Mauvaise graine # 31

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ORIGINE DE LA FUITE : MAUVAISE GRAINE 31 FIABILITÉ DE LA SOURCE : NULLE DATE D’EMISSION : FEVRIER 1999 TYPE : NOUVELLE AUTEUR : “SAMUEL” RECHERCHE INFOS COMPLEMENTAIRES EN COURS...


ÉDITO J’ai peur. J’essaie chaque fois de prendre sur moi, d’ouvrir les yeux et les oreilles et de tous les écouter. Peut-être ne devrais-je pas y prêter attention, mais c’est plus fort que moi. La haine et la violence partout. On les colle hypocritement sur la peau de jeunes “ sauvageons ” que l’on aimerait bien mettre dans des prisons améliorées – à juste titre parfois, il faut le reconnaître – alors que tant d’autres le sont, haineux et violents, en toute impunité. Les inquisiteurs sont de retour parmi nous, et tandis que l’on s’endort sur l’histoire d’un “ insecte ”1 informatique venu ronger les capacités des entreprises lors du passage à l’an 2000, ou sur les tribulations sexuelles d’un américain constipé, mais pas frustré, le mal arrive. Si nous n’ouvrons pas nos yeux et nos oreilles très prochainement, la répression fera bientôt la loi. Je ne veux pas seulement parler de hordes de jeunes issus de milieux défavorisés (langue de bois !), disons donc plutôt de jeunes à qui l’on a laissé si peu de chances qu’il nous est aujourd’hui impossible de rattraper les erreurs commises par le passé, et que l’on arriverait presque maintenant à supprimer de la population en leur ôtant leur citoyenneté, mais de tout un amalgame de personnalités qui prônent la morale tendance terroriste sur la société contemporaine. Lorsqu’un parti ou une association recrutent ses meilleurs partisans pour se dresser contre la reconnaissance des droits d’une personne humaine qui n’entre pas dans les critères, oserai-je dire de sélection, c’est à dire blanche, chrétienne, hétérosexuelle et, qui sait peut-être bientôt ce critère primera aussi, active, et bien je crois qu’il y a des raisons d’avoir peur. Et moi j’ai peur. Lutter pour survivre est devenu une nécessité, la société actuelle ne laisse aucune place à ceux qui ont choisi de vivre autrement, d’assumer leurs différences, mêmes si ces différences sont venues à eux sans qu’ils les aient choisies, et c’est effectivement le cas pour tout le monde. On ne choisit pas de naître, dès lors on ne choisit pas non plus ses

gênes et ses qualités, on ne peut que les assumer et ça, peu l’ont compris, à en voir l’histoire humaine. Évidemment, il ne faut pas se limiter à notre petite France, où les choses vont déjà bien mal, c’est vrai, mais plutôt se tourner encore plus vers le continent, le monde et là aussi j’ai peur. La nuit, il m’arrive de tourner mes yeux vers le ciel parfois, et me dire que c’est beau ; et pourtant, cette beauté m’interpelle plus encore, elle me dérange même : comment peut-on porter une importance à quoi que ce soit sur cette planète lorsqu’on prend pleinement conscience que tout ça n’est rien dans l’infini de l’univers, que notre planète, minable grain de poussière dans l’illimité, n’a aucune importance à l’échelle qui nous est offerte d’observer sans la comprendre. Lutter pour survivre ! Lutter pour quoi faire ? Un simple caillou venu de l’espace a été capable d’anéantir, en des temps reculés, la population reptilienne de la planète. Pourquoi un tel phénomène ne se reproduiraitil pas aujourd’hui ? Et qu’en deviendraient ces petites querelles de microbes ? Faut-il encore lutter dans ces conditions-là ? Faut-il réellement se dire même qu’avec une petite revue de vingt pages avec laquelle on voulait donner un nouvel atout à la littérature contemporaine, on est encore ce qu’on croyait être ? C’est là toute l’absurdité de l’existence humaine. Nous serons sans doute toujours seuls avec nos convictions, nos croyances, nos opinions bidons et ridicules, et c’est bien pour ça que nous devons tous continuer à lutter, parce que l’Homme n’a que ça à faire pour se donner une consistance quelconque dans ce vide extraordinaire, et que finalement, l’écriture est une lutte de tous les instants au même titre que toutes les autres, à cette différence qu’elle reste , jusqu’à un certain point, inoffensive et ludique. Bonne lecture à toutes et à tous ! Walter

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Le “ bug ” de l’an 2000

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PORTRAIT C’est en juillet dernier qu’un email nous parvenait avec en gros ce message : voici Butagaz, je vous l’envoie pour avis, après avoir surfé sur le site de Mauvaise Graine. Ce message signé Samuel, nous avons mis du temps à y répondre, et pourtant cette nouvelle peu commune nous avait tout de suite plu. Malheureusement, nous n’avions pu la publier plus tôt puisque notre programme était déjà bouclé pour le reste de l’année 1998. Il nous a donc fallu attendre sept longs mois de plus avant de vous la proposer dans ces pages. Ce numéro s’est ouvert sur une question d’actualité (une de plus). Pas ou peu d’éléments de réponse, mais cette nouvelle apporte en quelque sorte une autre pierre à ce mur qu’est l’absurde, le grotesque de l’humanité fiévreuse et pourtant assoupie. Butagaz vous entraîne dans une déferlante d’amertume et de peur envers la société (française) contemporaine, plus contemporaine que ça encore, la société actuelle, la société d’actualité. L’année dernière, nous “ dégustions ” de la Coupe du Monde par tous les orifices et je sais que cette manie de nous gaver de la sorte en a énervé plus d’un, les a-t-elle inspirés pour autant, ma foi non, Samuel, lui, a eu de quoi répondre à ce gavage lourd et indélicat. Et si la grande fête footballistique internationale qui s’est déroulée sur notre sol l’année dernière s’était mal terminée ? Pire encore, si elle n’avait pas pu finir, si ce n’est dans un bain de sang, comme pour faire comprendre aux

millions de téléspectateurs qu’ils étaient en train de perdre leur temps à s’hébéter devant des centaines de joueurs tous aussi pourris les uns que les autres ? Si l’on avait voulu mettre à mal la société dégueulasse dans laquelle nous survivons tous sans aise ? C’est un peu cela que Samuel raconte, sauf qu’il n’a pas voulu de sang, ni de morts, il y en a déjà trop, et trop gratuitement... C’est plutôt au travers d’un terrorisme froid, cynique, calculé et intimidant qu’il s’est offert le luxe de désorganiser la société, de la faire voler en éclats et essayer de lui faire connaître sa juste valeur. Un exercice de style épatant et réussi, Samuel est un auteur de qualité, brillant et doué, sans doute a-t-il aussi longuement travaillé ce texte avant de nous l’envoyer, car, bien que je ne le connaisse pas plus qu’au travers de quelques courriers éléctroniques, j’ai pu lire entre ses lignes qu’il voulait écrire de façon concrète, intelligible (ce qui ma foi est tout de même la finalité de l’écriture, part de communication entre les êtres), et touchant à la perfection ; j’en veux pour preuve son dernier mail avec lequel il nous envoie une autre nouvelle, en concluant son message par son “ impression de mouliner à vide... ” Eh bien, qu’il continue à mouliner de la sorte et je vous jure que l’on entendra bientôt parler de lui un peu partout si tel est son souhait, en tout cas, moi, c’est ce que je lui souhaite de plus cher, et bien d’autres choses encore. Alors (re) bonne lecture à toutes et à tous et à tout de suite dans les Notes.

