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y a du théâtre. » À cette époque, je faisais beaucoup de lectures publiques de poésie et j’étais assez loin du théâtre, et même si je n’étais pas performer ou poète sonore, j’avais du mal à confier mes livres à des acteurs. En découvrant le premier travail de Ludovic Lagarde sur Beckett, j’ai pensé qu’il y avait une piste possible, que la scène pouvait être un endroit où se réconciliaient le livre, la voix et le corps. Lagarde, par la suite, m’a commandé un texte, j’ai écrit Sœurs et frères, ma seule pièce dialoguée. Parallèlement j’avais écrit le livret de Roméo & Juliette, le premier opéra de Pascal Dusapin. Le théâtre m’a fait travailler au présent, mais ces deux expériences m’ont fait comprendre que je n’étais pas doué pour la scène, que je ne savais pas la rêver. C’est pourquoi dans les projets suivants, qui s’inaugurent par Le Colonel des Zouaves, monologue interprété par l’extraordinaire Laurent Poitrenaux, j’ai changé de méthode et livré au metteur en scène des romans à adapter. Cela a modifié notre travail : de leur côté, ils ont dû trouver des dispositifs scéniques et sonores étonnants pour faire passer ce texte littéraire sur la scène ; et de mon côté, même si le texte ne ressemblait pas à une pièce de théâtre, il était dédié à l’oral. À partir de cette première expérience, les livres sont écrits au présent, ce sont en fait des didascalies... vivantes. Cela a permis aussi au metteur en scène et à son équipe de déconstruire et rebâtir le texte à leur guise. Finalement cette décision nous a rendus très libres ; chacun partant dans sa direction intensément. Vous dites « Le théâtre m’a fait travailler au présent ». Et la littérature ? Et la poésie ? Finalement, après mon premier livre de poésie, j’ai fait des objets romanesques qui eux-mêmes contiennent une part de poésie, mais qui peuvent s’adapter au théâtre et dont des extraits peuvent faire la base des chansons composées par Rodolphe Burger. Je ne suis ni dramaturge ni parolier pour autant. Écrire au présent pose peut-être quelques problèmes au lecteur, il ne retrouve pas toujours cette fonction si apaisante du passé simple. Pour Providence, pour la première fois il y a un peu d’imparfait. Et c’est pas mal... Qu’est-ce que ça change ? Ça change tout. Ça crée un délai, un peu d’espace où le lecteur peut se nicher. Il n’est pas embarqué avec moi. J’ai réalisé cela en revoyant Un Mage en été, notre dernière pièce, ce présent intégral m’a tout d’un coup serré le cœur. Je me suis dit qu’il fallait que je calme les personnages. D’abord, en en prenant quatre au lieu d’un. J’ai aussi un peu changé la forme. Peut-être que sans le savoir, j’ai fait jusqu’ici des romans avec une structure poétique, utilisant le blanc pour faire des coupes, avec des phrases qui viennent séparer des choses. Pour Providence, je voulais voir ce que ça pouvait donner avec une notation plus musicale, moins graphique,

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et j’ai remplacé le blanc par des points-virgules et des tirets. Le blanc est angoissant, il crée un soupçon de profondeur. C’est pour ça que je n’aime pas la poésie, à cause de ce soupçon et de la présence vraiment exténuante des poètes. Enfin, bien sûr que j’aime la poésie, le bord de la poésie, les expériences bizarres : Jack Spicer, Robert Creeley, Le Tombeau d’Anatole de Mallarmé. Ce texte qui se compose de notes, de préparatifs à un poème sur la mort de son fils est le plus émouvant du XIXe siècle. D’ailleurs, ce n’est pas tellement fait pour être lu, c’est fait pour être juste regardé. J’ai un rapport amour/ haine à la poésie, je passe mon temps à la faire disparaître et la trimballer. C’est un plat qui se mange froid, je n’arrête pas de la réchauffer, la reprendre ; je ne la quitte jamais. D’une certaine manière, elle est tout le temps là, en anamorphose. Qu’est-ce que ça veut dire un poème qu’on ne voit pas ? C’est possible ça ? Certains textes seraient faits pour « ne pas être lus » ? Parfois, c’est bien d’ouvrir un ou plusieurs livres en même temps et d’attraper juste une tournure, une sensation. Idéalement, on pourrait avoir des livres chez soi, les consulter, les mettre en rapport, ne pas les finir et les garder pour toujours sous la main. En même temps, je peux aussi dire l’inverse : c’est génial de dévorer un polar et le laisser dans la villa de location... Mais on peut aussi les ouvrir rapidement, en prendre connaissance, les feuilleter, les lire dans tous les sens. Voir si avec on voit mieux, s’approprier la méthode, la manière plutôt que le contenu. Après avoir lu le début de La Cloche de détresse de Sylvia Plath : « C’était un été étrange et étouffant. L’été où ils ont électrocuté les Rosenberg », on peut refermer le livre tellement ces phrases contiennent toute la mélancolie à venir. Mais lisez-le quand même ! Quels sont vos livres de chevet ? Je relis une quarantaine de livres auxquels je reviens toujours, et heureusement s’en ajoutent d’autres. Je les emmène avec moi, comme des talismans. Je suis un lecteur un peu particulier qui ne peut pas vraiment lire : si un livre me plaît, me surexcite, si un paragraphe me bouleverse, j’ai envie de le recopier, de le prolonger à ma manière et je passe mon temps à interrompre la lecture par l’écriture. J’en ai besoin aussi quand je suis à court d’idées ou de courage. Découvrir dans un livre une similarité avec vos pensées est émouvant, il ne s’agit pas de fierté, mais d’amitié, c’est réaliser que le chemin emprunté n’est pas complètement faux. Les livres, comme les amis, servent à vous rendre moins fou, moins seul.


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