SONEREZH. Sur la route d'une Bretagne sonore, de 1939 à nos jours

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SUR LA ROUTE D’UNE BRETAGNE SONORE de 1939 à nos jours CATALOGUE de l’exposition 04 avril - 22 juin 2022 BU Centrale et BU Musique Campus Villejean / Université Rennes 2
SONEREZH

Éditions MAGEMI

2 Place du Recteur Henri-le-Moal UFR ALC, Université Rennes 2 35043 Rennes cedex France

Achevé d’imprimer en novembre 2022 par le Service impression et reprographie, 2 Place du Recteur Henri-le-Moal, Université Rennes 2, 35043 Rennes cedex pour le compte de l’association cARTel.

ISBN : 978-2-9584664-0-4 Dépôt légal : novembre 2022

SONEREZH

SUR LA ROUTE D’UNE

de 1939 à nos jours

BRETAGNE SONORE

Remerciements

Cet ouvrage est publié à l’occasion de l’exposition SONEREZH*, Sur la route d’une Bretagne sonore, de 1939 à nos jours, qui a pris place à la Bibliothèque Centrale et à la Bibliothèque de Musique de l’Université Rennes 2 du 4 avril au 22 juin 2022.

Conçu et réalisé par les étudiantes et étudiants du Master 2 Gestion et mise en valeur des œuvres d’art, des objets ethnographiques et techniques (MAGEMI) du département d’Histoire de l’Art et Archéologie de l’Université Rennes 2, encadré·e·s par Florence Duchemin-Pelletier, il prolonge le contenu de l’exposition tout en conservant la trace du riche et long travail qui a été mené.

L’exposition a pu être réalisée grâce au remarquable travail de recherche et de synthèse sur les archives de la Mission Basse-Bretagne de 1939 effectué par Marie-Barbara Le Gonidec, ethnomusicologue, que nous remercions chaleureusement pour ses encouragements, ses nombreuses relectures et ses conseils avisés. Nous souhaitons aussi remercier vivement les autres membres du comité scientifique : Alexandre Girard-Muscagorry, Emmanuel Parent ainsi que les nombreux spécialistes qui nous ont accompagné·e·s tout au long de nos réflexions.

Nous tenons par ailleurs à adresser nos remerciements aux responsables des deux bibliothèques qui ont accueilli l’exposition : Caroline Chevallier, Clarisse Grasset et Catherine Pascale (BU Centrale) ainsi que Gwenael Orhan et Jefferson Lopez (BU Musique).

Ce projet a été l’occasion de collaborer avec différentes associations qui œuvrent à la préservation du patrimoine culturel breton et nous ont prêté des archives papier et sonores, ainsi que des instruments. Nous remercions ainsi le CRBC de Brest et tout particulièrement Marie-Rose Prigent, l’association DASTUM, notamment Vincent Morel et Gwen Drapier, l’association Dasson An Awel et enfin les Cercles Celtiques de Rennes. Nous souhaitons également exprimer notre reconnaissance au musée de Bretagne, partenaire de longue date du Master MAGEMI qui lui aussi valorise l’histoire de cette région, et en particulier à Laurence Prod’homme, conservatrice du patrimoine.

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Cette exposition a été enrichie par une programmation culturelle proposant un cycle de conférences et un concert de clôture. Celle-ci a pu être réalisée grâce à la participation d’intervenants que nous remercions : Vincent Morel, Marie-Barbara Le Gonidec, Tristan Jézékel accompagné de Clément Le Goff et enfin le groupe de musique bretonne Le Bour-Bodros. Nous tenons par ailleurs à saluer Alan Stivell, qui nous a fait l’honneur de visiter l’exposition et avec qui nous avons eu plaisir à échanger.

Nous souhaitons également exprimer notre gratitude envers nos partenaires financiers et techniques : l’Université Rennes 2, notamment l’UFR ALC et la commission du FSDIE, Rennes Métropole représentée par Marion Fleurance et Tristan Lahaie, Guénolé Jezequel pour la réalisation du mobilier, la société AGELIA, l’équipe de l’EDULAB, la reprographie de Rennes 2, le service culturel et l’association cARTel.

Nos remerciements vont aux contributeurs et contributrices de notre campagne de financement participatif qui nous ont permis de financer une partie du mobilier de l’exposition, notamment : Ismaën Bessa, Nathalie Boulouch, Marie-Noël Garreau, Pascale Bourdelais, Christel Le Meur, Marie-Thérèse Le Peutrec, Agnès Levillain, Théo Marchal, Arnaud Pagnol, Monique Roblin et Solange Roblin. Nous remercions également Danielle Martin pour le prêt de sa malle en bois qui vient apporter une touche d’authenticité à notre propos.

Enfin, nous tenons vivement à témoigner notre reconnaissance à l’équipe pédagogique qui nous a conseillé·e·s et encadré·e·s tout au long de ce projet : Florence Duchemin-Pelletier (enseignante-chercheuse en histoire de l’art contemporain et histoire des collections), Agnès Levillain (muséographe), Gilles Debroise (graphiste), Éric Morin (scénographe) et Camille Étesse (chargée de mission projets transversaux Ressources Humaines).

*« Musique » en breton.

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Sommaire

D’une aventure l’autre Exposer la mission de folklore musical, un pari réussi DASTUM : Collecter, sauvegarder, transmettre le patrimoine oral breton

Musique et Bretagne : Les choix de Georges Henri Rivière

La Bretagne dans les yeux des folkloristes

La Bretagne des années 1930 Bécassine, un personnage clivant

L’équipe de la mission

La Mission et la presse

Une collecte phonographique

Le Soubitez

Musiques, chants et danses en Bretagne, témoins d’une société en mutation

Biniou-bombarde : une vie de couple mouvementée

Le collectage des danses par Jeannine Auboyer : un projet complexe et ambitieux

À la rencontre du breton

La mission et l’université de Rennes

Le revivalisme de la musique bretonne

Alan Stivell : faire renaître la harpe celtique

Musique à l’affiche !

Souvenirs

Bibliographie indicative

et production

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Crédits
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D’UNE AVENTURE L’AUTRE

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« voilà une belle idée ! Je participerai avec grand-plaisir. »

Courriel de Marie-Barbara Le Gonidec, 1er février 2021

Depuis maintenant treize ans, les étudiant·e·s du Master 2 MAGEMI pensent l’exposition et la valorisation des collections dans leur pluralité. Si la formation trouve son ancrage dans l’histoire de l’art, elle n’hésite pas à déborder ses frontières – somme toute négociables – et s’impose peu de limites en termes de prises en charge. C’est à la monstration des « curiosités » scientifiques d’Agrocampus Ouest que la troisième promotion s’est ainsi attelée en 2012, ouvrant le bal des projets annuels. Chaque groupe conçoit et produit depuis sa propre exposition, en collaboration avec des partenaires institutionnels et associatifs. Photographie, histoire sociale, livres anciens, objets de sciences et productions singulières ont tour à tour été passés au crible par le MAGEMI.

En 2021, la responsabilité de la formation m’est confiée : je marche dans les pas déjà grands de Louis André et Nathalie Boulouch, ses fondateurs, et de Patricia Plaud-Dilhuit. Ma première mission consiste à trouver le sujet de la prochaine exposition – un ou des corpus que les étudiant·e·s mettront en valeur. Un collègue avisé, au regard de mes préoccupations du moment, me suggère la musique. Je teinte la proposition de mon appétence disciplinaire pour l’ethnologie et découvre au fil de mes pérégrinations numériques, toutes mises en ligne, les archives de la première enquête ethnomusicologique en France. Basse-Bretagne 1939, une initiative du nouveau Musée National des Arts et Traditions Populaires et du chantre de la muséologie Georges Henri Rivière : tiercé gagnant pour une formation bretonne préparant aux métiers des musées.

Je m’empresse de contacter la responsable de ce travail colossal de recherche, l’ethnomusicologue Marie-Barbara Le Gonidec. La perspective d’une exposition sur cette « mission de folklore musical » et ses documents écrits, ses sources visuelles et sonores, l’intéresserait-elle ? La boîte mail sonne 30 minutes plus tard : « voilà une belle idée ! Je participerai avec grandplaisir. » Tout le long du projet, elle fera preuve du même enthousiasme et de cette belle générosité qui la caractérise.

Au sujet – ou à son ébauche –, il faut désormais un lieu. La Bibliothèque universitaire du campus est prête à nous accueillir. Caroline Chevallier, chargée de mission Action culturelle et des Fonds anciens, suggère que nous montrions quelques livres précieux et que nous investissions en sus l’espace de la BU musique.

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Comme si deux lieux et deux corpus ne suffisaient pas, j’ajoute au lot les riches collections du musée de Bretagne, et notamment celles d’affiches de festivals afin d’ouvrir la chronologie sur le contemporain.

Mais que d’objets à examiner, d’histoires à saisir et d’interlocuteurs avec lesquels s’entretenir pour l’équipe d’apprenti·e·s commissaires ! Que de choix à faire surtout, car c’est bien l’enjeu d’une exposition : construire un récit cohérent au moyen d’expôts soigneusement sélectionnés et mis en relation. La promotion allait-elle envisager la mission Basse-Bretagne comme point de départ d’une histoire plus large, peut-être comparative et transculturelle, ou bien en faire l’objet propre de son travail ? Au terme de discussions animées, elle choisit la mission, estimant qu’une histoire s’était écrite avec elle : une histoire scientifique, patrimoniale et humaine qui valait la peine d’être racontée.

L’équipe de co-commissaires a toutefois veillé à ne jamais céder au passéisme : si elle inscrit historiquement la collecte de chants et de danses traditionnels dans le paradigme de l’ethnographie de sauvetage, elle met aussi en lumière le renouvellement et l’adaptation des pratiques telles qu’elles ont été observées – parfois déconsidérées – par les enquêteurs. Les enjeux de langues et de graphies, l’absence de fixité des identités et le revivalisme d’après-guerre sont chacun investis afin de souligner les stratégies de survivance, au sens de Gerald Vizenor1, et de transmission au cœur de ces patrimoines en contexte minoritaire.

Ce dynamisme est également dit par les moyens expographiques : les visiteurs sont incités à se mettre à l’écoute non seulement des extraits sonores, accessibles par QR code2, mais aussi des voix multiples des enquêteurs, enquêtés et acteurs contemporains. Les flipbooks n’attendent qu’à être feuilletés pour reproduire le mouvement des danseurs, diffusé simultanément sur l’écran opposé. Des pictogrammes permettent d’assimiler les typologies de chants. D’amour, d’ivrogne ou de fête ? Il faut écouter, observer et se reporter à la légende : une leçon de didactique. La contribution d’associations et de musiciens, parfois célèbres, à la programmation culturelle témoigne de cette attention doublement portée à l’activation et l’actualisation des savoirs traditionnels. Le public de la bibliothèque n’oubliera d’ailleurs pas ce 12 avril 2022 où, pris d’un sentiment d’inquiétante étrangeté, il vit se dédoubler l’image d’Alan Stivell : l’artiste posait, en chair et en os, devant sa photographie au mur.

Au final, si la promotion MAGEMI s’est tant attachée à cette mission et à ses protagonistes, à ses découvertes et rencontres, à ses contraintes et difficultés, c’est peut-être qu’elle voyait déjà à travers elle se dessiner sa propre aventure collective. Ce catalogue, aux allures de journal de bord, traduit cette histoire continuée et partagée.

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Florence Duchemin-Pelletier

1 Critique et théoricien anishinaabe qui définit la survivance comme « une présence active » et une forme de résistance. Le concept, s’il est bâti par Vizenor pour décrire l’expérience des communautés autochtones d’Amérique du Nord, peut aider à penser la manière dont les peuples ayant été soumis à des politiques d’assimilation ont activement contribué à faire perdurer leurs savoirs et leurs traditions. VIZENOR, Gerald, Manifest Manners. Postindian Warriors of Survivance, Hanover : Wesleyan University Press, 1994.

2 Le site est accessible à cette adresse : http://sonerezh.go.yo.fr

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EXPOSER LA MISSION DE FOLKLORE MUSICAL, UN PARI RÉUSSI

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Quand j’ai intégré le département d’ethnomusicologie du Musée National des Arts et Traditions Populaires à Paris en 2004, je prenais, non sans émotion, des années après, la suite de celle qui, en organisant en 1939 la « Mission de folklore musical en Basse-Bretagne », avait directement contribué à la fondation de l’ethnomusicologie de la France.

Dans le bureau de Claudie Marcel-Dubois dont je prenais possession 23 ans après son départ, je trouvais des placards débordant des traces de son activité dans ce musée-laboratoire depuis sa création en 1937. D’autres placards muraux, prévus par l’architecte à la construction du bâtiment et que l’on m’avait dit être tout aussi pleins, se déployaient dans le couloir, et je longeais ainsi à longueur de journée, une flanquée de portes dûment fermées à clef protégeant les trésors que Marcel-Dubois avait amassés.

Ce n’est que quatre ans après mon arrivée, cherchant un document sur l’enquête en Berry de 1943, que j’ai eu à ouvrir le placard contenant les archives « papier » les plus anciennes. Et alors, quelle ne fut pas ma surprise de me rendre compte que celles de la mission Basse-Bretagne de 1939 se déployaient sur plusieurs boîtes alors que la plupart des autres archives, dont celle de 1943, étaient, quantitativement parlant, très modestes !

Je connaissais déjà peu ou prou les fonds de la phonothèque dont j’avais hérité de la responsabilité, et bien sûr, ceux de la mission BasseBretagne représentant 7 heures de musique tout à fait inaudible en raison des mauvaises conditions de conservation des disques originaux pendant l’Occupation. Vu la quantité, je pressentais que ces archives textuelles allaient pouvoir redonner tout leur sens aux voix de ces Bretons enregistrés en cet été 1939, d’autant que, me renseignant auprès du service photos, j’apprenais que 437 clichés avaient été réalisés, accompagnés – quelle excellente surprise ! – par 12 pellicules de film, dont il restait la moitié seulement au service audiovisuel du musée. Par bonheur, les pellicules manquantes ont été retrouvées dans les réserves de la phonothèque, « dormant » parmi les bandes magnétiques.

Une de mes activités au musée n’était-elle pas de valoriser les collections ? Le caractère pionnier de cette enquête lui donnait un intérêt tout à fait particulier, au-delà de son intérêt intrinsèque.

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Elle devait faire l’objet d’une publication. Mais pour moi dont les travaux, formation oblige, s’en tenaient au contemporain, propre de ma discipline, et surtout, se basaient sur mes propres données, la difficulté était de prendre en main des « archives », documents plus spécifiques aux historiens ou, autrement vu, des données, certes ethnomusicologiques, mais produites par d’autres...

Me plongeant dans ce fonds, dactylographiant le journal de route manuscrit, numérisant les 437 clichés, puis la totalité des documents écrits produits par les enquêteurs, avant, pendant et après l’enquête (rapports, correspondance, notes et carnets de terrain, textes des conférences, transcriptions linguistiques et traductions, transcriptions musicales, etc. soit plus de 3 500 scans), je n’eus bientôt plus aucune crainte : je me rendais compte qu’il suffisait de raconter, tout simplement, l’aventure, qui s’avérait passionnante, des trois enquêteurs novices (l’ethnomusicologie était balbutiante, Marcel-Dubois pas plus que Falc’hun, le linguiste qui l’accompagnait, n’avaient d’expérience, Auboyer, historienne de l’art, était « vacataire à tout faire », s’étant trouvée là embarquée en qualité d’amie de Marcel-Dubois rencontrée à l’École du Louvre). Grâce à ces documents, on assistait jour après jour à la préparation de l’enquête puis on suivait pas à pas ces dames et monsieur l’abbé sur le terrain, on savait qui ils avaient vu, ce qu’ils avaient appris. On prenait aussi la mesure des difficultés auxquelles ils avaient eu à faire face en cette période d’avant-guerre et dans une Bretagne où de « farouches » militants les attendaient au tournant, eux, ces étrangers venus de Paris pour leur « voler » leur patrimoine et l’enfermer dans un musée... un patrimoine tout à coup précieux alors que le gouvernement faisait tout pour éliminer la culture et la langue régionales.

J’ai vite compris que cette publication ne serait celle ni d’un historien ni d’un ethnologue, mais un récit qui raconte comment la première collection de « musique », cet objet immatériel jusqu’alors appréhendé via ses outils, les instruments, est entrée dans un musée d’ethnologie.

Cette aventure, la voilà qui recommence cette année et c’est celle de novices à nouveau. Comme les enquêteurs, « apprentis ethnologues » sur le terrain, moi-même, « apprentie archiviste », un groupe d’étudiants de Rennes 2, « apprentis muséographes », s’est lancé avec courage, et enthousiasme, dans la réalisation d’une exposition difficile car de fait, donner à voir au public cette enquête qui n’a rapporté aucun objet de musée était une gageure. Ils ont réussi, et avec talent, à faire d’un processus, l’enquête, un véritable objet muséographique.

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Marie-Barbara Le Gonidec
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15 DASTUM : COLLECTER, SAUVEGARDER, TRANSMETTRE LE PATRIMOINE ORAL BRETON

Créée en 1972, Dastum fête ses 50 ans en cette année 2022. L’association, dont le nom signifie « recueillir » en breton, s’est donnée pour mission de favoriser, d’encourager les initiatives de collectage des traditions orales en Bretagne (chansons, airs instrumentaux, contes, légendes, témoignages…), mais aussi et surtout d’assurer la copie, la sauvegarde, aujourd’hui la numérisation de tous les enregistrements produits, leur traitement documentaire et la mise à disposition du public de toutes ces richesses.

Cette idée de mettre à disposition de tous la documentation issue de ces enquêtes de terrain est au cœur du projet de Dastum, c’en est même la raison d’être. En effet, il ne s’agit pas ici d’une démarche de recherche universitaire, mais plutôt d’un projet de militantisme culturel, qui vise avant tout à rendre possible le maintien de pratiques culturelles populaires, issues d’une longue transmission orale, et dont la survie apparaissait clairement menacée dans la seconde moitié du XXe siècle. En lançant ce projet en 1972, les fondateurs de Dastum ne souhaitaient pas seulement favoriser le maintien des pratiques, ils voulaient aussi et surtout que celles-ci s’enracinent au maximum dans la richesse et l’abondance du terrain. Si beaucoup d’anciens porteurs de tradition avaient alors déjà cessé de s’exprimer au quotidien, ils étaient encore des milliers à pouvoir fouiller dans leur mémoire pour répondre aux questions, jouer, chanter, pour peu qu’on prenne la peine de venir leur tendre un micro ! C’est ce qu’ont fait, notamment dans les années 1970, 80, 90, des dizaines, et même quelques centaines de bénévoles, passionnés, le plus souvent de jeunes chanteurs ou sonneurs avides de puiser aux sources pour alimenter leur propre pratique, notamment dans le cadre du fest-noz

En même temps que se développait ce phénomène du fest-noz et que grandissait le nombre de sonneurs et de chanteurs de la nouvelle génération, le projet de Dastum prenait corps et des milliers d’enregistrements affluaient, tous consciencieusement copiés, analysés et mis en consultation. Grâce à un réseau d’antennes locales, des copies sur cassettes sont bientôt rendues consultables un peu partout en Bretagne, avant que la numérisation et l’avènement d’internet ne rendent encore plus efficace cette mise à disposition. Aujourd’hui, Dastumedia, la base de données en ligne de Dastum, donne accès à près de 10 000 heures d’archives sonores inédites, représentant plus de 20 000 interprètes enregistrés, nés pour

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la plupart d’entre eux entre 1870 et 1950 ! Le travail se poursuit et on estime que ces chiffres seront amenés au moins à doubler dans les années à venir. On compte aujourd’hui plus de 5 000 membres-consultants inscrits sur Dastumedia (inscription obligatoire, mais gratuite, pour un accès complet), et ce nombre continue d’augmenter.

Disons enfin que depuis un peu plus de 20 ans, Dastum a vu arriver de nouveaux types de dépôts d’archives sonores, en provenance notamment des institutions et du milieu de la recherche universitaire (INA, CRBC, MNATP, archives personnelles de chercheurs, etc.) Le cas des fonds d’archives sonores du MNATP (Musée National des Arts et Traditions Populaires, devenu depuis le Mucem) est particulièrement intéressant puisque les enregistrements qui y étaient conservés ont longtemps été extrêmement difficiles d’accès pour le grand public. Les fonds concernant la Bretagne, et notamment cette fameuse enquête de 1939, étant bien sûr d’un grand intérêt, cette difficulté d’accès a longtemps suscité de la colère et du ressentiment dans le milieu culturel breton. On peut même dire que ce fut là l’une des motivations (pas la seule) pour créer Dastum en 1972, dont le premier président, Patrick Malrieu, continua régulièrement de faire pression sur cet état de choses. Heureusement, la situation évolua ensuite dans le sens de l’ouverture, et à la faveur de changements à la tête de la phonothèque du MNATP au cours des années 1990 (arrivée de Florence Gétreau puis de Marie-Barbara Le Gonidec), Dastum a pu établir enfin d’excellentes relations avec le musée et récupérer une copie de la totalité des fonds bretons qui y étaient conservés pour les rendre facilement accessibles au grand public.

C’est donc avec grand plaisir que Dastum a vu arriver ce projet des étudiants du Master MAGEMI de l’Université Rennes 2 pour mettre en valeur cette enquête emblématique de 1939, déjà si bien étudiée par MarieBarbara Le Gonidec. C’est avec un grand plaisir également que Dastum a contribué à compléter la documentation de l’exposition par des archives sonores plus récentes. Et disons pour conclure que Dastum, d’une façon plus générale, a à cœur d’accompagner, et même d’encourager les étudiants et les chercheurs dans tout projet de recherche ou de mise en valeur en lien avec les nombreux sujets que permettent d’aborder les archives sonores, et plus largement les archives du patrimoine oral (archives sonores, mais aussi photographies, vidéos, manuscrits…) qu’elle conserve.

