Les textes primés du concours d'écriture de Médecins du Monde

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concours d’écriture DU fESTIVAL DES GROS MAUX 2023

les textes primés


Catégorie grand prix du jury


JOURS NOIRS, NUITS BLANCHES Ce texte est issu d’un atelier d’écriture réalisé dans le cadre du programme “Mineurs non accompagnés” de la délégation de Médecins du Monde à Nantes. Il retranscrit fidèlement la parole des jeunes participants. Je suis Camel, je suis Yves, je suis Aboubacar, je suis Moussa, je suis Almamy, je suis Bernard, je suis Samy. Nous sommes des Mineurs non accompagnés, nous sommes venus seuls depuis l’Afrique jusqu’à Nantes, écoutez nos voix, entendez nos rêves. Je n’ai pas de bons souvenirs. En Afrique, tu n’as pas le droit de rêver, en Afrique, tu n’as même pas pensé que tu allais devenir quelqu’un et je n’ai donc jamais eu de rêves. Enfin oui : j’avais rêvé de devenir footballeur, je vivais avec mon père et il m’achetait toujours le ballon, le maillot...mais il me disait que je devais étudier. A l’école du village, j’apprends l’alphabet français et à compter. Quand j’ai des problèmes dans la tête ça ne rentre pas, mais les difficultés : on est nés dedans ! A l’école j’ai appris que les chèvres sont herbivores, mais j’ai vu : les chèvres mangent du carton parce qu’elles n’ont rien d’autre. Je me souviens de partir à la chasse aux oiseaux avec mon frère. On met des pièges. Ça me fait sourire d’y penser. On mange les oiseaux. Je me souviens au Marigot là, on nageait avec les amis. Ça me fait du bien d’y penser mais…

Grand prix du jury

Jours noirs, nuits blanches

1/10


La famille n’allait pas financièrement. Ma maman est morte et il me manquait 650 francs CFA pour aller la voir…650 francs CFA c’est comme un euro ici ! Mon père a trouvé une nouvelle femme au village. Elle n’a pas eu d’enfants avec lui, mais elle dit des choses mauvaises sur moi à mon père. Mon père me frappe, elle me frappe. Interdit de sortir de la maison, tu comprends ! Mon homonyme il a proposé à mon père de me garder, j’avais 7 ans. La présence de ma famille gênait sa femme. Quand mon homonyme est mort elle m’a chassé. J’avais 13 ans. J’ai quitté la maison. J’ai dormi trois semaines à la rue. J’ai ramassé des plastiques à la déchetterie pour les vendre et un pied a été blessé. J’ai rencontré un grand et j’ai rêvé, c’est là que mon rêve a commencé. Le Grand Amara, qui est pêcheur, m’a recueilli. Je ne veux pas retourner au village. Je lui ai dit « Grand, si mon destin c’est de quitter, ou même mourir au dehors du pays, c’est Dieu qui veut ça ». On est partis ensemble. Je suis parti pace que je n’avais personne sur qui compter. En Afrique, on dit que ce sont les faibles qui pleurent… Quand on quitte le pays, on ne sait pas d’où on part et on avance sans savoir où aller. Mon voyage n’a pas été difficile, je suis venu en avion. Je venais pour retrouver ma tante mais elle m’a mis à la porte. Après j’ai dormi à la rue.

Grand prix du jury

Jours noirs, nuits blanches

2/10


Tu as eu de la chance de venir en avion, que Dieu continue à multiplier ta chance. Nous, on a fait le désert : - Je ne connais pas la différence entre l’enfer et le désert. - Au désert, on boit l’eau avec les chameaux. Les chameaux passent d’abord. - Mon grand frère est parti depuis 14 ans. Nous n’avons plus de nouvelles. Peut-être qu’il est mort au désert. Peut-être que je vais mourir dehors aussi, comme lui. Je me suis fait cracher dessus par les enfants. Je veux comprendre pourquoi ? Alors j’ai craché aussi pour montrer ce que ça fait. Ça fait une blessure dans le cœur ! « Vous êtes sur notre territoire, vous devez travailler pour nous » ! On vit dehors comme des esclaves. Il y a des brigands. Pour que j’ai à manger, ils me disent : Tu dois effectuer cette tâche. Une tâche très lourde. Quand je l’ai fait, ils ne me donnent pas à manger. J’ai eu faim, j’ai eu soif. Jours Noirs (à plusieurs voix) Je dors avec les chaussures. Il faut s’empêcher de dormir, parce qu'il faut être prêt à courir ! Quand la nuit tombe, c’est compliqué. Si je dors devant une boutique, on me prend pour un bandit qui veut voler. Une nuit dure 30 minutes. Des rêves, des cauchemars, je suis somnambule.

Grand prix du jury

Jours noirs, nuits blanches

3/10


Nuits Blanches (à plusieurs voix) Sur la route les frères se séparent. Parfois ils décident. Parfois c’est comme ça. La route, c’est sauve qui peut ! Au Maroc, je ne veux pas faire la traversée parce que c’est la mort. J’ai peur, on attend beaucoup de temps. On travaille de 8h à 20h sans repos. Je ne vais pas oublier, il fallait descendre la falaise pour aller jusqu’à la mer. Le plus dur pour moi, c’était de traverser l’eau. On ne maitrise rien, c’est dieu qui nous guide. Les morts, on les jette à l’eau. 1 nuit, 2 nuits, 3 nuits sur l’eau ; ça n’a pas de fin … 3, 4 jours sur l’eau, on ne mange pas. Je me suis fait cracher dessus par les enfants. Je veux comprendre pourquoi ? Alors j’ai craché aussi pour montrer ce que ça fait. Ça fait une blessure dans le cœur ! «Vous êtes sur notre territoire, vous devez travailler pour nous» ! On vit dehors comme des esclaves. Il y a des brigands. Pour que j’ai à manger, ils me disent : Tu dois effectuer cette tâche. Une tâche très lourde. Quand je l’ai fait, ils ne me donnent pas à manger. J’ai eu faim, j’ai eu soif.

Grand prix du jury

Jours noirs, nuits blanches

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Jours Noirs (à plusieurs voix) Je dors avec les chaussures. Il faut s’empêcher de dormir, parce qu'il faut être prêt à courir ! Quand la nuit tombe, c’est compliqué. Si je dors devant une boutique, on me prend pour un bandit qui veut voler. Une nuit dure 30 minutes. Des rêves, des cauchemars, je suis somnambule. Nuits Blanches (à plusieurs voix) Sur la route les frères se séparent. Parfois ils décident. Parfois c’est comme ça. La route, c’est sauve qui peut ! Au Maroc, je ne veux pas faire la traversée parce que c’est la mort. J’ai peur, on attend beaucoup de temps. On travaille de 8h à 20h sans repos. Je ne vais pas oublier, il fallait descendre la falaise pour aller jusqu’à la mer. Le plus dur pour moi, c’était de traverser l’eau. On ne maitrise rien, c’est dieu qui nous guide. Les morts, on les jette à l’eau. 1 nuit, 2 nuits, 3 nuits sur l’eau ; ça n’a pas de fin … 3, 4 jours sur l’eau, on ne mange pas. L’eau n’a pas de bras pour te prendre ! En parlant de la traversée de l’eau les jeunes disent “ c’est magique ! c’est un miracle, c’est Dieu …". Sous-entendu, si tu t’en sors vivant !

Grand prix du jury

Jours noirs, nuits blanches

5/10


On a quitté… retourner au pays, on aurait l’impression d’accepter de vivre dans le malheur. Tu sais ce que tu as laissé derrière toi, tu acceptes. Si on est partis, c’est qu’on s’est dit que c’était mieux, parce que sur le chemin on est maltraités par des gens qu’on ne connait pas. On a l’impression que Dieu nous a oubliés. Je ne crois pas à l’amitié. Qui est censé aimer le Prochain ? Est-ce que la confiance peut exister ? Est-ce que l’amitié peut exister ? … Je suis passé par l’Italie. Je me suis dit, peut-être que de l’autre côté, ici, ce n’est pas pareil. Mais c’est pareil. Comment on se comporte avec son prochain, ce n’est pas mieux. Nous sommes arrivés en France, pays des droits de l’Homme. Ma non-reconnaissance de minorité m’a fait « perte de connaissance » Nous dormons dans vos rues. Le froid et la pluie nous font souffrir la nuit. Nous ne dormons que 3 ou 4 heures. Le matin notre corps ne bouge même plus tellement nous avons froid. Nous avons l’impression d’être considérés comme une menace, nous ne voulons pas faire peur aux gens. Dans le tram, j’ai laissé ma place à une dame un peu âgée. Elle a dit « je n’ai pas besoin ». Après, un monsieur s’est levé et elle s’est assise à sa place.

