Histoire et principes de la Réduction des Risques

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tant pour les usagers que pour les profes- moi, prescrire ces médicaments signifiait sionnels. C’est dans cette situation que se qu’au moins les usagers ne finiraient pas trouvaient les médecins généralistes, en dans la rue à consommer n’importe quoi. première ligne de par leur situation de En outre, ces contacts réguliers avec un proximité, mais avec ces limites imposées professionnel de santé ouvraient une possibilité de bénéficier de soins de santé par un cadre de soins incapacitant. lorsque la personne le souhaitait. Dans Qu’est-ce qui conduisait un usager de mon métier, ce qui me semble essentiel, drogues dans votre cabinet ? Qu’est-ce c’est la rencontre singulière avec l’autre, c’est l’humain qui prime sur le reste. Il qui l’amenait à vous ? JPL : Avant le sida et au début de l’épidé- fallait faire quelque chose, je l’ai fait et le mie, les usagers de drogues venaient dans fais encore. Je l’ai fait intuitivement et je les consultations des médecins généra- le fais encore, plus rationnellement. listes contraints par un abcès débordant toutes limites, une fièvre erratique dérivant parfois vers la septicémie, une hépaUn autre dialogue, une autre place pour tite B ou C échouant dans une cirrhose parfois macérée dans l’alcool. Plus soule médecin et pour le patient usager de drogues vent, torturés par le manque, ils venaient se faisait jour par ces pratiques du « prendre tenter de négocier quelques médicaments soin de la personne ». pour les apaiser ou agrémenter la défonce. Difficile de savoir : la confiance était bien à distance ; il s’agissait de négociations loin de se jouer cartes sur table… Et puis aussi, il faut le dire, les médeParfois émergeaient des demandes de sevrage auxquelles aucune réponse cins généralistes n’étaient pas considérés graduelle ne pouvait être proposée. Les comme des experts, ni du sida ni de la toxisevrages brutaux se soldaient majoritai- comanie. Les autres collègues, les spéciarement par des échecs et des rechutes, listes, les reléguaient aux « basses tâches », n’étant bien souvent qu’un risque sup- comme les arrêts maladie, ou parfois le plémentaire plutôt qu’une issue. Ces suivi des traitements de fond. Ce mépris échecs ne faisaient que confirmer aux entre médecins rejaillissait sur les usagers, personnes leur « incapacité », les replon- et n’aidait pas à apaiser les relations. geant encore plus fort dans la dépendance, dans la mésestime de soi. Ce continuum Quelle place le médecin arrivait-il à trou« sevrages-pauses » et « rechutes » n’ap- ver auprès des usagers pour proposer portait guère la « maturation » escomptée une offre de soins suffisante ? JPL: Face à cette situation, pour certains par certains professionnels spécialisés. Les trajectoires étaient souvent scan- médecins généralistes, outre les soins dées de cette façon jusqu’au jour où, épui- somatiques prodigués, les réponses étaient sés, usés, au bout de dix, quinze ans de quelques seringues données pour tenter galère de santé, de galère sociale, ils en d’éloigner contamination ou recontaminasortaient, plus ou moins, mais à quel prix ! tion pour ceux qui manifestement continuaient à consommer, « gérant » tant bien Paul Bolo : C’était la grande époque du que mal leurs injections. Des « conseils » Temgésic ®, un analgésique délivré aux puis des explications, pour essayer d’aiusagers de drogues pendant des années der à prendre de la distance face à cette sans être « légalement » un traitement dépendance dévoreuse de vie avec la de substitution, des morphiniques et du prescription sauvage d’opiacés en subsNéocodion ®, de la codéine en sirop que titut à l’héroïne de rue. Certains usagers les usagers de drogues prenaient en larges ont ainsi pu bénéficier de la substitution quantités ! Parce que nous n’avions pas le avant l’heure. L’inconfort de ce suivi dans des condichoix et qu’il fallait bien faire quelque chose, du moins c’est ce que je pense. Pour tions difficiles était grand, mais le dialogue témoignages


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