoile Les enfants parcourent les rues, passent de maison en maison en chantant. L’argent récolté sera destiné au soutien des projets de solidarité ecclésiale. Plus d’info sur notre site! Dimanche 5 janvier 2014: Journée de l’Afrique Missio témoigne de sa solidarité avec la région des Grands Lacs.

Column En cette année de la foi, nous allons poursuivre notre série sur le thème Croire aujourd’hui. Avec vous je veux aller à la rencontre de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ, ainsi qu’elle nous a été transmise. Nous désirons lui réserver une place dans notre vie, compte tenu du contexte de notre culture. Quatre propositions dominent notre monde. L’homme d’aujourd’hui veut pouvoir réfléchir de façon autonome. Il ne veut pas que ses pensées soient soumises à une autre autorité que la sienne.et encore moins à une divinité. Il est conscient de sa capacité à réfléchir et veut pouvoir l’exercer en toute liberté. L’homme souhaite se développer librement sans que personne l’en empêche. «Etre libre» est un des mots-clés de notre culture. Dans cette optique, l’individu est considéré comme maître de toute pensée et action. Je dois construire ma vie comme je l’entends et, de préférence, sans aucune ingérence de la part d’autrui. En outre, nous avons généralement une vision très positiviste de la vie. Cela signifie que nous ne considérons comme vrai que ce que nos sens peuvent expérimenter. Notre vie quotidienne est axée sur ce qui est pratique et fonctionnel. Ce que nous produisons est conçu pour rendre notre vie plus agréable. Nous répétons volontiers que les réalisations de l’homme moderne ont énormément amélioré la qualité de vie. Il est bon que l’homme puisse exprimer librement son opinion en fonction de laquelle il s’efforce de construire sa vie en toute liberté. Il est bon qu’il puisse donner suite à ses rêves. La vie perçue en fonction de ce que l’homme peut éprouver concrètement, exprime le sens de la réalité humaine. Et la vie construite ainsi de manière fonctionnelle et pratique, à laquelle on confère de la qualité, est certainement un idéal réalisé. La pensée moderne est à même de donner de nouvelles ailes à notre vie. Nous ne pouvons donc que nous en réjouir. Toutefois, nous devons prendre ces réalisations au sérieux et leur donner une place permanente dans notre vie. Il serait grandement dommageable de croire qu’avec cela nos problèmes seront résolus une fois pour toutes. Lorsque nous avons le courage d’approfondir ces propositions, ou que nous voulons examiner une série de nouvelles interrogations, nous constatons que dans nos pensées modernes il reste encore quelques anguilles sous roche. Nous vous en dirons davantage prochainement. P. Michel Coppin, directeur

OURS 12ième année Suara est un mot indonésien qui signifie voix. Suara veut être la voix des sans-voix et de tous les peuples qui crient dans le désert. Au-delà d’être la voix des “sans-voix”, il nous revient de faire en sorte que les “sans-voix” en arrivent à avoir leur propre voix. Rédacteur en chef: Kenny Frederickx Rédaction finale: Kalamba Nsapo Ont collaboré: Michel Coppin, Silvia Regina de Lima Silva, Catherine De Ryck, Herlinde Hiele, Caroline Medats

Photos: Lon&Queta, Missio, Peter Casier, Hug It Forward, M. Escalera, Christus Vincit, Sébastien Le Clezio Mise en page et impression: Halewijn Printing & Publishing Directeur National: Michel Coppin Editeur responsable: Michel Coppin, Boulevard du Souverain 199, 1160 Bruxelles Missio est une organisation internationale de solidarité et d’échange entre communautés chrétiennes et de promotion des rencontres interculturelles et interreligieuses.

