Inventer un regard. Société photographique de Rennes 1890-1976

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REMERCIEMENTS Cette exposition n’aurait pu voir le jour sans l’initiative de la Société Photographique de Rennes (SPR) et de son président Patrick Deliquaire, avec la complicité de membres de la SPR, en particulier René Le Pollès ainsi que Jean-Charles Devigne et Hervé Ratte. Nous les remercions chaleureusement ainsi que les membres de la commission des 125 ans de la SPR. Les étudiantes du Master 2 « Gestion et mise en valeur des œuvres d’art, des objets ethnographiques et techniques » (MAGEMI) du département Histoire de l’art et Archéologie ont conçu et réalisé cette exposition. Celle-ci bénéficie du soutien de l’Université Rennes 2, de la Société Photographique de Rennes et de ses nombreux partenaires. Nous remercions le Service culturel de l’Université Rennes 2, dirigé par Estelle Faure, et le Service commun de la documentation dirigé par Françoise Borie (conservatrice générale), qui accueillent l’exposition. Le succès d’une exposition dépend de précieux soutiens et d’interlocuteurs qui apportent leur pierre à l’édifice. Nous souhaitons ici les remercier, en particulier Benoît Gaudin (régisseur au Service culturel, Université Rennes 2), Marianne Rei (responsable du Service communication, Université Rennes 2), Amélie Téhel (chargée de communication et production du Service culturel, Université Rennes 2), Éric Verrier (scénographe), Laurence Prod’homme (conservatrice au musée de Bretagne), Philippe Durieux (photographe). Toutes les photographies présentées dans ce catalogue appartiennent aux collections de la Société Photographique de Rennes, à la collection privée d’Hervé Ratte et à celle d’Olivier Harel. Ce catalogue est publié à l’occasion de l’exposition Inventer un regard : Société Photographique de Rennes 1890-1976, présentée du 10 avril au 30 septembre 2015 à la bibliothèque universitaire de Rennes 2 et à la galerie La Chambre claire (bâtiment de la présidence de Rennes 2). Page suivante : Gilles Boinet, Plein soleil, 1948, tirage argentique Visuel de la première de couverture : Anonyme, Photographie en bord de mer, vers 1910, plaque de verre au gélatino-bromure d’argent (détail) Visuel de la quatrième de couverture : Anonyme, Photographie de classe dans le cloître de l’abbaye Saint-Sauveur, Redon, vers 1930, plaque de verre au gélatino-bromure d’argent (détail)

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SOMMAIRE 1890 - 2015 : 125 ans de partage autour de la passion photographique ............... 4 Patrick Deliquaire

Exposition des 125 ans ....................................................................................... 5 Martial Gabillard

Au bonheur de l’excursion (photographique) ........................................................ 6 Nathalie Boulouch et Louis André

La SPR et la figure de l’amateur ........................................................................... 8 La balade des gens heureux ................................................................................ 16 L’instant d’un regard ............................................................................................ 22 Mémoire photographique ..................................................................................... 28 Photographier le quotidien ................................................................................... 36 Expérimentations photographiques ...................................................................... 42 Repères chronologiques ...................................................................................... 52 Bibliographie indicative ........................................................................................ 54

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– 2015 1890 125 ans de partage autour

de la passion photographique

La Société Photographique de Rennes fête cette année ses 125 ans. À l’origine de cette association de photographes amateurs, l’une des plus anciennes de France, le souhait de partager et d’apprendre. Les adhérents et les animateurs, tous bénévoles, profitent et s’enrichissent mutuellement. Des formations internes, des séances d’échanges et d’analyse autour des images, la rencontre d’autres clubs et de photographes professionnels, la participation à des projets communs contribuent à alimenter notre passion pour la photographie. Renommée pour la mise en place de ses rencontres photographiques pendant plusieurs années, la SPR a, depuis son origine, voulu transmettre et présenter au public les photographies de son époque. Pour ses 125 ans, c’est à une véritable rétrospective que la SPR s’est livrée, et ce grâce au concours de l’Université Rennes 2. Au travers de nombreux clichés de 1890 à nos jours, de plaques de verre retrouvées, d’objets divers, c’est toute une époque et l’histoire de la France dans son ensemble qui se révèlent. Les photos du procès Dreyfus en sont l’expression la plus marquante et donnent à l’événement une portée nationale. L’organisation de cet anniversaire doit beaucoup aux compétences et au professionnalisme des étudiantes du MAGEMI et à leurs responsables : Nathalie Boulouch et Louis André. Qu’ils en soient ici remerciés. Mais cet anniversaire n’aurait pas pu atteindre cette dimension s’il n’avait pas été soutenu et accompagné par nos partenaires publics et privés : un grand merci donc à la Ville de Rennes, aux collectivités territoriales, à Ouest-France et à toutes les entreprises qui nous ont accordé leur soutien. Patrick Deliquaire Président de la Société Photographique de Rennes 4

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EXPOSITION DES 125 ANS 1890 - 2015 : la Société Photographique de Rennes a 125 ans. C’est l’une des plus anciennes associations culturelles de notre ville. Depuis plus d’un siècle, elle rassemble des amateurs et des professionnels de talents, tous passionnés. Au cours de ces décennies, elle a proposé et propose toujours des démarches d’initiation, des étapes de formation ; organise des expositions de qualité et d’envergure. La Société Photographique de Rennes a traversé et résisté à toutes les évolutions technologiques. Née au tout premier temps de l’appareil photo, elle a aujourd’hui plongé dans le numérique pour en explorer toutes les ressources artistiques. Elle a su nous faire bénéficier des talents les plus prestigieux en organisant des expositions et rencontres qui ont été passionnantes à suivre. J’ai personnellement pu apprécier Robert Doisneau, Hans Silvester, Fulvio Reuter, Roland et Sabrina Michaud, Gérard Vandystadt, Lucien Clergue, Pierre Le Gall ; ce qui constitue un très beau palmarès. D’autres talents se sont affirmés en son sein et participent à cette manifestation mémoire. Il m’est très agréable de retrouver les travaux de Georges Dussaud, Jean Hervoche, Michel Ogier, Claude et Marie-José Carret, Michel Coquelle, Gilles Fournel, Jean-Louis Mercier qui seront exposés à l’Orangerie du Thabor du 3 au 19 avril. Ils ont été édités et leurs livres témoignent de leurs richesses et de leurs singularités. Mais l’accumulation des clichés et leur conservation ont aussi créé des archives inattendues, témoins de notre histoire et c’est l’un des mérites de l’exposition Inventer un regard : Société Photographique de Rennes 1890 -1976 que de les offrir à notre découverte. « L’inventeur » de ces trésors doit être particulièrement salué. Ainsi, à 125 ans, cette vieille dame démontre toute sa vitalité. Qu’elle en soit remerciée ainsi que tous ceux qui la font vivre au quotidien, et ceux qui ont réalisé cette exposition en particulier le groupe d’étudiantes du Master MAGEMI pris de passion pour ce « monument » de notre patrimoine. Martial Gabillard, ancien adjoint à la culture de la Ville de Rennes 5