Walter MAUVAISE GRAINE 31 – FÉVRIER 1999

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BUTAGAZ Le thé me brûle les lèvres. Il est parfumé à la menthe, trop sucré comme je l’aime. Je regarde le bruit dans ce boui-boui miteux, où la musique est orientale et la bouffe dégueulasse. Je sors la langue, je la tire au mec qui m’observe dans le miroir, et je lèche les timbres que je colle sur les enveloppes. Quand ils auront lu ces quelques lignes, ils comprendront. J’organise mes idées, maintenant, pour désorganiser la vie sociale. Pour que la foule comprenne. Je réussirai, bien sûr. Je vais lui faire mal, à la foule, mal au plaisir, je vais lui faire mal au bonheur, je vais lui faire mal à l’argent et à la réputation. Surtout. 29 mai. J’enfile mes gants chirurgicaux. Je prends du papier, ma machine à écrire Remington modèle 75. Dans ma cave, un bon stock de chlorate, de petites quantités achetées partout en France, genre le gars qui désherbe... Intraçable. Des bouteilles de gaz ? A gogo sur les aiguillages de la SNCF, je n’ai eu qu’à me baisser. Et je frappe. Je revendique, je n’ai rien fait - pour l’instant. Un petit message, pour la Préfecture de Police, Paris. “ Sabotage Terroriste ! ” Le message est un peu creux. On s’en fout, de toutes façons, de la revendication politique léchée. L’important n’est pas qui, vraiment. Le pourquoi à la rigueur. Je suis obligé de donner une signature au message, la petite info secrète qui ne sera pas révélée par les flics, pour qu’on puisse identifier ce qui viendra...je fais passer la feuille de papier pendant 5 minutes au grill dans mon four à gaz, qu’elle change un peu de couleur...qu’elle annonce de la fumée et des flammes... 29 mai tard, quand les ombres sur les bancs publics semblent préparer des viols de petite fille, quand les nuits sont fraîches et la bouche fume des contrastes thermiques. Un coup de bagnole jusqu’à Sucy-en-Brie, pas près de Paris, pas loin non plus, à droite en bas de la carte. Le bled, endormi. Rien ne bouge, dortoir figé. A la sortie du bled, je trouve un champ. Le genre que j’aime à voir quand je vais m’oxygéner en fumant un oinj hors de Paname. Sombre, un peu boueux, les cultures qui sortent doucement, attendant l’été qui tarde. Les mottes collent aux semelles de mes baskets neuves - trop grandes, pas chères, une copie Nike vendue à la tonne chez Carrefour. Le colosse d’acier, là-bas, encadré par des points rouges. C’est lui la cible, lui le prétexte de cette nuit. 33 kilovolts à déglinguer. Pas compliqué, même si je m’enfonce dans la boue avec mon sac à dos chargé. En cadence, je marche, dans le tic-tac du réveil accroché à la bouteille de gaz. Dans les gants chirurgicaux, les gouttelettes de transpiration dessinent des motifs gais et changeants. Le petit bricoleur s’approche du pylône. En main, quelques cartes de visite roussies au four, fabriquées à la gare du Nord, et qu’il balance au pied du pylône. On pourrait presque lire la carte, à la lumière lunaire. “ Sabotage ! ” Au pied du pylône, il reste un instant penché, puis s’en retourne d’un bon pas. La plaine est ensuite calme pendant une quarantaine de minutes. Rien ne bouge que les feuilles des peupliers, en bordure du champ, ondulant de la brise régulière. Alors en un instant une lumière blanche lèche le bas du pylône, volatilisant l’une de ses arêtes. Le géant s’affaisse, doucement, freiné par les câbles, puis se vautre en furie quand les lignes cassent. Jolie pluie d’étincelles. A l’instant ou le bruit atteint Sucyen-Brie, les radioréveils se sont éteints. A demi réveillés, les habitants tentent d’apercevoir l’heure et sans succès, se noient à nouveau dans la nuit. A cet instant, les pseudo-Nike voguent déjà sans but dans les égouts parisiens. Peu de remous, le surlendemain. Un entrefilet d’Aujourd’hui, une brève de Libé. “ Un pylône à haute tension situé sur la commune de Sucy-en-Brie a été la cible d’un attentat dans la nuit du 29 mai, qui a causé une coupure de courant importante. Les agents d’EDF n’ont pu rétablir la ligne que tard dans la soirée du 30 mai ; les riverains de Sucy-en-Brie, Bonneuil et Ormesson ont été privés 4

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d’électricité toute la journée. Les enquêteurs se refusaient hier à commenter l’incident, mais une source proche de l’enquête soulignait une ressemblance entre le mode opératoire utilisé et celui des attentats de juin 1995 à Paris, et évoquait une possible résurgence d’actions de réseaux islamistes. ” Je dois pouvoir faire mieux.

Le moment arrive de s’attaquer au bon morceau. La RATP. Rapt aussi, de toute la région parisienne. Le contrôleur, a qui on a simplement envie de casser la tête. Principe de base, que j’applique déjà depuis longtemps : pas de carte orange. Même si j’en ai une, je ne la montre pas. Ils nous pourrissent la vie, faisons les chier aussi. Pas de carte orange. Bing, PV. Je récalcitre doucement pour filer mon adresse (pas de pièce d’identité, non plus...). La tension monte rapidement entre les lascars de la RATP et moi, dans cet environnement suburbain aux néons répressifs. Sans dégénérer, je maîtrise leur énervement. Quels cons. Signature du procès-verbal, je fouille dans ma poche : “ Ah ben non, finalement, je l’ai ma carte. Ciao les gars. ” Ca n’est pas très méchant. Ils méritent mieux. Je m’y colle donc. J’ai besoin de crédibilité. Métro-RER, maintenant, sur-fliqué. Caméras partout, pas mal de civils qui rôdent, sans parler des rebuts de vigipirate qui traînent encore. Faut jouer serré - dedans - mais on peut toujours passer par l’extérieur... Le plein air, c’est bon pour les poumons. Au hasard je roule, nuit épaisse et sans lune. Nanterre, un tabac, un pont, un banc. Glacial, et cet éclairage au néon bleu et aux lampadaires jaunes. Mortel, encore qu’à cette heure-ci les gens qui devaient y passer le sont déjà. Rueil au bout. Moche, neuf. Des vitres - miroir, du Beaugrenelle récent, c’est dire. Je passe la Seine. Chatou, coupé par une autoroute de banlieue ouest. Je les vois, à 8 heures du mat’, les lodens dans les Peugeots, attendant que le bouchon se résorbe . La vie entière à déboucher. J’arrive à l’épicentre de la zone. Le Vésinet, je colle trois, quatre tours des Ibis à mon italienne, et les cygnes qui se réveillent du pot d’échappement éclaté me cherchent du regard. Direction la gare, Vésinet Centre. Je longe la voie ferrée, ensuite. Quel calme, ces pavillons XIXème dans de grands jardins... On va réveiller du bourgeois, alors, c’est ça ? Le rituel des gants qui claquent sur les poignets, souvenir de mauvais film chirurgical probablement sur La Cinq. Les doigts gourds, lourds. Une légère envie de dormir, aussi. Tout à l’heure...Maintenant, se tenir alerte. Jumper la petite grille qui sépare la voie du paisible de la nuit. Peu de lumière, sauf ce fascinant spot violet, le spectre ferroviaire, au loin, qui troue l’obscur. Les pas crissent, fond craquer les caillasses du ballast. L’odeur qui monte de la voie est fétide et enivrante, celle du métro à Paris, adoucie par l’air frais. Les rails sont froids au toucher, il est trois heures vingt cinq. Le scotch large colle grassement, à plaisir, sur le poteau qui porte le caténaire. La petite bonbonne s’accroche à son nouvel ami qui tarde de se consumer pour elle. Le câblage électrique du réveil matin est rebranché. Tchic, Tchac, Tchic, Tchac, le battement de cœur du bonhomme, le phosphore de l’aiguille qui gigote. Il sent la mort venir, cet objet inanimé qu’il sera sous peu. Un frère a lui devient l’ami des rails, sans scotch. Posé contre le rail sur la traverse mitée. Tchac, Tchac, Tchac, Tchac. Larguer les cartes de visite. Elles ont une jolie couleur, dans les beiges. Je largue les cartes, je rippe. L’heure de partir, vite. Petite pointe jusqu’à 100 mètres de la tire. Ensuite, au pas normal. Démarrage, le machin tousse - ce qui m ‘évite d’entendre le bruit que fait le poteau en se brisant sur des rails en fusion. Les cygnes se réveillent encore aux Ibis. Un feu, un tunnel, la route. Déjà le périphérique intérieur - double tour pour Evry. Des picotements, un peu, dans MAUVAISE GRAINE 31 – FÉVRIER 1999

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les jambes. Une envie, aussi, de fracassage irrépressible. Comme cela arrive parfois, quand il manque quelque chose dans la tête et les tympans, je trace dans une boite des alentours. night club Quand j’en sors - il est 9 heures. Des mecs, sur les quais, dans le RER, qui gueulent contre le retard des trains. Faut pas s’énerver pour ça, gars, tu pleureras bientôt, je te le promets. Et tu ne sera pas le seul. Replonge-toi dans ton Présent, dans ton Marianne, dans ton Télé Star, pauvre Parisien. C’est ce que tu as de mieux. Je me pieute écrasé de fatigue. En pensant au mec moustachu qui, là-bas, s’est levé dans la nuit, a mis son cuir, pris son calibre, et s’est gelé pour un maigre résultat. Un bout de bristol a moitié brûlé qu’il tend, frétillant comme un clebs, à son commissaire. Bon gars.