Grand prix du jury

Jours noirs, nuits blanches

6/10


Nous, mineurs, on est des agneaux au milieu des loups. J’ai peur que quelqu’un arrive sur moi avec un gros bâton, une bouteille, pendant que je dors, et me fracasse la tête. Je ne dors pas. Nuits Blanches (à plusieurs voix) Nous sommes 300 dans le squat et quand on entre dans le gymnase, dès l’entrée principale, ça sent l’urine. Tu ne peux pas te laver, tu ne peux pas faire tes besoins, tu es privé de ta dignité. Pendant la nuit, on sent toutes les odeurs des toilettes. Par terre, dans les toilettes, il y a de l’eau partout, avec les besoins de tout le monde. En rentrant dans le gymnase, on ramène tout ça avec nos chaussures. Nous buvons l’eau des toilettes, celle qui sort des robinets vient de tuyaux complètement rouillés. Des gens tombent chaque jour. C’est un lieu où même les animaux ne veulent pas rester. Je n’ai pas la force de parler. Je sais que mes parents sont au Pays. Je ne veux pas leur raconter. Si tu me dis que mon frère est vivant, ça ne me fait pas de joie. Je ne sais pas quoi dire. On ne mange pas ce qu’on veut, on mange ce qu’on nous donne. Ça te plait, ça ne te plait pas : tu manges. Tu perds là, même ta dignité. Parfois, tu passes devant des kebabs, tu sens l’odeur, ça te donne envie, mais tu ne peux pas, parce que tu n’as pas un seul sou sur toi.

Grand prix du jury

Jours noirs, nuits blanches

7/10


Le manioc me manque. L’école publique ne veut pas de moi. Tant que je n’ai pas obtenu un métier grâce à des études, c’est comme si j’étais encore au pays. Je pleure sous la pluie, cela ne se voit pas. La vie c’est un combat ! Si je pensais que c’était comme cela, je ne serais pas venu ! Jours Noirs (à plusieurs voix) Est-ce que je vais rester fâché ? Je souris tout le temps. Mon sourire c’est des larmes. Mais au bout d’une vie comme la mienne, il n’y a plus de larmes. Personne ne me comprend. Je n’ai confiance en personne. L’amitié ça n’existe pas. Si tu es déçu par plusieurs personnes, tu n’y crois plus. Je ne veux pas me mettre à y croire. L’amour du Prochain, ce serait un bon début. La musique me console, le sport me console, le Bon Dieu me console. …

Grand prix du jury

Jours noirs, nuits blanches

8/10


Le rêve ce n’est pas pour tout le monde. Je ne crois pas que je fais partie des gens qui ont le droit de rêver. Les rêves : on ne les partage pas ! ça porte malchance. Je veux devenir un grand électricien. Je veux devenir coach sportif pour me défendre, les muscles me protègent. Interdit de rêver ! (à plusieurs voix) Il y a eu des nouvelles, ma mère est fatiguée, mon rêve c’est de continuer l’école, d’avoir un métier. Je vais l’aider. Nous voulons être électriciennes, cuisiniers, mécaniciennes, conducteurs de bus ou de tram, carreleurs, architectes. Nous demandons un accès à l’éducation, ce serait bon pour la santé, pour le courage, pour le moral pour travailler. On veut avoir un diplôme. Interdit de rêver ! (à plusieurs voix) Dormir dehors ici c’est l’enfer. Nous demandons à avoir accès à un toit. Nous demandons de la sécurité, un endroit où nous n’avons pas peur. Un endroit pour nous reposer, pour respirer. Je rêve qu’ils reconnaissent ma minorité.

Grand prix du jury

Jours noirs, nuits blanches

9/10


Interdit de rêver ! (à plusieurs voix) - Ce soir je rêve de retrouver les autres pour jouer au foot. - Ce soir je rêve de manger. - Ce soir je rêve de manger un grand repas. - Ce soir je rêve de me coucher en bonne santé. - Ce soir je rêve de dormir. - Ce soir je vis l’instant présent. Aujourd’hui je fais de l’électricité. Chez mes parents il n’y avait pas l’électricité. Comme enfant, je me demandais comment ça marchait. Dans ma tête, c’était pour les gens heureux, les riches. Certaines maisons du village avaient l’électricité. Chez moi je ne pouvais pas faire mes devoirs. Aujourd’hui je sais comment ça marche. C’est un peu magique.

Grand prix du jury

Jours noirs, nuits blanches

10/10


Catégorie chanson


1er prix

À TOI MON AMOUR de Mila Pages

Mon amour, il faut que je te dise quelques mots Tu ne comprends pas pourquoi je suis partie Alors laisse-moi t’expliquer d’où viennent mes maux Et les raisons qui m’ont fait fuir d’ici Depuis quelques temps mon corps change Il semblerait que quelque chose se prépare en moi Il a fallu que nos sangs se mélangent Mais seulement moi, je n’ai pas pu faire de choix Là-bas, le corps des femmes n’est qu’un objet On le possède, on en dispose Il est utile pour plein de choses Mais personne ne nous apprend à l’aimer J’ai voulu demander de l’aide Mais on m’a défendu d’en parler Et quand bien même quelqu’un voulait bien m’écouter On me disait alors que j’étais folle d’essayer Que pour ces choses-là, il n’y avait pas de remède ; Pourquoi ont-ils peur de ce mot ? Avorter. Ce n’est pas enlever la vie, C’est au contraire, donner la chance d’en disposer Pour eux, ce sont nous les barbares, Nous, les femmes désespérées Qui tentons par tous les moyens de nous émanciper De ces lois étouffantes, immenses remparts ; Avoir le choix de pouvoir donner la vie ou non C’est protéger l’enfant que nous abritons Et par la même occasion Pouvoir Vivre Et partir Chanson

A toi mon amour

1/2


Partir, c’est réaliser qu’on existe Laisser derrière soi quelque chose Un passé, une histoire Quelques mots qu’on dépose Des remords, des espoirs Et des promesses d’avenir L’avenir, il est devant moi Je marche la tête haute, Vers un pays qui peut m’offrir ses soins Pays de l’amour, pays de toujours Paris me rappelle des rêves lointains J’ai entendu dire qu’ici on se battait pour ses droits Que les femmes pouvaient êtres libres de leurs choix On m’a promis un monde de merveille Une vie splendide, merci Madame Veil Mais mon amour ne t’inquiète pas Je compte bien ramener ça là-bas Cette liberté que je chéris Il faut que toutes mes sœurs le puissent aussi Si j’arrive à traverser cette mer Si j’arrive à marcher le long des plaines Si j’arrive à toucher des yeux la ville lumière J’arriverais alors à devenir, de mon corps, la souveraine Et alors je te promets de récolter chaque graine d’espoir, Chaque lueur, chaque brin qui se trouve sur mon chemin Pour le ramener chez nous, dans ces lointains territoires, Et d’y fonder un empire rempli de lendemains Mon amour, tu sais, j’aimais nos soirées d’été, Nos poèmes, nos ballades en bord de mer, Le problème ne vient pas de ton coté Mais de celui d’un système qui ne veut de moi qu’en tant que mère. Chanson

A toi mon amour

2/2


2ème prix

RAP

de Victor Poujade Je vous présente le thème : « On va parler d’injustices, Je représente cette jeunesse triste, J’entends des cœurs remplis de peine. Je vois tout ce qui nous freine ; Sur cette planète génitrice Les larmes me viennent, Les genoux plissent, quand j’ai la haine. J’allume l’écran, mauvaises nouvelles, A la une, toujours la même chose, L’info sombre, les mêmes doses, Que j’énumère dans ma prose, Faudrait qu’on se renouvelle Changeons ces règles fausses, Je vois de loin, se creuser la fosse, Sur la Terre mère, et c’est atroce. Où est ce qu’on va, je sais pas trop, Je me plains, car c’est hardcore Qu’ils parlent de chiffres, de finances, Qu’ils en oublient les petits migrants Qui survivent sur un bateau Pendant que sur leurs paquebots Certains s’en mettent plein la panse, Quand d’autres aimeraient juste voir la France.

Chanson

Rap

1/5


J’ai honte, car, je dois reprendre mon souffle une bouffée d’air, un vent nouveau une prière pour ces gens qui souffrent. J’ai l’impression, Que notre humanité s’essouffle Pour ça que l’instru est sombre Et que mes poumons sentent le souffre. Je calme le rythme Moi j’aimerai juste que l’on m’explique Pourquoi j’ai l’impression d’entendre Que des mensonges dans leur lexique Les gens de ma génération Sont tous devenus narcissiques, C’est beau de donner de l’argent Mais c’est sans cœur quand tu l’exhibes. Ils ont sexualisé la femme Donc les pervers s’excitent Ils pourront plus éteindre la flamme L’incendie fait que l’on s’exile. Je parle de drames, De jeunes qui prennent la voie « exit », Qui peinent à se faire entendre, Se demandent si leurs voix existent. Il y a plus d’argent, d’investis, Dans les guerres, que pour les petits, Les petits qui souffrent de la famine, Famines, car nos guerres ont détruit Leurs territoires, leurs trains de vie C’est dérisoire, ce qu’on a promis, Pas d’illusions, tout ce qu’on a pris, Grâce à l’histoire, on l’a appris.

Chanson

Rap

2/5


Grâce à Dieu, lequel je prie, De supprimer, ces maladies, Car les plus pauvres en paient le prix, Et c’est les riches qui prirent la paix... Je crois que le monde en a marre, plus personne ne sait quel est notre objectif, Devant les autres, c’est vrai je me marre, mais le sourire :rare, devant l’objectif, L’avenir fait peur, j’en fait des cauchemars, jeune, mais je vois ce que le futur implique Ils aiment trop le fric, et ça dès le départ, donc bientôt je me barre, faire un tour en Afrique. J’ai la pression, Nos problèmes se superposent, Et nos géants, ont le culot, De nous remettre toutes leurs fautes, J’ai l’impression Que plus personne n’ose, Taper du poing, crier tout haut Comme si ce monde était tout rose Mesdames, messieurs Il faudrait boycotter les fraudes, La guerre n’est pas une solution, Car les solutions sont vôtres, Donc la mission, c’est d’être capable d’aider les autres, Jouer sur la même partition Que tout nos instruments s’accordent. Que l’on saborde, les admissions, Qu’on adopte d’autres visions Que l’on s’aborde, nous unissions, Tout les projets que l’on apporte.

