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Votation sur l’alcool

«Il faut aussi vivre avec son temps»

Anton Scherrer a présidé la direction générale de Migros jusqu’à sa retraite en 2005. Aujourd’hui, il fait campagne en faveur du oui à la vente d’alcool, arguant que cela simplifierait la vie des clients tout en n’ôtant rien aux valeurs Migros.

Texte: Kian Ramezani, Benita Vogel Photo: Nik Hunger

Anton Scherrer, vous avez dirigé la brasserie Hürlimann avant de rejoindre Migros au début des années 90. La bière ne vous a-t-elle jamais manqué? Les deux étaient des entreprises qui avaient les pieds sur terre, je me suis senti à l’aise à Migros dès le début. De plus, j’ai pu convaincre le responsable du marketing que la bière Hürlimann sans alcool était la meilleure. C’est ainsi qu’elle a été intégrée à l’assortiment Migros. Avec votre passé de brasseur, avez-vous déjà envisagé de produire de la bière à Migros? Il n’a jamais été question de cela, au contraire. Ce que nous vendions a été passé au crible. Même l’alcool présent dans les pralinés a parfois donné lieu à des discussions. Si quelque chose avait un goût de kirsch, nous devions préciser qu’il ne s’agissait que d’arômes. Aujourd’hui, vous vous battez pour la fin de l’interdiction de la vente d’alcool. Pourquoi? Je veux être honnête sur la question. Gottlieb Duttweiler a renoncé à l’alcool en 1928 par nécessité. Il était boycotté par les fournisseurs. Pour pouvoir produire lui-même et survivre, il racheta la société Alkoholfreie Weine AG en faillite à Meilen (ZH). En vendant son cidre doux à un prix inférieur à ceux du marché de l’époque, il remporta un vif succès. En même temps, il déclara qu’avec le cidre sans alcool, il contribuait à la santé publique. Il fit donc de la nécessité une vertu.

C’était donc juste un coup marketing? Bien plus qu’un coup, c’était génial! Il a ainsi été possible de développer l’assortiment et d’augmenter le chiffre d’affaires. Duttweiler avait déclaré: «J’ai besoin de francs, pas de marges!» C’était un homme d’affaires visionnaire et un pragmatique. Si la stratégie était si géniale, pourquoi l’abandonner maintenant? Parce que les délégués ont reconnu que Migros avait introduit de l’alcool aux abords des supermarchés et contournait ainsi le principe de renonciation

Anton Scherrer est convaincu que le fondateur de Migros, Gottlieb Duttweiler, aurait lui aussi souhaité la votation sur l’alcool.

«Je veux être honnête sur la question de l’alcool»

Anton Scherrer, président de la direction générale de Migros de 2001 à 2005 Le partisan

Anton Scherrer, 79 ans, a dirigé de 1991 à 2001 les départements Industrie et, en partie, Logistique de Migros. Il a été président de la direction générale de 2001 à 2005, avant de prendre sa retraite. Auparavant, il a dirigé la brasserie Hürlimann à Zurich. Après son passage à Migros, il est devenu président du conseil d’administration de Swisscom. Anton Scherrer est ingénieur en denrées alimentaires de l’EPFZ, où il a obtenu un doctorat en microbiologie. Il est marié, père de trois enfants et habite à Kilchberg (ZH).

à l’alcool. Et les clients sont clairement désavantagés. Dans quelle mesure? Migros doit fournir un assortiment complet dans ses magasins. Cependant, les clients n’y trouvent pas de bière ni de vin. Ce sont des produits qu’ils doivent se procurer ailleurs. Ou, pire encore, ils se détournent et achètent tout directement à la concurrence. J’en fais même l’expérience moi-même. Quand vous achetez de l’alcool, vous faites tous vos achats ailleurs? Oui, je n’ai pas le temps de faire des détours, j’achète tout en une seule fois. C’est aussi meilleur pour l’environnement. La Croix-Bleue affirme que les supermarchés Migros sont importants pour les personnes sujettes à la dépendance à l’alcool, car elles peuvent y faire leurs achats sans être tentées. Je prends la question de la dépendance très au sérieux et je ne veux en aucun cas minimiser le problème. Les personnes dépendantes ont une vie difficile, mais elles sont mieux protégées et soutenues aujourd’hui qu’à l’époque de Duttweiler. Les consommateurs sont aussi mieux informés aujourd’hui, ils sont libres et ne veulent pas être limités. N’est-il pas un peu facile de dire que si la demande existe, nous créerons l’offre? Le commerce de détail se trouve aujourd’hui dans un marché très concurrentiel. Migros doit aussi faire face à des concurrents étrangers nettement plus grands qu’elle sur le plan international. Le fait de renoncer à l’alcool rend Migros sympathique et la distingue de ces entreprises... ... à condition que cela soit vrai! Migros vend de grandes quantités d’alcool, que ce soit par le biais de Denner, Migrolino, Voi et même via le supermarché en ligne Migros! Néanmoins, pour de nombreuses personnes, le fait de ne pas vendre d’alcool dans les magasins représente une valeur Migros importante. Ne faut-il pas prendre cela au sérieux? Oui, mais il faut aussi vivre avec son temps. Lorsque Gottlieb Duttweiler proposa son cidre doux en 1928, l’abus d’alcool était un fléau national. Mais vingt ans plus tard, il organisait déjà la première votation générale sur la question de l’alcool. Il avait constaté que le prix du vin avait augmenté et que l’alcool n’était plus consommé en aussi grandes quantités. Sept coopératives sur douze votèrent d’ailleurs à l’époque en faveur de la vente de vin, mais la «majorité populaire» des coopérateurs ne fut pas atteinte. L’interdiction de la vente d’alcool ne fut inscrite dans les statuts qu’en 1983, soit bien après la mort de Duttweiler. Lui-même avait encore déclaré de manière visionnaire dans une interview des années 1950: «La toute dernière chose à faire dans les cinquante prochaines années sera peut-être de vendre du vin.» Comment interprétez-vous cette citation? Duttweiler avait un rapport décomplexé à l’alcool et appréciait aussi un verre de vin. Avec son sens des affaires, il ne serait pas opposé à la vente d’alcool sur le marché concurrentiel actuel. La deuxième votation générale à ce sujet n’a que trop tardé. Je suis convaincu que lui aussi l’aurait voulue.

En quoi Migros est-elle encore spéciale si elle propose de l’alcool comme tout le monde? Migros est différente parce qu’elle incarne des valeurs. Quelles valeurs? À Migros, on en a plus pour son argent dans tous les segments de prix, que ce soit chez M-Budget, M-Classic, Migros Sélection ou même le bio. C’est ce que l’on attend de Migros, et cela doit rester ainsi. Le meilleur rapport qualité-prix, couplé à son engagement social comme le Pour-cent culturel, tels sont les piliers de Migros, et non plus la renonciation à l’alcool depuis longtemps! D’après vous, quel sera le résultat de la votation? La majorité des deux tiers est un obstacle de taille. Elle ne peut être atteinte que si Migros informe ses coopérateurs en toute transparence. MM

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