Bam Bam je cogne à la porte. Seul moyen quand la sonnette est niquée. Greg m’ouvre et déjà les saveurs d’épices délicates m’assaillent. Du bruit, aussi, de la zique et des paroles, dans un joli éclairage. C’est l’Orient, pas celui du fond, celui d’avant. Les yeux de Laëtitia brillent dans la cuisine quand elle me sourit. Je viens chez eux, en métro, me remettre de mes sorties nocturnes. Plus de bagnole - vendue. Peut-être aperçue au Vésinet...Je sentais mal le test de l’élan entre deux R19 grises banalisées dans ma Fiat Uno blanche. Dans le salon des amis sont là, comme souvent. Sur cette soirée qui se déroule doucement, que dire d’autre ? Le couscous est à tomber par terre, le chauffage assuré au p’tit punch... quand on connaît ça, on n’a pas besoin d’allumer une télé pour se faire des amis. Un truc, quand même. Quand la musique baisse, Chérif rentre dans le salon, avec une guitare. Je regarde ses doigts qui courent sur le manche, quand il commence à jouer. Ils courent mais c’est une belle course, celle où il n’y a pas de vainqueur. La mélodie me charme de ses accents, des rimes de chaleur, de la paix déchirée que j’y trouve. Douce déchirure, légère surpiqûre. Mais lorsque Chérif commence à chanter, Paris s’écroule. C’est la pureté d’un ailleurs toujours rêvé, intense et apeurant, que porte sa voix. Ce qu’il fait à cet instant me rappelle d’autres moments paisibles que j’ai vécu, qui ne sont plus. C’est pour des moments comme celui-là que je m’expatrie, la nuit, dans les profondeurs de la banlieue parisienne.

Mi-juin. Les journaux m’apprennent le nom du commissaire chargé des attentats récents en Ile de France. Il s’appelle Balkany, comme l’autre lascar. Il faut que je lui donne du taf. Depuis six mois, pas de jour sans que le nom “ Stade de France ” ou “ coupe du monde ” ait été prononcé. Composition des équipes, fabrication des crampons en titane/carbone, humeurs d’Aimé Jacquet, thème astral du gardien de but, putain, la France glisse, patine dans la connerie. Ça ne fait que commencer, ça ne peut qu’empirer à l’approche du bazar. Personne ne gueule préventivement contre cet étalage nauséabond qui approche. Je suis prêt, moi, je veux qu’ils réfléchissent, je vais les y forcer. Paris se meurt, rendez-lui ses nuits blanches. Pas de danger le dimanche, dans la nuit. Je me trimballe en scoot’. Le feu est vert, je passe au rouge, je zigzague orange. Dans mes moufles en cuir, d’autres gants en plastoc. Le scooter est lourd du cul, avec les productions explosives maison dans la valise, derrière la selle. Orléans, Alésia, Denfert, Saint-Michel, je passe la Seine. Rivoli, moche le jour comme la nuit. Arrêt - réglage de l’horloge dans la rue de la Verrerie. Un regard à une

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porte cochère. J’attache à la bouteille une corde de 3 mètres. Le réveil, comme les cartes de visite, est fixé à mort avec du scotch de déménagement marron. J’arrive à la Concorde. Pas rester trop longtemps, peu de circulation mais des ombres qui passent. Le terre-plein central. Je pourrais m’attaquer aux réverbères immondes qui m’encadrent mais le phallus central est trop tentant. J’agrippe la corde, je soulève la boutanche et lui fait passer les grilles de protection du pylône égyptien. Descente en douceur avec la corde au pied du colosse. Le moteur tourne encore, j’enfourche le scooter et mets plein gaz vers les Champs. Je vois dans le rétro, en entrant sur la place de l’Étoile, une petite flamme jaune et fugitive au loin, dans l’axe de l’avenue. Le son ricoche sur l’Arc et me revient atténué, dans des odeurs de mélange à 2 %. Faudrait que je fasse régler la carburation du booster. J’ai trouvé un modèle amusant de réchaud à gaz, la bonbonne est à des dimensions correctes pour un transport surveillé. Je la vide, je lui casse la tête. Remplissage avec du chlorate, des clous, des pièces de 5 centimes ... “ fauché par l’argent ”, je m’amuse. Trois soudures, quelques fils qui partent au réveil. À l’intérieur de celui-ci, je torche le bricolage, des soudures sur les aiguilles et la pile...tellement simple que ça reste des principes. L’existence s’est puissamment sophistiquée depuis que l’homme rajoute à ses actes des mots qui les décrivent, des pensées qui les justifient. Le corps social aux millions d’yeux digère un magma de pensées contradictoires qui se croisent, se fortifient ou s’annihilent l’une l’autre ; il plie vers l’une, vers l’autre avec le plus grand nombre. Il a comme fondation les acquis intellectuels et sociaux du plus grand nombre, les principes fondateurs communs, des piliers de granit là où il faudrait du sable. Faire bouger le corps à coup de (fusil à) pompe. Hé, je ne vais pas me lancer dans la démocratie... ? ! Le mandat électif, le doux clientélisme, la moquette épaisse, la pute sur les marchés... Le système tolère trop de déchet, il ne défend et n’applique que des corrections cosmétiques. J’ai bien peur qu’il ne comprenne que la brutalité. Je ne peux que contraindre le corps social à utiliser sa tête. Châtelet, 07.58.18. Costard anthracite, je passe inaperçu, même si j’ai un peu chaud. Le stress, et le temps de cette fin juin. Pas de hordes de supporters à cette heure, plutôt les masses laborieuses en col blanc qui speedent vers la Défense, vers les stéréotypes de rapports sociaux. C’est plutôt l’après-midi des avantmatchs que l’on croise ces bandes braillardes et avinées se rendant au stade pour y communier leur religion de sueur, leur dieu patriote et gras. Je souris de les voir, du cadeau que je leur réserve... Le sac FNAC, rempli d’un butagaz trafiqué, passe lui aussi inaperçu. 07.59.12 Assis dans un fauteuil d’émail blanc et froid, face à la pendule, j’attends le passage du train, l’interconnexion bien faite, les passagers qui traversent le quai d’un train dans un autre. Arrive le B, qui va se vider dans le A à suivre. Au moment où le flot sort du B, je me lève et, comme un saumon, j’embarque à contre-courant. La sonnerie, le chuintement des portes. Je regarde l’emballage plastique beige, là-bas, sous le fauteuil, abandonné comme un clébard à l’été, qui s’éloigne puis disparaît dans le tunnel. Dans vingt-cinq minutes, il ne se passera rien. Je survole dans Libé un article sur le dopage. AFP

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Le trafic a été fortement perturbé sur les lignes A, B et D du RER ainsi que sur les lignes 4, 7et 11 du Métro en raison de la découverte d’un colis suspect à la station Châtelet - Les Halles ce matin à 8 heures 35. La station a été évacuée, et les équipes de déminage appelées sur les lieux ont désamorcé ce qui s’est révélé être une bombe de fabrication artisanale confectionnée avec une bouteille de gaz. Aucune revendication n’a été trouvée sur les lieux. Le trafic a été rétabli à 10h30.