Chanson

Rap

3/5


J’aimerai ouvrir la porte, Et verrouiller vos phones-tel, Voir des filles sans fond de teint, L’amour ne se trouve pas à l’hôtel, On dirait que je suis hautain, J’écris juste quelques notes, J’espère se voir ôter le satin, Le voile que nos yeux portent. Pour percevoir ce que je décris, Intéresses-toi, et décrypte, Relis l’histoire, relis les crimes, Et regarde ce qu’on a omis. J’ai tellement peur que l’on oublie, Les Mandela, les Malcolm X, Les Jeanne d’Arc, les Charlemagne, Gandhi, Bouddha, et Luther King, Et, même-moi, je suis hypocrite, J’écris sûr mon nouvel ordi, Iphone 12 en charge rapide, Et la dernière enceinte Sony, Mais bon, Je ne fais pas parti de ceux qui nient, Avoir plus de chance que les autres, Qu’on m’a donné une seconde vie. Et c’est pour ça que, Je me suis permis d’écrire ce texte, Je ne me prends pas pour le bon Dieu J’écris ce que je vois, ce que je déteste, Et oui j’ai peur, Pour les futures populations, Ils annoncent la montée des eaux, Il y aura des vagues de migrations,

Chanson

Rap

4/5


Sans compter l’apparition, De maladies, des pollutions, Faudrait trouver des solutions, Prendre de nouvelles résolutions, Éteindre la télévision, Ne plus tourner en dérision, Le fait de prendre des décisions, Ou viendra la désolation ».

Chanson

Rap

5/5


3ème prix

LA LUMIÈRE EST ALLUMÉE de Abigail Ainouz

La lumière reste allumée dans la rue des camés. On lève la main, on prend la thune. Des ombres collent au pavé, comme un drapeau sur la lune. Un Zippo ou la vie ? Le corps se terre, l'esprit crie OUI ! A rendre sourd. Des cratères plein la peau, de maux semés la nuit, éclatant en plein jour. Encore une nuit sans rêve, à cracher du feu, à claquer des étoiles, A cacher ses bleus ou à errer torse poil. La lumière reste allumée dans la rue des camés. Y'a toujours une pipe qui éclaire, faut pas s’en faire. Un briquet, une allumette, pour trinquer, Aux heures perdues, aux poches trouées, A ces choses sublimes qu’on a données, reçues, aimées. La fille paumée du deuxième, Elle lève son verre à la fin de semaine, Le vide d'un trait comme on tombe d'un étage. Sa platine s’est détraquée, ses vinyles patinent, La môme, elle ne les entend même plus chanter. Ça glousse trop fort dans le parc d'à côté. Sur du papier alu. Ça fume, ça tousse. Ça détaille des rails qui partent en fumée. Pas d’air, sur cet îlot mort, mais que c'est gris, mais que c'est moche! C’est ce qu’elle se dit ! Et cette dose, Viens calmer ce trop, ce pas assez. Dans la rue des camés, la lumière reste toujours allumée. Le lampadaire éclaire ceux et celles qu’on veut oublier. La nuit est revenue, et on s’en tape. On ne veut plus les voir. On s'en cogne. La crasse, ça chasse les passants, Chanson

La lumière est allumée

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La frousse, ça fait peur aux vivants. Le désespoir émeut sur écran mais en vrai pas des tonnes. On se ment. La lumière est allumée, derrière ses volets. Et elle n'a pas décroché de sa putain d'idée Le voisin bruyant n'entend pas, La fille en blanc fatiguée Lui devant son écran n'a pas idée que cette lumière oubliée, va bientôt cramer. Il a applaudi pourtant, A sa fenêtre. A des kilomètres. Quand il était encore temps. Et ça mord, et ça gratte ! Faut qu'elle sorte, Rendez-vous à la porte d’Eole, respirer une brise molle. Sur son téléphone, ça sonne, elle ne répond pas. Qu'on se taise alors ! C'est son corps. Seule sur le pont, seule sans un rond, Qu’on la brise, qu’on la casse, Elle en est lasse. Laissez passer ! All access ! Qu'elle se blesse.. Que la vierge la coince avec tous ses alliés, ses culs bénis ! Elle en rit ! Rien n'fait plus d'effet : pastilles, bonbons, cachetons… sa sève fond. La fille atterrit dans son lit. Claquée, usée, bancale. Un peu sale. Une équilibriste à la petite journée, dormant debout, vivant à bout. Triste matin. L’espoir lui sourit enfin. Un rayon de soleil, un dernier rail, se dit-elle. En fond sonore, Madame Rêve, glissant doucement dans le décor. Chanson

La lumière est allumée

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Catégorie poème


1er prix

MARIAM OU LE RÊVE INTERDIT de Dominique Beutis

MARIAM Tu rêvais de matins clairs Qui te parleraient d’infini Et d’immortalité. Tu rêvais de printemps au Pays Imaginaire Où tu cultiverais la rose et la mangue. Tu rêvais d’une vie meilleure Où, libres, voleraient l’hirondelle, Et le cerf-volant Tu rêvais de te tenir debout Et d’oser « quand même » Tu rêvais d’accorder ton souffle A celui de ton amour Tu rêvais d’enfants Tu rêvais d’exister Malgré la haine, La souffrance Et la guerre Tu rêvais de passion, de fraternité, de racines, De justice Et de liberté Tu rêvais d’éternité

Poème

Mariam ou le rêve interdit

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MARIAM Tu sais maintenant Que la tragédie est au bout du chemin Pourtant tu veux encore y croire Malgré ce canot qui se dégonfle peu à peu Malgré cette eau glauque et sinistre Qui ne cesse de monter Malgré l’inutilité de vos efforts désespérés. Tu sais maintenant Que les secours espérés Ne viendront pas Ton amour ne t’attendra pas sur les côtes d’Angleterre Cette mer glacée faite de ténèbres Sera ton cercueil. Tu sais maintenant Que bientôt tu seras engloutie, Tu suffoqueras, paniquée, Cherchant désespérément Ton souffle Bientôt ce sera la fin Et tu as peur, si peur… MARIAM Ce que tu ne sais pas C’est ma douleur, face à ton rêve brisé, A ta vie piétinée. Poème

Mariam ou le rêve interdit

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Ce que tu ne sais pas C’est ma honte, face à la cruauté, L’injustice Qui t’ont accablée. Ce que tu ne sais pas C’est ma révolte face à l’indifférence Au rejet Qui t’ont broyée. Ce que tu ne sais pas C’est mon remords De n’avoir pu te sauver. Ce que tu ne sais pas C’est que me hantent Ton dernier souffle Ta dernière pensée Ton ultime regard Et j’ai mal, si mal…. MARIAM Ce que tu dois savoir C’est que tu as gagné l’éternité dont tu rêvais A force de courage, De rêve, Et d’amour. Ce que tu dois savoir C’est que tu retourneras auprès des tiens Poème

Mariam ou le rêve interdit

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Cette mer d’encre ne sera pas ton linceul. Ce que tu dois savoir C’est que ton abnégation, ta force de vie Seront source d’inspiration et de courage D’autres refuseront L’asservissement Le mépris Et oseront. Ce que tu dois savoir C’est que des hommes de bonne volonté Se battront toujours Pour que triomphe le respect Le droit à la dignité. Ce que tu dois savoir, C’est que tu vivras Tant que nous nous souviendrons de toi Mariam......

Poème

Mariam ou le rêve interdit

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2ème prix

III.

de Lise Adib C’est comme les sorciers Ils vivent au milieu de nous Mais on ne les voit pas On les devine Aux antennes paraboles qui sortent Des parapets autoroutiers Sous la bretelle A côté de la quatre voies Fleurs grises et vaillantes Au dessus des caravanes branlantes Ils respirent un pollen particulier De particules fines Sous une cape de poison Et d’invisibilité

Poème

III.

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3ème prix

LES SANS RETOURS de Stéphane Joli

Au safari des clandestins Nous détalons vers l’inconnu Avec nos blessures et nos riens On ira loin... On ira loin en se serrant Les coudes, les deux poings et les dents Sans se leurrer, sans se charger On ira loin... Pour un semblant de liberté Sans conditions je passerai, Dans les ultimes sommations J’avancerai… On verra bien s’ils nous repèrent Dans le flux constant des misères Par le sentier des sans retour On ira loin… Et quand ils lâcheront leurs chiens La luna llena sera blême Le souffle court, la mort au loin Mal incertain… Pour un semblant de liberté

Poème

Les sans retours

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Sans conditions je passerai, Dans les ultimes sommations J’avancerai… On pourra voir si l’on nous traîne, Dans le désert au loin qui saigne, Derrière les barbelés sans fin Brûler nos mains Vers les ténèbres et dans le doute Où la faucheuse est sur nos routes On taquinera le destin Jusqu’à nos fins...