Pour en savoir plus : www.dastum.bzh / www.dastumedia.bzh

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Vincent Morel
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MUSIQUE ET BRETAGNE : LES CHOIX DE GEORGES HENRI RIVIÈRE

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«Ayant passé en Bretagne, avec mes parents, toutes mes vacances d’écolier et de jeune étudiant, j’aime votre beau pays et j’ai voulu le lui témoigner, moi aussi, de façon efficace. J’ai donc décidé de placer la Bretagne en tête d’une série de missions de folklore que doit organiser mon établissement dans les différentes régions de la France [...]

Courrier de Georges Henri Rivière adressé le 21 juin 1939 à Xavier Langlais

La « Mission de folklore musical en Basse-Bretagne » est initiée par Georges Henri Rivière. Muséographe et ethnologue, il fonde à Paris en 1937 le Musée National des Arts et Traditions Populaires, institution muséale et scientifique. L’enrichissement des collections de cette dernière se fait par des « missions de terrain », permettant de rapporter des objets ethnographiques documentés. C’est dans ce cadre que Georges Henri Rivière envisage la mission en BasseBretagne dont l’objectif est de réaliser des captations sonores et visuelles des musiques, chants et danses de ce territoire.

Georges Henri Rivière : muséographe et musicien dans l’âme

Georges Henri Rivière (1897-1985) voue une grande passion à la musique, que l’on considère parfois comme sa « vraie vocation1». Musicien dès son plus jeune âge, il apprend le piano chez sa grandmère. Après son baccalauréat, il entre au Conservatoire national de musique de Paris avec l’orgue pour spécialité. Il devient par ailleurs amateur de jazz et découvre Le Chat Noir, cabaret pour lequel son oncle Henri Rivière travaille et réalise des spectacles. Il cultive ainsi un goût prononcé pour la musique savante, mais aussi populaire, d’autant plus que, petit-fils par sa mère de paysans de l’Oise, il fréquente aussi le milieu rural.

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Georges Henri Rivière sur les toits du Musée d’Ethnographie du Trocadéro en 1936 avant sa démolition et le déménagement des collections dans le nouveau bâtiment du Musée de l’Homme.

H. Lehmann, Mucem

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Georges Henri Rivière est l’inventeur d’une muséographie nouvelle, sinon pionnière. Surnommé le « magicien des vitrines2», il compose ces dernières d’un fond noir au-devant duquel les objets sont suspendus à des fils de nylon, matière choisie pour sa discrétion. Sans socle ni mannequin, les objets du quotidien flottent dans l’espace :

En effet, [Georges Henri Rivière] conçoit les vitrines de son musée des Arts et Traditions populaires comme autant de partitions musicales. Le vocabulaire avec lequel il s’attache à les construire renvoie à une recherche d’harmonie et emploie un champ lexical lié à la composition musicale : le silence, la portée, l’arrangement3

Georges Henri Rivière est également l’initiateur de la conservation et la valorisation du patrimoine ethnographique musical. En 1929, il est à l’initiative de la fondation d’un département d’organologie – science des instruments de musique – au Musée d’Ethnographie du Trocadéro (futur Musée de l’Homme). Celui-ci devient le département d’ethnologie musicale en 1933.

Georges Henri Rivière pense « un musée où le phénomène musical serait pleinement considéré dans son univers d’espace et temps, interprété et présenté par périodes au public global4». Dans son enseignement de musicologie à l’Institut d’Art de la Sorbonne à partir de 1970, il propose des cours pratiques précisant son idée du « Musée Instrumental ».

La musique : quelle place au Musée National des Arts et Traditions Populaires ?

Les collections musicales du Musée National des Arts et Traditions Populaires comprennent des collections matérielles, dont les instruments, et immatérielles ou sonores, provenant des enregistrements de terrain, mais aussi de disques du commerce et partitions, dont un fonds important enregistré sous le nom de « Musée de la chanson ». L’ensemble des fonds sonores comporte 78 000 items. Ces collections sont principalement orientées vers le monde rural traditionnel d’avant 1960. Les phénomènes musicaux d’aprèsguerre seront tardivement pris en compte par une nouvelle politique d’acquisition, visant à combler ces lacunes.

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Le MNATP se divise au bois de Boulogne en deux galeries : la Galerie d’étude et la Galerie culturelle. La première ouvre en 1972.

Une des « rues de vitrines5» expose 319 instruments qui ne sont classés ni chronologiquement (parce que tous sont issus du XIXe et du XXe siècle), ni géographiquement (les objets provenant de régions très variées, il était impossible de toutes les évoquer). Le choix a donc porté sur les « critères techniques : comment ils opèrent » et les « critères fonctionnels : à quel usage ils sont destinés ». Celui-ci permet finalement de dresser des comparaisons, mêlant les objets de toutes aires et toutes époques.

La vitrine 21 porte sur la musique. Conçue par Georges Henri Rivière et André Leroi-Gourhan, une première segmentation la plus grande – présente les instruments de musique selon la classification établie par Curt Sachs et Erich von Hornbostel : idiophones, membranophones, cordophones et aérophones. Les quatre autres s’articulent en thématiques : la facture instrumentale, les modalités d’exécution de la musique instrumentale, la représentativité de l’instrument de musique considéré comme emblème régional, et la représentativité de l’instrument de musique considéré comme emblème social6

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Georges Henri Rivière devant la vitrine Musique de la galerie culturelle du MNATP en 1982. A. Pelle, Mucem

La Galerie culturelle, conçue par Georges Henri Rivière et Claude Lévi-Strauss, ouvre en 1975. Son programme se décline en deux parties, « Univers » puis « Société », et « évoque principalement ce que Georges Henri Rivière a appelé la civilisation rurale française et que l’on a nommée aussi pendant longtemps civilisation traditionnelle7». La musique y est exposée à travers une centaine d’instruments et sous le prisme humain et sociétal : sa place dans le quotidien, dans les coutumes et dans les traditions. Une vitrine en particulier est intitulée « Musique et société ». Elle présente la musique populaire traditionnelle sous ses différentes manifestations : la voix, les instruments, mais aussi tout phénomène sonore non musical à proprement parler, désigné « paramusique ». Il est montré que la musique, et globalement tout phénomène sonore mis en œuvre socialement, est au cœur des sociétés humaines, rythmant des moments de la vie (rites de passage), l’histoire (chanson de récits historiques), les activités et le travail, les coutumes et croyances. Cette vitrine « musique », précédée des vitrines « Danse » et « Costumes », est une synthèse présentant les traits communs à la société française au-delà des zones géographiques.

Si la musique est présente dans le parcours permanent du MNATP, elle fait également l’objet d’expositions temporaires, parmi lesquelles L’instrument de musique populaire : usages et symboles (1980), Musiciens des rues de Paris (1997), Souffler, c’est jouer : chabretaires et cornemuses à miroirs en Limousin (1999).

La musique et la Bretagne sont, pour ainsi dire, aux fondements du MNATP. Avec la Mission Basse-Bretagne, première enquête d’envergure du tout jeune musée, la musique bretonne s’impose à la fois comme « matière scientifique » et « matière muséographique8». La musique, qui était la raison d’être de la mission, est retenue comme prisme d’étude, et fait surgir un portrait signifiant de la société bretonne. Comme l’affirme Florence Gétreau, responsable du département de la Musique et de la Parole au Musée National des Arts et Traditions Populaires entre 1994 et 2003 : « Le MNATP, en principe, ne rend pas compte de la musique pour elle-même, mais comme l’un des traits culturels qui expriment les faits sociaux.9»

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La Bretagne : première matière scientifique et muséographique du Musée National des Arts et Traditions Populaires

Affiche de l’exposition Bretagne, art populaire, ethnographie régionale, 23 juin - 23 septembre 1951, Palais de Chaillot.

A. Lavaud, Archives nationales

Claudie Marcel-Dubois, Marie-Marguerite Pichonnet-Andral et un marin breton en montage d’une vitrine de l’exposition Bretagne, art populaire, ethnographie régionale de 1951.

P. Soulier, Mucem

La toute première exposition temporaire du MNATP qui a lieu au sein du musée en 1951 s’intitule Bretagne, art populaire, ethnographie régionale. Si elle donne une place de choix à la musique, c’est bien la région qui est mise à l’honneur. Il est intéressant de souligner le caractère interdisciplinaire de l’exposition de 1951 alliant « histoire, linguistique, ethnologie, musicologie, histoire de l’art10». L’abbé François Falc’hun, enquêteur de la Mission de 1939, est d’ailleurs membre du comité d’organisation de l’exposition. Cette dernière s’articule en quatre sections : mobilier, costume, poterie et musique populaire. La première, consacrée à la musique et intitulée « Bombardes & Binious », est dirigée par Claudie-Marcel Dubois, elle aussi membre de la mission de 1939. Les instruments sont présentés un à un avec leurs spécificités, soit leur facture, leur histoire, leur musicien. Si l’ensemble paraît un peu accumulatif, il n’en demeure pas

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moins vivant dans son contenu. Les juxtapositions visuelles suggèrent des rapprochements et des jeux de comparaisons inattendus. Au final, l’exposition est « encensée par la critique » et les « commentateurs lou[ent] la patte esthétique de Rivière »11. Elle ne déploie pourtant pas encore la « magie » sur fond noir du muséographe.

NOTES

1 GORGUS, Nina, Le magicien des vitrines : le muséologue Georges Henri Rivière, Paris : Les Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2003, p. 24.

2 Par Nina Gorgus dans sa thèse qui fait l’objet d’une publication en 2003, voir supra

3 CALAFAT, Marie-Charlotte, « Le cabinet de curiosités selon Georges Henri Rivière, le savant et le populaire », dans Cabinets de curiosités, cat. expo, Landerneau : Fonds Hélène & Édouard Leclerc, 2019, p. 293.

4 « Histoire du musée », Philharmonie de Paris

URL : https://philharmoniedeparis.fr/fr/musee-de-la-musique/histoire-du-musee

5 CUISENIER, Jean et TRICORNOT, Marie-Chantal, Musée national des arts et traditions populaires. Guide, Paris : RMN, 1987, p. 165.

6 MARCEL-DUBOIS, Claudie et PICHONNET-ANDRAL, Maguy, Galerie d’étude. Section « Musique ». Catalogue des instruments présentés, 1988, manuscrit dactylographié.

7 CUISENIER et TRICORNOT, op. cit., p. 33.

8 Ibid

9 GÉTREAU, Florence et COLARDELLE Michel, « La musique au Musée national des Arts et Traditions populaires et au futur Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée », Cahiers d’ethnomusicologie, n°16, 2003, p. 3.

10 Récit autorisé : cartel de Georges Henri Rivière. Voir, c’est comprendre, MuCEM, 2018.

11 SEGALEN Martine, « L’impossible musée des cultures de la France. Le cas du musée national des Arts et Traditions populaires » dans MAZÉ Camille, Frédéric POULARD et Christelle VENTURA (dir.), Les musées d’ethnologie. Culture, politique et changement institutionnel, Paris : Éditions des Comités des travaux historiques et scientifiques, 2013, p. 162.

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Juliette

La Bretagne dans les yeux des folkloristes

«Cette publication contiendra donc les chants populaires de la Basse Bretagne, tels absolument que je les ai trouvés dans nos campagnes armoricaines, et qu’on peut les y retrouver encore ; souvent incomplets, altérés, interpolés, irréguliers, bizarres ; mélange singulier de beautés et de trivialités, de faute de goût, de grossièretés qui sentent un peu leur barbarie, et de poésie simple et naturelle, tendre et sentimentale, humaine toujours, et qui va droit au coeur, qui nous intéresse et nous émeut, par je ne sais quels secrets, quel mystère, bien mieux que la poésie d’art. C’est réellement le cœur du peuple breton qui bat en ces chants spontanés.

François-Marie Luzel, Chants populaires de la Basse Bretagne, 1868

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«

Les chants et la musique bas-bretons ont été étudiés par les folkloristes du XIXe siècle. Les Fonds Anciens de l’Université Rennes 2 comptent plusieurs ouvrages, résultats des premières observations de ce patrimoine immatériel. Teintés d’un exotisme intérieur, autrement dit d’une fascination pour les mondes ruraux français, ces textes folkloristes se révèlent à bien des égards passéistes. Cinquante ans plus tard, Georges Henri Rivière a l’objectif de dresser une enquête pleinement scientifique témoignant des usages actuels de la musique bretonne. Comme le précise le rapport préparatoire de l‘enquête, la mission se doit d’être à la fois sociologique, à travers l’examen des milieux sociaux et des biographies, et ethnographique, par l’étude et la collecte des chants et objets populaires.

FOLKLORE ?

« Folklore musical de Basse-Bretagne » : c’est ainsi que Georges Henri Rivière désigne l’objet de la collecte dans ses prérapports de mission. Le terme « folklore », qui est apparu en 1846, signifie étymologiquement le « savoir » (lore) du « peuple » (folk). Au XXe siècle, le folklore qualifie un champ disciplinaire de l’ethnographie. Il s’agit de l’étude des traditions, des usages et de l’art populaire d’un groupe ou d’une région. Mais sous le régime de Vichy, le terme « folklore » et la discipline font l’objet de récupérations nationalistes. Les scientifiques abandonnent alors définitivement cette terminologie. Cependant chez Georges Henri Rivière, « folklore » persiste. Il n’utilise plus le concept pour caractériser la discipline, mais il continue de l’employer pour désigner ce champ de la recherche. La Mission Basse-Bretagne de 1939, qui s’interrompt subitement du fait de l’entrée en guerre, participe donc de ces réflexions sur la définition de l’ethnologie.

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Juliette Lewandowski MAGEMI 2021-2022
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LA BRETAGNE DES ANNÉES 1930

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Carte de vœux montrant la colonne sculptée par Jean Mazuet et Marcel Le Louet pour le pavillon breton de l’Exposition Universelle de 1937 à Paris. Sa modernité a marqué les esprits : elle témoigne du bouillonnement artistique de l’entre-deux-guerres. Le collectif d’artistes Seiz Breur (Sept Frères) participe à sa réalisation et met à l’honneur le sa voir-faire architectural et décoratif breton.

Auteur inconnu, Musée de Bretagne

Tenter de brosser un tableau de la Bretagne d’avant-guerre est une gageure. Les événements qui ont eu une incidence temporaire ou pérenne sur la société bretonne des années 1930 peuvent néanmoins aider à en saisir le contexte.

Contexte politique

La Bretagne de la première moitié du XXe siècle connaît une histoire politique mouvementée. Au sortir de la Première Guerre mondiale, le régionalisme mesuré de la fin du XIXe siècle se transforme en nationalisme actif2. Le contexte ambiant influe sur ce changement. La montée des extrêmes en Europe (Allemagne, Italie, Russie) et la diffusion de leurs idées, l’indépendance de l’Irlande montrant la voie à une possible autodétermination3, ou encore la consolidation des discours nationalistes dans les pays celtiques, contribuent

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à agiter les esprits4. Parmi les productions littéraires et politiques les plus influentes, la revue Breiz Atao (Bretagne toujours) sert de relais idéologique5. Néanmoins, comme le relève Sharif Gemie, ces mouvements nationalistes sont minoritaires et ne poursuivent pas tous les mêmes objectifs6. Il est également difficile de quantifier et de déterminer l’adhésion ou la réprobation de la population bretonne face à ces revendications.

À la fin du XIXe siècle, la Bretagne se plaçait déjà à droite sur l’échiquier politique. Durant l’entre-deux-guerres, cette tendance ne se dément pas : au scrutin des élections législatives de 1936, une majorité de Bretons s’oppose aux réformes du Front Populaire7. Ce résultat renforce l’image d’un territoire conservateur et catholique8. Si le clivage droite/gauche reste présent, une grande partie du monde rural et de l’élite bretonne vote pour le premier camp.

Contexte linguistique

Enseigner en breton est loin d’être un automatisme. Sous l’Ancien Régime, l’ordonnance de Villers-Cotteret (1539) place la langue du monarque au cœur de la vie politique : les édits sont exclusivement rédigés en français9. En 1794, la Convention considère que l’existence des idiomes régionaux empêche l’émergence d’une conscience nationale10.

Néanmoins, c’est durant les XIXe et XXe siècles que l’entreprise « d’effacement » est la plus intense. Symptomatiquement, en 1864, le recteur de l’Académie de Rennes appelle à « déraciner » la langue bretonne des foyers11. Cette même année, l’enquête Duruy dévoile, par le biais d’un questionnaire destiné aux recteurs et aux préfets relatif à la statistique de l’instruction primaire, que 70 % des écoles finistériennes sont bilingues, 25 % professent en français et 7 % en breton12. En 1902, le gouvernement d’Émile Combes interdit la prédication et le catéchisme en breton13. Cette mesure n’est pas anodine : l’enseignement en Bretagne est massivement assuré par des ecclésiastiques. Dans les écoles publiques, le discrédit de la langue bretonne intervient d’abord dans le cadre scolaire. Des pratiques stigmatisantes telles que le symbole14, une sanction reposant sur la délation, sont alors employées15. Comme le démontre Gérard Prémel, l’objectif de ce stigmate était d’intégrer psychologiquement en l’élève

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la honte de s’exprimer dans sa langue maternelle16. Le déclin du breton est en partie dû à ces nombreuses restrictions. En 1939, le nivellement linguistique est bien en marche : en effet, la Bretagne se francise considérablement. Au sein d’une même famille pouvaient ainsi coexister des monolingues brittophones, des bilingues, et des monolingues francophones.

scientifique et culturel

En tant que minorité, les Bretons se sont heurtés à l’hégémonie culturelle française. L’État centralisé a instauré des mesures visant à unifier la Bretagne et à assimiler sa population. La volonté du gouvernement était de rassembler les Français autour d’une culture commune, nationale. Pour ce faire, il fallait abolir les différences17. Le volet le plus important de cette politique fut l’abandon progressif de la langue maternelle. Privées de la possibilité de bénéficier d’une instruction en breton, les nouvelles générations se sont inexorablement francisées. De plus, l’afflux important des Bretons vers les grandes régions depuis la fin du XIXe siècle – la Normandie, l’Aquitaine, et de manière plus conséquente Paris et ses alentours – a contribué à leur intégration et leur homogénéisation à la fois linguistique et culturelle18. Cependant, des mouvements à contre-courant ont résisté pour revendiquer le particularisme culturel de la Bretagne, et plus largement une identité : « la bretonnité ». Ce sont d’abord l’intelligentsia et les érudits qui se sont emparés de la promotion de la culture bretonne. Tout au long du XIXe siècle, les sociétés savantes se répandent et les écrits se multiplient : dans les années 1880, le politicien et historien Arthur de la Borderie publie notamment une Histoire de la Bretagne19. Retracer et écrire l’histoire de la région participe de la construction identitaire et de l’émergence d’un patriotisme breton. C’est également à cette époque que les grandes collectes de chants, poèmes, récits et légendes débutent. L’ouvrage de Théodore Hersart de La Villemarqué, Barzaz Breizh, est fondateur. Il représente l’une des premières entreprises de récolte de la littérature orale bretonne20 Au siècle suivant, l’avancée des nouvelles technologies et notamment des techniques d’enregistrement permet à des ethnomusicologues de capter les traditions populaires immatérielles bretonnes21

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Contexte

Parallèlement à la construction d’une identité proprement bretonne à la fin du XIXe siècle, certains historiens de la région exaltent de potentielles racines communes avec les pays celtiques. Ils forgent ainsi une identité hybride et transculturelle.

Déjà au XVIIIe siècle, des mouvements celtomanes proposaient des rapprochements culturels avec le Pays de Galles, la Cornouailles, l’Écosse, l’Irlande et plus tardivement la Galice. Ce particularisme celtique, en France, a largement nourri les discours régionalistes et nationalistes, offrant aux Bretons une certaine légitimité historique22, les Gaulois étant des Celtes. Dans les années 1920, les premiers festivals interceltiques émergent en Bretagne. Ils préfigurent le revival des années 1970. La musique occupe une place décisive dans ces rassemblements grâce à son pouvoir d’attraction. Elle est fédératrice et invite à la convivialité23. Les instruments bretons trouvent dès lors toute leur place dans ces manifestations.

D’autres pratiques telles que le sport sont également touchées par les interpénétrations celtiques. Le gouren, lutte bretonne, fait l’objet de nombreux championnats organisés depuis les années 192024. En 1930, la Fédération des amis de la lutte et des sports et jeux d’adresse de Bretagne (FALSAB) est créée. L’organisme vise à promouvoir et à diffuser le gouren ainsi que d’autres activités sportives traditionnelles de la Bretagne. Dans le champ de l’art, en 1923, un mouvement initié par un collectif d’artistes fait ses armes : Ar Seiz Breur. Les membres qui y sont rattachés proposent de dépasser les stéréotypes véhiculés par l’art régional pour impulser une vitalité nouvelle et moderne à la scène artistique bretonne25, et puisent leur inspiration dans les légendes et les mythologies bretonnes et celtiques telles que Brocéliande, l’Ankou ou encore le cycle arthurien26.

Contexte économique et social

La révolution industrielle qui touche la France dans les années 1830-1860 néglige la Bretagne. La région manque non seulement de ressources énergétiques et de matières premières comme le charbon, mais elle est aussi éloignée géographiquement et ne possède pas suffisamment de fonds financiers27. Néanmoins, la société agricole, pourvoyeuse de nombreux emplois, permet dans un premier temps à la Bretagne de limiter les migrations. D’autres facteurs, tels que la

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barrière de la langue, l’importance de la religion dans le quotidien des Bretons et le manque d’infrastructures de transport, peuvent également y avoir contribué. C’est vers 1860 que la première vague d’émigration se forme. La densité de population, la dénatalité, les faibles revenus et l’établissement des premières lignes de chemin de fer contribuent à l’exode rural. Ce dernier s’opère d’abord à l’intérieur du territoire, des campagnes vers les villes portuaires comme SaintNazaire ou Brest, mais aussi vers d’importants bassins d’emplois comme Quimper et Lorient28. La région parisienne est ensuite la plus sollicitée par les émigrants bretons. Le passage de l’artisanat à l’industrie a profondément impacté les sociétés rurales et les modes de vie.