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Au bonheur de l’excursion (photographique) Depuis 7 années maintenant, le Master MAGEMI du département Histoire de l’art et Archéologie de l’Université Rennes 2 a pris ses quartiers, proposant aux étudiant-e-s une formation de Master 2 mêlant théorie et pratique au service de la valorisation des collections, des patrimoines artistiques, ethnographiques ou techniques. Sa richesse vient précisément de ce mélange de cours théoriques, d’ateliers et d’expériences concrètes de terrain. Savoir construire et mener à bien un projet ; travailler dans un groupe ou chacun-e trouve sa place à travers les difficultés multiples depuis la conception jusqu’à l’inauguration : l’expérience est riche pour tous. Au gré des propositions, les sujets traités nous entraînent sur des chemins inconnus qui offrent le plaisir de la découverte, la nécessité de la compréhension du sujet et de l’adaptation, jusqu’à l’écriture d’une histoire, d’un récit offert aux visiteurs et sa mise en exposition : ainsi des étonnantes collections zoologiques ou biologiques d’Agrocampus, mais surtout pédagogiques à l’image du modèle – géant – de ver à soie du Docteur Auzoux en carton mâché découvrant ses entrailles. L’année suivante, les vues stéréoscopiques d’Ambroise Poirier donnent une chronique – en relief – d’une vie familiale bretonne entre les deux guerres mondiales, avant que l’année internationale de la cristallographie ne nous fasse plonger au centre de la matière en compagnie des scientifiques et artistes fascinés. La proposition de cette année nous entraîne sur les traces des générations de passionnés de la Société Photographique de Rennes. Si, bien vivante, elle fête cette année ses 125 printemps, quelle motivation fédère et unit ses cohortes d’adhérents ? Et très vite apparaît le fil rouge, l’idée d’un parcours commun à ces photographes qui passe par la pratique de l’excursion, les prises de vues au coude à coude et l’émulation qui en naît, le plaisir du moment partagé. 6

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Cette richesse se prolonge lors du second temps fort de la vie associative : les séances de projection ou chacun peut montrer ses réussites comme ses erreurs, recevoir conseils et critiques bienveillantes de ses pairs, se reconnaître dans le groupe et partager ses émotions. De la Belle Époque aux Trente Glorieuses, les images encore conservées dans les collections révèlent la continuité de cette pratique fédératrice des sociétaires. Et de cette convivialité naît un regard qui n’appartient qu’à ces amateurs : loin des prétentions professionnelles mais attentif aux évolutions techniques et artistiques du monde de la photographie. Entre expérimentations techniques, humanisme, optimisme et humour, l’œil des photographes amateurs de la SPR nous invite à l’excursion. Nathalie Boulouch et Louis André

Anonyme, Excursion dans la vallée de la Rance, vers 1925, plaque de verre au gélatino-bromure d’argent

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La SPR et la figure de l’amateur « La SPR, c’est l’auberge espagnole : à chacun d’apporter ce qu’il peut … et le partager avec les autres. » Propos extraits du site internet de la Société Photographique de Rennes.

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Dès le milieu du XIXe siècle, le champ de la photographie est animé par des débats opposant deux conceptions du médium : si, pour certains, la photographie est une vision objective du monde, pour d’autres, elle est une vision subjective produite par un photographe artiste qui compose avec la réalité et se l’approprie. En effet, comme le souligne Michel Frizot dans sa Nouvelle histoire de la photographie1, la photographie doit aussi être abordée selon la multitude de pratiques et d’usages intentionnels qu’elle appelle. Loin de se résumer à une prise de vue conditionnée par la technique, l’acte photographique est étroitement lié aux intentions du photographe : le regard, « l’œil » de ce dernier ainsi que la destination de la photographie déterminent sa forme et sa qualité.

D’abord pratiquée par des connaisseurs, scientifiques et artistes, la photographie s’ouvre, à la fin du XIXe siècle, aux « amateurs ». Ce terme, qui comporte aujourd’hui une connotation péjorative désigne, à cette époque, un passionné, un esthète aux connaissances et compétences solides. Cette acception évolue progressivement et, au début du XXe siècle, le terme de photographe amateur désigne un praticien non professionnel.

Page précédente : Anonyme, Photographie en bord de mer, vers 1910, plaque de verre au gélatino-bromure d’argent Page suivante : Page de couverture de l’Annuaire de la Société Photographique de Rennes, Rennes, 1899

Dans le dernier tiers du XIXe siècle, le champ photographique connaît de nombreuses évolutions techniques. La commercialisation des plaques de verre au gélatinobromure d’argent dans les années 1880 révolutionne la pratique des photographes. Contrairement aux anciens procédés tels que le daguerréotype ou le collodion humide, le gélatino-bromure d’argent ne demande pas de grandes compétences techniques car les plaques sont produites de manière industrielle et prêtes à l’emploi. Par conséquent, la pratique de la photographie ne s’adresse plus seulement aux chimistes et aux savants mais s’ouvre

