Mauvaise graine #46

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relevai, il était parti…Dommage. Cela m'a confirmé ce que j'avais ressenti ; oui, c'est çà : ce type ne semblait pas sûr de lui ; comme moi non plus, je n'ai pas tellement d'expérience, je pense que j'ai senti inconsciemment que, sur ce plan-là au moins, nous étions semblables. Histoire banale, me diras-tu ? Pas tant que çà, à mes yeux. S'il revient, il me semble que je l'écouterai parler ; je serai sans doute charmé par la douceur de sa voix, intrigué par l'impression de retenue qu'il dégagera ; conquis enfin par la simplicité qu'il mettra certainement à me draguer ; bref, je dirai oui. Bon, j'arrête là pour le moment, car il faut que j'aille acheter à manger ; plus tard, ce sera fermé. Bises en attente. José.

30 novembre : J'ai attendu toute la semaine, et, le samedi, elle était encore là, au même endroit ; ce fut, comme si en huit jours, rien n'avait bougé. Fut-ce la passivité des lèvres, dont aucun son ne sortit ?Je me souviens en effet avoir posé les indispensables jalons, approuvés d'un accord tacite des yeux ; la démarche aussi me surprit quelque peu lorsque je lui emboitai le pas : On semblait peu assurée sur des chaussures à talons engendrant un déhanchement et une stabilité précaire ; pourtant, visiblement, elle connaissait bien le court chemin qui nous mena, par un trottoir semé de flaques d'eau et un couloir impersonnel à la chambre au papier à fleurs carminées, dont les entrelacs simiesques faisaient ressortir les taches. Elle avait demandé « un peu de temps » ; je pensai qu'elle voulait faire ses ablutions ; accoudé à la balustrade de le fenêtre, j'avais allumé une cigarette, et, lorsqu'elle m'appela, sa voix grave me fit sursauter ; je me retournai. Elle était couchée et avait remonté le drap jusqu'à sa taille ; ses seins me démontrèrent qu'elle était un garçon. Il s'offrit à moi, les bras en croix ; son torse creusé fit naître en moi un sourd désir ; lorsque ma main le caressa, j'eus un court moment d'hésitation en touchant ses attributs de garçon, durs et chauds ; face à mon trouble persistant, il sembla au contraire très à l'aise ; tant de naturel me rendit jaloux, me déstabilisa ; la découverte du plaisir homosexuel, loin de me rassasier, me fit mesurer, outre le temps perdu, ma difficulté de religieux à l'assumer. Elle se teinta de rancune ; nos jouissances furent différées ; la mienne fut rapide, expéditive, et je m'étais déjà séparé de lui qu'il se touchait encore, dans des gloussements exacerbés et des gestes obscènes, qui ajoutèrent encore à mon ressentiment ; le constat fut indubitable : vie sentimentale faussée, ersatz étriqué du remplacement divin ; et

rien ne pourrait me faire rattraper le temps enfui ; nu toujours, il s'était plaqué le long du mur, et riait de mon hésitation et de mes faiblesses ; le sexe était crûment éclairé ; plus haut, dans la pénombre, le corps chaud, vivant, exultant d'insolence se découpait MAUVAISE GRAINE 46 W MAI 2000

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