Maxime Abadia MAGEMI 2021-2022

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NOTES

1 AUBERT, Octave-Louis, « La Bretagne à l’exposition 1937 », Bretagne, n°149-150, juin-juillet 1937.

2 CHARTIER, Erwan, La construction de l’interceltisme en Bretagne, des origines à nos jours : mise en perspective historique et idéologique, thèse de doctorat en langues et cultures régionales, Université Rennes 2, 2010, p. 295.

3 L’insurrection de Pâques survenue en 1916 est un modèle de soulèvement pour l’autodétermination des Irlandais. Sa réussite, débouchant sur l’indépendance du pays, inspire les nationalistes bretons.

4 CHARTIER, op. cit., p. 313.

5 La revue est fondée en 1919 par le Groupe régionaliste breton (GRB).

6 GEMIE, Sharif, « La “Question bretonne” et le nationalisme breton », Bulletin d’histoire politique, vol. 21, n°1, 2012, p. 121.

7 Le Front Populaire est une coalition de gauche qui se rassemble initialement pour lutter contre la montée du fascisme en Europe. Le gouvernement de Léon Blum augmente et fixe un salaire minimal, reconnaît le droit syndical, instaure les congés payés pour les salariés et la semaine de 40 heures. Voir notamment l’ouvrage de MONIER, Frédéric, Le Front populaire, Paris : La Découverte, 2002.

8 BOUGEARD, Christian, « Les notables et les forces politiques de droite en Bretagne dans les années 1930 », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, vol. 109, n°3, 2002, p. 121.

9 HAGÈGE, Claude, « La place des langues régionales dans l’enseignement précoce des langues », dans CLAIRIS, Christos, COSTAOUEC Denis et COYOS, Jean-Baptiste (dir.), Langues et cultures régionales de France, Paris : L’Harmattan, 1999, p. 25.

10 BROUDIC, Fañch, « Entre histoire et prospective », dans Ibid., p. 125. 11 Ibid., p. 127. 12 Ibid 13 Ibid., p. 125.

14 Le symbole est généralement un objet que les élèves brittophones devaient porter autour du cou ou tenir s’ils étaient surpris en train de parler leur langue maternelle. Il revêt plusieurs formes : un sabot, une ardoise ou encore un simple bout de bois. La dernière personne détentrice du symbole recevait une punition. Voir notamment BROUDIC, Fañch, « Une polémique entre bretonnants en 1908 sur l’usage du “symbole” » dans Langues de l’histoire, langues de la vie : mélanges offerts à Fañch Roudaut, Brest : Les amis de Fañch Roudaut, 2005, p. 319-330.

15 ESCUDÉ, Pierre, « Histoire de l’éducation : imposition du français et résistance des langues régionales », dans KREMNITZ, Georg (dir.), Histoire sociale des langues de France, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 3.

16 PRÉMEL, Gérard, « Anamnèse d’un dommage ou comment le français est venu aux Bretons », Langage et société, n°72, 1995, p. 53-55.

17 ADAM, Catherine, Bilinguisme scolaire breton-français du jeune enfant : les représentations parentales et leurs influences, thèse de doctorat en sociolinguistique, Université Rennes 2, 2015, p. 59.

18 ÉPRON, Aurélie et LE COADIC, Ronan, Bretagne : migrations et identité, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2017, p. 10.

19 Voir notamment DENIS, Michel, « Arthur de la Borderie (1827-1901) ou “l’histoire, science patriotique” », dans TONNERRE, Noël-Yves (dir.), Chroniqueurs et historiens de la Bretagne du Moyen Âge au milieu du XXe siècle, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2001, p. 143155.

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20

VALIÈRE, Michel, « Approches de la littérature orale et du folklore musical en France de 1800 à 1939 », dans LE GONIDEC, Marie-Barbara (dir.), Les archives de la Mission de folklore musical en Basse-Bretagne, Rennes-Paris : CTHS-Dastum, 2009, p. 20. 21 Ibid., p. 28. 22

CHARTIER, op. cit., p. 71. 23 Ibid., p. 356. 24

Voir notamment ÉPRON, Aurélie, « Lutte en pays breton : la fabrique du gouren en Bretagne », Corps, vol. 1, n°16, 2018, p. 333-352. 25 POSTIC, Fañch et al., « Reconnaissance d’une culture régionale : la Bretagne depuis la Révolution », Ethnologie française, vol. 33, n°3, 2003, p. 386. 26

CHARTIER, op. cit., p. 398. 27

ÉPRON et LE COADIC, op. cit., p. 8. 28 Ibid

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BÉCASSINE, UN PERSONNAGE CLIVANT

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Nous en avons assez d’entendre dans les rues de Paris, quand on voit passer une Bretonne en costume : Tiens, voilà Bécassine ! Nous en avons assez de voir comme actuellement, au Musée Grévin, un mannequin de cire avec un air idiot en extase devant la statue d’un faune. [...] L’opinion publique doit savoir que nous, les jeunes, nous ne tolérerons plus que l’on présente sur l’écran, sur la scène ou même en simple effigie la maladroite et niaise Bretonne que l’on sait. Nos mères, nos sœurs et nos fiancées ne méritent pas qu’on se moque ainsi d’elles ; quant à nos grand’mères stoïques et droites dont beaucoup ont perdu leurs fils à la grande guerre, nous exigeons pour elles le respect de leurs coiffes et de leurs costumes traditionnels.

Extrait de l’article « Bécassine houspillée au Musée Grévin », L’Ouest-Éclair, 19 juin 1939

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«
«

La déclaration de ce jeune étudiant dans les colonnes de L’Ouest-Éclair traduit la relation ambiguë qu’entretiennent les Bretons avec Bécassine. En effet, la plus célèbre héroïne de bande dessinée française ne jouit pas d’une très bonne réputation en Bretagne. Née de l’esprit de la rédactrice Jacqueline Rivière1 et de la main de l’illustrateur Joseph Pinchon, elle apparaît pour la toute première fois dans le journal illustré La Semaine de Suzette en 19052. À partir de 1913, l’éditeur Maurice Languereau, plus connu sous le pseudonyme Caumery, reprend le personnage et lui offre des albums individuels3. Victime de son succès, elle devient rapidement un phénomène de société. Cette notoriété s’observe par la diversité de ses représentations : pièces de théâtre, films, jeux, figurines, et autres produits dérivés. Néanmoins, Bécassine, depuis sa création, divise les Bretons. Les reproches vis-à-vis de cette dernière se résument à un constat : elle est terriblement stéréotypée. Aux yeux de beaucoup, ce personnage maladroit et ingénu représenterait une Bretagne « paysanne et arriérée »4. En d’autres termes, elle renforcerait une vision erronée des Parisiens sur les Bretons5. Force est de constater que le lectorat de La Semaine de Suzette est essentiellement constitué de jeunes filles bourgeoises parisiennes6

L’image de l’Armoricain, dans la presse illustrée du XIXe siècle, porte deux volets contradictoires. D’une part, la Bretagne réactive pour les conservateurs une nostalgie fantasmée d’un certain paradis rural, catholique disparu, « [elle] porte les valeurs des anciennes sociétés communautaires »7. D’autre part, les Bretons sont régulièrement caricaturés dans leurs habits traditionnels, car jugés en inadéquation avec l’Europe modernisée. En réponse à l’imaginaire stéréotypé de Bécassine, différentes actions ont été entreprises. La plus spectaculaire demeure ce qui est appelé communément « l’affaire Bécassine » en référence à la décapitation de la statue de cire du musée Grévin par trois étudiants bretons. Cet acte intervient suite à la réalisation du film Les Aventures de Bécassine (1939) du cinéaste Pierre Caron. Cette année coïncide également avec le début de la mission de folklore musical qui nous anime. L’événement a d’ailleurs été évoqué par l’abbé Perrot pour boycotter la mission. Les plaies ont mis du temps à être pansées en Bretagne : le film a été censuré pendant plus de cinquante ans avant d’être projeté pour la première fois au Festival du film de Douarnenez en 19898

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En 1937, le duo d’illustrateurs bretons Herry Caouissin et Léone Calvez proposent une pièce de théâtre bilingue : Bécassine vue par les Bretons. Cette version parodie la figure de Bécassine : la couverture de la pièce représente une Bretonne revêtue d’un costume traditionnel se tenant fièrement sur le dos d’une Bécassine allongée9 Comme le note Lise Tannahill, il s’agit d’une réappropriation de l’identité bretonne10. Cette dernière piétine symboliquement l’oppresseur.

Et maintenant ?

Aujourd’hui encore, Bécassine demeure controversée. Tantôt symbole d’une génération de lectrices, tantôt démon à abattre, elle a fait couler beaucoup d’encre. En 2018, le film Bécassine !, réalisé par Bruno Podalydès, relance les débats sur le personnage. La presse

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Photographie des étudiants qui ont décapité la Bécassine du Musée Grévin. Auteur inconnu, Musée de Bretagne

locale et nationale s’empare du sujet. Parallèlement à la projection du film dans les salles obscures, le collectif breton Dispac’h appelle à un boycott général. Dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux, ce dernier signale que Bécassine est « une insulte à la mémoire de notre peuple, une insulte à toutes les femmes de Bretagne et une insulte à toutes les femmes qui connaissent ou ont connu l’immigration »11 .

La récupération politique de la figure de Bécassine n’est pas nouvelle, le musée de Bretagne détient dans ses fonds une affiche d’Alain Le Quernec pour le Parti socialiste unifié (PSU) représentant la jeune Bretonne, le poing levé et la bouche grande ouverte en signe de protestation. Joël Cornette dans La Bretagne, une aventure mondiale, résume la portée de cette réappropriation :

C’est là, sans doute, le plus bel exemple de retournement d’une image et d’un stéréotype inscrits dans la très longue durée : la petite bonne quelque peu idiote et maladroite est devenue la figure emblématique et véhémente d’une Bretagne en révolte. [...] Bécassine accompagne le changement de regard de tout un peuple sur lui-même : la jeune domestique native et naïve de Clocher-les-Bécasses est à présent devenue la porte-parole et la porte-drapeau d’une revendication identitaire positive, voire révolutionnaire !12

En se dressant, Bécassine affirme son insoumission et en s’exprimant, elle s’octroie une subjectivité13

Bécassine, pionnière ?

Le personnage de Bécassine est néanmoins une exception dans l’univers très masculin de la bande dessinée. On peut même dire qu’il est pionnier : il s’agit de la première héroïne francophone de ce genre à avoir atteint la postérité et le succès critique14. À une époque où les femmes étaient sous-représentées dans la culture populaire, Bécassine a su occuper une place. D’une certaine manière, elle aurait contribué à rendre visible une forme d’émancipation féminine15. Ses aventures sont écrites durant un moment crucial de l’histoire, l’entredeux-guerres. Elle est ainsi le témoin de changements sociaux, politiques et culturels majeurs. Malgré le conservatisme ambiant, elle revêt les casquettes d’espionne, de conductrice de tramway, de chargée de musée, d’infirmière, de pilote d’avion ou encore possède et conduit sa propre voiture, actions résolument modernes pour l’époque16. Que ce soit sur le front lors de la Grande Guerre ou lors

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d’un voyage en Amérique, Bécassine se détourne momentanément des tâches domestiques qui lui incombent pour endosser le rôle d’aventurière débrouillarde.

Cependant, le manque de représentation des personnages féminins dans la bande dessinée francophone se fait ressentir17 Annie Pilloy constate en 1994 que les héroïnes de bande dessinée sont particulièrement rares18. Elles occupent essentiellement des rôles secondaires, généralement de compagnes de protagonistes masculins. Elles sont également fréquemment sexualisées. En réponse à ces constats, des autrices féministes ont établi que « la représentation de la femme dépend[ait] du regard masculin »19. Laura Mulvey l’a notamment démontré dans son article « Visual Pleasure and Narrative Cinema »20. En effet, elle applique ce postulat au film Sueurs Froides (1958) d’Alfred Hitchcock. Elle signale que « l’héroïne [Madeleine, interprétée par Grace Kelly] n’est là que pour provoquer ou pour séduire le personnage masculin [ici, Scotie, joué par James Stewart] »21. En définitive, cette dernière remplit la fonction de fairevaloir ; catalysatrice des pulsions sexuelles à la fois du personnage et du spectateur masculin.

Bécassine n’est pour autant pas sexualisée ni réduite entièrement au regard masculin. Comme le remarque Marie-Christine Lipani Vaissade, « Bécassine n’a rien d’une héroïne avant-gardiste et sexy. Son physique est dépourvu de charme, sa tenue est peu saillante et son esprit est loin d’être vif. Elle est surtout connue pour sa bêtise »22. En revanche, des héroïnes de la bande dessinée telles que Barbarella ou Natacha (Natacha, hôtesse de l’air) ont pu l’être23. Depuis les années 1970, des figures féminines plus positives sont apparues : Yoko Tsuno, Adèle Blanc-Sec, Comanche, etc. Malgré le déclin de la bande dessinée en partie lié à l’omniprésence des images animées dans notre quotidien –, des femmes bédéistes se sont affirmées et ont gagné en reconnaissance. Pour ne citer qu’elles : Patricia Lyfoung, Pénélope Bagieu, Marguerite Abouet, Margaux Motin24.

Plus de 117 ans après sa parution dans La Semaine de Suzette, Bécassine est toujours au cœur de l’actualité. Quelle autre figure de la culture populaire peut se targuer de continuer à passionner ou diviser autant l’opinion publique ?

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Maxime Abadia MAGEMI 2021-2022

NOTES

1 Devant combler la quatrième de couverture laissée vide dans La Semaine de Suzette, Jacqueline Rivière s’empresse de rédiger une historiette sur une domestique fraîchement débarquée à Paris. Claude Olga-Roukavichnikoff-Pilon relève l’aspect non stigmatisant du personnage de Bécassine à sa parution. En effet, ses origines sont d’abord floues. Il remarque que Joseph Pinchon se serait inspiré de ses racines, la Picardie, pour dessiner la coiffe et le costume de son héroïne. Ce n’est que huit ans plus tard, sous la plume de l’éditeur Maurice Languereau, que le lecteur apprend que le nom de baptême de Bécassine est Annaïck Labornez et que Clocher-lesBécasses, son village natal, est situé près de Quimper. Voir OLGA-ROUKAVICHNIKOFF-PILON, Claude, Bécassine, cette méconnue, mémoire de recherche en études celtiques, Université Rennes 2, 2020, p. 3-4.

2 COUDERC, Marie-Anne, La Semaine de Suzette : histoires de filles, Paris : CNRS, 2005, p. 21.

3 TANNAHILL, Lise, « Bécassine, a bande dessinée pioneer », Studies in Comics, vol. 7, n°2, 2016, p. 222.

4 Ibid., p. 223.

5 « Bécassine apparaît à beaucoup comme l’incarnation graphique du mépris dont les Bretons ont souffert. » MARQUER, Alain Joseph, Comment peut-on être Bécassine ?, mémoire de recherche en études celtiques, Université Rennes 2, 2014, p. 1.

6 Ibid., p. 224.

7 DANTEC, Ronan, « Bécassine - Banania, destins croisés », Hommes et Migrations, n°1260, mars-avril 2006, p. 22.

8 WILLIAMS, Heather, Postcolonial Brittany: Literature between languages, Berne : Peter Lang, 2007, p. 144.

9 CALVEZ Léone et CAOUISSIN Herri, Bécassine vue par les Bretons, Saint-Pol-de-Léon : Éditions Ronan, 1937.

10 TANNAHILL, op. cit., p. 224.

11 MARTIN, Marie-Claude, « Bécassine, cousine universelle », RTS Culture, juin 2018.

URL : https://www.rts.ch/info/culture/9645464-becassine-cousine-universelle.html#chap01.

12 CORNETTE, Joël, La Bretagne, une aventure mondiale, Paris : Tallandier, 2018, p. 94-95.

13 Bécassine est dessinée sans bouche, ce qui renforce le préjugé sur l’incapacité des Bretons à parler correctement la langue française ou de manière plus générale le refus que les femmes prennent la parole. La dessinatrice féministe Catel Muller offre symboliquement une bouche à Bécassine.

14 TANNAHILL, op. cit., p. 225-226.

15 BONIN, Hubert, « Un symbole de l’engagement féminin dans la Grande Guerre : Bécassine », Guerre mondiale et conflits contemporains, vol. 274, n°2, 2019, p. 131.

16 Ibid

17

REYNS-CHIKUMA, Chris, « De Bécassine à Yoko Tsuno : Réflexions sur les stéréotypes, les oublis et la renaissance de quelques héroïnes créées par des auteurs masculins », Alternative francophone, vol. 1, n°9, 2016, p. 155.

18 PILLOY, Annie, Les Compagnes des héros de B.D., Paris : L’Harmattan, 1994. Cité par REYNSCHIKUMA, Chris, Ibid

19 REYNS-CHIKUMA, op. cit., p. 159.

20 MULVEY, Laura, « Visual pleasure and narrative cinema », Screen, vol. 16, n°3, automne 1975, p. 6-18

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21

ESQUENAZI, Jean-Pierre, « L’acte interprétatif dans l’espace social », Questions de communication, n°11, 2007, p. 293.

22 LIPANI VAISSADE, Marie-Christine, « La révolte des personnages féminins de la bande dessinée francophone. Cartographie d’une émancipation de fraîche date », Le Temps des médias, vol. 1, n°12, 2009, p. 153.

23

REYNS-CHIKUMA, op. cit., p. 160-164.

24 Ibid., p. 168.

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L’ÉQUIPE DE LA MISSION

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[…] nous étions trois. Pour être juste, il faudrait dire quatre car l’appareil d’enregistrement que le département d’ethnologie musicale du Musée de l’Homme mit à ma disposition fut pour la mission un auxiliaire de premier ordre.

Claudie Marcel-Dubois à la Conférence donnée à la Société du Folklore français, École du Louvre, Paris, septembre 1940

Pour préparer la mission, Georges Henri Rivière désigne trois chercheurs, un homme et deux femmes, à la personnalité et au parcours bien différents.

Une ethnomusicologue en devenir

Claudie Marcel-Dubois enregistrant le concours de sonneurs aux Fêtes de Cornouaille de juillet 1949, Quimper, Archives de la Mission de folklore musical en Basse-Bretagne 1939.

Mission Basse-Bretagne, J. Auboyer, Mucem

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Claudie Marcel-Dubois (1913-1989), musicienne confirmée, est élève à l’École du Louvre où elle suit les cours de Georges Henri Rivière dont elle est considérée comme la « protégée ». Son mémoire de fin d’études porte sur les instruments de musique de l’Inde ancienne.

Elle s’initie à l’anthropologie avec Marcel Mauss et à la musicologie comparée (future ethnomusicologie) avec le musicologue berlinois Curt Sachs1. Elle rencontre ce dernier, qu’elle qualifie par la suite de « fondateur de l’ethnomusicologie » 2, au Musée d’Ethnographie du Trocadéro où elle entre en 1934, à l’âge de 21 ans. Georges Henri Rivière en est le sous-directeur depuis 1928. Il affecte Claudie Marcel-Dubois au département d’ethnologie musicale. Elle y assiste André Schaeffner, pour lequel elle tient notamment la phonothèque, tout en travaillant avec Rivière sur le « folklore français », désignant encore à cette époque les savoir-faire du monde rural.

Au moment de la mission en Basse-Bretagne, elle est chargée de la documentation musicale au Musée National des Arts et Traditions Populaires, où elle a suivi Georges Henri Rivière. C’est toutefois en tant qu’ethnologue plutôt que musicologue qu’elle part. Elle a alors 26 ans et c’est son premier terrain. Bien que chargée des transcriptions musicales, son approche dépasse l’étude de la musique stricto sensu. En effet, elle écrira plus tard : « Au cours de mes missions de recherche, je me suis efforcée de consigner les phénomènes de musique de manière globale en les replaçant dans leurs différents contextes afin de proposer une vue totale de la situation observée et de permettre la synthèse et l’étude comparative »3

Après cette première mission en Bretagne, la jeune chercheuse arpente le terrain jusqu’en 1986 pour collecter et réunir un immense corpus de musiques de tradition orale française, accompagnée de sa collaboratrice Maguy Pichonnet-Andral qui l’a rejointe au musée en décembre 1945. Au cours de ces terrains, elle se penche sur le rôle socioculturel de la musique et constate que « contrairement à ce qu’on avait jusque-là proposé, [sa] fonction sociale en France, dans les groupes villageois, [est] positive, mais encore qu’elle concern[e] tout aussi bien les techniques ou les cérémonies profanes et religieuses que les loisirs ou l’esthétique »4.

Claudie Marcel-Dubois devient également membre de la Société du folklore français et entre au CNRS en 1938. Tout au long de sa carrière, elle rédige de nombreux articles sur la musique, les danses, fêtes et coutumes populaires françaises, et monte des expositions sur ces sujets comme L’instrument de musique populaire, usages et symboles au MNATP en 1980.

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Invitée par l’ethnomusicologue roumain Constantin Brăiloiu, rencontré à Paris au Musée de l’Homme, elle participe en 1949 à la commission internationale sur la transcription des musiques traditionnelles de transmission orale. Elle s’appuie principalement sur les enregistrements réalisés au cours de la mission en Bretagne. « Tout laisse donc à penser que l’expérience bretonne de Claudie MarcelDubois fut déterminante dans sa conception de l’ethnomusicologie et surtout dans celle de la transcription », écrit Yves Defrance5. Ses projets de publications sur la mission de 1939, notamment la thèse qu’elle souhaite lui consacrer, n’aboutissent cependant pas en raison de la guerre.

