Matraque 4

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1. Manifeste Cyborg. « Le cyborg est un organisme cybernétique, hybride de machine et de vivant, créature de la réalité sociale comme personnage de roman. (…) Le cyborg : question de fiction et de vécu, qui change ce qui compte en tant qu’expérience des femmes en cette fin de XXème siècle. Il s’agit d’une lutte de vie et de mort, mais la frontière qui sépare la science-fiction de la réalité sociale n’est qu’illusion d’optique. La science-fiction contemporaine est peuplée de créatures cyborgs, à la fois animales et machines qui habitent des univers ambigus à la fois naturels et fabriqués. La médecine moderne, elle aussi, fait appel à des cyborgs, issus d’accouplements entre organisme et machine, tous conçus comme des systèmes codés, et dont l’intimité et l’énergie ne proviennent pas de l’évolution de la sexualité telle que nous la connaissons. Le sexe cyborgien fait revivre quelque chose de la ravissante liberté réplicative des fougères et des invertébrés (quelle délicieuse prophylaxie naturelle contre l’hétérosexisme). La réplication du cyborg a divorcé de la reproduction organique (…) Le Cyborg est une créature qui vit dans un monde postgenre ; il n’a rien à voir avec la bisexualité, la symbiose préœdipienne, l’inaliénation du travail ou toute autre tentation de parvenir à une plénitude organique à travers l’ultime appropriation du pouvoir de chacune de ses parties par une unité supérieure. Le Cyborg n’a pas d’histoire originelle au sens occidental du terme (…) Le cyborg saute l’étape de l’unité originelle, celui de l’identification avec la nature au sens occidental du terme. (…) . Le cyborg est résolument du côté de la partialité, de l’ironie, de l’intimité et de la perversité. Il est dans l’opposition, dans l’utopie et il ne possède pas la moindre innocence. Parce qu’il n’est plus structuré par la polarité du public et du privé, le cyborg définit une cité technologique en partie basée sur une révolution des relations sociales au sein de l’oïkos, du foyer. Nature et culture sont refaçonnées ; l’une ne peut plus être la ressource que l’autre s’approprie et assimile. Les relations, y compris celles de polarité et de domination hiérarchiques, qui permettent, avec des parties de former des « touts » sont à l’ordre du jour dans le monde cyborgien. Contrairement au montre de Frankenstein, le cyborg n’attend pas de son père qu’il le sauve en restaurant le jardin originel ; c’est-à-dire en lui fabriquant une compagne hétérosexuelle, en faisant enfin de lui un tout infini, une cité, un cosmos.


Le cyborg ne rêve pas d’une communauté établie sur le modèle de la famille organique, mais il n’en a pas pour autant un projet oedipien. Le cyborg ne reconnaîtrait pas le jardin d’Eden, il n’est pas fait de boue et il ne peut rêver de retourner à la poussière. C’est peut-être pour cela que je veux voir si les cyborgs peuvent subvertir l’apocalypse du retour à la poussière nucléaire engendré par la compulsion obsessionnelle à nommer l’Ennemi. Le cyborg ne rêve pas d’une communauté établie sur le modèle de la famille organique, mais il n’en a pas pour autant un projet oedipien. Le cyborg ne reconnaîtrait pas le jardin d’Eden, il n’est pas fait de boue et il ne peut rêver de retourner à la poussière. C’est peut-être pour cela que je veux voir si les cyborgs peuvent subvertir l’apocalypse du retour à la poussière nucléaire engendré par la compulsion obsessionnelle à nommer l’Ennemi. Les cyborgs ne sont pas respectueux ; ils n’ont pas de souvenir du cosmos. Il se méfient du holisme, mais ont besoin de connexion : ils semblent avoir un penchant naturel pour la politique du front commun, mais sans troupes d’avant-garde. Reste le grand problème des cyborgs : ils sont les rejetons illégitimes du militarisme et du capitalisme patriarcal, sans parler du socialisme d’Etat. Mais les enfants illégitimes se montrent souvent excessivement infidèles à leurs origines. Leurs pères sont, après tout, in-essentiels. » « (…) Certains dualismes constituent des traits persistants des traditions occidentales ; tous contribuent à la logique et aux pratiques du système de domination des femmes, des gens de couleurs, de la nature, des travailleurs et des animaux ; en gros à la domination de tout ce qui est autre et qui ne sert qu’à renvoyer l’image de soi. Les plus importants de ces inquiétants dualismes sont les suivants : soi/autre, corps/esprit, nature/ culture, mâle/femelle, civilisé/primitif, réalité/apparence, tout/partie, agent/ressource, créateur/créature, actif/passif, vrai/faux, vérité/illusion, total/partiel, Dieu/homme. Le soi est ce Un qui ne subit pas la domination et qui sait cela grâce à l’autre qui détient les clefs de l’avenir du fait de sa propre expérience de la domination, ce qui fait mentir toute l’idée d’une autonomie du soi. Etre Un, c’est être autonome, c’est être puissant, c’est être Dieu ; mais être Un est aussi être une illusion, et ainsi être impliqué dans une dialectique apocalyptique avec l’autre. Pourtant, être autre, c’est être multiple, sans bornes précises, effiloché, sans substance. Un c’est trop peu, mais deux, c’est déjà trop (…) »


« Dans les imaginaires occidentaux, les monstres ont toujours défini les limites de la communauté. Les Centaures et les Amazones de la Grèce antique établirent les limite d’une polis centrée sur l’homme grec parce qu’ils firent éclater le mariage et perturbèrent les frontières par des alliances contre-nature entre le guerrier et l’animal ou la femme. Les jumeaux siamois et les hermaphrodites constituèrent le trouble matériau humain qui, au début de l’ère moderne en France, permit de fonder le discours sur le naturel et le surnaturel, le médical et le légal, les mauvais sorts et les maladies, éléments cruciaux dans l’établissement de l’identité moderne. Les études évolutionnistes et comportementales des singes et des grands primates ont marqué les multiples frontières des identités industrielles de la fin du XXè siècle. Les monstres cyborgiens de la science-fiction féministe définissent des possibilités et des limites politiques assez différentes de celles que propose la fiction courante de l’Homme et de la Femme. Prendre au sérieux l’imagerie d’un cyborg qui serait autre chose qu’un ennemi a plusieurs conséquences. Sur nos corps, sur nous-mêmes ; les corps sont des cartes du pouvoir et de l’identité. Les cyborgs n’y font pas exception. Un corps cyborg n’a rien d’innocent, il n’est pas né dans un jardin, il ne recherche pas l’identité unitaire et donc ne génère pas de dualismes antagonistes sans fin (ou qui ne prennent fin qu’avec le monde lui-même), il considère que l’ironie est acquise. Etre un c’est trop peu, et deux n’est qu’une possibilité parmi d’autres. Le plaisir intense que procure le savoir-faire, le savoir-manier les machines, n’est plus un péché, mais un aspect de l’incarnation. La machine n’est pas un « ceci » qui doit être animé, vénéré et dominé. La machine est nous, elle est nos processus, un aspect de notre incarnation. Nous pouvons être responsables des machines, elles ne nous dominent pas, elles ne nous menacent pas. Nous sommes responsables des frontières, nous sommes les frontières. Jusqu’à maintenant (il était une fois), l’incarnation féminine semblait être innée, organique, nécessaire ; et cette incarnation semblait être synonyme du savoir-faire maternel et de ses extensions métaphoriques. Ce n’est qu’en ne nous plaçant pas à notre place que nous pouvions prendre un plaisir intense avec les machines et encore, à condition de prétexter qu’après tout, il s’agissait d’une activité organique, qui convenait aux femmes.


Les cyborgs pourraient envisager plus sérieusement l’aspect partial, fluide, occasionnel, du sexe et de l’incarnation sexuelle. Après tout, malgré sa large et profonde inscription historique, le genre pourrait bien ne pas être l’identité globale. Réfléchir à la question, idéologiquement chargée, de ce qui compte comme activité quotidienne, comme expérience, peut se faire en exploitant l’image du cyborg. Dernièrement, les féministes ont prétendu que les gemmes étaient douées pour le quotidien, que les femmes, plus que les hommes, géraient d’une manière ou d’une autre ce quotidien, et qu’elles occupaient donc potentiellement une position épistémologique privilégiée. Cette prise de position peut paraître convaincante car elle met en lumière une activité féminine longtemps méprisée et qu’elle en fait la base de la vie. La base de la vie ? Et l’ignorance des femmes, alors ? Et leur exclusion de la connaissance et du savoir ? Leurs manques ? Et l’accès des hommes aux compétences du quotidien , à la construction des choses, à leur destruction, au jeu ? Et les autres incarnations ? Le genre cyborgien est une possibilité partielle de revanche globale. La race, le genre et le capital nécessitent une théorie cyborgienne de touts et des parties. Il n’existe pas, chez le cyborg, de pulsion de production d’une théorie totale, mais il existe une connaissance intime des frontières, de leur construction, de leur déconstruction. Il existe un système de mythes qui ne demande qu’à devenir un langage politique susceptible de fonder un regard sur la science et la technologie, qui conteste l’informatique de la domination afin d’agir avec puissance. Une dernière image : les organismes et la politique organismique et holistique reposent sur des métaphores de renaissance et en appellent invariablement aux ressources de la sexualité reproductives. Je dirais que les cyborgs ont plus à voir avec la régénération et qu’ils se méfient de la matrice reproductive et de presque toutes les mises au monde. Chez les salamandres, la régénération qui suit une blessure, par exemple la perte d’un membre, s’accompagne d’une repousse de la structure et d’une restauration des fonctions avec possibilité constante de production, à l’emplacement de l’ancienne blessure, de doubles ou de tout autre étrange résultat topographique. Le membre qui a repoussé peut être monstrueux, dupliqué, puissant.


Nous avons tou(te)s déjà été bless(é)s, profondément. Nous avons besoin de régénération, pas de renaissance, et le rêve utopique de l’espoir d’un monde monstrueux sans distinction de genre fait partie de ce qui pourrait nous reconstituer. L’imagerie cyborgienne peut aider à exprimer les deux points cruciaux de ce texte. Un, la production d’une théorie totale, universelle, est une erreur énorme qui passe à côté de la réalité, et qui l’a probablement toujours fait, mais qui le fait maintenant de façon certaine. Deux, en prenant la responsabilité des relations sociales de science et de technologie, on refuse la métaphysique antiscience, la démonologie de la technologie, et l’on assume ainsi le difficile travail de reconstruction des frontières de la vie quotidienne, en connexion partielle avec les autres, et en communication avec chaque partie de nous-même. Ce n’est pas seulement que la science et la technologie sont d’éventuels moyens de grande satisfaction humaine aussi bien qu’une matrice de dominations complexes. L’imagerie cyborgienne ouvre une porte de sortie au labyrinthe des dualismes dans lesquels nous avons puisé l’explication de nos corps et de nos outils. C’est le rêve, non pas d’une langue commune, mais d’une puissante et infidèle hétéroglosse. C’est l’invention d’une glossolalie féministe qui glace d’effroi les circuits superévangélistes de la nouvelle droite. Cela veut dire construire et détruire les machines, les identités, les catégories, les relations, les légendes de l’espace. Et bien qu’elles soient liées l’une à l’autre dans une spirale qui danse, je préfère être cyborg que déesse. » Manifeste Cyborg Donna Haraway


2. CÉ QUOI UN PINK BLOC ? C'est une tactique née lors sommet du FMI et de la Banque Mondiale à Prague, où elle avait connu un grand succès et permis à une partie des manifestant-e-s d'arriver jusqu'au Centre de congrès. Elle a été réutilisée dans un grand nombre de manifestations et actions directes depuis, et se base sur une résistance festive, rythmée et colorée. Elle vise à promouvoir le queer (dépassement des genres sociaux masculin et féminins et de l'oppression patriarcale) et le travestissement. Elle recherche et intègre une diversité de modes d'action au sein même du cortège, mais essaie souvent de détourner et de saboter avec humour et élégance les armes du système et ces modes d'oppression. Elle cherche à dépasser les fausses limites entre violence et non-violence. Elle se veut offensive, mais dans des rapports de force souvent inégalitaires, ne court pas systématiquement la confrontation directe et la montée en pression. Elle viserait plutôt à neutraliser les forces policières par des stratégies d'évitement et de mouvements constants. Le pink bloc se retrouve dans le slogan "si je ne peux pas danser, ce n'est pas ma révolution" et crée souvent à son passage une atmosphère conviviale et énergique aussi bien pour les manifestant-e-s que pour les passant-e-s. Le pink bloc n'a pas de leader ni de représentant-e-s mais se base sur un ensemble de groupes affinitaires : samba, créateur-euses de barricades, danseur-euses, détourneur-euses de mobilier urbain, équipe légale, médicale, équipe de médias indépendants. Ces groupes affinitaires étant des petits groupes de personnes qui se connaissent mutuellement, se font confiance et se donnent des objectifs particuliers d'actions et des techniques de protection du groupe face à la police. Ils avaient prévu au sein du cortège de communiquer et de se coordonner par divers moyens : signes, drapeaux, réunions de délégué-e-s des groupes afinitaires dit "spokes council", musique. Ces signes sont conventionnels à chaque manif et leur évolution est constante. Chaque groupe peut décider à n'importe quel moment de s'autonomiser du bloc.

