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La dépression peut tomber sur n’importe qui. Sarah Sumi en est convaincue.

Photos: Getty Images / iStock, DR Elle revient de loin. D’un lieu étrange où l’on ne voudrait jamais aller. Quatre ans de désert et de souffrances psychiques, que l’on résume sous le nom de «dépression». Le regard noir étincelant, deux grands anneaux d’argent aux oreilles, un chemisier aux couleurs vives, Sarah Sumi, 49 ans, est une rescapée, comme elle dit.

La dépression peut tomber sur n’importe qui. Elle en est convaincue. Alors qu’elle avait tout en main, un quotidien riche, un mari, deux garçons, un métier passionnant d’enseignante, elle a senti le sol se dérober sous ses pieds. Peu à peu, comme une inévitable dégringolade, six mois après le décès tragique de son père en 2014. «Les angoisses ont commencé à m’envahir. Je me sentais hyper-fragilisée, l’extérieur me semblait hostile. Je n’arrivais plus à prendre un train, à m’occuper de ma classe, j’étais bloquée, la tête vidée. Tout était devenu compliqué, même manipuler la photocopieuse ou préparer un repas», se souvient Sarah Sumi.

Une prise en charge inadaptée Arrêt de travail, suivi psychologique. Mais le traitement médicamenteux ne parvient pas à enrayer le mal-être. «Je croyais avoir touché le fond, mais je continuais à dégringoler. Le pire, c’était le matin au réveil. On est pris par ce mal intérieur, au-delà de toutes douleurs physiques. Je n’attendais que le soir pour dormir.» Évoquer ce souvenir lui fait fermer les yeux. Elle se concentre pour laisser remonter les faits, la chronologie du désastre. Quand elle accepte une première hospitalisation, en 2016, elle pense alors que ce séjour «la soignerait». Mais la prise en charge est inadaptée. «Je me suis retrouvée face à un psy, qui portait des chaînes autour du cou et une chemise trop ouverte, qui n’en avait rien à faire. Il parlait par métaphores alors que moi, je n’avais que des pensées confuses et des tics à tous les étages.» Elle y passe trois semaines, la durée formatée d’une première hospitalisation, qui n’auront servi à rien.

L’année suivante, rebelote, retour dans un autre établissement. Toujours avec la même douleur, le même «mal de l’âme», ce vide intérieur si paralysant et dévastateur. «Cette fois, la prise en charge a été meilleure. Je me suis inscrite à tous les ateliers. Cuisine, art, musicothérapie, activités

«Je suis sortie autre. On ne redevient pas la personne qu’on était avant»

sportives. Les gens pensaient que j’allais mieux, pourtant je sentais tout au fond que j’étais loin d’être sortie d’affaire.» Elle y est restée deux mois, faisant des allers-retours à la maison, le temps d’une nuit par semaine, sans envie. «J’avais hâte de retrouver mes amis malades.» Suit encore une troisième hospitalisation, dans une nouvelle structure, qui débute par quelques jours dans l’unité des personnes atteintes de schizophrénie, faute de place ailleurs. L’expérience est traumatisante, des gens hagards, une chambre de contention, des vies à la dérive. «C’était Vol au-dessus d’un nid de coucou», résume Sarah Sumi.

Le fragile retour à la vie Mais, cette fois, la sortie se passe différemment. «Mes proches ont pris les devants pour que je ne sois pas à nouveau livrée à moimême à la maison. Ils ont obtenu un programme organisé, structuré avec des rendez-vous quotidiens et des ateliers à l’unité de réhabilitation.» En 2018, le retour est gagnant. Qu’est-ce qui sauve finalement? Un bon encadrement du malade, une médication adaptée, le suivi psychiatrique, la foi? «Un peu tout ça», répond Sarah Sumi, qui a repris aujourd’hui son travail d’enseignante à temps partiel. Si son couple a explosé, elle garde des liens forts avec toute sa famille. «Je suis sortie autre. On ne redevient pas la personne qu’on était avant. Il m’a fallu quatre ans pour qu’un jour la vie reprenne un goût, que je sois à nouveau capable de voir le beau et de rire.»

«Entre 2012 et 2019/2020, la part des personnes traitées pour dépression a augmenté de 26%»

Bien sûr, la fragilité demeure. Et la peur de rechuter. Mais la jeune femme a désormais sa boîte à outils. Quand les bouffées d’angoisse remontent, elle s’interdit de mouliner. Elle part marcher, écoute de la musique, se met aux fourneaux ou sort boire un café avec des amis. «Aujourd’hui je suis droite dans mes bottes, une force s’est installée en moi, une détermination à aller de l’avant et à croquer la vie à pleines dents, tout en la dégustant. Elle n’a jamais eu autant de goût qu'aujourd’hui! Je recherche des relations authentiques, je n’ai plus le temps pour les small talks.» L’humour est revenu. Et l’envie d’écrire aussi.

En couchant sur le papier sa traversée du désert, Sarah Sumi termine le processus thérapeutique. Une façon de «poser sa colère envers certains

Claudio Peter, responsable du domaine de compétence Santé mentale, maladie et handicap à l’Observatoire suisse de la santé (Obsan)

traitements et de ne pas oublier la mort de son père». Déjà un succès de librairie, Trace est une confession qui éclaire de l’intérieur cet étrange mal de l’âme. Dont il est possible de sortir vainqueur. MM

Informations: «Trace», Éd. Montsalvens, disponible sur exlibris.ch. Son site: www.sarahsumi.com

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La dépression en chiffres

La dépression est-elle devenue la nouvelle épidémie des années Covid? Il n’est pas possible de chiffrer les cas de dépression diagnostiquée au cours des cinq dernières années, faute d’études épidémiologiques de prévalence. Mais Claudio Peter, responsable du domaine de compétence Santé mentale, maladie et handicap à l’Observatoire suisse de la santé (Obsan), confirme néanmoins l’augmentation des consultations psychologiques en cabinet ambulatoire: «Entre 2012 et 2019/2020, la part des personnes traitées a augmenté de 26% au total, avec une croissance plus soutenue chez les enfants et les adolescents (+40%) que chez les adultes (+25%).» La pandémie a souvent eu pour effet d’accentuer les contraintes préexistantes. Ainsi, les personnes ayant des antécédents psychiques, un statut socio- économique inférieur ou les personnes seules et isolées socialement ont été davantage touchées par les troubles psychiques.

À noter encore que ce sont les jeunes femmes (0-18 ans) qui semblent avoir été les plus impactées par le contexte anxiogène de ces dernières années. Les hospitalisations pour cause de tentative de suicide présumée ont augmenté de 67% entre 2017 et 2020 dans cette catégorie de la population. Pourquoi? «C’est une question difficile et il faudrait spéculer sur les causes. Mais le fait est que les jeunes générations ont été plus touchées par la pandémie que les personnes plus âgées», conclut Claudio Peter.

caritas.ch/oui

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