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à une classe bourgeoise en quête de loisirs : banquiers, hauts fonctionnaires et magistrats aisés, médecins et pharmaciens se consacrent désormais à ce passe-temps chronophage et dispendieux. Les membres de l’élite se regroupent rapidement au sein de sociétés photographiques. Composée de scientifiques, d’artistes et d’amateurs, la Société française de photographie (SFP), fondée en 1854, ouvre la voie à de nombreuses associations qui, à partir de la fin des années 1880, se forment partout en Europe et aux États-Unis. Constituées dans un intérêt artistique ou scientifique, ces dernières participent activement aux multiples développements que connaît la photographie. Créée le 13 juin 1890, la Société Photographique de Rennes (SPR) est ainsi l’une des plus anciennes sociétés de province. Les statuts définissent ainsi ses ambitions : « la SPR a pour but de réunir toute personne, hommes et dames, s’occupant de la photographie sous toutes ses formes et s’intéressant à son perfectionnement et à ses applications dans les arts, les sciences et l’industrie2 ». Installée au 4 rue de la Chalotais, la Société Photographique de Rennes compte déjà 84 membres titulaires en 1894. En premier lieu, la SPR offre à ses membres une formation à la fois technique et artistique reposant sur le partage des expériences. L’entraide, principe si cher à Albert Londe, fondateur et président de la Société d’Excursions des Amateurs Photographes (SEAP) créée en 1887, constitue en effet le principal fondement de la formation : les membres les plus expérimentés conseillent et accompagnent les novices. Les photographes s’exercent ensemble lors d’excursions, de sorties, qui sont l’occasion de mettre en pratique leurs connaissances 12

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et de tester les possibilités du médium. Des séances de projections organisées régulièrement permettent ensuite de présenter, d’analyser et de discuter des prises de vue effectuées. Les membres s’informent également des dernières innovations techniques et des débats artistiques par le biais de revues consacrées à la pratique photographique comme le Bulletin de la Société française de photographie. Les activités de la Société Photographique de Rennes ne se limitent toutefois pas à la formation de ses adhérents. Depuis les premières années de son existence, l’asso-

Programme d’une soirée organisée par la Société Photographique de Rennes, le 9 avril 1897 Page suivante : Anonyme, Groupe sur les escaliers du Mont-Saint-Michel, vers 1925, tirage argentique Anonyme, Sur le parking du centre Alma, Rennes,1971, tirage argentique

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ciation a en effet cherché à s’inscrire dans le paysage de la photographie amateur en diffusant ses travaux par le biais d’expositions et de concours entre ses membres mais aussi avec les autres sociétés photographiques de France. Ces événements permettent à la fois d’acquérir une visibilité plus importante et de se positionner sur le plan national mais aussi de faire circuler des modèles esthétiques et d’échanger de précieuses informations sur la technique photographique. Aujourd’hui composée de 74 membres, la SPR figure, par son nombre d’adhérents, au troisième rang des sociétés photographiques de France. Située au 13, square Charles Dullin, elle continue de former des photographes amateurs avec des valeurs et une dynamique semblables à celles témoignées lors de sa fondation. En 2015, la Société Photographique de Rennes célèbre ses 125 ans d’existence. Cet anniversaire offre l’occasion de programmer un cycle d’événements multiples autour de l’association et de son parcours. L’exposition Inventer un regard retrace l’histoire de la SPR depuis ses origines jusqu’en 1976. Les photographies rassemblées rendent hommage aux membres de la SPR, véritables témoins du passé qui ont su, à travers leur objectif, capter leur quotidien tout en se formant à la pratique de la photographie. L’enjeu majeur de l’exposition est aussi de proposer une approche sensible de la photographie amateur telle qu’elle a été pratiquée par les membres de la Société Photographique de Rennes, de dépasser l’aspect technique de la prise de vue et de mettre en avant la valeur historique, esthétique et sociologique de ces images. 1. Michel Frizot (dir.), Nouvelle histoire de la photographie, Paris, Larousse, 2001, p.11. 2. « Statuts de la Société Photographique de Rennes » reproduits dans l’Annuaire de la Société Photographique de Rennes, Rennes, 1899, p. 5.

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La balade des gens heureux « À mon avis, vous ne pouvez pas dire que vous avez vu quelque chose à fond si vous n’en avez pas pris une photographie révélant un tas de détails qui, autrement, ne pourraient même pas être discernés. » Entretien accordé par Émile Zola à la revue The King, 1901, cité dans Charles Grivel, « Zola photogenèse de l’œuvre », Études photographiques, n° 15, novembre 2004, p. 55.

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Au sein des sociétés photographiques – et la SPR ne fait pas exception – on pratique ardemment la technique photographique lors d’excursions minutieusement organisées. Fondée à Paris en 1887 sous la houlette d’Albert Londe, la Société d’Excursions des Amateurs Photographes est la première à démontrer les vertus de ces sorties placées sous le signe de la convivialité et de la bonne humeur1. Une fois les bulletins d’inscription remplis, le déplacement en automobiles ou en train s’organise, et les petits groupes se retrouvent sur le lieu sélectionné pour les prises de vues. Proches de Rennes, le moulin du Boël et les bords de la Vilaine attirent facilement les objectifs. Si les excursionnistes parcourent souvent les circuits touristiques alors en pleine expansion, ces déplacements relèvent plus de « voyages d’essais photographiques » que de « pique-niques champêtres ». Chaque site paysagé est choisi attentivement par les photographes, qui décident en conséquence du matériel adéquat. Les photographes les moins expérimentés reçoivent les conseils des plus habiles quant au choix du meilleur point de vue ou de l’intensité de la lumière. C’est aussi l’occasion de développer sa créativité. Fort de leur expérience excursionniste, certains photographes, comme François Maruelle ou Georges Nitsch, élargissent leur champ d’action à la photographie de voyage en

François Maruelle, L’Exposition universelle de 1900, Paris, 1900, plaque de verre au gélatino-bromure d’argent Page précédente : Anonyme, Excursion dans la vallée de la Rance, vers 1925, plaque de verre au gélatino-bromure d’argent Page suivante : Anonyme, Excursion au Thabor, Rennes, vers 1930, tirage argentique Anonyme, Une sortie de la Société Photographique de Rennes, vers 1960, tirage argentique

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s’éloignant de leur ville et de la Bretagne, pour parcourir la France et l’Europe. Le voyage et le tourisme sont, en effet, des facteurs qui accompagnent le développement de la photographie amateur et aussi l’essor d’une nouvelle sensibilité pour le paysage. La photographie devient une relique de la mémoire et de l’expérience touristique. Les photographies réalisées lors des excursions sont de beaux témoignages de la convivialité régnant au sein de la SPR. Suite à ces sorties, les amateurs se réunissent lors de soirées où chaque plaque de projection, chaque épreuve réalisée est examinée, confrontée aux autres, puis analysée. C’est l’occasion de s’essayer à la critique

