Lyon People Novembre 2012

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PEOPLE STORY

vivace laissé par son père Albert.

Disparition d’Albert Anaf L’INCROYABLE DESTIN DU «RÉPUTÉ FOURREUR» Le doyen des commerçants de Lyon s’est éteint le 8 août dernier à 92 ans. Dans la célèbre boutique Anaf Fourrures de la rue de Brest, Lyon People a rencontré Charly, qui revient sur la vie trépidante de son père. Par Benjamin Solly

A

ttablé au bureau d’Albert, Charly Anaf soulève fébrilement le sousmain en cuir craquelé de son père. « C’est le première fois que j’ouvre ces enveloppes », confesse-t-il, ému, le kraft entre les doigts. A l’intérieur, quelques clichés d’Albert, témoins d’une vie de rebondissement marquée par l’exil, le labeur et le sens aigu de la famille. S’affairant sur les portants et les présentoirs, Hélène Andlauer répète ses gestes avec minutie. Celle qui a travaillé pendant 42 ans auprès du « réputé fourreur » dépeint « un homme très agréable avec sa clientèle, chaleureux et psychologue. » Entre les murs du 36 rue de Brest, la marque du patriarche, décédé cet été, est encore prégnante. Comme s’il n’était jamais parti. Comme si la musicalité « de son pas décidé » sur le parquet du magasin donnait encore le tempo, explique Charly. Ce pas volontaire, Albert l’a réglé sur celui de son père, Nissim Anaf. Vers 1904, l’homme fuit Constantinople à 17 ans pour échapper aux pogroms qui frappent la population juive. Emigré turc, il rejoint Lyon après un passage par l’Espagne. En 1918, il épouse Sarah Misraï qui lui donne un fils l’année suivante, prénommé Albert. Une année faste puisque c’est en 1919 que Nissim acquiert l’échoppe rue de Brest. A ses débuts, il la transforme en bazar, très en vogue à 50

NOVEMBRE 2012

l’époque. « Mon grand-père est devenu fourreur petit à petit », explique Charly. Les cargaisons de peaux de mouton doré livrées chaque semaine devant le pas de porte de son père ne font pas rêver Albert. Il souhaite se consacrer au droit, qu’il révise opiniâtrement dans la villa familiale à Collonges-au-Mont-d’Or. Mais en 1939, Albert va voir ses rêves et ceux de sa génération sacrifiés sur l’autel de la guerre.

Le droit, la guerre puis la fourrure Après dénonciation, les biens de famille, dont la villa de Collonges et le magasin de la rue de Brest, sont spoliés par l’occupant. Nissim et Sarah se cachent alors chez des amis dans les Monts d’Or, quand leur fils prend le maquis et rejoint le Vercors. La trajectoire d’Albert se confond ensuite avec celle, ignominieuse, prise par l’Histoire. Arrêté, il est interné à Grenoble, puis emprisonné à Saint-Paul à Lyon. Il est ensuite déporté à Dachau, Mathausen et ses annexes, Melk et Ebensee. Albert survit aux camps. Ses proches le croient mort. Il revient à Lyon, près de deux mois après la fin du conflit mondial. « Mon père a jeté pudiquement un voile sur cette période », reconnait Charly. La reconstruction est immédiate. Albert rencontre

sa femme en 1948. Un amour matérialisé dix mois plus tard avec la naissance de Norbert, disparu aujourd’hui, et celle de Charly en 1953. Sur le tas, Albert apprend le métier de fourreur aux côtés de son paternel. Et vole très rapidement de ses propres ailes. Il ouvre, au 38, rue de l’Hôtel de Ville (actuelle rue Edouard Herriot), son propre magasin. « L’enseigne qu’il a racheté s’appelait Reynald, qu’il a rebaptisé en Neyral », détaille Charly. Les Fourrures Neyral sont nées. Début de l’aventure. Ce n’est qu’en 1970, date du décès de Nissim, qu’Albert récupère le magasin de son père rue de Brest. Il l’investit, et confie les clés de la rue de l’Hôtel de Ville à Charly. Son fils, qui a appris le métier de pelletier chez Lavorel et l’art de la coupe chez Moutal à Lyon, devient gérant à 20 ans. Avec deux enseignes, les Anaf règnent en maîtres sur la presqu’île. Jusqu’en 1992, où Charly décide de donner un deuxième souffle à sa carrière professionnelle, abandonnant momentanément la pelleterie. De retour aux affaires après la disparition d’Albert, il assure pour l’instant la régence rue de Brest. L’affaire de famille vat-elle perdurer ? Elle semble promise à Willy, fils de Charly, petit fils d’Albert et arrière petitfils de Nissim. La lignée des fourreurs lyonnais n’est pas prête de s’éteindre. o

Photo © Fabrice Schiff

Charly (au centre), sa nièce Astrid et son fils Willy, a repris le flambeau encore Une histoire de fourreurs qui perdure depuis près d’un siècle à Lyon.


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