Claudie Marcel-Dubois est aujourd’hui considérée comme la fondatrice de l’ethnomusicologie pour le domaine français. Son apport « sur la connaissance de l’instrument de musique populaire en France dépasse sensiblement le domaine habituel de l’organologie »6, tout comme sa conception de la musique du monde rural qu’elle a contribué à ériger en véritable champ disciplinaire. Elle a définitivement permis à l’ethnomusicologie française de « sortir de son image folklorique dévalorisante et propose diverses approches innovantes comme l’étude de la symbolique instrumentale »7

Facture du 10 juillet 1939 de l’agence Peugeot de Bagnolet qui aménagea la voiture de Claudie Marcel-Dubois pour le transport des 200 kg de matériel d’enregistrement (accumulateurs électriques, disques vierges, appareil enregistreur, microphones…), Archives de la Mission de folklore musical en Basse-Bretagne de 1939. Mission Basse-Bretagne, Archives nationales

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Un linguiste et ecclésiastique précieux

Portrait de l’abbé François Falc’hun, le 14 mars 1952 par le Studio Harcourt (1934-1989) Ministère de la Culture (France), Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, diffusion RMN-GP

L’abbé François Falc’hun (1909-1991) est recommandé à Georges Henri Rivière par ses professeurs de celtiques de l’Institut Catholique de Paris. Il est invité à participer à la mission en tant que linguiste.

Fils de paysans du Finistère-Nord, il parle exclusivement le breton du Léon8 jusqu’à ses 8 ou 9 ans. Élève doué dès son entrée à l’école, il poursuit ses études au sein du Grand Séminaire de Quimper (où il enseignera le breton). Il est ordonné prêtre en 1933. Son intérêt pour le breton et les langues celtiques le pousse à intégrer l’Institut Catholique de Paris. En effet, en marge de sa licence de lettres classiques, obtenue en 1937, qui lui donne une solide formation en latin et en grec ancien, il s’initie aux moyen-irlandais et moyengallois. Il s’inscrit par ailleurs à l’Institut de phonétique, suit des cours de linguistique et de dialectologie. Il est recruté par Georges Henri Rivière juste après l’obtention de ses diplômes.

Son rôle dans la mission consiste à retranscrire, en phonétique, les paroles des chants en breton. Il forme ainsi un solide duo avec Claudie-Marcel Dubois qui en note la mélodie. Il choisit le Pays vannetais pour en étudier le breton qu’il connaît mal puisqu’il est du Léon. Pour se familiariser avec cette variante linguistique, il part à

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Surzur avant le lancement officiel de l’enquête. Son large réseau clérical est alors un allié précieux pour être accueilli sur le terrain, car les prêtres connaissent, tout comme les instituteurs, de nombreux informateurs potentiels.

L’appareil enregistreur apporté sur le terrain est, pour lui, comme pour Marcel-Dubois, d’une grande aide pour la transcription phonétique des chants, car chacune des paroles possède des nuances en fonction des chanteurs. Il insiste sur ce point dans une conférence donnée à la Société du folklore français :

[…] il y a des phonèmes, des sons, qu’on est bien embarrassé pour noter. Sur mes cahiers, je vois tel mot prononcé trois fois, et dont une consonne a été transcrite la première fois par [l], la deuxième par [d] et la troisième par [r]. Le chanteur n’avait sans doute prononcé aucun de ces trois phonèmes, mais quelque chose qui tient des trois à la fois. Et ne n’est là qu’un exemple entre cent 9 .

Au retour de la mission, il prépare deux thèses, l’une sur les consonantiques initiales en breton et l’autre intitulée Histoire de la langue bretonne d’après la géographie linguistique, délaissant quelque peu les projets de publication liés à la mission. Ses travaux de recherche l’amènent à proposer dans les années 1950 une réforme de l’orthographe bretonne. Après la guerre, il est nommé chargé de cours puis obtient en 1951 la chaire de celtique de l’université de Rennes, avant de créer celle de Brest où il finira sa carrière.

Une photographe et préposée au journal de bord

Jeannine Auboyer (1912-1990) est étudiante à l’École du Louvre, puis à l’École Pratique des Hautes Études, aux Académies Julian et de la Grande-Chaumière10. Elle s’initie à l’anthropologie tout en se spécialisant dans les arts asiatiques et suit les cours de Paul Rivet et, comme Claudie Marcel-Dubois, ceux de Marcel Mauss. À 19 ans, elle travaille au Musée Indochinois du Trocadéro où elle prépare le transfert des sculptures khmères vers le Musée Guimet. Elle y devient chargée de mission avant d’intégrer le Musée Cernuschi en tant qu’attachée titulaire.

Elle est la « technicienne » du groupe. Son rôle dans la mission est triple : elle est chargée de gérer le budget et les aspects logistiques de la mission (trouver le garagiste en vue d’aménager la voiture

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relève par exemple de ses fonctions), d’aider Claudie Marcel-Dubois à manier l’appareil enregistreur, mais surtout, d’assurer la prise des photographies et des films. Elle définit son apport scientifique dans la conférence donnée à la Société du folklore français en 1940 :

Nous sommes partis de Paris avec des instructions précises. Il s’agissait de photographier au maximum et ce dans plusieurs buts : d’abord pour ne rien laisser passer d’intéressant, ensuite, pour augmenter les archives photographiques du MNATP et par là même, permettre un enseignement par la documentation visuelle aussi complet que possible, ensuite, pour fixer avec toute l’exactitude désirable l’état des traditions au moment où la Mission a pu les atteindre 11

Les photographies qu’elle réalise constituent une documentation essentielle : un peu plus de 400 clichés sont pris12 . Ils témoignent de ce que le cahier de route, dont elle est chargée de la rédaction, n’est pas en mesure de consigner tout en développant une iconographie conséquente et précieuse pour la connaissance du milieu rural en cette fin des années 1930. En revanche, l’absence de formation de Jeannine Auboyer dans le domaine filmique ne lui permet pas de produire des documents à la hauteur des attentes : les problèmes de cadrage rendent ainsi les danses difficiles à étudier. Il s’agit malgré tout des premiers films du Musée National des Arts et Traditions Populaires.

Pendant la guerre, Jeannine Auboyer soutient un mémoire de recherche sur l’Inde ancienne à l’École du Louvre, puis une thèse en 1946.

Elle revient au Musée Guimet après la guerre comme assistante puis comme conservatrice, et prend finalement sa direction en 1965 après plusieurs terrains en Asie. Parallèlement à sa carrière muséale, elle devient chargée de recherche au CNRS.

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Lucile Bourdelais MAGEMI 2021-2022

NOTES

1 Curt Sachs a notamment été directeur de la collection nationale d’instruments de musique de Berlin jusqu’en 1932. Exilé à Paris puis à New York pour fuir l’Allemagne nazie, il participe à tous les travaux internationaux portant sur les musiques populaires des années 1930-1940. Il est aujourd’hui considéré comme le père de l’organologie moderne, soit l’étude des instruments de musique.

2 DEFRANCE, Yves, « Claudie Marcel-Dubois (1913-1989) : du folklore musical à l’ethnologie de la France », dans LE GONIDEC, Marie-Barbara (dir.), Les archives de la Mission de folklore musical en Basse-Bretagne, Paris-Rennes : CTHS-Dastum, 2009, p. 68.

3 Ibid., p. 71.

4 Ibid 5 Ibid., p. 70.

6 Ibid., p. 73. 7 Ibid

8 Il existe différents parlers en Basse-Bretagne : trois qui sont assez proches, le léonard, le cornouaillais, le trégorrois, et un quatrième, assez éloigné, le vannetais.

9 Conférence donnée à la Société du folklore français, Paris, septembre 1940, Archives de la Mission Basse-Bretagne 1939.

10 Il s’agit de deux écoles privées d’art situées à Paris.

11 Conférence donnée à la Société du folklore français, Paris, septembre 1940, Archives de la Mission Basse-Bretagne 1939.

12 FOUIN, Christophe et PEREZ-VITORIA, Silvia, « Jeannine Auboyer (1912-1990) : photographier et filmer une mission de folklore musical », dans LE GONIDEC, Marie-Barbara (dir.), Les archives de la Mission de folklore musical en Basse-Bretagne de 1939 du Musée national des arts et traditions populaires, Paris-Rennes : CTHS-Dastum, 2009, p. 90.

13 JARRIGE, Jean-François, « Jeannine Auboyer (1912-1990) », Arts asiatiques, n°46, 1991, p. 140-141.

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LA MISSION ET LA PRESSE

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Coupure du journal The Times (Royaume-Uni), numéro du 15 août 1939. L’article (deuxième paragraphe) fut rédigé par le correspondant à l’étranger du journal dont nous ne connaissons pas le nom. Celui-ci présente brièvement, mais de manière précise, la Mission, ses objectifs et ses trois enquêteurs.

Archives de la Mission de folklore musical en Basse-Bretagne de 1939.

Mission Basse-Bretagne, Auteur inconnu

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Cet article, rédigé par le correspondant à l’étranger du journal The Times et publié dans le numéro du 15 août 1939, rend compte de l’impact médiatique de la mission, alors qu’elle n’est pas encore achevée. Le fait qu’un quotidien national britannique accorde un paragraphe entier à cette « folklore expedition » illustre bien sa notoriété et la reconnaissance dont elle jouit. Il est toutefois amusant de noter que malgré une certaine précision concernant les rôles des membres de la mission, le nom du Musée des Arts et Traditions Populaires n’est pas correctement retranscrit à deux occasions (« The Musée National des Arts et Traditions Nationales » puis « Musée National des Arts »). S’agit-il d’une erreur d’inattention ou d’une méprise due à la méconnaissance de ce jeune musée ouvert deux ans auparavant ? Cette anecdote remarquable permet d’ouvrir le propos à une analyse plus générale et contextualisée : le rôle de la presse dans la légitimation et la reconnaissance publique et scientifique de la mission en Basse-Bretagne.

Afin de saisir la manière dont la presse a contribué à la crédibilité de la mission et, partant, à son bon déroulé, il convient de revenir aux fondements de celle-ci et de faire entrer en scène deux protagonistes : Georges Henri Rivière, directeur du Musée National des Arts et Traditions Populaires et initiateur du projet, et Xavier de Langlais, peintre morbihannais qui se révèle un informateur généreux et surtout, un véritable soutien durant la phase de préparation puis sur le terrain. Ce dernier fait partie des 106 érudits et notables ayant répondu au questionnaire préliminaire, envoyé afin de préparer la mission. Dans une lettre du 14 juin 1939, adressée à la direction du MNATP, il prévient des craintes des Bretons dont il a connaissance et de la nécessité de les rassurer quant à la fiabilité de la mission et sa bonne foi :

Je me permets de vous signaler une objection que j’ai entendu faire dans les milieux bretonnants cultivés, ceci tout-à-fait entre nous : « Ces documents recueillis ainsi, n’est-ce pas la mainmise de l’État sur notre folklore ? Avec les nouvelles lois sur les droits d’auteur les bretons ne vont-ils pas donner à l’État la propriété de leur propre bien ? » Je crois que la « Mission en Basse-Bretagne » aurait avantage à donner tous les apaisements sur ce point, car cette objection peut vous priver de concours éclairés. De la part de musiciens surtout 1

Le directeur du MNATP répondra à ces inquiétudes, le 21 juin, en assurant que la ligne de conduite de la mission est celle « de la science désintéressée et sereine », et ajoutera dans un post-scriptum :

« Nous préparons un communiqué pour la Presse. Donnez-moi vite vos

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derniers conseils. Je vous adresse un n° de notre revue Folklore Paysans cette revue vous est ouverte »2. Le peintre lui transmet en retour une liste de journaux locaux susceptibles de relayer le communiqué de presse, et donc de légitimer la mission auprès des Bretons. L’Ouest-Éclair, La Dépêche de Brest, et Le Nouvelliste du Morbihan en font partie. Dans une seconde lettre du 28 juin, il recommande à Georges Henri Rivière d’ajouter dans son communiqué de presse un argument de poids : une copie des résultats de la collecte sera déposée à l’université de Rennes et gérée par sa chaire officielle d’enseignement des langues celtiques. Ce précieux conseil est suivi par Rivière qui dédie un paragraphe entier au sujet.

Les archives de la mission ont conservé quelques coupures de presse des tirages locaux suivants : Le Journal des Débats, La Bretagne, Le Nouvelliste du Morbihan et L’Ouest-Éclair. On observe, non sans intérêt, la récurrence avec laquelle l’argument du dépôt y est avancé et à quel point les articles de pré-missions appellent à la bénévolence de tout individu susceptible de pouvoir enrichir la collecte. S’il est impossible de quantifier avec précision l’influence qu’ont eu les tirages populaires sur les bonnes volontés, il est certain que ceux-ci ont participé au bon déroulement de la mission une fois sur place.

Le rôle joué par la presse religieuse est mieux perceptible à travers l’étude d’un cas particulier : celui de l’abbé Perrot. Ce dernier, recteur de la paroisse de Scrignac (Finistère), est connu pour être un brittophone érudit et très engagé dans la lutte en faveur de la sauvegarde du patrimoine breton. Ses positions extrémistes et sa collaboration durant l’Occupation terniront plus tard sa réputation. Comme le souligne Marie-Barbara Le Gonidec, c’est sûrement l’abbé Falc’hun qui pense à relayer l’information au sein des médias catholiques, très implantés dans les localités bretonnes grâce aux paroisses 3. La coopération apparente des autorités cléricales s’illustre notamment par une remarque du chanoine Louvière de Quimper, adressée à l’abbé Falc’hun dans une lettre du 30 mai. Celui-ci vient de lui communiquer un court article sur la mission : « Son excellence [Monseigneur Duparc] n’a pas fait de difficultés pour insérer votre note dans la partie officielle de la Semaine religieuse qui, imprimée demain, paraîtra jeudi soir4». Cette note de la Semaine religieuse du Diocèse de Quimper et du Léon fait partie des coupures de presse conservées dans les archives de la mission. C’est cet article, et plus encore sa publication dans un hebdomadaire catholique, qui

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convainc l’abbé Perrot d’aider les enquêteurs dans la collecte, malgré l’expression d’une critique au vitriol envers le gouvernement et sa politique d’homogénéisation de la langue bretonne :

Je trouverais très dur de donner les fruits de mon travail à un gouvernement qui s’acharne à opprimer autant qu’il le peut l’esprit de la Bretagne… Dans ses écoles on n’essaie pas de nous apprendre une langue supplémentaire, mais de nous apprendre une langue qui doit faire disparaître la nôtre. J’ai parlé de cette affaire à Monseigneur Duparc, et Monseigneur l’Évêque m’a fait ton éloge et a parlé de ta tournée en Bretagne dans sa Semaine religieuse. J’ai récemment rencontré X. De Langlais à Quimper. Je trouverai toujours un ou deux chanteurs à Scrignac. Viens me voir quand tu voudras et nous parlerons. Au plaisir de faire plus ample connaissance et merci.

Des articles et notes intégreront également d’autres parutions paroissiales comme en atteste le courrier daté du 20 juin de Monsieur Hautin du Diocèse de Vannes, assurant de la publication d’une note sur la mission dans La Semaine religieuse de Vannes6 Même si le fonds d’archives contient peu de coupures de journaux (sept au total), il convient de ne pas sous-estimer l’importance de la presse grand public, spécialisée et religieuse, dans la réussite de la mission et sa reconnaissance populaire et scientifique. On peut en effet affirmer qu’elle a permis de justifier cette entreprise aux yeux des Bretons et de les rassurer quant au sérieux et la sincérité de la collecte. Enfin, il semble pertinent d’ajouter qu’un tel retentissement médiatique, par-delà les frontières nationales, a permis au Musée National des Arts et Traditions Populaires de Paris de se faire connaître et d’asseoir son projet muséal et scientifique, malgré les égratignures britanniques portées alors à son nom – qui ne sont heureusement plus d’actualité !

Brice Mergny MAGEMI 2021-2022

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NOTES

1 Lettre envoyée par Xavier de Langlais à Georges Henri Rivière le 14 juin 1939. Archives de la Mission de folklore musical en Basse-Bretagne 1939.

2 Lettre envoyée par Georges Henri Rivière à Xavier de Langlais le 21 juin 1939. Archives de la Mission de folklore musical en Basse-Bretagne 1939.

3 LE GONIDEC, Marie-Barbara, « Le fonds d’archives et les collectes de la Mission de folklore musical en Basse-bretagne de 1939 », dans Le GONIDEC Marie-Barbara (dir.), Les archives de la Mission de folklore musical en Basse-Bretagne, Paris-Rennes : CTHS-Dastum, 2009, p. 117.

4 Carte envoyée par Arthur Louvière à l’abbé Falc’hun le 30 mai 1939. Archives de la Mission de folklore musical en Basse-Bretagne 1939.

5 Lettre envoyée par l’abbé Perrot à l’abbé Falc’hun le 30 juin 1939. Archives de la Mission de folklore musical en Basse-Bretagne 1939.

6 Lettre envoyée par M. Hautin à l’abbé Falc’hun le 24 juin 1939. Archives de la Mission de folklore musical en Basse-Bretagne 1939.

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UNE COLLECTE PHONOGRAPHIQUE

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Chacun retenait son souffle, tendait l’oreille, écarquillait les yeux. Pourtant, on ne voyait rien d’autre au coin de la salle qu’un [sic] boîte entr’ouverte, où tournait une espèce de galette noire, avec une aiguille qui lui grattait dessus. C’est de là que venaient les voix. On les entendait bientôt qui s’essoufflaient, qui reprenaient haleine entre deux couplets, ou qui faisaient des réflexions, qui riaient. Et tout le monde rit aussi, jusqu’aux larmes, jusqu’au délire. Avaiton jamais vu pareille chose ?

Conférence de l’Abbé Falc’hun, 29 novembre 1942, Rennes

En 1939, l’utilisation, sur le territoire français, d’un appareil enregistreur dans le cadre d’une mission ethnomusicologique est une première. Une fois arrivés sur place, les enquêteurs du Musée National des Arts et Traditions Populaires réalisent que le Soubitez, phonographe utilisé lors de la mission, représente un véritable atout. Ce chapitre inscrit la mission Basse-Bretagne de 1939 dans l’histoire plus vaste de l’enregistrement en ethnomusicologie, tout en évoquant les réalités matérielles et humaines du terrain.

L’ENREGISTREMENT EN ETHNOMUSICOLOGIE

Les premiers appareils enregistreurs

L’invention du phonographe par Thomas Edison aux ÉtatsUnis, et Charles Cros en France, eut un « profond impact sur l’étude des musiques de transmissions orales »1. À la fin du XIXe siècle, les savants et les folkloristes commencent à apprivoiser la technique de l’enregistrement et s’équipent sur le terrain, afin de récolter de meilleurs résultats. C’est ainsi que, pendant l’Exposition Universelle de 1900, le docteur et linguiste Léon Azoulay enregistre des chanteurs et musiciens venus du monde entier pour l’occasion : cette expérience

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marque la première utilisation d’un appareil phonographique en France. La même année, le linguiste François Vallée effectue des enregistrements sur rouleaux de cire dans les Côtes-d’Armor ; ces chansons enregistrées constituent les premiers témoignages de musiques traditionnelles bretonnes2

En France, c’est durant l’entre-deux-guerres que les premiers disques 78 tours de musique traditionnelle bretonne sont produits par des firmes privées, toutes parisiennes. À l’époque, les deux entreprises majeures sont Pathé et Gramophone, rachetées plus tard par Columbia qui devient EMI en 19313. En 1932, une grande collecte musicale à but commercial est entreprise par la compagnie Gramophone afin « d’enregistrer toute la diversité musicale de BasseBretagne »4. Mais ces enregistrements commerciaux ont peu de valeur aux yeux des ethnomusicologues de l’époque, ce qui les pousse à partir sur le terrain avec ces mêmes appareils afin de constituer des collections qu’ils jugent plus scientifiques5. En France, la première mission dialectologique de terrain qui utilise un phonographe et une voiture, comme le fera la Mission Basse-Bretagne, est celle de Ferdinand Brunot en 1912. En sillonnant les Ardennes françaises, ce dernier enregistre 170 documents sonores sur des disques plats Pathé6.

C’est à partir de la donation d’Émile Pathé en 1911 que l’Université de Paris crée les Archives de la parole7 ainsi qu’un laboratoire destiné aux enregistrements, dont Ferdinand Brunot est le premier directeur8. Les deux composantes donnent naissance en 1928 au Musée de la Parole et du Geste, puis à la Phonothèque nationale en 1938. Ces enregistrements sonores réunis en un seul et même lieu constituent des documents historiques et linguistiques d’une valeur inestimable.

Du folklorisme à l’ethnomusicologie

C’est parce que la musique populaire de tradition orale est créée collectivement et se prête à de multiples variations lors de l’interprétation qu’elle se différencie autant de la musique savante. Cette dernière caractéristique rend plus difficile la notation9. Avant l’invention du phonographe, les musicologues devaient relever les variations musicales et les retranscrire à la main, mais ce travail n’était pas toujours réalisable, et c’est là un des « écueils majeurs de

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l’approche de l’altérité musicale : restituer par écrit une musique pour laquelle la convention graphique d’usage n’a pas été conçue »10 . La reproduction, mécanique puis électrique, à l’aide d’un appareil va donc permettre des transcriptions plus précises. Les chercheurs peuvent passer à l’étude du matériau enregistré a posteriori, séparant ainsi la phase de terrain de celle de l’analyse. Maria Nyéki-Körösy va même plus loin lorsqu’elle affirme qu’« en fixant les chants sur les cylindres, puis sur les bandes magnétiques, ces appareils ont donné naissance à une discipline nouvelle, véritable étude scientifique de la musique traditionnelle : l’ethnographie musicale »12

L’ENREGISTREMENT SUR LE TERRAIN

LA MISSION DE FOLKLORE MUSICAL EN BASSE-BRETAGNE DE 1939

Enregistrer la Basse-Bretagne : une collecte scientifique

Si la mission hérite des recherches préétablies par les folkloristes en Bretagne depuis le XIXe siècle13, les enquêteurs font preuve d’innovation en ayant recours aux moyens techniques offerts par leur époque : l’utilisation d’un appareil enregistreur permet de parfaire les notations prises à la volée sur le terrain – notations musicales de Claudie Marcel-Dubois comme celles, linguistiques, de l’abbé François Falc’hun –, là où les notations musicales antérieures à la pratique de l’enregistrement étaient bien souvent lacunaires14.