[texte écrit lors du contre-sommet du G8 à Lausanne]


3.Fabriquer de l’autre « Revenons aux procédés discursifs et idéologiques; ceux dont je parle ici ne sont pas les opinions racistes, sexistes, ou homophobes. Le groupe maître, le groupe des Uns n'est pas dans le même dans ces trois oppressions: c'est celui des hommes vis-à-vis des femmes, celui des hétérosexuels vis-à-vis des homosexuels, celui des Blancs vis à vis des « non Blancs ». Cependant dans chaque cas le groupe maître a la même rhétorique: il reproche a « ses » Autres (femmes pour les pour les hommes, non-Blancs pour les Blanc,s etc.) de ne pas faire partie des Uns, comme si cela ne dépendait que d’eux. Il leur reproche de se distinguer, de n'être « pas pareils » et les exhorte, s'ils veulent conquérir leurs droits, à être plus « pareils ». Or, les différences qu’on leur reproche sont entièrement construite par les groupes maîtres, de plusieurs façons.Elles sont construites idéologiquement par le fait de constituer l’une de leurs caractéristiques physiques ou de comportement non pas comme l’un des innombrables traits qui font que les individus sont des individus distincts les uns des autres, mais comme marqueur définissant la frontière entre le supérieur et l’inférieur. Plus exactement, l’une des innombrables caractéristiques de l’humanité est constituée en dimension comportant deux pôles, un bon et un mauvais. L ‘altérisation produit donc une altération des personnalités des dominé-e-s. Or cette souffrance psychique des opprimé-e-s, les effets d’années d’humiliations encaissées jour après jour, voilà ce que les « grands » spécialistes français du racisme n’ont jamais abordé. Si la discrimination commence à être étudiée, la souffrance des victimes voilà ce que les dominants ne peuvent même pas commencer à imaginer. Car l’altérisation altère aussi les dominants - personne n’est telle qu’elle le serait si la domination n’existait pas - mais en sens inverse; elle crée des personnalités dominantes. Les caractéristiques des dominants ne sont pas vues comme des caractéristiques spécifiques, mais comme la façon d’être … normale. (…) Mais comment les Autres pourraient-elles/ils être comme des Uns? Quand les Uns ne sont Uns que parce qu’ils/elles oppriment les Autres?


Or ce fait est nié et dénié en permanence. Les façon de faire et d’être du groupe dominant ne sont pas présentées comme ce qu’elles sont - des façons qu’il ne peut avoir que parce qu’il domine - mais comme la norme, comme l’universel. Et puisque c’est sur l’oppression des Autres que repose la capacité des Uns d’avoir des façons, il tombe sous le sens que les Autres ne pourront jamais imiter ces façons, ni demain ni dans mille ans. Les Autres n’arriveront jamais à se couler dans ce qui est présenté comme une norme universelle, valable, pour tous et toutes et que tous et toutes peuvent atteindre. Ce qui est une conséquence de l’altérisation et de l’altération de certains par les Uns sera interprété comme l’échec, et en tous les cas la responsabilité des Autres. Les privilèges des Uns, gagnés sur le dos des Autres, apparaîtront au contraire comme la juste récompense de leur capacité à atteindre la norme. » Christine Delphy 4. Capitalisme, nomination, induction, injonction. Si les Autres, ne pourront jamais faire comme les Uns, rien n’empêche dans le système capitaliste comme il est d’essayer. Qu’il soit question de racisés, de femmes ou d’homosexuel-le-s, bon nombre tentent, de manière zélée d’atteindre cet universel, cette norme des Uns. C’est le storytelling du mode de vie et du mode d’être comme on devrait l’avoir. C’est aussi et déjà, la manière d’un « capitalisme de l’induction ». Celui d’un pouvoir et d’un contrôle non plus seulement vertical, mais horizontal, au creux de la main, au milieu d’écrans. Induire c’est fabriquer du désir, à l’intime, de l’autre à soi, c’est rendre artificiel le vital, la vie-même dans ce qu’elle a de plus irréductiblement singulier a priori. Deux phénomènes se jouent derechef; 1.jouer la différence que l’un défini pour nous, et 2, de l’autre côté, tenter de normaliser, de rendre invisible la différence au profit du comportement normal, universel des Uns. De ces deux phénomènes n’émergent qu’une seule chose, tenter de faire Uns.


Le système capitaliste comme on le connait, a cette étrange capacité de faire de toutes différences, une marge de profit possible, une induction possible. Une marge de mode de vie souhaitable et consommable possible. De s’adapter en permanence à la différence proposée, nommée par les Uns. Il procède également par nomination des Autres. Être, femme, racisé-e, homosexuel-le; c’est ça; la manière d’être un bon-ne femme, racisé-e, homosexue-le, c’est ça et ça. Ce système fonctionne en boucle qui s’auto-génère et qui s’auto-régénère. Le capitalisme nomme ses marges et en fait également des instances de son système. On peut parfois, même dire qu’il crée ses marges. Par exemple, être une « bonne » femme c’est être une working-girl dévouée, un homme plus homme que l’homme, ou au contraire et de la même manière cet autre « différent » qui doit faire des enfants et s’en occuper, cet autre qui doit reproduire. Être un bon « noir », c’est ne pas faire cas de sa racisation et être plus blanc que blanc, en France, plus républicain que républicain. Être homosexuel-le c’est demander le mariage et l’adoption, jouer la famille plus hétérosexuelle qu’hétérosexuelle. Et de la même manière être une femme, un homosexuel-le, un racisé, c’est répondre à telle ou telle caractéristique nommée, induite par le dominant. Encore plus loin, être une « mauvaise » femme, un « mauvais-e » racisé-e, un « mauvais-e » homosexuel-le, c’est adopter tel ou tel comportement nommé, pointé, imagé. Prenons un exemple simple, celui d’une éventuelle « transgression » homosexuelle, aujourd’hui si l’on regarde le jeu de la transgression, qu’elle soit celle des soirées, des lieux de dragues ou de sexe, des applications, il est question dans tout cela de profit, et de comportement toléré, accepté, normalisé, nommé. Je participe à telle soirée, où je paie ma place à tel prix, et où je peux pour un temps, une heure, me déguiser, jouer, surjouer mon homosexualité, dans une illusion de transgression, dans une illusion de performativité. Quand les Uns montrent les autres homosexuel-les c’est toujours à travers des codes, et une nomination que les Uns choisissent. Exemple, le journal fait une ouverture sur les homosexuel-les qui sont dans la rue pour défendre leurs droits, lors de la gaypride.


Les Uns montreront les chars, la fête, intervieweront les Autres qui diront combien ils aimeraient être les Uns, ou au contraire, les Uns montreront ce qui est si différent chez les Autres, des couples SM, des hommes et des femmes déguisés, une ambiance de fête apolitique, etc. Et, dans les soirées « transgressives », on jouera la différence montrée, nommée. Le lieu autre qui n’est autre que dans un absolu qui n’existe pas. L’autre qui se joue dans l’autre de l’Un. Se féliciter de la liberté sexuelle de telle ou telle application, quand en fait elle réifie, cache, induit, fabrique la sexualité différente, et contraint la liberté sexuelle à une consommation permanente et plus loin à une injonction à cette consommation L’Autre des Autres, bien consommable, objet consommable comme n’importe quelle autre chose.Fabriqué, comme n’importe quel autre objet, fabriqué et consenti. Se féliciter de pouvoir vivre ses désirs intimes, quand la notion de désir même n’est qu’une simple marchandise troublante induite , réifiée et fabriquée, et que l’humain n’est qu’un service utilitaire et temporaire. On semble loin de la liberté sexuelle, malgré ce que permet apparemment ces applications.On est plus proche d’une normalisation des pratiques du corps et des comportements. Tel rapport définit à l’avance, tel lieu définit à l’avance, tel fantasme assouvi et construit à l’avance, telle manière de faire l’amour quadrillée par une médiation nommée, tolérée, consommée. Faire de l’intime une part de la consommation globale en lui donnant des allures de transgression révolutionnaire et de liberté sexuelle. Un tour de force comme un autre. Les Uns nomment, les autres reproduisent, négocient, font semblant de s’insurger contre cette nomination. Il y a aussi, chez les Autres, parfois, une parodie de la différence, une parodie d’une contre-domination, d’une contre-manière d’être. L’image de la transgression, de mon caractère d’autre doit être celle-ci et c’est avec celle-ci que je joue. À une autre échelle il y a une nomination également du militant, de celui qui est a priori contre ces nominations. Le militant est également contrait à des injonctions et des nominations. De « l’ultra-gauche » à « l’ultra-droite », il y a toute une typologie prévue, connue.


Le capitalisme repose en parti sur ces deux notions, nomination et injonction. Dire ce qui est, ce qui doit être, et faire injonction de comment on doit être, de ce que l’on doit faire dans une bonne morale, dans une normalité. Normalité qui ne fait pas économie de normaliser l’a priori anormal. Il y a un jeu constant entre ce système, et ce qu’il présente, quadrille comme des contre-système. Il y a un jeu, aussi, peut-être encore plus étrange, entre ce pouvoir qui se fait à l’horizontal et son acceptation par chacun. Peut-être qu’on trouve ici, l’un des rouages à démonter, à dégrader, cette étrange idée du moi, du soi, de l’individu libre de tout, libre de choix, quand bien-même l’intime, le politique, la pensée, sont induits, produits et consentis entre leurs nominations et leurs injonctions. Le pouvoir est là de toute part, quand je couche avec quelqu’un, quand je sors dans la rue et que j’adopte tel ou tel comportement, quand j’essaie de m’en extraire. Toujours et encore nommer l’inconnu et l’informe. Le nommer pour le limiter, le restreindre, le contraindre à n’être que posture. Et toujours la même unité de régularisation, l’individu, le moi, le je. Un vocable adéquat y est bien évidemment associé, libre-arbitre, choix, liberté, etc. Quelle liberté quand jusque que dans mon lit, je consomme un Autre, ou un Un nommé, enjoint, à travers des rapports et des comportements eux-mêmes nommés et enjoins? S’exclure de cette boucle, voilà, l’enjeu. S’exclure des comportements attendus, des représentations attendues, des injonctions quadrillées du pouvoir, voilà l’enjeu. Il ne faut plus un front, il ne faut plus une guerre de position, mais une face qui déborde toujours, partout, en permanence ce qui est attendu, on doit s’enjoindre à abolir toute idée même de normalité. Ne plus simplement, négocier, jouer avec les espaces et les modes de vies nommés, agencés, laissés, mais créer, s’emparer de toute pièce et intégralement de ces espaces. Faire espace, faire mode de vie, plutôt que de perpétuer et de reproduire la nomination, l’idéologie des Uns.