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photographique et de recevoir les conseils des anciens ou des plus expérimentés. Ainsi, la pratique excursionniste se révèle être « un cadre pédagogique, basé sur le partage de l’expérience, propice au perfectionnement permanent de la pratique photographique2 ». Elle favorise l’exploration et la captation de sujets photographiques inédits. S’il s’est adapté à l’évolution des techniques, ce mode de fonctionnement a traversé les décennies, et il est toujours d’actualité à la SPR. Lors des réunions, les photographies (tirage papier ou images projetées) sont présentées et discutées. Tous les genres de photographies se retrouvent : nature morte, portrait, paysage etc. Le numérique côtoie l’argentique encore pratiqué par certains. En outre, les membres de la Société Photographique de Rennes dispensent bénévolement des cours sur différents thèmes tels que la composition, le graphisme, le cadrage, le choix des réglages ou encore, le laboratoire photo. 1. Cf. Denis Bernard, André Gunthert, L’instant rêvé. Albert Londe, Nîmes, Éd. Jacqueline Chambon, 1993. 2. Ibid., p. 229.

Anonyme, Concours à la plage, Ostende, vers 1910, plaque de verre au gélatino-bromure d’argent Page suivante : Louis Bourhis, Braderie, Rennes, 1974, tirage argentique Anonyme, À la petite vitesse, Rennes, vers 1950, tirage argentique

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L’instant d’un regard « Nous voulons prendre, en passant, tout ce qui peut s’offrir inopinément à notre vue   [...] apercevons-nous un sujet intéressant, nous le saisissons immédiatement, pour ainsi dire, sans nous arrêter, puis nous continuons notre route. » Albert Londe, La Photographie instantanée. Théorie et pratique, Paris, Gauthier-Villars, 1886, p. 121-122.

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Dans les années 1880, les photographes découvrent une nouvelle manière de photographier avec la miniaturisation des appareils et l’amélioration des procédés de prise de vue. Découvert en 1871 par Richard Leach Maddox, photographe et physicien anglais, le gélatino-bromure d’argent ouvre la voie à la photographie instantanée. Conjuguée à d’autres améliorations techniques, comme l’utilisation de nouveaux objectifs plus lumineux ou l’invention de l’obturateur par Albert Londe en 1881, cette émulsion sur plaque sèche permet la naissance d’une iconographie du mouvement qui prendra son essor à partir de 1886. « Bien des amateurs […] ne rêvent que de photographier des chevaux de courses ou des trains express1 » rappelle

Page précédente : Georges Nitsch, Les bretonnes, Quimper, vers 1920, plaque de verre au gélatino-bromure d’argent Page suivante : Jean-François Romé, Concertation, Rennes, 1960, tirage argentique

Albert Londe pour caractériser cette période. Ces photographies montrent davantage une suspension visuelle d’un instant précis plutôt qu’un mouvement réel. Malgré tout, les photographes amateurs les considèrent comme représentatives de l’instantané. Le regard qui était jusquelà technique devient plus humain. Les temps de pose devenant de plus en plus courts, le photographe amateur souhaite montrer une image plus véridique en privilégiant des figures sincères et authentiques, tout en recherchant l’occasionnel au détour d’instants et de rencontres inattendues. Chacun donne à ses clichés sa propre sensibilité et son regard sur l’Homme ordinaire dans son quotidien. Il s’oriente vers des lieux de vie comme celui de la rue, et s’exerce à « capter un sujet sur le vif, sans préparation ni mise en scène préalable, dans la vérité de son apparition2 ». Le talent du photographe amateur réside dans son

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aptitude à capter un regard, une expression, un mouvement, ou une situation tantôt innocente tantôt caustique. Cette quête de l’instant unique et éphémère donne naissance à une photographie qui, progressivement, place l’homme et son quotidien au centre de son propos, et s’incarne dans une pratique « humaniste » qui prend son essor après la Seconde Guerre mondiale. Si ce mouvement, dont Robert Doisneau est l’un des représentants les plus connus, évoque principalement une vision de Paris et de ses habitants, les photographes de province n’en subissent pas moins son

Louis Bourhis, Portrait d’un vieil homme, 1974, tirage argentique Page suivante : Georges Nitsch, Groupe en costume, Saint Thégonnec, vers 1930, plaque de verre au gélatino-bromure d’argent

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influence. Les tirages de concours conservés à la SPR témoignent de l’impact de ces photographies sur la production artistique et technique des amateurs rennais. Pendant les Trente Glorieuses, la France, restée jusquelà très rurale, s’urbanise. Témoins de ces changements, les photographes amateurs vont participer à la construction d’une imagerie régionaliste ; parfois au risque des stéréotypes. Toujours révélatrices du regard du photographe qui met en valeur la posture amusante de certaines situations, ou révèle la poésie cachée au cœur du réel et du banal, les photographies outrepassent leur valeur documentaire. Elles sont aussi représentatives de l’imaginaire d’une époque. 1. Albert Londe, La Photographie instantanée. Théorie et pratique, Paris, Gauthier-Villars, 1886, p.122. 2. André Gunthert, La conquête de l’instantané - Archéologie de l’imaginaire photographique en France (1841-1895), thèse de doctorat d’histoire de l’art, sous la direction de Louis Marin et Hubert Damisch, EHESS, 1999, p. 28.

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Mémoire photographique « Les [photographes] amateurs partent à la découverte de leur environnement géographique et social. » Propos extrait du site internet du Club des amateurs photographes et cinéastes d’Auvergne