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AFP

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9892 FRA /AFP-KR 12

La Préfecture de Police de Paris a déclaré, par la voix du commissaire Balkany, que “ Certains éléments matériels découverts sur les lieux permettent d’attribuer avec certitude la tentative d’attentat au groupe ayant commis certains attentats récemment en région parisienne, dont le dernier en date a été la destruction de l’Obélisque de la Concorde. L’enquête avance à grand pas, et des moyens matériels et humains important ont été mobilisés, qui nous permettent de rapides progrès dans cette enquête que les détails ne peuvent être divulgués car ils risqueraient de lui nuire ”. Provoquez une explosion ! Il suffit qu’un courant électrique parvienne au chlorate qui décide alors de volatiliser tout ce qui l’entoure. Ne pas souder correctement le fil sur l’aiguille du réveil. Ce n’est pas une erreur, c’est un choix. Pas d’explosion, pas de morts ni de blessés, juste la radicalisation d’un message, glissement d’une destruction d’infrastructures techniques à celle de la structure humaine de la société. Je plaisante, ils croient que je ne plaisante plus.

En juillet, fais ce qu’il te plaît. 12 juillet, une heure et demi avant. Je grimpe sur mon VTT, je descends le boulevard Pasteur. Un warm-up dans un assommoir du quartier, qui me rappelle quelque chose sans bien savoir quoi. Quelques piécettes dans le téléphone, le numéro de la préfecture de police s’il vous plaît, France Télécom vous remercie de votre appel le numéro que vous avez demandé est le 01 53 73 53 73. Horrible voix métallique. J’entends à peine dans le bordel du bar et Handy Bag me lance un regard noir. Il veut parler à Annie, je le sais, je le sens. 20 minutes avant. Le moment est venu de changer de crémerie. Ça commence à sentir la bière, et la télé hurle à fond. Les yeux déjà éclatés sont rivés à la lucarne. La tension monte, pour eux, pour moi aussi. Un coup de bike vers le Sénat. La circulation est inexistante, je sens l’électricité qui s’échappe des coups de volant que donnent les conducteurs. Ils sont cons, il fait beau, c’est le moment d’aller buller aux Buttes-Chaumont. J’y vais, juste un coup de fil à passer, d’une cabine en bas de la rue Saint-Jacques. Je sors ma carte, personne dans le coin, des fantômes en retard qui se hâtent pour la grande parodie. 01 53 73 53 73 – Préfecture de Police ? – Je voudrais parler au commissaire Balkany. – Un instant. Je me tape un bout des 4 saisons de Vivaldi. Quel que soit le bout, ça me saoule toujours, et cette voix nasillarde qui me demande d’attendre m’énerve! – Oui ? – Je voudrais parler au commissaire Balkany. – Il n’est pas là, il est de permanence au Stade de France... ? – Il a un numéro de portable ? – C’est de la part de... ? – C’est Sabotage . – Un instant !... [crr-click ] Mmmh. Ne pas traîner trop longtemps dans les parages.

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– Allô écoutez non, je n’ai pas trouvé son numéro, je vous passe le commissaire Machin... – Machin j’écoute... ? – Machin, écoute, on veut parler à Balkany. Tu me le passes illico ? – Il n’est pas là...mais qui êtes vous ? – Tu nous connais pas, Machin, mais Balkany nous connaît... tu dois pouvoir le joindre, alors tu lui diras qu’il nous as vu à Sucy, qu’il nous as vu à Châtelet, à la Concorde, au Vésinet. On fait griller des cartes de visite... Tu veux nous connaître, toi, Machin ?- c’est maintenant que ça se passe. C’est simple, tu branches ta télé, tu regardes les crétins dans les tribunes du Stade de France. Je te promets, dans 28 minutes c’est le final de la finale. – Mais, attendez, qui êtes vous, qu’est-ce que vous voulez ? – J’ai à faire, gars. Tu connais le numéro de la Cellule de Crise, c’est le moment. – Mais je... !CLAC!

Sur la rive droite il fait meilleur. Je roule paisiblement, je rentre dans les ButtesChaumont. La pelouse est chaude, personne pour m’emmerder. Un bon bouquin dans la main, une prose de plus sur l’absurdité. Pourquoi vouloir plus ? “ Je reviens du Paradis N’y allez pas, tout y est gris. J’ai vu des hommes pleurer leurs années de pénitence leurs années de vaines croyances, des hommes seuls et mystifiés par leur foi illusionniste. Le Paradis pour un quart d’heure savoir que là c’est comme ailleurs, en revenir les yeux ouverts sans oublier son goût amer : la bave des trompés de l’au-delà corrode la substance de l’humanité. ” Evgueni Young (1895)

Je me réveille dans le noir...à croire que le monde m’a oublié. Un peu faim, un grec pas bon qui m’attend boulevard de Rochechouart...j’entre dans le boui-boui vide, je balance un sourire au gros moustachu sale qui officie derrière son présentoir vitré. Il doit être tard, la tige de mouton est presque terminée, carbonisée et brille comme le front du patron. – Qu’est-ce qu’il prendra ? – Il prendra le grec frites pita à 22 balles, avec un coke et un thé à la menthe. – Quelle sauce ? – Oignon, tomate, Harissa et un peu de blanche. Le gars cisaille la viande avec son long schlass, et remplit la pita de frites à peine dégelées...je l’arrête : – Pas dedans, les frites, je mange ici.

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Il poursuit cependant, après avoir disposé un plateau orange sur son plan de travail pour récupérer le mouton et les frites qui dévissent lors de l’ascension du mont Pita. – 31 francs. Je raque, je m’empare d’un stock de serviettes d’un micron d’épaisseur, je vais au fond de la salle. Des tables à hauteur de bar, le long des murs, toutes en miroir. Je me souris et m’installe, face au saboteur. Ça dégouline, l’huile glisse et colle au latex qui recouvre mes mains...après une trentaine de bouchées en 2 minutes, mon bide explose. Je colmate au Coke jusqu’à ce que la gorge me brûle. Descente de trachée, mon estomac fait Hiroshima. Je sors de ma chemise un papier plié en quatre, un stylo. Il me reste 7 cartes de visite, j’enverrai 7 lettres. Dont une à Balkany et son copain Machin. Sabotage. Pourquoi le sabotage ? Pourquoi ça ? Pourquoi priver la foule du plaisir merdique d’un match de foot, pourquoi dégoûter 600 millions de téléspectateurs abrutis? Parce que _______________________________________________________________ __________________________________________________________________________________ __________________________________________________________________________________ __________________________________________________________________________________ Le thé me brûle les lèvres. Il est parfumé à la menthe, trop sucré comme je l’aime.

Tea burns my lips. It’s minty, too sweet, as I like it. I look at the noise in this grotty greasy spoon, where there’s oriental music, and food makes you puke. I put out my tongue, and stick it out at the guy who observes me in the mirror, and I lick the stamps that I stick on the envelops. When they read these few lines, they’ll understand. I organise my ideas, now, to disorganise the social life. So that the crowd understands. I’ll succeed, of course. I’ll hurt the crowd, hurt its pleasure, I’m going to hurt its happiness, I’m going to hurt its money and its reputation. Above all. May 29. I put on my surgical gloves. I grab paper, my typewriter Remington model 75. In my cellar, a good storage of chlorate, little quantities bought everywhere in France, like a guy who would just weed... Unshiftable. Bottles of gas ? Loads of them along the SNCF 2 shunting, I only had to bow down. And I strike. I claim, I haven’t done anything - not yet. A little message, to Paris police headquarters. “ Terrorist Sabotage ! ” The message is a bit weak. Fuck off, anyway, the overdone political claim. The most important is not who, really. Why is the done thing. I have to sign the message, the little secrete information that won’t be revealed by the cops, so they can identify what will come... I grill the sheet of paper for five minutes in my gas oven, so its colour changes a bit... and it announces smoke and flames...

