L'ESPACE MIS EN MOUVEMENT PAR LA COULEUR

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EN L’ESPACEMOUVEMENTMISPARLACOULEUR RICOMELou2021/2022ENSALA2RES-2Master-recherchedeMémoireDirectriced’étude:ChantalDUGAVE

:internetsite,BERGERJules©:couverturedephotopourCréditsjulesberge8.wixsite.com/jbrg-photographies

Je souhaite remercier Laure MAYOUD pour son tra vail inspirant, son intêret pour mes recherches et les rencontres qu’elle m’a permis de faire.

Je remercie l’ensemble de l’équipe enseignante A2RES pour leur accompagnement au cours de cette année. Enfin, je tiens à remercier du fond du coeur ma fa mille et mes cinq amies qui m’ont permis de vivre cette année comme un accomplissement personnel et professionel.

Je tiens à remercier Chantal DUGAVE pour son ac compagnement, son soutien et son interêt pour mon sujet de recherche.

REMERCIEMENTS

Ce mémoire de recherche nous permet de nous pencher sur des mises en actions de nos rapports à l’espace. Au delà de la création d’espace, la couleur travaille des mises en mouve ment, autant physiques qu’imaginaires. Cet élément, intan gible et immatériel semble parfois disparaître dans l’invisible du quotidien. Notre démarche nous permet donc de nous questionner sur la façon dont l’espace est mis en mouvement par la couleur. La méthodologie s’inscrit dans une rencontre entre théories, études et expérimentations. Ce travail articule les conjonctions entre la théorie de la couleur, les théories du care, des expériences de stage, l’étude le Pavillon de la Paix à Montréal et une oeuvre d’Ettorre Spalletti. La rencontre de la couleur avec le soin et les théories du care ouvre une dimension invisible et imaginaire au travail de l’espace. Nous comprenons, à travers ce mémoire, que la couleur est un élé ment actif qui génère une mise en mouvement, physique et imaginaire, dans l’espace. Les phénomènes qu’elle génère sont étroitement liés à nos ressentis, nos émotions et notre personne. Tadao Ando introduit la notion de paysage inté rieur, un principe qui décrit la façon dont nous vivons, depuis l’intérieur de nous-même, l’espace dans lequel nous nous trouvons. C’est une rencontre entre notre perception, notre imagination et notre personne. La mise en mouvement de l’espace par la couleur introduit la dynamique vivante de l’es pace et de notre expérience de celui-ci

RÉSUMÉ

This research paper allows us to look into the actions of our relationship with space. Beyond the creation of space, colour works on setting in motion, both physical and imaginary. This element, intangible and immaterial, sometimes seems to di sappear in the invisibility of our everyday life. Our approach therefore allows us to question the way in which space is set in motion by color. The methodology of this research is part of an encounter between theories, studies and experiments. This work articulates the conjunctions between the theories of colour, theories of care, internship experiences, the Pa villon de la Paix in Montreal and a work by Ettorre Spallet ti. The encounter of color with care and the theories of care opens up an invisible and imaginary dimension to the work of space. We understand, through this thesis, that color is an active element that generates movement, physical and ima ginary, in space. The phenomenons it generates are closely linked to our feelings, our emotions and our person. Tadao Ando introduces the notion of interior landscape, a principle that describes the way we live, within ourselves, the space in which we find ourselves. It is an encounter between our perception, our imagination and our person. Setting space in motion through color introduces the living dynamics of space and our experience of it.

SUMMARY

I.INTRODUCTIONL’IMPACTDE LA COULEUR DANS L’ESPACE A. LA COULEUR ET LA PERCEPTION B. LA PERCEPTION EN MOUVEMENT C. LA COULEUR ET L’ESPACE II. LA COULEUR ET LE SOIN A. DÉFINITION DU CARE - 4 Principes B. LES ENJEUX CONTEMPORAINS DU CARE C. LES THÉORIES DU CARE ET L’ESPACE III. LES MOUVEMENTS DE LA COULEUR A. MOUVEMENT DU CORPS B. MOUVEMENT DE L’IMAGINAIRE - Vers un paysage C. LA VITALITÉ DU MOUVEMENT SOMMAIREANNEXESBIBLIOGRAPHIECONCLUSION P. 90P. 86P. 80P. 76P. 70P. 62P. 52P. 48P. 38P. 28P. 20P. 14P. 8

1 Citation issue d’une interview réalisée au cours de mon stage en 2019.

INTRODUCTION

Au cours d’un stage chez Emmanuelle Moureaux, artiste-ar chitecte, à Tokyo, j’ai pu découvrir une approche de concption d’espaces par la couleur. Son travail se base sur le concept de « shikiri » qui signifie : diviser l’espace par la couleur. Ainsi, la couleur est non pas un outil de finition mais bien de concep tion et de définition de l’espace. Cette expérience m’a aussi permis de me rendre compte de l’importance des sensa tions et émotions créées dans ses projets par l’utilisation des couleurs. Emmanuelle Moureaux avait pour principal objectif que les visiteurs « ressentent quelque chose, des émotions par la couleur »1 La couleur est un élément que je travaille et auquel je me suis sensibilisés par la pratique de la peinture. En effet, j’ai appris à travers des cours de modèles vivants à questionner les formes et mes corps par l’utilisation des couleurs. Cellesci peuvent laisser une place à l’interprétation, aux flux, à la vivacité d’un corps sans pour autant représenter le réel. Elle me permettaient de jouer sur des rencontres de dualités lorsque des teintes allaient créer des épidermes immobiles d’un corps vivant. La couleur est un élément intangible et immatériel qui semble parfois disparaitre dans l’invisible du quotidien. C’est un élément dont nous parlons difficilement puisqu’il est de l’ordre du sensible et semble donc échapper à toute classification physique. À travers les définitions nous retrouvons la dimension intangible de la couleur puisqu’elle celle-ci est définit comme « une impression » ou « une sensa tion »2. Mon intérêt et ma fascination pour cet élément m’ont donc poussé à développer une démarche de recherche dans le contexte architectural. C’est ainsi que j’ai été amené à me questionner sur son statut et son utilisation dans l’espace. C’est à travers un premier travail de recherche en Licence 3 que j’ai pu commencer à définir et à me saisir de l’élément de la couleur. Ce travail m’a permis de comprendre les enjeux de la couleur en tant qu’élément culturel qui s’inscrit dans une temporalité. Les études d’ouvrages de Michel Pastoureau, enseignant-chercheur et historien médiéviste français, m’ont permis de comprendre les caractères et évolutions de cer

2 Paul Robert, 1988, Petit Robert, p.404

3 Le terme anglais décrit un état de confort, de bonheur et de bonne santé.

4 Par espaces de la couleur j’entends des espaces générés par l’utilisation de la couleur, donc comme élément générateur.

Fig. 1 Installation Universe of Words

Source : https://www.emmanuellemoureaux.com/#/universe-of-words/

.9 taines couleurs. Cette approche définit un cadre de connais sances sur des enjeux de ces couleurs dans un contexte contemporain européen. Grâce à l’étude d’une couleur pré cise, le bleu, j’ai pu suivre l’évolution d’une couleur précise et de comprendre quels facteurs participent à son évolution. Mes recherches ultérieures m’ont amené à définir les enjeux de la couleur en tant qu’outil spatial. Son utilisation dans l’es pace, notamment pour des effets visuels jouant avec la pers pective ou la lumière, lui permet de questionner voir décon struire un espace architectural. La couleur entre en interaction avec l’espace et l’architecture à partir du moment où celle-ci recouvre des surfaces d’une pièce. Elle devient un élément englobant de l’espace tri-dimensionnel. La superposition de la couleur à un espace peut créer un phénomène spa tial entièrement nouveau. Dans un cas extrême, cela entraîne l’apparition d’une image complètement abstraite. Les ques tionnements de cette première recherche portaient principa lement sur des espaces existants et pas forcément sur la façon dont la couleur peut être génératrice d’espaces. L’approche architecturale de la définition de la couleur en tant qu’outil m’a donc servi de base de connaissances dans son utilisation. Cependant, d’après ces recherches, il manquait une dimen sion active dans l’utilisation de la couleur dans l’espace. C’est pourquoi je souhaitais construire sur ces premières re fléxions mon objet de recherche autour de la couleur dans l’espace en tant qu’élément actif. Dans le cadre d’un stage de recherche j’ai aussi eu l’opportunité d’aborder la question de la couleur du soin, une approche que j’ai donc souhaité intégrer à mes recherches. Je souhaitais me questionner sur la façon dont la couleur, travaillée dans l’espace, pouvait, ou non générer du soin. C’est en rencontrant des patients, des artistes et des soignants que j’ai essayé de développer des outils de couleurs stimulants un wellbeing3 chez les patients. Ce stage m’a offert l’opportunité de m’ouvrir à un nouveau domaine et à porter un regard extérieur sur les enjeux de la couleur. Cette entrée sur la pratique m’a permis d’avoir une regard nouveau sur la recherche. Ce rapport étroit que porte le travail des couleurs, l’expé rience sensible et personnelle m’a amené à me questionner sur les enjeux de soin et de wellbeing dans des «espaces de la couleur»4. Si celle-ci travaille avec nos sens et nos ressen tis, pourrait-elle porter une forme de soin dans l’espace ? Le soin n’est pas exclusivement réservé au domaine médicale mais, dans cette recherche nous essairons de l’articuler avec

la réflexion de l’espace et de la couleur. Quelle place la cou leur peut elle avoir dans le monde hospitalier ? Peut-elle ac compagner des soins physiques par des capacités de soins psychiques ? Dans quelle mesure pouvons nous proposer ces démarches de soin ? Ce mémoire est donc l’occasion de s’interroger sur les enjeux de la couleur dans les espaces de soins et de poser la problématique : comment son applica tion dans la conception architecturale dépasse les caracté ristiques physiques pour aborder l’aspect psychique ? Nous posons ainsi l’hypothèse que la couleur permet de dévelop per des phénomènes au-delà de la perception. Pour cela, nous nous appuierons sur des recherches et théo ries autour de la couleur, de l’espace et du soin. Ma méthodo logie est une analyse croisée entre la théorie de la couleur et du care et l’expérience de stages. Le premier avec Moureaux, il consistait à saisir les enjeux de la couleur et le deuxième à rencontrer l’univers du soin et de la couleur. La rencontre de ces approches variées trouvent une cohérence dans le travail de l’espace et notre rapport autant physique que psychique à Danscelui-ci.une première partie, nous nous intéresserons à l’impact de la couleur sur l’espace et étudirons la couleur en tant que phénomène perçu et vécu. Une définition physique scienti fique de cet élément et de notre perception de celui-ci nous donnera une base de connaissances nécessaire de son voca bulaire et de ses effets. Par la suite, les études des théories de Wassily Kandinsky nous permettront de comprendre pour quoi et comment la couleur est un élément en mouvement. Ces effets sont décrits comme des phénomènes physiques qui s’appliquent à nous et que nous reçevons. Par une ap proche générale des phénomènes de la couleur, Kandinsky développe aussi les influences de celle-ci sur nos corps et nos émotions. Il introduit donc la notion d’effets universels en chaque couleur, même si les émotions et ressentis de meurent personnels. Nous développerons alors cette ré flexion à travers des études de cas : le travail d’Emmanuelle Moureaux et d’Ettorre Spalletti, artistes, architectes, démon treront la mise en place des effets physiques et émotionnels de la couleur évoquées précédemment.

En deuxième partie, nous nous pencherons sur la rencontre entre la couleur et le soin. Nous aborderons tout d’abord les théories du care afin de nous saisir des enjeux du soin en tant que phénomène social et politique. Cette base théorique nous permettra d’introduire les enjeux et questions abordées au cours du stage de recherche. En effet, les théories du care nous permettent de prendre conscience du processus de

.11 care et de la façon dont il s’applique dans le domaine médi cal mais aussi dans notre quotidien. La rencontre du proces sus du care avec le stage de recherche nous permettra d’il lustrer certains propos mais aussi de prendre du recul sur la démarche que j’ai pu avoir au cours de ce stage. Par ailleurs, nous pourrons mettre en parallèle ces processus avec l’utili sation de la couleur dans le domaine du soin. À partir de ces théories nous comprendrons alors quels enjeux contempo rains ils présentent. Cela nous amènera à nous questionner et à valoriser la place des pratiques du soin dans le domaine de l’architecture. Cette démarche nous permettra de nous pencher sur une étude concrète, celle du Pavillon de la Paix du Musée des Beaux-arts de Montréal. Cette étude de cas a été choisi puisque ce pavillon a été réalisé dans la volonté de générer des espaces de bien-être et de mieux-vivre pour ses visiteurs. Ainsi, nous pourrons analyser les outils mis en place et leurs fonctionnements. Ces approches nous permettront donc de nous saisir à la fois des possibilités de rencontres entre la couleur et le soin dans le domaine médical, mais aussi d’analyser les outils et techniques pouvant être mis en place dans l’espace pour une démarche de soin.

En troisième et dernière partie, nous nous pencherons sur les différents mouvements générés par la couleur dans l’espace, ce qui nous permettra de mettre en evidence la dimension active de leurs rapports. Tout d’abord, grâce à Olafur Elias son, artiste, nous présenterons la façon dont la couleur dans l’espace stimule des mouvements du corps. L’espace en luimême s’active et nous comprendrons donc la démarche dynamique dans laquelle nous nous trouvons. Ces rapports au corps et à soi que génèrent la couleur nous amènent à nous questionner sur la dimension psychique de ces mou vements. La stimulation et la mise en mouvement de notre intériorité ouvrira le travail de l’imaginaire et du paysage dans l’espace de la couleur. Ces différents mouvements nous permettent une rencontre et une écoute avec notre propre corps et esprit. Nous étudirons donc la façon dont ces phé nomènes sont à l’origine d’une conscience de soi et d’une rencontre avec nos émotions et notre vulnérabilité. Cette approche nous permet d’avoir un regard plus large sur les rapports entre la couleur, l’espace et le soin. En effet, nous démontrerons la façon dont la rencontre avec notre propre vulnérabilité est la genèse même du processus de soin dans notre société.

Fig. 2 Installation Universe of Words Source : https://www.emmanuellemoureaux.com/#/universe-of-words/

COULEURLADEL’IMPACT L’ESPACEDANSI.

© Lou RICOME

A.

Les couleurs sont des éléments intangibles qui trouvent leurs origines et leur matérialité dans notre perception. C’est à tra vers l’information des longueurs d’ondes perçues par nos yeux et transmises à notre cerveau que nous pouvons voir les couleurs. C’est donc un phénomène physique et chimique qui nous permet de faire apparaitre, par le processus de per ception, une image des couleurs dans notre cerveau. Les longueurs d’ondes émises et absorbées par les objets ou tout élément physique définissent donc leur aspect colori métrique. Ces longueurs d’onde des couleurs se répartissent sur un spectre correspondant aux différentes fréquences d’ondes de la lumière perceptible. Les superpositions d’ondes permettent de créer d’autres couleurs. Du point de vue physique, on appèle ce phéno mène la synthèse additive des couleurs. Afin de comprendre comment la superposition de couleurs permet d’en générer d’autres, il nous faut développer le principe de couleurs pri maires et couleurs secondaires.

En 1666 Isaac Newton a défini le cercle chromatique et nous avons pu établir la trichromie ce qui a permis de rationaliser l’élément de la couleur. La trichromie définit donc trois cou leurs principales, qui par superposition et proportion per mettent de générer l’ensemble des couleurs. Les trois cou leurs primaires (bleu, jaune, rouge) permettent de donner les couleurs secondaires (orange, violet, vert) qui elles-mêmes peuvent donner des couleurs tertiaires ainsi de suite. Dans la synthèse additive il est interessant de remarquer que la superposition de toutes les couleurs génère du blanc puisque cela nous permet de comprendre le fait que la lu mière blanche est composée de l’entièreté du spectre chro matique. C’est pour cette raison que nous pouvons observer LA COULEUR ET LA PERCEPTION

Fig. 3 spectre chromatique en fonction de leurs longuerus d’ondes Auteure :

Source : https://mitaki-design.com/quelle-est-la-difference-entre-cmjn-et-rvb/

Fig. 4 Synthèse soustractive, papier,

Fig. 6 Décomposition du chromatiquecercle

Fig. 5 Synthèse additive, écran,

Source : la-theorie-des-couleurs/#:~:text=La%20théorie%20https://99designs.fr/blog/conseils-design/des%20couleurs%20est,pour%20répliquer%20une%20couleur%20donnée

.15 des effets d’arc-en-ciel (le spectre) lorsque la lumière ren contre un phénomène de diffraction. La rationalisation et les connaissances scientifiques de la couleur ont permis de défi nir les différents types de synthèses (additive et soustractive) et les modes colorimétriques (RVB, CMJN) nous permettant de travailler les couleurs sur des écrans, en impression et en peinture. L’approche que nous utiliserons au cours de ce mé moire sera celle de la synthèse soustractive en RVB puisque le bleu, le vert et le rouge sont les trois couleurs principales utilisées dans le domaine de la peinture. Dans ce cas là, la superposition des trois couleurs primaires génère du noir et non pas du blanc. Le système de couleurs primaires et secondaires est essentiel dans l’utilisation des couleurs puisqu’il permet de définir les couleurs complémentaires. Deux couleurs sont complémen taire si le mélange des deux produit du noir. C’est donc le cas du bleu-orange, rouge-vert et jaune-violet. Suite à mes expé riences personnelles de réalisations plastiques en utilisant la peinture, des professeurs m’ont souvent dit qu’il était inté ressant de travailler avec des couleurs complémentaires. En effet, avec deux couleurs seulement, nous représentons en fait l’intégralité du spectre chromatique, ce qui génère une sensation de plénitude pour le spectateur. Cela rejoint la sen sation de calme et de silence généré par le blanc et le noir. D’après Kandinsky ces deux silences créés sont les silences « de la mort et celui de la naissance »1 Les différents cercles des couleurs ci-dessus nous permettent de comprendre les rapports complémentaires que diffé rentes couleurs peuvent avoir. Ces définitions des couleurs 1 Wassily KANDINSKY, 1988, Du spirituel dans l’art et dans la peinture en parti culier, Paris, Gallimard, Folio. Essais, p. 85

Source : https://mitaki-design.com/quelle-est-la-difference-entre-cmjn-et-rvb/

définissent donc une base de compréhension et d’utilisation des couleurs dans la création de teintes ou de rencontres. Pour continuer à développer l’importance de la perception dans nos rapports avec la couleur, nous pouvons nous pen cher sur les études de Michel Pastoureau, enseignant-cher cheur et historien médiéviste français. Son travail souligne les évolutions historiques et culturelles qui influencent nos points de vue et ressentis des couleurs. Au cours de mon premier travail de recherche j’ai pu me pencher sur deux périodes historiques distinctes en Europe afin de me saisir d’influences et évolutions précises. L’étude de la période de l’Antiquité grecque m’a tout d’abord permis de comprendre la dimension physique et chimique des couleurs extérieur à ceux du processus de perception. En effet, certains pigments pouvaient être difficile à fixer tel que le vert, ce qui, d’après Pastoureau, fonde le caractère instable aujourd’hui lié à la chance/ malchance de cette couleur.