Dès le début du XXe siècle, les milieux folkloristes observent une disparition croissante de certaines pratiques traditionnelles, en raison principalement de l’exode rural. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, la mission s’inscrit donc dans un contexte de systématisation de l’enregistrement sur le terrain, afin de collecter ce patrimoine immatériel en voie de disparition. En effet, en 1929, la Société de folklore français est créée et, dès le début des années 1930, la volonté d’enregistrer sur le terrain s’intensifie dans les contextes coloniaux avant de s’étendre aux musiques populaires15. Ainsi, à l’occasion d’une conférence à la Société de folklore français en septembre 1940, Claudie Marcel-Dubois souligne que l’enregistrement phonographique est « un des points les plus importants du but de cette mission »16 : l’enquêtrice met en avant la nature scientifique de cette collecte sonore tandis que, jusqu’alors, le répertoire bas-breton faisait l’objet d’enregistrements à usages commerciaux17.

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Sur le terrain : enregistrer pour gagner la confiance des Bretons

Plus qu’un outil contribuant à retranscrire avec précision les mélodies et chansons collectées par les enquêteurs, l’enregistreur permet aussi d’ouvrir le dialogue avec les Bretons, créant un rapport de proximité avec eux. Ce phénomène est renforcé par les conditions d’enregistrement : les chants sont directement captés dans l’intimité des informateurs, et dans des circonstances plus ou moins précaires. Pour ce faire, l’enregistreur phonographique Soubitez, qui fonctionne grâce à l’électricité, est accompagné d’un accumulateur et d’un transformateur électrique qui fournissent l’énergie nécessaire lorsque les lieux d’habitation sont dépourvus d’électricité. Les enquêteurs rapportent qu’une fois en place, l’appareil intrigue et délie les langues, si bien que les Bretons interrogés dévoilent un répertoire plus riche que celui observé par les folkloristes qui les ont précédés18 : au retour du terrain, la collection phonographique comprend 198 chants et 11 mélodies instrumentales enregistrés sur place.

La mission au travail dans la salle de la mairie, Plogastel-Saint-Germain, le 7 août 1939, Archives de la Mission de folklore musical en Basse-Bretagne 1939.

Mission Basse-Bretagne, J. Auboyer, Mucem

La mission Basse-Bretagne travaillant dans la grange de Monsieur Gouriou, Hanvec, Gorre-Hanvec, le 22 août 1939, Archives de la Mission de folklore musical en Basse-Bretagne 1939.

Mission Basse-Bretagne, J. Auboyer, Mucem

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Manon Lehy Laurine Le Meur MAGEMI 2021-2022

NOTES

1 POLODAK, Julien, L’enregistrement et ethnomusicologie. Introduction à une anthropologie des pratiques d’enregistrement chez les ethnomusicologues francophones, mémoire de 2e cycle, Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, 2016, p. 20.

2 DEFRANCE, Yves, « Enregistrer du “folklore musical” sur le terrain, une première en 1939 ? », dans LE GONIDEC, Marie-Barbara (dir.), Les archives de la mission de folklore musical en Basse-Bretagne de 1939, du musée national des Arts et traditions populaires, Paris-Rennes : CTHS-Dastum, 2009, p. 46.

3 PELLEN, Ronan, La « Nouvelle Musique Bretonne », 1955-1970. Genèse et développement des formations de musique traditionnelle dans les Trente Glorieuses en Bretagne, mémoire de Master, Université Rennes 2, 2017, p. 20.

4 Ibid

5

DEFRANCE, op. cit., p. 50.

6 Ibid

7 Pierres fondatrices de l’Institut de phonétique, les Archives de la Parole se consacrent à l’enregistrement, à la conservation et à l’étude de toutes les manifestations de la langue parlée. 8 VALIÈRE, Michel, « Du Folklore à l’ethnographie », dans LE GONIDEC (dir.), op. cit., p. 27-28.

9 NYÉKI-KÖRÖSY, Maria, « L’ethnologie musicale moderne : contextes d’une émergence », Ethnologie française, vol. 36, n°2, 2006, p. 249-260.

10 LE GONIDEC, Marie-Barbara, « Les fonds sonores de l’ancien musée national des Arts et Traditions populaires : collections ou archives ? », Bulletin de l’AFAS, n°46, 2020, p. 16-28. 11 POLODAK, op. cit., p. 14. 12 NYÉKI-KÖRÖSY, op. cit 13 VALIÈRE, Michel, « Approches de la littérature orale et du folklore musical en France de 1800 à 1939 », dans LE GONIDEC (dir.), op. cit., p. 19-33. 14 Ibid., p. 20.

15 DEFRANCE, Yves, « Le contexte scientifique de la Mission de folklore musical en BasseBretagne », dans LE GONIDEC (dir.), op. cit., p. 50.

16 « Conférence donnée à la Société du Folklore français par Claudie Marcel-Dubois, Jeannine Auboyer et l’abbé François Falc’hun le 19 septembre 1940 », dans LE GONIDEC (dir.), op. cit., p. 367-386.

17 « La mission avait donc pour but essentiel de constituer une collection scientifique d’enregistrements, plusieurs séries de copies de ces enregistrements devant être exécutées par la suite, dont deux destinées, l’une à la Phonothèque Nationale et l’autre à la Faculté des Lettres de l’Université de Rennes ». Ibid

18 « Les résultats de la mission ont été multiples. Elle a d’abord démontré que le folklore breton actuellement vivant malgré une décadence accélérée, demeure d’une richesse que ne soupçonnaient pas les folkloristes les plus avertis. Ce résultat semble dû à la technique employée par la mission ; l’appareil enregistreur en particulier attirait tous les curieux et donnait à tous envie de chanter afin de réentendre leur voix, alors que les folkloristes rencontrés avouaient qu’on les recevaient généralement par des moqueries et qu’ils trouvaient difficilement des chanteurs ; l’amour propre qui jouait contre eux a joué en faveur de la présente mission ». Ibid

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Le Soubitez

Publicité pour l’appareil enregistreur de la marque Soubitez-Reterson, 1935. Auteur inconnu

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La mission de 1939 utilise un appareil à graver les disques de la marque Soubitez-Reterson1, prêté par le département d’ethnologie musicale du Musée de l’Homme, où Claudie Marcel-Dubois assiste André Schaeffner entre 1934 et 1937. Il fonctionne à l’aide de cires d’enregistrement et de disques souples que les enquêteurs doivent eux-mêmes acquérir, ainsi que le montrent les fonds d’archives de la mission, car ils ne sont pas fournis par le musée.

LE DISQUE 78 TOURS

Les sept heures de musique collectée sont enregistrées sur des disques 78 tours en utilisant le procédé de gravure directe2. La durée d’enregistrement est limitée. En effet, un disque ne permet d’enregistrer qu’un morceau par face sur une durée de trois à quatre minutes, ce qui limite considérablement les chanteurs. Ces derniers ne peuvent pas toujours livrer la totalité des paroles tandis que les instrumentistes sont contraints de clore l’interprétation dès qu’ils voient l’aiguille approcher le centre du disque. Si un problème survient, tout est à recommencer avec un nouveau flanc de cire.

Copie, conservée au musée, du disque 47 b portant mention de son n° d’inventaire (43.5.88). Sur les copies remises à l’université de Rennes et désormais perdues, une étiquette dactylographiée avait été collée portant le détail du chant ou de l’air enregistré.

C. Fouin, Mucem

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Le disque gravé supplante rapidement le cylindre d’Edison, car il est conçu pour la production en série3 ; le gramophone est l’un des premiers appareils qui permet de les jouer mécaniquement. L’expiration du brevet de Berliner, en 1918, conduit de nombreux concurrents à produire des disques. Cette production massive leur assure un avantage commercial sur les cylindres, et marque le déclin de ces derniers avant l’arrêt total de leur production en 19294

C’est dans les années 1930 que l’enregistrement électrique s’ajoute à l’enregistrement mécanique. Si les premiers disques 78 tours ainsi produits demeurent compatibles avec une reproduction entièrement mécanique, l’apparition du microphone et des graveurs électriques bouleverse la manière dont on enregistrait jusqu’ici. Le Soubitez annonce pouvoir enregistrer la voix d’un individu isolé à plus de 9 mètres du microphone mais, dans les faits, son champ d’action est bien supérieur : la puissance de captation d’un enregistrement peut se faire à plus de 30 mètres5.

POPULARISATION

Le Soubitez est un appareil dans l’air du temps. Alors que, dans les années 1930, la radiodiffusion commence à concurrencer le gramophone pour la consommation musicale domestique, il combine les fonctions : il fait à la fois office de phonographe, d’enregistreur et de poste T.S.F.

À cette époque, les « phono-valises » sont en pleine croissance, et pour cause ! Si la société de consommation conduit à la diffusion des disques musicaux dans les domiciles, les congés payés et l’essor de l’automobile incitent à partir en vacances, ce qui nécessite que les postes soient facilement transportables. Selon Henri Chamoux, ces appareils ont été bien plus populaires que ce que l’historiographie a laissé croire6. Ils demeuraient certes un luxe pour l’ouvrier gagnant environ 1,50 F par jour, mais ils étaient à la portée d’artisans, de curés ou encore de maîtres d’école7. Ludovic Tournès précise que c’est après la Seconde Guerre mondiale et les Trente Glorieuses que ces appareils se popularisent véritablement8

Manon Lehy MAGEMI 2021-2022

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Radio-phone-Enregistreur combiné Soubitez 77, graveur de disque 78 tours, vers 1934 A. Delcambre

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NOTES

1 Soubitez-Reterson est une marque fondée par les Frères Soubitez installés à Paris.

2 Les disques originaux sont inventoriés par la phonothèque du musée en 1943. Ils sont recopiés sur bandes magnétiques en 1968, puis numérisés en 2000. Pour permettre à Claudie MarcelDubois et à l’abbé Falc’hun de peaufiner leurs transcriptions – ce qui nécessitait de nombreuses écoutes –, une copie des originaux est remise à chacun d’entre eux. Une troisième copie est réalisée pour l’université de Rennes.

3 BEAUCHAMP, Antoine, CHAMOUX, Henri, TOURNÈS, Ludovic, « Enregistrement sonore : gravé dans le temps », Eurêka !, France Culture, 2 août 2021, 58 mn.

URL : https://www.franceculture.fr/emissions/eureka/eureka-emission-du-lundi-02-aout-2021

4 SEBALD, Bruno, « L’édition du disque », Revue de la BNF, n°33, 2009, p. 30-41.

5 Notes de fonctionnement de l’appareil d’enregistrement, juillet 1939, MBB39B1D5.

6 BEAUCHAMP et al., op. cit

7 Il faut compter entre 3 600 et 6 000 francs pour ce type d’appareil.

8 Ibid

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MUSIQUES, CHANTS ET DANSES EN BRETAGNE, TÉMOINS D’UNE SOCIÉTÉ EN MUTATION

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«Les jeunes dans votre commune apprennent-ils à sonner, à chanter et à danser les mêmes choses que les anciens ?

« Hélas non : ils ont comme honte d’apprendre et de chanter des chansons bretonnes. »

« Non hélas ! La jeunesse d’aujourd’hui fréquente les salles de danse où elle ne connaît que les danses modernes.

Recteur Abhervé Guegen de Trégunc, questionnaire Finistère

Soucieux de récolter des témoignages du patrimoine musical bas-breton, l’abbé Falc’hun, Claudie Marcel-Dubois et Jeannine Auboyer rassemblent tout au long de leur périple des chants, musiques et danses. Pendant leur collectage, les enquêteurs relèvent une scission intergénérationnelle. L’ancienne génération a tendance à déplorer le fait que les plus jeunes ne reprennent pas avec la même justesse les traditions relatives à la musique et à la danse, et délaissent un patrimoine culturel qui peine à exister en dehors de l’espace rural. Au début du XXe siècle, ces pratiques se transforment en effet en Bretagne dans le contexte de l’industrialisation.

Des pratiques traditionnelles qui circulent

Le travail de collecte réalisé par les enquêteurs permet la sauvegarde d’un patrimoine oral qui risque de disparaître. Des Bretons coopératifs se prennent au jeu de l’enregistrement et lèguent un héritage menacé de disparition, comme le note Jeannine Auboyer : « Avant le déjeuner prise de vue et photo de danse, entre autres Mlle Tandé dansant le gymnaska1 et étant obligée de le danser seule faute de partenaire encore vivant le sachant »2. Ainsi, le répertoire des danses traditionnelles devient progressivement l’apanage de l’ancienne génération ou des groupes folkloriques, tandis que les jeunes gens lui préfèrent des formes plus modernes.

74
«

La diversité des enregistrements réalisés a permis de mettre en évidence une circulation évidente des chants dans la région. Cette dernière introduit tout de même des variations, que ce soit dans l’interprétation chantée ou les paroles ‒ les dialectes se mêlant, des particularismes affleurent dans le choix du vocabulaire ‒, et enrichit le catalogue musical breton. On assiste également à une combinaison des répertoires de danses des pays bretons et de l’extérieur3. Il n’existe ainsi pas une seule manière d’exécuter une danse spécifique, dans la mesure où chaque village agrémente sa pratique à partir d’un creuset commun.

Dans leurs rapports d’après-mission, Claudie Marcel-Dubois et l’abbé Falc’hun proposent une typologie des chants distingués par leurs paroles. Chants de fêtes, chants de travail ou encore chants satiriques4, ces derniers rythment la vie des paysans bretons ; ils sont synonymes de convivialité et de partage. Ces différentes fonctions montrent l’importance de la performance vocale, au quotidien parfois, pour ces communautés villageoises ; c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les enregistrements récoltés sont majoritairement des chants a cappella

La danse, vectrice de cohésion sociale, est elle aussi une pratique commune et inhérente aux noces, travaux agricoles ou veillées5. La forme privilégiée est souvent la ronde chantée. Les danseurs se tiennent la main et sont tournés vers l’intérieur du cercle, portés par les voix à l’unisson, plus souvent que par les instruments.

Changement de tempo sur la scène musicale traditionnelle basse-bretonne

Lors d’une conférence donnée en 1940, Claudie-Marcel Dubois souligne que « les vieilles chanteuses6 » sont les gardiennes des chants bas-bretons traditionnels ; leur témoignage chanté est donc précieux. La menace qui pèse sur le patrimoine musical basbreton s’explique en partie par l’exode des jeunes populations qui cherchent du travail, mais aussi du divertissement, en ville. Les chants qui autrefois servaient à donner une cadence lors des travaux agricoles et manuels se voient, pour plusieurs, remplacés par le bruit des machines. Un essoufflement dans l’apprentissage du breton par la jeunesse est aussi un facteur clé dans la mise en danger de ce patrimoine musical. Pendant la Troisième République, les langues

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régionales sont proscrites par l’État dans les écoles républicaines, les petits Bretons sont alors de moins en moins nombreux à utiliser la langue de leurs parents. Celle-ci n’étant pas à tradition écrite, la perte de sa pratique orale au sein des communautés fragilise sa transmission.

Loin de disparaître, ce patrimoine culturel breton ne cesse pourtant de se renouveler. L’incorporation d’éléments venus de la ville transforme ainsi considérablement le paysage musical basbreton dans la première moitié du XXe siècle : par exemple, l’utilisation de l’accordéon se généralise, reléguant le fameux couple binioubombarde au second plan. Il ne s’agit pas là seulement d’être en quête de modernité : engager un accordéoniste, plutôt que des sonneurs, lors des célébrations et grands événements revient aussi moins cher et l’instrument finit par s’imposer dans le quotidien des Bretons. Le biniou revient cependant en force après la Seconde Guerre mondiale, sous sa forme traditionnelle, mais aussi et surtout sous celle de la cornemuse écossaise, redonnant ainsi un second souffle à la musique bretonne, et surtout aux sonneurs qui regagnent leurs lettres de noblesse.

Ces transformations ont aussi une incidence sur les pratiques dansées. Le musicien, issu d’un pays breton particulier, doit adapter son accompagnement musical aux mœurs de la région dans laquelle il joue. Il a également la liberté d’ajouter des rythmes qui lui sont familiers, ou bien en vogue ailleurs, notamment des variations inspirées des goûts parisiens. Par conséquent, le remaniement du répertoire rythmique influence les gestes effectués.

Vers une individualisation de la danse

En 1939, l’abbé Falc’hun, Claudie Marcel-Dubois et Jeannine Auboyer sont les témoins de nombreuses mutations : ils voient les paysans gagner en autonomie à mesure que les techniques agricoles progressent. Ils profitent des occasions qui leur sont données de filmer des pratiques anciennes, comme l’utilisation du fuseau et du rouet par les femmes ou le jeu des chaudrons sonores par les hommes7

Les danses qui servaient au travail agricole n’ont ainsi plus de raison d’exister sous leur forme traditionnelle. Leur fonction sociale ayant par ailleurs périclité ‒ la coordination demandée favorisait alors la cohésion communautaire ‒, elles sont désormais appréciées davantage pour leur esthétique visuelle8

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Le besoin d’individualisation enfin exprimé par la société de l’époque, à rebours de leur vocation initiale, finit d’achever la transformation. La chaîne remplace progressivement la ronde : d’abord longue, puis de plus en plus courte9, elle permet aux danseurs ‒ et surtout au meneur ‒ de s’exprimer librement. Ainsi, le collectif s’efface au profit de l’individuel, donnant au danseur davantage d’occasions de faire preuve de créativité.

La vie sociale est à la fois marquée par un désir de convivialité et la volonté de s’ouvrir à l’extérieur. Les danseurs apprécient désormais les contredanses et les danses de salon issues des modes parisiennes, voire américaines10 : polkas, valses et autres danses attirent indéniablement la jeune génération11. De nombreux commentaires donnés dans les questionnaires envoyés au musée avant le départ de la mission, par les curés ou instituteurs, l’avaient déjà relevé : aucune surprise donc pour l’équipe de la mission qui a favorisé l’enquête auprès des plus âgés.

Noce de Thérèse Jego, danse par couples. 25 juillet 1939. Surzur Mission Basse-Bretagne, J. Auboyer, Mucem

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En relevant, d’un côté, l’émancipation des pratiques traditionnelles par la jeune génération et de l’autre, l’inquiétude qu’elle fait naître à l’endroit des plus anciens, les enquêteurs de la Mission Basse-Bretagne de 1939 ont fait le constat d’une fracture générationnelle, dont l’issue aurait pu être fatale pour la transmission du patrimoine culturel breton. Jeannine Auboyer l’avait relevé dans le journal de route, en observant une noce à Plomodiern : « nous avons entendu, écrit-elle, deux habitantes de Plomodiern dire que c’étaient des “Parisiens”, que les deux mariés [...] ne savaient pas les usages bretons mais elles parurent apprécier la présence des sonneurs12», car « depuis 12 ans il n’y a pas eu de biniou à une noce ». Elle conclut que « le fait de voir ces hommes pour la plupart en veston ou en smoking et les femmes en robe longue danser les danses traditionnelles prouve que nous avons là “l’articulation” de la perte des pratiques d’autrefois et du renouveau introduit depuis quelques années dans la reprise des traditions ».

Ces pratiques sont encore bien vivantes aujourd’hui. Si les traditions bretonnes ont su persister jusqu’à nos jours, c’est grâce à l’actualisation constante des pratiques culturelles au prix parfois de leur transformation, appelée néanmoins par un changement de contexte et la disparition progressive de la société rurale traditionnelle.

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Delcambre Sybille Avril MAGEMI 2021-2022
Auriane
La Mission Basse-Bretagne, spectatrice du changement

NOTES

1 Ronde originaire du pays vannetais.

2 Jeannine Auboyer, journal de route du 14 août 1939, Archives de la Mission Basse-Bretagne 1939.

3 CARIO, Daniel et PIERRE, Alan, Danse bretonne, Spézet : Coop Breizh, 2021, p. 46.

4 DUBOIS, Claudie-Marcel, Rapport du 12 décembre 1939, Paris, Archives Nationales.

5 GUILCHER, Jean-Michel, La tradition populaire de danse en Basse-Bretagne, Paris : Mouton, 1976, p. 17-43.

6 DUBOIS, Claudie-Marcel, Conférence du 19 septembre 1940 pour la Société du Folklore, Archives de la Mission Basse-Bretagne 1939.

7 Voir les séquences 3 et 6 du film d’archives de la Mission sur Kultur Bretagne.

URL : https://www.kubweb.media/page/folklore-musical-basse-bretagne-1939ethnomusicologie-claudie-marcel-dubois-marie-barbara-gonidec/

8 GUILCHER, op. cit., p. 572.

9 La quadrette est un exemple de danse en chaînes courtes et formées de deux couples qui se font face.

10 CARIO et PIERRE, op. cit., p. 94.

11 LE RU, Mathilde, « La danse bretonne, hier et aujourd’hui », mémoire de DU d’études celtiques, Université Rennes 2, 2021, p. 5.

12 Il s’agissait en vérité de grande cornemuses.

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Biniou-bombarde : une vie de couple mouvementée

Qui savent [sic] jouer du biniou et de la bombarde ou autres instruments populaires (vielles à roue, accordéon, etc… ? Quels sont les joueurs qui fabriquent eux-mêmes [sic] leurs instruments ?

« Oui il reste de rares sonneurs de biniou dans la région ; ils se font rares parce que les joueurs d’accordéon sont moins chers.