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(Société des Chemins de Fer Français) National Railroads Society

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May 29, late, when the shadows on the public benches seem to be about to rape little girls, when nights are cool and thermal contrasts fly off the mouth. A car drive to Sucy-en-Brie, not near from Paris, not far either, on the bottom right of the map. The hole’s asleep. Nothing moves, fixed dormitory. At the end of the hole, I find a field. The kind I like to see when I have little outings smoking a joint out of Paname 3. Dark, a bit muddy, the crops that spring up slowly, waiting for summer that’s late. The clods stick to my new tennis shoes - too large, cheap, copies of Nike sold by tonnes at Carrefour’s 4. The steel colossus, over there, framed by red spot lights. It’s my goal, that’s this night’s pretence. 33 kilovolts to bust. Easy, even if I sink into the mud with my heavy rucksack. Rhythmically, I walk, in time with the tic-tac of the clock hanged on the gas bottle. Inside the surgical gloves, the perspiration drops draw joyful and changing shapes. The little handyman gets closer to the pylon. In his hand, he has some calling cards redden inside the oven, made at the gare du Nord, that he throws away at the feet of the pylon. One could nearly read the card, in the moon light. “ Sabotage ! ” At the feet of the pylon, he keeps bowed for a while, then gets back walking forth. The plain is then quiet for about forty minutes. Nothing moves but the poplar leaves, along the field fence, swaying in the regular breeze. Then, in a moment, a white lightning licks the bottom of the pylon, volatilizing one of its sides. The giant collapses, slowly, slowed down by the wires, then slouches in furiously when the wires break off. Nice little sparkle rain. Half awaken, the inhabitants intend to catch sight of the hour unsuccessfully, and drawn in night again. At this time, the pseudo-Nike already flow aimlessly in the Parisian sewers. Few words about it, the day after. A paragraph in Aujourd’hui, a short piece in Libé 5. “ A high voltage pylon situated in Sucy-en Brie was the bomb attack target during the night of the 29 th of May, which caused an important electric break down. The EDF 6 agents only managed to mind the line late in the evening of the 30 th of May ; Sucy-en-Brie, Bonneuil and Ormesson’s residents were deprived from electricity all day. Yesterday, the enquirers refused to comment on the incident, but a source close to the police underlined the similitude between the type of attack and these that occurred in Paris, in 1995, and talked of a possible coming back of the Islamist gangs’ actions. ” I can probably do better.

The time has come to attack the big thing. The RATP 7. Rapt too, of the whole Parisian district. The inspector, whom you just want to smash the face of. Basic principle that I put into practice long ago : no orange card8. Even if I’ve got one, I don’t show it off. They spoil our lives, let’s bore the pants off them. No orange card. Bingo, a ticket. I play refractory quietly when they ask my address (no ID card either...). Tension rises quickly between the RATP rogues and I, in this suburban environment with repressive neon lights. Not degenerating , I manage their nervousness. Ass holes. I sign the ticket, I search into my pocket : “ Oh well, I got my card in fact. Ciao guys. ” That’s not really mean. They deserve better. Thus, I work on it. I need to be trusted.

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Name given to Paris by Parisians. French retailer. 5 French daily newspapers. 6 (Électricité de France) French national electric supplier. 7 Parisian urban transport like buses and the tube. 8 Travelling card in the Parisian urban transport. 4

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Underground-RER9, now, over-crawling with cops. Cameras everywhere, quite a lot of civil lurking around, without talking of the scraps of vigipirate 10 that are still wandering about. Got to play it tight - inside - but it’s always possible to get by outside... Fresh air, it’s good for your lungs. I drive off the top of my head, thick moonless night. Nanterre, a newsagent’s, a bridge, a bench. Frozen, and this lighting of blue neon lights and yellow street lamps. Deadly boring, yet at this time of the night people that should have passed by already have. Rueil at the end. Sad, new. Mirrorwindows, recent Beaugrenelle, that shows you. I drive over the river Seine. Chatou, cut off by a west suburb motorway. I see them at 8 in the morning, the loden coats in the Peugeots, waiting for the traffic jam to clear off. The whole life to clear off. I reach the centre of the zone. Vésinet, I make my Italian car drive three, four times around the Ibis hotel, and the swans awaken by the smashed silencer try to take sight of me. To the station, Centre Vésinet. I walk along the railway, then. How quiet these wide garden houses of the 19 th can be... Let’s awake bourgeois, then, that’s it ? The ritual of the gloves that crack on my wrists, memory of bad surgical movies probably on La Cinq11. Numb, heavy fingers. A slight need for sleeping too. Later... Now, to keep vigilant. To jump over the small fence that separates the railway from the quietness of the night. Little light, but this fascinating purple spot light, the rail spectre, afar, that perforates the darkness. My steps screech, make the gravel of the roadbed crack. The smell that comes up from the railway is fetid and dizzying, the underground’s is sweetened by the fresh air. The rails are cold to feel, it’s three twenty five. The wide rubber band stick thickly, pleasantly, on the pylon that supports the catenary. The tiny bottle hangs on its new friend which longs for consuming for it. The electric wires of the alarm clock are pluged. Tic, Tac, Tic, Tac, the heart beating of the man, the phosphor of the hand that swings. This inanimate thing to be can feel death coming. A brother of his becomes the friend of the rails, with no band. Set against the rail on the rotten sleeper. Tchac, Tchac, Tchac, Tchac. To throw the calling card away. They’ve got a pretty colour, like beige. I drop the cards, and go. It’s time to go, quick. I run up to 100 meters from the banger. Then, normal paces. Turn the engine on, the thing coughs - which prevents me from hearing the noise the pylon makes smashing against the molten rails. The swans awake again at the Ibis. A traffic light, a tunnel, the road. The inner ring road already - double drive for Evry. A few scratchings on my legs. A will of irrepressible shattering too. As it happens sometimes, when something’s missing in your head and eardrum, I run in a club of the neighbourhood.

night club When I get out of it, it’s nine. Guys, on the deck, in the RER, who bloody moan, complaining of the late trains. Don’t squeeze for that, boy, you’ll soon cry, I promise. And you won’t be the only one. Get back into your Present, into your Marianne, in your Télé Star, poor Parisien12. That’s what you’ve got best. Over crowded by weariness I smash in my bed. Thinking of the moustache guy who over there - got up in the night, put on his leather, took his gun, and got frozen for a meagre result. A half burnt piece of card paper he hands out to his superintendent, wriggling like a dog. Good lad.

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(Réseau Express Régional) Military defence that used to keep a watch on the main places where bomb attacks could have taken place (airports, train stations, etc.). 11 Old tv channel that has now disappeared from the French screens. 12 Present, Marianne, Télé Star, Le Parisien : French magazines, most of which are very popular. 10