Sortir des Uns, mais aussi sortir de l’idée même d’Autres. Se ré-approprier la nomination ou l’injonction n’est qu’une étape pour sortir de la boucle. Tout mettre en joug de toutes nos certitudes, voilà un des enjeux. Tout mettre en joug, de nos vocabulaires, de notre manière de vivre, de notre sexualité, de notre manière de créer et de faire des liens ensemble, de notre manière de militer, etc etc. Rompre la nomination et l’injonction, c’est se rendre innommable, ingouvernable, indésirable, anonyme. Les dominants c’est nous, les dominés c’est nous. On, doit faire brèche au plus vite… Un paramètre, pourtant, semble irréductible à ce processus de nomination/injonction, c’est le sensible. Surgissement imprévu et ingouvernable s’il en est, il se trouve aussi bien dans une rencontre, que dans une lumière sur une ville grise. Toujours intempestif et ailleurs, il a quelque chose d’une brèche irréductible. Peut-être au fond, qu’un des enjeux est aussi celui-là, intensifier le sensible, pour renverser nos rapports nommés, enjoins, au monde, au temps, à l’espace, à la durée. Être aux aguets du sensible, comme possibilité de mise en joug, d’insurrection, et de dégradation de nos plus intimes certitudes. On veut viser la dégradation totale, plus la révolution.


5.À l’occasion des Ballets Gris de l’élite Grise Ce qu’il reste des "artistes" et des "penseurs" de la bourgeoisie (souvent employés par l’université comme sujets-supposés-savoir, comme crétins spécialisés dans la transmission d’un savoir-marchandise totalement dévalué et avarié, mis en doute même par les esclaves réifiés que sont les étudiants), ce qu’il reste de fossoyeurs, de gardiens ou de conservateurs de musée, de fabriquants ou marchands de kitsch, de romanciers d’avant-garde, de philosophes en porcelaine, de musiciens, de critiques, de peintres... Tout cela ne pèse pas lourd. ça agonise pitoyablement en se forçant à pousser encore quelques cris inaudibles, récupérant pour le rayon "Nouveautés" des supermarchés culturels quelques idées subversives, quelques éléments de critique sociale, mais vidés de leur substance parce que non pratiqués, parce que commercialisés et vendus par les mêmes spéculateurs et idéologues qui toujours se démerdent pour survivre aux incendies et en tirer profit. Croient-ils encore avoir droit à leur statut privilégié de l’ancien régime ? ILS SE TROMPENT. Ceux qui se montrent incapables de vivre la mutation profonde et intégrale de la société seront laissés pour compte, ainsi que n’importe quel autre spécialiste bourgeois, n’importe quel autre maillon de la courroie de transmission entre maîtres et esclaves, exploiteurs et exploités. Les cadres intellectuels de la bourgeoisie disparaîtront avec le vieux monde auquel ils se sont intégrés et - plus ou moins ouvertement - identifiés. Ils disparaîtront avec les autres dirigeants et profiteurs, flics et marchands qui auront préféré couler avec le navire de peur de se jeter à l’eau et recommencer à zéro, remettant TOUT en jeu. La poésie des «poètes», l’art des «artistes» sont non seulement morts, mais putréfiés. Le produit du travail aliéné des spécialistes passe directement à la poubelle (au musée, à l’université) sans être lu, vu, entendu.


Les méta-langages des méta-morts-nés ne concernent plus que quelques méta-consommateurs qui se méta-branlent et dont la situation est fort précaire : un pied dans le drugstore capitaliste, l’autre sur une peau de banane. «Artistes et «intellectuels», réveillez-vous ! Le 24 mai 1968, la Bourse de vos employeurs a brûlé. La révolte des esclaves ne fait que commencer. Il serait temps que vous vous y mettiez, vous aussi. Plus vous continuez à produire des gadgets, de l’idéologie, du spectacle, de la vaseline pour la bourgeoisie, plus vous accumulez vos indemnités de paralytiques, plus vous vous condamnez à la non-vie institutionnalisée, plus vite vous créverez, salopes ! Ce n’est pas un entr’acte, c’est la FIN. Ni Césars, ni tribuns, ni artistes, ni maîtres. Alors, statues parlantes et angoissées, qu’allez-vous devenir ? Il n’y a pas de solution parce qu’il n’y a pas de problème : vous êtes DEJA au musée. Vous êtes DEJA dans la tombe. Le délire créateur de tous couvre vos gémissements d’agonie. Vous êtes DEJA OUBLIES.

Un groupe autonome

(Tract tiré à l’occasion des Ballets Gris de l’élite Grise «Art & Société» à la Maison des Lettres, mars 1970)


6.Bougnoule on the beach. Jour 1 : C’est parti pour la grande transhumance estivale, les vacances mi-prolo mi-petit bourgeois. On s’accorde une semaine au chaud, au soleil, au bord d’un fleuve, en camping. Tente, réchaud à gaz, sièges pliants, piscine. Trajet aller interminable, l’enfant qui chouine à l’arrière, le sirop contre le mal des transports qui ne fait pas l’effet escompté. Des vraies vacances de Français.e.s, quoi. Mais après avoir bossé toute l’année, le bougnoule du XXIe siècle veut sa semaine de repos. Jour 2 : Je veux prier, mais je ne sais pas où. C’est pas pour emmerder les gens, c’est juste que je veux prier. Je sais bien que ça emmerde ma nana. Elle porte pas Dieu dans son cœur. Ni comme hypothèse, ni comme personnage. Je discute avec elle. Je peux pas prier dans le noir dans la tente le soir, quand même. Si j’allume la lampe-torche à l’intérieur, les voisins vont avoir droit à un théâtre d’ombres chinoises vraiment suspect. L’été a été chaud, mieux vaut ne pas provoquer. Je ne vais donc pas non plus prier dehors devant tout le monde. J’ai réussi à trouver un coin reculé au bord de la rivière, invisible, au milieu de bosquets touffus. Tapis roulé bien compact. Est-ce qu’il faut que j’emmène un rouleau de PQ pendant qu’on y est ? Jour 3 : Depuis notre arrivée, deux petits garçons, deux frères, dont le plus grand doit avoir 8 ans, font des aller-retours à vélo dans l’allée du camping. Dix fois par jour. Minimum. Et à chaque fois, lorsqu’ ils passent devant notre tente, ils hurlent la Marseillaise, premier couplet entier et refrain. Devant notre tente. Au bout d’un moment, on croit avoir compris le message. On passe discrètement devant la tente du géniteur des deux petits patriotes, pour vérifier, voir si on ne se victimise pas, si on est pas devenus paranoïaques. Après tout, Nice, tout ça … L’individu nous toise d’un air mauvais lorsqu’on lui dit bonjour. Message confirmé. La Marseillaise, ça commence à gonfler sérieusement ma nana. J’aime pas trop quand elle se fout en rogne, parce que ses petites colères de Française, ça retombe souvent sur ma tête de gnoule. En même temps ...


Jour 5 : Ça y est, ma gonzesse a pété son plomb. Elle a adopté la stratégie de l'ennemi : envoyer la marmaille à la baston idéologique musicale. Mission pour notre môme de 5 ans : « Ecoute-moi bien. Tu sais, la chanson que tout le monde chante en manif, le jour du muguet. Moi et Mamie on te l'a apprise. Tu t'en souviens ? Tu vois, la tente, là-bas, où tout le monde est en train de déjeuner ? Tu vas chanter la chanson très très fort, devant eux, et après tu reviens. Et tu y mets du cœur, hein ! » Et voilà l' Internationale qui résonne dans le camping, « danettes de la terre » et « foule exclave debout ! » comprises. La môme cherche pas son reste et radine, courant et hurlant de rire en revenant. Je pense qu'on a atteint le summum de l'intelligence politique, là. En même temps, elle y a mit tellement de conviction, on a plus entendu de Marseillaise depuis ce moment. Une Hollandaise qui campe dans notre allée me salue d'un poing levé et d'un clin d'oeil quand je vais aux sanitaires. Jour 6 : Visite pédagogique. « Je te préviens, on est pas venu en Ardèche pour faire les morses sur les galets tous les jours ! Visite de grottes obligatoire ! », qu'elle m'a dit. Parc un peu miteux, avec des dinosaures factices, et des reconstitutions de scènes préhistoriques, qui incluent Néanderthal et Sapiens réunis au coin du feu. Une jeune mère de famille accompagné de ses 3 enfants contemple la même scène que nous. Un de ses gosses lui demande « Pourquoi qu'ils ont la peau toute marron ceux-là ? ». « Ben, c'est parce qu' ils sont sales, chaton. » OK. Autant pour moi. Je croyais que c'était parce qu'ils venaient d'Afrique. Un peu comme moi, quoi. Jour 7 : Apothéose de la bougnoulisation de mes vacances de M. Dupont. Depuis ma cabine de douche, j’entends un groupe d’ados faire des blagues sur un mode « petit nègre », accent pittoresque, propos graveleux, rires aux éclats. Allez, pas grave, hein. Chaque jour n’est pas une lutte, faut survivre un peu. Je sors, digne, dans ma serviette, je passe la raclette dans ma douche. J’indique que la cabine est disponible. La jeune fille du groupe d’adolescents répond « Ah non, moi je vais pas dans cette douche-là, hein ! ».


Désolé, mes petits chéris, vous allez prendre pour tout le monde. Leçon de morale, altercation. « Tu ferais des blagues sur Auschwitz dans les douches, là ? Devant des gens que tu ne connais pas ? Si c'est la même chose ! Tu fais pas des blagues racistes entre petits blancs ici ! Et toilà ! Moi y en a propre, moi y en a pas chié dans la douche, tu peux la prendre ta putain de douche. » « On disait pas ça à vous en particulier ». « Encore heureux, sinon je t'aurais défoncé à coups de poings, ramené à ton père, et lui aussi je l'aurai défoncé. Compris ? » Et merde, merde, merde, je dérape. Heureusement qu'on se casse aujourd'hui. Trajet sans fin, bouchons, route nationale coupée, déviation, mais oui, on va s'arrêter prendre ton goûter, de toute façon Maman doit prendre l'air, tu la vois, là, elle va exploser. Vivement la rentrée.


7. Entretiens glanés. Angela Davis « Vous évoquez souvent la force du collectif et misez sur les mouvements sociaux plutôt que sur des individu.es isolé.es. Comment peut-on construire un mouvement fondé sur cette éthique dans une société qui ne cesse d’encourager l’égoïsme et l’individualisme ? Avec l’émergence du capitalisme mondialisé et des idéologies associées au néolibéralisme, il est devenu particulièrement important de mesurer les dangers de l’individualisme. Les luttes progressistes – qu’elles se concentrent sur le racisme, la répression policière, la pauvreté ou d’autres problématiques – sont vouées à l’échec si elles ne dénoncent pas la mise en avant insidieuse de l’individualisme capitaliste. Même si Nelson Mandela a toujours dit que son œuvre était le fruit d’un travail collectif qu’il fallait mettre au crédit des hommes et des femmes qui luttaient à ses côtés, les médias ont tout fait pour le sacraliser et le présenter comme un héros. On a cherché, par un processus analogue, à dissocier Martin Luther King du grand nombre de femmes et d’hommes qui constituaient le cœur du mouvement pour les droits civiques. Il est essentiel de s’opposer à cette représentation de l’histoire qui se focalise sur l’action de quelques figures isolées : c’est la condition pour qu’on puisse prendre conscience aujourd’hui de notre propre force au sein d’une communauté de lutte toujours plus large. (...) Vous avez récemment donné à Londres une conférence à propos de la Palestine, du G4S (Group 4 Security, la plus grande société de sécurité privée au monde) et du système industrialo-carcéral. Pouvez-vous nous dire ce qui relie ces trois thèmes ?