Poème

Les sans retours

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Catégorie nouvelle


1er prix

EXIL À ORBEC de Thomas Solonce

Chasuble bleue sur le dos, casquette vissée sur le crâne et lunettes de soleil connectées, Celian fixe l’horizon avec flegme et porte une glace en cornet à la bouche. Alors qu’il poursuit sa contemplation, ses lèvres empourprées pincent délicieusement la crème à la fraise. Si elle satisfait ses papilles, la fraîche sucrerie ne suffit pas à tempérer l’écrasante chaleur ambiante. Au sommet du pont qui surplombe l’autoroute A28, Celian observe la circulation en contrebas : sur la deux-voies qui lui fait face en direction du nord, deux populations avancent sur leurs propres pistes séparées par des plots de sécurité, les voitures côté rapide, une lente et chaotique file de piétons de l’autre. Il plisse des yeux vers la masse sans fin : des familles fatiguées qui tirent des valises et poussent des landaus, des groupes de toutes les couleurs et de tout âge qui tirent la langue. « Vous les voyez, monsieur le Maire ? interroge Celian en ajustant ses lunettes équipées en coin d’une mini-caméra. — Oui, répond une voix dans son oreillette. Je les observe aussi via le drone de la préfecture. Etes-vous certain qu’ils sortiront ici ? — Oui, monsieur. Ils arrivent. Je vous rejoins. » Des gouttes de sueur perlent le long de son visage, l’homme à la moustache ajoute avant de raccrocher : « Préparez-moi une autre glace. » Les jambes d’Aure peinent à la porter mais, en tête du cortège, ses pas doivent montrer la voie. Les rayons du soleil s’abattent sans pitié sur le bitume de l’autoroute qui, indifférente, renvoie la chaleur vers les marcheurs. A cet enfer s’ajoutent les vibrations d’insectes des drones médiatiques et policiers, ainsi que les klaxons des véhicules.

Nouvelle

Exil à Orbec

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Elle ignore s’il s’agit d’un signe de plainte ou d’encouragement et s’en moque car, à la vue du panneau de sortie n°15 ‘Orbec Broglie’, elle se retourne. Des centaines de regards usés la fixent, le cœur d’Aure s’emballe. « Nous sortons ici ! Courage, on y est presque ! ». Elle s’engage sur la voie de sortie et serre le vase encore plus fort entre ses bras. Un lourd sac sur le dos surmonté d’un parapluie, Bourey claudique. Depuis plusieurs kilomètres, contraint de s’arrêter régulièrement pour atténuer la douleur au pied droit, il a reculé jusqu’en milieu de colonne et dû se séparer d’Aure avec qui il aimait échanger. Enfin, c’était surtout un monologue bavard du vieil homme. Bourey ouvre la bouche vers le ciel et laisse sans espoir la dernière goutte d’eau de la gourde tomber sur sa langue : bientôt, il n’aura plus assez de salive pour pester et se plaindre. Soudain, une rumeur se répand dans la foule alentour. « Qu’est-ce qu’il y a ? On sort, ça y’est ? Merveilles ! Je ne veux pas crever dans ce pays de merde. Tu veux toi, petit ? Non hein ! Tu veux revenir dans ta région. Tu viens d’où toi ? Moi je viens de Provence, un bijou de paysage, je te dis. Quand tout sera revenu à la normale, je t’inviterai chez moi, tu verras. Est-ce que tu as entendu parlé de la Sainte-Baume ? Approche et aide-moi à marcher que je te raconte… » Epaulé d’un jeune garçon, Bourey suit le cortège à la sortie d’un rond-point. Un panneau indique Orbec à trois kilomètres. A l’entrée du village, Aure remarque que les résidents quittent leur habitation et épie la procession avec inquiétude. Certains arborent un drapeau régionaliste, d’autres sifflent ou grimacent. L’ex-toulousaine salue les orbequois avec un sourire. En parallèle, elle allume son pad qu’elle n’a pas allumé depuis plusieurs heures, ainsi qu’un petit haut-parleur. Et appuie sur le bouton : une voix s’élève et domine la rue, celle du président de la République française dans un récent discours.

Nouvelle

Exil à Orbec

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« Françaises, français, Depuis près de deux mois, l’Europe subit une effroyable canicule et une interminable sècheresse. L’eau manque cruellement dans le sud du pays jusqu’au cruel point atteint il y a quelques jours : les nappes phréatiques sont vides et ni l’approvisionnement en bouteille, ni la désalinisation de l’eau de mer, ni les mesures de restriction n’y suffisent. En danger de mort, des centaines de familles ont commencé à remonter le pays en direction du nord, bientôt rejoints par des milliers, des dizaines de milliers. Nous vivons l’exode méditerranéen. Aujourd’hui, près de cinq cent mille concitoyens marchent sur les routes.

Si certains ont pu atteindre leur but, d’autres ont vu l’autonomie de leur véhicule se vider et dû l’abandonner sur le bas-côté. Nombreux ont été bloqués par le manque d’approvisionnement en énergie provoqué par l’exode. Mes chères compatriotes, l’heure est grave. Nous sommes face à un mouvement inédit de population dans l’hexagone et nous devons y faire face avec responsabilité et solidarité. J’invite donc les autorités locales, les préfets, les maires, les citoyens à se coordonner afin d’accueillir les réfugiés climatiques dans les meilleures conditions possibles. Je vous le dis solennellement : ne les rejetez pas ! Ce sont nos sœurs, nos frères, nos mères, nos pères et nos enfants qui marchent péniblement sur les routes. Prêtez vos épaules, serrez leur main, soignez-les, aidez-les… »

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Exil à Orbec

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Le jeune garçon qui porte Bourey souffle, la bouche grande ouverte et les joues rouges. Il supporte le poids du vieil homme depuis une heure. « Amène-moi à l’avant, petit. Alors quoi ?! T’es déjà fatigué ? Diable, les petits d’aujourd’hui n’ont aucune endurance… » Sur la place de la mairie, Bourey dépasse les exilés les uns après les autres et rejoint Aure. Elle fait face au maire d’Orbec, affublé de son écharpe tricolore et accompagné du conseil municipal. Un autre homme, à la chasuble bleue, complète le comité d’accueil, une glace à la main. Le silence règne. Aure sourit à Bourey et avance d’un pas : « Nous sollicitons… non, nous supplions la mairie d’Orbec et ses habitants de bien vouloir nous accueillir sur leur commune pendant…euh, une durée indéterminée. » Très solennel, le maire lui sourit, il entrouvre les lèvres au moment où Celian lui coupe la parole d’un ton navré : « Ah désolé, vous êtes un peu trop nombreux, ça ne va pas être possible. » Après une seconde d’embarras, l’homme à la moustache rectifie avec un sourire en coin : « Non, je rigole. » Aure soupire de soulagement. « Veuillez excuser Celian, Madame. Il représentante une ONG qui a délégation de service public sur l’accueil des migrants dans notre région normande. Et a un humour particulier. Au nom de la municipalité d’Orbec, soyez les bienvenus ! Nous avons aménagé une zone d’accueil, venez. » Bourey s’approche de Celian : « T’es un marrant, toi » ironiset-il.

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Celian lèche sa crème au vanille avec amour. « Tu me plais bien, ajoute le provençal. — Et t’as rien vu, le vieux. On a plein de glace pour vous : la fabrique locale nous en a distribué une tonne et demi. — Super ça, j’en salive d’avance. Mais sans salive… enfin tu vois quoi. — Je vois. — Ça ne te dirait pas de m’aider à marcher ?... Je te raconterai ma petite promenade pédestre depuis Aix… » Une heure plus tard, devant une petite tente iso-fibre, Celian finit d’ausculter un réfugié à l’inquiétante quinte de toux. Il confie les nano-médics à sa femme puis se lève. Le médecin parcourt à pas impatients le camp installé dans un vaste champ en jachère. Des centaines de tentes bigarrées s’alignent de manière anarchique, de la plus petite taille au grand marabout collectif, de toutes les couleurs. Les exilés s’installent dans une joyeuse cohue. « Que penses-tu de ton nouveau village, Aure ? interroge Celian avec un sourire. — Je suis au regret de t’annoncer que j’ai connu mieux. — Ce sont les citoyens et les entreprises d’Orbec qui ont fourni les tentes et les médicaments. — Remercie-les de notre part. — Certainement pas, je ne suis pas assez stupide pour jouer au maire. — Et merci à toi d’avoir préparé notre arrivée. Nous nous sommes téléphonés, il y a cinq jours, cela ne te laissait que peu de temps… — Mouais… Tiens, prends cette glace. » Après un soupir, Aure s’empare de la crème et la goûte du bout de la langue. Soudain ses yeux s’embrument, une larme trace une ligne humide sur sa joue. « Je ne suis pas médecin de l’âme, mais as-tu besoin de parler, Aure ?