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Bang Bang I knock on the door. Only way to be opened the door when the bell’s fucked. Greg opens the door and the delicate flavours of spices attack me already. Noise, too, music and voices, in a pretty lighting. It’s the Eastern, not the bottom one, the one of before. Laëtitia’s eyes shine in the kitchen when she smiles to me. I visit them by train to recover from my little night outings. No more car - sold. Maybe it was seen at Vésinet... I couldn’t imagine being tested my white Fiat Uno speed between two unmarked police grey R19 cars. In the living-room, friends of mine are there, as usual. What more could I say about this evening going by slowly ? The couscous could make you fall down, and the heater is punch... when you know that, you don’t need to turn the tv on to make friends. One thing by the way. When the music’s turned down, Chérif enters the living-room with a guitar. I look at his fingers that run on the wires, when he starts playing. They run but it’s a nice run, the one where there’s no winner. The melody charms me with its accents, I found warm rhymes, torn peace in it. Soft rip, light prick. But when Chérif starts singing, Paris collapses. His voice holds like the pureness of another country which you always dream of, intense, and frightening,. What he does at this moment recalls me other quiet moments I lived, and don’t exist anymore. It’s because of such moments that I expel myself, at night, in the depths of the Parisian suburb. Half June. The newspapers teach me the name of the superintendent in charge of the recent attacks in Ile de France. His name’s Balkany, like the other guy. I have to keep him busy. Not one single day without the name “ Stade de France ” or “ coupe du monde ” being pronounced for six months. Composition of the teams, making of the spikes in titanium/ carbon, Aimé Jacquet’s moods, the goal keeper’s birth chart, fuck, France slides, slips in bullshit. It’s only starting, it can only get worst as the mess comes. I’m ready, I want them to think, I’m gonna make them think. Paris’s dying, give it back its sleepless nights. No danger on Sundays, at night. I drive on my scooter. The traffic light’s green, I start when it’s red, I zigzag along in orange. In my leather mittens, other plastic gloves. The scooter his heavy at its bottom, with the hand-made explosive production in the suitcase, behind the seat. Orléans, Alésia, Denfert, Saint-Michel, I drive over the river Seine. Rivoli, as sad by day as by night. Stop - regulation of the clock in rue de la Verrerie. A glance at a carriage entrance. I fasten a 3 metre long rope to the bottle. The clock, like the calling cards, is tied up to death with brown moving rubber band. I reach the Concorde. Not to stay too long, little traffic but shadows passing by. The centre divider strip. I could attack the ugly street lamps that surround me but the central phallus is too tempting. I grab the rope, lift the handle and make it go over the protection gate of the Egyptian pylon. Slow descent with the rope at the feet of the colossus. The engine’s still on, I mount my scooter and drive forth the Champs. I can see in the mirror, as I enter place de l’Étoile, a yellow and fugitive spark afar, in the avenue line. The noise echoes on the Arc-de Triomphe and comes back to me soften, in the smell of the 2% mixture. Got to regulate the carburation of the booster. I found a funny type of gas-stove, the bottle has correct dimensions for a clever transportation. I empty it, behead it. Fill it with chlorate, nails, 5 cents coins... “ shot by money ”, I’m having fun. Three welds, a few wires that go to the clock. Inside of the clock, I do the odd jobs quickly and well, welds on the hands and the battery... so simple that they remain principles. Existence has strongly sophisticated itself since man added to his actions words that describe them, thoughts that justify them. The social body with its million eyes digests a magma of contradictory thoughts that criss-cross, feed on or dash each other ; he bows toward one, toward the other with the crowd. He has as a foundation the intellectual and social experiences of the crowd, the common founding principles, granite pillars here where there should be sand.

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To make the body move with a hand (gun). Hey, I’m not going to start being democratic... ? ! The elective mandate, the sweet patronage, the thick carpet, the hustler on the markets... The system tolerates too many wastes, it defends and apply only cosmetic corrections. I fear that they only understand roughness. I can but force the social body to use their brain.

Châtelet, 7.58.18. Anthracite suit, I go unnoticed, even if I’m a bit hot. Stress and the weather of this end of June. No supporter hoards at this time, rather working crowds with white necks that speed to the Défence, to the social relationship stereotypes. It’s rather while the afternoon of the fore-matches that these loud and drunk bands going to the stadium to share their sweaty religion, their fat and patriot god can be met. I smile of seeing them, of the present I’m saving them... The Fnac13 bag, inside which is a tampered butagaz, goes unnoticed too. 7.59.12 Sat in a chair of cold and white enamel, facing the clock, I’m waiting for the train to come, the well-done interconnection, the passengers who cross the deck from one train to the other. Comes the B, that’s going to empty into the A to follow. At the time when the crowd gets out of the B, I stand up and, like a salmon fish, I take on board upstream. The ringing, the hiss of the doors. I glance at the beige plastic packing, over there, under the seat, abandoned like a dog in summer, that goes away then disappears in the tunnel. Within twenty five minutes, nothing will happen. I quickly read a paragraph on doping in Libé. AFP

ACF0587 5 F

9510 FRA/ AFP-KR 12

Traffic was a little bit perturbed on the A, B and D lines of the RER and on the 4 th, 7th and 11th lines of the underground when a suspect packaging was discovered at Châtelet-Les Halles station, this morning at 8.35. the station was evacuated and the mineclearing teams removed the primer from what revealed to be an hand-made bomb made of a gas bottle. No claim was found on the place. Traffic was restored at 10.30. AFP

ACF0653 4 F

9892 FRA/ AFP-KR 12

Paris police headquarters declared, through the voice of superintendent Balkany, that “ Some material elements which had been discovered on the place allow to link with certainty the bomb attack attempt with the gang that recently committed attacks in the Parisian district, of which one of the last was the destruction of the Obélisque de la Concorde. The enquiry improves well, and important material and human means were called, what allows us quick progress in this enquiry, which details can’t be disclosed for they could prejudice it. Cause an explosion ! It only takes an electric stream that comes to chlorate that then decides to destroy everything that surrounds it. Not to weld correctly the wire on the hand of the clock. It’s not a mistake, it’s a choice. No explosion, no dead no injured, just the radicalisation of a message, sliding from a destruction of technical substructures to the structure of human society. I’m joking, they think I ain’t anymore.

In July, do as you like. July 12, an hour and a half before. I mount my mountain bike, rides down boulevard Pasteur. A warm-up in a café of the neighbourhood, that recalls me something 13

(Fédération National Des Auteurs Compositeurs) Big audio-video retailer comparable to the British HMV.

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without knowing quite well what. A few coins in the phone, the police headquarters number please, France Télécom thanks you for calling the number you’re asking is 01.53.73.53.73. Horrible metal voice. I hardly hear a thing in the shambles of the bar and Handy Bag glares at me. He wants to talk to Annie, I know it, I feel it. 20 minutes before. Time has come to make a move on. It starts to smell beer, an the tv shouts out loud at the back. The eyes already exploded are riveted on the set. Tension ups, for them, for me too. A ride to the Sénat. The traffic doesn’t exist, I feel electricity coming out of the turns of the wheel the drivers do. They’re ass holes, it’s nice, it’s time to go toss off to the Buttes-Chaumont. I go there, just a phone call to make, from a phone box down rue Saint Jacques. I take out my card, no one in the corner, late ghosts that speed for the big parody. 01.53.73.53.73 – Police headquarters ? – I’d like to talk to superintendent Balkany. – Bear with me a minute. I bear with a bit of the 4 seasons by Vivaldi. Whatever the bit is, it always makes me mad, and this nasal voice that’s asking me to wait stresses me ! – Yes ? – I’d like to talk to superintendent Balkany. – He’s not here at the moment, he’s at the Stade de France... ? – Has he got a mobile phone number ? – Who is it from... ? – It’s a sabotage. – Hold on !... [crr-click] Well. I shouldn’t keep too long in the neighbourhood. – Hello, look, I couldn’t find his number, I give you superintendent Thingy... – Thingy I listen... ? – Look Thingy, we want to talk to Balkany. Give it to me now ! – He’s not here... but who are you ? – You don’t know us, Thingy, but Balkany knows us... you must be able to contact him, so you’ll tell him he saw us at Sucy, he saw us at Châtelet, at Concorde, at Vésinet. We grill calling cards... Do you want to know us yourself, Thingy ? - it happens right now. It’s simple, you turn your tv on, you watch the ass holes in the stands at the Stade de France. I promise, in 28 minutes it’s the end of the final. – But wait, who are you, what do you want ? – I’m busy, lad. You know the number of the Emergency Committee, so it’s time. – But I... ! CLAC ! On the right bank, it’s cooler. I ride quietly, I enter the Buttes-Chaumont. The grass is warm, no one to bother me. A good book in one hand, another prose about absurdity. Why want more ? “ I come back from Heaven Don’t go up there, everything’s grey. I saw men cry MAUVAISE GRAINE 31 – FÉVRIER 1999

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for their years of penitence their years of vain beliefs, simple men mystified by their illusion faith. Heaven for a quarter of an hour to know that up there is like elsewhere, to come back with open eyes not forgetting its bitter taste : the spit of the deceived from out there erodes the substance of mankind. ” Evgueni Young (1895)