Sous prétexte de sécurité, et pour répondre aux politiques sécuritaires mises en œuvre par les Etats, G4S s’est insinuée dans la vie des citoyens du monde entier, et tout particulièrement en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et en Palestine. Il s’agit de la troisième plus grande compagnie privée du monde après Walmart et Foxconn, et du plus grand employeur du secteur privé sur le continent africain. Elle a su tirer profit du racisme, des politiques anti-migratoires et des technologies de répression en Israël comme dans le reste du monde. G4S est ainsi directement responsable de ce que subissent les Palestiniens en matière d’incarcération de masse. G4S est également impliquée, d’une manière ou d’une autre, dans le mur de l’apartheid en Palestine, les prisons en Afrique du Sud, l’organisation carcérale de certaines écoles aux Etats-Unis et le mur de séparation de la frontière américano-mexicaine. Nous avons eu la surprise d’apprendre lors de cette conférence londonienne que G4S gérait maintenant en Grande- Bretagne, des centres d’aide aux victimes d’agressions sexuelles. A quel point le complexe industrialo-carcéral est-il rentable ? Vous dites souvent que c’est « une forme d’esclavage moderne ». Le complexe industrialo-carcéral mondial est en constante expansion, comme le montre l’exemple de G4S. Par conséquent, on peut supposer que ses profits augmentent. Ce secteur inclut dorénavant non seulement des établissements pénitentiaires publics et privés (les prisons publiques, davantage privatisées qu’on ne pourrait l’imaginer, sont de plus en plus soumises à des exigences de rentabilité), mais aussi des établissements pour mineurs, des prisons militaires et des centres d’interrogatoires. Par ailleurs, le secteur le plus rentable de l’industrie carcérale privée est constitué de centres de détention pour migrants. On comprend dès lors pourquoi la loi anti-immigration la plus répressive des Etats-Unis a été rédigée par des sociétés pénitentiaires privées avec l’intention non dissimulée de maximiser leurs profits. (...)


Dans une scène de The Black Power Mixtape, un documentaire sur les Black Panthers et le mouvement Black Power sorti il y a quelques années, un journaliste vous interroge depuis la prison où vous êtes incarcérée et vous demande si vous approuvez l’utilisation de la violence. Vous répondez alors : « Vous me demandez si j’approuve la violence ?! Cela n’a aucun sens. » Pouvez-vous nous donner quelques explications sur cette scène ? Ce que j’essayais de dire, c’est que cette question sur la légitimité de la violence aurait plutôt dû être posée aux institutions qui avaient, et ont toujours, le monopole de la violence : la police, les prisons et l’armée. J’ai expliqué à ce journaliste que j’avais grandi dans le sud des Etats-Unis à une époque où le Ku Klux Klan était autorisé par le gouvernement à se livrer à des attaques terroristes contre les communautés noires. J’étais alors en prison – accusée à tort de meurtre, de kidnapping et de conspiration -, j’étais devenue une cible privilégiée de la violence institutionnelle, et j’étais celle à qui l’on demandait si j’approuvais la violence ? C’est quand même curieux. Ce que j’essayais de dire aussi, c’est que la lutte en faveur d’une transformation révolutionnaire de la société ne s’attarde pas sur la question de la violence, mais s’attaque avant tout à des questions de fond qui visent de meilleurs conditions de vie pour les personnes pauvres et non blanches (people of color). (...) Pour en revenir à votre réponse à ce journaliste au sujet de la violence : ce que vous dites dans ce documentaire m’a fait penser à la Palestine. La communauté internationale et les médias occidentaux ne cessent de demander, comme condition préalable à toute discussion, que la résistance palestinienne mette fin aux actes de violence. Comment expliquez-vous la popularité de ce discours qui veut que ce soit les opprimé.es qui garantissent la sécurité des oppresseurs ? Mettre la question de la violence au premier plan permet de dissimuler les enjeux qui sont au cœur des luttes émancipatrices. Ce fut déjà le cas en Afrique du Sud durant la lutte contre l’apartheid.


Il est intéressant de noter à cet égard que Nelson Mandela – qui a été sacralisé comme le plus grand défenseur de la paix de notre époque – a été maintenu sur la liste noire des terroristes, aux Etats-Unis, jusqu’en 2008. Les véritables enjeux de la lutte pour la libération de la Palestine sont ainsi minimisés et occultés par ceux qui essaient de nous faire croire que la résistance palestinienne à l’apartheid israélien équivaut à du terrorisme. (...) Plus de cinquante ans après Martin Luther King et Malcolm X, les communautés noires et latinos sont toujours prises pour cible. Cela signifie-t-il que le mouvement pour les droits civiques a échoué, ou bien doit-on considérer qu’il s’agit d’un combat permanent ? Le recours à la violence d’Etat contre les Noir.es et les personnes non blanches en général remonte à une époque bien antérieure au mouvement des droits civiques : à l’époque de la colonisation et de l’esclavage. Au cours de la polémique médiatique qui a entouré l’affaire Trayvon Martin, on a fait remarquer que George Zimmerman, en tant que pseudo-policier – ou vigilante si vous préférez utiliser cette expression -, reproduisait la fonction des patrouilles de surveillance d’esclaves d’autrefois. On faisait alors appel à des représentants de l’Etat armés mais également à des civils pour exercer la violence d’Etat, tout comme aujourd’hui. La période du mouvement pour les droits civiques ne marque donc pas la fin du combat, et il nous faut admettre que ce mouvement n’a pas pu faire disparaître des pratiques dont l’origine remonte à l’esclavage. Nous n’avons peut-être pas à subir les lynchages et la violence du Ku Klux Klan de la même manière qu’autrefois, mais la violence d’Etat, la violence policière, la violence militaire sont loin d’avoir disparu. Le Ku Klux Klan lui-même continue de sévir en partie. Je ne pense pas que cela signifie pour autant que le mouvement pour les droits civiques a échoué. Son héritage est au contraire remarquable : il a mis fin à la discrimination juridique et au système de ségrégation. Les conquêtes sont réelles, et il ne faut pas sous-estimer leur importance.


Malheureusement, on croit souvent qu’éliminer le dispositif juridique sur lequel repose en partie le racisme revient à le faire disparaître. Mais le racisme persiste au sein d’un cadre légal. Le racisme est toujours une réalité sur le plan économique. Le racisme se rencontre à tous les niveaux des plus grandes institutions – y compris l’armée, le système de santé et la police. On ne peut pas éradiquer le racisme tant qu’il est si profondément ancré dans la structure de notre société. C’est pourquoi il est important de développer une analyse qui va au delà de la simple dénonciation d’actes individuels racistes : nous ne pouvons plus nous contenter de poursuivre en justice des coupables isolés. (...) Il faut donc redoubler d’efforts. Mais comment s’y prend-on ? Comment fait-on pour rallier les hommes à la lutte pour l’émancipation des femmes, et pour rallier les blancs à la lutte contre le racisme, et pour l’émancipation des personnes non blanches ? Nous devons sortir d’une approche identitaire trop étroite si nous voulons encourager les franges progressistes à accepter tous ces combats comme les leurs. Pour ce qui est des luttes féministes, c’est aux hommes qu’il revient principalement de faire des efforts. Je vois le féminisme non pas comme un courant de pensée fondé sur notre corps sexué, mais plutôt comme une approche théorique, une façon de conceptualiser les choses, une méthodologie qui permet d’orienter stratégiquement nos luttes. Ce qui veut dire que le féminisme n’appartient à personne en particulier. Le féminisme n’est pas monolithique. En tant qu’enseignante, je constate d’ailleurs que les hommes se spécialisent de plus en plus dans les études féministes, ce qui me paraît constituer une évolution positive. Au sein du mouvement anti-carcéral, je constate que de nombreux jeunes hommes adoptent une perspective féministe. Mais comment garantir que cette évolution va se confirmer ? Il faut évidemment y travailler. Aussi bien les hommes que les femmes – et les personnes trans – doivent agir dans ce sens. Je ne pense pas pour autant que les femmes doivent inviter les hommes à participer à leurs combats.


Il s’agit plutôt d’encourager une certaine prise de conscience afin que les hommes les plus progressistes sachent qu’il est de leur responsabilité de rallier d’autres hommes à la cause féministe. Les hommes peuvent parfois convaincre d’autres hommes plus efficacement. Il est important que ceux que nous voudrions associer à nos luttes puissent avoir des modèles. Qu’est ce que cela signifie de s’inscrire en tant qu’homme dans la lutte féministe ? A l’occasion d’une conférence que j’ai donnée dans le cadre du Black History Month à l’université du Sud de l’Illinois, à Carbondale, j’ai rencontré un groupe de jeunes gens membre d’une association qu’ils appellent Alternative Masculinities (« Masculinités alternatives ») qui m’ont beaucoup impressionnée. Ils collaborent avec un centre pour femmes victimes de viol. Ils sont véritablement engagés dans un militantisme qu’on suppose généralement réservé aux femmes. Cela m’a remémoré l’existence, dans les années 1970, d’un petit nombre d’associations masculines qui luttaient contre le viol et les violences conjugales – Men against Rape, Black Men against Rape, Against Domestic Violence. Je me rappelle avoir pensé à l’époque que ce n’était plus qu’une question de temps avant que ces luttes ne trouvent un écho beaucoup plus large chez les hommes, mais ça ne s’est jamais vraiment réalisé. Au fond, ces jeunes d’Alternative Masculinities devraient constituer la norme aujourd’hui. Cependant, cela ne se fait pas tout seul. Les changements ne se produisent pas automatiquement. Il est nécessaire de prendre des initiatives qui vont directement dans ce sens. (...)


« (...) Comment faire alors pour empêcher que les figures de l’Histoire soient présentées comme des individus extraordinaires – des individus mâles extraordinaires - , et révéler enfin le rôle joué par les femmes, et notamment les employées de maison noires au sein du mouvement de libération ? Ce n’est pas grâce à l’action des leaders des mouvements de contestation, des Présidents et des législateurs que les régimes marqués par la ségrégation raciale ont été renversés, mais parce que des citoyens et des citoyennes ordinaires se sont mis à porter un regard critique sur leur situation et la manière dont ils la percevaient. Des réalités sociales qui paraissaient jusque-là immuables et infranchissables ont été soudain considérées comme réformables et transformables. Les gens ont appris à imaginer ce que pourrait signifier le fait de vivre dans un monde qui ne serait pas exclusivement gouverné par le principe de la suprématie blanche. (...) » (...) « (...) Pourtant, quand Michael Brown a été tué à Ferguson, le mouvement de protestation a refusé de se dissoudre. La police a utilisé des technologies et des tactiques militaires pour maîtriser les manifestant. es qui ont, malgré tout, refusé de se soumettre. Les Palestiniens.nes, habitué.es à affronter les policiers munis de gaz lacrymogènes, leur ont été envoyés via Twitter des conseils et des encouragements. Et quand la rage de certain.es les a poussé.es à riposter d’une manière qui aurait pu s’avérer contre- productive, le mouvement n’a pas capitulé pour autant et, encore une fois, les manifestant.es ont refusé de se disperser. Et quand un certain nombre de personnalités en vue ont demandé : « Mais où sont les leaders ? », il leur a été répondu que ce n’était pas un mouvement sans leader, mais un mouvement « entièrement composé de leaders ». (...)