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Dès 1839, lors de la présentation du daguerréotype à la Chambre des députés par le scientifique et homme politique François Arago, la photographie s’affirme dans sa dimension documentaire. Perçue comme une preuve objective d’un événement, elle devient rapidement le médium idéal pour couvrir l’actualité et remplace progressivement les représentations graphiques et les gravures utilisées jusqu’alors dans les journaux. Au tournant du siècle, les premières reproductions photographiques publiées dans la presse font parfois appel à des photographes amateurs. Pionnier du photoreportage qui s’incarnera ensuite dans des figures comme celle de l’américain Robert Capa à partir des années 1930, le photographe amateur est en effet le témoin privilégié de la petite comme de la grande Histoire. Il transmet une vision de son époque, il documente et archive les événements locaux ou parfois même nationaux pour saisir une mémoire visuelle collective. Du 7 août au 9 septembre 1899, Rennes est le théâtre d’un événement majeur de la vie politique, judiciaire et sociétale française : la révision du procès du capitaine Alfred Dreyfus, officier français accusé de haute trahison envers l’État. L’« Affaire », qui révèle de profonds clivages politiques entre les citoyens, divise la France en deux camps : les dreyfusards et les antidreyfusards. La presse d’opinion tient alors un rôle décisif dans le débat. Comme les jourPage précédente : Attribuée à Gaston Maury, Un cordon de troupe barrant l’avenue de la Gare et l’accès au lycée Émile Zola pendant le procès Dreyfus, Rennes, 1899, plaque de verre au gélatino-bromure d’argent Page suivante : Attribuée à Gaston Maury, L’avocat Edgar Demange pendant le procès Dreyfus, Rennes, 1899, plaque de verre au gélatino-bromure d’argent Attribuée à Gaston Maury, Discussion avec Mathieu Dreyfus pendant le procès Dreyfus, Rennes, 1899, plaque de verre au gélatinobromure d’argent

nalistes, les photographes amateurs de la SPR vont saisir le déroulement de l’événement aux abords et dans la cour du lycée Émile Zola, situé avenue de la Gare. Ils souhaitent rendre compte d’une actualité qui a lieu dans leur ville et participent donc à son retentissement national. La photographie devient ainsi un moyen pour eux de prendre part à l’Histoire et ces clichés passent à la postérité pour se transformer en témoins fidèles de faits historiques importants. Ces images du procès auraient été prises par Gaston Maury (1874 -1935), membre de la SPR, connu pour avoir fait éditer des cartes postales d’après ses plaques de verre.1 1. Nous remercions Laurence Prod’homme, conservatrice au Musée de Bretagne (Rennes) de nous avoir fourni ces informations.

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Comme Eugène Atget photographiant les transformations de la ville de Paris au tournant du XIXe et du XXe siècle, les photographes amateurs documentent les mutations que connaissent les villes. Entre 1890 et 1970, les membres de la SPR enregistrent, eux aussi, les différents visages de Rennes et, par la même occasion, les différents modes de vie de ses habitants. La photographie est un moyen non seulement de conserver la mémoire d’un lieu à un moment précis, mais aussi de la transmettre aux générations futures. Arpentant sa ville, le photographe amateur saisit l’environnement urbain qui l’entoure. Au début du siècle, il s’attarde devant un tramway place de la Mairie. Plus tard, ce sont les voitures et les bus qu’un autre photographe immortalisera grâce à un point de vue en plongée. Dans les années 1960-1970, les photographes suivent l’évolution de la construction du quartier du Colombier, symbole de la modernité rennaise. En archivant ces évolutions, éphémères ou pérennes, du paysage urbain, les membres de la SPR cherchent à témoigner des changements qui marquent leur vie quotidienne et nous permettent aujourd’hui d’en retrouver une trace tangible. Afin de documenter les événements d’actualité, les photographes ont parfois l’idée de recourir à la technique de la séquence d’images. Ainsi, les clichés des obsèques du

Gustave Maruelle, Tramway place de l’Hôtel de ville, Rennes, vers 1897, plaque de verre au gélatino-bromure d’argent Page précédente : Louis Bourhis, Construction du quartier Colombier, Rennes, vers 1975, tirage argentique

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cardinal Alexis Charost, le 13 novembre 1930, constituent une sorte de reportage qui permet de revivre la progression du cortège grâce à la succession des photographies. D’autres photographies témoignent des pratiques religieuses et sociales toujours en usage au cours du XXe siècle dans une Bretagne marquée durablement par le catholicisme. Le Grand Pardon de Sainte-Anne-la-Palud, qui a lieu tous les ans à la fin du mois d’août à Plonévez-Porzay dans le Finistère en fournit l’occasion. Les pèlerins viennent célébrer Sainte Anne, patronne des bretons tandis que les photographes couvrent cette actualité locale. D’année en année, les photographies témoignent des évolutions de cette manifestation. Les photographies de classe, tradition d’hier et d’aujourd’hui, s’inscrivent aussi dans cette démarche. Elles se font le reflet d’une histoire collective comme du maintien d’une pratique sociale immuable face à l’évolution du rôle du photographe qui se professionnalise par le biais des commandes. Aujourd’hui, le regard que nous portons sur ces clichés n’est pas le même qu’il y a quarante, soixante ou quatre-vingt ans. Ces images nous permettent, à leur manière, de sauvegarder notre patrimoine, qu’il soit architectural ou immatériel.

Georges Nitsch, Le pardon, Saint-Anne-la-Palud, vers 1930, plaque de verre au gélatino-bromure d’argent Page suivante : Anonyme, Photographie de classe dans le cloître de l’abbaye Saint-Sauveur, Redon, vers 1930, plaque de verre au gélatino-bromure d’argent

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Photographier le quotidien « Cela fait partie du travail du photographe de voir plus intensément que la plupart des gens. Il doit avoir et garder en lui quelque chose de la réceptivité de l’enfant qui regarde le monde pour la première fois ou du voyageur qui pénètre dans un pays étrange. » Bill Brandt, « Camera in London », The Focal Press, Londres, 1948, p. 14.

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La curiosité des amateurs les pousse à tout photographier. Ils saisissent aussi bien les « grands moments » que ceux, plus ordinaires, de la vie quotidienne. Progressivement, des sujets jusque-là déconsidérés captent leur intérêt. S’éloignant des villes pour explorer les campagnes et les côtes, ces photographes majoritairement issus des classes aisées (surtout dans la première moitié du XXe

siècle) et de surcroît citadins, rencontrent alors le quotidien qui leur est peu familier des paysans, pêcheurs et artisans pratiquant une diversité de petits métiers, de techniques et de gestes. Si les photographies de travail représentent « les autres », les clichés de loisirs illustrent davantage les activités propres à leur milieu social. Les photographes de la SPR contribuent ainsi à dresser un portrait sociologique à plusieurs visages de la Bretagne.

