Histoire et principes de la Réduction des Risques

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Femmes stupéfiantes Erin O’Mara

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L’Histoire à montré que de tous temps, les femmes ont consciemment cherché à s’évader à travers les drogues. Elles ont fait ces expériences avec courage, vécu dangereusement et écrit sur le sujet avec éloquence.1

D

ans ma jeunesse, en Australie, j’étais fascinée par les histoires et les images que diffusaient les médias sur les drogues. Les journaux proposaient régulièrement des dossiers sur le sujet. Toujours les même photos en noir et blanc où l’on voyait des gens se chuchoter quelque chose à l’oreille et la substance illégale passer furtivement d’une main à l’autre. Toujours les mêmes jeunes androgynes adossés aux lampadaires, clope au bec, yeux fermés, visages décharnés. Et pourtant, invariablement, cette expression d’intense satisfaction. Quel secret cachaient-ils au reste du monde? J’étais surtout friande des histoires personnelles, des reportages relatant la descente aux enfers de telle personne, la manière dont elle s’était elle-même dépossédée de sa vie d’avant, dont elle est s’était coupée du monde, dont elle avait tout sacrifié pour l’héroïne ou la cocaïne. Ces histoires étaient immanquablement

Depuis près de quinze ans, Erin O’Mara milite sur le plan international en faveur des usagers de drogues, au travers d’écrits et de prises de parole ainsi que de la rédaction de rapports sur les difficultés qu’ils rencontrent. Elle écrit actuellement pour Inpud et Black Poppy, un magazine et webzine britannique créé par des usagers de drogues pour les usagers de drogues, qu’elle a elle-même cofondé avec Chris Drouet.

accompagnées de l’indispensable photo « avant/après », à gauche, l’adolescent dégingandé, souriant maladroitement sur sa photo de classe, et à droite, celui qui n’était plus que l’ombre de lui-même. Les parents témoignaient de l’inquiétude insoutenable d’avoir perdu leur enfant à jamais, puis le journaliste interrogeait les spécialistes. Ces spécialistes insistaient sur le comportement de « l’accro », la manipulation des proches, les mensonges et la perte de contrôle… tout cela contribuant à créer et renforcer le profil social d’un autre, un « junky ». Je fixais la photo de droite, puis celle d’après, et j’étais emportée par ce visage livide, attirée par l’histoire qu’il racontait, cette vie sacrifiée, poussée hors des rails par une pulsion indéfinissable, par la force d’une simple substance au nom héroïque. Ils semblaient savoir quelque chose que j’ignorais. Ils (les « tox ») avaient pris un chemin que la société condamnait et avaient choisi de s’amuser. En devenant accros ils avaient décroché, botté en touche, refusé le costume, l’emprunt immobilier, le mât de cocagne. Les médias, eux, les photographiaient en cachette, jouaient les voyeurs pour des masses à la fois répugnées et fascinées. Les junkies semblaient vulnérables et intouchables et les drogues, elles, étaient cool et dangereuses. Une combinaison propice aux mythes et à l’illusion, idéale pour exploiter les peurs et la ­fascination du public.


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