« La campagne pour les droits civiques, au milieu du XXe siècle, a été un mouvement essentiel de notre combat pour l’égalité raciale. Il reste cependant indispensable d’adopter un langage qui aide à comprendre que les droits civiques n’ont jamais été et ne seront jamais une fin en soi. Une telle analyse pourrait être utile à ceux et celles, notamment qui célèbrent la décision rendue hier par la cour suprême sur l’égalité du mariage comme si la dernière étape de l’émancipation était enfin atteinte pour la communauté LGBTQ. Cette décision est en effet historique, mais le combat contre la violence d’Etat homophobe, ou pour l’obtention de droits économiques et l’accès aux soins de santé, par exemple est malheureusement loi d’être terminé. J’ajouterai également que l’intersectionnalité des luttes contre le racisme et contre l’homophobie et la transphobie ne doit pas être minimisée. C’est là une condition pour que nos luttes émancipatrices obtiennent des victoires substantielles. C’est une raison supplémentaire pour laquelle il me paraît essentiel de développer un discours plus riche et plus critique pour exprimer notre point de vue sur le racisme. (...) «Les évènements de Ferguson nous ont ainsi appris que certains problèmes locaux pouvaient avoir des ramifications mondiales. La militarisation de la police à Ferguson et les conseils postés sur Twitter depuis la Palestine nous ont aidés à saisir un certain nombre de convergences politiques avec le mouvement « Boycott, désinvestissement, sanctions » et le combat plus large pour la justice en Palestine. Cela nous a également amené.es à comprendre le rôle central de l’islamophobie dans l’émergence de nouvelles formes de racismes après le 11 septembre 2001. Une compréhension plus profonde de la violence raciste nous prémunit ainsi contre les formules trompeuses. Quand on essaie de nous faire croire que ce qu’il nous faut, c’est une meilleure police et des prisons plus efficaces, nous devons contre-attaquer et exprimer nos besoins réels : ce qu’il nous faut, c’est réinventer l’idée même de sécurité, ce qui implique de mettre fin aux formes de maintien de l’ordre et d’incarcération que nous connaissons actuellement.


Disons-le : il faut démilitariser la police et il faut la désarmer. Il faut abolir l’institution de la police telle que nous la connaissons. Il faut abolir l’emprisonnement comme principal moyen de châtiment. Et même, en posant tout cela, nous aurons à peine commencé à donner à voir la vérité de la violence (... ) ». (...) « Quant aux luttes LGBT, il n’est pas uniquement question du mariage sur lequel, je ne sais pas pourquoi, tout tend aujourd’hui à se focaliser. Vous savez, il est possible que la question de l’égalité du mariage soit importante sur le plan des droits civiques, mais il est nécessaire d’aller plus loi : notre tâche ne consiste pas à appliquer les normes hétéronormatives à toute personne qui s’identifie à la communauté LGBT. D’ailleurs, il faut se souvenir qu’une des discussions les plus stimulantes à avoir animé le mouvement pour les droits des homosexuel.les s’est joué pendant sa phase féministe, et elle concernait sa critique du mariage – l’institution du mariage a, en plus, été utilisée sur le plan idéologique pour opprimer les Noir.es pendant l’esclavage (et jusqu’à aujourd’hui) – souvenez-vous quand Bush a affirmé que ce dont les gens avaient besoin, c’était de se marier ? Comme si les personnes noires démunies n’avaient besoin que d’une chose, de se marier, pour que tous leurs problèmes disparaissent ! Quand je parle de « critique du mariage », il ne s’agit pas de remettre en cause des rapports intimes et des liens affectifs, ni l’attachement que l’on peut ressentir envers la personne avec qui nous aimerions passer notre vie. Il ne s’agit pas de cela, mais de l’institution du mariage en tant qu’institution conçue pour garantir la reproduction du capital. Notre activité militante doit aussi mettre en œuvre des stratégies permettant de contrer l’islamophobie et la xénophobie : défendre, par exemple, la communauté musulmane, qui est gravement menacée par les tentatives d’amalgames entre l’Islam et le terrorisme. L’islamophobie tue, même au sein des communautés qui n’ont rien a voir avec l’islam : des Sikhs, par exemple ont été assassinés parce que pris à tort, à cause de leur turban, pour des musulmans. Comme je l’ai dit précédemment, les droits des migrant.es constituent un enjeu majeur et dépassent largement la question du Dream Act et de l’obtention de la citoyenneté.


Il s’agit de considérer mieux ceux et celles dont la force de travail fait en grande partie tourner l’économie : ouvriers agricoles, travailleurs domestiques, etc., c’est-à-dire les emplois autrefois occupés par les Noir.es. C’est à considérer comme un nouveau chapitre des luttes de libération noires. Angela Davis


8.Appel à la dégradation. Il y a, les mouvements figés, les gestes qui se répètent, toujours- même. Ceux du travail, ceux du quotidien, ceux de la manifestation, ceux du militantisme ou de l’activisme, parfois jusqu’à ceux de l’intime. Comme si il s’agissait d’une automatisation, d’une mécanisation-même des gestes et des mouvements. Dans les luttes, un mouvement, un geste, un trope fonctionne comme idéal et éternel retour du même, l’idée de révolution. Les révolutions sont des mouvements rotatifs. Des mouvements qui retombent sur leurs pieds, pieds créés de toute pièce par les pouvoirs qui traversent chacun de nos corps et de nos têtes. Les révolutions sont des tentatives d’explosion, pour, sur des cendres à peine-cendres, re-fonder déjà un autre système, souvent sur les mêmes bâtis, souvent sur peu ou prou les mêmes normes, les mêmes règles, les mêmes lois. Sur la même idée d’éthique et de morale, d’universel et de vérité. La révolution n’est qu’un instant, elle n’est jamais dans une durée suffisante pour atteindre son but. Rendre impossible l’usage du temps précédent, du système précédent. Réduire un système, construire un système. Au contraire face aux têtes mortes... la dégradation, quand elle est permanente, rend progressivement inutilisable les systèmes du connu. La dégradation est ce moment d’une infamante destitution, d’une métaphysique vitale, d’une diminution morale et d’une action qui cause un dommage, qui rend quelque chose inutilisable, qui rend l’usage impossible.


Rompre avec la morale et l’éthique, dégrader jusqu’à ce plus rien ne soit utilisable du système, du fonctionnement, voilà ON luttes. On veut changer le rapport au temps, à la durée à l’espace. Faire temps, durée et espace. Faire mouvement toujours pour et toujours contre. Rendre sa puissance à la puissance d’agir. À la révolution, on préfèrera la dégradation permanente, de tout et en toute chose. Dans les têtes et dans les corps, dans les habitudes et dans l’ennui, dans le monde et dans la vie comme elle va, dans la médiocrité du réel, dans les « petits gestes du réel ». Au, on fait quoi? Être, innommable, indésirable, ingouvernable, inopportun, dégradant. Toujours dégradant. Abandonner, révolution et lendemains qui chantent, radicaliser tout, dégrader tout, sujet, égo, individualité, ipséité en premier. Abolir le normal, toute idée même de normalité. On veut dégrader, dégrader sans cesse. Mort à la révolution, vive la dégradation permanente! Vive la communeS!


9. L’émeutier et la sorcière. Longtemps j’ai cherché à nommer, comme d’autres, ce qui me semblait – et me semble aujourd’hui encore – spécifique dans les émeutes des quartiers populaires qui ont agité la France durant les mois d’octobre et novembre de l’année 2005. La mort de deux jeunes à Clichy-sous- bois, en région parisienne, avait provoqué à l’époque un embrasement sans précédent des banlieues de plusieurs grandes villes de l’Hexagone, portant l’évènement en Une de la presse nationale et internationale. Si les circonstances tragiques du décès de ces adolescents, poursuivis par la police, venaient renforcer un motif tristement récurrent dans l’histoire contemporaine de l’émeute, s’attarder quelque peu sur la nature particulière de cet évènement me semblait nécessaire pour étudier sa dynamique, son vocabulaire propre et peut-être, c’est l’hypothèse qui traverse cette ébauche, son appartenance à une histoire innommable. Comment saisir ce surgissement ? Et plus encore le recevoir ? Comment faire corps avec lui et en recueillir le savoir ? Poser l’émeute comme principe secret de transmission et non comme rupture d’un ordre social établi était alors la base de mon projet. Essayer par là-même de considérer des régimes multiples et simultanés de l’Histoire dont l’émeute serait un moment fugace de perception, aperçu par un trou dans l’écran des récits dominants. En cela, il me semblait nécessaire de relier les émeutes de 2005 à une certaine conception de l’histoire coloniale – un trafic des noms – dont je me dois ici d’éclairer le chemin tortueux qui propose un usage particulier de la sorcière. S’il m’a fallu un certain temps pour donner corps à quelques hypothèses relatives à ces émeutes, ce n’est pas du fait de la nature proprement sidérante de leur apparition, mais bien parce qu’il me semblait nécessaire – et il a été longtemps difficile de le faire entendre – de s’intéresser de plus près au corps de l’évènement lui-même, à ce qui s’y passe ; ce qui a été souvent assimilé lors de discussions passionnées à une fascination malsaine pour la violence voire à un manque de compassion pour la souffrance sociale dont l’émeute serait l’évidente manifestation.


Dans les faits, les outils critiques convoqués pour saisir ces troubles opèrent tous, quels qu’en soient les objectifs et les obédiences d’une mise à distance de l’évènement lui-même, de ce qu’il contient comme sens propre. Dans ce contexte précis, placer l’émeute au bout de la chaîne d’un schéma sociologique éprouvé, comme point culminant des exaspérations populaires, n’est pas suffisant. L’imaginer comme geste proto-politique – c’est-à-dire comme parole inarticulée à partir de laquelle il s’agirait de produire un savoir et un discours a posteriori – c’est faire économie de l’expérience immédiate qu’elle propose, c’est ignorer le monde muet et invisible que ce moment particulier permet d’apercevoir et dont les corps des jeunes habitants des quartiers populaires seraient les plaques sensibles. Les acteurs dominants de la société – les hommes politiques en premier lieu – s’empressent cependant de refermer l’évènement, de le traiter comme le symptôme d’un corps malade auquel chacun administre ses remèdes. La difficile médiation de l’évènement nous heurte, comme l’opacité qu’il oppose aux analyses à distance et l’engagement du corps qu’il réclame pour accéder au savoir. Son statut de performance forme un régime d’intelligence parallèle qui retient ici toute notre attention – nature toute autre que celle de la manifestation, nous le verrons plus loin, même si une analyse plus fine restera à développer à l’endroit de certains aspects les plus radicaux du carnavalesque qui contiennent eux aussi des promesses de transfiguration du quotidien dans un registre transgressif. Bien sûr comme souvent, du côté conservateur de l’échiquier politique, ces émeutes n’ont pas laissé indifférent. Les exercices de l’insulte dont certains sont devenus salariés ont rempli la scène médiatique, allant chercher dans des foyers démissionnaires et polygames, dans des soussols où se côtoient tournantes et prières islamiques, le scénario d’une fiction contemporaine dont les liens avec les mythes coloniaux doivent nous alerter. Ainsi les désordres nocturnes de ces « sauvageons » ne manqueront pas d’alimenter notre réflexion qui commence par l’endroit le plus problématique et le plus prolifique de l’évènement : ce qu’il contient d’innommable.