Page précédente : Attribuée à Georges Nitsch, Les pêcheurs, vers 1930, plaque de verre au gélatino-bromure d’argent Page suivante : Georges Nitsch, Les batteurs, vers 1930, plaque de verre au gélatino-bromure d’argent Anonyme, Le ferrailleur, vers 1960, tirage argentique

Comme pour les peintres, les scènes rurales deviennent, pour les photographes amateurs en excursion, un motif récurrent qui dessine une image particulière de la Bretagne. En photographiant les hommes au travail, les excursionnistes oscillent souvent entre cliché folklorique et reportage social, et leur intention peut s’avérer difficilement perceptible : recherche d’authenticité ou de pittoresque ? Ethnographie ou esthétisme ? Qu’elle soit documentaire ou artistique, cette démarche joue un rôle de premier plan dans la mise en évidence des réalités sociales et de leurs évolutions. Si, d’un point de vue contemporain, ces photographies peuvent relever du reportage social, la transmission de ce patrimoine iconographique véhicule parfois involontairement la vision d’une Bretagne archaïque et traditionnelle. En effet, la circulation de ces photographies dans les cercles amateurs ou encore sous forme de cartes postales, contribue à créer une image déformée, voire caricaturale de la Bretagne, qui s’installe progressivement dans la mémoire collective1.

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Rythmé par les temps de loisirs des classes bourgeoises mais aussi populaires, le quotidien est aussi un thème récurrent pour les membres de la Société Photographique de Rennes. À la ville, les fêtes et événements, comme les courses hippiques à l’hippodrome des Gayeulles, deviennent des sujets photographiques. Mais c’est surtout à l’occasion des moments de villégiatures et de vacances que l’amateur saisit son appareil. En effet, photographier les loisirs, c’est aussi témoigner des pratiques sociales de son temps. De nouveaux sujets ludiques liés aux vacances, à la détente et au sport pratiqué sur la plage sont désormais propices à l’expérimentation de prises de vues parfois audacieuses. Elle-même forme de loisir, la photographie est intimement liée à une mémoire affective et personnelle. Avec le développement de la pratique amateur et sa démocratisation progressive, photographier devient un geste rituel, trace d’une expérience vécue. Les photographes s’exercent

Ambroise Poirier, La rentrée du canoë, St Cast,1933, stéréogramme d’une plaque de verre stéréoscopique au gélatino-bromure d’argent Page suivante : Georges Dorer, Volley-Ball, sans date, tirage argentique

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ainsi sur des sujets familiers, tout en conservant la trace d’instants passés en famille ou entre amis. Si ces photographies sont avant tout des productions personnelles permettant de garder la mémoire de ces instants heureux, elles deviennent avec le temps des relais de la mémoire collective2. 1. Alain Croix, Didier Guyvarc’h, Marc Rapillard, La Bretagne des photographes : la construction d’une image de 1841 à nos jours, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2012 [2e édition], p. 7, p. 15. 2. Elvire Perego, « Intimités et jardins secrets : l’artiste en photographe amateur », dans Michel Frizot, Nouvelle histoire de la photographie, Paris, Larousse, 2001, p. 336.

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Expérimentations photographiques « Pour moi, j’émets le vœu que la photographie, au lieu de tomber dans le domaine de l’industrie et du commerce, rentre dans celui de l’art. C’est sa seule véritable place, et c’est dans cette voie que je chercherai toujours à la faire progresser. » Gustave Le Gray, Photographie. Traité nouveau, théorique et pratique des procédés et manipulations sur papier sec, humide et sur verre au collodion, à l’albumine, Paris, Ed. Lerebours et Secretan, 1852, p. 70.

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La Société Photographique de Rennes est fondée à un moment charnière dans l’histoire de la photographie. Dans ces mêmes années émerge en effet le pictorialisme, mouvement d’envergure internationale, rassemblant des photographes – pour la plupart amateurs – dont l’objectif est de faire reconnaître la photographie comme un art à part entière. Luttant contre les dérives commerciales de cette dernière, les pictorialistes cherchent à créer une esthétique photographique fondée sur le rapprochement avec la peinture et placent l’acte artistique au cœur de la pratique de la photographie. Au même moment, de nouveaux appareils photographiques, de petit format et au fonctionnement simplifié, mettent la photographie à la portée de tous. Deux catégories de photographes non professionnels apparaissent alors. Dans son texte « La photographie des couleurs1 », Albert Londe distingue

ainsi le simple « presse bouton » qui utilise des appareils de type Kodak, de l’amateur qui se soucie davantage des aspects techniques. Les photographes de la SPR, appartiennent à cette seconde catégorie. Ils explorent les possibilités du médium en se concentrant autant sur les sujets représentés, que sur les conditions techniques de la prise de vue. Puisant leurs modèles dans l’histoire de la photographie, ils ne cherchent pas à produire une photographie « cultivée » mais visent toutefois à créer des images d’une qualité esthétique certaine.

Page précédente : Pierre Vasseur Decroix, Femme au miroir, 1970, tirage argentique Page suivante : Louis Bourhis, Reflet d’un photographe, vers 1970, tirage argentique

Passionnés par la technique aussi bien que par l’histoire du médium, les membres de la SPR connaissent les images emblématiques des principaux courants artistiques de la photographie. Leur production s’inspire à de nombreux égards de ces modèles auxquels ils ont accès par les expositions et par les revues. Les générations d’adhérents qui se succèdent montrent une attention constante aux courants novateurs contemporains

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comme la Nouvelle Vision dans l’entre-deux-guerres, ou ensuite la photographie humaniste. Parfois, le style des photographes porte la marque d’un certain décalage historique qui témoigne d’une connaissance différée transmise par les livres et l’échange de connaissances généré par la pratique associative. Par les sujets ou par un travail sur la composition, sur les jeux de lumière et de « flou artistique », les photographes de la SPR cherchent, dès les débuts de l’association, à se rapprocher du modèle des Beaux-Arts. Ils réalisent

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des natures mortes dans la plus pure tradition picturale et photographient des scènes de labours directement inspirées des toiles de Rosa Bonheur. La représentation d’un idéal de vie rustique, dans le sillage des œuvres peintes de Jean-François Millet ou Jules Bastien-Lepage, figure parmi les caractéristiques du mouvement pictorialiste aux côtés de la notion de pittoresque. Le miroir et son reflet, autre thématique récurrente observée dans la production des photographes de la SPR, illustre un rapprochement avec les tendances symbolistes du mouvement pictorialiste autant qu’avec celles des photographes du Bauhaus durant l’entre-deux-guerres. L’esthétique pictorialiste ne constitue pas, en effet, la seule influence que connaissent les photographes de la SPR et nombreuses sont les références à d’autres courants artistiques ainsi qu’à leurs représentants. Par leur point de vue en plongée ou en contre-plongée, leur composition dirigée par des lignes de force obliques, certains clichés évoquent en effet le travail du peintre et photographe d’origine hongroise Laszlo Moholy-Nagy dans les années 1920 et 1930.