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— Ma fille aime ce parfum. — J’imagine qu’elle te manque… — Tu n’imagines pas. — Et elle te rejoindra bientôt, peut-être ? — … oui, oui, elle me rejoindra… » Le regard d’Aure se perd dans le vide, la main posée sur l’étrange vase. Celian aimerait lui donner un peu d’amour quand la voix de Bourey requiert son attention

«Celian, regarde un peu ce que fait le petit, il me torture. Ce n’est pourtant pas difficile de retirer ma botte ! — Pardon, monsieur Bourey » s’excuse piteusement l’enfant. Celui qui le portait dans l’après-midi. Même si, à présent, le soleil se couche, la canicule poursuit son œuvre d’érosion des corps. « Va, laisse faire le docteur Celian. » Le médecin enlève les lacets de la chaussure avant de la retirer délicatement du pied. Celui-ci apparait gonflé et infecté. « Dis-moi que je suis au repos et exempté de marche, doc. Tu feras de moi le plus heureux des hommes. — Non, désolé Bourey. En fait, tu as besoin d’une rééducation et donc de marcher deux heures par jour. — … ok, tu rigoles encore, bien joué, bien joué. J’ai failli plonger… — Justement ! Un bain de pied, un peu de massage et du repos bien mér… » Tout à coup, des cris puissants et à l’unisson se font entendre en marge du camp de réfugiés. Au fil de son approche, Celian en perçoit la signification : « Migrants français, dedans, immigrés d’ailleurs, dehors ! »

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La nuit s’installe dans le champ. A la sortie Est, un groupe d’une dizaine d’individus, torche à la main, menace la tranquillité du camp. Celian place ses lunettes connectées sur le nez et ajuste sa moustache : « Bonjour, bienvenue dans le village des exilés d’Orbec. Que puis-je faire pour vous ? » D’un geste, un manifestant impose le silence à ses camarades et prend la parole : « Nous n’avons aucun problème avec l’exil des français du Sud dans notre région, nous les accueillons avec plaisir et sens du devoir. Mais nous refusons catégoriquement que des étrangers bénéficient du même traitement ! Ils sont parmi vous et n’ont rien à y faire ! Nous leur demandons de quitter le camp et rentrer dans le Sud. Ou mieux : dans leur pays d’origine. — Très bien, très bien. Mais puis-je vous demander comment vous avez connaissance de la présence d’étrangers par ici ? Avez-vous reçu l’autorité pour vérifier leurs papiers ? — Inutile ! Cela se voit parfaitement, il suffit de les entendre parler… Lui par exemple ! Il ne parle pas un mot de français. Qu’il parte ! ou nous mettrons le feu à sa tente ! » Attiré par le tapage, un groupe de migrants se forme autour de Celian. Malgré sa blessure, Bourey en fait partie et intervient : « JeanMichel ? Pas français ? Mais c’est mon cousin, pauvre sot. Je m’en porte garant. Regarde-nous, tu ne vois pas quelques traits similaires entre nous ? (Il colle sa joue contre celle du migrant à la peau noire) Non ? Et bien, c’est que tu devrais voir un ophtalmo, mon petit. — Monsieur, ne vous mêlez pas de ça : nous allons passer à l’acte ! poursuit le manifestant en approchant la torche d’une tente. — Non, vous ne ferez rien, annonce Celian en pointant de l’index la mini-caméra dans le coin de ses lunettes. Vous êtes filmés et en direct sur les réseaux. Le préfet n’a pas autorisé votre manifestation. Vous devriez partir. »

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En guise de réponse, le manifestant scande son slogan haineux, repris en chœur par ses amis. Le groupe s’avance vers Celian ; son chef, quasi nez contre nez avec le médecin, poursuit son cri. Pendant une longue seconde, seules les flammes de la torche vacillent et les ombres des visages immobiles s’agitent. D’un geste rapide et blasé, l’homme à la moustache écrase une boule de glace sur l’oreille de son vis-à-vis, totalement surpris par la manœuvre gelée. Dans la foulée, il enfonce l’index dans l’œil de son voisin de gauche et plonge deux autres doigts dans le nez de celui de droite. Alors que les autres manifestants se ruent vers Celian, le cri de Bourey les arrête : « Stop ! Regardez mon cousin JeanMichel ! Lui aussi a plein de cousins. Voulez-vous avoir affaire à eux ? » En appui à ces dires, plusieurs migrants aux larges épaules apparaissent derrière le vieil homme et s’avancent vers la rixe. Le groupe d’extrémistes s’enfuit à toute jambe. Plus tard, dans la nuit noire et bercés par une guitare lointaine, Celian et Bourey rient de cette mésaventure : « Jamais je n’aurais cru utiliser une glace comme une arme… — Ni moi avoir un cousin qui s’appelle Jean-Michel… — N’aurait-il pas été plus efficace de les convaincre ? intervient Aure, le visage fermé. Que tous les humains sont égaux, tout ça quoi ! — On ne discute pas avec ces gens-là, ma chère, assure Bourey. On les combat ! » Dans un silence reposant, les regards se perdent sur une buche qui crépite.

Un mois plus tard, sur le champ des réfugiés, les tentes colorées ont en partie laissé place à des mobile-home et constructions semi-rigides. La vie bat son plein : des camions de chantier, des bus en transit, des travailleurs en tout sens…

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Aure sort de cette effervescence en direction du récent potager, le pad en main : « Tu as toujours prévu de prendre un train et me rejoindre, sœurette ? — Dans quinze jours. Actuellement, on prépare les grosses valises avec les parents. Tu as bien réservé un mobile-home à Orbec ? — C’est fait. J’ai hâte de vous revoir !... » Sans les regarder, Aure passe devant Celian et Bourey, occupés à débattre sur la meilleure manière de faire pousser les courgettes. « On commence ? interroge la sœur d’Aure, de sa voix la plus douce. — …Allons-y… » La jeune femme approche de la petite rivière bordée d’arbres qui longe le potager. Derrière elle, ses deux amis la rejoignent. Toujours en communication avec sa sœur, Aure tend le pad à Celian qui oriente la mini-caméra vers elle. Ses pieds se posent sur un rocher en surplomb de l’eau claire et chatoyante. Ses mains dévissent le vase, ses lèvres tremblent : « Ma puce, c’est un bel endroit, tu seras bien ici… » Les cendres plongent délicatement dans l’eau, accompagnées de larmes. « Je reviendrai te voir tous les jours. Nous sommes chez nous. » Bras dessus, bras dessous, Celian et Bourey raccompagnent Aure vers le village des exilés d’Orbec.

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2ème prix

MES MAINS

de Marie-Laure Deneffe Dobrzynski Mes mains m’ont parlé. Hier, mon regard a été happé par mes mains. Mes mains ont accroché mon regard pour y déverser leurs états d’âme. Mes doigts mimaient le geste de fermer les yeux de ces enfants morts sous mes yeux. Mon cœur s’est alors fendu à nouveau et a saigné. Puis mes doigts se sont placés en coupe sur un périnée imaginaire et ont caressé des cheveux soyeux rencontrant l’air pour la première fois. Mes mains se remémoraient ces sensations si proches et si lointaines à la fois. Elles criaient, frémissaient comme des mains en manque, des mains qui pleurent loin de leur passion de sage-femme, de leur vocation humanitaire. Elles me contaient à s’en fendre la paume leur passion de mains, leur vocation de mains. Mes doigts ont fermé les yeux d’enfants partis dans un monde où leur mère pleurait de ne pouvoir les suivre, un monde où tout serait lumière et amour. Je leur ai fermé les yeux. J’ai appuyé mes doigts sur leurs paupières une fois le dernier sursaut de vie éteint. J’ai caché ces regards qui ne voyaient plus le désespoir de leur mère, ces yeux qui, brutalement, s’étaient éteints. Mes doigts se souviennent et mon cœur saigne comme il n’a pu se permettre de saigner quand il devait être fort. Il devait être fort pour permettre à mes mains de s’avancer vers ces visages enfantins, pour donner la force à mes doigts d’accomplir le geste rituel qui est une torture infligée au cœur d’une mère, au cœur d’un père. Mes doigts se souviennent de la tendre élasticité de ces paupières qui déjà résistent avec la force d’inertie du cadavre. Ces tendres et douces paupières n’obéissent plus aux injonctions humaines. Leur maître est déjà la rigide mort. Fermez-vous paupières. Fermez-vous donc. Mort, laisse aux vivants le temps de cacher ce regard que tu habites, ce regard déshabité insoutenable pour le cœur d’une mère et d’un père. Nouvelle

Mes mains

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Mort, entends les cris, les pleurs de ceux qui restent parmi les vivants. Aie pitié de nous. Laisse les paupières cacher ce regard de cadavre. Aie pitié de nous. Laisse mes doigts donner à cet enfant un visage d’enfant, un visage d’enfant endormi, ne nous impose pas ce regard d’outre-tombe au travers duquel tu nous nargues, nous les blouses-blanches qui n’avons pas su sauver l’enfant, eux les parents qui n’ont pas pu retenir leur enfant. Les paupières sont fermées. Mes mains, attrapez ce pagne dans lequel l’enfant est venu accroché au dos de sa mère. Mes mains, soulevez le corps de cet enfançon et enroulez-le dans le pagne. Mes mains, vous le savez bien que vous n’avez jamais pu couvrir tout le corps de l’enfant ; toujours il a fallu que vous laissiez l’enfant respirer. Mes mains, vous saviez bien que cet enfant n’avait plus besoin d’avoir le visage découvert, ses délicates narines tournées vers la lumière. Mes mains, pourquoi n’avez-vous jamais pu enfouir ce visage dans le pagne devenu linceul ? Allez, laissez-donc cet enfant respirer puisque vous ne voulez m’obéir. Et, maintenant, prenez courage mes mains. Prenez courage. Soulevez avec toute la tendresse et l’amour dont je vous sais capable ce corps d’enfant et déposez-le dans mes bras, là tout contre mon cœur. Mes mains, la mère a vu ce que vous venez de faire, la compassion que vous essayez de lui témoigner. Maintenant, courage mes mains, tendez à cette mère le corps de son enfant. Peut-être l’attirera-t-elle contre ses seins gorgés de lait. Peut-être l’étreindra-t-elle dans une dernière et déchirante étreinte. Peut-être criera-t-elle sa douleur sans pouvoir tendre les bras vers ce qui était son enfant. Cette fois-là, mes mains, vous sentirez alors comme ce cadavre, ce poids-mort est insupportablement lourd et comme mon cœur ne peut plus être fort. Vous savez que cette mère-là a compris qu’elle n’ouvrirait pas les bras à son enfant mais à un cadavre. Cette mère-là sait que son enfant n’est plus dans mes mains. Il est parti vers un ailleurs qui ne serait que lumière et amour. Nouvelle