I awake in darkness... it must be assumed that the whole world forgot about me. I’m a bit hungry, a bad Greek is waiting for me boulevard de Rochechouart... I enter the empty greasy spoon, I throw a smile at the big dirty moustache man who stands behind his windowed display shelf. It must be late, the mutton leg is nearly finished, charcoaled and shines like the tender’s forehead. – What’ll it be ? – I’ll have the Greek pita with chips for 22 quids, and a coke and a mint-tea. – What sauce ? – Onion, tomato, Harissa and some of the white one. The chap cuts off the meat with his large knife, and fill up the pita with hardly thaw chips... I stop him : – Not inside, the chips, I eat in. Yet, he goes on, after he set an orange tray on the work top to pick up the mutton and the chips that fall off while the ascension of the mount Pita. – 31 francs. I fork out, grab a pile of napkins one micron thick, I go at the bottom of the room. Bar high mirror tables, along the wall. I smile at myself and sit down, in front of the saboteur. The oil drips, and slips and sticks to the latex that covers my hands... after thirty mouthfuls in two minutes, my belly explodes. I fill in with coke until my throat burns. Descent of windpipe, my stomach is like Hiroshima. I take a sheet of paper and a pen out of my shirt. I’ve still got 7 calling cards, I’ll send 7 letters. From which one to Balkany and his mate Thingy. Sabotage. Why sabotage ? Why that ? Why deprive the crowd from the shitty pleasure of a football match, why disgust 600 million stunned tv watchers ? Because_________________________________________________________________ __________________________________________________________________________________ __________________________________________________________________________________ __________________________________________________________________________________ Tea burns my lips. It’s minty, too sweet, as I like it. Translated from French by Walter Ruhlmann

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NOTES Dans son incessante recherche de l’infiniment petit et de l’underground, Lucien Suel, chef de ligue du S.U.E.L., Station Underground d’Émerveillement Littéraire, nous fait parvenir son Texte caché, paru en octobre 1998 et illustré par Pascal Ulrich (éternel ami de notre bien aimé Bruno Tomera qui lui dédia cette Cathédrale de Strasbourg ), le troisième tome de À la recherche du Veau d’Or, avec des photos plus que du texte qui font appel à notre plus indicible imagination. Le S.U.E.L. nous annonce également que son fidèle collaborateur William Brown publie, en compagnie de David Greenslade, A Love Letter to The Venus of Willendorf, et que l’on peut également retrouver le S.U.E.L. sur le web à l’adresse suivante : www.kitusai.com. Pour tout renseignement concernant Lucien Suel et son groupe s’adresser au S.U.E.L., Lucien Suel, 102 rue de Guarbecque 62330 Isbergues, France. 14

Toujours dans un esprit d’avant-garde et d’érotisme sensible, La vendeuse de ballons rouges de notre non moins bien-aimé Erich V. von Neff, publié aux éditions Cahiers de Nuit en août 1998. Serge Féray, un Caennais pour ceux qui ne le sauraient pas encore, fait partie de ces éditeurs talentueux qui arrivent à faire de quelques centimètres carrés de papier un objet que l’on conserve dans sa bibliothèque avec plaisir. D’autant plus lorsqu’il s’agit de cet auteur-là. On retrouve dans ces pages des Pensées allongées sur le dos et d’autres Pensées en d’autres positions, un extrait de Le Pas de la porte . À savoir également que c’est Féray lui-même qui à traduit ces textes typiquement von Neffiens de l’américain et que ses notes en quatrième de couverture sont d’une justesse réfléchie. Bravo et merci à eux ! Les Cahiers de Nuit, Serge Féray, 33 rue de la Haie Vigné, 14000 Caen, France. 15

Du côté des revues, nous remarquons une fois encore RéZine, la 15

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Poème publié dans Mauvaise Graine n°6, janvier 1997.

Recueil de von Neff publié dans Mauvaise Graine n°29, décembre 1998 MAUVAISE GRAINE 31 – FÉVRIER 1999

REvue des fanZINES, qui dans toute la splendeur de son numéro 5 nous a concocté un numéro spécial Comicket , qui s’est déroulé à Paris-Bercy les 10 et 11 octobre 1998, et était le premier du genre en France à ce que j’en apprends. RéZine en profite également pour faire le tour de 90 fanzines et nous divulguer 270 adresses où il fait bon lire. Ce bulletin d’information sur le fanzinat est une véritable mine d’or dont on ne saurait plus se passer et à qui nous devons bien tous les honneurs pour leur travail poussé et leur bonne humeur, sans parler de la qualité du produit. Vraiment, RéZine mérite les félicitations de la petite presse. Bravo à vous tous ! RéZine, Xavier Lardy, 30 rue des Souterrains, 79370 Fressines, France. 16

Dans un genre plus littéraire puriste, La Cigogne 43 dans laquelle une palette d’auteurs se côtoient. Je note avec une certaine joie la publication d’un texte de Harry Wilkens que nous avions nous autres de MG publié17 16

Comic Market, c’est à dire un marché sur lequel sont vendus des bandes dessinées et autres fanzines de BD. 17 Mauvaise Graine n°25, août 1998. 17


il y a quelques mois, mais constate vite qu’il s’agit d’une aigreur de la part du rédacteur qui s’offusque que l’on puisse s’attaquer à ses petits protégés - en l’occurrence Isabelle Lebastard qui n’a de cesse que de nous abreuver avec ses Chroniques abidjanaises, certes bien écrites et intéressantes, mais à laquelle on n’a visiblement pas le droit de toucher. Il me semble qu’il s’agissait effectivement d’un peu d’humour de la part de Harry Wilkens, monsieur Godefroid... Ne vous faites pas aussi borné que van Melle (oups ! j’avais promis...) Néanmoins votre Cigogne doit voler en toute liberté et ne pas trop se laisser prendre dans les filets de la redondance et de l’accoutumance, car il serait dommage que vous épuisiez déjà le filon (Lebastard entre autres) avant qu’il ne soit réellement tari. La Cigogne, Bernard Godefroid, 53 rue Van Soust, 1070 Bruxelles, Belgique. Troisième et dernière revue pour ce mois-ci, Axolotl 15, numéro d’automne 1998, avec un peu de retard, dont s’excuse Jean Grin, le rédacteur. C’est encore un plaisir, toujours renouvelé, que de lire cette littérature à plus de 50% suisse. Plaisir de retrouver la 18

famille Burri (mère et fils), plaisir d’avoir la suite d’un roman signé de Pierrette KirchnerZufferey entamé il y a quatre numéros déjà, plaisir enfin de voir que Jacqueline Thévoz que j’avais surtout cru capable du pire m’a contredit en nous offrant dans ce numéro un poème digne des plus talentueux. Il était temps. Merci à Jean Grin et à son “ équipe ” pour leurs articles poussés et profonds et la qualité de leur revue. Merci vraiment. Axolotl, Jean Grin, Miremont 8, 1009 Pully, Suisse. Et pour en finir avec ses notes, retour à la création et à un recueil de textes courts écrit, publié et diffusé par un auteur fort rigoureux et talentueux, invité une fois aussi dans nos pages , du nom de Jan Bardeau. Les Égarés, titre non-énigmatique mais néanmoins fort envoûtant, est un recueil qui foisonne de douleur. Jan ne comprendra peut-être pas, mais j’ai l’intime conviction que ces textes perdus ont été écrits, comme le sont souvent les autres, sous l’impulsion d’une plume profondément triste, amère, inquiète et/ou dubitative. Cependant, les petites histoires que nous conte Jan vous entraînent à 18

la porte de votre immeuble ou de votre maison et vous font plonger dans la quatrième dimension, à moins qu’ils ne soient le reflet d’un quotidien qui par trop de communes mesures n’en devienne fou et affolant. C’est un recueil de qualité duquel la poésie et la révolte, mêlées à un peu de métaphysique, sont loin d’être absentes et auquel on pouvait s’attendre, et s’il s’est fait attendre, ça se justifie. Jan confirme son énorme capacité au récit après son premier recueil Cahier d’épluches dont nous vous avions fait part dans Mauvaise Graine19. Lisez ce livre ravissant qui peut, comme l’avait souligné l’auteur lui-même, paraître dur à certains égards, mais lisez-le car il en vaut bien la peine. Les Égarés : Jan Bardeau (autoédition 15FF), 2 rue Félix Vionnois, 21000 Dijon, France. Nous avons bien reçu également Libellé 85, de janvier 1999. Libellé, Michel Prades, 7, rue Jules Dumien, 75020 Paris – France. Walter

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Hypertension, texte publié dans Mauvaise Graine 18, janvier 1998. MAUVAISE GRAINE 31 – FÉVRIER 1999

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Idem.