Près de 130 pays sont reliés à Missio qui soutient plus de 1000 communautés chrétiennes locales. Secrétariat National de Missio Boulevard du Souverain 199, 1160 Bruxelles Missio Brabant-Wallon Ch. de Bruxelles, 67 1300 Wavre Tél.: 010 23 52 62 brabant.wallon@missio.be

Missio Bruxelles Rue de la Linière, 14 1060 Bruxelles Tél.: 02 533 29 80 bruxelles@missio.be Missio Eupen Bergkapellestrasse 46 4700 Eupen Tél.: 087 55 25 03 eupen@missio.be

Missio Liège Maison des Bruyères Rue des Bruyères 127/129 4000 Liège Tél.: 04 229 79 40 liege@missio.be Missio Namur Rue du Séminaire, 11 5000 Namur Tél.: 081 25 64 46 namur@missio.be

Missio Tournai Rue des Jésuites, 28, 7500 Tournai Tél.: 069 21 14 59 tournai@missio.be Veuillez vous adresser à vos services diocésains pour avoir du matériel et d’autres informations. IBAN: BE19 0000 0421 1012 BIC: BPOTBEB1 Il ne nous est pas permis de délivrer une attestation fiscale pour les versements effectués au bénéfice des projets pastoraux


Dialogue

Suara 8

Rencontre

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La voix des peuples

S Gustavo Gutiérrez | Enjeux et défis de l’évangélisation en Amérique latine olidarité

Le 7 mai 2013, dans l’enceinte du Couvent des Petites Sœurs de l’Assomption, à Paris, Gustavo Gutiérrez, l’un des fondateurs de la théologie de la libération en Amérique latine, a daigné accorder une interview à la rédaction du journal Suara. L’entretien a gravité autour des enjeux et défis de l’évangélisation en Amérique latine sans faire l’économe de certaines questions spécifiques liées à la théologie de la libération. Sylvain Kalamba Nsapo

Missio: Que pensez-vous de la nouvelle évangélisation? Avez-vous une vision différente de celle de Rome, à ce sujet? Gutiérrez: « A la conférence de l’Episcopat latino-américain à Medellin, on parlait déjà de la nouvelle évangélisation. Pour nous, elle est nouvelle dans la mesure où elle tient compte de la connaissance de la réalité du destinataire de l’Evangile. Elle est appelée à considérer l’irruption des

et sa personnalité empreinte de modestie offrent de grands espoirs. En peu de temps, il a montré des signes qui reflètent une autre image de l’Eglise. Il est possible que cela puisse contribuer au changement dans l’Eglise. Il faut espérer. » Missio: J’ai appris que la théologie de la libération a été interdite de présence dans les séminaires, les facultés de théologie ou les centres de pastorale. Est-ce là une vérité? Si oui, qu’en pensez-vous? Et quels sont, à vos yeux, les défis de cette théologie aujourd’hui? Gutierrez: « Formellement, on n’a pas interdit l’enseignement de la théologie de la libération. Mais certains responsables locaux auraient mis fin à l’étude de cette théologie sous prétexte qu’il s’agissait là d’une volonté romaine. Pourtant, aucun document de Rome ne le dit. Même les documents de Rome datant de 1984 et de 1986 ne demandent à personne de cesser d’enseigner la théologie de la libération. Il y a bien sûr des personnes qui n’ont pas aimé cette théologie. Jusqu’à ce jour, il n’y a pas d’argument qui fasse le poids devant la perspective théologique de la libération. Il ne faudrait pas confondre les choses lorsqu’on parle de la condamnation de Leonardo Boff. Celle-ci ne repose pas sur la théologie de la libération, mais sur la question de l’ecclésiogenèse ou des communautés de base qui re-inventent l’Eglise. » Missio: Pendant les années de notre formation théologique, nous avons fort été influencés par la théologie de la libération. Mais celle-ci a fait l’objet de vives critiques dans les documents officiels du magistère romain. A quoi doit s’accrocher la jeunesse qui veut, au nom de la foi, contribuer à la libération de son peuple? Gutiérrez: « Il faut continuer à y croire, car cette théologie garde toute sa pertinence. La façon d’en parler dépend d’une époque à une autre, mais c’est le même message d’amour annoncé aux peuples habitant le Sud de l’Amérique. » Missio: On vous a parfois posé la question de savoir pourquoi il n’y a pas de théologiens noirs ou des évêques noirs en Amérique Latine. Quelle réponse pouvez-vous nous donner aujourd’hui? Gutiérrez: « De fait, il y a très peu de théologiens et d’évêques noirs. Mais une minorité existe, notamment au Brésil. »