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«
«

Les premières amours

Le couple biniou-bombarde, dont la naissance remonte au XVIIIe siècle, est, depuis le milieu du XIXe, très répandu en BasseBretagne1 : il accompagne les danseurs et parfois les chanteurs lors des célébrations communautaires. Itinérants, les couples de sonneurs n’hésitent pas à s’adapter aux spécificités musicales du territoire dans lequel ils se rendent. Comme d’autres cornemuses (en Poitou ou en Italie), le jeu en couple vient du fait que les deux instruments se complètent, surtout en Bretagne où le biniou joue une série de notes plus hautes que sa compagne la bombarde. Il en devient totalement dépendant dans l’évolution de sa forme, ce qui le conduit à une « miniaturisation » unique dans le monde des cornemuses. Le tambour qui accompagnait autrefois les sonneurs disparaît peu à peu ; les sonneurs utilisent régulièrement leurs pieds pour marquer le rythme, certains d’entre eux juchés sur des tonneaux !

Une mauvaise passe

Très présent dans la société rurale bretonne, le couple binioubombarde est touché de plein fouet par les changements économiques et sociaux qui s’opèrent dès l’entre-deux-guerres. L’exode rural et l’industrialisation affectent les villages ; les jeunes laissent derrière eux la campagne, mais aussi la musique et la danse traditionnelles. L’arrivée de l’accordéon chromatique constitue par ailleurs une menace pour les sonneurs qui voient rapidement le biniou remplacé par un instrument capable de jouer le même répertoire à moindre coût. Cette nouveauté explique la présence de joueurs d’accordéon sur les photographies de noces collectées par l’équipe de la Mission Basse-Bretagne 1939. Dans certains endroits, c’est la clarinette qui prend la place des binious, instrument qui fait plus « moderne » et qui a été introduit pour les bals.

La Seconde Guerre mondiale marque une véritable pause dans la pratique du couple biniou-bombarde ; il faut attendre la fin du conflit ainsi que l’arrivée d’une nouvelle forme de biniou, le biniou bras2 (nom donné à la cornemuse écossaise, le bag-pipe), pour que son exercice reprenne.

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Dans la cour du presbytère. Joachim Danvic (bombarde) et Noël Le Mouillour (biniou), Brandérion, le 30 juillet 1939 Mission Basse-Bretagne, J. Auboyer, Mucem

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Ce nouveau biniou est utilisé par les sonneurs bretons notamment au sein des bagadoù3, créés à l’image du pipe band écossais où a donc été introduite la bombarde parmi les caisses claires et grosses caisses. Les bagadoù deviennent par la suite de plus en plus populaires et se répandent en Bretagne ainsi que partout

où il y a une communauté de Bretons émigrés. Le couple traditionnel ne disparaît pas pour autant, mais il adopte deux formes distinctes : une avec le biniou kozh que le renouvellement de la musique bretonne a remis au goût du jour, et une avec le biniou bras.

Avec le tournant musical des années 1930, les couples de sonneurs s’adaptent aux sonorités plus modernes tout en conservant leurs racines. L’enseignement de la musique traditionnelle bretonne connaît un boom notamment dans les années 1980, grâce à l’arrivée de jeunes sonneurs bretons. Un mouvement qui est loin de s’essouffler au XXIe siècle4 : le « Concours des jeunes sonneurs de moins de 20 ans5», organisé dans le cadre du championnat de Bretagne de musique et de danse traditionnelles, s’est tenu en septembre 2021 à Gourin avec 26 couples en lice !

Sybille Avril MAGEMI 2021-2022

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Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants

NOTES

1 C’est sous la Troisième République que les couples de sonneurs fleurissent en Haute-Bretagne.

2 Ici, « bras » signifie « grand ».

3 Le bagad (plur. bagadoù) est « un ensemble musical de type orchestre, composé de biniou bras (cornemuse écossaise), bombarde et percussions, qui généralement comprend aussi des caisses claires et une batterie ». DE ARAUJO AGUIAR, Luciana, « Entre destination touristique et appartenance territoriale et identitaire : la culture traditionnelle bretonne », Téoros, vol. 38, n°2, 2019. URL : https://id.erudit.org/iderudit/1065644ar

4 L’histoire du couple de sonneurs est évidemment plus complexe et ponctuée de nombreuses dates et événements-clés. Le lecteur pourra notamment se référer à ARMEN (dir.), Musique bretonne. Histoire des sonneurs de tradition. 1. Les sonneurs, Douarnenez : Éditions le ChasseMarée-ArMen, 1996.

5 Le premier concours de sonneurs à lieu en 1949.

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Le collectage des danses par Jeannine Auboyer : un projet complexe et ambitieux

Projet d’édition sur la danse, croquis de Jeannine Auboyer, 10 juillet 1942 Mission Basse-Bretagne, J. Auboyer, Archives nationales

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Ces croquis, au demeurant peu nombreux dans le fonds d’archives, réalisés par Jeannine Auboyer et représentant des danses observées pendant la mission, sont à mettre en lien avec une lettre adressée à Jean Anthony, directeur du groupe folklorique « Nevezadur », au sujet d’un projet de publication proposé par les Éditions Lemoine. L’idée est alors de constituer un recueil coordonné par Claudie-Marcel Dubois, qui aborderait les danses régionales. Ces schémas, prenant appui sur les clichés et les films réalisés lors de la mission, sont semble-t-il pressentis pour illustrer l’ouvrage et seraient les seuls produits par Jeannine Auboyer, probablement parce que le projet a été abandonné.

On constate que Jeannine Auboyer a repris fidèlement les silhouettes des danseurs qu’elle a photographiés à Plonéis, le 8 août 1939.

Mission Basse-Bretagne, J. Auboyer, Mucem

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Filmer le mouvement en 1939

Dans le cadre de la Mission Basse-Bretagne de 1939, Jeannine Auboyer est chargée de capter les danses bretonnes à l’aide de son appareil Rolleiflex et de sa caméra Bell & Howell. Elle, qui n’est ni vraiment photographe ni cinéaste professionnelle ‒ aucun membre du musée ne l’est d’ailleurs ‒, doit se former sur le tas à l’usage de ces nouvelles techniques utilisées au cours de la mission. Jeannine Auboyer prendra 437 photographies en noir et blanc et tournera 25 minutes de films muets dans lesquels dominent les captations de danses.

Le peu de notes consacrées à la danse, rédigées au cours de la mission, témoigne du fait qu’il n’a pas été véritablement possible d’étudier les danses locales, contrairement à ce que prévoyaient les enquêteurs. La caméra s’est ainsi révélée être un outil opportun pour capturer les singularités des pratiques bretonnes : la gavotte, le gymnaska, le stoupik, le jabadao et d’autres danses passent alors sous son objectif. Jeannine Auboyer complète judicieusement les films d’une série de clichés afin d’obtenir des documents plus complets. Dans son entreprise de collectage du patrimoine culturel basbreton, notons que l’équipe s’oriente davantage vers les aînés, plutôt que vers la jeune génération qui tend à transformer la gestuelle et à se diriger vers de nouvelles pratiques.

Les aléas du « direct »

Collecter, analyser et répertorier une danse, comme toute autre pratique en mouvement, n’a toutefois rien d’évident. En effet, sur le terrain, la tâche n’est nullement facilitée à Jeannine Auboyer : elle doit souvent évoluer au sein de grandes festivités telles que des noces ou des concours de danses, qui rassemblent un grand nombre d’invités et spectateurs. Aucune répétition n’étant prévue, elle doit composer avec les aléas du moment et tenter de s’immiscer dans les célébrations, ce qui a pour conséquence le fait que, bien souvent, les cadrages ne sont pas suffisamment stables pour réussir à tirer des informations pertinentes. La caméra suit parfois les danseurs lorsqu’il aurait été préférable de la concentrer sur un individu unique ou de se poser plus loin pour observer l’ensemble du mouvement, afin de

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faciliter l’analyse postérieure. Il faut en outre rappeler la fin précipitée de la mission, qui a empêché les enquêteurs de couvrir l’étendue et la richesse des différentes danses observées pendant leur séjour.

Si pour notre regard contemporain, le travail de Jeannine Auboyer ne fournit pas assez d’informations pour que les gestes capturés soient répertoriés de manière détaillée, ces films et clichés conservent la mémoire des pratiques culturelles bretonnes, telles qu’elles ont été vécues pendant l’été 1939. L’investigation au cœur même des foules et de l’existence des habitants, la plongée dans le quotidien rural bas-breton, rendent ce témoignage particulièrement précieux. Le regard de Jeannine Auboyer dépeint finalement de manière touchante l’esprit communautaire et festif de la Bretagne de l’entre-deux-guerres.

Auriane Delcambre MAGEMI 2021-2022

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Des photographies prises à Brandérion fin juillet 1939 attestent la forte affluence de spectateurs venant applaudir les danseurs du concours. Jeannine Auboyer a tenté de se placer en hauteur avec sa caméra afin de montrer une vue globale du spectacle. Mission Basse-Bretagne, J. Auboyer, Mucem
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À LA RENCONTRE DU BRETON

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La mission rapporte plus de 400 pages qui représentent un intérêt linguistique de premier ordre. Pour la première fois on possède des notations phonétiques [...] concernant le parler de plus de 25 localités bretonnantes.

Extrait du premier rapport de la mission, partie linguistique.

La collecte linguistique de la Mission Basse-Bretagne est particulièrement riche. Pourtant, la transcription des chants en breton soulève d’importants différends entre François Falc’hun et son assistant Pêr Denez. Les enjeux linguistiques inhérents à la mission révèlent toute la difficulté à appréhender les subtilités d’une langue à tradition orale composée de plusieurs dialectes.

Une langue, des variations multiples

Dans la Bretagne de la fin des années 1930, trois langues sont d’usage courant. Tandis que le français enseigné à l’école se développe dans l’ensemble de la région, le gallo (parler roman) est utilisé en Haute-Bretagne et le breton (parler celtique) en BasseBretagne. Dans ce dernier territoire, parcouru par les trois enquêteurs, la langue est encore bien vivante et sa pratique ne commence véritablement à s’effacer qu’à partir des années 1950, quand les parents cessent massivement de la transmettre à leurs enfants.

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« «

Malgré la multitude de variantes locales, les spécialistes du breton parviennent à constituer quatre groupes linguistiques, dont trois – le léonard, le trégorrois et le cornouaillais – jouissent d’une relative intercompréhension. En effet, ce groupe dit « KLT », pour Kerne, Leon et Treger (Cornouaille, Léon et Trégor en breton), forme un ensemble qui diverge sensiblement du quatrième groupe, le vannetais. Dit guened en breton, il est divisé en haut et bas-vannetais. Ces quatre variétés de breton suivent les zones géographiques des quatre évêchés d’avant la Révolution, qui structuraient la vie quotidienne des habitants jusqu’à leur parler. Au-delà de ces grands groupes, le breton des locuteurs avec qui François Falc’hun échange sur le terrain varie lui-même d’une localité à l’autre. Entièrement oral, on le parle dans le cercle familial et communautaire.

Depuis le milieu du XIXe siècle, les tentatives de réhabilitation du breton lettré et donc, parlé et écrit, ont conduit à la mise en place de deux bretons standards : le « KLT » et le vannetais, déjà évoqués.

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Carte identifiant les zones géographiques des différents groupes linguistiques du breton Pmx, licence CC-BY-SA

C’est le « KLT » que François Falc’hun maîtrise, lui qui est du Léon, et qui lui permet malgré des décalages inévitables d’être compris sur le terrain en Cornouaille. Néanmoins, en prévision de l’étape en Pays vannetais, il se rend en avance dans la région de Surzur afin de se familiariser avec ce breton très différent du sien. Si la transcription en phonétique de l’ensemble des chants lui permet de prendre en compte les variantes dans toute leur finesse, elle n’est pourtant pas sans écueil : ne pouvant être livrée en l’état à de potentiels lecteurs, elle appelle une conversion orthographique loin d’être évidente.

L’origine de la transcription du breton est très ancienne. Jusqu’à la Révolution, la langue fait partie intégrante de la formation des ecclésiastiques locaux qui doivent savoir l’écrire en plus de parler la variante dialectale du lieu où ils sont affectés. Ainsi, le premier dictionnaire français qui paraît en 1464 est à destination du clergé bas-breton – cet ouvrage trilingue comportant également du latin et du breton. Les premières œuvres littéraires en breton apparaissent également au XVe siècle. Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, les écrits bretons sont majoritairement religieux, et l’influence du français est très présente. Petit à petit, l’orthographe se rapproche de la prononciation et les dialectes font leur apparition dans les écrits2

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« Le breton est une langue en chantier1» : les systèmes de transcription orthographique

Préface de la Grammaire Celto-Bretonne (1807) de Jean-François Le Gonidec, exemplaire du fonds ancien de la Bibliothèque Universitaire de Rennes 2 (cote 46916)

Dictionnaire Celto-Breton (1821), exemplaire du fonds ancien de la Bibliothèque Universitaire de Rennes 2 (cote 75843)

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Le breton moderne se constitue avec Jean-François Le Gonidec et ses deux ouvrages Grammaire Celto-Bretonne (1807) et Dictionnaire Celto-Breton (1821). Dans ces publications, JeanFrançois Le Gonidec propose une simplification de l’orthographe bretonne. Il choisit le léonais dont il est locuteur comme base de ses propositions, dans lesquelles les spécialistes du vannetais ne se retrouvent pas. Cette première orthographe finalement valable pour le seul « KLT » est reprise par ses successeurs, et aboutit à la création en 1908 d’une langue écrite dite « unifiée » (unvan), mais qui exclut le vannetais auquel elle est mal adaptée. Cette volonté d’unifier le breton en une seule et même orthographe soulève de nombreuses querelles parmi les lettrés, qui pour plusieurs manifestent un fort attachement à cette langue encore bien vivante à l’oral et souhaitent pouvoir l’utiliser dans leurs écrits. Cet intérêt s’illustre aussi par la création d’une chaire d’études celtiques en 1903 à la Faculté des Lettres de Rennes.

En 1941, alors que François Falc’hun a déjà entamé le travail de transcription orthographique des chants, notés phonétiquement, une nouvelle graphie apparaît, dite peurunvan, « totalement unifiée ». Le peurunvan réunit les deux grands groupes : léonais, trégorrois et cornouaillais d’un côté, vannetais de l’autre. On appelle également cette orthographe le KLTG (« G » pour guened). L’abbé Falc’hun, la jugeant très imparfaite sur les plans scientifique et linguistique, propose de son côté un autre système appelé skolveurieg (universitaire), approuvé par le ministère de l’Éducation nationale en juin 1955.

Après-mission : l’épineuse question du choix orthographique

Les éléments qui précèdent permettent de saisir ce qui va constituer la véritable « querelle », contemporaine à la mission. L’abbé Falc’hun assure dans un premier temps seul le volet linguistique : il s’attache alors à parfaire ses transcriptions phonétiques3. Celui-ci n’a jamais fait mystère, en effet, de la difficulté à réaliser lesdites transcriptions sur le terrain, précisant que les notes ont souvent dû être prises dans la précipitation et qu’elles ont été difficiles à déchiffrer lors du dépouillement. Il réalise également la plupart des traductions, ou tout au moins un résumé dont Claudie Marcel-Dubois a besoin pour ses analyses musicologiques. Mais François Falc’hun est vite débordé par ses activités, notamment la poursuite de sa carrière universitaire, puisqu’il devient enseignant à la chaire celtique de l’université de Rennes.

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François Falc’hun rédige la traduction française du chant vannetais Er hoed eh es un enig roz. Ci-contre, son écriture manuscrite. Mission Basse-Bretagne, F. Falc’hun, Centre de recherche bretonne et celtique

Pour avancer dans le projet d’édition du corpus de la mission, Georges Henri Rivière et l’abbé Falc’hun établissent, en juillet 1945, un plan de relance du travail. Ils s’accordent sur la nécessité d’engager une personne supplémentaire. Celle-ci est désignée deux ans plus tard, en mars 1947. Il s’agit de Pêr Denez, ou Pierre Denis, un étudiant de François Falc’hun. À ce stade, le travail consiste essentiellement à « orthographier » les textes bretons en vue de la publication. Pêr Denez ne voit pas d’inconvénient à traiter les chants du Pays vannetais en orthographe vannetaise, ce qui représente une centaine de chants4. Mais en ce qui concerne le corpus cornouaillais, il est en profond désaccord avec François Falc’hun quand il s’agit d’utiliser une autre orthographe que le peurunvan. La collaboration prend fin en 1948 et les chants en cornouaillais ne seront donc jamais traités, au grand regret de l’équipe.

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Denez réalise et rédige lui-même cette fiche en vannetais du chant Er hoed eh es un enig roz Mission Basse-Bretagne, P. Denez, Centre de recherche bretonne et celtique

Et aujourd’hui ?

Si le phénomène d’unification de la langue écrite était en plein questionnement à l’époque de François Falc’hun et de Pêr Denez, avec la création des graphies peurunvan et skolveurieg, cette unification semble s’être réalisée aujourd’hui5. En effet, le breton se transmet désormais grâce à l’instruction dans les classes bilingues français-breton et les écoles Diwan. Cette situation a été propice à la fixation d’une écriture normalisée qui facilite l’enseignement. Bien que le peurunvan soit aujourd’hui majoritairement employé dans l’enseignement du breton, certains auteurs brittophones perpétuent la graphie skolveurieg. Camille Roblin MAGEMI 2021-2022

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Pêr

NOTES

1 On doit cette formule à Albert Boché (1927-2012), linguiste ayant pris pour sujet d’étude le breton, sa langue maternelle. BOCHÉ, Albert et LE RUYET, Jean-Claude, Le breton : des dialectes à la langue écrite, Morlaix : Skol Vreizh, 2019.

2 ABALAIN, Hervé, Histoire de la langue bretonne, Paris : Éditions Gisserot, 2000 [1995].

3 La dimension linguistique de la mission est détaillée dans le chapitre suivant : LE GONIDEC, Marie-Barbara, « Après la mission : rapports, traitement des données, conférences et publication des résultats », in LE GONIDEC, Marie-Barbara (dir.), Les archives de la mission de folklore musical en Basse-Bretagne de 1939 du musée national des Arts et traditions populaires, ParisRennes : CTHS-Dastum, 2009 : 158-204.

4 À noter que quelques feuillets ont sans doute été perdus.

5 C’est la thèse avancée par Albert Boché et Jean-Claude Le Ruyet. Le peurunvan s’est imposé comme un standard, ainsi que le formule l’avant-propos du livre : « Le peurunvan est devenu, on peut le dire, l’orthographe unique du breton [...] ». BOCHÉ et LE RUYET, op. cit., p. 7.

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La mission et l’université de Rennes

Correspondance de Georges Henri Rivière, 28 juin 1939 Mission Basse-Bretagne, X. de Langlais, Archives nationales

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Xavier de Langlais suggère de remettre à l’université de Rennes des copies du collectage de la Mission. Le lien entre la mission et l’université de Rennes est ainsi établi avant même le départ des enquêteurs sur le terrain, ce qui leur permet de bénéficier d’un ancrage en Bretagne. Le point culminant de la relation Rennes-Paris est la remise officielle des enregistrements et des photographies de l’enquête, suggérée très tôt par Xavier de Langlais (voir cicontre).

Se documenter : les fonds anciens de l’université

Pré-rapport de Mission, Georges Henri Rivière, avril 1939 Mission Basse-Bretagne, G. H. Rivière, Archives nationales

L’équipe d’enquêteurs procède aux recherches bibliographiques et sonores en amont de la mission. La Faculté de Rennes se révèle un lieu de ressources de premier choix puisque les enregistrements phonographiques sur rouleaux y sont conservés, comme le mentionne le pré-rapport de mission.

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S’entourer : Pierre Le Roux (1874-1975)

Dans les documents préparatoires, la mention de différentes personnalités apporte l’indispensable poids scientifique et toute sa caution à la mission. Parmi ces dernières figure Pierre Le Roux, titulaire de la chaire de celtique entre 1911 et 1945. Falc’hun prendra sa suite à partir d’octobre 1945, d’abord comme chargé de cours, puis comme titulaire de la chaire à la rentrée universitaire de 1951.

Plusieurs revues scientifiques ont bénéficié de la collaboration de Pierre Leroux1 : Annales de Bretagne, Revue celtique, Mélusine, Bulletin du bibliophile. Sa thèse principale (publiée en 1930, rééditée en 1957) étudie le Verbe breton, mais son plus grand travail demeure son Atlas linguistique de la Basse-Bretagne, six fascicules publiés sur quarante ans.

Questionnaire final de terrain, avec signatures en fin de document : enquêteurs et personnes ressource.

Mission Basse-Bretagne, Archives nationales

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Transmettre : une conférence donnée à l’université

malgré l’Occupation

En novembre 1942, Georges Henri Rivière et l’abbé Falc’hun se rendent à Rennes à l’occasion du Congrès de l’Institut celtique nouvellement créé2. Ils interviennent à l’université pour la remise solennelle d’une copie de l’ensemble des photographies et des disques du terrain, qui s’accompagne d’une conférence présentant à la fois le musée et la mission.

Georges Henri Rivière offre officiellement les enregistrements, en tant que directeur des musées nationaux. Il s’agit de l’unique remise de la collecte, ce qui en fait un événement important. Quelques extraits des disques sont diffusés pour l’auditoire.

François Falc’hun prend aussi la parole afin d’évoquer la mission. Son intervention paraîtra sous forme écrite aux Presses universitaires de Rennes en 1943. Il s’agit de la seule intervention concernant la mission qui donne lieu à une publication – ce qui démontre encore une fois l’ampleur de l’événement.

Les disques tout comme les photographies remis ont depuis disparu. Néanmoins, avec la copie numérique des enregistrements remise en 2000 à l’association Dastum par le Musée National des Arts et Traditions Populaires, le lien à la ville de Rennes a pu être renoué.

Article paru dans Ouest Eclair, à propos de la conférence à l’université de Rennes : « La mission fut arrêtée par la mobilisation générale [...]. Le Musée des Arts et Traditions Populaires peut quand même offrir à la bibliothèque de la Faculté des Lettres de Rennes le double de deux cents enregistrements [...]. »

F. le R., Bibliothèque nationale de France

Lewandowski Camille Roblin MAGEMI 2021-2022

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Juliette

NOTES

1 FALC’HUN, François, « Pierre Le Roux (1874-1975) », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, n°83-3, 1976. p. 403-406.

