Éditorial Janvier 2015
VISER JUSTE
L
e vocabulaire courant s’est enrichi, début novembre, d’un nouveau mot qui génère déjà 1,5 million d’occurrences lorsqu’on le recherche sur Google. La déferlante « LuxLeaks » qui a touché le Luxembourg dans la soirée du 5 novembre n’a épargné personne : la firme PwC, chez qui ont été volés, il y a quelques années déjà, les documents décrivant les accords fiscaux passés entre des grandes multinationales et le fisc luxembourgeois ; l’administration fiscale du Grand-Duché et, par extension, son gouvernement ; jusqu’à Jean- Claude Juncker, alors établi depuis cinq jours à la tête de la Commission européenne, mais résident de l’Hôtel de Bourgogne pendant suffisamment longtemps pour ne pas ignorer le sujet. La virulence avec laquelle le collectif de journalistes ICIJ, dont on n’ose pas imaginer qu’il soit animé des moindres intentions malveillantes, s’est attaqué au Grand-Duché, dérange tout de même à double titre. D’une part, le mécanisme de ruling qui y est pointé du doigt est parfaitement légal. D’autre part le Luxembourg n’est pas, en la Pays avec procédure matière, un acteur isolé. Comme de tax ruling Champ d’application le montrent les cartes que nous large ou illimité publions (voir ci-contre et en page 80), et même si, dans le vocabuPays avec procédure laire officiel, il n’existe plus de liste de tax ruling - Champ noire ou grise, il n’y a pas beaud’application restreint coup d’endroits sur la planète où il n’est pas possible de trouver, Pays sans procédure avec les autorités fiscales locales, de tax ruling
des arrangements – généralement légaux – de toute nature pour alléger – et parfois même supprimer pour un temps – sa charge fiscale. À l’heure où nous clôturions cette édition, une seconde vague de « révélations » était attendue, mais il n’est pas sûr qu’elle apporte quoi que ce soit de nouveau, si ce n’est pour remettre un coup de lumière noire sur le Luxembourg. La cible initiale n’est donc de toute évidence pas la bonne, mais le mérite de cette affaire est au moins d’avoir permis d’élever à une échelle mondiale le débat sur la moralisation des pratiques fiscales. Le G20 et le Parlement européen se sont emparés du sujet, alors que Pascal SaintAmans, le « Monsieur Propre » de l’OCDE, reconnaît les déficiences des règles de la fiscalité internationale et de ces accords qui, pour éviter – légitimement – dwes doubles impositions, peuvent faciliter des doubles non-impositions. Le chantier est ambitieux, voire utopique, et l’on peut imaginer que le frottement fiscal sur les lampes à huile des grands intérêts capitalistiques fera toujours apparaître des génies de l’ingénierie fiscale (légale). Mais le cœur de cible est désormais parfaitement identifié et qui sait si, en manœuvrant habilement et en jouant les locomotives, le Luxembourg ne sortira pas grandi de toute cette affaire… ◄
Par Jean-Michel Gaudron, rédacteur en chef de Paperjam E-mail : jean-michel.gaudron@paperjam.lu Twitter : @jmgaudron
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