Conversation Serge Allegrezza
«âUn effet de rattrapage de la croissanceâ» Dans ses derniĂšres perspectives Ă©conomiques, lâOCDE Ă©voque une reprise «âhors du communâ» aprĂšs plus dâun an de crise sanitaire. Pour le directeur du Statec, Serge Allegrezza, les pays qui sâen sortent sont ceux qui ont beaucoup soutenu lâĂ©conomie, Ă lâinstar du Luxembourg. Interview IOANNA SCHIMIZZI
LâOCDE a publiĂ©, Ă la fin du mois de mai, ses derniĂšres perspectives Ă©conomiques. Lâorganisation internationale prĂ©voit que dans la plupart des pays, le PIB pourra retrouver ses niveaux dâavant-pandĂ©mie dâici la fin de lâannĂ©e 2022. Mais pour Laurence Boone, cheffe Ă©conomiste Ă lâOCDE, cela est loin dâĂȘtre suffisant, car la trajectoire de croissance de lâĂ©conomie mondiale reste infĂ©rieure Ă ce quâelle Ă©tait avant lâarrivĂ©e du Covid-19, et tous les pays ne sont pas Ă©gaux face Ă la reprise. Le titre de lâĂ©ditorial de Laurence Boone Ă©voque une reprise «âhors du communâ». Ătes-vous dâaccord avec ces termesâ? Disons quâil y a une reprise de lâactivitĂ© qui est tout Ă fait foudroyante. Mais, selon moi, il sâagit plutĂŽt dâun rattrapage du retard pris Ă cause de la pandĂ©mie. Je nâaime pas parler de retour Ă la normale parce que câest un peu tĂŽt, et nous avons un peu mis de cĂŽtĂ© tous les problĂšmes que lâon avait avant la crise sanitaire. On en a moins parlĂ© parce quâon ne parlait que du Covid-19, mais ces problĂšmes-lĂ reviennent au galop. Ă quels problĂšmes pensez-vousâ? Je pense notamment au problĂšme du logement qui, au Luxembourg en lâoccurrence, est la rançon du succĂšs, et la consĂ©quence du dĂ©veloppement trĂšs rapide de la population, de lâemploi et des perspectives Ă©conomiques. Mais ce problĂšme du logement ne fera que sâaccentuer. Il a Ă©tĂ© un peu amoindri parce que les entreprises ont prĂ©fĂ©rĂ© recourir au tĂ©lĂ©travail. Nous sommes par exemple montĂ©s Ă 60-70â% de personnes en tĂ©lĂ©travail, donc cela a permis de montrer de nouvelles mĂ©thodes qui, probablement, vont rester. Avant la crise, on Ă©tait Ă 20â%. Mais le tĂ©lĂ©travail nâa pas que des avantages, tous les emplois ne sont pas rĂ©alisables en home office, donc il va Ă nouveau y avoir du monde sur les 38
AOĂTâ/âSEPTEMBRE 2021
Photo ANDRĂS LEJONA
routes, des embouteillages, etc. Tous ces problĂšmes-lĂ , que lâon connaissait, vont revenir. Ă la fin du dernier trimestre 2020, le PIB en volume du pays avait dĂ©jĂ retrouvĂ© son niveau dâavant-crise â câest le seul de la zone euro qui a rĂ©ussi cela. Comment lâexpliquez-vousâ? On a effectivement eu un bon quatriĂšme trimestre. La deuxiĂšme vague a Ă©tĂ© gĂ©rĂ©e de façon tout Ă fait diffĂ©rente et moins incisive, puisquâon ne nous a plus dit de rester chez nous. Il y a donc eu une approche beaucoup plus souple, et toutes les Ă©tudes nous montrent actuellement que les pays qui ont Ă©tĂ© moins restrictifs ont des rĂ©sultats Ă©conomiques meilleurs, câest ce que lâon sait pour lâinstant.
BIO Naissance Serge Allegrezza est nĂ© en 1959 Ă Luxembourg-ville. Une carriĂšre remplie Docteur en sciences Ă©conomiques appliquĂ©es, Serge Allegrezza a Ă©tĂ© nommĂ© directeur du Statec en avril 2003, aprĂšs avoir Ă©tĂ© notamment responsable de la politique du marchĂ© intĂ©rieur et de la politique Ă©conomique gĂ©nĂ©rale au ministĂšre de lâĂconomie et du Commerce extĂ©rieur. Son cursus professionnel sâorne aussi de mandats divers, comme la prĂ©sidence du conseil dâadministration de Post Luxembourg, de P&T Capital ou de Luxtrust. Il est aussi, notamment, chargĂ© de la DG 4 CompĂ©titivitĂ© au sein du ministĂšre de lâĂconomie et, Ă ce titre, directeur de lâObservatoire de la compĂ©titivitĂ©.
Quel est le secret du Luxembourg pour ĂȘtre sorti plus tĂŽt de la criseâ? Je pense que câest le fait dâavoir une spĂ©cialisation de notre appareil de production qui est largement basĂ© sur des services exportĂ©s, par exemple les services financiers. Ces derniers ont eu la grande chance que les bourses ne se soient pas effondrĂ©es. Il y a eu quelques mouvements de baisse parce que tout le monde a eu peur. Mais, aprĂšs, câest remontĂ© et reparti, comme avant. Et on sait tous que beaucoup dâactivitĂ©s financiĂšres sont fortement liĂ©es Ă la bourse. Le secteur financier y a quand mĂȘme perdu des plumes et a reculĂ© en valeur ajoutĂ©e et en volume â mais moins que dans dâautres pays. Câest un secteur qui a pu travailler Ă distance aussi, donc câĂ©tait la formule gagnante. Ce quâexplique Ă©galement Laurence Boone, câest que les pays qui sâen sortent sont ceux oĂč les gouvernements ont beaucoup soutenu lâĂ©conomie⊠Oui, câest la deuxiĂšme clĂ©, selon moi. Je pense que ce sont les aides mises en place par le gouvernement qui ont fait en sorte que le reste du tissu Ă©conomique de notre pays, qui nâa pas pu travailler normalement, ne sâeffondre pas. Nous avons eu des aides assez substantielles. Il faut voir cela aussi de façon macroĂ©conomique, en donnant de lâargent, par exemple, pour le chĂŽmage partiel. Cela permet aux entreprises de rĂ©duire leurs frais, Ă©tant donnĂ© que le chiffre dâaffaires sâest effondrĂ© pour beaucoup de secteurs, notamment dans lâhoreca, oĂč cela est malheureusement flagrant. Donc on reprend une partie des frais et, en mĂȘme temps, cela veut dire que les salariĂ©s nâont pas Ă©tĂ© licenciĂ©s, donc ils continuent Ă percevoir un salaire. Ainsi, on a largement soutenu lâĂ©conomie tout en ayant des secteurs qui ont pu continuer Ă fonctionner de maniĂšre efficace.