De l’innommable. L’émeute appartient par définition à une catégorie d’évènements difficiles à nommer. Elle surgit sans prévenir. En cela, elle s’éloigne radicalement des principes de la manifestation qui dans sa forme contemporaine s’est muée en un dispositif prédéfini d’annonces : parcours, mots d’ordre, fréquentation. L’émeute se soustrait en tous points à ce type de mobilisation – autant dans sa forme que dans l’horizon abstrait de la lutte. La tentation est grande de la subordonner alors à des principes de causalité et à ainsi l’organiser selon des catégories signifiantes – émeutes de la faim, émeutes anti-gouvernementales... Mais même dans cette économie de pensée, « l’émeute de banlieue » reste une définition sans épaisseur et le terme de « révolte des quartiers populaires » une fantasmagorie qui tente de juguler le vide que creuse justement cette situation particulière dans le sens commun. L’émeute (s’)échappe. Elle apparaît sans prononcer son projet et disparaît sans laisser de trace. Nul discours ne la précède et dans le registre qui nous intéresse ici, nulle revendication ne s’y prononce. À ce moment de l’analyse, il est peut-être nécessaire de nous concentrer sur cette absence, cette stratégie du vide qui contraste avec la puissance visuelle que convoque l’évènement. S’il semble possible de souligner une dimension particulière des révoltes de banlieue depuis le seuil des années 80 dans l’histoire contemporaine des émotions populaires, c’est qu’ici l’évènement dans sa forme fait directement écho aux populations innommables qui en sont les acteurs et c’est pour cette raison qu’il est indispensable de replacer cette situation dans une perspective coloniale pour lui donner une nouvelle épaisseur. Comme je l’ai souligné dans des textes précédents, l’acte de nommer est l’un des protocoles du projet colonial qui me semble des plus significatifs. Nommer est une manière de faire sortir des ténèbres, de mettre en lumière, de rendre intelligible quitte à nommer par-dessus. On se rappellera que des périodes coloniales les plus anciennes aux épisodes les plus récents, la disparition des noms du colonisé – des territoires, des rues comme des personnes – compose en soi un mode de domination et la renomination un principe de saisie.


Qu’il s’agisse de la transmission patronymique du maître vers l’esclave affranchi ou de l’escamotage des noms dans l’état civil de l’Algérie française, pour ne citer que deux exemples, il convient d’apercevoir ici une entreprise complémentaire de celle du projet moderne du colonialisme qui repousse par ailleurs les savoirs, les pratiques et les formes de vie du colonisé dans l’obscurité du primitif. Ce n’est pas tout à fait un hasard si l’on retrouve des décennies plus tard ce peuple qui n’a pas de noms au cœur des émeutes. « Jeunes de banlieue », « enfants issus de l’immigration », « racailles », « sauvageons », nombreux sont les termes qui expriment la difficile capture par les mots de ceux dont le destin tragique prolonge cette histoire innommable. Il conviendra de prolonger l’analyse de la constitution de la communauté abstraite des « jeunes de banlieue ». Tout en notant que cette catégorie ne recouvre globalement pas une réalité stable – tous les jeunes qui habitent en banlieue ne sont pas des « jeunes de banlieue » – on s’intéressera à la constitution de ce groupe minoritaire dont l’émeute peut-être considérée comme l’un des rites d’identification. Si elle est largement alimentée par les fantasmes et les préjugés discriminatoires, si ses frontières sont floues, on ne pourra faire l’économie du constat que l’identité « jeunes de banlieue » forme une partition effective au cœur de la jeunesse, de celle qui vient « gâcher » les manifestations les plus légitimes – comme celle qui s’opposa il y a quelques années au CPE, par exemple. On gardera aussi à l’esprit que l’émotion suscitée par la mort des jeunes de Clichy-sous-bois consolida de façon plus évidente une communauté de destins tragiques – selon un principe d’identification – qu’elle ne suscita l’indignation de la société française dans sa globalité à l’endroit du meurtre d’enfants. Il ne s’agit plus de jeunes – figures sacrés de la République – mais bien de ces jeunes- là. Notons que la séparation de ce groupe particulier du reste de la société ouvre comme pour les sorcières la possibilité d’appliquer des lois d’exception.


Ainsi se forge le début des traits communs à nos deux figures d’étude – l’émeutier et la sorcière – dont la déliaison sociale se traduit invariablement par la fabrique d’un nom par défaut et une disqualification des pratiques cachées au service d’une société de la surveillance qui place paradoxalement le visible au centre de son propre dispositif de dissimulation. Le théâtre des émeutes de 2005 en se situant au cœur des quartiers populaires – au contraire des émeutes dans les centres-ville de la Capitale, par exemple – conclue la définition d’une situation particulière qui brille pour sa part par son régime d’absence : des hommes qui n’ont pas de noms, acteurs d’une situation qu’on ne saurait nommer dans un lieu sans qualité – qui échappe totalement au statut de ville. L’émeute de/en banlieue est un jeu de soustraction, son principe actif est une extrême tension vers un moment qui s’échappe du régime du dicible et en même temps – et ce n’est pas le moindre des paradoxes de son écho médiatique – de celui du visible. Si nous revenons maintenant à la manifestation, nous voyons combien l’écart est remarquable avec les principes qui président à l’émeute. Nous l’avons dit, cette dernière ne répond à aucune forme de mobilisation militante, c’est-à-dire à aucune projection dans un horizon au-delà de l’évènement lui-même. Pour reprendre le motif proposé par Philippe Pignarre et Isabelle Stengers, il s’agit plus d’une recette que d’une théorie, c’est-à-dire plus d’une pratique que d’un projet. Ce qui a notamment des conséquences sur sa forme, son dess(e)in. Là où la manifestation contemporaine est un cortège, un parcours d’un point symbolique à un autre, une prise de la ville qui en emprunte cependant les principes urbains les plus significatifs – en épousant notamment le tracé des avenues – l’émeute déchire littéralement la ville. C’est une striation au sens de Deleuze et Guattari qui dessine comme jadis les skatters – d’avant les skateparcs – des trajectoires invisibles dans le motif urbain. Un évènement informe qui échappe à la réification même s’il s’inscrit dans le rituel et convoque ainsi le répertoire des malices et des savoirs illicites accumulés par une communauté provisoire reliée par une dynamique transgressive. Là où la manifestation propose un rapport de force guerrier, une ligne de front où le nombre produit le sens comme la légitimité, l’émeute s’enfuit sans cesse de la réification, elle n’avance pas et ne va nulle part.


Elle oppose au rapport de force un principe d’inquiétude par soustraction des corps. Elle fait littéralement le vide et occupe volontiers le territoire de la nuit, espace du fantasme et de la transgression. Il faudra s’étendre plus qu’il n’est possible dans ce contexte sur toutes le conséquences de ce penchant nocturne qui relie significativement l’émeute de banlieue à des rituels de magie et retourner ainsi notre lecture du corps invisible qu’elle met en scène. Notons dès à présent que l’émeute n’offre aucune prise, ni dans ses formes ni dans ses mots et encore moins à l’endroit de ses acteurs dont la furtivité est peut-être la caractéristique qui les inscrit le plus significativement dans le contemporain. Et c’est donc à un spectacle paradoxal que nous ont invités les ouvertures de journaux télévisés et les Unes de la presse. Pendant des semaines, l’émeute a rempli l’écran de son vide. Que voyons- nous ? Des feux dans la nuit, des jeunes insaisissables et sans visage, des corps agiles qui disparaissent à souhait dans l’obscurité ou derrière des écrans de fumée selon des recettes pour s’évaporer dont nous ne savons rien. Quelque chose qui se refuse à la prise mais qui crée un piège fascinant d’inquiétude. Une possession. Comme tout rituel magique, l’émeute est un moment fugace de perception de l’invisible. Elle correspond à un instant d’intensification, à une charge. Soudain s’élève le niveau de perception et nous voyons, comme surgissant de nulle part, un autre espace social avec ses connivences, un moment où s’agrège tout ce qui a été produit en secret, pratiques illicites comme celles des sorcières dont le mode de transmission – comme dans tout rituel – s’inscrit d’abord dans une pratique, une performance. Il faut engager son corps pour recevoir cette connaissance qui ne se prononce pas. À se tenir en dehors, on ne comprend littéralement rien. C’est une pensée par l’expérience. Comme le rite vaudou révèle la nuit venue l’étonnante pulsation d’un autre monde tu et dissimulé le jour, l’émeute n’est pas ainsi une rupture mais comme nous essayons ici de l’imaginer, une communauté secrète qui se révèle brièvement avant de retourner à son anonymat. Le corps fantomatique de ces jeunes encapuchonnés est ce corps anormal qui comme l’enfant hippopotame du récit de Tobie Nathan nous avertit qu’un autre monde existe, au-delà du visible. À l’autiste de Nathan comme au jeune de banlieue on réserve cependant la même mise à l’écart car il ne nous dit rien, rien qui puisse trouver sa place dans notre système de pensée.


C’est pourtant à cette singularité qu’il me semble urgent de faire une place. Du devenir sorcière. Pour venir maintenant à cette idée de sorcière, il me faut repasser par la proposition de Philippe Pignarre et Isabelle Stengers de déclarer le capitalisme « système sorcier sans sorciers ». Y revenir pour peut-être en déplacer quelque peu la perspective. « La sorcellerie capitaliste » de Pignarre et Stengers est littéralement un exercice de désenvoûtement. Nommer les principes et les acteurs d’un système sorcier qui littéralement nous agit. « Afin de dramatiser le “nous ne savons pas”, nous avons pris le risque de nommer le capitalisme “système sorcier sans sorciers”. Il s’agit d’un nom, pas d’une théorie. Nommer est un acte qui suscite la pensée et le sentir – c’est pourquoi nous ne sommes pas prêts d’abandonner le nom “capitalisme” – et en l’occurrence il s’agit de tenter de susciter un rapport attentif – il faut toujours être attentif lorsqu’il y a opérations sorcières – à toute référence naturelle, légitime fondant un jugement qui trie, c’està-dire à tous les types de “nous savons” que suppose le tri. » Le principe magique que décrivent les auteurs à l’endroit du capitalisme est de l’ordre de l’emprise spécifique qu’il exerce et du talent qu’il développe à contourner les objections et les attaques, en combattant sans faire front, en contraignant sans laisser prise. Leur perspective est d’apprendre à se protéger en tentant d’identifier ce qui nous rend vulnérables à cet ensorcellement et en le nommant. Je voudrais reprendre à mon compte cette idée en la retournant, considérant que l’une des parades à ce système capitaliste pourrait bien être de se situer dans l’innommable, c’est-à-dire de résister comme il le fait lui-même à la saisie en développant des pratiques qui échappent à ce désenvoûtement, pratiques opaques, opérations multiples et sans tête, transmissions du savoir, de la ruse et des recettes à ses pairs sans passer par un mode déclaratif mais en restant dans celui d’un rite impliquant une co-présence des acteurs qui performent une communauté.


C’est dans ce régime que je me propose de penser la puissance particulière des émeutes comme celles de l’année 2005 et d’inscrire ses auteurs dans un devenir sorcière. Pourquoi préférer le terme sorcière à celui de sorcier ? D’abord parce que le sorcier est un titre inscrit dans l’ordre social. Au côté du chef, il est l’intercesseur privilégié entre le visible et l’invisible, le dépositaire des médecines et des rites. Il n’en va pas de même avec la sorcière. Le déplacement vertigineux que provoque ici le passage d’un genre à un autre est un phénomène qui vaudrait à lui seul une longue étude. Retenons ici que le terme sorcière n’est pas un titre mais bien une tentative de saisie par un pouvoir de ce qui lui échappe. Ce qui échappe à l’ordre social et sexuel – la femme qui vit seule – mais aussi à l’économie capitaliste – le retrait, l’automédication, l’autogestion, la culture de subsistance. Ainsi à celle qui se tient hors de portée de la saisie capitaliste, on jette un sort en même temps que l’opprobre en en faisant une sorcière, un être malveillant comme on fait le récit des terribles mœurs des « sauvages » d’hier et d’aujourd’hui. Aussi le devenir sorcière s’inscrit comme expression invariable de la marginalité innommable. On dira que « ce jeune homme est devenu sorcière » pour exprimer sa force insaisissable, son pouvoir insondable mais peut-être aussi son extrême solitude, son détachement définitif du corps social majoritaire. On créera ainsi un invariable féminin, manière de proposer un premier outil à l’immense chantier que présuppose une Histoire de l’innommable. Au contraire donc du mot sorcière qui apparaît comme disqualification et à la fois capture de celle qui échappe, le devenir sorcière que nous proposons n’est pas une saisie. Nous ne fixons ici aucun objet. Il s’agit plutôt d’un mouvement, sans idéologie, un mouvement de pratiques, de recettes dont on aura compris qu’elles convoquent et sollicitent un corps échappé du conformisme. Adresser ce devenir sorcière à l’endroit des émeutiers de banlieue partant du principe que leurs manifestations (nous) échappent est propre à jeter un trouble. Mais c’est bien de ce trouble dont nous cherchons à traduire l’effet.