Dans ses recherches, Pastoureau étudie l’évolution des cou leurs principales : bleu, rouge, blanc, jaune, vert, noir; puis les cinq demi-couleurs : violet, rose, orange, marron, gris. Afin d’affiner notre analyse, nous allons prendre la couleur bleu comme support afin mettre en perspective nos recherches. C’est donc son étude autour de la couleur du bleu qui nous amène à nous rendre compte du grand tournant s’effectuant pour cette couleur au cours du XIIème et XIIIème siècles grâce à un changement profond des idées religieuses. Les anciens textes bibliques en hébreu n’utilisaient pas de mots pour les couleurs, c’est seulement lors des traductions en la tin que le « riche » se transforma en « rouge », le « sale » en gris etc2. Cependant, le bleu était peu présent dans la Bible, à l’exception de la présence de la pierre de saphir. C’était une couleur peu appréciée et difficile à utiliser en pigment.

2 Michel PASTOUREAU, 2014, Le petit livre des couleurs, Paris, Points, Points Histoire, p. 30

Le code couleur social définit jusqu’au haut Moyen-Âge était blanc, rouge, noir. Le bleu semblait absent de la perception et des oeuvres. À cette époque, il porte une connotation barbare dans son utilisation quotidienne, dans les étoffes ou autres vêtements de l’époque mérovingienne. Cela vient du fait que les Celtes et les Germains avaient pour habitude de teindre en bleu leurs vêtements et même certains de leurs objets par l’utilisation de la guède. Le bleu n’avait donc pas de place dans la haute société de l’époque. De plus, le fait qu’elle soit principalement présente sur des vêtements dé montre bien sa discrétion et banalité quotidienne à cette pé riode.

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Fig. 7 Vierge à l’enfant, XVème siècle, Fra Angelico

Source : https://i.pinimg.com/originals/a2/a4/c7/a2a4c779919a42a6c2c5600574baf877.jpg

.17 À partir du XIIème siècle, la représentation du Dieu dans la religion chrétienne prend le statut du Dieu de lumière. Or, la lumière la plus forte (avec la longueur d’onde la plus impor tante) est celle du bleu. En conséquence, les ciels sont enfin peints en bleu sur les tableaux, alors qu’avant le noir, le rouge, les teintes de blanc ou de doré étaient les couleurs princi pales pour les représenter. Sachant que la perception de la Vierge est perçue comme habitante du ciel, elle est désor mais représentée en peinture revêtue d’un manteau ou d’une robe bleue. Ces deux siècles constituent donc une transition où la couleur bleue passe d’un statut barbare, peu utilisée, peu appréciée et évincée par d’autres couleurs dominantes (rouge), à un statut divin. Le bleu a ainsi réellement sa place dans la palette des couleurs, et il continue à être valorisé par la religion. En effet, en 1130, nous avons la reconstruction de l’église abbatiale de Saint-Denis. Lors de ces travaux, le but était aussi de dissiper les ténèbres sachant que c’était un lieu accueillant des reliques. C’était grâce aux couleurs que cela pouvait se faire, principalement par le bleu; c’est pourquoi de grandes ouvertures ont été placées afin d’accueillir des vitraux teintés majoritairement en bleu. Le support du verre pour la couleur lui donne une nouvelle dimension physique puisque celle-ci, étant fixée sur un matériau plat à des fins décoratives, vient remplir l’intérieur de l’église par les reflets. La combinaison de la couleur et de la lumière peut donc re couvrir l’entièreté de l’espace de façon visible: nous remar quons une lumière bleu, rouge ou verte alors que la lumière blanche (naturelle) n’est presque pas perceptible tant nous y sommes habitués. La couleur nous permet donc de re marquer la lumière et de vivre une expérience nouvelle d’un espace connu. Cela joue bien sur le statut du Dieu de lu mière dans une église, dans la mesure où il vient tout recou vrir sans être présent de façon matérielle. Il est toujours re marquable d’être dans une église lorsque la lumière du jour est zénithale car l’effet des vitraux est décuplé et une force surnaturelle semble envahir le lieu. La couleur et la lumière permettent de générer de la surprise et des ambiances inha bituelles même dans des lieux connus. J’ai fait l’experience de ce phénomène à la limite du surnaturel lors de ma visite à la Sagrada Familial à Barcelone. La lumière d’une fin de journée d’avril rayonnait dans la basilique en créant un es pace presque imaginaire et irréel où nous pouvions ressentir la course du soleil. La lumière nous rendait conscient de la temporalité et de l’unicité du phénomène que nous vivions. Nous étions submergé par l’émerveillement et nous avions le besoin de parcourir l’entièreté de la basilique afin d’essayer de nous saisir et d’apprécier au mieux ce que nous vivions. Ce phénomène de la couleur dans l’espace nous permet à la fois de comprendre son utilisation dans un cadre religieux

Fig. 8 Vitrail de l’église Saint-Médard, Paris

Source : tons-un-joyeux-noel/vierge-a-lenfant-fra-angelico-adtcssaudrupt/2014/12/23/a-tous-nous-souhaihttps://lewebpedagogique.com/

Fig. 9 Intérieur de la Sagrada Familia, Barcelone Auteure : © Lou RICOME

mais aussi son lien étroit à nos sens et émotions.Cela nous permet de commencer à comprendre la dimension spatiale que la couleur porte mais aussi des rapports personnels que nous avons avec celle-ci. En effet, Pastoureau nous démontre bien comment des phénomènes sociaux, politiques ou re ligieux peuvent rapidement et radicalement faire évoluer le statut d’une couleur.

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Les couleurs et les rapports que nous avons à celles-ci au jourd’hui dépendent donc fortement de notre contexte culturel et social. Nos relations aux couleurs ne sont pas fi gées. Comme nous venons de le souligner, les cultures et les statuts des couleurs sont extrêmement liées.Le travail de Emmanuelle Moureaux, architecte-artiste, démontre cepen dant une emprise et un intérêt commun pour ses approches à la couleur. Afin d’analyser les phénomènes physiques crées par la cou leur nous pouvons nous pencher sur les enseignements et théorisations de la couleur développés à l’école du Bauhaus au cours de l’époque moderne. Ces approches permettent d’apprendre à maîtriser l’outil de la couleur et de se saisir de la complexité de son utilisation en tant qu’élément en mou vement. Les deux artistes et professeurs principaux de la couleur au Bauhaus sont Johannes Itten et Wassily Kandinsky. Les notions de mouvements et évolutions des couleurs dans leur dimension visuelle et physique sont développées princi palement par par Kandinsky. Son ouvrage Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier nous permet de com prendre de plus près ses théories sur la couleur. Ses écrits développent les effets que cet élément porte sur notre corps et nos émotions. Son approche est factuelle pourtant, Kan dinsky nous rappelle lui même que les sentiments évoqués par les couleurs sont des « états matériels de l’âme »3 . Les variations subtiles des impressions et ressentis de chacun ne peuvent pas être expliqués entièrement par des mots : « C’est pourquoi les mots sont et resteront simplement des indica tions, des marques assez extérieurs des couleurs »4 . Nous prendrons donc en considération le fait que l’expérience même de la couleur reste individuelle, unique et intime dans son rapport étroit avec nos sens et émotions.

B.

3 Wassily KANDINSKY, Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier, op.cit. p. 84 4 Ibid., LA PERCEPTION EN MOUVEMENT

Nous pouvons associer son approche à celle scientifique puisqu’il se base sur des expériences et des observations, sur lui-même et sur autrui. Dans un premier temps, nous comprenons par plusieurs exemples, que les couleurs sont

Dans la deuxième partie de son livre, Kandinsky se penche sur la question du langage des formes et des couleurs. Nous pouvons commencer par étudier la couleur d’un point de vue objectif, en « laissant agir sur soi la couleur seule ». Nous nous trouvons donc en tant qu’acteur observant les effets de la couleur sur notre corps ou notre perception. Il y a tout d’abord deux grandes divisions qui nous sont visibles et qui concernent l’espace dans des effets de perception et de res senti : la chaleur ou la froideur et la clarté ou l’obscurité. Ces deux grands contrastes permettent aux couleurs de faire varier leur emprise et leur place dans l’espace. En ef fet, pour ce qui concerne le premier grand contraste de la chaleur ou froideur, il est perçu par le spectateur comme un mouvement horizontal, avec un plan allant vers nous pour le chaud alors que le plan s’éloigne pour le froid. Le deuxième grand contraste, qui peut se généraliser à la différence entre le blanc et le noir, est la tendance de la couleur à être claire ou foncée. Ces teintes d’une même couleur conservent donc un même mouvement (se rapprochant ou s’éloignant du spectateur) mais les variations se font à des vitesses dif férentes, selon un mouvement dynamique ou plus statique. Une couleur de teinte chaude claire aura un effet décuplé, un mouvement dynamique tout comme une couleur de teinte

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liées de façon inséparable aux autres sens. Nous pouvons, en fonction de nos sensibilités, associer les couleurs à des goûts, des textures etc. Prenons l’exemple de la chromatothérapie qui témoigne de l’impact de la couleur sur le psychique et sur le corps. C’est une méthode qui consiste à utiliser l’action la lumière colorée comme thérapie pour soigner certaines maladies nerveuses. Cette utilisation des faisceaux lumineux colorés a prouvé que le rouge aurait un effet tonifiant et ex citant sur le coeur, alors que, au contraire, le bleu pourrait entraîner un paralysie temporaire. C’était en effet une des re cherches de Goethe qui propose le bleu aux nerveux et aux agités puisqu’il aurait un effet reposant. Le bleu a aussi un effet conséquent sur la perception des émotions. Une étude a été menée en Belgique où l’on fait entendre une voix en colère dans une pièce bleue et une pièce verte. On a pu ob server que dans la pièce bleue l’émotion se fait mieux perce voir : la pression artérielle augmente, la fréquence cardiaque aussi. Ainsi, dans un environnement bleu, notre cerveau va être plus réactif aux émotions. Il aiderait aussi à stimuler notre dopamine qui est l’hormone du bonheur et du désir. Dans un effet assez opposé, le rouge va avoir des effets sur notre concentration, notre vélocité et notre force physique. Nous développerons plus tard dans notre étude cette articulation entre la couleur et le soin.

Source : la-theorie-des-couleurs/#:~:text=La%20théorie%20https://99designs.fr/blog/conseils-design/des%20couleurs%20est,pour%20répliquer%20une%20couleur%20donnée

Fig. 10 Contraste chaud / froid

Fig. 11 Constraste sombre / clair

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froide et sombre. Cependant, une couleur chaude foncée aura tendance à être figée tout comme une couleur froide et claire. Un autre type de mouvement entre en jeu que nous pouvons spécialement comprendre avec l’exemple d’un cercle jaune ou bleu : c’est un mouvement concentrique ou excentrique. En effet le cercle jaune déborde du contour du cercle, alors que le cercle bleu s’éloigne de l’homme par un mouvement concentrique, il semble rentrer vers le milieu du cercle. Si nous reprenons les mouvements étudiés précé demment, nous pouvons observer avec ces exemples que l’effet du jaune augmente quand on l’éclaircit alors que celui du bleu augmente quand on l’assombrit. Il y a donc une pa renté entre le jaune et le blanc et entre le bleu et le noir.

D’après Kandinsky, nous pouvons généraliser les influences des couleurs sur nos corps et nos émotions, ce qui affirmerait que des effets universels se trouvent dans chaque couleur, même si les ressentis et influences culturelles sont person nels. Par exemple, le jaune possède un caractère violent, d’excitation qui demeure cependant une couleur et émotion superficielle. Le jaune ne devient jamais très profond, Kan dinsky, le compare à des états de l’âme et le lie à la folie, une notion de rage, de « délire aveugle, folie furieuse »5 mais ne pourrait pas être synonyme de mélancolie ou autre émotion plus profonde.

Si nous essayons de donner au jaune une teinte plus froide, il va prendre un ton verdâtre et va perdre son effet de mouve ment horizontal et excentrique mais va tendre vers un aspect maladif.

Le contraste physique que nous observons entre le bleu et 5 Ibid., Fig. 12 Les effets clairs / sombres sur les couleurs bleues et jaunes, Auteure : © Lou RICOME

Source : http://www.nouveauxcommanditaires.eu/fr/25/185/salle-de-départs

6 Ibid., 7 Valérie DA COSTA, 2018, « Rencontre: La salle des départs conçue par Ettore Spalletti à l’Hôpital Raymond-Pointcaré à Garche », Artnewspaper, 22 novembre 2018.

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le jaune se comprend aussi dans leur caractère. En effet, le bleu a un aspect intense lorsqu’il s’assombrit, il devient plus profond et attire l’homme; il serait synonyme d’apaisement et, en s’assombrissant, il réveille un sentiment de « nostalgie du pur et de l’ultime »6. Les teintes claires ou sombres du bleu changent son caractère, mais le lien symbolique à la dimension céleste demeure, et il reste synonyme de calme. En s’éclaircissant, il devient plus optimiste, l’infinité du ciel s’éloigne, il nous paraît plus loin, moins accessible. En appui sur cette étude du bleu nous pouvons étudier l’uti lisation de la couleur dans l’espace dans le travail d’Ettorre Spalletti pour sa Salle des départs à l’hôpital Pointcarré. Le but de l’intervention artistique de Spalletti était de créer un espace chargé de poésie et de métaphysique afin d’accom pagner les personnes en deuil. Cette pièce, oeuvre réalisée en 1996, est entièrement recouverte d’un camaïeu de bleu azur et d’éléments ponctuels en marbre blanc et noir qui ren voient à la symbolique céleste du bleu, en écho avec la notion d’éternité. Ettore Spalletti explique « L’azur dématérialise tout ce qui l’entoure, ôte au temps l’idée même de sa durée [...]. L’azur contient et fige son essence intangible et perpétuelle ment renouvelée, l’espace exprimé dans son soupir éternel. [...] On ne peut échapper à la réalité de la mort que par le truchement de la légèreté pure et fragile de la beauté. »7

Cette citation fait écho à la symbolique croyante du MoyenAge. Cependant, nous observons une approche sensorielle de la couleur puisque son choix se fait sur des ressentis plus que sur des symboliques, même si il y a une analogie avec un élément naturel: le ciel. Nous pouvons aussi mettre en rela tion le travail de Spalletti et l’approche de Kandinsky, puisque comme nous avons pu le voir, le bleu en s’éclaircissant va avoir tendance à se figer, il prend donc cette dimension in temporelle. Son mouvement n’étant pas stimulé, il va garder une certaine distance avec le spectateur et générer un effet de calme et de lenteur chez ce dernier. Ces effets appuient donc les volontés de Spalletti de créer un espace hors du temps avec une dimension céleste et spirituelle. À travers ce travail, Spalletti a aussi joué sur les équilibres et déséquilibres crées par l’utilisation des teintes de bleu. En ef fet, le même bleu azur est utilisé pour les murs, les colonnes et le plafond. La teinte de l’azur dilate l’espace et repousse les limites des murs et du plafond pour créer une sensation de légèreté. Cet ensemble permet de travailler une dimen sion infinie et illimitée de l’espace. Le sol, d’un bleu outremer,

Fig. 13 Salle des départs à l’hôpital Pointcarré

Celui-ci crée un poids et un ancrage qui semble l’éloigner de nous et accentue l’étirement vers le ciel du reste de l’espace.

Source : https://www.emmanuellemoureaux.com/#/universe-of-words/

semble se détacher du reste de la pièce. Nous pourrions avoir l’impression que les murs ne se posent pas sur ce sol.

Dans le cas du travail d’Emmanuelle Moureaux dont nous avons commencé à parler, nous retrouvons une utilisation des phénomènes et théories évoquées par Kandinsky. En ef fet, l’installation principale pour laquelle j’ai travaillé pendant mon stage était Universe of words8. Cette installation se trou vait dans un centre culturel et l’entrée dans le projet se faisait 8 Installation pour les 100 de la marque Calpis en 2019, Chiyoda, Tokyo.

Pour revenir à l’approche théorique de Kandinksy, en mélan geant le bleu et le jaune, nous nous rendons compte que l’un et l’autre, par leurs mouvements opposés, vont finir par s’annuler, et vont produire une immobilité totale qui apparait par la formation du vert. Les mouvements horizontaux dis paraissent, tout comme les mouvements concentriques ou excentriques. Le vert absolu est la couleur la plus reposante, elle ne génère ni joie, ni tristesse, ni passion. Elle peut cepen dant rapidement tourner à l’ennui par son caractère passif, et peut même en devenir hautaine. Son effet peut être mis en parallèle avec le caractère du blanc, qui, troublé par le noir, va perdre de son caractère et de sa constance : le gris apparaît. Le gris est une couleur que l’on associe facilement au vert par sa similarité dans les valeurs morales. Cependant, le vert contient une possibilité vivante qu’on ne trouve pas dans le gris, puisque celui-ci peut rapidement être réactivé dans son mouvement par des rajouts de jaune pour devenir vivant et de bleu pour devenir plus sérieux.

Fig. 14 Entrée de l’installation Universe of Words

Enfin, Spalletti travaille des effets d’ouverture et d’imaginaire avec la simple mise en place de rectangles azur clair sur un pan de mur. Ce rectangle ouvre et augmente l’effet de dis tance de profondeur généré par la rencontre des bleus.

Ainsi, l’entrée dans l’installation se faisait par le milieu et donc par les teintes vertes qui sont, d’après Kandinsky, des teintes neutres et stables synonymes d’un calme, ne générant pas spécialement de mouvement. Le choix de cette couleur permet, lorsqu’on pénètre dans l’installation, un temps de contemplation et d’arrêt sur l’univers qui nous entoure que nous venons de découvrir.