SURF Il y a un an, souvenez-vous… L’amiral Ruhlmann avait fait ses valises (ses petits débardeurs, ses pompons et sa boîte à goûter) et nous laissait sur la grève tandis qu’il se voyait déjà, empalé à la poupe d’un destroyer, hurler “ Je suis le maître du monnnnnde ! ”. Quelques paquets d’écume dans la tronche plus tard, il reposait le pied sur le plancher de nos vaches folles et recentrait ses ambitions maritimes sur la rubrique Surf de Mauvaise Graine… Plus que la découverte du web à proprement parler, nous avons surtout cherché à découvrir de nouveaux auteurs, de nouvelles revues, et de l’écho à nos propres envies et intérêts du moment. Prétexte à lire, à découvrir d’autres modes d’expression. Ce cyber nouveau monde ressemble finalement beaucoup à l’ancien. Les sites amateurs et passionnés sont foison, mais déjà les industriels et les institutions se l’accaparent à grand bruit. En attendant le jour prochain où le web ne sera plus qu’une nouvelle pompe à fric balisée de cartes de séjour et de crédit – ce sont les mêmes – nous continuons à surfer, toujours en embuscade. Alerté ce mois-ci par l’annonce de la vente aux enchères20 des manuscrits de Jean Genet, j’ai été surpris du peu de références trouvées sur le web, bien que celles-ci soient le plus souvent très passionnées. Une fois parcourus les articles de Libération 21, du Monde diplomatique 22 et de l’Humanité 23, il ne reste au surfeur que deux adresses à visiter ; celle de la Société des Amis et Lecteurs de Genet 24, à l’origine d’un colloque Jean Genet à Tokyo en mars 1998, et celle de Solus, espèce de Mauvaise Graine virtuelle quelque peu brouillonne mais qui publie néanmoins l’intégrale de Quatre heures à Chatila 25… Bruno

“ Une photographie a deux dimensions, l'écran du téléviseur aussi, ni l'un ni l'autre ne peuvent être parcourus. D'un mur à l'autre d'une rue, arqués ou arc-boutés, les pieds poussant un mur et la tête s'appuyant à l'autre, les cadavres, noirs et gonflés, que je devais enjamber étaient tous palestiniens et libanais. Pour moi comme pour ce qui restait de la population, la circulation à Chatila et à Sabra ressembla à un jeu de saute-mouton. Un enfant mort peut quelquefois bloquer les rues, elles sont si étroites, presque minces et les morts si nombreux. Leur odeur est sans doute familière aux vieillards : elle ne m'incommodait pas. Mais que de mouches. Si je soulevais le mouchoir ou le journal arabe posé sur une tête, je les dérangeais. Rendues furieuses par mon geste, elles venaient en essaim sur le dos de ma main et essayaient de s'y nourrir. Le premier cadavre que je vis était celui d'un homme de cinquante ou soixante ans. Il aurait eu une couronne de cheveux blancs si une blessure (un coup de hache, il m'a semblé) n'avait ouvert le crâne. Une partie de la cervelle noircie était à terre, à côté de la tête. Tout le corps était couché sur une mare de sang, noir et coagulé. La ceinture n'était pas bouclée, le pantalon tenait par un seul bouton. Les pieds et les jambes du mort étaient nus, noirs, violets et mauves: peut-être avait-il été surpris la nuit ou à l'aurore ? Il se sauvait ? Il était couché dans une petite ruelle à droite immédiatement de cette entrée du camp de Chatila qui est en face de l'Ambassade du Koweit. […]

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L'amour et la mort. Ces deux termes s'associent très vite quand l'un est écrit. Il m'a fallu aller à Chatila pour percevoir l'obscénité de l'amour et l'obscénité de la mort. Les corps, dans les deux cas, n'ont plus rien à cacher : postures, contorsions, gestes, signes, silences mêmes appartiennent à un monde et à l'autre. Le corps d'un homme de trente à trente-cinq ans était couché sur le ventre. Comme si tout le corps n'était qu'une vessie en forme d'homme, il avait gonflé sous le soleil et par la chimie de décomposition jusqu'à tendre le pantalon qui risquait d'éclater aux fesses et aux cuisses. La seule partie du visage que je pus voir était violette et noire. Un peu plus haut que le genou, la cuisse repliée montrait une plaie, sous l'étoffe déchirée. ”

Après avoir eu entre les mains le Condamné à mort, premier texte que Genet écrivit à la Santé en 1942, Marc Barbezat parvient à rencontrer l’écrivain en prison. Dès 1943, un chapitre de Notre-Dame des Fleurs paraît dans L’Arbalète, sa revue avant de devenir sa maison d’édition. C’est l’incroyable collection de manuscrits/tapuscrits de Barbezat qui sera mise à la vente à Drouot le 5 mars. 21 www.liberation.fr /quotidien/semaine/990128jeuz.html www.liberation.fr/livres/25ans/genet.html 22 www.monde-diplomatique.fr /1997/12/PARISOT/9713.html 23 www.humanite.presse.fr /journal/96/96-09/96-09-13/96-09-13-018.html 24 www.twics.com/~berlol/genet98a.htm 25 www.abbc.com/solus/GENETchatila.html

La photographie ne saisit pas les mouches ni l'odeur blanche et épaisse de la mort. Elle ne dit pas non plus les sauts qu'il faut faire quand on va d'un cadavre à l'autre.

MAUVAISE GRAINE 31 – FÉVRIER 1999

Jean Genet 19


A SUIVRE…

MAUVAISE GRAINE REVUE MENSUELLE ET BILINGUE DE LITTÉRATURE TENDANCE UNDERGROUND N°31 - FÉVRIER 1999 ISSN : 1365 5418 DÉPÔT LÉGAL : À PARUTION IMPRIMERIE SPÉCIALE DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : WALTER RUHLMANN ASSISTÉ DE MMRGANE ET DE BRUNO © MAUVAISE GRAINE & LES AUTEURS, FÉVRIER 1999 ADRESSE : MAUVAISE GRAINE FRANCE E-MAIL : mauvaisegraine@multimania.com WEB : www.multimania.com/mauvaisegraine

Le mois prochain Mauvaise Graine devient terrain d’aventure. Pas moins de 7 nouvelles têtes à découvrir ! À lire : des poèmes de Stéphane Heude et de Patrice Hallot, un extrait de Ante Navitatem de Lilian Chapuis, un autre de L’homme confiné de Jérôme Game, et aussi Lucienne elle est seule de Jérôme Paul, L’infâme de Patricia Chauvin-Glonneau, et encore Paranoïa de Michèle Caussat, des poèmes de Stéphane Heude et de Patrice Hallot, un extrait de Ante Navitatem de Lilian Chapuis, un autre de L’homme confiné de Jérôme Game, et aussi Lucienne elle est seule de Jérôme Paul, L’infâme de Patricia Chauvin-Glonneau, et encore Paranoïa de Michèle Caussat, des poèmes de Stéphane Heude et de Patrice Hallot, un extrait de Ante Navitatem de Lilian Chapuis, un autre de L’homme confiné de Jérôme Game, et aussi Lucienne elle est seule de Jérôme Paul, L’infâme de Patricia Chauvin-Glonneau, et encore Paranoïa de Michèle Caussat, des poèmes de Stéphane Heude et de Patrice Hallot, un extrait de Ante Navitatem de Lilian Chapuis, un autre de L’homme confiné de Jérôme Game, et aussi Lucienne elle est seule de Jérôme Paul, L’infâme de Patricia Chauvin-Glonneau, et encore Paranoïa de Michèle Caussat, avec, en supplément gratuit, une nouvelle de Walter Ruhlmann : Impact !

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ABONNEMENT POUR UN AN (12 NUMÉROS) FRANCE : 22.50 € 150 FF ÉTRANGER : 30 € 200 FF INDIVIDUELLEMENT, LE NUMÉRO FRANCE : 2.25 € 15 FF ÉTRANGER : 3 € 20 FF RÈGLEMENT PAR CHÈQUE OU MANDAT POUR LA FRANCE PAR MANDAT INTERNATIONAL POUR L’ÉTRANGER

MAUVAISE GRAINE 31 – FÉVRIER 1999


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