Mes mains

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Mes mains, ressaisissez-vous. Vous voyez bien que cette vieille femme attend depuis des heures avec un nouveau-né blotti contre son sein. Où est donc la mère du petit ? Comment, sa mère n’est plus ? La vieille, tu pleures. C’est ta fille qui s’en est allée. Cet enfant va mourir sans la douce chaleur du lait maternel ! Que dis-tu, la vieille ? Une femme du village pourrait l’allaiter en même temps que son propre enfant ? Que soit bénie cette mère. Elle sauvera peut-être l’enfant. Là, ce nourrisson, je ne vois pas non plus sa mère ! C’est une fillette qui le porte. A la main, elle tient un biberon rougi par la poussière de son village. Le petit a la diarrhée. Il est déjà si maigre, ce petit. Un bébé peut donc avoir un visage de vieillard ? Est-il possible que ses yeux aient connu toute la souffrance qu’ils contiennent ? Mes mains, ne restez pas inertes. Faites donc quelque chose. Bravo, il a grossi ! Oh, aujourd’hui, il a souri ! Le petit repart au village ? Ne vous attristez pas, mes mains, peut-être le reverrons-nous. Vous voyez bien, aujourd’hui, il est de retour. Mais, vous pleurez, mes mains ! Quoi, la diarrhée a repris ? L’enfant se meurt ? La mort ne laisse donc qu’en sursis ces tout-petits dont elle a pris la mère ? Comment, vous riez mes mains ? Vous dansez ? Quelles sont toutes ces mains calleuses qui vous serrent, vous congratulent et vous bénissent ? Comment, un enfant est né ? Vous avez senti ses doux cheveux soyeux rencontrant l’air pour la première fois ? Ah non, c’était des petites fesses rebondies qui se sont présentées les premières cette fois-ci ? Que dites-vous ? Cet enfant est un petit miraculé ? Mais ne sont-ils pas tous un peu miraculés les enfants que vous avez aidés à mettre au monde, mes mains ? Pour arriver jusqu’à vous, ils ont été ballottés dans le ventre de leur mère au gré des cahots de la piste, au gré du balancement des mains qui

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ont porté le brancard de fortune pendant des heures, des jours. Les enfants qui n’ont pas besoin de vos soins naissent dans le village où ils grandissent et d’autres mains aident leurs mères à les faire naître, des mains qui pourraient en raconter elles aussi, des mains de femmes sages, des mains d’accoucheuses traditionnelles, des mains que vous aimez tant serrer, des mains avec qui vous travaillez main dans la main. Quand ces mains qui ont vu naître tout un village ne suffisent à aider une mère à faire naître son enfant, vous savez mes mains que le temps que le duo amoureux de la mère et de son enfant arrive à vous, la mère dansera déjà en solo bien souvent. Pour que la piste de danse ne soit vidée de son dernier occupant, mes mains, vous lutterez aux côtés de cette mère qui n’en peut déjà plus de s’accrocher à la vie. Cette mère n’est déjà plus qu’un cercueil pour la chair de sa chair, pour cet enfant dont elle ne connaîtra le visage que marqué du sceau de la mort, pour ce tout petit qui ne tétera pas ses seins pleins. Si elle survit à son enfant, ses seins gonflés de lait inemployé crieront à gorge déployée la douleur d’une femme assourdie par le cri inexistant de son bébé. Mais peut-être que, là où il est, son tout-petit a quand même poussé un cri. Peut-être a-til pleuré de n’avoir pu noyer son regard dans celui de sa mère, crié de désespoir de n’avoir pu goûter à la douceur du sein promis, geint de n’avoir pu s’endormir repu dans les bras chauds et doux de sa maman, là, tout contre son cœur. Peutêtre que dans cet ailleurs qui ne serait que lumière et amour, la douleur de ne pas connaître les bras de sa mère existe. Aujourd’hui, les esprits de la brousse ont veillé sur ce petit jusqu’au bout de l’espérance de la mère en devenir. Comme vous riez, mes mains, comme vous dansez ! Vous présentez à cette mère épuisée mais vivante son nouveau-né. La petite bouche avide de vie happe le sein plein. Un enfant est né ! Dansez, riez, mes mains ! Nouvelle

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Chut, mes mains, la mère et l’enfant se sont endormis blottis l’un contre l’autre. Reposez-vous, mes mains. Déjà une autre mère et un autre enfant ont pris la piste ocre qui mène à vous. Quoi ? Que me dites-vous mes mains ? Quels sont tous ces noms que vous écrivez ? Oh non, mes mains, taisez-vous donc… Oui, mes mains, je sais bien… Ce sont les noms de celles pour qui vous n’avez été qu’accoucheuses d’âme… Elisa, Kadidja, Rose, Fanta, Maria, Madoussou… Mortes pour avoir vécu là où être pleine d’un enfant c’est avoir un pied dans la tombe… Angèle, Kadi, Donatienne, Barakissa, Mireille… Mortes pour avoir vécu là où décider d’avorter c’est avoir presque les deux pieds dans la tombe… Albertine, Mama, Maïmouna… Mortes pour avoir été femmes : mortes sous les coups de leurs compagnons… Jacqueline, Esperanza… Mortes pour n’avoir plus eu la force de vivre une vie grevée des séquelles des abus sexuels subis… A quoi sert de vous tordre de douleur mes mains ? Serrez donc les poings. Et levez-les ! Le combat n’est pas fini.

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3ème prix

C'EST COMME ÇA À MAYOTTE de Cécile Hannebert

Oubliez les images du gentil médecin humanitaire blanc, entouré par une horde d’enfants noirs amaigris aux larges sourires. Oubliez les clichés de la jeune soignante qui porte un bébé aux yeux qui pétillent, accompagné par sa mère reconnaissante. Oubliez les photos de distributions alimentaires ou de médicaments à une famille de sept enfants qui reconstruira sa vie grâce à la France, cette glorieuse nation qui leur aura permis de s’élever de leur triste condition. On est à Mayotte. Ici, les 6ème se poignardent entre eux à coups de couteaux. Les collégiens se plantent des tournevis dans le dos pour punir ceux qui n’ont pas honoré leur part du racket quotidien. Les chauffeurs de bus réclament le droit de porter des casques de moto dans les cars scolaires à force de se faire caillasser. Les enfants refusent d’aller à l’école pour ne pas subir d’attaques. Les enfants meurent parfois, se blessent souvent, s’infectent toujours. Les adultes rampent quand leurs articulations les lâchent. Les femmes accouchent laborieusement, les unes après les autres, toujours plus jeunes, toujours plus nombreuses. Ici c’est Mayotte. Le bordel, la lenteur acceptée, l’inexorable fatalité.

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Et hier j’ai craqué. Je tenais le bon bout pourtant, j’étais « médecin urgences », c’est-à-dire que je devais gérer les consultations et les urgences qui arrivent au dispensaire. Cela veut dire qu’on peut être appelé pour un malaise sans gravité, comme pour un arrêt cardiaque. Un stress ultime, lorsqu’on sait qu’ici, tout part en vrille facilement et jamais de la façon dont on s’y attend. J’ai donc géré les urgences, et comme je suis chat noir, j’ai évidemment dû transférer un patient aux urgences. Ce qui sur le papier devrait être simple, car elles se situent de l’autre côté de la rue, ne l’est jamais en réalité. Mais j’ai tenu bon. Non, ce qui m’a fait craquer, c’est les enfants. J’ai d’abord eu un enfant de dix ans, qui venait pour une plaie franche au niveau de la face antérieure du tibia. On aurait dit qu’il s’était fait taillader à la machette (ici on dit « chombo »). La plaie datait de trois jours, faisait cinq centimètres de large, et plus d’un centimètre de profondeur. Il aurait fallu désinfecter, l’emmener aux urgences, le suturer… Mais le papa n’avait rien fait. L’histoire est louche, et il faut creuser pour obtenir la vérité. Le genre de vérité qu’au fond, on ne veut pas déterrer. Il a fallu que je repose les questions de plusieurs manières, quitte à avoir l’air un peu stupide et amnésique pour obtenir des réponses satisfaisantes. D’ailleurs, le terme de « réponses satisfaisantes » n’est pas réellement adapté à un interrogatoire mahorais. Alors je repose les questions, encore et encore. Il faut vraiment insister car ma traductrice du jour est du genre peu loquace et peu motivée. Elle avait déjà quitté plusieurs fois les consultations ce matin-là, estimant qu’elle n’était plus concernée… Bref, j’ai reposé les questions, et je me rends compte que l’homme qui a amené cet enfant, n’est pas le père. « Mais où sont tes parents ? » je demande. L’enfant n’ose pas me regarder, il ne sait pas où poser les yeux. « Ils sont à la maison » répond la traductrice. Je demande qui lui a fait ça. Nouvelle