Fig. 15 Installation Universe of Words

Suite à cet arrêt, nous sommes intrigués et attirés par les deux côtés de l’installation puisque d’un côté nous avons des teintes froides et plutôt sombre comme le bleu nuit ou le violet. De l’autre nous avons les teintes chaudes et claires qui semblent rayonner : le jaune, orange et rose. Au cours de ma première visite de l’installation, nous étions en groupe, et je trouve intéressant de souligner le fait que nous nous sommes d’abord déplacés vers l’espace des couleurs froides et sombres. Cet espace avait un effet calme et apaisant, comme s’il ne fallait pas parler trop fort. Nous étions tous sous l’emprise de la surprise et de l’émerveillement dans cet univers particulier. Dans un premier temps nous étions donc dans un état contemplatif, comme sous le choc. En revenant sur nos pas nous sommes allés voir la partie des couleurs chaudes et claires. L’ambiance de cet espace était très différent puisqu’il y avait une énergie et un dynamisme qui se dégageaient de l’installation. Ce jaune très vif semblait être excitant. C’est d’ailleurs un aspect que nous avons re trouvé dans notre comportement puisque nous étions beau coup plus dans l’expression de notre émerveillement que dans une contemplation personnelle et intime. Ces teintes semblaient bien générer une agitation ou excitation chez les visiteurs. Nous devenions plus actifs et nous cherchions à jouer et à découvrir les moindres recoins de l’installation. Si nous avions pu, nous aurions aimer pénétrer l’installation en elle-même afin de se retrouver au milieu de ces lignes de hiraganas9. Les installations de Moureaux travaillent donc ces stimulations et les rencontres de sensations variées au cours de la visite. Les couleurs offrent des changements d’am biances et de rapport à l’installation.

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Nous pourrions ainsi continuer à énumérer les couleurs et leurs caractères mais les exemples étudiés nous ont permis de mettre en lumière l’ensemble des mouvements et des ef fets physiques générés par les couleurs seules dans l’espace. Cette étude nous permet de réfléchir sur la notion d’équi 9 Caractères d’un des alphabets japonais.

Source : https://www.emmanuellemoureaux.com/#/universe-of-words/ au niveau des teintes vertes.

10 Wassily KANDINSKY, Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier, op.cit. p. 87

libre et de mouvement par les couleurs, nous comprenons qu’elles n’ont pas le même type de présence ni le même effet sur notre psychique. Kandinsky pouvait ainsi transmettre aux élèves du Bauhaus l’importance des connaissances des ca ractères des couleurs afin de les utiliser en pleine conscience de leurs propriétés et de leurs effets sur le psychique d’un spectateur. De plus, Kandinsky explique l’importance de cet apprentissage qui, par la connaissance, engendre une liber té de l’artiste lors de la réalisation ou des modifications de formes par des combinaisons de couleurs « Cette liberté est liée à la sensibilité de l’artiste et donc l’importance de cultiver cette sensibilité »10 . Cette citation accentue d’autant plus le fait qu’il est essentiel de travailler notre sensibilité afin d’enri chir nos connaissances sur le caractère changeant des cou leurs. Ainsi les cours de Kandinsky inciteraient à des expéri mentations pour travailler les combinaisons des couleurs et les variations de teintes dans différents milieux. À travers cette première phase d’étude nous avons pu nous saisir de la notion de mouvement dans la perception des couleur et des rencontres entre les couleurs et le spectateur lui même.

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C. LA COULEUR

L’ESPACE

Nous allons donc maintenant pouvoir nous questionner sur la façon dont l’espace et les couleurs se rencontrent pour travailler ensemble. Comme nous avons pu commencer à le comprendre dans l’étude de l’oeuvre de Spalletti, des ma térialités, des spatialités, des organisations et des êtres per mettent la création de phénomènes spatiaux et émotionnels particuliers. Pour cela nous allons tout d’abord nous pencher sur la façon dont la couleur peut questionner voir décon struire un espace architectural. Théo Van Doesburg, fondateur du mouvement de De Stijl aux Pays-bas, soutient que la couleur permet d’établir une re lation active entre l’objet et l’espace. Ces relations et échanges sont invisibles sans la couleur. Celle-ci permet de spatialiser et de donner une temporalité au milieu dans laquelle ces interactions se trouvent. En effet, en plus de sa dimension temporelle, la couleur va évoluer en fonction de son empla cement et de la présence de lumières. Ses caractéristiques chimiques font que la couleur évolue à travers le temps, ses pigments sont photosensibles ce qui engendre une évolu tion inévitable de la teinte de la couleur. C’est donc un des axe par lesquels nous pouvons comprendre que la couleur s’encre dans un instant t et dans un contexte particulier. Elle permet de remarquer les évolutions et changements de ces facteurs dans un espace. Il faut savoir que pour Théo Van Doesburg, les éléments tri-dimensionnels fondamentaux étaient : la masse, le plan, le temps, l’espace, la lumière et la couleur. Les moyens d’expression dans son travail étaient combinés au spectre de couleurs basé sur le travail de Piet Mondrian. Ce dernier était composé des couleurs primaires (bleu, jaune et rouge) ainsi que le noir, le blanc et le gris, qui n’étaient pas considérés comme des couleurs. Afin de nous saisir de l’approche de Théo Van Doesburg et du mouvement de De Stijl sur les relations entre la couleur et l’espace, nous allons nous intéresser à un article dans le magazine belge La Cité, publié par Theo van Doesburg en mai 1924 qui s’inti tulait The significance of Color in Architecture. Les idées qu’il exprime à travers cet article bouleverse le statut même de la couleur tel que nous le connaissions et la place que nous lui donnions. En effet Van Doesburg explique que la couleur est un élément essentiel à l’architecture et qu’elle établit la rela ET

tion entre l’objet et l’espace. « We have given colour its right ful place in architecture and we assert that painting separated from the architectonic construction has no right to exist. »11 Ces propos radicaux permettent de donner une réelle place à la couleur au sein de la conception et de la construction ar chitecturale ; celle-ci devient essentielle à la notion d’espace. Les relations et échanges entre objets et espaces sont invi sibles sans la couleur.

Fig. 16 Composition II en rouge, bleu et jaune, 1929, Piet Mondrian

Theo Van Doesburg écrit un an plus tard : « The new archi tecture permits colour organically as a direct means of ex pressing its relationships within space and time. Without co lour, these relationships are not real but invisible »12. Il semble donc que la couleur permet de donner du sens et de révéler l’espace et le temps dans l’architecture. La couleur prend un rôle essentiel en devenant un élément de composition ar chitecturale par l’équilibre qui se crée entre les couleurs et les plans. Van Doesburg pose comme principe que la cou leur devrait être reconnue comme un moyen d’expression et un outil architectural aussi important que les matériaux. De plus, il distingue l’utilisation de la couleur comme ma tière recouvrant un matériau pour des fins décoratives et la couleur comme un élément créant de l’espace. Cela indique donc que celle-ci, suivant son utilisation, peut être considé rée comme un élément bi-dimensionnel ou tri-dimension nel. L’utilisation bi-dimensionnel étant plus fréquente et plus connue, il était essentiel pour Van Doesburg de prouver son caractère tri-dimensionnel. L’exemple de la Maison particu lière où Van Doesburg travailla avec l’architecte Cornelis van Eesteren, montre la première application dans l’espace des théories de Van Doesburg. Les superficies colorées étaient composées volontairement dans le but de décomposer et dissoudre les surfaces ou les éléments qui contiennent l’espace. Dans cet exemple, nous comprenons que l’organisation des couleurs influence notre vision des volumes dans l’espace, de façon telle que la maison semble être à plan ouvert, sans cloison, même si le bâtiment fut conçu en suivant les principes traditionnels de construction. La dimension active de la couleur vient donc requestionner les espaces et les transformer. Van Doesburg traduit ce principe dans un article du magazine de De Stijl: « Architecture should create a constructed, closed sculpture, which is reopened by the paintwork using unmodulated co

Source : https://www.kazoart.com/blog/la-minute-arty-piet-mondrian/

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11 De Stijl in Conrads, 1975, p.66, « Nous avons donner à la couleur sa place véri table au sein de l’architecture et nous affirmons que la peinture séparée de la construction architectonique n’a pas de raison d’exister » (traduction : Lou RICOME) 12 Ibid., « La nouvelle architecture place la couleur comme un élément direct d’ex pression de ses relation avec l’espace et le temps» (traduction : Lou RICOME)

Fig. 17 Maison Particulière, 1929, Théo Van Doesburg Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Theo_van_Doesburg_191.jpg

13 Kerstin SCHULTZ, Hedwig WEIDEMANN-TOKARZ, Eva Maria HERRMANN, 2018, Thinking color in space, Birkhauser, p.50, «L’architecture devrait créer une sculp ture construite et fermée qui vient être réouverte par le travail de la peinture en utilisant des équilibres et proportions de couleur non modulés. Le rôle de l’architecte est de stabi liser, celui du peintre est de déstabiliser.» (traduction : Lou RICOME).

Nous allons donc pouvoir revenir sur le travail d’Emmanuelle Moureaux afin de comprendre sa façon de travailler l’espace par la couleur. Le principe fondateur de son travail est le concept de « shikiri »14 qui signifie : diviser l’espace par la cou leur. Ainsi, la couleur n’est pas un outil de finition mais bien de conception et définition de l’espace. De plus, nous savons que son principal objectif dans son travail est la stimulation des sens et des émotions de ses visiteurs. Cette démarche retranscrit une experience personnelle et unique d’émer veillement qu’Emmanuelle Moureaux a pu vivre lors de son premier voyage au Japon. Les sensations, émotions qu’elle a pu ressentir et les éclats de couleurs qui s’est présenté à elle (les tuiles bleues des maisons de campagne, la multitude de panneaux lumineux en ville, les tenues traditionnelles,…)

lors in balanced and proportions. The role of the architect is to stabilize, that of the painter is to destabilize. »13. Ainsi, la couleur permet à l’espace de devenir actif dans sa tempora lité et son interaction avec ses visiteurs. Van Doesburg revient sur cette relation entre l’artiste et l’architecte pour démontrer une nouvelle complémentarité. Le terme de « paintwork » est intéressant puisque la peinture devient une étape à part en tière du processus de construction, ou « déconstruction », du bâtiment. Cette citation soulève aussi la question de la sta bilité de l’espace et ce qui peut venir le créer ou le détruire. La stabilité peut se comprendre d’un point de vue structu rel  : le bâtiment tient debout. Cependant, en cherchant à comprendre cet équilibre entre stabilité et instabilité, les cou leurs ont la capacité de rompre la stabilité du bâtiment. Elles peuvent accomplir cela par les effets : de perspective: les contrastes entre couleurs claires ou sombres peuvent soit augmenter la perspective soit l’écraser de dissolution des plans : une couleur unie uti lisée sur plusieurs plans annulera les angles ou les courbes si la lumière ne rentre pas en jeu ou alors si les couleurs sont choisies pour fonctionner avec la lumière de création d’espaces complètement nou veaux par des mouvements créés par la combinaison de couleurs et motifs. Ces rapports d’équilibre nous ancrent dans une temporalité et des experiences humaines sensibles de l’architecture.

14 Définition du concept de shikiri sur son site internet, https://www.emmanuelle moureaux.com/shikiri

15 Descritption d’Emmanuelle Moureaux de son utilisation du concept de shikir dans son travail, https://www.emmanuellemoureaux.com , « J’utilise les couleurs comme des éléments tri-dimentionnels, comme des couches, afin de créer des espaces, et non pas comme des éléments de finition sur des surfaces » (traduction : Lou RICOME).

.31 sont l’essence même de son travail. Sa démarche de recherche d’un émerveillement, d’une sur prise et d’un éclat de couleur dans l’espace répondait en un sens aux questionnements que je me posais. L’utilisation de couleurs dans l’espace pour générer de telles sensation était donc possible. C’est une expérience que j’ai d’ailleurs pu vivre de moi-même avec une de ses installations. J’ai pu grâce au stage appréhender les différents axes de travail mis en place dans la conception et réalisation de ses installations. L’essence de son projet même partait de la couleur. Celle-ci n’est pas un outil de finition mais bien de conception et de définition de l’espace. «I use colors as three-dimensional elements, like layers, in order to create spaces, not as a finishing touch applied to surfaces. »15

Source : dioww/263626-Japanese-Blue-Tiled-Roofhttps://creativemarket.com/stu

Fig. 19 Tuiles bleues des toitures traditionnelles japonaises

Son objectif, par l’utilisation de modules aussi fins, est d’ac centuer le nombre de couches et les effets de superpositions au sein d’une installation. C’est pour ces raisons qu’Emma nuelle Moureaux utilise principalement des matériaux tel que le papier ou le tissu. Cette utilisation lui permet de créer des espaces d’immersion dans la couleur où les murs et pla fonds de l’installation semblent disparaitre dans un univers sans limite. Nous nous retrouvons donc dans un espace où les limites deviennent intangibles.

Source : https://www.emmanuellemoureaux.com/#/toge/

Fig. 18 Couleurs des rues de Tokyo la nuit Auteure : © Lou RICOME Fig. 20 Installation Toge, 2011

La couleur n’est donc pas utilisé comme finition bi-dimen sionnel mais bien comme moteur de conception de l’espace, ce qui revient au concept de shikiri. Au début de sa pratique, Emmanuelle Moureaux travaillait le principe de shikiri selon la tradition japonaise c’est à dire le travail de grandes surfaces de couleurs (faisant écho aux parois traditionnelles). Au fur et à mesure, sa recherche de « la forme de la couleur » l’a orienté vers le travail d’éléments fins, notamment des lignes, afin de créer des éléments poreux. L’installation Toge, réalisé en 2011, est un exemple de ce travail : il était réalisé avec des tiges métalliques de 1mm d’épaisseur.

Durant ce stage, j’ai pu notamment travailler sur l’installation Universe of words où elle a utilisé sa ligne directrice de travail « 100 colours ». Moureaux a établi ce fil conducteur de son travail il y a une dizaine d’année en définissant 100 teintes de couleur précises suivant un ordre particulier. Chaque instal

Après avoir suivi tout le processus de production et participé au montage, une fois de retour sur les lieux pour l’inaugura tion, j’ai été surprise et transportée par l’expérience. J’étais réellement submergée et émerveillée par ce monde de cou leurs. C’est comme si, au coeur de ce centre culturel, il y avait une force rayonnante qui se dégageait de l’installation. Celleci était organisée de telle sorte que l’on pouvait circuler et trouver des recoins plus étroits permettant de vivre l’immer sion dans la couleur à différents niveaux.

lation implique des proportions différentes de ces 100 cou leurs. Comme nous le constatons dans la fig.19, l’association de deux couleurs peut atteindre un équilibre, ou au contraire, tout faire basculer et rompre l’équilibre présent. Nous saisis sons tout l’enjeu du travail de l’ordre des 100 couleurs d’Em manuelle Moureaux, un ordre issu de recherches sur les équi libres/déséquilibres et mises en mouvement/ immobilité.

Source : https://www.emmanuellemoureaux.com

Lors du montage de l’installation de Universe of words j’ai pu me rendre compte de la façon dont Emmanuelle Mou reaux crée un monde baignant dans la couleur. En effet, la mise en place de cette quasi infinité de lignes de hiraganas fut un travail conséquent avec une logistique rigoureuse. Afin de saisir l’ampleur d’une telle l’installation, il faut savoir que plus de 350 personnes au total ont participé à la production et que l’installation se composait de 140 000 hiraganas. Ces chiffres sont intéressant pour comprendre le travail et la main d’oeuvre nécessaires à une telle production. Au cours du travail de conception de l’installation, il était nécessaire de réfléchir où se plaçait certains mots cachés (par alignement de caractères) et donc aussi chercher à éviter des mots non souhaités. C’est donc au cours du montage de l’installation que j’ai réellement pu constater l’ampleur du travail néces saire, en amont et sur place, afin de créer un univers comme Emmanuelle Moureaux l’imaginais. La production et le mon tage d’une installation sont donc possible grâce à la main d’oeuvre humaine et à l’effort commun mis en place.

Son objectif dans son travail, par l’utilisation de matériaux fins ou poreux est de déconstruire l’espace dans lequel l’ins tallation se trouve. Pour les installations en intérieur, comme Fig. 21 Organisation des «100 colours»

.33 nous venons de le voir, la répétition, l’utilisation d’éléments fins (papier, fil, tissus) et l’aspect suspendu des éléments, lui permettent de faire disparaitre les limites d’un espace. Les éléments de l’installation semblent flotter dans un espace sans limite. Ces outils permettent de créer un sentiment d’im mersion totale dans un univers coloré. La démarche d’Em manuelle Moureaux permet de placer les visiteurs dans des espaces hors du temps, sans limites palpables et baignants dans les couleurs. Par ailleurs, le fait d’offrir ces 100 couleurs dans ses installations permet aux visiteurs de se retrouver, intimement et personnellement dans certaines couleurs. Au cours de la visite d’une installation, nous pouvons vivre différentes expériences en fonction des couleurs mais nous pouvons aussi vivre et ressentir une expérience particulière et unique au coeur d’une certaine couleur, sans forcément pouvoir l’expliquer. Celle-ci n’est pas forcément la couleur préférée du visiteur mais plutôt une couleur qui, à cet instant t, dans ce contexte et environnement, raisonne en nous et nous fait vibrer de façon unique. Je sais que pour ma part, les espaces des couleurs chaudes roses et oranges m’avaient fait me sentir dans un espace familier et en sécurité.

Dans la démarche que nous venons de décrire, je me ques tionne donc sur les effets des installations de Moureaux dans des espaces extérieurs. En effet, à la fois ces espaces sont beaucoup plus accessibles, plus ouverts et propices à la découverte et à la rencontre de tous. Mais d’un autre côté, nous nous pouvons nous trouver dans un cadre urbain, où il y a beaucoup d’informations présentes (le bruit de la ville, le contexte visuel, olfactif etc). Je n’ai pas pu vivre une telle expé rience par moi-même, c’est pourquoi je peux émettre diffé rentes hypothèses en appui sur d’autres expériences. L’instal lation peut à la fois offrir un temps de pause, hors du contexte habituel de la ville. Moureaux travaille des parcours ou des es paces en mouvement dans ses installations extérieures. Ainsi, la déambulation va offrir aux passants un espace hors de la ville. Lorsque les installations ne sont pas des parcours, elles peuvent aussi offrir des points d’arrêt, de contemplation dans la ville. Les phénomènes naturels extérieurs tels que le soleil, le vent ou l’humidité peuvent accompagner voir stimuler les effets de l’installation. Ces interactions peuvent donc créer des expériences uniques et particulières dans un contexte urbain. D’un autre point de vue, le manque de calme, de possibilité de contemplation ou de rencontre avec soi même peut venir dévaloriser le rapport du spectateur avec l’installa tion. C’est pourquoi, l’installation à laquelle j’avais participé, m’avait paru intéressante et semblait fonctionner dans son intemporalité sans limites physiques. Le contexte du centre culturel où se situait l’installation Universe of words, est ouvert

et gratuit pour tous, dans un espace intérieur pourtant sans limites, me semblait propice à la découverte d’un tel univers.