Foto: Sébastien Le Clezio

Missio: Quels sont les défis de l’évangélisation en Amérique latine? Gustavo Gutiérrez: « Il y a particulièrement la situation de pauvreté au sein de la population latino-américaine. D’aucuns pensent que ce n’est pas un défi théologique, mais une question humaine. Cependant, il faut savoir que celle-ci constitue un défi dans un contexte où l’on doit annoncer la vie. L’on se souviendra de la vie en abondance qu’apporte JésusChrist. Lorsque celle-ci est mise à mal, lorsque les pauvres sont perçus comme des êtres «sans signification», le problème soulevé est éminemment théologique. En outre, la pauvreté n’est pas seulement économique. Elle embrasse tous les secteurs de la vie humaine. Nous l’avons souvent écrit: La pauvreté déborde la sphère socio-économique et devient un problème humain global et, par conséquent, un défi au vécu et à l’annonce de l’Évangile. C’est une question théologique. L’option préférentielle pour les pauvres est la prise de conscience de ce fait et ouvre une voie pour examiner la question. » Missio: Que pensez-vous de la pastorale et de la théologie classique en Amérique latine? Gutiérrez: « La théologie dite classique est encore présente dans quelques sphères de la vie ecclésiale. Mais le contexte de la théologie de la libération, le climat du Concile et l’intuition de Jean XXIII sur l’Eglise des pauvres, ont donné lieu à une réflexion biblique sur la pauvreté. D’ailleurs, on ne parlait pas en termes de théologie de la libération. Cette expression est née suite à la prise en compte des questions suivantes: pourquoi fait-on la théologie et comment peut-on la faire; quel est le sens de la pauvreté? La libération renvoie à trois dimensions fondamentales: 1) sociale, culturelle, économique; 2) personnelle; 3) surtout la libération du péché. C’est tout cela qui a également été bien accueilli par les conférences épiscopales latino-américaines. » Missio: Est-ce que les Eglises pentecôtistes sont un obstacle à l’évangélisation? Gutiérrez: « Les Eglises pentecôtistes ne sont pas un obstacle à l’évangélisation. Elles sont capables de faire un bon travail de proclamation de la Parole de Dieu. Mais nous aimerions qu’elles insistent un peu plus sur les défis de la pauvreté qu’elles n’ont pas souvent mis en lumière. »

pauvres. C’est ce qui fait sa nouveauté. Dans cette perspective, le pauvre n’est pas seulement l’objet de l’évangélisation. Il en est le sujet. Comme on l’a affirmé à la conférence de l’Episcopat latino-américain à Puebla, les pauvres évangélisent. Ils ne sont pas réductibles à leur place de destinataires de la Bonne Nouvelle. A Rome, il y en a qui disent la même chose. Jean-Paul II a expliqué ce qu’il entendait dire avec l’adjectif «nouvelle» opposé au terme traditionnel d’«évangélisation»: «nouvelle dans l’ardeur, nouvelle dans les méthodes, nouvelle dans les expressions» (cf. Jean-Paul II, Discours à la XIXème Assemblée ordinaire du CELAM, 9 mars 1983). » Missio: Quels espoirs un pape argentin peut-il susciter sur le plan de l’évangélisation en Amérique latine? Gutiérrez: « Il faut surtout prendre en compte la personnalité de ce pape. Son expérience pastorale en Amérique Latine

« Formellement, on n’a pas interdit l’enseignement de la théologie de la libération. Mais certains responsables locaux auraient mis fin à l’étude de cette théologie sous prétexte qu’il s’agit là d’une volonté romaine.»

N.B.: Gustavo Gutiérrez Merino Diaz a été promu Maître dans la Théologie Sacrée au sein de l’Ordre des Dominicains. Ce titre s’ajoute à ceux qu’il a reçus de dix sept autres facultés de théologie dans le monde.


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