2 L’Institut celtique de Bretagne est un institut culturel spécialisé dans les études celtiques, fondé en octobre 1941 à l’initiative de René Yves Creston, ethnologue du monde maritime qui travaillait au Musée de l’Homme. Il aide les enquêteurs pour la préparation de la mission en 1939.

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LE REVIVALISME DE LA MUSIQUE BRETONNE

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Affiche du premier concours de kan-ha-diskan à Poullaouen le 26 décembre 1954 Droits réservés

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Le concours de kan-ha-diskan : premier pas vers le revivalisme du fest-noz

Cette affiche présente le premier concours de kan-ha-diskan organisé par Loeiz Ropars dans la salle Vitré à Poullaouen, le 26 décembre 1954. Cet événement va déclencher un grand nombre de concours de même nature en dehors de cette commune : à Spézet en 1956, à Châteauneuf en 1958 ou encore à Gourin en 1959.

L’objectif de Ropars est de (re)trouver des couples de chanteurs de kan-ha-diskan, chant à deux voix alternées, aujourd’hui connu comme air à danser – même si cela n’a pas toujours été le cas. Cette forme spécifique au Centre de la Bretagne se construit au fur et à mesure du « klask an ton » (cherche la mélodie) ou « appel à la danse », qui précède le chant lui-même constitué en trois parties, ton simpl, tamm kreiz, ton doubl (air simple, morceau du milieu, air double). Le chant se construit ainsi sur le tuilage des voix : celle du meneur, appelé kaner (chanteur, qui peut aussi être une chanteuse, kanerezh), et celle du répondeur, diskaner (diskanerezh).

Ce qui importe le plus, c’est l’histoire transmise ; l’air sert d’abord de support pour la raconter. À ce titre, le chant breton s’illustre aussi à travers la forme des gwerziou, complaintes ou balades. Dans la société rurale traditionnelle de Bretagne, où l’oralité tient une place centrale, on dit de la gwerz qu’elle véhicule un discours de vérité, une histoire vraie. Cette forme est tombée en désuétude, car elle reposait avant tout sur la compréhension de la langue pour suivre l’histoire. Elle est aujourd’hui l’apanage de chanteurs dont la qualité d’expression permet d’apprécier la gwerz sans avoir besoin d’en saisir les paroles.

La rencontre consacrée au kan-ha-diskan en 1954 à Poullaouen a de son côté largement popularisé le chant à danser, mais elle en a aussi transformé la pratique. La forme du concours impose aux chanteurs d’être sur scène, et non au centre de la ronde comme il était d’usage. Micro et estrade sont désormais de rigueur. Le succès inattendu de l’événement lancé par Loeiz Ropars permet à ce chant d’échapper à la disparition. C’est le début du revivalisme du fest-noz, ce moment chanté et dansé qui autrefois venait clore une journée de travail, et qui désormais représente pour nombre de Bretons une réunion festive, aux danses animées par des chanteurs et des instrumentistes.

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Loeiz Ropars, le réinventeur du fest-noz

Le fest-noz, « fête de nuit » en breton, est originaire de la région de Poher en Centre Bretagne. Alors qu’il avait failli disparaître du paysage musical, il est remis à l’honneur au milieu des années 1950. Sa relance est initiée par Loeiz Ropars, un célèbre chanteur et musicien breton (1921-2007). Originaire de Poullaouen, ce dernier occupe une place prépondérante dans la transmission de la culture bretonne à ses pairs. Par son initiative de concours de kan-ha-diskan, Loeiz Ropars incite à renouer avec la tradition orale. Le patrimoine immatériel qu’il s’attache à sauvegarder et à transmettre repose sur un triptyque composé de la langue, la musique et la danse. Il considère le breton comme un « fondement originel », et son apprentissage lui paraît nécessaire pour préserver son usage et renforcer le lien entre les habitants. La commune de Poullaouen devient l’épicentre de ce revivalisme grâce à cette figure du renouveau culturel, bien consciente de la richesse, mais aussi de l’essoufflement des traditions. La détermination de Ropars à sauver ce patrimoine immatériel, avec lequel il a tant d’attaches, pose les jalons du renouveau breton de ces années d’après-guerre1, avant la grande vague de 1970 initiée par Alan Stivell. En 1949, il est nommé président de la Kevrenn C’hlazig de Quimper – où il vit et enseigne – qui triomphe à deux reprises au championnat national des bagadoù.

Le 9 décembre 1951, Pierre-Jakez Hélias2 enregistre à Poullaouen des chanteurs de kan-ha-diskan pour Radio Quimerc’h, radio du Pays bigouden en langue bretonne. Beaucoup ont répondu présent à son invitation : le succès rencontré montre l’implication des médias audiovisuels dans le cadre de cet événement. Le 27 juillet 1952, les Fêtes de Cornouaille à Quimper, qui réunissent les jeunes du cercle celtique de Poullaouen et les anciens, connaissent à leur tour un grand retentissement. Cet événement festif, mais aussi et surtout le concours de 1954 organisé par Ropars, marquent le début d’une nouvelle histoire pour le kan-ha-diskan. Ce concours confère un nom et une visibilité à ce qui n’était qu’une pratique issue de la culture paysanne : le fest-noz, qui va rapidement prospérer et partir à la conquête des villes.

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La transformation du bal en fest-noz

L’expansion du fest-noz gagne peu à peu l’ensemble de la Bretagne et la communauté des Bretons de Paris. Bien que ces rencontres festives fassent florès, elles sont surtout animées par les anciennes générations et courent donc le risque de s’essouffler à nouveau. Conscient de cette menace, Loeiz Ropars choisit d’élargir l’audience de ces manifestations en les adaptant aux citadins. Le premier bal est organisé à Quimper en 1958. Contrairement au festnoz, le bal breton se déroule en journée et l’on y propose des danses traditionnelles simplifiées, appropriées à un public novice. Ces rencontres mettent par ailleurs plus largement à l’honneur la culture bretonne. Il s’agit en somme d’un fest-noz diurne – le terme de festdeiz, fête de jour, a depuis été officialisé –, accessible au plus grand nombre. Cette nouvelle formule connaît un franc succès, notamment grâce à l’action des cercles celtiques, qui en sont les principaux instigateurs.

Dans les années 1960, le bal breton a de nouveau lieu le soir, ce qui conduit à populariser le nom de fest-noz. Sa popularité est telle qu’il fait partie intégrante du programme des Fêtes de Cornouaille de 1964.

Reconnaissance professionnelle et institutionnelle (1980-2000)

Le renouvellement du fest-noz et sa reconnaissance progressive, entre les années 1950 et 1970, participent d’un élan de revitalisation qui gagne toute la sphère musicale bretonne. La hausse de la demande permet aux musiciens locaux de se professionnaliser, et de vivre enfin de leur art. Jusqu’ici, les musiciens jouant dans les festoù-noz n’étaient pas ou peu payés.

Le triomphe d’Alan Stivell, né en 1944 à Riom mais ayant passé sa jeunesse à Paris, amorce non seulement cette professionnalisation, mais contribue aussi à redonner à la musique bretonne ses lettres de noblesse et à la sortir du milieu purement breton. Précurseur du jeu de la harpe celtique – instrument de tradition plutôt savante, conservé plus longtemps en Irlande que dans les autres pays celtiques, ce qui a contribué à en faire un instrument « identitaire » –, Stivell est

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aussi connu comme l’un des premiers à introduire la pop music anglo-saxonne dans la musique bretonne. De ce fait, il suscite une grande émulation chez les jeunes musiciens, qui s’approprient à leur tour ce patrimoine musical.

La pratique des musiques traditionnelles s’institutionnalise par ailleurs : au début des années 1980, les formations se développent au sein de départements de musique dans les écoles et conservatoires locaux, grâce à l’initiative de Maurice Fleuret, qui entre au ministère de la Culture auprès de Jack Lang et contribue à la revalorisation, partout en France, des musiques traditionnelles assez dépréciées jusqu’alors.

Après une baisse furtive de fréquentation à la fin des années 1980, les festoù-noz connaissent un second renouveau dans les années 1990, notamment grâce à l’éclosion de nombreux groupes comme Ar Re Yaouank, « Les Jeunes » en breton, dont l’ambition est de revisiter la musique traditionnelle tout en adoptant la posture de « pop stars » plutôt que de sonneurs. Ils dynamisent les festoù-noz en attirant un public plus jeune, comme Stivell l’avait fait un peu plus tôt, suite à son passage à l’Olympia à Paris.

La reconnaissance du fest-noz

La reconnaissance de ce patrimoine immatériel, la sauvegarde et la collecte de la musique bretonne sont aussi portées par la volonté de nombreuses organisations culturelles bretonnes locales et régionales. Une association se distingue, Dastum, née en 1972 de la valorisation, par une dizaine de chanteurs et sonneurs de musique traditionnelle, du fonds qu’elle a collecté. La légitimation de la culture bretonne est ainsi en grande partie assurée par les efforts de cette association, comme en témoigne Vincent Morel, conservateuranimateur du réseau Haute-Bretagne, à plusieurs reprises dans le cadre des actions menées par Dastum.

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La diversité des festoù-noz et leur rayonnement international

Entre les années 1990 et 2000, de multiples formes du fest-noz se développent : festoù-deiz organisés par les clubs de danse des années 2000, grands festoù-noz à l’exemple du festival Yaouank créé en 1999 à Rennes, « cyber fest-noz » retransmis par le web, comme celui qui voit le jour à Quimper la même année. Cette grande diversité offre à la culture bretonne un rayonnement international. En parallèle, des festivals plus modestes demeurent et misent sur la convivialité et la proximité avec les danseurs et chanteurs. La Nuit de la gavotte, Poullaouen ou le Printemps de Châteauneuf en sont l’illustration.

L’inscription du fest-noz à l’UNESCO3

Après le boum des années 1980-1990, une baisse de fréquentation des festoù-noz s’observe. En réponse, l’association Dastum entreprend de faire reconnaître ces musiques traditionnelles comme une « esthétique artistique à part entière4» et d’engendrer une prise de conscience patrimoniale chez les politiques, les journalistes, sinon le plus grand nombre. En 20125, l’inscription du fest-noz sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité vise à donner une nouvelle visibilité et une reconnaissance à celui-ci. Ce label n’a pas drastiquement changé la fréquentation des festivals ou eu d’incidence sur le dynamisme des musiques traditionnelles, mais il a permis d’inscrire cette culture populaire à l’échelle internationale et de la faire dialoguer avec d’autres formes d’expression qui existent dans le monde.

Si, à l’origine, le fest-noz était une pratique ancrée dans la société rurale traditionnelle, avant d’être largement porté par des mouvements militants, il émane principalement aujourd’hui d’associations locales apolitiques. Ce n’est ainsi pas tant sa forme originelle qui a été inscrite au patrimoine, mais sa version moderne et actualisée. Le procès de « ringardise » que certains font volontiers à ce type de manifestations est donc loin d’être justifié. Le fest-noz relève d’une culture mouvante, non figée dans le temps qui évolue et perdure au gré des générations. Aujourd’hui, ce patrimoine immatériel provoque un réel engouement, y compris chez les jeunes.

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Même si les manifestations sont moins nombreuses qu’auparavant, l’attirance perdure chez ce public. La musique et la danse au sein des festivals contribuent à l’affirmation identitaire et continuent de parler des Bretons d’aujourd’hui. On constate d’ailleurs, dans ces danses, une forte dimension collective qui répond aux attentes actuelles de la société.

Exemplaire pour la richesse patrimoniale des formes musicales et artistiques qu’il déploie, le fest-noz est aussi le moyen de leur sauvegarde. Chaque époque renouvelle son regard sur le patrimoine vivant et lui permet d’affronter l’épreuve du temps : gageons que la musique bretonne a encore de beaux jours devant elle.

Cheryhane Bessa Gaïa Renazé MAGEMI 2021-2022

NOTES

1 Sans oublier la création des bagadoù (et des kevrennoù qui rassemblent souvent un bagad et un cercle celtique), ces ensembles instrumentaux composés de bombardes, grands binious et percussions, créés à l’image des pipe bands écossais qui sont tout aussi fondamentaux dans le renouveau de la musique bretonne.

2 Il connaîtra une certaine renommée grâce à son ouvrage Le Cheval d’orgueil, mémoire d’un Breton du pays bigouden, publié en 1975 chez Plon, dans la collection Terre Humaine dirigée par le géographe Jean Malaurie.

3 Une fiche dédiée est disponible sur le site de l’UNESCO. URL : https://ich.unesco.org/fr/RL/ le-fest-noz-rassemblement-festif-base-sur-la-pratique-collective-des-danses-traditionnelles-debretagne-00707

4 QUIMBERT, Charles, « Fest-noz et patrimoine », Tétralogiques, n°24, Processus de patrimonialisation, 2019.

5 Voir MINISTÈRE DE LA CULTURE, Communiqué de presse. Inscription du Fest Noz au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, 5 décembre 2012. URL : https://www.culture.gouv.fr/Presse/Archives-Presse/Archives-Communiques-depresse-2012-2018/Annee-2012/Inscription-du-Fest-Noz-au-patrimoine-culturel-immateriel-de-lhumanite

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Alan Stivell : faire renaître la harpe celtique

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La Telenn Strink (« harpe de cristal » en plexiglas) conçue par Leo Goas-Straaijer entre 1986 et 1987 à partir d’un dessin d’Alan Stivell. Le harpiste l’utilise sur scène pendant une quinzaine d’années. Elle a été exposée dans le cadre de l’exposition itinérante Rok, l’histoire du rock en Bretagne de 1960 à nos jours, conçue en collaboration avec le producteur Frank Darcel.

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La renaissance de cet instrument s’inscrit dans une histoire ancienne. La première représentation connue de la harpe celtique remonte à la fin du IXe siècle ; elle appartient à la littérature médiévale bretonne. Dans les pays celtiques, la harpe est l’instrument de cour, donc des classes aisées, et n’est pas jouée dans les milieux populaires. Le XVIe siècle signe sa disparition soudaine et forcée lorsqu’elle est bannie d’Irlande par les Anglais.

En 1952, Georges Cochevelou entreprend de ressusciter cet instrument disparu cinq siècles plus tôt. Aucune harpe ancienne n’ayant été conservée, il s’appuie en grande partie sur des gravures anciennes. Son jeune fils Alain, sonneur au sein du bagad Bleimor à Paris et, futur Alan Stivell, assiste à la conception du prototype par son père et nourrit un intérêt particulier pour l’instrument : celui-ci façonnera sa carrière de chanteur et de musicien.

Si le père et le fils choisissent tous deux d’embrasser l’appellation « celtique », dont la harpe ressuscitée est l’emblème le plus significatif, c’est sans hasard. Le concept légitimise la réappropriation par les Bretons d’un patrimoine historiquement partagé avec l’Irlande, l’Écosse, le Pays de Galles et la Cornouailles britannique. L’image de la Bretagne a en effet pâti des accointances de certains défenseurs de sa langue et de sa culture avec le régime nazi. Elle doit au sortir de la Seconde Guerre mondiale être dissociée des velléités nationalistes et se détacher du champ politique pour s’ancrer dans une sphère culturelle plus enviable. La musique, en tant que phénomène universel et fédérateur, va servir de « faire-valoir » pour redorer le blason d’une identité bretonne qui ne saurait être réduite à son « nationalisme ». L’engouement pour les littératures celtiques bénéficie sans aucun doute, lui aussi, au regain d’intérêt pour les expressions musicales bretonnes.

À partir des années 1960, la France est marquée par l’arrivée de la vague musicale folk, originaire des États-Unis. Se référant au « peuple », la musique folk puise dans les chansons traditionnelles populaires anglo-irlando-américaines auxquelles sont ajoutées des arrangements nouveaux et modernes. C’est aussi l’apparition de la guitare électrique en France qui provoque l’engouement des jeunes. Alan Stivell s’inscrit pleinement dans l’esprit de cette ère musicale par l’électrification de sa harpe qui s’accorde parfaitement aux instruments de la musique folk. Il revendique à travers cette innovation technique une juste reconnaissance et une appréciation de la musique celtique au-delà des frontières régionales. Ainsi, Alan Stivell parvient à

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démontrer que les sonorités qu’il extrait de ses racines ne sont pas dépassées et qu’elles évoluent au gré du temps.

Le concert à l’Olympia de 1972 cristallise toutes les intentions du chanteur. Le paysage radiophonique – France Inter, Radio Télévision Luxembourg et Europe – retransmet en direct le concert et touche sept millions d’auditeurs. La musique bretonne, ainsi mise à l’honneur, est vécue intensément. C’est une redécouverte pour les Bretons et une découverte pour le public français dans un mouvement d’effervescence apte à réunir l’ensemble de la population autour de cette nouvelle musique celto-bretonne qui ouvre sur de nouveaux horizons.

Cheryhane Bessa MAGEMI 2021-2022

NOTES

1 À noter qu’on trouve aussi des résistants parmi les autonomistes bretons, à l’exemple du groupe Liberté de Saint-Nazaire. Voir à ce sujet : MONNIER, Jean-Jacques, Résistance et conscience bretonne (1940-1945). L’hermine contre la croix gammée, Fouesnant : Yoran Embanner, 2007.

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MUSIQUE À L’AFFICHE !

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Les affiches de festoù-noz sont les témoins précieux d’un passé et d’un présent. Leur observation attentive révèle aussi bien l’étendue des enjeux affectant la société bretonne qu’une prise en charge par l’image. Si le renouvellement des codes graphiques traduit une histoire propre à l’affiche, les choix thématiques et esthétiques sont le reflet d’engagements successifs. Ces affiches, qui dévoilent le détail des programmations, les noms des interprètes, les lieux ou types d’organisations, qui sont parfois signées par leur auteur, attestent la diversité des univers visuels agrégés à la musique bretonne au fil des décennies. Des emprunts celtiques aux expérimentations géométriques, de l’humour aux revendications identitaires, politiques et sociales, ces affiches ne cessent de dire la société bretonne.

En 1981, Goutal Allain réalise une série d’affiches pour le 10e fest-noz du Gollodic. Optant pour un dessin détaillé à l’encre noire réhaussé de couleur, il situe ses personnages dans un cadre médiéval, qui fait voyager le regardeur en terre d’histoire et de légendes. Le dessinateur Jean-Claude convoque à son tour l’imaginaire celtique en associant son joueur de bombarde aux mythes bretons. Le titre calligraphié déploie, quant à lui, tout un bestiaire et un répertoire de symboles celtiques. L’affiche du fest-noz Pluniau à Pluméliau, dont il faut souligner l’inscription dans la collecte débutée en 2013 par Dastum, rappelle enfin les motifs ornementaux des manuscrits enluminés. Le fest-noz en Bretagne puise dans cette histoire longue, tout en dessinant son futur à l’encre d’un imaginaire nourri du présent.

Alain Goutal, Musée de Bretagne A. Goutal, Musée de Bretagne

Alain Goutal, Musée de Bretagne A. Goutal, Musée de Bretagne

Fest-Noz Plumeliaù, Carmelo de la Pinta, p-002908 (Collection Dastum). C. de la Pinta, Dastum

Inconnu, 1977, Musée de Bretagne Auteur inconnu, Musée de Bretagne

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À distance des dessins celtisants, d’autres affiches déploient un style géométrique suggérant les développements constructivistes de l’affiche ou les productions de Mai 68. La proposition bicolore de Fañch Le Henaff, représentant un joueur de bombarde de profil, en est exemplaire. Ce graphiste conçoit aussi deux affiches pensées en diptyque. Celle de 2000 reprend le pied féminin de l’année 1999 : une manière de suggérer le passage d’un millénaire à l’autre. Mises bout à bout, les figures peuvent évoquer une gavotte, à savoir une chaîne dansée.

Le Henaff Fañch, 1995, Musée de Bretagne. F. Le Henaff, Musée de Bretagne

Le Henaff Fañch, 1999, Musée de Bretagne. F. Le Henaff, Musée de Bretagne

Le Henaff Fañch, 1998, Musée de Bretagne. F. Le Henaff, Musée de Bretagne

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Nombreuses sont les affiches de festoù-noz à évoquer la bande dessinée. Joël Auvin, qui pendant ses études tapisse les murs de l’université de Rennes de caricatures, s’illustre rapidement dans les journaux d’actualité bretons et produit des affiches. Celle qu’il réalise en 1983 est exceptionnelle, car elle est une des rares à représenter un instrument moderne – ici, la guitare électrique – et à mettre en lumière l’évolution musicale des festoù-noz. Une autre affiche, anonyme, emprunte au bédéiste F’murr son héroïne Jehanne d’Arque, dont les aventures paraissent au même moment dans le magazine Métal hurlant. Sur l’affiche du fest-noz de Saint-Pol-deLéon, deux personnages jouent du biniou et de la bombarde : leur conversation est insérée dans des bulles de dialogue. Sur ces deux dernières affiches, le trait noir épais et les formes arrondies du visage et du nez rappellent à la fois la ligne claire d’un Hergé et l’exubérance d’un Franquin.

Joël Auvin, 1983, Musée de Bretagne. J. Auvin, Musée de Bretagne

Avek Nevez, Musée de Bretagne

A. Nevez, Musée de Bretagne

Fest-Noz, Tudu Huon, p-002565 (Collection Dastum). T. Huon, Dastum

Alain Goutal, Musée de Bretagne

A. Goutal, Musée de Bretagne

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Certains festoù-noz, organisés en vue de récolter des fonds, sont l’occasion de soutenir la cause sociale (lutte pour les travailleurs sociaux, aide aux détenus bretons, enseignement Diwan…). Ce fut le cas du fest-noz de soutien aux ouvriers de chez Garnier et aux paysans emprisonnés à Poligné en 1975.