Ainsi, que ce soit en intérieur ou en extérieur, Emmanuelle Moureaux va inviter ses visiteurs à déambuler, à aller à la rencontre d’un espace particulier. La finesse des éléments d’installations nous permettent de porter une attention par ticulière à l’ampleur de notre dans l’espace afin de ne pas les hurter. Nous prenons conscience des limites, des espaces accessibles ou non. Cette prise de conscience ne se fait pas par des limités de masse physique mais par le rapport et l’at tention que nous portons au monde de la couleur qui s’offre à nous. La démarche de recherche d’Emmanuelle Moureaux sur « la forme de la couleur » me semble donc pertinente dans le re questionnement des rapports entre la couleur et l’espace, ou la matière. Elle ouvre les possibilités à un élément intangible, de devenir générateur de formes et d’espaces. Par ailleurs, pour revenir au travail de E.Spalletti, la salle des départs nous montre aussi comment l’artiste parvient à ap puyer sa réalisation sur une architecture existante tout en la dématérialisant, notion en écho avec celle de Van Doesburg. L’artiste utilise des teintes de bleu azur spécifiques pour dif férentes parties de l’espace. Il est donc interessant à travers cet exemple de voir qu’une certaine couleur, et son camaïeu, peut jouer un rôle essentiel puisqu’il s’agit ici de créer un lieu accompagnant les personnes traversant l’épreuve de la perte d’un proche. L’artiste ici a un but et un projet précis qui semble être nait de la couleur azur elle-même. Le pouvoir de son oeuvre se transmet donc par celle-ci et par la notion d’équilibre et de stabilité qu’il a réussi à établir. Sachant que nous avons tous des sensibilités au monde différentes, je suis persuadée qu’il est impossible pour une personne de pénétrer ce type d’espace créé par Ettore Spalletti sans rien Lesressentir.rencontres avec la couleur et l’espace que nous venons d’étudier nous permettent de nous saisir des phénomènes physiques et sensibles qu’ils génèrent. Les travaux d’artistes, d’architectes et de théoriciens forment une base de connais sances sur la couleur et les effets qu’elle peut générer autant dans l’espace que sur notre personne. Cette rencontre avec notre sensibilité, avec des univers merveilleux ou imaginaires nous permettent de requestionner la conception même de l’espace avec l’utilisation de la couleur. C’est aussi cette approche qui m’a amenée à aller à la rencontre des enjeux sensibles voire vulnérables que le travail de la couleur dans l’espace peut générer.

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SOINLEETCOULEURLAII.

1 Joan C TRONTO, 2008, « Du care », Revue du MAUSS, 2008/2 (n° 32), p. 245 2 Agata ZIELINSKI, 2010, « L’éthique du care. Une nouvelle façon de prendre soin », Études, 2010/12 (Tome 413), p. 631

Dans l’étude que vous venons de réaliser sur les théories de la couleur et ses rapports à l’espace nous avons pu saisir la place de l’expérience, des ressentis et des émotions. C’est l’ouverture à ces questionnements qui m’a amené à réaliser un stage de recherche autour de la couleur et du soin. Ce stage m’a permis d’avoir une nouvelle approche sur la ques tion que je traitais. J’ai donc été amené à me pencher sur les théories du care en essayant de comprendre les liens qu’elles portaient avec ma démarche de recherche. Ces théories per mettent de présenter des enjeux sociaux et politiques au delà du domaine du soin et de la santé. La définition élaborée par Joan Tronto et Berenice Fischer du care illustre l’ampleur de ces théories : « Au niveau le plus général, nous suggérons que le care soit considéré comme une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpé tuer et réparer notre « monde », en sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nous-mêmes et notre environnement, tous éléments que nous cherchons à relier en un réseau complexe, en sou tien à la vie »1. Le terme «  care » auquel nous allons nous référer est difficilement traduisible en un seul terme français. Il nous présente sa complexité et richesse sémantique dé veloppé par les théories du care. Mon stage de recherche et mes premières lectures autour de la notion de care m’ont amené à me demander : « D’où nous vient le prendre soin? D’où nous vient la capacité à nous soucier d’autrui? Et la conduite consistant à agir pour ré pondre aux attentes de celui-ci? »2

Ces questions nous interrogent sur la place et le rôle de la vulnérabilité et de la sollicitude dans notre propre vie, pour ensuite s’interroger sur sa place dans notre société. La vulné rabilité sous-entend des faiblesses, des besoins d’attention et d’actions d’autrui. La vulnérabilité, aujourd’hui, ne se définit pas comme une qualité. Celle-ci implique une ouverture, une mise à nu de notre personne. La difficulté que nous avons

A. DÉFINITION DU CARE - 4 PRINCIPES

Le care étant à la fois une disposition (une aptitude) et/ou une activité (une pratique concrète) nous allons nous ques tionner sur la façon dont cette activité porte une place dans le travail de l’espace et de la couleur. Ma démarche de re cherche me permet de me saisir des enjeux du care et com prendre son lien au monde médical mais aussi à notre so ciété actuelle. Pour cela, il nous faut décortiquer les étapes du care. Celui-ci est un processus actif qui se décompose en 3 Id., p. 632

.39 à faire face à notre propre vulnérabilité et à l’accepter porte un lien avec la confiance que notre environnement nous ren voie. En dehors de l’habitat ou des espaces médicaux/ de soin, nous ne définissons pas nos espaces de vie comme des espaces où nous pouvons exprimer notre vulnérabilité. Il est donc interessant de questionner les espaces, l’architecture et ses outils pour comprendre comment ceux-ci peuvent deve nir des milieux propices à cette rencontre avec notre propre L’autrevulnérabilité.grand

Les enjeux sociaux et politiques du care présentent donc des valeurs tournées autour du partage, du wellbeing, de l’échange, de l’interdépendance, de la sollicitude et de la vulnérabilité. Ces valeurs ne sont pas celles mises au premier plan dans notre société actuelle. Suite à mon stage de re cherche qui touchait directement au domaine du soin à sa voir le milieu hospitalier, je souhaite questionner les théories du care dans le travail de l’espace. C’est donc en nous saisis sant de ces processus et de ces valeurs que nous pourrons émettre des hypothèses sur le rôle et les effets des couleurs dans le travail du care. Quel rôle joue la couleur sur une ren contre avec notre propre vulnérabilité? Comment le travail de la couleur dans l’espace peut-il générer une ouverture à la vulnérabilité et à la sollicitude ?

pilier du care est la sollicitude, elle se com prend comme une préoccupation, un soin inquiet et un sou ci envers une personne ou une collectivité. Elle va donc de paire avec la vulnérabilité puisqu’elle permet la réception de l’expression de certains besoins. La sollicitude engendre une attention qui pourra venir rencontrer la vulnérabilité d’autrui. Les enjeux des théories du care sont donc de remettre ces valeurs au centre d’une société qui a tendance à les margina liser afin d’éviter des préoccupations quotidiennes.

« La visée du care est de favoriser les relations »3

4 Joan C TRONTO, 2008, « Du care », op.cit. p. 248 5 Ibid., 6 Ibid.,

quatre phases « analytiquement distinctes mais intimement liées »4 . Ces phases sont : caring about, taking care of, care giving et care receiving.

Caring about, se soucier de : Cette première phase implique la reconnaissance d’une né cessité, d’un besoin. Nous constatons l’existence du besoin afin d’ensuite évaluer la possibilité d’y répondre. On trouve donc une dualité entre nécessité morale et possibilité pra tique. Afin d’identifier ce besoin il faut prendre et « assumer la position d’une autre personne »5. Dans cette approche, les aspects individuels et culturels vont définir ce rapport à l’autre et notre capacité à se placer dans la situation d’autrui. Cette position rejoint donc très clairement celle des soignants, des personnes formées pour reconnaître et analyser des besoins. D’après des universitaires «  ce dont nous nous soucions dé finit ce que nous sommes en tant que personnes et en tant qu’individus singuliers »6. Cette dernière citation nous per met donc de valoriser la place du soin en tant que qualité morale dans notre société. Au cours de mon stage de re cherche, je ne me positionnais pas en tant que soignant mais en tant qu’individu et étudiant en architecture cherchant des outils et des clefs pour comprendre puis répondre à certains besoins des patients. Nous avons tous des besoins divers dans des domaines différents. Je souhaitais donc interroger la place de la couleur et de l’espace dans l’expérience de l’hospitalisation. Pour cela, l’immersion dans l’univers hospi talier, la rencontre avec des patients, des soignants et des ar tistes m’ont permis de me rendre compte des besoins dans un ensemble. Dans l’opinion commun, les hôpitaux sont perçus comme des grands espaces froids, blancs, stériles et mornes où l’on trouve une répétition monotone de l’organi sation des espaces. Les contraintes d’hygiène et de normes mais aussi les pratiques de ce milieu ont construit ces idées reçues. C’est aussi un lieu où l’on souhaite passer le moins de temps possible et où les périodes d’hospitalisation lon gues sont souvent difficiles à vivre pour les patients. Au cours de mes visites au service de pédiatrie gastrique de l’hôpital Femme Mère Enfant de Lyon, j’ai pris conscience de certains besoins des enfants mais aussi des soignants. En effet, un enfant hospitalisé se retrouve seul, sans sa famille, dans une chambre qui n’est pas la sienne et qu’il ne peut pas vraiment s’approprier. Il exprime donc des manques dans ses liens d’attachement, dans le confort et la familiarité de son milieu mais aussi du manque de légèreté, d’imaginaire et de jeu.

.41 L’enjeu de ma démarche allait donc porter sur le travail de la couleur afin d’apporter des réponses à ces enjeux. Taking care of, se charger de : La deuxième étape implique « d’assumer une certaine res ponsabilité par rapport à un besoin identifié et de détermi ner la nature de la réponse à apporter »7. Nous rentrons donc dans la dimension pratique du care. Nous allons rechercher comment notre mise en action peut répondre aux besoins rencontrés. C’est la phase où nous prenons conscience de notre responsabilité d’ « agir pour traiter ces besoins non satisfaits »8. Ces actions vont au delà du soin en lui-même puisque nous devons prendre en compte les conséquences des actions afin d’évaluer si celles-ci aboutissent à l’assouvis sement du besoin. Agir dans l’incertitude fait donc entrer en jeu l’éthique humain puisque nous devons prendre des déci sions en ne connaissant par forcement les conséquences et l’ampleur de nos actions. Suite aux visites et à la reconnaissance de certains besoin de la part des enfants hospitalisés, je souhaitais me question ner sur la façon dont les enfants pourraient travailler leur lien d’attachement (avec la famille et les soignants) mais aussi la façon dont ils pourraient s’évader du milieu de l’hôpital. A ce stade du processus du care, il faut aussi être conscient de ses capacités autant physiques que dans les savoir-faire, afin de formuler une réponse adéquate. Par adéquate j’entends donc un projet ou une réponse que nous maitrisons et qui est dans le champ de nos capacités. Il n’aurait pas été utile à cet instant que je formule une réponse d’ordre médicale ou psychologique puisque ce n’est pas mon domaine de compétences. Ainsi, je pouvais me positionner en tant qu’ar chitecte questionnant la présence de la couleur et donc de développer une réponse selon les connaissances que j’avais accumulées autour des effets physiques et psychiques de la couleur. Cependant, dans ce travail les care receiver en ques tion étant des enfants, un public avec lequel je n’ai pas l’ha bitude de travailler, j’ai dû développer mes connaissances sur la façon de travailler avec eux et pour eux. Pour cela, j’ai pu rencontrer des artistes, illustrateurs et soignants qui m’ont permis de me rendre compte des enjeux essentiels en ré ponse à leurs Lebesoins :jeu:la dimension ludique, stimulante et in teractive. 7 Ibid., 8 Ibid.,

L’interaction : avec la production et avec des personnes extérieures. Celle-ci se retrouve aussi dans les questions d’échelles, de rapports physiques et imaginaires avec une peinture, une couleur ou autre. C’est pour cette rai son que le travail de fresque de Myriam Persoud (illstratrice) fonctionnait en permettant aux enfant de pénétrer un autre monde.

Le travail d’un imaginaire par la couleur, l’espace et le jeu fut donc ma porte d’entrée pour répondre à ces besoins. Je souhaitais travailler un outil que les enfants pourraient s’ap proprier, partager et utiliser comme espaces ouverts à leur imagination. Les couleurs ont cette capacité à créer un émer veillement. Elles rayonnent d’autant plus dans un contexte 9

La production : pour faire de ses mains et être dans la production concrète et physique d’histoires, d’images ou de mondes imaginaires. Le monde animalier : très apprécié des enfants et permet de sortir du monde de l’hôpital; Cela faisait parti du travail de l’illustratrice qui avait pu m’expliquer l’intérêt et la fascination que les enfants ont face au monde animalier. Cela leur offre une ouverture, un échappatoire vers un ail leurs.

La forme : un objet que l’enfant peut manipuler et s’approprier. L’objet doit être conçu pour être bien reçu par les enfants, c’est à dire facilement manipulable et appro priable afin qu’il développe rapidement un intérêt pour l’ob jet. À partir de ces enjeux j’allais donc pouvoir me questionner sur les façons dont la couleur, mise en forme et en actions par les outils présentés, pourrait générer du care pour les en fants en essayant de répondre à des besoins.

Elles peuvent aussi être des actions du quotidien ( réparation d’un objet détérioré, offrir de l’aide à un ami, une infirmière administrant des médicaments etc).

Id., p.249

Care giving, accorder des soins : On entre dans la mise en action, la partie active du soin puisque accorder des soins suppose « la rencontre directe des besoins de care »9. Cette phase implique un travail maté riel, une rencontre au contact des personnes nécessitant ces actions. La dimension relationnelle active fait entrer en jeu des compétences. Ces actions peuvent impliquer des orga nisations et coordinations pour des enjeux de taille ( exemple de la distribution de nourriture dans les camps en Somalie).

23 Experimentations diverses autour des couleurs et matières Auteure : © Lou RICOME

Leporello

25 Prototypes de Leporello Auteure : © Lou RICOME

Fig.

.43 principalement blanc et froid : «  De manière incontrôlée ou inconsciente, une couleur émergente provoque la captation passagère de l’interêt »10. J’ai donc décidé de travailler sur le format d’un Leporello car celui-ci, par son aspect dépliable, ses matérialités et la présence de jeux, d’histoires et autres, offrirait un espace propre à l’enfant. Cet outil aurait le sta tut de l’oeuvre ouverte en permettant de mettre en lien les productions artistiques, le patient et l’équipe soignante. Le principe d’oeuvre ouverte d’Umberto Eco, écrivain, se com prend par les échanges et interprétations variées que nous pouvons faire d’une oeuvre. Des « oeuvres « ouvertes » en mouvement » qui invitent à « faire l’oeuvre avec l’auteur »11 En effet pour Umberto Eco : « II faut entendre ici par «œuvre» un objet doté de propriétés structurales qui permettent, mais aussi coordonnent la succession des interprétations, l’évolu tion des perspectives »12 À travers cet outil, j’ai donc pu travailler une dimension spa tiale : comme un tableau transforme et entre dans une pièce. J’avais cette volonté de travailler une mise en mouvement. Ainsi, j’ai valorisé la dimension interactive et spatiale de l’ob jet par les finitions et matérialités de papiers, mais aussi par l’aspect manipulable et modulable. De plus, c’est un objet qui propose plusieurs lectures et ne se fige pas à une ap proche linéaire. Ce projet, m’a permis de me questionner sur le toucher, l’aspect interactif de l’objet mais aussi les ques tions des vibrations et du vivant. Comme j’ai pu l’expliquer, je souhaitais apporter un imaginaire généré par la couleur, cultiver un émerveillement et faire travailler la sensibilité de l’enfant. Une maîtrise des effets chromatiques de la couleur est essentiel puisqu’elle permet d’éviter des risques dans leur utilisation tel que des effets agressifs suite à des lumières fortes, contrastes ou autre. J’ai ainsi pu définir un ordre et des rythmes dans les superpositions, rencontres et lectures des couleurs. 10 Anne PETIT, 2015, Effets chromatiques et méthodes d’approche de la couleur dans la démarche de projet architectural et urbain, Architecture, aménagement de l’es pace, Daniel SIRET, École Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes, p.45 11 Umberto ECO, 2015, L’oeuvre ouverte, Paris, Points, p. 70 12 Ibid.,

Tests de rencontre et superpositiondecouleurs Auteure : © Lou RICOME

Fig.

Fig. 24 Organisation des couleurs et matières pour le Auteure : © RICOME

Lou

Fig. 22

Care receiving, recevoir des soins : Cette dernière phase « correspond à la reconnaissance de ce que l’objet de la sollicitude réagit au soin qu’il reçoit »13

L’étude de la réception des soins est essentielle puisqu’elle permet de savoir si une réponse au besoin de soin a été ap porté. Il s’agit donc de prendre en compte que même si la perception d’un besoin est correcte, la façon dont nous ré pondons à celui-ci peut aussi être à l’origine de nouveaux en jeux. Cette étape nous permet de ne pas rester dans l’igno rance, d’apprendre des actions mis en place afin de ne pas « perdre la capacité d’évaluer l’adéquation du soin propo sé »14

Les enjeux et contraintes de la pandémie ne m’ont pas per mis de mettre en place l’outil du Leporello. Cependant, ce lui-ci, par son emprise spatial, ses stimulations sensorielles et émotionnelles, avait pour objectif d’offrir aux enfants un es pace qui leur était propre. Cet objet se devait de devenir un espace intime où l’enfant pouvait laisser libre cour à son ima gination. C’es aussi un espace qu’il pouvait décider de par tager avec les personnes de son choix. Ce projet avait donc pour but de développer la sphère personnelle que l’enfant pouvait difficilement avoir dans un milieu hospitalier. Je n’ai donc pas pu analyser ses conséquences et sa récep tion auprès des patients. Cependant, travaillant avec Laure Mayoud, fondatrice de l’association L’invitation à la beauté j’ai pu approcher les thématiques et impacts de son travail au tour du bien-être et du soin par l’art et le beau. Le travail de Pierre Lemarquis, neurologue et président de l’association, m’a aussi apporté des connaissances sur les effets de la cou leur sur le wellbeing des patients. En effet, Lemarquis travaille sur l’art qui guérit et sur la notion de l’empathie esthétique. Cette notion définit l’impact et les conséquences qui se dé veloppent dans notre cerveau lorsqu’on observe une oeuvre d’art. L’art visuel stimule notre cerveau et nos sens. Si l’oeuvre à laquelle nous faisons face nous plaît, « le système du plaisir et de la récompense nous donnent envie de vivre »15. Cela provoque donc une sécrétion d’hormones comme la dopa mine qui vont nous stimuler et nous inciter à rester en vie. La sensibilité que nous portons à une oeuvre va dépendre de la forme, des couleurs, de la narration et de notre héritage culturel. De plus, nous n’avons pas le même rapport à une oeuvre en fonction du contexte et de la temporalité de la situation. En effet, la lumière, le contexte physique, nos hu 13 Joan C TRONTO, 2008, « Du care », op.cit. p. 251 14 Ibid., 15 Eva ROQUE, 2021, S’évader avec l’art, l’été comme jamais, France Inter.

