Retours de mer

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Telle semble être l’une des significations de la peinture de Courbet devant la mer : la houle fait déferler la vague avec une énergie venue du lointain, frappe le rivage avec cette force presque indomptable qu’affronte jour après jour la barque du pêcheur. Il fallait un terrien solide pour montrer ainsi la mer dans sa grandeur, bien que dépouillée des illusions et des mythes qu’elle a nourris depuis toujours. Courbet peint la matière de la vague, sa couleur, la quantité d’air qui fait mousser l’écume. Il fait peser sur elle la masse des nuages et les menaces d’un ciel trop chargé. Mais on dirait que l’horizon ne l’intéresse plus, du moins il ne s’y projette pas. Ce n’est qu’un trait de peinture, riche pourtant de toutes les promesses de l’art moderne, c’est même par cette ligne neutre que pénètre dans sa peinture, si charnelle, le génie de l’abstraction. Qu’on se souvienne de La Mer orageuse, au musée d’Orsay : les étagements du ciel dans le tableau, peints d’un bleu qu’on croirait venu de Tiepolo, puis de plusieurs gris modelant la masse nuageuse, allongée comme un gisant au-dessus de la ligne d’horizon. Ces étages du ciel forment comme deux groupes de personnages-paysages dialoguant au-dessus de la mer et de ses barques relâchées sur la grève. Dans La Vague, le nuage seul pèse sur la mer, il se fait bas et lourd. Mais si la hauteur de ciel a été rabattue, dans le coin supérieur gauche du tableau, survit toutefois une échappée de lumière bleue, une intensité de couleur qui à elle seule annonce et prophétise : le regard du peintre n’a pas renoncé à l’infini, il ne peut l’esquiver, il fait pointer vers lui la crête de la vague et la mâture des barques, il le sait impénétrable : « Courbet tient tête à cet infini-là. L’absolument ouvert y rejoint l’absolument fermé. L’horizon est un impossible tout autant que la source 4. »

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