Fest-Noz Soutien aux ouvriers de chez Garnier et aux paysans emprisonnés, p-002301 (Collection Dastum). Auteur inconnu, Dastum

Gégé, Musée de Bretagne G., Musée de Bretagne

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Événements festifs à valeur militante jusque dans les années 1980, les festoù-noz sont aussi des moments de rencontre et de rassemblement. Certains d’entre eux deviennent des lieux de débat et de protestation politiques. Des sujets forts et variés comme le nucléaire ou la suppression de la langue bretonne dans les médias y sont abordés.

Réalisée par Alain Goutal, cette caricature illustre la lutte contre l’implantation des mines d’uranium en Bretagne. La symbolique du rapace est convoquée pour représenter le nucléaire : il s’agit d’un vautour imposant, froid et au nez crochu, portant un badge nucléaire. À l’inverse, l’opposition bretonne est figurée par un pic-vert, oiseau menacé, symbole de biodiversité. Ce dernier lutte contre le vautour en lui piquant et cassant le bec.

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Alain Goutal, Musée de Bretagne A. Goutal, Musée de Bretagne

Le Henaff Fañch, 1979, Musée de Bretagne. F. Le Henaff, Musée de Bretagne

Conçue par Fañch Le Henaff en 1979, cette affiche pour un concert de Youenn Gwernig est à replacer dans un contexte de tension et de revendication en faveur de la langue bretonne. Sur cette dernière commandée par le comité d’animation de Locronan, association ayant pour but de défendre la place du breton dans les médias, le dessinateur symbolise l’effacement de la langue en bâillonnant les personnages.

Toutes ces affiches constituent un riche patrimoine matériel illustrant le revival, la mouvance ainsi que l’actualité de ce patrimoine immatériel que sont les festoù-noz et, plus largement, la musique bretonne.

Gaïa Renazé MAGEMI 2021-2022

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SOUVENIRS

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Une aventure parsemée de gourmandise

Éternels gloutons, nos carburants sont les délicieuses pâtisseries ou les mignardises en tous genres que Brice ou Sybille nous font le plaisir de ramener. La farandole d’odeurs qui flotte dans l’air de bon matin et les saveurs sucrées qui chatouillent nos papilles, nous délivrent leurs propriétés revigorantes et nous garantissent de passer une bonne journée. Notre sacro-sainte armoire à thés, véritable caverne d’Ali Baba, est également là pour étancher nos soifs et apaiser nos cerveaux en surchauffe.

Maxime

20 septembre 2021 - Le livre des archives

C’est Marie-Barbara Le Gonidec qui nous l’a présenté. Nous avons délaissé toutes nos autres lectures pour lui. Nous avons fait chauffer la carte d’emprunt des BU du Grand Ouest pour lui. Il a brutalement alourdi nos sacs, envahi nos bureaux. Le livre des archives de la Mission Basse-Bretagne 1939 nous a impressionnés et, nous devons l’avouer, légèrement effrayés lors de notre première rencontre. Mais après l’avoir longuement parcouru, nous avons découvert toute sa richesse scientifique qui nous a permis de construire les fondements de notre exposition. Pour cela, un grand merci.

Octobre 2021 - Synopsis : Musique bretonne or not ?

Les MAGEMI ont retourné le sujet de l’exposition maintes fois. Trois corpus étaient en jeu : les fonds anciens de la Bibliothèque de Rennes 2, les collections du Musée de Bretagne, et les archives de la Mission Basse-Bretagne 1939. C’était à nous de miser juste pour les mettre en valeur. Mais comment les lier ? Certains souhaitaient partir de la musique bretonne plus généralement, d’autres ressentaient l’idée piquante de se concentrer sur la Mission… MAGEMI rime avec compromis. Après débats et touches d’opiniâtreté, nous avons acté notre synopsis : nous conterons la Mission, et ouvrirons sur le revivalisme de la musique bretonne !

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Juliette

19 octobre et 14 décembre 2021 - Pâtissons, vendons !

Fermez les yeux et imaginez… 7h du matin, il fait encore nuit, la porte d’entrée principale du bâtiment B n’a jamais autant grincé. Vaillamment, nous présentons nos délicieux mets. Après de maigres ventes, il nous faut plier bagage afin de ne pas concurrencer le CROUS. Par bonheur, nos gâteaux se vendront vite l’après-midi. Ravis de cela, nous organisons une deuxième vente. Cependant, vendre pendant les partiels n’est pas très fructueux… Aux futurs MAGEMI, regardez bien le calendrier avant de réserver le hall B…

2 novembre 2021 - Un enregistrement coup de cœur de la Mission 2 décembre 2021 - Le Soubitez ! Le Soubitez !

Sept heures de musique enregistrées, ça en fait des sons pleins de grésillements à écouter ! Malgré quelques difficultés à entendre certains chanteurs, le son de leurs voix qui résonnait à travers les haut-parleurs de nos ordinateurs restait touchant. Nous avons eu un coup de cœur tout particulier pour un des chants, la voix d’un des informateurs que l’on entend au tout début, avec cette intonation typique des années 30 : « Mission en Basse-Bretagne 1939. Le Cloître-Pleyben, Finistère… ». Sybille

Si nous avions comme certitude d’exposer quelques archives de la mission conservées au CRBC de Brest et des instruments, l’envie et la motivation de trouver la perle à exposer nous rongeait. Nous devions trouver l’objet phare de notre exposition.

Surprise ! Il était là à portée de doigts, accessible en quelques clapotis de clavier et cliquetis de souris… sur Leboncoin. Le Soubitez 77, un bébé de 25 kg, presque le même modèle que l’enregistreur utilisé lors de la mission. La décision fut unanime : nous devions en faire l’acquisition.

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Juliette

9 décembre 2021 - Acter l’intention muséographique, et vite

Rédiger une note d’intention à onze est loin d’être une chose aisée. Et puis… comment résumer des recherches sur un sujet aussi vaste en quelques phrases ? Pourtant, sans vouloir nous jeter des fleurs, nous avons réussi le pari avec brio. C’est en se partageant le travail, en se relisant les uns les autres, mais aussi grâce à une présentation visuelle du tonnerre made by Juliette que nous avons pu réaliser un document de qualité, encensé par la critique (ou plutôt, l’équipe enseignante).

Les moments de convivialité et de partage nous ont soudés tout au long de notre projet d’exposition. Parmi eux, il y eut cette fois chez Juliette avant les vacances de Noël, où le clou de la fête fut une remise de cadeaux. Chacun de nous devait offrir un petit cadeau à un autre désigné par tirage au sort. Livre, accessoire ou confiseries soigneusement choisis, petit bijou ou peinture réalisés à la main… Chacun y avait mis tout son cœur !

Camille

Janvier 2022 - Le pétillant à la pomme

Si le cidre est à la Bretagne, le jus de pomme pétillant (nous ne citerons pas la célèbre marque en my) est aux MAGEMI. Alors que nous étions dans le désert harassant de la scénographie et des normes rédactionnelles, une oasis s’est présentée à nous en un bruit de bouchon qui saute. Une tradition est née…

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15 décembre 2021 - Père Noël Secret

Février 2022 - Obtention des subventions

Lors du premier semestre, l’envie d’aménager l’espace de la BU Centrale autrement afin de créer un véritable parcours d’exposition se dessinait petit à petit… Le pôle administration se plongea alors dans de longs dossiers à remplir afin de bénéficier de subventions. Après deux dossiers fastidieux et deux passages en commission, nous apprenions que nous pouvions bénéficier de l’aide de l’Université Rennes 2 et de Rennes Métropole ! Un grand moment de soulagement, car cela nous a permis de construire un mobilier sur mesure ainsi que d’enrichir notre programmation culturelle.

10 Février 2022 - Allô, Alan Stivell ?

Après quelques échanges par mail avec le célèbre Alan Stivell, nous avons pu nous entretenir avec lui de vive voix. C’est un homme simple et sympathique, qui fut très à l’écoute de notre projet. Il a initié des idées et nous a expliqué qu’il préférait une rencontre intimiste ponctuée d’une visite suivie d’un petit entretien. Nous avions hâte de lui présenter notre travail.

3 mars 2022 - Des décisions à trancher

Suite au premier devis émis par notre menuisier, nous comprenons qu’il faut faire des choix pour respecter notre budget. Nous organisons une grande réunion avec le trio de professionnels qui nous accompagnent, afin de prendre des décisions. À titre d’exemple, en ce qui concerne le principe de flipbook, on ne retient pas notre idée de présenter un flipbook mécanique dans une boîte placée sur un socle. On opte pour des flipbooks suspendus dans l’espace d’exposition, un dispositif moins lourd.

Camille

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Cheryhane

8 mars 2022 - Déchiffrer des questionnaires manuscrits

Afin de sélectionner un échantillon représentatif des réponses reçues par les enquêteurs, il nous faut lire les questionnaires retournés à ceux-ci. C’est équipés de nos ordinateurs et de bonnes lunettes que nous épluchons les 106 réponses de minimum quatre pages chacune, pour en choisir trois, les plus représentatives de la mission.

9 mars 2022 - L’épopée GUSO commence

Faire un concert, c’est super. Déclarer les musiciens, c’est mieux… C’est donc avec beaucoup de résiliation, de courage, et nous l’avouons, une pointe d’inquiétude, que nous nous lançons dans l’aventure Guso, la plateforme de déclaration à l’emploi des intermittents du spectacle. Ce fut une aventure longue remplie d’embûches, d’allersretours, de numéros, d’incompréhension aussi. Mais finalement, au terme d’une lutte herculéenne face à la machine et grâce aux soutiens des interlocuteurs de Guso, nous avons pu éditer les déclarations d’emploi. cARTel est désormais employeur.

11 mars 2022 - La presse parle de nous !

Nous nous sommes beaucoup investis pour mener à bien cette exposition. C’est pourquoi quand le premier article sur cette dernière est paru dans la revue Musique Bretonne, nous étions doublement émus et enchantés. En effet, il s’agissait d’un coup de projecteur non négligeable sur notre projet. Il a, d’une manière ou d’une autre, contribué à le faire connaître. Cet article a aussi permis de consolider notre collaboration avec l’association éditrice de cette revue, Dastum, partenaire phare de notre exposition.

Maxime

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Lucile

Du 15 au 24 mars 2022 - Ô graphisme qui hante nos nuits...

À compter du 15 mars, une équipe de cinq apprentis graphistes s’est formée (Manon, Juliette, Maxime, Camille et Laurine) : nous avons travaillé d’arrache-pied pendant près d’une semaine et demie, jours et nuits, pour que tous nos supports de communication, d’exposition et de médiation soient envoyés à temps à la reprographie. Cette semaine était placée sous le signe du manque de sommeil, mais le jeu en valait la chandelle !

29 mars 2022 - Premières impressions

Le mardi 29 mars, avec un jour de retard, la première partie des impressions nous est parvenue lors de la semaine de montage. Nous étions à la fois impatients et inquiets de découvrir celles-ci : et si les visuels ne rendaient pas aussi bien en vrai que sur nos écrans d’ordinateurs ? Finalement, nous nous sommes répandus en exclamations une fois la première bâche déroulée : les couleurs et les images étaient aussi belles que dans notre imagination, voire plus encore !

29 mars 2022 - « On air » à la radio C Lab

Le 29 mars, ravies, nous nous sommes rendues au deuxième étage du bâtiment Ereve, dans les studios de la Radio C-Lab. Aux micros de Victor Costa, nous avons pu échanger sur l’exposition et sa programmation culturelle, ainsi que sur le master MAGEMI et nos ambitions futures. Cela a même donné lieu à des échanges très riches hors antenne. Être interviewé à la radio de l’Université : notre moment de gloire !

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Laurine Laurine

De mars à avril - Des médiations made in MAGEMI feat EDULAB

Penser et réaliser une exposition, c’est aussi se lancer dans sa fabrication matérielle ! Nous avons œuvré à la construction de nos médiations dans un cadre sympathique avec des intervenants enthousiastes et très pédagogues au FabLab de l’Université. C’était un soulagement d’avoir pu les terminer à temps !

Du 14 mars au 5 avril - Les MAGEMI chez Leroy Merlin

Si nous devions retenir une chose de ces semaines de montage, c’est bien la polyvalence de notre master et ces nombreux allers-retours chez Leroy Merlin. Pour finir, nous avons pensé à installer notre exposition dans les locaux de l’enseigne. Fort heureusement pour nous (et les visiteurs), un prestataire extérieur, aux compétences aguerries, fut embauché afin de concevoir la structure de nos cimaises ! Il est vrai que si certains maîtrisaient avec habilité la terminologie du parfait bricoleur, d’autres avaient plus de mal à distinguer une simple clé d’un tournevis.

En seulement deux jours, nous sommes passés à deux doigts de l’électrocution en accrochant des plaques de dibond, nous avons réinventé tout un système d’accrochage, utilisé un niveau laser, rebouché et percé des trous, fait beaucoup de bruit et donc distribué des boules quies aux étudiants de la BU Musique, créé un système de perche aimantées, utilisé des chevilles molly pour la première fois… Et tout cela encouragés par Guéna et Jeff !

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Cheryhane Manon 4 avril 2022 - Chantier express à la BU Musique

5 avril 2022 - Interviewés par Ouest France

En ce mardi 5 avril, en pleine finition du montage de l’exposition, nous avons accueilli Léna Sévaux, journaliste à Ouest France, afin de lui présenter notre travail. Après lui avoir fait visiter les deux lieux d’exposition, nous avons parlé de notre master et de l’élaboration d’un tel projet, qui doit se réaliser en seulement quelques mois. Nous étions ravis de pouvoir échanger sur ce sujet et partager notre enthousiasme. Le lendemain, grand sourire aux lèvres, nous sommes allés chercher l’exemplaire papier du journal, satisfaits de l’article et de la visibilité qu’il offrait à notre travail.

Auriane

7 avril 2022 - Sonerezh sur France Inter

C’est dès 9h ce matin-là que nous recevons plusieurs mails de la part d’intervenants ou de professeurs : on parle de notre exposition sur France Inter, la première radio de France ! Près de 7 millions d’auditeurs apprennent grâce à la revue de presse de Claude Askolovitch que notre travail de 8 mois est achevé. Abasourdis, nous nous faisons passer l’information sur les réseaux sociaux, enregistrons le replay, en lâchant quelques larmes pour certains. Quelle consécration ! Lucile

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La promotion MAGEMI 13 et son équipe enseignante en septembre 2021
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BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

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BIBLIOGRAPHIQUE NON EXHAUSTIVE

OUVRAGE DE RÉFÉRENCE

LE GONIDEC, Marie-Barbara (dir.), Les archives de la Mission de folklore musical en BasseBretagne de 1939 du Musée national des arts et traditions populaires, Paris-Rennes : CTHSDastum, 2009.

UNE COLLECTE PHONOGRAPHIQUE

NYÉKI-KÖRÖSY, Maria, « L’ethnologie musicale moderne : contextes d’une émergence » , Ethnologie française, vol. 36, n°2, 2006.

PELLEN, Ronan, La « Nouvelle Musique Bretonne », 1955-1970. Genèse et développement des formations de musique traditionnelle dans les Trente Glorieuses en Bretagne, mémoire de Master, Université Rennes 2, 2017.

POLODAK, Julien, L’enregistrement et ethnomusicologie. Introduction à une anthropologie des pratiques d’enregistrement chez les ethnomusicologues francophones, mémoire de 2e cycle, Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, 2016.

UNE COLLECTE DU MNATP

CUISENIER, Jean et TRICORNOT, Marie-Chantal, « Musée national des arts et traditions populaires». Guide, Paris : RMN, 1987.

GÉTREAU, Florence et COLARDELLE Michel, « La musique au Musée national des Arts et Traditions populaires et au futur Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée », Cahiers d’ethnomusicologie, n°16, 2003, p. 43-58.

RIVIÈRE, Georges Henri et al., Bretagne : art populaire, ethnographie régionale, cat.exp, 23 juin - 23 sept. 1951, Musée national des arts et traditions populaires, Paris : Éd. des Musées nationaux, 1951.

HISTOIRE DE LA BRETAGNE

CHARTIER, Erwan, La construction de l’interceltisme en Bretagne, des origines à nos jours : mise en perspective historique et idéologique, thèse de doctorat en langues et cultures régionales, Université Rennes 2, 2010.

ÉPRON, Aurélie et LE COADIC, Ronan, Bretagne : migrations et identité, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2017.

POSTIC, Fañch et al., « Reconnaissance d’une culture régionale : la Bretagne depuis la Révolution », Ethnologie française, vol. 33, n°3, 2003.

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BÉCASSINE

MARQUER, Alain Joseph, Comment peut-on être Bécassine ?, mémoire de recherche en études celtiques, Université Rennes 2, 2014.

OLGA-ROUKAVICHNIKOFF-PILON, Claude, Bécassine, cette méconnue, mémoire de recherche en études celtiques, Université Rennes 2, 2020.

REYNS-CHIKUMA, Chris, « De Bécassine à Yoko Tsuno : Réflexions sur les stéréotypes, les oublis et la renaissance de quelques héroïnes créées par des auteurs masculins », Alternative francophone, vol. 1, n°9, 2016.

TANNAHILL, Lise, « Bécassine, a bande dessinée pioneer », Studies in Comics, vol. 7, n°2, 2016.

DANSES ET MUSIQUE

CASTEL, Ifig, Bombarde et biniou. Les secrets de la vie de couple, Lannion : Dastum BroDreger, 2008.

CARIO, Daniel et PIERRE, Alan, Danse bretonne, Spézet : Coop Breizh, 2021.

COLLEU, Michel (dir.), Musique bretonne. Histoire des sonneurs de tradition, Grenoble : Chasse-Marée-Glénat, 2008.

GUILCHER, Jean-Michel, La tradition populaire de danse en Basse-Bretagne, Paris : Mouton, 1976.

LE GONIDEC, Marie-Barbara, « Du civil au militaire, du couple à la clique : l’exemple du bagad de Lann-Bihoué », dans Le Gonidec, Marie-Barbara (dir.), Temps de la guerre versus temps de la paix : l’expression musicale comme agent du lien social, Actes du 136e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques (« Faire la guerre, faire la paix », Perpignan, 2-7 mai 2011), Paris : Éditions du CTHS, 2013.

URL : https://www.persee.fr/doc/acths_1764-7355_2013_act_136_4_2451

LANGUE BRETONNE

ABALAIN, Hervé, Histoire de la langue bretonne, Paris : Éditions Gisserot, 2000 [1995].

BROUDIC, Fanch, Histoire de la langue bretonne, Rennes : Éditions Ouest-France, 1999.

HAGÈGE, Claude, « La place des langues régionales dans l’enseignement précoce des langues », dans CLAIRIS, Christos, COSTAOUEC Denis et COYOS, Jean-Baptiste (dir.), Langues et cultures régionales de France, Paris : L’Harmattan, 1999.

REVIVALISME MUSIQUE BRETONNE

BOURDELAS, Laurent, Alan Stivell, Marseille : Le mot et le reste, 2017.

ROPARS, Jefig, Loeiz Roparz : paotr ar festoù-noz – Le rénovateur du fest-noz, Quimper : Emgleo-Breiz-Al Leur Nevez, 2011.

PIERRE, Alan et CARIO, Daniel, La danse bretonne. Un ouvrage essentiel pour connaître et mieux pratiquer les danses bretonnes, Spézet : Coop Breizh, 1999.

BENSIGNOR, François, « Alan Stivell », Hommes & migrations, n°1293, 2011, p. 148-153.

143

DESPRINGRE, André-Marie, « Entre textes et actions : la musique bretonne et celtique de Bretagne », Journal des anthropologues, n°85-86, 2001, p. 79-113.

QUIMBERT, Charles, « Fest-noz et patrimoine », Tétralogiques, n°24, Processus de patrimonialisation, 2019, p. 143-165.

POSTIC, Fañch, « Le renouveau du fest-noz », Bécédia, 2016.

URL : http://bcd.bzh/becedia/fr/le-renouveau-du-fest-noz

UNESCO, « Le fest-noz, rassemblement festif basé sur la pratique collective des danses traditionnelles de Bretagne », Patrimoine culturel immatériel

URL : https://ich.unesco.org/fr/RL/le-fest-noz-rassemblement-festif-bas-sur-la-pratiquecollective-des-danses-traditionnelles-de-bretagne-00707

BOULÉ, Aurélien et JAOUEN, Anna, FEST-NOZ de la cour de ferme à l’UNESCO [webdocumentaire], Poischiche Films, France télévisions, Tébéo, TVR, Tébésud, Bretagne Culture Diversité, 2018.

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CRÉDITS ET PRODUCTION

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PRODUCTION

Une production portée par le master MAGEMI (Gestion et mise en valeur des œuvres d’art, des objets ethnographiques et techniques).

L’exposition est présentée conjointement à la Bibliothèque Universitaire Centrale et à la Bibliothèque Universitaire de Musique du campus Villejean, du 4 avril au 22 juin 2022.

CONCEPTION ET RÉALISATION DE L’EXPOSITION

Les étudiant·e·s du master 2 MAGEMI : Maxime Abadia, Sybille Avril, Cheryhane Bessa, Lucile Bourdelais, Auriane Delcambre, Manon Lehy, Laurine Le Meur, Juliette Lewandowski, Brice Mergny, Gaïa Renazé, Camille Roblin.

Sous la direction de Florence Duchemin-Pelletier (responsable du master MAGEMI) et Agnès Levillain (muséographe).

Atelier scénographie encadré par Eric Morin. Atelier graphisme encadré par Gilles Debroise, Fondations Graphiques.

Atelier communication encadré par Camille Etesse, anciennement responsable du Service Communication des Champs Libres.

PRÊTEURS / PARTENAIRES

Association Dasson an Awel, Association Dastum, EDULAB Rennes 2, Musée de Bretagne.

CONCEPTION ET MISE EN PAGE DU CATALOGUE

Juliette Lewandowski, Laurine Le Meur, Camille Roblin et Maxime Abadia, encadré·e·s par Gilles Debroise.

IMPRESSION DU CATALOGUE

Service imprimerie - Reprographie de l’Université Rennes 2.

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ISBN : 978-2-9584664-0-4
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