À travers ce stage et ces projets j’ai pu apprendre à décaler les enjeux et la place de la couleur dans le rapport intime des interlocuteurs. En effet, ce rapport à l’affecte, à l’imaginaire, au faire et aux échanges permettent à l’interlocuteur de s’ap proprier l’univers du Leporello. Dans le domaine du soin, on entre donc dans l’intimité du bien-être de la personne. Au cours de ce stage, je recherchais la spatialité de la couleur par l’objet et j’ai rencontré le care par la couleur. J’ai com mencé à comprendre le statut et la place que la couleur pou vait porter, ici particulièrement dans des hôpitaux. La couleur va créer des énergies, des mouvements, des rencontres et

.45 meurs etc vont tous influencer notre perception et la façon dont nous vivons l’oeuvre. Cela rend l’expérience quasi iné puisable. Notre vécu va donc venir modifier notre perception d’une oeuvre, autant dans la dimension pratique que litté raire. Ces notions sont intéressantes à valoriser dans le milieu hospitalier puisque c’est un monde où les processus et ex périences sont répétitifs pour les patients. La présence d’art, de tableaux, de fresques, de sculptures etc... génère des élé ments de couleurs dans des rapports d’échelles et d’espaces. Ainsi les oeuvres et les couleurs sont le point de départ pour sortir des cadres des murs blancs, de s’ouvrir à un nouvel ima ginaire. Cette démarche correspond bien à celle de Laure Mayoud et la mise en place des arthotèques/poétèques au sein des hôpitaux. En effet, par ces interventions, elle offre aux patients la possibilité de choisir une oeuvre à mettre dans leur chambre le temps de leur hospitalisation. Cette oeuvre leur ouvre une fenêtre vers un imaginaire, vers un monde ex térieur. Les rencontres et témoignages que Laure Mayoud a récoltés illustrent l’ampleur de l’influence de ces oeuvre sur le wellbeing des patients.

Une autre dimension pratique qui est venu appuyer mes recherches théoriques de cet outil de care est la démarche de Laure Mayoud qui propose des prescriptions culturelles à ses patients. Son approche au soin fait donc entrer en jeu l’empathie esthétique de chacun. Dans son travail, elle uti lise l’art comme un compagnon qui permet aux patients de sortir de l’isolement afin de s’ouvrir à la solitude. En général, en début de séance, elle offre des soins psomato-psychiques qui consistent à soigner par le jeu, en écho avec le travail de Winnicott. En fonction de l’état émotionnel du patient elle va proposer différents parfums afin de le plonger dans un es pace sensoriel. A l’issue de cette approche, un échange peut être établi autour de ce qui va ou ne va pas pour le patient et de ce qui lui plait. Mayoud évoque les effets cathartiques qui se trouvent dans l’inhalation d’un poème (récit du poème et inhalation du parfum en même temps).

donc va apporter de la vie. Elle stimule ces rencontres et mouvements et invite donc le spectateur à rentrer dans son imaginaire. Cette mise en mouvement, ce rapport au vivant, contribue au wellbeing des patients dans les hôpitaux. C’est ainsi que les théories du care m’ont ouvert une nouvelle en trée dans la spatialité de la couleur et son importance dans le travail de l’espace.

.47

B.

Grâce au stage de recherche, j’ai pu me confronter à certains enjeux et principes du care à travers les quatre phases étu diées précédemment. Ce fut un axe d’entrée dans ces théo ries. Développer mes connaissances sur ces théories du care m’a permis de me questionner sur son rapport plus général à l’architecture et à la création d’espace. Quels sont les enjeux contemporains du care et en quoi celui-ci porte-t-il une place en architecture? Il « offre les possibilités les plus grandes de transformation de la pensée sociale et politique, en particu lier de la façon que nous avons de traiter les « autres » »16 Nous commençons donc à comprendre son lien avec l’ar chitecture. Cependant, il y a une forte dévalorisation de ces pratiques dans notre société car les approches du care ré pondent à une nécessité. Nous avons tendance à percevoir les care receiver comme vulnérables et non capables de sub venir à leurs propres besoins qui étaient perçu comme un signe de faiblesse. Cette vulnérabilité se trouve aussi dans des espaces, tels que celui des hôpitaux, qui est lui même un espace vulnérable. Cela se comprend par le fait que c’est un lieu où les besoins des patients sont exprimés et connus. C’est aussi un lieu où les personnes employés ont pour res ponsabilité de fournir du soin et de répondre aux besoins des patients. L’espace de l’hôpital peut se définir comme un lieu lié à la vulnérabilité par les besoins physiques et essentiels de soins. C’est aussi un lieu qui est perçu comme en marge, à l’écart de notre quotidien. Les hôpitaux se trouvent rarement dans les centres ville (seulement les bâtiments historiques : Hôtel Dieu à Lyon). Cette mise à l’écart se comprend d’une part par l’emprise au sol et l’ampleur d’un hôpital qui serait difficile à placer dans un tissu urbain dense; d’autre part par les besoins d’accessibilité et enfin ces pratiques exercées, car aujourd’hui celles-ci n’ont pas leur place dans le quotidien des habitants. Cette mise à distance nous permet de ne pas porter trop d’attention à ce qui se passe à l’intérieur des mi lieux du soin. Il est plus simple d’en ignorer les enjeux et de ne pas être confrontés à la réalité des patients, qui, durant leur statut de patient, se trouvent en marge du quotidien et de la société. C’est donc par ces aspects que le milieu de l’hôpital est un espace vulnérable. Cependant, les valeurs 16 Joan C TRONTO, 2008, « Du care », op.cit. p. 262 LES CONTEMPORAINSENJEUX DU CARE

Les études des enjeux du care ont fait parti du processus de recherche puisqu’elles m’ont permis d’avoir une approche singulière au travail de la couleur et aux pratiques du monde Cesmédical.rapports

.49 que portent les espaces vulnérables sont celles essentielles à notre wellbeing, voir notre survie. Nous sommes des êtres dépendants les uns des autres, autant physiquement que psychologiquement.Le

care est donc dévalorisé car il ne présente pas les qualités attendues et valorisées dans notre société : « notre société considère la réussite publique, la rationalité et l’autonomie comme des qualités louables »17. Il y a une forme de dédain qui s’est installé envers les care receiver. Une des raisons pour lesquelles nous avons tendance à ne pas donner d’impor tance au soin et à ses pratiques c’est pour « préserver l’image que nous avons de nous-mêmes comme n’étant pas soumis au besoin »18 . Cet état de besoin est considéré comme une menace pour notre autonomie et donc pour nos capacités et pouvoirs. Ainsi, sont considérées les personnes nécessitant du soin « comme pitoyables »19. Une fois ce statut établi pour les destinataires du soin, une mise à distance est instaurée et leurs besoins ne sont plus reconnus en tant que tels. Une in compréhension et une non communication s’installent entre « les besoins des « vrai nécessiteux » et les personnes ordi naires qui présument de leur propre absence de besoins »20 Les care giver ont aussi tendance à avoir ce manque de re connaissance de leurs actions, implications et sollicitudes.

se sont vu transformés au cours de la pandémie du COVID19, notamment pendant le premier confinement, puisque nous vivions tous confinés pour préserver notre san té et nous faisions donc tous face à notre vulnérabilité. C’est au cours de cette période que nous avons trouvé des formes importantes de soutien et de reconnaissance envers les care giver (ici les soignants) : reconnaissance du gouvernement, applaudissements etc. Pendant cette période du premier confinement, des formes de partage et de communautés se sont développés. En effet, contraints à l’isolement et face à un phénomène sanitaire mondial, nous retrouvions une forme d’unité et de partage dans notre vulnérabilité (les concerts aux fenêtres organisés entre voisins, les apéros zoom etc). A cette période nous éprouvions un besoin fort de partage et d’échange. La contrainte de ne pas pouvoir côttoyer notre entourage habituel et nos proches nous a emmené à nous 17 Id., p. 254 18 Id., p. 257 19 Ibid., 20 Ibid.,

ouvrir à de nouvelles rencontres (voisins, marchands, sites de rencontre etc). Nous pouvons aussi considérer le care comme une « irres ponsabilité privilégiée »21 puisque les personnes privilé giées semblent pouvoir ignorer les formes de difficultés et d’épreuves auxquels ils ne sont pas confrontés. Si l’on reprend les valeurs du care nous pouvons comprendre cette irrespon sabilité : « pour « se charger de » on doit tout d’abord iden tifier le problème, c’est-à-dire s’en soucier et le reconnaitre. Ainsi, notre analyse des phases du care expose le mécanisme par lequel l’ignorance et le manque de sollicitude permet d’éviter aux individus relativement privilégiés de remarquer les besoins des autres »22. Dans cette ignorance il y a donc la dimension du privilège et d’un choix privilégié de ne pas porter une attention et une sollicitude aux besoins d’autrui.

Suite à ce que nous venons de voir, nous comprenons da vantage pourquoi le care est considéré comme une activité privée. Dans notre culture, nous considérons que le care et la sollicitude doivent être présents et offerts dans un cadre in time, souvent familial. Les institutions publiques ou le marché sont des substitutions à ce que le cadre intime est censé ap porté. Chercher à déconstruire ces limites de la sphère privée pour les activités du care va permettre de s’ouvrir au monde et de développer « un sentiment plus vif d’une commune humanité »23. La description de ces schémas peut se trouver dans les rapports instinctifs que nous avons à notre vulnéra bilité. Cela se comprend plus globalement par nos rapports sensibles et sensorielles que nous avons. L’outil de la couleur se place donc comme possibilité d’entrée instinctive dans ce rapport à nous même, à notre vulnérabilité et à notre identité. Le care porte aussi un rapport étroit à son contexte spatial puisqu’aujourd’hui nous semblons définir des endroits spé cifiques, fermés et intimes, où les activités du care peuvent prendre place. Il y a donc un certaine incohérence dans ces démarches de care qui valorisent le prendre soin, l’interdé pendance et la rencontre avec la vulnérabilité d’autrui et la notre. En effet J.C.Tronto met l’accent sur le fait que « les personnes qui ont besoin de soins sont révélatrices d’une condition commune à l’humanité tout entière : la vulnérabi lité et l’interdépendance »24.Le care permet de se tourner et de s’ouvrir à l’autre une fois que nous sommes conscients de notre propre vulnérabilité et de nos besoins. Nous pou 21 Ibid., 22 Id., p. 258 23 Eloïse GIRAULT, 2010, « Joan Tronto, Hervé Maury, Un monde vulnérable. Pour une politique du «care»», Les comptes rendus, p. 4 24 Agata ZIELINSKI, « L’éthique du care. Une nouvelle façon de prendre soin » op.cit. p. 638

Nous pouvons donc nous questionner sur la façon dont les espaces en couleur peuvent porter et stimuler ces principes du care en dehors des milieux intimes ou de soin. C’est donc un travail de recherche sur la façon dont des espaces peuvent accompagner ou stimuler des rencontres et échanges à tra vers un partage des vulnérabilités.

.51 vons prendre une responsabilité envers autrui, envers ceux qui nécessitent des soins, lorsque nous sommes nous même dans un état d’accepter et de recevoir des actions de care Au cours de nos vies, on oscille constamment entre dépen dance/indépendance et entre autonomie/vulnérabilité. Ainsi dans le processus du soin, autant le care giver que le care receiver font intervenir leur autonomie et vulnérabilité. La vulnérabilité du care giver se comprend dans le risque de mal évaluer ou comprendre le besoin d’autrui (souvent en jeu à part entière dans la vie des étudiants de médecine qui doivent apprendre à vivre avec le risque de cette erreur). Il y a une forme de réciprocité dans le rapport du care puisque « celui qui perçoit le besoin est appelé à y répondre. Celui qui reçoit le soin est amené à l’évaluer »25. On en revient à cette idée que le care trouve son origine dans autrui et dans notre capacité à percevoir le besoin de l’autre tel qui l’est.

25 Id., p.639

À travers l’étude que nous allons réaliser, nous essaierons tout d’abord de comprendre les relations existantes entre les démarches du soin et la conception architectural. Cette approche nous permettra de définir les outils architectu raux pouvant être utilisés dans l’activation de l’espace par la couleur. Le Pavillon de la Paix du Musée des Beaux-Arts de Montréal que nous allons étudier a été réalisé en 2016 dans le but d’accueillir les oeuvres des donateurs Michel et Renata Hornstein. Le pavillon a aussi été mis en place en concomitance avec le développement de l’art-thérapie et la musicothérapie au musée. Il permet aujourd’hui d’accueillir des ateliers et conférences. « Le nouvel Atelier international d’éducation et d’art-thérapie Michel de la Chenelière […] permet au Musée de multiplier ses programmes novateurs destinés à des scolaires, des familles, des adultes et des communautés pour favoriser l’inclusion, le vivre-ensemble et le mieux-être»26. Stephen Legari, art-thérapeute du MBAM, m’avait en effet conseillé de me concentrer sur le Pavillon de la paix au sein du MBAM puisque celui-ci « a été conçu pour le bien-être des visiteurs »27. Ainsi, cette recherche se sera pas centrée autour de la couleur afin de nous saisir dans un premier temps des enjeux et approches spatiales. Cette étude a été réalisée sur place et grâce à l’étude des planches de concours. J’ai effectué deux visites en novembre 2021, au cours de deux week-end et à des moments différents de l’après-midi. J’ai donc pu avoir une découverte globale du musée puis suivre une démarche analytique par des relevés et des observations spécifiques au Pavillon.

L’Atelier TAG (Manon Asselin et Katsuhiro Yamazaki) et Jodoin Lamarre Pratte architectes (Nicolas Ranger) sont les agences qui avaient remporté le concours pour le projet du pavillon.

Le circuit avec le Chemin pour la paix permettait d’inclure les artistes québécois dans cette promenade architecturale. Ce pavillon devait proposer un temps de repos, de contempla tion et de méditation. Pour cela, les architectes ont porté une grande attention à l’ouverture du bâtiment afin de faciliter les flux et d’offrir une légèreté surplombant la ville. Le pavillon

C. LES THÉORIES DU CARE ET L’ESPACE

26 Inscription sur le panneau de présentation du Pavillon de la paix, Montréal. 27 Échange par mail avec Stephen Legari au sujet du Pavillon de la paix.

.53 est constitué de cinq étages et les visiteurs du musées oc cupent principalement les trois derniers étages. Dans cette idée de dégagement et d’ouverture Ashan souhaitait mettre en place un jardin suspendu et un espace ouvert sur la rue afin d’offrir des quantités de lumières naturelles importantes tout en créant un rapport à la rue. Le deuxième point fort est l’

des galeries, les oeuvres, les installations scé nographiques et le mobilier (notamment les assises) parti cipent à cette volonté contemplative et de bien-être de ce

Au cours d’échanges avec Nathalie Bondil, ancienne direc trice de programmation du Musée des Beaux-Arts de Mon tréal, j’ai pu établir des liens entre les volontés architecturales des architectes, les oeuvres qu’allaient accueillir le pavillon et les souhaits du musée. En effet, le Pavillon pour la Paix se pré sentait comme un manifeste pour un musée humaniste qui aurait vocation de renforcer les échanges sociaux, éducatifs et thérapeutiques. À travers la balade pour la paix, des struc tures et oeuvres contemporaines pourraient prendre place afin d’ouvrir les visiteurs à la question de la paix et du place ment de l’homme dans une vision plus large. L’oeuvre forte de Jean-Michel Othoniel est une sculpture suspendue qui incite à s’arrêter et à se relaxer face à la contemplation de la Ainsi,pivoine.l’intérieur

L’escalier évènement et son parcours,

Fig. 28 La plage du musée avec la Pivoine de Jean-Michel Othoniel

Source : https://jlp.ca/fr/projet/pavillon-pour-la-paixmichal-et-renata-hornstein-du-musee-des-beaux-artsde-montreal/

Fig. 27

« Escalier-évènement » (fig.20) qui prend la forme d’un dispositif socio-spatial offrant une promenade architecturale conçu pour flâner sur la rue. Cette balade pour la paix faisait écho à l’exposition Ballade pour la paix de John et Yoko en 2009 qui représentait l’action du musée en faveur de la paix. C’est un espace qui se veut lent et contemplatif.

source : musee-des-beaux-arts-de-montreal/https://jlp.ca/fr/projet/pavillon-pour-la-paix-michal-et-renata-hornstein-du-

pavillon. À travers ces échanges j’ai aussi pris conscience de l’importance des installations artistiques et de la scénogra phie. La notion d’immersion et d’exposition en tant qu’en semble étaient des volontés fortes pour le pavillon.