Georges Nitsch, Le labour, vers 1930, plaque de verre au gélatino-bromure d’argent Page suivante : Georges Dorer, La noce, vers 1955-60, tirage argentique

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Si l’histoire de la photographie joue un rôle dans la construction du regard des sociétaires et influence leur production, c’est sur l’expérimentation que les membres de la SPR, à l’image d’autres clubs de photographie, fondent leur pratique. Cadrages, travail de la lumière et des éclairages, choix du motif, composition sont des problématiques prenant place au cœur de leur réflexion et de leur formation. Leurs intentions ne se définissent pas, alors, comme celles d’artistes-photographes, par un parti pris répondant à un processus créatif complexe, mais par la volonté de capturer un sujet, un instant, avec la plus grande maîtrise technique. Les prises de vue effectuées rendent compte de ce savoir-faire ainsi que de la capacité du photographe à doter ses clichés d’une qualité visuelle et esthétique. Ainsi, la photographie représentant un brûleur de goémon valorise l’effort, le travail physique dans un environnement difficile. Le photographe parvient à saisir le geste de l’homme, l’élévation des fumées, leur matière à la fois dense et insaisissable. Par le cadrage et la composition, il tend à faire de ce labeur un sujet artistique.

Page précédente : Anonyme, Le brûleur de goémon, Penmarc’h, sans date, plaque de verre au gélatino-bromure d’argent Georges Nitsch, À l’accostage, Cancale, vers 1930, plaque de verre au gélatino-bromure d’argent Page 50 : André Coquelin, Les persiennes, vers 1960, tirage argentique Page 51 : Hervé Ratte, Le Trégor, (Rennes), 1973, tirage argentique

Depuis sa création, la SPR a maintenu, vis-à-vis de ses adhérents, le principe des échanges et de l’émulation technique et artistique au cours de soirées ou de rencontres plus formalisées comme les concours ou les expositions qui se sont tenues pendant un temps à l’École des Beaux-Arts. Organisées entre 1976 et 2009, les Rencontres photographiques qui ont accueilli des grands noms de la photographie française comme Robert Doisneau, John Batho ou Lucien Clergue ont permis de franchir une nouvelle étape dans la démarche qui est au cœur de l’activité associative : rendre accessible la création contemporaine pour compléter la formation des membres.

1. Albert Londe, « La photographie des couleurs », Le Chasseur Français, n° 270, 1907, p. 26.

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REPÈRES CHRONOLOGIQUES LA SPR DANS L’HISTOIRE DE LA PHOTOGRAPHIE FRANÇAISE

1826 Nicéphore Niépce réalise la première image photographique. 1839 Divulgation du daguerréotype. 1er février 1851 Création, à Paris, de la Société Héliographique, première société photographique en France. Publication de La lumière, première revue entièrement dédiée à la photographie. 15 novembre 1854 Fondation de la Société Française de Photographie à Paris. 4 juillet 1887 Fondation de la Société d’Excursions des Amateurs Photographes (SEAP) à Paris. 1888 Fondation du Photo-Club de Paris qui se caractérise par des ambitions artistiques et son implication dans le mouvement international du pictorialisme. Commercialisation de l’appareil Kodak fonctionnant avec des films photographiques. Début de la démocratisation de la pratique de la photographie. 1889 Premier Congrès international de photographie tenu à Paris dans le cadre de l’Exposition universelle. 13 juin 1890 Fondation de la Société Photographique de Rennes (SPR). M. Lenormand, magistrat, en est le Président. Le comité d’honneur est composé de M. Bucquet, Président du Photo-Club de Paris, A. Davanne, Vice-Président de la Société Française de Photographie, J. Janssen, Président de la Société Française de Photographie, G. Lippmann, membre de l’Institut, G. Tissandier, Directeur du journal La Nature, L. Vidal, professeur à l’École nationale des arts décoratifs. 1892 Fondation de l’Union Nationale des Sociétés Photographiques de France (UNSPF), institution fédérative chargée d’harmoniser les activités et les recherches des amateurs. La SPR intègre cette institution dès 1892. Première exposition internationale de photographie et des industries à Paris. Le Photo-Club de Paris organise un véritable « Salon de photographie ».

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11-25 décembre 1892 La SPR organise une exposition nationale de photographie dans l’ancien Hôtel Guibourgère, 14 Place du Champ Jacquet à Rennes. 20-23 mai 1899 La SPR reçoit la 8ème session de l’Union Nationale des Sociétés Photographiques de France. Outre l’organisation de réceptions et d’excursions, des soirées de projections sont organisées. Ainsi, le 21 mai, des films du cinématographe et des photographies en couleurs [trichromies] de la maison Lumière sont projetés. 1900 L’Exposition universelle de Paris attire de nombreux photographes amateurs. 1913-1923 Georges Nitsch est secrétaire général de la SPR. 1923-1938 Georges Nitsch est président de la SPR, puis président d’honneur jusqu’à sa mort en 1941. Durant l’entre-deux-guerres, la SPR expose régulièrement dans les galeries de l’École des Beaux-Arts de Rennes, rue Hoche. 1947 L’Union Nationale des Sociétés Photographiques de France devient la Fédération des Sociétés Photographiques de France. 1949 La Fédération des Sociétés Photographiques de France devient la Fédération Nationale des Sociétés Photographiques de France. 1976 Création des « Rencontres photographiques de Rennes » par Pierre Chemin, alors président de la SPR, et Martial Gabillard, adjoint au Maire de la ville de Rennes. Ces rencontres auront lieu environ une fois par an jusqu’en 2009. 1980 La SPR reçoit le 78ème congrès national de la Fédération Nationale des Sociétés Photographiques de France. 1989 La Fédération Nationale des Sociétés Photographiques de France change une nouvelle fois de nom et devient la Fédération Photographique de France. 6 - 25 novembre 1990 Célébration du centenaire de la SPR à la Maison du Champ de Mars de Rennes dans le cadre des 15ème rencontres photographiques. 2015 Célébration des 125 ans de la SPR sous la présidence de Patrick Deliquaire.