Féminiser ainsi une situation dont on a vite fait de penser qu’elle n’est qu’un dérivé de l’art masculin de la guerre, c’est aussi tenter de la recevoir autrement et d’ouvrir l’hypothèse d’un genre indéfini qui serait l’attribut de ce corps étranger – celui de l’émeutier comme celui de la sorcière – devenu, par une science inconnue, insaisissable, c’est-à-dire autrement et positivement invisible. La sorcellerie que nous convoquons ici nous est ainsi précieuse par son obscurité. Prendre soin de l’obscurité nous paraît pouvoir être un projet politique ambitieux en même temps qu’une écologie nécessaire. Prendre soin de ce nous ne voyons pas, des espaces d’où peuvent surgir ce (et ceux) que nous ignorons, c’est une autre manière de nommer ce rapport attentif que convoque Isabelle Stengers. Un soin pour l’espace vacant, pour l’espace des lisières, une sympathie pour l’ombre. On ne délogera donc pas ici la sorcière du fond de son bois pour l’exposer à la lumière, mais on conservera plutôt la qualité opaque de son écosystème qui fait obstacle à la violence d’un présent sans horizon, ni secret, à l’illusion de la transparence qui n’est autre chose qu’un nouvel avatar de la dissimulation du pouvoir qui nous agit. Nous nous garderons bien de réifier la sorcière, d’en faire une héroïne, un modèle – fut-il contestataire. Elle restera ici un horizon, un devenir, adjectif plutôt que nom, féminin mais définitivement singulier. Méthode pour disparaître avant d’être pris, mais aussi pour surgir sans annonce et faire retour. Le devenir sorcière comme signe d’une Histoire secrète qui revient, d’un envoûtement de l’Histoire, une hantologie. « L’émeutier et la sorcière » est paru dans le catalogue « Sorcières, pourchassées, assumées, puissantes, queer » édité par Anna Colin (Editions B42 et Maison Populaire) à l’occasion de sa série d’expositions « Plus ou moins sorcières » en 2012 à La Maison Populaire. Olivier Marboeuf


10. Déclaration d’indépendance du peuple des Twisted Lands Nous vivons des heures sombres. De vieux hommes aux cheveux gris, les bras chargés de livres, sont disposés comme des pièces sur un échiquier et nous supplient de nous mettre vite à l’abri parce que la défaite de l’ordre rétro/hétéro- sexuel et la victoire de l’Internationale Queer sont imminentes. Et ils ont raison, ils ne trouveront pas d’abri. Nous vivons des heures sombres. Il a fallu des mois de discussions agitées unique- ment pour que les parlementaires décrètent qu’on pouvait transformer les queers en couples doux et dociles, mais sans gamins à élever. Cependant, bien avant qu’ils ne nous y autorisent, nous avions déjà créé et vécu au milieu de réseaux d’affects multiples faits d’amis, de camarades, de frères, de sœurs, de bébés, d’amants. Nous vivons des heures sombres. Les sociétés hétéropatriarcales et sexistes n’ont découvert la défense de la liberté des femmes que pour mieux diaboliser les musulmans et militariser les villes. Mais la lutte des femmes contre la violence masculine a toujours été auto-organisée. Les féministes, les migrants et les queers de tous bords marchent déjà ensemble pour détruire les frontières et passer librement d’un genre ou d’un territoire à l’autre. Nous vivons des heures sombres. Dans certains lieux de travail, nous devons faire semblant d’être hétérosexuels, dans d’autres nous sommes obligés de sacrifier notre excentricité à notre employeur, d’effectuer des retouches pour répondre aux caprices du département marketing. Et même si une allure underground, lesbo-chic ou glamour gay booste les profits, nous sommes toujours payés une misère et nos vies restent précaires. Assez ! Alors que nous préparons le Printemps rose, affirmons-le : si nous devons vraiment nous vendre, alors c’est à nous de décider comment et d’en fixer le prix. Nous les queers barbares, les créatifs exténués, les bonnes vieilles camionneus- es, les vieilles reines du bal sans le sou, les trans* euphoriques, les mégères au foyer, les butchs ruinées, les putes surmenées, les mamies rebelles, les sous- traitants précaires : nous sommes unis et nous proclamons au monde la...


Nous sommes des pédés sauvages, des féministes en jachère, des fleurs trans*, clandestins et sincères : nous créons des généalogies et des liens de parenté au-delà des espèces. Nous sommes des trans-écologistes, nous résistons à la radioactivité de la famille nucléaire en expérimentant des formes subversives d’affect, de plaisir, de solidarité, de relations. Nous sommes les guérillas de la lutte anale contre le capital. Nous nous saisissons de la créativité des marques de mode. Désormais, les comtesses H&M et les reines Lulu Lemon (Repetto ?) devront s’habiller toutes seules. Créateurs et coiffeurs, stylistes et vendeurs, nous mettons en place des équipements éphémères pour l’enterrement de l’hétérosexualité obligatoire. Lesbiennes virtuoses du bricolage, nous arrêtons de vendre la marchandise de Home Depot (Castorama ?) en posant avec des perceuses, des scies et des mar- teaux. Au lieu de cela, nous les utilisons pour construire des espaces libérés de la compétition et de l’exploitation néolibérales. Nous avons déjà infiltré l’équipe éditoriale de la presse féminine, de la radio commerciale et de la télévision nationale-populaire. Nous interrompons cette émission sur les rôles sexués et la programmation de toutes nouvelles identités préconstruites pour annoncer un nouveau format : la Subversion. Par les pouvoirs qui nous sont conférés, nous abolissons le culte de l’auto-em- ploi et l’obligation de transformer tout ce que nous sommes et tout ce que nous faisons en compétences marketables. Ma chatte est ma start-up ! Des miettes de reconnaissance que nous concèdent les entreprises et les politiques antidiscrimination, nous ferons des cookies. Quoi qu’il arrive, nous avons décidé de prendre le contrôle de toute la pâtisserie. Nous parlons en notre propre nom et nous reconnaissons, de manière autonome, des autres en chacun de nous. Nous nous saisissons pour toujours de la connaissance que nous avons produite à l’Académie du capital pour la remettre en libre circulation. Nous ne serons plus un objet d’étude parce que nos vies ne peuvent se réduire à quelque théorie que ce soit :


nous générons de manière autonome des connaissances « sur nous », sur les animaux humains et non-humains, et sur le monde. De manière collective et autonome, nous nous réapproprions nos corps, notre capacité à venir, à créer, à transformer. Dans les espaces trans*féministepédé/queer de conseil entre pairs, nous déconstruisons et reconstruisons nos corps avec n’importe laquelle et chacune des prothèses physiques et chimiques que nous désirons, nous réinventons les standards esthétiques, les plaisirs, le concept de santé et nous subvertissons les pratiques de soin. Dur Labeur : à l’occasion du Printemps rose nous déclarons l’abolition de l’exploitation par le travail. Nous mettons en place le Plan annuel queer qui nous donne un logis, l’électricité, l’eau, des roses, des gardénias et des fleurs pour le combat perpétuel de chacun, chaque cerveau et chaque nichon. Nous sommes fatigués de vivre dans des appartements laids et hors de prix : nous reprenons donc les basiliques, les palais, les immeubles abandonnés et les châteaux pour que tous les investissent. À chacun selon ses besoins, ses désirs, ses fantasmes. Nous proclamons l’avènement de la décivilisation. Nous refusons la logique qui sépare les cultures « avancées » des cultures « arriérées » en prenant pour prétexte les « droits » des femmes ou des soi-disant « minorités » sexuelles. Nous remplaçons la ligne droite du progrès par des lignes obliques, par des lignes courbes, des pas de danse et des vagabondages. Nous prenons toute la place qu’il nous faut. Firemen up in the trees meow, evictions ciao ! Nous, le peuple des Twisted Lands, envahissons l’espace public par excès de modes de vie autorisés et en opposition à ces derniers. Nous sortons des chambres noires, des salles de sport et de nos retraites rurales, nous déferlons depuis les espaces autogérés dont nous avons été chassés, les rues et les trot- toirs, les espaces circonscrits dans lesquels ils ont voulu nous ghettoïser. Nous convergeons vers des espaces communs en perpétuelle expansion.


Nous contaminons chaque endroit de notre Fabulosité : chaque rue, chaque boulevard, chaque coin utile pour redessiner la géographie de nos désirs et de nos plaisirs. Ils voulaient qu’on fasse la poussière à la maison? Ils nous trouveront dans la rue à disperser les cendres des rôles genrés. Nous sommes le grain de sable dans les rouages du capital. Rejoins-nous et prends ton pied avec nous ! texte écrit samedi 21 mai 2016 à Bologne, Italie par NatioAnal TransFeministLezzyFaggy Demo traduit et édité par NDQUV groupe ouest

WE CUM EVERYWHERE!

Self-organized Spaces, Bodies and Desires


11.Devenir-monstreS. Les luttes sont toujours des moments d’intensification, de dégradation et de densification. Il s’agit pour un temps, de changer son quotidien, son mode de vie, de court-circuiter, dans la mesure du possible et des forces de chacun. De renverser radicalement, voire du tout au tout, son mode de vie, son mode d’être, sa quotidienneté. De répondre à l’événement, à l’intempestif, au surgissement, à l’imprévu ou de s’organiser autour d’un connu aberrant en s’y engageant avec envie et nécessité. En d’autres termes de s’engager dans l’inconnu toujours possible. ÉPOKHÉ-AGIR Il y a dans les luttes, ce caractère précis de l’épokhé, la mise en suspension et à distance du monde, le doute absolu. Des convictions, du réel. Le monde est comme pure apparition. Mais paradoxalement il est couplé et indissociable d’une mise en puissance de l’agir. En somme, il y a quelque chose de l’ordre d’une synthèse entre la pure apparition, le phénomène du monde et les actes que provoquent cette apparition.Il y a aussi quelque chose de tendu entre cette apparition et sa disparition déjà envisagée. Il y a, dans les luttes, une volonté d’agir sur le phénomène du monde. Une autre disposition, variation de la conscience sur le monde-même, ou plus précisément, sur une partie du monde même. La variation, la déviation, devenant autant de possibles d’agir. Il y a dans les luttes, une sorte d’épokhé-agir. Un doute teinté d’actes involontaires, conscients ou inconscients. Une sorte d’instinct au milieu de la suspension du connu. Une sorte d’instinct incontrôlable au milieu du monde comme pure apparition en doute. Un impossible à suspendre malgré tout. Un reste impondérable. Mettre à distance, en retour, en question, le monde qui apparait, le monde proposé tout en agissant pour le faire fléchir, le faire varier, pour, peut-être le dés-unifier.Le désindividualiser. Les luttes, sont toujours une apparition, un surgissement. Une loi, une réforme, un meurtre, une répression, etc. Le quotidien se trouvera, se trouve bouleverser par un surgissement, un imprévu.