Un autre principe établit par les architectes est celui de l’ « Agora de la culture ». La Plage du musée réunit les deux premiers principes que nous avons abordés. Cette Plage est suspendue au dessus de la rue, elle offre une pause dans l’expérience contemplative des œuvres du musée pour s’ou vrir vers la ville et renouer avec le monde extérieur. Dans cet espace on retrouve des aspects de la rue par la verticalité et les déambulations lentes où l’on prend le temps de s’arrê ter ou simplement d’échanger. En effet, La Plage est le pre mier espace dédié à autre chose qu’aux expositions dans le Pavillon. Pour ce qui concerne l’organisation spatiale, nous arrivons par le nord avec la Plage qui s’ouvre face à nous grâce à la façade en biais. Un effet d’entonnoir inversé nous accompagne jusqu’à l’esplanade haute où l’on rencontre la vue surplombant le quartier. Cet axe en biais permet de créer un effet d’ouverture, accompagnant l’ascension vers la vue et l’estrade. Le cheminement vers cette partie haute se fait par des escaliers, eux même en rythme avec l’estrade où se trouve une partie des assises. SUR LA SKYLINE DE MONTRÉAL

ORIENTATIONSOLEILCOUCHANT

VUE

: © Lou RICOME

Fig. 29 Représentation schématique de la Plage du musée vue en plan Auteure

Fig. 32 Lumière naturelle et ambiance générée par la présence du bois Auteure : Lou RICOME

Fig. 31 Eclairage rasant Auteure : Lou RICOME

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Dans la continuité de la réflexion autour de la Plage du mu sée , une « Rotation géo-spécifique » a été mise en place afin de désaxer la partie supérieure du bâtiment. Cela permet au rez-de-chaussée de suivre l’axe de la rue et de s’ouvrir aux visi teurs. Les étages supérieurs peuvent eux s’ouvrir vers le Mont Royal et un paysage plus lointain. Dans cette architecture, la double peau porte une importance autant d’un point de vue de l’intimité intérieure que dans la porosité de la façade. Celle-ci est décrite comme une « Dentelle de pierre » qui est conçue pour valoriser les volumes des deux corps tout en les recouvrant d’un voile. Cette dentelle permet bien d’offrir des façades poreuses qui se dématérialisent depuis l’intérieur pour s’ouvrir sur la ville. Cette dentelle créait aussi un effet de gradient optique par des densités d’ouvertures variables qui seraient paramétrées en fonction des facteurs program matiques, perceptifs et bioclimatiques. Pour ce qui concerne la structure, celle-ci est en poteaux poutre avec une façade rideau en verre recouverte de cette double peau en métal clair et à finition mate. De plus, l’importante hauteur sous plafond, équivalente à un double étage du musée, permet d’ouvrir l’espace par la verticalité en correspondance avec la vue dégagée. L’utilisation principale du bois atténue les ef fets de raisonnance (matériau avec un coefficient d’absorp tion sonore plus élevé que des matières minérales). Celui-ci offre aussi une teinte chaude et douce à la pièce permettant un équilibre avec la froideur du métal et du verre. Il est utilisé non seulement au sol, sur l’estrade mais aussi en revêtement sur les parois des cloisons intérieures. J’ai pu remarqué qu’un équilibre interessant se crée entre la double peau et ce bois puisque les deux présentent des rythmes verticaux dans leur structure. La « dentelle de pierre » permet de couper des lumières trop intenses afin d’offrir des lumières diffuses. Ce phénomène est d’autant plus atténué par la façon dont ce bois reçoit cette lumière. Nous pouvons comprendre que la question de la lumière porte une place importante dans la réflexion et la conception de cette Plage mais aussi dans la façon dont elle allait être vécue par les visiteurs. La lumière artificielle est elle-même encastrée dans les angles afin d’offrir un éclairage rasant et indirect. C’est un fonctionnement que l’on retrouve dans le reste du pavillon et qui permet de continuer à créer ces lu mières diffusent. De plus, le mobilier semble avoir une place intégrante dans le projet et dans La Plage puisqu’une partie du mobilier fait parti de l’architecture : gradins et bancs.

D’autre part, le reste du mobilier semble pouvoir se géné raliser à des canapés circulaires de tailles et couleurs variées

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Fig. 30 Dentelle de pierre Auteure : Lou RICOME

apparaissant comme des galets en bord de plage. On les rencontre pour la première fois sur le Plage puis tout au cours de notre cheminement (aux différents étages dans des es paces tampons, des espaces de repos ou même à côté des ascenseurs et escaliers).

À travers ces différents principes nous comprenons l’impor tance des flux et des mouvements des visiteurs mais aussi la dimension de la porosité. Celle-ci se comprend donc à tra vers les ouvertures, le jardin suspendu, et la double peau qui joue avec le regard et la notion de vu et de non-vu. De plus, les espaces intermédiaires, les interstices et les ouvertures ac compagnent l’architecture et l’expérience architecturale du pavillon. Tous ces aspects génèrent une notion d’intimité et de confort au sein du musée par les limites et espaces tam pons qu’ils génèrent.

Tous ces outils mis en place dans différents espaces du Pa villon me permettent ensuite d’étudier leur influence sur les comportements des visiteurs et leurs cheminements. Au cours de mes visites, j’ai pu remarquer que lorsque les visi teurs arrivent dans la Plage, ils sont en général surpris de se retrouver dans un espace aussi ouvert, aussi grand et qui ne Fig. 33 & 34 Mobilier à differents lieux de l’escalier évènement Auteure : © Lou RICOME Fig. 35 & 36 Mobilier fixe dans la Plage du Musée Auteure : © Lou RICOME

.57 soit pas consacré aux expositions. C’est un espace qui est uniquement consacré à ses visiteurs. J’ai pu observer deux types de comportements : soit ils sont attirés par la vue et rejoignent directement l’estrade pour l’admirer, la prendre en photo; soit ils semblent heureux de trouver un point de re pos pour s’assoir et s’installent sur les gradins. Comme nous nous trouvons dans un musée l’intensité sonore est globale ment faible. Dans cette Plage, la hauteur sous plafond, la vue remarquable et l’ambiance apaisante générale permettent de se trouver dans un lieu où les visiteurs vont plutôt chu choter ou même être silencieux pour simplement observer et être dans cet espace. J’ai trouvé amusant de remarquer que la physiologie du mobilier non fixe, notamment ceux de grande taille, avait tendance à inviter les visiteurs à s’allonger. Ces positions, parfois surprenantes, semblaient aussi offrir un autre point de vue sur l’espace tout en permettant d’être dans un moment d’arrêt plus qu’un instant de pause. Ces comportements démontrent ainsi une certaine aisance et un confort à prendre place dans cet espace. C’est comme s’ils avaient une possibilité de se retrouver soudainement dans un espace qui leur était personnel. On peut décrire cette expérience comme « l’expérience tangible d’allègement »28 et d’une « connectivité discrète et conviviale »29 qu’avait vécu eux-même Xavier Bonnaud et Chris Younès au Learning Cen ter de l’EPFL de SANAA. Cet espace, par sa dimension inat tendue, intime et calme va pouvoir proposer des interactions différentes entre les visiteurs et l’architecture mais aussi les visiteurs entre eux. Par ailleurs, l’intemporalité de cet espace s’accentue par la disparition des circulations depuis la partie haute des gra dins. En effet, nous ne voyons ni l’entrée vers la galerie basse, ni l’arrivée et départ des escaliers, ni le couloir vers l’ascen seur. Cette effet d’immobilité, de calme et d’impression hors du temps permet d’offrir aux visiteurs des conditions de réflexions intimes. Ces phénomènes spatiaux et temporels nous font écho à ceux générés dans les installations d’Em manuelle Moureaux. Lors de ma deuxième visite, je me sou viens m’être rendu au musée aux alentours de quinze heures dans l’optique d’y passer du temps. Ce fut une surprise quand je me suis rendue compte que la nuit était entrain de tomber, que les lumières s’allumaient et que le flux de visi teurs s’atténuait. Il semblait facile de prendre son temps, de flâner, comme si une fois au musée, nous avions le temps de prendre le temps. Les différents étages rythment la visite sans qu’on sache vraiment où sera la fin. Plus l’heure avançait, plus 28 Xavier BONNAUD, Chris YOUNÈS, 2014, Perception, architecture, urbain, Ge nève, InFolio - collection Archigraphy, p. 131 29 Ibid.,

31 Id., p. 83, «soulever des questions fondamentales sur le developpement de notre identité» (traduction : Lou RICOME).

Il faut tout d’abord prendre conscience que le musée en luimême est un espace particulier. Il ne fait pas parti de notre quotidien. C’est un lieu où nous nous retrouvons avec nousmême, à l’écoute de nos pensées et ouvert au partage avec autrui. Olafur Eliasson, artiste islandais, donne au musée le statut de « hyper-society » car c’est un lieu « where discussions become intensifier and concentrated »30. Le public s’ouvre aux conversations, aux échanges comme le musée nous per met de nous questionner et de nous faire vivre l’expérience de notre propre personne. Cette démarche introspective est engendrée par des « self-reflective activities » et nous sommes amenés à « raise fondamental questions about the development of identity »31. Pour pouvoir donc se construire et s’ouvrir au monde il est important d’avoir des espaces d’ouvertures où nous pouvons nous recentrer ou échanger. L’ouverture des possibilités, des discussions et des reques tionnements personnels nous permettent de nous mettre en lien avec nous même, de prendre le temps de s’écouter, de réfléchir mais aussi de s’ouvrir aux autres et au monde. Comme nous avons pu le comprendre précédemment, c’est à partir d’un recentrement sur nos propres sensations et be soins que nous pouvons ensuite voir et comprendre ceux d’autrui. Cela semble correspondre à la démarche du Pavil lon de la paix qui travaille sur ces effets d’intimité et d’intem poralité par l’utilisation de certains outils architecturaux. Suite à cet étude, nous pouvons émettre l’hypothèse que la mise

les visiteurs restant se sédentariser sur des canapés, d’autres continuer doucement leur déambulation en appréciant le calme d’une fin de journée. L’expérience que j’ai vécu de ce bâtiment peut se résumer à une sensation de bulle hors du temps, une ascension traversant des espaces tampons, nous offrant des lieux de pause d’où nous pouvions observer de haut le monde extérieur sans être vu. Nous sommes donc amenés à nous demander si ces espaces génèrent réellement du soin dans la mesure où ils travaillent le confort et le wellbeing des visiteurs, mais est-ce qu’ils gé nèrent des volontés de s’ouvrir aux autres? De s’ouvrir à notre propre vulnérabilité et sollicitude? Est ce que, parce que nous nous sentons bien dans un espace, nous devenons ouverts et réceptifs à la rencontre et au partage? Comment est ce que les interactions prenant place dans cet espace peuvent elles relever d’une des phases du care?

30 Olafur ELIASSON, 2006, « Some Ideas about Colour », Olafur Eliasson: Your Colour Memory, (Glenside, 2006), p. 82, «où les discussions deviennent intensifiées et concentrées» (traduction : Lou RICOME).

.59 en place d’outils tel que des lumières diffuses, des jeux de vu et non-vu, des ouvertures etc... permettent à une architecture de créer des sensations d’intimité et de sécurité. Ces aspects sont essentiels à l’ouverture de notre propre personne et à la rencontre avec autrui. Nous retrouvons bien la dimension de la vulnérabilité et les conditions que celle-ci nécessite pour s’exprimer. Est ce que l’expérience sensible nous place face à notre propre vulnérabilité? L’approche de Olafur démontre l’attention portée par l’architecture, la scénographie et l’or ganisation des escortions afin de care about, take care of et give care aux visiteurs. Une attention peut donc être portée sur le wellbeing du visiteur, sur ses besoins de rencontre avec lui-même. Les besoins peuvent aussi porter une nécessité d’émerveillement et autre émotions fortes face à une oeuvre ou un lieu lui permettant de se reconnecter à sa personne. Nous avons aussi pu prendre conscience de l’attention por tée à la temporalité que peut offrir le musée. Dans nos dé marches, nous avons donc principalement pu voir quelles actions et outils pouvaient être mis en place pour répondre à ces besoins (ce qui correspond au taking care of et giving care). Cependant, nous ne connaissons pas la démarche du musée envers le caring about et receiving care qui sont la première et dernière étape du processus de care. Dans mes observations, j’ai pu relevé la façon dont certaines actions vécues par les visiteurs donnaient des informations sur leur réceptivité à ces démarches. Cependant, nous n’avons pas de retours concrets sur les impressions et experiences des visiteurs, ce qui limite l’évolution du musée et son objectif de suivre et répondre aux besoins.

COULEURLADEMOUVEMENTSLESIII.

A.

1 Olafur ELIASSON, « Some Ideas about Colour », op.cit., p. 77, «Les objets changent ou se transforment constamment au cours du temps, et, si nous prenons conscience de ce mouvement constant, nous pourrions comprendre le monde comme un espace beaucoup plus ouvert et praticable.» (traduction : Lou RICOME). MOUVEMENT DU CORPS

Les études des théories du care et leur mise en application à travers le projet de stage de recherche nous ont permis de comprendre comment la couleur pouvait générer ou activer ce processus. Nous avons commencer à établir le lien entre les espaces créés, le travail des éléments intangibles tels que la couleur, et la rencontre avec notre vulnérabilité. Au cours de cette dernière partie, nous allons donc développer la no tion de mise en mouvement de l’espace par la couleur en tant que phénomène physique et imaginaire. Le mouvement a pu suivre l’évolution de nos recherches (Kandinsky, Mou reaux, Spalletti…) et nous allons ainsi chercher à comprendre ce qu’il implique et génère dans nos experiences spatiales. C’est par cette approche que nous serons amener à tisser un lien entre les phénomènes des espaces de la couleur et les enjeux de nos vulnérabilités et wellbeing Nos recherches et hypothèses nous amènent tout d’abord à essayer de comprendre comment est ce que la couleur peut générer du mouvement physique dans l’espace. Pour cela nous retrouvons les recherches d’Olafur Eliasson qui aborde la temporalité de la couleur. Nous avions vu précédemment qu’une couleur évolue avec le temps dans sa dimensions his torique et culturelle. D’un point de vue scientifique la cou leur peut rarement rester la même au cours du temps, de nombreuses micro-transformations font que celle-ci évolue constamment. Ces changements impliquent des re-ques tionnements et évolutions des rapports de ces couleurs à leur environnement. Ils stimulent aussi notre vision et notre atten tion de façon inconsciente puisque nous avons une impres sion de continuité. « Objects always shift or mutate over time, and, if we become aware of this constant mouvement, we may be able to understand the world as a much more open, negotiable space »1. Cette citation nous questionne donc sur la rigidité de l’espace lors de sa rencontre avec la couleur. En effet, une continuité inchangée d’une matière n’est pas réellement possible à travers le temps. Prendre conscience de ces évolutions peut nous permettre de vivre dans l’espace qui nous entoure comme un espace en évolution constante

2 Jonathan CRARY, « Your Colour Memory: Illuminations of the Unforeseen », op. cit., p. 220, «son évanescence, son instabilité et son identité mobile» (traduction : Lou 3RICOME).Id., p.221, «processus flexible et ouvert plutôt qu’une action de perception ponctuelle» (traduction : Lou RICOME).

« Its instability, its evanescence and its mobile identity »2

Olafur Eliasson, dans nos rapports aux couleurs, parle d’un « open-ended process, rather than a discrete or ponctuel act of looking »3. Cette idée de processus dans notre vision du monde permet de souligner le fait que nos rapports visuels à notre environnement ne sont pas ponctuels ou discontinus. En effet, les phénomènes extérieurs, artificiels ou naturels, l’unicité de perception de chaque individu et l’influence psy chologique sur notre perception de notre environnement, sont des facteurs qui participent au processus de voir, vivre et comprendre nos espaces. Cette notion de processus nous permet d’introduire la dé construction des rapports contemplatifs que nous imaginons souvent avec la couleur. Autour de ces questions là, Eliasson va éviter de travailler des surfaces planes ou plates afin de rendre difficile, voir même impossible, l’objectivisation du phénomène chromatique par la contemplation. Il va donc re chercher des limites, des distances et rapports incertains qui vont inviter et questionner les visiteurs. Eliasson explique que

.63 face auquel nous ne pouvons pas rester passifs. La couleur est un élément d’autant plus changeant avec le temps puisque nous savons que la lumière peut avoir des effets sur les pig ments (une peinture ou une photo doivent souvent se tenir à distance de la lumière naturelle directe puisque celle-ci va faire perdre de l’intensité aux couleurs). De plus, la dimension du temps dans notre perception de la couleur peut aussi se comprendre par le fait que lorsque nous observons une couleur, notre cerveau va avoir ten dance à produire la couleur complémentaire, ce que Olafur Eliasson appelle l’ « afterimage ». Ce phénomène va donc influencer notre perception d’une couleur sur une échelle de temps plus courte que celle de l’évolution des pigments de la couleur en question. Ainsi, les impressions de continuité que nous avons face aux couleurs sont en fait constamment re étudiées par notre cerveau. Prendre conscience de ces évolutions nous permet de comprendre que nous avons un rapport visuel actif à notre environnement, notamment dans un environnement coloré.

Ces recherches autour de la déconstruction de nos rapports contemplatifs à la couleur permettent à Eliasson de travailler des expériences riches et variées. Ce travail permet, d’après les philosophes James, Nietzsche, John Dewey et Henri Bergson, de « escape the numbing claims of habits and rou 4 Xavier BONNAUD, Chris YOUNÈS, Perception, architecture, urbain, op.cit., p. 127

ces instabilités et propositions incertaines qu’il met en place stimulent constamment notre attention et conscience corpo relle. Cette volonté d’offrir aux visiteurs une opportunité de renouer leur expérience visuelle à une expérience corporelle s’ancre dans une volonté de pleine conscience des phéno mènes que nous vivons. L’objectif est de réapprendre à être plus attentifs à nos corps, cela non pas uniquement par notre vision qui est le sens sur lequel nous portons le plus d’atten tion dans la culture occidentale. Juhani Pallasmaa, architecte finlandais, « affirme que cette hypertrophie de l’univers visuel, […] amoindrit nos capacités de compassion, d’empathie et de participation au monde »4 C’est en créant de l’inattendu et du déséquilibre qu’Olafur Eliasson va venir chercher la stimulation et la conscience cor porelle du visiteur. Nous avons pu comprendre précédem ment dans quelle mesure la couleur est un élément qui peut déséquilibrer, voir déconstruire, un espace. De plus, son lien étroit avec nos émotions développe des effets de surprise. Dans cette démarche là, Eliasson a pu travailler sur une ins tallation Your uncertain shadow qui avait pour objectif de rendre le corps actif. En effet, le corps devenait générateur de lumières et de couleurs car par ses mouvements, le spectre lumineux projeté se diffracte et suit les mouvements.

Fig. 37 Your uncertain shadow, Tate Modern, London, 2010 Source : https://olafureliasson.net/archive/artwork/WEK100100/your-uncertain-shadow-co lour

Fig. 38 Your uncertain shadow, Tate Mo dern, London, 2010 Source : WEK100100/your-uncertain-shadow-colourhttps://olafureliasson.net/archive/artwork/

Fig. 39 Your uncertain shadow, Tate Mo dern, London, 2010 Source : WEK100100/your-uncertain-shadow-colourhttps://olafureliasson.net/archive/artwork/

5 Jonathan CRARY, « Your Colour Memory: Illuminations of the Unforeseen », op. cit., p. 223, « Echapper les prétentions anesthésiantes des habitudes et de la routine » (traduction : Lou RICOME).