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Bibliographie INDICATIVE BAJAC Quentin, L’image révélée. L’invention de la photographie, Paris, Gallimard, octobre 2001. BAJAC Quentin, La photographie du daguerréotype au numérique, Paris, Gallimard, 2010. BARTHES Roland, La chambre claire, Note sur la photographie, Paris, Éd. de l’Étoile / Gallimard / Éd. du Seuil, 1980. BERNARD Denis, GUNTHERT André, L’instant rêvé. Albert Londe, Nîmes, Éd. Jacqueline Chambon, 1993. BERTHELOM Gérard, JEANNEAU Corinne, Photographes du XIXe siècle, les nouveaux imagiers de la Bretagne, Spézet, Coop Breizh, 2006. BOULOUCH Nathalie (dir.), Voyager en couleurs : photographies autochromes en Bretagne (1907-1929), Rennes, Apogée, 2008. CARTIER-BRESSON Anne (dir.), Le vocabulaire technique de la photographie, Paris, Marval / Paris musées, 2008. CHEMIN Pierre, 1890 -1990 : cent ans de photographie, catalogue d’exposition, Rennes, Société Photographique de Rennes, 1990. CROIX Alain, GUYVARC’H Didier, RAPILLARD Marc, La Bretagne des photographes : la construction d’une image de 1841 à nos jours, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2012 [2e édition]. DAUM Patrick, RIBEMONT Francis (dir.), La photographie pictorialiste en Europe, 1888 -1918, Cherbourg, Rennes, Le point du jour / Musée des Beaux-Arts de Rennes, 2005. DURIEUX Philippe, Georges Nitsch et la photographie en 1900, Maîtrise d’Histoire, Université Rennes 2, 1996. FRIZOT Michel (dir.), Nouvelle histoire de la photographie, Paris, Larousse, 2001. GERVAIS Thierry, MOREL Gaëlle, La photographie. Histoire. Techniques. Art. Presse, Paris, Larousse, 2008. GRIVEL Charles, « Zola photogenèse de l’œuvre », Études photographiques, n°15, novembre 2004, p. 31-60.

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GUNTHERT André, La conquête de l’instantané - Archéologie de l’imaginaire photographique en France (1841-1895), thèse de doctorat d’histoire de l’art, sous la direction de Louis Marin et Hubert Damisch, EHESS, 1999. GUNTHERT André, « La photographie, monument de l’expérience privée », L’atelier des icônes, septembre 2012, [en ligne], http://culturevisuelle.org/icones/2514 (Consulté le 19 février 2015). GUNTHERT André, POIVERT Michel (dir.), L’art de la photographie, Des origines à nos jours, Paris, Citadelles et Mazenod, 2007. JONES Julie, TROUFLEAU-SANDRIN Carole, CHABERT Garance, La République des amateurs - Les amateurs photographes autour de 1900 dans les collections de la Société Française de Photographie, Paris, Éd. du Jeu de Paume, 2011. La Société caennaise de photographique 1891-1948, Cahiers de l’ARDI, n°1, Septembre 2007. LONDE Albert, La Photographie instantanée. Théorie et pratique, Paris, Gauthier-Villars, 1886. MASSIN Robert, Zola Photographe, Paris, Musée-galerie de la Seita, 1987. POIVERT Michel, Le Pictorialisme en France, Paris, Hoëbeke / Bibliothèque nationale de France, 1992. PROD’HOMME Laurence, Charles et Paul Géniaux, deux frères en photographie, Lyon, Éd. Fage, 2014. PROD’HOMME Laurence (dir.), Reflets de Bretagne, les collections photographiques du musée de Bretagne, Lyon, Éd. Fage, 2012. Rennes en flânant, l’objectif discret de Charles Barmay, 1961-1967, catalogue d’exposition, Rennes, Écomusée du pays de Rennes, 2004. VEILLARD Jean-Yves, Rennes naguère, 1850-1939, Lausanne, Éd. Payot, 1981. Ressources radiophoniques : La Fabrique de l’Histoire, 12 -13, Histoire de la photographie 3/4, Émission d’archives : les sociétés photographiques, diffusée le 14/11/2012 à 09h06, France Culture, disponible sur Internet : http://www.franceculture.fr/player/ reecouter?play=4528073 (consulté le 15/12/2014) La Fabrique de l’Histoire, 12 -13, Histoire de la photographie 4/4, Débat historiographique : faire une histoire des photographies amateurs, diffusée le 15/11/2012 à 09h06, France Culture, disponible sur Internet : http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4528075 (consulté le 15/12/2014) 55

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CONCEpTION ET RéAlISATION dE l’EXpOSITION

Les étudiantes du Master 2 « Gestion et mise en valeur des oeuvres d’art, des objets ethnographiques et techniques » (MAGEMI) : Clémence Canel, Lucie Carbon, Delphine Charpentier, Claire Davoine, Tania Fernandez, Camille Fourré, Marion Frémont, Alice Grégoire, Hélène Le Fischer, Pauline Mady, Clémence Moullé-Prévost, Mélodie Patry, Lara Plaisance, Astrid Potiron de Boisfleury, Margaux Schaeffer, Camille Vlérick.

Sous la direction de Louis André, Nathalie Boulouch (responsables du Master MAGEMI) et Sylvie-Marie Scipion (muséographe, chargée de cours). Atelier scénographie encadré par Eric Verrier, agence Brise-pain, Orléans. Atelier graphisme encadré par Stéphane Thommeret, agence Hokus Pokus Créations, Rennes. Atelier communication encadré par Lilian Madelon, responsable du Service communication des Champs Libres, Rennes.

pRÊTEuRS

Société Photographique de Rennes, Jean-Charles Devigne, Olivier Harel, Hervé Ratte.

CONCEpTION ET MISE EN pAgE du CATAlOguE Delphine Charpentier, encadrée par Stéphane Thommeret.

IMpRESSION du CATAlOguE

Service imprimerie et reprographie de l’Université Rennes 2.

Anonyme, Photographie de classe au cloître de Saint Sauveur, Redon, vers 1930, plaque de verre au gélatino-bromure d’argent

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EXEMPLAIRE OFFERT

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