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Il regarde vers l’homme, et celui-ci répond en shimaoré. Puis il répond à ma question et la traductrice me dit « c’est un bout de tôle ». Je n’y crois pas du tout. Finalement, après l’avoir amené en salle de soins infirmiers pour le pansement, un second traducteur va poser des questions plus précises, et je saurai la vérité. Son père est en prison aux Comores, sa mère est encore aux Comores. C’est sa grand-mère qui l’héberge ici, mais elle a peur de la PAF (Police Aux Frontières). Elle l’a donc confié à un voisin au bout de trois jours, pour l’amener au dispensaire. En métropole, nous n’avons pas le droit de laisser sortir un mineur avec des adultes qui ne sont pas ses responsables légaux… Techniquement je n’ai pas le droit de laisser partir cet enfant. Après appel de ma chef de service, elle m’explique que oui, c’est particulier ici mais qu’on les laisse sortir car ils ne sont jamais vraiment avec leurs parents biologiques. Qu’il est fréquent de confier un ou plusieurs enfants à un autre adulte le temps de venir des Comores soi-même, ou en cas d’expulsion …etc. L’enfant ne parle pas, il est prostré. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé, je n’arrive pas à avoir d’informations. Je ne sais pas quand il a effectué sa traversée ni comment. Sa grand-mère est-elle réellement sa grandmère ? Le voisin va-t-il réellement ramener l’enfant au dispensaire pour changer le pansement dans les jours qui viennent ? Est-il seulement à jour du tétanos ? C’est l’enfer. J’ai l’impression de traiter la plaie et de le renvoyer à un univers empli de violence et d’insécurité, dont je me rends complice en ne faisant rien de plus que mon devoir… Juste après lui, je reçois Linda, 13 ans. Elle est grande pour son âge, hyper à l’aise comme beaucoup d’enfants le sont ici et me tutoie. « Hé madame, regarde, j’ai mal au poignet ! ». Elle ne parle pas très bien français, mais on se comprend quand même un peu. J’examine son poignet, il s’agit d’un

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kyste synovial sans gravité. Mais elle a treize ans tout de même, me dis-je en jetant un coup d’œil à son étiquette. (Il faudrait écrire un chapitre entier sur la passion du système hospitalier mahorais pour les étiquettes.) Je lui demande, « mais tu es venue toute seule ?! » Elle me répond un peu gênée qu’elle est venue avec son grand père, qui l’attend dans le couloir. « Et où sont tes parents ? » « Ils sont aux Comores. » « Et ça se passe bien avec ton grand-père ? » Silence. Elle sourit, gênée, puis grimace, puis sourit de nouveau en regardant ses mains. Elle marmonne, puis finit par me dire qu’en réalité, elle ne le connait pas vraiment, et qu’elle ne vit pas chez lui, elle vit chez une tante. Silence. Je la laisse prendre son temps. Elle veut parler, débute des phrases, préfère se taire. J’attends. En fait, ce n’est pas sa tante non plus, elle ne l’avait jamais rencontré, c’est le grand père qui l’a placée là. « Et ça se passe bien chez ta tante ? » Je demande doucement. Elle chuchote presque et après plusieurs hésitations, me fixe d’un air grave. « J’ai peur de te dire. ». Je la sens prête à s’ouvrir, quand soudain, elle se lève, attrape son sac et me dit rapidement « Tu sais quoi ! Tout va bien », et part en courant du cabinet. Je n’ai pas son numéro de téléphone, je ne sais pas où elle habite, je suis en train de la perdre. Je vais perdre dans la nature une enfant de treize ans, qui cache un secret trop lourd pour elle, et qui est à la merci d’adultes inconnus. Je réfléchis en vitesse, et me rappelle que j’ai demandé une radiographie pour son poignet. J’appelle immédiatement le secrétariat de la radiologie et miracle, quelqu’un décroche. J’explique rapidement la situation et demande à la secrétaire de récupérer discrètement le numéro de portable de la petite, et de me rappeler ensuite pour me le donner. Deux heures plus tard, à la fin de mes consultations, j’appelle la jeune fille. Elle me reconnait et me dit en chuchotant qu’elle ne peut pas me parler, qu’il faut que je la rappelle plus tard. Elle me supplie plusieurs fois de Nouvelle

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l’aider, mais de ne jamais répéter à quiconque ce qu’elle va me dire. Je lui redemande plusieurs fois ce qui se passe, tout en essayant de la rassurer. Je suis là pour l’aider, tout ce qu’elle me dira restera entre nous. Je promets. Elle ne peut pas me parler et me demande de la rappeler à seize heures, lorsqu’elle aura trouvé un endroit calme pour téléphoner. A seize heures, je rappelle. Elle parle mal le français donc le dialogue est difficile. Mais elle m’explique que ses parents sont aux Comores, qu’elle a traversé toute seule. Elle a des frères et sœurs, mais ils sont restés là-bas. Elle est logée chez la fameuse tante qui n’est qu’une inconnue. Elle ne mange pas à sa faim, et se fait frapper régulièrement. Elle me dit qu’elle n’a pas été abusée sexuellement. Pour l’instant. Lorsque je demande qui la frappe, elle n’arrive pas à répondre. « Je ne sais pas » me dit-elle. « Par des enfants. Je connais pas leurs noms. » Elle n’est pas scolarisée. Elle a treize ans. Elle n’a pas de papiers. C’est une catastrophe. Je lui propose de la reconvoquer la semaine prochaine sous le prétexte du poignet afin de ne pas éveiller les soupçons, et qu’en attendant, je vais essayer de joindre l’assistante sociale pour lui venir en aide. Je lui dis qu’on va essayer de trouver une solution, la loger ailleurs, la scolariser. Bref. Je mens. Je mens parce qu’au fond de moi j’ai envie d’y croire, mais j’ai déjà essayé de joindre l’assistante sociale de l’hôpital plusieurs fois pour d’autres patients, et jamais je n’ai eu de nouvelles. J’envoie tout de même le mail avec ses coordonnées au service social comme le veut la procédure. Procédure qui donne l’impression d’avoir été conçue pour échouer. On envoie des mails, alors on a l ‘impression d’avoir fait son boulot. Pas moi.

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Lorsque je rappellerai la patiente, elle ne décrochera pas. Je l’ai perdue. Voilà. Voilà comment on se sent lorsque l’on est confronté à ce genre de situation. On ne maitrise rien, on a pas vraiment de solutions, et le fameux « c’est comme ça à Mayotte » prend tout son sens. Elle n’a pas de papiers et elle est mineure, c’est une victime mais c’est comme ça. Deux jours plus tard j’apprendrai lors d’une sortie à la plage que l’un des soignants de l’île est soupçonné de pédophilie. On me rapporte qu’il aurait été plusieurs fois accusé d’attouchements sur mineurs. Par « mesure de protection » cet homme n’a plus le droit d’examiner de mineurs sans la présence d’autres soignants. Je demande pourquoi il n’a pas été condamné et exclu du corps médical, ce qui me parait être une évidence... On me répond qu’il y’a trop peu de soignants sur l’île et que pour la survie de l’hôpital, on a fermé les yeux. Il s’attaquait aux enfants comoriens sans papiers en priorité, rajoute un autre. « Comme ça ils portent pas plainte. » Je ne peux pas. Je ne peux pas vivre dans un monde comme ça. Travailler avec des gens pareils. J’ai beau avoir prêté serment, avoir juré d’être confraternelle, comment est-il possible de protéger un confrère qui viole des enfants, tout simplement pour sauver un désert médical ? C’est comme ça à Mayotte. Il y’a deux semaines, un interne de médecine s’est éloigné du groupe avec son petit ami sur une plage. Ils se sont fait tabasser, et maintenant il souffre d’un pneumothorax. Il ne souhaite pas porter plainte. C’est comme ça à Mayotte.

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C’est comme ça à Mayotte

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L’an dernier, une spécialiste de l’île est allée pique-niquer sur une plage avec un confrère et un membre de sa famille. Ils se sont fait agresser, ligoter, dépouiller. Ils ont quitté l’île après ça, dégoutés. C’est comme ça à Mayotte. Le fils de Fatima, une des infirmières du dispensaire, a envoyé la semaine dernière son fils de huit ans en métropole pour le protéger. Il se faisait harceler à l’école, et malgré les interventions des parents auprès des éducateurs, personne n’a rien fait. Un jour, il s’est fait tabasser et a fini hospitalisé durant deux mois en réanimation en raison d’une surinfection sévère de ses blessures. Une fois sorti de l’hôpital, il a dit « Maman j’ai peur. Je ne veux pas y retourner ». Son père a pris un congé sans solde et l’a emmené à Marseille. Quand je demande à Fatima si ce n’est pas trop difficile de se séparer de son fils, elle me répond que c’est le seul moyen, et qu’elle est rassurée de le savoir à l’abri. Elle continuera à travailler ici, à s’occuper de ses autres enfants, le temps de trouver une solution. « C’est comme ça à Mayotte. » C’est comme ça à Mayotte. C’est comme ça à Mayotte. C’est comme ça...