6 Formulation de Olafur Eliasson de son étude de la couleur : La perturbation des habitudes (traduction : Lou RICOME).

.65 tine »5 . Ainsi, la couleur, par les déséquilibres et discontinui tés qu’elle génère, perturbent nos attentes et nos habitudes. Ce  disruption of habits6 offre une dimension révélatrice de l’espace puisque nos sens sont stimulés et nous permettent de vivre une expérience unique qui sort des limites de nos acquis et connaissances. Les productions d’Eliasson laissent une marge d’interprétation, de mouvements et d’actions permettant une expérience et compréhension de l’espace en tant qu’individu. Notre palette sensorielle est rarement sti mulée dans son entièreté dans les expériences quotidiennes, c’est la raison pour laquelle nous devons apprendre à élar gir nos capacités à sentir et à ressentir. Par ces stimulations sensibles, ici travaillées par la couleur, nous restons vivants, ancrés dans notre corps, dans nos sensations et dans le mo ment vécu. Nous sommes éveillés contre l’habitude, l’ennui et la stabilité, ce qui enrichit notre expérience corporelle et la façon dont nous prenons place dans le monde. « the disruption of habit is one of the conditions of individual and collective freedom » 7 Cette liberté se comprend par la prise de conscience que nous pouvons avoir de notre propre corps, des corps autour de nous et de notre environnement. L’habitude et la passivité n’offrent pas d’ouvertures, d’espaces et de rapports intermé diaires. Elles ne laissent pas place aux questionnements et au doute, et empêchent donc de ressentir une vivacité et une stimulation de vie. Ainsi, comme nous avons pu le voir dans l’installation Your uncertain shadow d’Olafur Eliasson, les dynamiques, dépla cements et cheminement qu’il va mettre en place sont dans l’expérience de notre corps par la couleur et dans la couleur. Ces rapports à cet élément intangible ouvrent des incerti tudes, des incompréhensions et des décalages permettant de se questionner, de penser et de sentir « beyond the li mits »8 . L’ouverture de nos limites nous ancre dans un corps vivant en mouvement et renforce nos capacités d’échanges et d’interactions avec le monde extérieur. Cette conscience de notre corps nous permet de vivre nos expériences par nos

7 Jonathan CRARY, « Your Colour Memory: Illuminations of the Unforeseen », op.cit., p. 223, « La perturbation des habitudes est une des conditions pour la liberté individuelle et collective » (traduction : Lou RICOME).

8 Ibid., « au delà des limites» (traduction : Lou RICOME).

Nous sommes bien dans le « domaine du sentir comme point d’enclenchement d’une « aventure expérientielle » qui ouvre ensuite des séquences perceptives, symboliques et cognitives entrelacées »13. Le domaine des sens ancre notre présence à un instant t mais crée aussi une cohésion avec des corps extérieurs. La dimension instinctive sensorielle est le premier lien entre notre corps et le monde. Dans un deu xième temps, notre corps nous donne notre présence dans le monde et notre « consistance corporelle qui nous inclut de 9 Xavier BONNAUD, Chris YOUNÈS, Perception, architecture, urbain, op.cit., p. 131 10 Ibid., 11 Ibid., 12 Id., p. 138 13 Ibid.,

Nous pouvons d’autant plus comprendre la démarche et le travail d’Eliasson à travers le livre de Xavier Bonnaud et Chris Younes Perception, architecture, urbain, où l’on peut comprendre que la création de nouveaux milieux physiques par la stimulation des sens et la dimension de l’inatten du permettent de proposer des « nouvelles capacités de connexions »9 à notre corps et au monde extérieur. D’après eux, l’enjeux de la conception spatiale est d’« instaurer des relations dynamiques avec le corps » permettant de jouer avec « la richesse physiologique de notre appareil sensoriel » et d’impliquer « de manière dynamique notre activité de ré ception »10. Nous revenons aux notions de décalage et d’in habitude comme Eliasson met en place dans ses oeuvres.

C’est à travers des « situations d’immersion et d’ouverture »11 que nous pouvons nous ancrer dans un espace ou un lieu mais aussi que nous renforçons notre relation à notre envi ronnement présent. Ces rapports participent à renforcer « la relation du Je à son Monde »12 non pas uniquement dans une dimension maté rielle, de pensée,s de langages ou de connaissances mais dans le lien pré-langagier du sensoriel. Nous retrouvons ici des enjeux et valeurs des théories du care puisque c’est par une ouverture à soi, à sa vulnérabilité que nous pouvons par la suite nous ouvrir aux autres. Porter cette attention à notre corps, à nos sens et à nos ressentis implique une acceptation de notre ouverture à nous même et au monde. Nous avons pu comprendre précédemment la difficulté de porter notre attention à notre vulnérabilité, cependant c’est celle-ci qui va permettre de développer nos rapports à nous même (à notre corps et à notre esprit) et donc de nous ancrer dans le wellbeing de notre personne.

sensations, à notre échelle humaine et à notre ampleur.

.67 manière bien plus profonde »14 dans nos rapports physiques et structurels à notre environnement. C’est aussi par l’accep tation des limites floues définies par nos sens que nous pou vons « nous ouvrir plus consciemment et plus librement à toutes les interactions qui constituent la richesse du vécu »15

« L’architecture donne accès de manière privilégiée à ce monde du sentir, offrant des occasions d’émerveillement et le plaisir d’une vie appréciée à l’échelle du corps »16 Xavier Bonnaud et Chris Younès présentent aussi l’impor tance de l’attention portée à la mesure, aux échelles et aux proportions qui permettraient de créer des équilibres et de « construire une familiarité entre corps et lieux »17 . Ainsi  « la mesure des choses »18 sont des règles et rapports qui « s’ap pliquent à tous les objets et organismes vivants »19 : « compte tenu de la taille et des proportions fixes de notre corpulence, des sensations de familiarité, d’étrangeté, d’accueil ou de répulsion, émergent de l’utilisation qui est faite de ces gra dients de dimension »20. Ces rapports sont donc des clés à valoriser dans la conception d’espaces, notamment dans l’utilisation de la couleur. Nous avons pu voir précédemment, dans le cadre de l’hôpital, la présence d’une toile ou d’une fresque murale n’a pas le même impact sur le patient, le vi siteur ou le soignant. L’échelle joue sur la relation que nous créons avec l’oeuvre, les formes et les couleurs. Une toile, dé limité par un cadre peut suggérer une fenêtre, une ouverture vers le monde extérieur, comme elle peut disparaître dans l’immensité de l’hôpital. Une peinture murale semble sans limites, comme si elle pourrait se prolonger au delà du mur. Elle permet de s’immerger dans son univers, d’être dans un rapport d’échelle réel. C’est donc de ce point de vue qu’il est intéressant de questionner l’utilisation des couleurs dans des rapports d’échelles. Des contextes, des besoins et des desti nataires différents peuvent faire varier les volontés d’échelles. L’espace de la couleur est perçu mais il est aussi vécu. Notre corps, sa place dans l’espace et ses mouvements vont parti ciper à la définition de cet espace. C’est notre corps, notre conscience, ou globalement notre présence active qui vont nous relier au monde et à l’espace qui nous entoure. Un es 14 Ibid., 15 Id., p.143 16 Ibid., 17 Id., p.132 18 Id., p.133 19 Ibid., 20 PAQUOT Thierry, YOUNÈS Chris, 2010, Philosophie de l’environnement et mi lieux urbains. La Découverte, « Armillaire » p.12

pace est un lieu ou l’on vit. La notion de vie engendre une activité, des mouvements, des changements etc. Au dela du soin, les démarches du care nous incitent à créer des espaces en vie grâce à la couleur, où l’activité est stimulée, où notre corps et notre esprit sont en mouvement.

.69

Dans cette deuxième approche aux enjeux du mouvement, nous souhaitons prendre conscience de la façon dont la cou leur dans l’espace vient mettre en mouvement notre esprit. Comment est ce que la couleur vient travailler un espace à l’intérieur de soi? Ainsi, nous allons nous pencher sur la di mension imaginaire des mouvements que la couleur peut générer dans l’espace.

La notion de paysage implique donc autant un environne ment réel que son image. L’image est perçu et la perception implique une interprétation personnelle. L’environnement réel est « celui qui apparait directement aux sens, tandis que celui de l’image est une représentation en son absence »22

21 Arnaud François, 2010,« Les milieux de l’imagination », Le Portique, Revue de philosophie et de sciences humaines, p. 5 22 Ibid., 23 Ibid.,

VersL’IMAGINAIREunpaysage

Afin de saisir la place de l’imaginaire dans nos rapports à l’es pace nous pouvons introduire la notion de paysage, défini par Tadao Andô, architecte japonais contemporain : « le pay sage est […] le plan qui se situe à l’interface des données im médiates de la sensation et de la représentation mentale »21

Nos rapports au paysage possèdent donc deux dimensions: une réelle, physique, éprouvée, vécue et une imaginaire, per çue, interprétée. À travers cette approche, nous garderons en tête qu’un espace architectural est avant tout un espace ima giné et conçu par un architecte. Un espace imaginé continue à exister en tant que tel et porte donc ce potentiel imaginaire pour les personnes en faisant l’experience. Par ailleurs, il est interessant de relever la façon dont Tadao Andô part de l’environnement réel perçu comme « celui qui apparait directement aux sens »23. On retrouve l’idée d’aller au delà de la vision et que notre perception du monde im plique d’autres rapports sensibles que celui de la vue. Ainsi nous comprenons d’autant plus l’image imaginaire que nous nous créons de ces espaces réels. Plus nous vivons l’expé rience par nos sens, plus l’image qui nous restera nous sera propre et aura des caractères forts, particuliers, définis par ces sens. Ce qui va nous surprendre, nous marquer et donc par la suite raisonner en nous au cours d’une expérience cor respond à ces stimulations émotionnelles. Une odeur parti

B. MOUVEMENT DE

.71 culière, un vent froid, une chaleur ensoleillée, vont être des facteurs fondateurs de l’imaginaire que nous nous créons de l’expérience vécue. Nous pouvons comprendre que la cou leur, par son contexte, des teintes, des intensités, des ren contres ou parfois simplement sa présence à un instant t, ne va pas offrir la même expérience sensorielle. Générer la sur prise, l’émerveillement, la stupeur ou autre émotion va être la base de nos expériences et du paysage que nous vivons. C’est dans cette démarche que la couleur dans l’espace va faire appelle à notre intériorité et à notre imaginaire. De plus, Andô explique que « pour savourer un paysage, il convient de découvrir l’énergie spirituelle animant les forces matérielles »24. Ces forces nous les avons jusqu’à présent ap pelées mouvements et nous avons pu comprendre comment la couleur dans l’espace peut les générer. Ainsi, c’est en étant conscient de ces phénomènes que nous pouvons d’autant plus nous ouvrir, physiquement et psychiquement, à la ren contre avec un paysage. Le paysage provient donc « d’une attention aux manières dont le sujet le réceptionne »25. Le sujet est actif par l’attention qu’il porte à son environnement ou à l’espace dans lequel il se trouve. L’attention qu’évoque Andô implique aussi une forme de responsabilité de la part du générateur des espaces vécus, dans notre cas celui de l’architecte. Il se doit de se questionner sur la façon dont l’es pace va être reçu et vécu par les visiteurs. Cette attention fait écho aux principes du care, notamment la dernière étape du care receiving et de l’importance d’analyser les conséquences d’actions de soin sur le sujet concerné. La sollicitude que tra vaille l’architecte demande tout d’abord une connaissance de son propre corps et de son esprit. Comme nous avons pu le comprendre avec les théories du care, partir de son corps, de sa vulnérabilité, de sa présence au monde nous permet de nous ancrer en tant qu’être vivant dans un monde collec tif. Trouver ce rapport à soi pour être plus à-même d’écouter et de comprendre les autres. L’architecte ne peut pas travail ler des espaces sensibles sans avoir travaillé sa propre sensi bilité en amont. Nous avons aussi compris que la sensibilité à la couleur se travaille. Les apprentissages de la couleur sont essentiels pour développer une liberté d’utilisation, comme Kandinsky l’exprime : « Cette liberté est liée à la sensibilité de l’artiste et donc l’importance de cultiver cette sensibilité »26 Cette citation accentue d’autant plus le fait qu’il est essentiel de travailler notre sensibilité afin d’enrichir nos connaissances sur le caractère changeant des couleurs. C’est ainsi, par des 24 Ibid., 25 Ibid., 26 Wassily KANDINSKY, Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier, op.cit. p. 102

études et expérimentations, que les concepteurs d’espace peuvent développer des connaissances personnelles et par tagées afin de les appliquer dans leur travail. Une base de travail à la rencontre entre savoirs théoriques et expériences sensibles (personnelles ou observées) permettront à l’archi tecte de créer des espaces intéressants et stimulants pour autrui. Le travail de l’architecte, du sensible, et dans notre cas des couleurs, « permet à l’intériorité d’accéder à l’extérieur »27 Cela revient à la démarche que nous avons exprimé en pa rallèle avec les théories du care : partir du soi pour s’ouvrir au monde. Tadao Andô développe aussi son travail de l’espace dans l’objectif qu’un individu puisse « reconstruire un univers intérieur, une intériorité, un soi devenu un « chez soi » »28 Le processus de « mémorisation, permet de représenter des mondes subjectifs (souvenirs, fantasmes, etc.). »29. C’est en générant des espaces pouvant être appropriés et interprétés par les sujets que ceux-ci peuvent s’y identifier et s’y ancrer. La couleur fait parti des éléments qui viennent stimuler ces rapports à nous-même, à notre façon d’être, à notre imagi naire et à notre capacité de s’ouvrir au monde. En activant l’espace, en le rendant en mouvement et en générant des ressentis et sensations en mouvement, la couleur travaille l’imaginaire que nous nous créons de l’espace vécu. Nous pouvons donc percevoir la couleur comme un élément nous permettant d’ « « explorer l’imagination en tant que média tion vive structurant l’expérience du monde »30. La mise en mouvement, autant physique que psychique nous permet de nous ancrer dans l’espace et dans les échanges que nous rencontrons : « cette trans-position du sujet ne peut s’expli quer que par l’action d’une imagination donnant l’impres sion de vivre dans les êtres et dans les choses comme s’ils vivaient en nous »31 Ce tout que nous créons et rencontrons par nos corps, nos esprits, peut être cohérent si nous avons conscience de notre propre spatialité et de nos propres ressentis. S’ancrer dans notre personne nous permet d’ancrer notre présence dans le monde et de vivre dans les autres et dans les choses comme le dit Ando. Ces connaissances et ce travail interne person nel nous ouvrent aux mouvements, aux changements intan gibles et aux évolutions perpétuelles du monde. De plus, le travail de l’architecture dans un lieu ou un milieu en mouve ment (par des phénomènes sensorielles, sensibles ou une 27 Arnaud François, « Les milieux de l’imagination », p. 6 28 Ibid., 29 Ibid., 30 Ibid., 31 Ibid.,

.73 temporalité) incite à accompagner ces mouvements et non pas à les figer. Nous savons par expérience que la rencontre frontale d’un élément fixe, peu flexible, avec un élément en mouvement, tend rapidement vers la rupture de l’élément rigide. Le contexte en lui-même peut donc déjà être géné rateur de mouvements et l’architecture répond ou complète ce phénomène par l’utilisation d’éléments physiques et in Noustangibles.pouvons

nous questionner sur l’imaginaire que la cou leur ou les éléments intangibles peuvent générer. Est ce que celui-ci et ses effets sont-ils pérennes ? Ou possèdent-ils aussi une certaine temporalité ? La dimension personnelle et imaginée du paysage aura tendance elle-même à évoluer avec le temps. Nos souvenirs, nos sensations ne sont pas figés et constants. Ils évoluent avec notre personne et nos rapports au monde extérieur. Il y a donc une certaine dimen sion éphémère aux phénomènes qui vont être générés par la couleur. Cependant, l’éphémère n’est pas inintéressant dans sa temporalité puisqu’il permet de revivre des phénomènes : la surprise de la couleur par exemple. Kandinsky, dans son livre Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier, parle du double effet de la couleur. Le premier est un effet purement physique, un effet de courte durée qu’il compare au toucher de la glace ou du feu, qui peut générer une im pression d’apaisement, de joie ou autre. Il y a, par la suite, un deuxième effet, un effet plus profond qui entraîne une émotion de l’âme. Cette approche nous permet bien de comprendre l’expérience et l’impact que la couleur possède sur nous à des temporalités différentes. Le paysage imagi né que nous développons est stimulé par ces émotions de l’âme, dans une temporalité plus longue et plus ancrée. D’un autre coté, l’effet de surprise ou de redécouverte de la cou leur se comprend par son effet purement physique, dans une temporalité courte voir éphémère. La combinaison de ces temporalités nous permettent de continuer à dévelop per nos rapports à la couleur à travers une vie. La combinai son d’effets profonds, à long terme, et ceux instantanés et éphémères engendre des mouvements et évolutions de nos rapports imaginaires à la couleur. Dans l’approche que nous venons de développer sur la ren contre entre notre imaginaire et l’espace mis en mouvement par la couleur, nous pouvons aussi nous questionner sur les limites. En effet, Tadao Andô présente les blancs comme des moments d’ouverture, de respiration et donc des moments propices au libre cour de notre imaginaire. L’absence d’élé ments ou la volonté de pause dans des contextes chargés d’informations laissent place à notre personne. La réduc

tion des stimulations extérieures nous permet de retrouver un calme, un retour à soi. Cependant, pouvons-nous nous lasser plus rapidement de ce non-phénomène ? L’absence laisse une place pour notre personne, mais dans quelle tem poralité souhaitons-nous nous trouver dans des espaces de pause ? Sommes nous amenés à nous ouvrir aux autres dans de tels espaces ?

.75

Dans cette dernière partie, nous pouvons nous demander comment, ces mouvements physiques et imaginaires sti mulent le wellbeing et le soin de notre personne dans notre existence au sens large. En quoi ces mouvements nous per mettent de nous éprouver nous-même et de reconnaitre notre propre existence ? Notre propre vitalité ? Comment est-ce que cette vitalité nous permet de nous ancrer dans des démarches sociales et politiques de soins ?

