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Communication

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Aide humanitaire

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Nous parlons de plus en plus comme des machines

Pour le psychanalyste français Yann Diener, l’informatique qui règle désormais nos vies appauvrit notre langage. Et si cela avait pour conséquence, à terme, d’entraîner la disparition de la parole?

Texte: Laurent Nicolet

Yann Diener, comment en êtes-vous venu à vous intéresser à la LQI, ou langue quotidienne informatisée? Dans ma pratique de psychanalyste, je me suis rendu compte que de plus en plus de mots issus du vocabulaire de l’informatique passaient dans des domaines n’ayant rien à voir avec l’informatique. J’entends la langue des patients changer, avec des expressions du genre: «Il faut que je briefe ma femme» – des mots qui viennent du marketing. Sans compter des mots plus récents comme «présentiel» et «distanciel». On aurait pu dire des réunions à distance ou en présence, mais on dit «présentiel» et «distanciel» parce que cela sonne comme logiciel, cela sonne efficace, cela sonne informatique. Alors que c’étaient des mots utilisés dans les controverses théologiques au XVe siècle et tombés en désuétude depuis. Dernièrement, mon fils de 4 ans, en rentrant de la maternelle, m’a dit: «Aujourd’hui on a fait un algorithme.» II s’agissait en fait d’une tour de Lego où une brique rouge alternait avec deux briques bleues. Du fait simplement que nous utilisons tous, partout, des ordinateurs. Il y a encore quelques années, la première chose que je faisais quand j’entrais dans mon bureau de consultation de pédopsychiatrie, c’était de serrer la main du petit patient et de ses parents. Aujourd’hui, mon premier geste, c’est d’allumer mon ordinateur, d’ouvrir une session, de rentrer deux codes et trois login, que j’oublie régulièrement. Ce qui m’oblige à appeler le service informatique de l’hôpital qui me suggère d’envoyer un mail pour qu’il puisse me renvoyer un nouveau code, chose que je ne peux pas faire puisque je n’ai pas accès à mon ordinateur du fait que j’ai oublié mon code. On est dans Kafka, les procédures d’identification tournent à l’opération de police, à la contrainte.

N’exagérez-vous pas un peu? Nous avons de plus en plus affaire à des machines, des logiciels dont on n’avait pas l’usage – ce qui ne nous empêchait pas de bien travailler. Le premier niveau de pénétration de l’informatique dans nos vies est cette contrainte: on met plus de temps pour faire quelque chose que l’on faisait simplement avant, avec une feuille de papier et un crayon.

De quoi parle-t-on?

Dans sa pratique de psychanalyste, Yann Diener a constaté que de plus en plus de mots issus du vocabulaire informatique étaient utilisés dans le langage quotidien. Avec pour conséquence un appauvrissement de la langue. Cette prise de conscience lui a inspiré un livre: LQI, Notre Langue Quotidienne Informatisée.

Plus sérieusement, mon hypothèse est que les mots du vocabulaire informatique, en passant dans notre langage, agissent encore plus structurellement dans notre corps, dans notre pensée. De quelle manière? Il y a encore dix ou quinze ans, ce vocabulaire était réservé à des spécialistes, des techniciens des pros de l’informatique ou de la téléphonie qui parlaient leur jargon et dont on se moquait volontiers. Or, aujourd’hui, ce sont des mots que l’on utilise sans même s’en rendre compte. Je pense que cela a un effet sur notre rapport à nous-mêmes, sur notre relation aux autres parce que nous sommes des êtres de langage. Le vocabulaire informatique n’est pas analogique comme une langue peut l’être avec des chaînes de signifiants, mais se déploie de façon beaucoup plus simple, binaire. On sait que le langage de la machine n’est fait que de 0 et de 1 et, à la longue, il nous fait de plus en plus penser et parler de manière binaire. Ce qui se traduit aussi par des réflexes identitaires qui eux aussi participent de la binarité – «Je suis ceci et pas cela» –, réflexes peu favorables à la parole, qu’il faut bien distinguer de la communication. Quelle est la différence? Les deux sont certes des langages, mais la parole est d’un usage singulier, où l’on peut jouer avec les mots, où il existe une certaine marge. Toute parole s’inscrit dans une épaisseur qui dépasse de beaucoup celle linéaire, codifiée, de l’information. La communication est simplement un échange d’informations entre deux systèmes, un émetteur et un récepteur. Avec le langage binaire de l’informatique, nous nous plaçons dans une recherche d’efficacité qui est certes légitime. Pour fixer un rendez-vous par exemple, on va donner des informations qui ne soient pas équivoques, sauf s’il s’agit d’une énigme ou d’un jeu de piste. On ne dit d’ailleurs plus «prendre un rendez-vous», mais «programmer un rendez-vous». Quel est le problème alors? Cette recherche d’une meilleure communication peut avoir des avantages, cela nous fait gagner du temps, de l’argent, mais cela nous fait perdre beaucoup de singularité, de nuances, d’équivoques. Dans la communication, il n’y a pas de métaphore, pas