Nouvelle

C’est comme ça à Mayotte

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Catégorie texte d’éloquence


1er prix

LE MANIFESTE D’UNE CELLULE de Philippe Lesesvre

Approchez. Approchez encore. Approchez je vous dis ! Ou vous n’entendrez rien. Me voilà. Je suis une cellule. Microscopique cellule. Insignifiante ? Certainement pas. Très au contraire. Je suis l’unité essentielle qui assemblée à ses sœurs, fait des présidents et des reines, des poètes et des danseuses, des prophètes et des magiciennes. Je suis beaucoup, je suis partout et j’ai des choses à vous faire entendre. Ma membrane hurle, mon cytoplasme gueule, mon noyau tempête ! Pointez tous vos microscopes sur moi, tendez l’oreille, je vous promets un cri de colère assourdissant. Laissez-moi vous dire de qui je suis l’extrait souffrant, car oui, je suis le témoin des blessures qu’on ne soigne pas. Reculez. Reculez encore. Reculez ! Ou vous ne verrez rien. Là, vous voyez cette femme ? Je suis la cellule qui dans son ventre se multiplie. Cette femme pleine d’un miracle qui fait son malheur. Elle est seule face aux lois, et seule, elle se videra en larmes et en sang.

Texte d’éloquence

Le manifeste d’une cellule

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Mais voyez encore, je suis la cellule de tous ceux qu’on dépossède de leur corps, de leur sexe, du droit de se reproduire ou de ne pas le faire. Les battus, les meurtris, les exclus, qui ne jouissent pas comme il faut. Je suis la cellule de cette femme qui marche. Celle-là, elle donne de la joie. Oh, elle n’en a pas souvent elle-même vous savez, mais peu s’en plaignent. Ils préfèrent gémir, en elle vibrer, sur elle se répandre, mais rarement sans soucier ou la prévenir des dangers. Je suis la cellule de ce garçon qui ne connaît d’autre accès au bonheur que l’entrée d’une veine. L’aiguille presse, perce, je vole en éclat. Je suis la cellule d’une constellation nerveuse qui brille un instant derrière ses yeux renversés. Le garçon sourit, et retombe dans la nuit. Qui lui donnera la main ? Qui comprendra ce que lui coûte son extase ? Ce qu’il risque dans cette nuit ? Je suis la cellule d’un père qui voyage. Un tout petit point noir sur le bleu des eaux. Il échoue sur une frontière. Il vagabonde, il attend l’accueil. Une terre promise l’empoisonne. Elle l’enferme loin des siens, hors des soins. Je suis éclairée par les bombes. Je rougis. Je noircis. On m’affame, on m’assèche. Je suis au mauvais endroit, au mauvais moment. Entourée de la mort qu’on fabrique. Qu’on répand, qu’on vaporise.

Texte d’éloquence

Le manifeste d’une cellule

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Je suis en ceux qu’on expose à la chimie qui tue et qu’on prive de celle qui sauve. Ceux qui creusent, qui toussent au fond de la terre. Je suis dans ces millions de corps attaqués, malades, oubliés. Je porte en moi leurs souffrances sourdes. Je suis la plus petite preuve des droits qu’on refuse. D’aller bien, d’aller mieux, ou moins mal tout simplement. Approchez de nouveau, et écoutez bien car ce qui suit vous concerne. Autant que la femme qui marche. Autant que celle qui maudit son ventre. Autant que le garçon qui s’éteint la nuit, que tous ceux qui n’ont plus de pays, sur qui tombent les bombes et les pluies acides. Ça va vous faire un truc mais figurez-vous que je suis aussi votre cellule. Précisément. La cellule de ce corps qu’on appelle social. Et si je vais mal, vous allez mal. Par moi tout se fait. Par moi tout peut se défaire. Alors voyez bien comme je suis et prenez exemple ! Soyez beaucoup, soyez partout. Joignez votre cri de colère à celui des autres. Assemblez-vous, tissez un corps qui sera fort parce qu’il se penchera sur ceux qui sont faibles, sur chacune de ses petites cellules et partout soignez-les. Vous ferez des magiciennes, des reines, des présidents ! Et peut-être même, qui sait, une société.

Texte d’éloquence

Le manifeste d’une cellule

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2ème prix

JE PANSE DONC J'ESSUIE de Nathalie Ferlay

Je panse. Je panse des corps. Des corps abîmés, blessés, accidentés, cassés, usés, rouillés, bancals, amputés, brûlés, émaciés, décharnés, exténués. Des corps au bout du chemin. Je panse des cœurs. Des cœurs pleins de douleur, de peur, de haine, de frustration, de colère, de défaillance, de chagrin, d'épuisement, de dépression, de renoncement. Des cœurs à bout de souffle. Je panse des âmes. Des âmes naissantes, fragiles, sensibles, délicates, en puissance, belles, généreuses, fortes, folles, battantes, fatiguées, éprouvées, meurtries, terrifiées, abandonnées. Des âmes au bout de leur destin. Donc j'essuie. J'essuie des peaux. Des peaux dures, tendres, douces, flétries, rugueuses, râpeuses, ridées, burinées, des peaux de toutes les couleurs, des peaux à fleur et des muqueuses, aussi. J'essuie des larmes, de la sueur, de la bave, des crachats, de la morve, de la pisse, de la merde, du vomi, du sang, des fluides corporels de toutes les couleurs, textures, odeurs et de la pourriture, aussi.

Texte d’éloquence

Je panse donc j’essuie

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J'essuie des fronts, des yeux, des bouches, des oreilles, des aisselles, des mains, des seins, des dos, des culs, des pieds et des sexes, aussi. J'essuie toutes les misères de ce monde. J'essuie des revers de fortune, des refus, des griffures, des morsures, des insultes, des regards tordus, du mépris, des ordres, des contre-ordres, les lâchetés, les tirs croisés de ceux qui souffrent, de ceux qui les aiment, de ceux qui prescrivent, de ceux qui ordonnent, de ceux qui légifèrent, de ceux qui paient, de ceux qui dirigent et de ceux qui s'en foutent, aussi. « J'y pense et puis j'oublie » disait-il. Je panse et je n'oublie pas, car quand je panse, je suis et je laisse un peu de moi, aussi.

Texte d’éloquence

Je panse donc j’essuie

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3ème prix

OPÉRATION DU SOURIRE de Marie Redor

Je peux respirer. Je peux respirer ? Je peux respirer ! Admirable ! Je peux parler. Je peux parler ? Je peux parler ! Incroyable ! Je peux mâcher. Je peux mâcher ? Je peux mâcher ! Invraisemblable ! Alors je ne mâche plus mes mots. Ces mots longuement ruminés, patiemment prémâchés, je les envoie maintenant par paquets. Parfois informes, parfois cabossés, je ne peux arrêter leur flux, ils ont tellement attendu. Stockés dans des compartiments divers de mon cerveau, certains ont réussi à s’échapper par les yeux, par les gestes, par les larmes. Mais la plupart sont restés bien sagement à leur place, attendant leur heure, attendant de pouvoir éclater, tels des fusées de feu d’artifice. Maintenant, ils sortent. Colorés, musicaux. Une symphonie de lettres, de silences, d’intonations et d’exclamations.

Texte d’éloquence

Opération du sourire

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Une symphonie de l’être, un flot de richesses offertes, une ouverture grâce à la fermeture. La fermeture de cette petite fente, synonyme de grand fossé. Fossé entre moi et les autres, fossé entre moi et la vie. Une petite fente synonyme d’énorme brèche. Brèche dans le cœur de mes parents, brèche dans leurs maigres possessions. Pour moi un avenir de sons estropiés, de bouillies remixées et de souffle entrecoupé. Trop loin, trop isolée, trop pauvre, trop insignifiante. Alors dans l’ombre, je survis. Et pourtant. Pourtant au loin, quelqu’un a su. Est-ce le reflet du soleil ardent dans une larme de ma maman ? Est-ce le fracas assourdissant du tonnerre dans le cœur de mon père ? Quelqu’un a su, est venu, a vaincu. Pour lui, une opération ordinaire, simple, rapide. Pour moi, une opération extraordinaire, prodigieuse, fantastique. Une opération vitale. Deux-cents kilomètres parcourus. Parfois à pied, parfois en roues de fortune. Mon visage caché, protégé du soleil, de la poussière et de la honte. Jusqu’à ce carrefour proche de l’hôpital. Une file épuisée, sableuse mais lumineuse. Une file de mères portant leurs petites pousses d’espoir sur leurs dos courbés.

Texte d’éloquence

Opération du sourire

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Ces bourgeons coincés dans leurs branches, pointant à peine le bout de leurs nez déformés. La file se dirige vers l’hôpital d’Antananarivo. Les chirurgiens français sont là pour une semaine. Une semaine de leur temps pour toute une vie d’enfant. J’ai été opérée le cinquième jour. Deux-cents kilomètres pour le retour. Mon visage caché, protégé du soleil et de la poussière pour préserver la réparation. Puis l’éclosion, le bourgeon libéré de sa branche, le nez au vent, le sourire en avant. Mon palais est reconstruit. Au village, on m’accueille comme une princesse. Mon nouveau statut de personne importante implique des devoirs envers la communauté. Ma mère m’accompagne dans les cases reculées. Elle montre sa fleur réparée aux mères recluses qui veillent sur leurs petits bourgeons imprésentables. On crie, on pleure, on admire ma bouche remodelée, on espère. L’année prochaine, ces enfants bénéficieront à leur tour d’une nouvelle opération sourire pour de nouvelles éclosions de rire. Et toutes ces femmes accusées de sauter les ruisseaux et autres actions maudites pendant qu’elles étaient enceintes retrouveront elles aussi leur dignité et leur place dans l’enceinte. Alors oui, désormais, je respire, je parle, je mâche. Et dans la lumière, je vis.

Texte d’éloquence

Opération du sourire

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