Cet imprévu, devient la matière à réfléchir, à penser, et à agir. Des étapes qui a priori, ne vont pas forcément de concert. Pourtant, ce moment des luttes, c’est ce moment là, précisément. Le monde est mis en suspens, non pas pour douter de sa réalité, mais pour envisager les implications de cet imprévu, de ce surgissement sur la viemême. De ce fait, ce double mouvement, mise en suspension et agir. De ce fait, un autre mouvement au milieu du soi, rupture avec son sujet propre au profit d’une pensée, d’actes en commun.Disparition même du sujet, enfin, dégradation complète de l’existence d’une notion d’individu au profit d’un inconnu. Rupture donc, avec un des rouages essentiel aux machineries des pouvoirs qui de part en part nous traversent, l’individu. Éphokè-agir. CONATUS-COMMUN, COMMUN-CONATUS. Les luttes sont des moments où se matérialisent la notion de devenir, comme la notion de commun. Pour un temps, il faut renoncer à une entreprise individuelle au profit d’une organisation ou d’une désorganisation dans un élan, un mouvement commun. L’essence même de l’individu, est, pour Spinoza en tout cas, le Conatus, autrement dit, le « désir » .Non pas, le désir comme manque, mais comme puissance d’exister. Je, tente d’exister Dans les luttes, ce je, qui tente d’exister, fait place à un commun qui tente d’exister. Il n’est plus question de l’individu, mais bel et bien des connexions, des intersections, des non-liens ou du sensible entre chacun, du ON, si l’on veut. Comment le ON veut exister, quelle puissance d’exister a, veut le ON, à ce moment précis du surgissement. Du je, veut exister, au, commun veut exister. Il n’est plus question d’être enchainé à l’autre, mais d’être-autreS, toujours autreS. Renoncer à soi, au profit du commun. Cette puissance d’exister commune est ce qui fait un trait de l’essence des luttes. Les luttes, ne sont d’ailleurs pas nécessairement affectées à un but . Elles sont ce moment de rupture simple, un événement se passe et quelque chose surgit.


Les luttes font advenir. Le sujet capitaliste, par essence est un sujet qui manque. Un sujet qui manque un mode de vie qu’il serait souhaitable pour lui de vivre, une intimité qu’il serait souhaitable pour lui de reproduire, un objet qui serait souhaitable pour lui de posséder. Le capitalisme a ce caractère de quadrillage permanent. De mon espace extérieur à mon intimité la plus profonde, à mon « fondement », le je, y est, d’une manière ou d’une autre quadrillé par des injonctions à reproduire, et cela jusque dans d’éventuelles transgressions. Transgresser peut faire partie d’une représentation, d’une injonction capitaliste. Des pouvoirs qui nous traversent et nous agissent. De ma belle voiture, à la personne avec qui j’entretiens une intimité, une sexualité. Les luttes, sont, ce moment, où le sujet capitaliste fait place, parfois, à un court-ciruitage. Le je qui manque, fait place à un je qui veut exister, qui forme une puissance d’exister, un suspens.Un je qui s’abandonne aussi à l’idée que peut-être, je, n’existe pas vraiment. Le je y fait aussi place à un commun, un commun qui prime sur le sujet, pendant au moins un temps. L’accomplissement alors, n’est plus le fruit d’un individu face au monde, mais des interactions, des liens, des non-liens, des réactions, du sensible, du sens, qui se produisent entre les gens dans l’espace, le temps et la durée des luttes. Ce passage du je au commun, de l’individu au commun, c’est précisément ce qui fait ce conatus-commun ou commun-conatus. Cette puissance d’exister dans l’élan des luttes. Pour aller plus loin, peut-être que le moment des luttes est ce qui fait, aujourd’hui, advenir, accoucher, le sujet dans un autre mode de réalisation, dans un mode qui serait pour un temps, un mode à inventer et non un ensemble d’injonctions à reproduire. Ce moment est une apparition du sauvage, une apparition de l’innommable, de l’inqualifiable. Ce moment de disparition du sujet, est une manière de faire apparaitre, une puissance d’exister, une manière de se lier, de s’inventer, d’envisager différemment, une manière de réaliser autre chose, si l’on en prend la peine.


INTEMPESTIF Les luttes s’opposent à l’idée d’une permanence des choses. Elles ne sont, toujours, que des devenirs possibles. Les luttes sont un moment où les corps et les têtes s’agencent, vivent, se rencontrent différemment. Hors du quotidien classique, réglé, quadrillé. Il y est question, d’une brèche, ou à moindre échelle d’une rupture des évidences. Les corps et les têtes y parcourent une autre temporalité, une autre perception de l’espace, une autre durée. Dans les luttes s’opèrent une dilatation ou une massification des durées, de notre perception au temps. Deux ou trois journées dans une. Les luttes adviennent toujours dans ce que les grecs appellent, le Kaïros, ou plutôt dans un Kaïros qui n’en est pas un. Le Kaïros est invisible, on ne le voit pas, dès lors deux possibilités le saisir, le sentir, l’agripper ou au contraire le laisser dans son invisible. Pour autant, dans les luttes, ce caractère opportun du Kaïros fait place à l’imprévu du surgissement de la nécessité de lutter. Au Kaïros providentiel qu’il faut saisir, les luttes préfèrent l’inopportun, l’intempestif. Intempestif au sens où ces moments n’obéissent pas à la temporalité, à la durée, à la spatialisation réifié, rendu objet, par les pouvoirs. Autrement dit au temps, à la durée, à l’espace comme objet gouvernable. Les luttes, donc, adviennent toujours dans un Kaïros-inopportun C’est à la fois toujours l’invisible bon moment agrippé, et dans le même temps le plus grand intempestif des possibles. Cet intempestif, fait des luttes un moment d’imprévu, où tout surgissement est envisageable, tout surgissement est possible, et en même temps où tout surgissement est innommable, parfois invisible. L’organisation des luttes répond à des logiques intempestives, à des logiques de situations. Ces situations, toujours renouvelées, sont toujours à côté, en débord des attendus, des tracés; si toutefois ces luttes ne s’inscrivent pas dans les outils mis à disposition par le pouvoir en place, ou dans la reproduction de formes déjà connues, ce qui par une opération réifiante est une des techniques des pouvoirs, quadrillé le connu. Les luttes doivent toujours tenter de déborder le connu. L’inconnu, l’intempestif sont, par essence, des surgissements ingouvernables.


L’intempestif, le surgissement, l’inopportun sont des noeuds pour créer des liens non symboliques, des connexions, réinventer le quotidien,re-densifier le sensible, faire sens, c’est l’essence même de l’imprévisible de la lutte. Ne jamais s’accorder à la durée, à la temporalité, à l’espace que le pouvoir connait, propose, rend possible. Les luttes ne peuvent et ne doivent être ni une folklorisation normée, identifiée, ni une notabilité sociale. ON Le ON a été martyrisé, c’est un parent pauvre de la philosophie occidentale, Heidegger en a fait la voix du commun, du dominé, du gouverné. Donnant au Nous un statut particulier de nomination. Le nous étant ce nous face à un eux, un eux qui pourrait être les différents pouvoirs ou à l’inverse les différentes unités à gouverner, à castrer En d’autres termes, le ON comme chose gouvernable. Mais précisément, la chose, les choses, indéfinies, informes, inconnues, invisibles, sont ingouvernables. Au Nous, figé, défini, on préfère envisager la masse informe du ON désidentifié. Aux modes de vies, aux modes de luttes, on préfère les informes de vie et les informes de luttes. Les inconnus, les à-imaginer. Le nous c’est l’identification , le nous c’est identifier, centraliser, ramener à un sujet, faire sujet, même si c’est un sujet du commun. ON lutte contre l’identification, contre toute appartenance ou non appartenance possible. ON n’est pas public, il est informe. Informe et monstrueux. ON n’est pas libéral, il est libérant. Émancipation même de toute idée d’identification, de toute idée même d’individu.


COMMUNE.S INSTABLE Dans les luttes l’espace devient à la fois celui de notre quotidien, et aussi l’espace que l’on doit imaginer, et utiliser pour les luttes. Dans le même temps c’est aussi l’espace de la répression, de l’empêchement. Cette rupture des évidences, cette rupture de la perception, c’est un moment unique du commun, une faille toujours renouvelée, un possible. Les luttes ont quelque chose d’une permanence du possible, du devenir. Elle a une substance là dedans. Une répétition, non pas du même, mais des possibles à imaginer toujours. L’espace y devient, un informe de vie possible. La CommuneS pourrait être ces Informes de vies sensibles. Cette dissémination multipliée infiniment, totipotente par essence, instable, invisible et anonyme. Toujours minorisée et racisée, la CommuneS est la tentative d’organisation ou de désorganisation nécessaire à envisager et mener tous les modes d’être possibles vers d’innommables et d’ingouvernables élans sorciers et monstrueux. La communeS pourrait a priori n’être, ni horizontale, ni verticale, ni diagonale débordant sans cesse le plan géométrique. ÊTRE-TOTIPOTENT Il y a en biologie, une étonnante faculté qu’on retrouve chez les hydres marines, la totipotence. La totipotence est la faculté d’une cellule de se différencier en une cellule spécialisée et de se structurer pour former un être-vivant multicellulaire. En d’autres termes, n’importe quelle cellule engendre potentiellement d’autres cellules et ainsi de suite. D’une manière différente et similaire la fougère produit ce qu’on appelle la prothalle . La prothalle est à la fois une production de la fougère et dira-t-on, déjà une nouvelle fougère. C’est un amas qui produira à son tour une nouvelle fougère. Dans les luttes, comme en biologie, il y a ce mystère de la multiplication des corps et des cellules, des comités et des organes non-organes. Apparition, disparition, organisation, désorganisation. Totipotence.


DÉGRADATIONS MINORISÉ(E)S, MULTIPLIÉ(E)S « Dans les luttes, un mouvement, un geste, un trope fonctionne comme idéal et éternel retour du même, l’idée de révolution. Les révolutions sont des mouvements rotatifs. Des mouvements qui retombent sur leurs pieds, pieds créés de toute pièce par les pouvoirs qui traversent chacun de nos corps et de nos têtes. Les révolutions sont des tentatives d’explosion, pour, sur des cendres à peine-cendres, re-fonder déjà un autre système, souvent sur les mêmes bâtis, souvent sur peu ou prou les mêmes normes, les mêmes règles, les mêmes lois. Sur la même idée d’éthique et de morale, d’universel et de vérité. La révolution n’est qu’un instant, elle n’est jamais dans une durée suffisante pour atteindre son but. Rendre impossible l’usage du temps précédent, du système précédent. Réduire un système, construire un système. Au contraire face aux têtes mortes... la dégradation, quand elle est permanente, rend progressivement inutilisable les systèmes du connu. La dégradation est ce moment d’une infamante destitution, d’une métaphysique vitale, d’une diminution morale et d’une action qui cause un dommage, qui rend quelque chose inutilisable, qui rend l’usage impossible. Rompre avec la morale et l’éthique, dégrader jusqu’à ce plus rien ne soit utilisable du système, du fonctionnement, voilà ON luttes. » Lutter, c’est lutter pour les informes de vie possible, tous les informes de vie possible.


DEVENIR-MONSTRE Le monstre a toujours été bords et frontières. Le monstre est un anonyme, il n’est immédiatement que monstrueux. Il reflète, renvoiE, un terrifiant, un manqué, un à-côté, un débord. Ce caractère d’anonymat en débord, est une manière possible d’envisager les luttes et les manières/ modes d’être. Les Centaures, les hermaphrodites ou les Amazones en faisant sauter les limites du mariage, de la cellule familiale, les frontières entre homme et animal, entre homme et femme ont sans doute contribué dans la Grèce Antique à fabriquer les frontières de « l’homme grec ». Les sorcières, comme les chimères ont toujours été les images à bannir du normal, de la vie comme elle est. Les frontières du naturel et du surnaturel, du réel comme il doit être et du mauvais réel, de ce qu’il faut bannir de nos identités possibles. En guise de proposition politique, il s’agit pour ON de devenir-monstreS. Aux révolutions, ON préfère la dégradation permanente. Aux révolutions ON préfère les monstruosités. In-désirables, in-gouvernables, in-tolérables, im-baisables, in-consommables, in-définis, in-capitalisables, in-connuEs, in-formes, in-traduisibles, in-visibles, in-permanents, in-consolables, im-précis,in-identifiables, in-audibles, im-pardonnables, in-centralisables, in-territorialisables. Abolition de toute normalité. Abolition de toute idée du sujet. Abolition de toute idée de l’individu.Mort aux liens symboliques et gouvernés. Un Monstre n’est jamais seul. Laisser l’être, être. Être-intense. Devenir-MonstreS.




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