de second degré, pas de jeux de mots. Or, nous sommes de plus en plus dans la communication, plus que dans la parole, même dans la vie quotidienne. Les couples disent de plus en plus qu’ils ont «du mal à communiquer» et non pas «qu’ils n’arrivent pas à parler». Plus de communication, c’est surtout plus de planification et de programmation et moins de place pour la surprise et pour les désirs singuliers. Et donc, dites-vous, un appauvrissement… Le terme d’«ordinateur», suggéré par le linguiste Jacques Perret à la demande d’IBM qui recherchait une traduction française à «computer», vient directement de discours religieux où il était utilisé comme adjectif: Dieu, ordinateur du monde, Dieu qui met de l’ordre dans le monde. On peut constater que, pour que l’information passe mieux, l’informatique donne des informations plus simples. Notre champ lexical se réduit, avec des inversions de sens facilitées par la binarité: la paix devient la guerre, le mensonge, la vérité. On trouve cela notamment dans le roman 1984 d’Orwell où est évoqué le projet de réduire le vocabulaire, jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus. Pour mieux cerner le phénomène, vous remontez aux origines de l’informatique… Juste après la guerre, on découvre avec les ordinateurs des machines qui ne sont plus seulement des calculateurs, mais qui vont nous aider à traiter les informations automatiquement. Il existait déjà alors les machines à cartes perforées d’IBM, pour la comptabilité, mais c’étaient des machines électromécaniques. Le premier ordinateur en fait est la machine qu’a inventée le mathématicien Alan Turing pour décoder une autre machine, Enigma, qui servait aux nazis pour leur communication. L’idée de Turing a été d’utiliser une machine non pas plus intelligente, mais plus rapide. On peut dire que le traitement automatique de l’information est devenu synonyme de victoire sur le mal, la plupart des historiens estimant aujourd’hui que l’invention de Turing a accéléré de beaucoup la fin de la guerre. À vous entendre, ce qui s’est passé, c’est qu’un autiste a inventé une machine autiste qui nous rend aujourd’hui autistes… Je me suis beaucoup intéressé à la vie de Turing. Il avait toutes les caractéristiques de l’autiste Asperger: il parlait très peu, mais communiquait beaucoup, voyait le moins de monde possible. Beaucoup d’autistes ont du mal à parler parce que cela les engage trop dans l’affectif, on ne sait pas ce que l’autre va en penser, on peut regretter ce que l’on va dire, etc. Or, à l’âge de 25 ans, Turing écrit un article dans lequel il prédit que l’on va construire des machines dans lesquelles on pourra faire tourner des algorithmes et il évoque déjà la possibilité d’une voix de synthèse. Beaucoup d’autistes essaient de faire parler les autres à leur place, leurs parents par exemple. Ce qui frappe dans l’histoire que vous racontez des débuts de l’informatique, c’est le rôle joué par le nazisme… Oui, outre que le premier ordinateur a permis de décoder les communications des nazis, on trouve aussi le philologue Victor Klemperer qui décrit, sous l’appellation LTI, Lingua tertii Imperii, la langue du Troisième Reich, comment les nazis ont modifié la langue pour la déshumaniser, avec notamment l’utilisation de termes techniques pour désigner des choses qui ne l’étaient pas. Les premiers livres de ressources humaines ont été écrits par des SS. Cette notion même indique que l’humain est devenu une ressource, comme le charbon ou l’acier. Asperger lui-même, le découvreur du fameux syndrome était un médecin nazi. Ce langage d’efficacité, le langage des fonctionnalités, est le point de contact entre LTI et LQI, une mécanisation de la pensée. Que l’on en soit arrivé aujourd’hui à devoir prouver à une machine que l’on n’est pas un robot et que cela ne nous arrête pas une seconde montre que l’on a déjà basculé dans autre chose. MM

«Dans 1984 d’Orwell est évoqué le projet de réduire le vocabulaire, jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus»

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