Nous avons pu comprendre au cours de ce mémoire que la couleur est un élément actif qui va générer des mouvements dans l’espace autant physiques que psychiques. Nous avons aussi pu nous saisir de la dimension émotionnelle et senso rielle que porte la couleur. Nous pouvons même aller jusqu’à dire que, « détachée du sentir, la couleur n’a pas d’exis tence »32. Nos rapports à la couleur s’ancrent dans la tempo ralité de notre personne, de nos ressentis, et de notre sub jectivité vivante et invisible. En effet, en tant qu’individu, nous ne vivons pas plusieurs fois une même expérience sensible, chacune est unique par la façon dont nous la recevons. Notre personne est en perpétuelle évolution et transformation par les évènements de la vie, ce qui implique une impossibilité de répétition d’un phénomène sensible. Le caractère actif de la couleur vient donc nous stimuler et chercher la mise en mouvement de notre corps et de notre imaginaire dans une spatialité. Ces mouvements et ces émotions ressentis nous permettent de « s’éprouver soi-même »33 en portant notre at tention sur notre corps et notre psychique. Le terme s’éprou ver est important puisqu’il évoque une épreuve difficile que nous faisons vivre à notre propre personne. La définition de ce terme s’appuie sur l’idée de « «faire sur soimême l’expérience, généralement forte ou profonde, d’une chose »34 et « arriver à connaître par l’expérience, constater l’existence de quelque chose après expérience faite »35. Ces 32 Pascale TABET, 2013, Peindre la vie. Phénoménologie de l’invisible In : La Vie et les vivants : (Re-)lire Michel Henry [en ligne]. Louvain-la-Neuve : Presses universitaires de Louvain, p. 9 33 Ibid., 34 Définition de «s’éprouver» selon le CNRTL. 35 Ibid.,

C. LA VITALITÉ DU MOUVEMENT

L’hypothèse à laquelle ce mémoire m’amène est donc celle que la couleur, en tant qu’élément invisible et intangible, gé nère des phénomènes en mouvement qui nous permettent de ressentir notre propre vitalité. D’après Kandinsky, les élé ments intangibles permettent d’ouvrir le monde à l’inatten du, au mystère et à l’indescriptible dans l’espace, ce qui nous permet de vivre « l’essence de notre vie invisible »37 . Ces phé nomènes invisibles stimulent donc ce qu’il y a de plus fort, de plus profond et d’indescriptible dans notre expérience du monde et de nous-même. Nous savons que un des enjeux contemporains de notre société occidentale est le manque de connections entre les personnes et les milieux. D’un point de vue architectural, il est interessant de valoriser des phé nomènes permettant un retour à soi mais aussi à la notion d’ensemble. Cette dualité reprend bien celle du phénomène de la couleur dans l’espace qui est à la fois intérieur et ex térieur. Trouver des interactions, des rencontres, transgres ser des limites entre notre intériorité, notre personne et le monde extérieur nous permet de développer une connais 36 Pascale TABET, Peindre la vie. Phénoménologie de l’invisible, op. cit. p. 10 37 Ibid.,

.77 définitions rendent compte de la dimension active et diffi cile de la rencontre avec soi-même, qui passe souvent par la rencontre avec nos vulnérabilités. Ainsi, la rencontre de l’espace, de la couleur et de notre personne en tant qu’in dividu et en tant qu’ensemble, font que nous éprouvons le milieu en question. D’après Philipe Descola, anthropologue, éprouver un espace est l’essence même de la vie puisque l’on vit l’épreuve et l’existence de soi sans distance, sans recul. Cette confrontation directe et intérieure à nous-même est invisible, « nul n’a jamais vu… et ne verra jamais »36. C’est donc un phénomène dont nous pouvons difficilement parler ou partager l’expérience particulière avec autrui. L’épreuve de soi nous est propre et nous est unique. C’est ce qui va nous définir en tant qu’être vivant. Notre expérience de la vie, notre présence sur terre ne se résume pas à une expe rience constante de la vie et du vivant. C’est justement dans ces moments où l’on s’éprouve soi-même que nous pouvons reprendre conscience de notre vitalité, de notre existence en tant qu’être unique vivant. Prendre du temps pour ressentir ce phénomène fait parti de notre rencontre avec nous-même et donc du développement de notre personne, de notre identité. De façon général les expériences que nous vivons portent une influence sur la personne que nous sommes et nous font évoluer. Cependant, les opportunités de retour à soi sont essentielles pour se reconnecter, se retrouver et pour apprendre à vivre avec soi-même, dans soi-même.

Dans les théories du care nous avons pris conscience de l’im portance de se questionner sur nos propres besoins et donc sur notre propre personne. Cependant, si nous revenons sur la notion du privilège du soin, c’est à dire d’une incapacité à reconnaître que nous avons besoin de soins tout simplement parce que nous vivons dans le confort de les recevoir sans avoir à les exprimer. Le manque de reconnaissance de nos vulnérabilités ne nous place pas en dehors des enjeux du soin mais nous rend inactif dans celui-ci. Nous ne pouvons pas offrir de l’attention et de la sollicitude à autrui sans nous reconnaitre en tant qu’être vulnérable. Ce qui est intéressant avec les phénomènes générés par la couleur dans l’espace, c’est qu’ils nous confrontent directement à nos sens et nos ressentis, nous rendant ainsi plus apte à aller à la rencontre de soi-même. Les ressentis et émotions instinctives permettent de s’éprouver. La couleur va donc ouvrir des questionne ments et nous permet de porter une attention à l’intimité in descriptible de notre être. La couleur n’est pas un élément qui va forcément proposer des actions de soin en elle-même mais elle est un élément déclencheur du processus du soin. C’est une porte d’entrée vers notre vulnérabilité et l’attention que nous acceptons de lui porter. D’après Chris Younès, phi losophe, ces processus s’encrent dans une démarche archi tecturale plus globale puisque : « L’existence et l’architecture ont une portée ontologique et politique. Elles sont associées à l’épreuve des vulnérabilités, des précarités et des inégalités, mais aussi à la capacité à “ouvrir le rien“ »38 . Cette notion du rien fait écho à la notion de l’invisible de Philipe Descola et semble ouvrir, laisser une place, à l’épreuve de notre propre Dansexistence.une approche plus générale, le travail des espaces in visibles en architecture permet d’apporter une dimension au delà de l’expérience physique. L’expérience imaginaire que ces espaces vont générés va permettre à une architecture de développer des expériences uniques et personnelles pour les visiteurs. Ces espaces invisibles vont donc aller à la ren contre de nos émotions et ressentis, comme nous avons pu le voir dans le travail de la couleur dans l’espace. Nous en re 38 Chris YOUNÈS, 2018, Architectures de l’existence, Paris, Editions Hermann, hors collection, p. 12

sance de nous même et une sensation d’appartenance à un ensemble. Chercher ces intermédiaires entre une intimité et autrui permet de mettre en action un des principes du care: la sollicitude. En effet, nous pouvons nous ouvrir aux autres et au monde lorsque nous prenons conscience de notre per sonne en tant qu’être vivant vulnérable.

.79 venons au fait que l’espace architectural, notamment lorsqu’il est mis en action par des éléments intangibles tels que la cou leur, ne peut être défini comme élément physique figé mais uniquement comme phénomène. Ces phénomènes portent une place importante au sein du travail de conception et de réalisation architectural puisqu’ils permettent d’aller au-de là du matériel, du tangible et du descriptible. Les espaces invisibles peuvent être définis comme l’âme ou l’essence d’une architecture. Ce phénomène de vie, de présence à nous-même et au monde est un des objectifs ultime de nos rapports à l’espace. L’architecte a donc tout interêt à travail ler les outils lui permettant de porter des espaces invisibles dans l’espace vécu. Chris Younès explique cette démarche : « Le poétique, en stimulant l’émotion - qui ébranle, secoue et aiguise les sens et le sens - éveille l’être et donne les condi tions de la rencontre et de l’Ouvert »39. Tous les processus de mise en mouvement, de rencontre, de temporalité, d’évolu tion que nous avons rencontrés dans le travail de la couleur dans l’espace permettent à celui-ci d’être un espace ouvert. L’ouverture offre une marge d’interprétation, d’appropriation, de mouvement et de changement. C’est ce qui permet à un espace d’accueillir la vie, de se positionner en tant que base unificatrice pour la vie d’un ensemble. La rencontre de différentes expériences d’un même espace va ainsi stimuler la notion de paysage que nous avons vu précédemment mais aussi nous ancrer dans des approches propices à la rencontre avec le soin. Les dualités des espaces résident dans le vécu et le perçu, dans l’intime et l’ensemble, dans l’intérieur et l’extérieur et dans le physique et l’imagi naire. Ces dualités vont nous permettre de nous sentir vivant, de vibrer, de nous ressentir et de ressentir les autres autour de nous. Ils nous ancrent dans un milieu et une temporalité tout en nous offrant la capacité d’accueillir les changements, les mouvements physiques et psychiques. Un espace vivant, en mouvement avec une dimension invisible va retrouver sa vitalité dans les sujets de l’espace. Ainsi la démarche autour du soin, de la couleur et de l’espace que j’ai pu explorer à travers ce mémoire, m’amène concrè tement à développer l’hypothèse que la couleur est un phé nomène spatial nous permettant d’éprouver notre propre vitalité.

39 Id., p. 26

À travers ce mémoire, nous nous sommes interrogés sur les enjeux de la couleur dans les espaces de soins. Pour cela nous avons pu redéfinir la place du soin et du care dans notre société. Cela nous a permis d’ouvrir l’utilisation et l’impact de la couleur dans l’espace en allant au-delà de ses effets physiques pour découvrir ses dimensions imaginaires. Pour cela, nous avons pu nous saisir des caractères physiques et psychiques des effets de la couleur. Les études de Kandinsky nous ont permis de prendre conscience des mouvements que les couleurs et leurs teintes pouvaient générer. Cette première activation et mise en mouvement de l’espace a pu être développé par les travaux réalisés par Ettorre Spalletti et Emmanuelle Moureaux. En effet, les études et le processus de travail de Moureaux nous ont démontré les démarches spatiales que la couleur pouvait générer. À travers ces expe riences j’ai donc été amenée à me saisir des outils pouvant être utilisés avec la couleur afin de travailler l’espace. Par la suite, la démarche de mon stage de recherche m’a permis de mettre en application, à travers un projet, les théories et les clés de travail présentées par Emmanuelle Moureaux. Par ailleurs, la démarche que j’ai pu suivre au cours de ce projet était guidé par les étapes du processus du care. Ces étapes nous ont permis de prendre conscience de l’ampleur du tra vail et de l’implication autour du soin. C’est ainsi que j’ai été amenée à créer un objet, dans le cadre du projet pour le ser vice de pédiatrie gastrique à l’hôpital Femme Mère Enfant, qui allait pouvoir prendre place dans l’espace par la couleur. Le processus de fabrication m’a permis d’être attentive aux enjeux et besoins présentés par les patients et le contexte hospitalier. C’est donc à travers ce projet que j’ai souhaité ap profondir le rapport entre les démarches du soin et le travail de l’espace par la couleur. Ainsi, ce mémoire nous a permis de valoriser les enjeux de la vulnérabilité et de la sollicitude dans le travail de l’espace en questionnant nos rapports et notre présence à celui-ci. Nous avons aborder les phénomènes in visibles et intangibles qui apportent une qualité de vie à l’ex périence vécu. L’expérience de l’espace n’est pas une simple observation ou une expérience passive, elle requiert notre présence et vivacité autant physique que psychique. Afin d’être ouverts et réceptifs à ces processus actifs de l’espace, il est interessant de revaloriser notre vulnérabilité. Se rendre

CONCLUSION

.81 vulnérable nous permet de nous ouvrir à l’inattendu, au par tage et à la rencontre avec des phénomènes que l’on ne maî trise pas. Accepter l’imprévu et l’inconnu fait parti de ce qui rend notre expérience vivante. Nous définissons ce rapport à la vie par ce qui est en mouvement, par la façon dont nous nous éprouvons nous-même. La mise en mouvement de l’espace et de notre personne nous permet d’être présent dans notre corps, dans nos ressentis et dans nos émotions. Se situer au sein d’un espace ne rend pas l’expérience en elle-même vivante. Il est nécessaire d’activer des processus et phénomènes afin de stimuler un corps, un esprit et une vitali té. C’est à travers cette démarche que nous sommes amenés à activer l’espace par l’utilisation de la couleur. L’approche ac tive, instable et insaisissable de notre experience de l’espace grâce à la couleur nous ancre donc dans des rencontres avec l’intimité de notre vulnérabilité. La dimension du soin se re trouve par cette valeur mais nous comprenons que l’ampleur de l’impact et des enjeux que présentent ces espaces en couleur va au-delà du milieu médical. Le soin, en écho avec les démarches du care, nous conduit ainsi à la recherche de notre existence vivante au sein des espaces en couleur. De plus, le travail de ce mémoire m’a permis de rencontrer des démarches de recherche variées afin de définir la mienne.

Par ailleurs, les relations entre la couleur et le soin que j’ai pu développer au cours de mon stage de recherche m’ont permis de prendre conscience de l’actualité de ces enjeux. En effet, suite à ce stage, j’ai été invitée à participer à deux colloques de recherches autour de ce sujet. Le premier était organisé par l’association L’invitation à la beauté à la faculté de médecine de Lyon et portait sur L’ouverture au monde par l’empathie esthétique. Le deuxième est un colloque in ternational organisé par l’Association International de la Cou

J’ai souhaité comprendre comment des études théoriques me permettaient de prendre conscience de certains proces sus ou phénomènes que j’ai pu observer dans mes différents stages. Ces recherches sur plusieurs années m’ont donc aussi permises de mettre en pratique des requestionnements et d’avoir du recul sur certaines découvertes. Ce fut en effet le cas avec les théories de la couleur et le travail d’Emmanuelle Moureaux qui ont constitué la base de mes connaissances et sensibilités du travail de la couleur dans l’espace. J’ai aussi pris conscience de l’importance de requestionner ou désta biliser des éléments figés puisque c’est dans le mouvement, dans l’évolution et la temporalité que nous pouvons faire évoluer nos connaissances.

leur (AIC)1 basée à Toronto. Le thème du colloque étant la couleur dans une approche générale avec des sous-sujets qui permettent de questionner cet élément dans différents domaines. Ce colloque aura lieu le 14-15-16 Juin 2022 et me permet donc de présenter mon travail autour de mes re cherches et de l’objet du Leporello développé au cours de mon stage. Je vais ainsi pouvoir présenter les hypothèses de mise en mouvement de l’espace par l’utilisation de la cou leur à travers un objet et valoriser le projet sur j’ai pu me ner au cours de mon stage de recherche. L’interêt suscité sur les possibilités de continuer à développer les hypothèses et projets au croisement de l’espace, de la couleur et du soin.

N’ayant pas eu l’opportunité de mettre en place le Leporel lo, je souhaiterais davantage concrétiser un projet basé sur les hypothèses de ce mémoire. La phase de réception est, comme nous avons pu le voir, essentielle afin d’analyser la justesse et la nécessité d’une démarche. Les expériences des colloques sont pour moi des opportunités de me rendre compte de l’importance que nous portons aujourd’hui aux démarches de soin dans nos quotidiens. Cela fait écho aux enjeux contemporains des théories du care. C’est aussi une opportunité de me positionner en tant qu’étudiante en archi tecture et de travailler ces questions et enjeux dans une ap proche spatiale. En effet, ces démarches professionnalisantes ne sont pas celles traditionnellement attribuées à une étu diante en fin de cursus d’architecture. Cependant, le monde de la recherche et mes expériences de stage m’ont réelle ment permis de prendre conscience des relations et inter dépendances de notre profession avec d’autres domaines. De plus, cela s’ancre dans mon parcours puisque je réalise un double cursus architecte-ingénieur. Je pense que se saisir de ces relations nous permet, en tant qu’architecte, de nous ancrer dans les différentes réalités qui constituent notre so ciété : sociale, psychologique, philosophique, constructive, environnementale etc. C’est donc grâce à mon stage de recherche que j’ai pu réaliser l’importance de notre ouver ture et de notre interêt, en tant qu’architecte, envers d’autres professions. Cette démarche nous permet de travailler et de s’inscrire dans l’espace et dans un milieu de façon cohérente.

L’importance que je porte à ces recherches et experiences m’ont amenée à les inscrire au sein de mon processus de conception de projet de fin d’étude. Nous avons vu que, au delà de la couleur, le mouvement est l’essence même de ce rapport vivant et actif à l’espace. Ces rapports sont autant physiques qu’imaginaires et permettent de développer une 1 Programmation du colloque de recherche : https://www.aic2022.org/program/ program-at-a-glance/fullprogram/

.83 qualité invisible aux espaces crées. Comme nous avons pu le voir, ils nous ancrent dans nos corps et nos esprits. Ces rapports à nous-même, aux lieux et aux autres ouvrent nos mises en mouvement, ce qui me semble essentiel au travail de l’espace. Notre étude nous a permis de comprendre la vitalité et la présence au monde que nous pouvons dévelop per en éprouvant notre personne et notre environnement. C’est pour ces raisons que j’ai essayé de mettre au coeur de mon projet le travail du mouvement et des éléments ins tables. Ils prennent place autant dans une instabilité et une temporalité du site que dans les activités et flux générés. En effet, en m’implantant sur les bords de la rivière Chau dière à Lac-Mégantic au Canada, le projet doit faire face aux fluctuations importantes du niveau des eaux mais aussi aux changements d’état de l’eau et du sol. L’interdépendance des éléments naturels m’a permis de comprendre que ces changements impliquent des mouvements du sol, des va riations des pluies ou des neiges. Ces éléments naturels ne peuvent pas être définis comme statiques. Ils sont portés par le mouvement et par leurs changements. Ainsi, la notion de temporalité est étroitement liée aux mouvements en jeu sur le site en question. C’est l’évolution des saisons, des phéno mènes naturels ou anthropiques, qui font que les éléments vont évoluer et se transformer. Ces éléments vivants tel que l’eau ou le sol, comme nous l’avons vu, sont en mouvement constant, mais vont voir leur mouvement et leur impact sur le milieu évoluer en fonction d’une temporalité. J’ai donc re cherché à m’ancrer dans une démarche où l’architecture ac cueille ces mouvements tout en en proposant de nouveaux. Nous cherchons donc à développer un artefact qui travaille avec la nature. C’est une démarche de l’ensemble, du faire avec et d’une continuité. Ce sont les interstices, les rapports intérieurs/extérieurs, les jeux de niveaux et de pentes qui me permettent de créer une instabilité au sein du projet. Comme nous l’expliquait Olafur Eliasson, nous devons être en quête perpétuelle d’une perturbation de nos habitudes. C’est ainsi que nous devenons actifs et présents, autant à nous-même qu’aux autres. Enfin, nous sommes amenés à nous questionner et à nous ouvrir sur les autres éléments intangibles pouvant être utili sés en architecture afin générer des espaces invisibles. Nous nous sommes concentrés dans cette étude sur l’élément de la couleur, mais nous n’avons pas forcement aborder les en jeux de faisabilité. La couleur est souvent présente en archi tecture dans la façon dont elle recouvre un matériau, d’où son statut d’élément de finition. Comme nous avions pu le voir avec Emmanuelle Moureaux, son travail porte sur l’utilisa tion de matériaux colorés (le tissu, le papier) mais est ce que

cela est transposable à l’échelle architectural? En dehors des effets lumineux colorés (projection ou verre teinté) nous trou vons difficilement des façons de teinter des matériaux dans leur masse. Est ce que les contraintes techniques de réalisa tion de tel éléments sont donc des limites à la conception et création d’espace par la couleur? L’essence même du projet peut-elle partir de la couleur si celle-ci intervient à la fin de la réalisation d’un projet? Théo Van Doesburg nous expliquait que le paintwork, en venant s’appuyer sur une architecture existante venait requestionner et déstabiliser les espaces. Est ce que cette démarche est suffisante pour exploiter le poten tiel de la couleur dans l’espace? Afin de répondre à ces ques tions il serait interessant d’étudier des projets où la couleur intervient à différentes étapes du processus. De tels études nous permettraient de comparer des effets sur les visiteurs, sur la conception de l’architecte et sur le projet en lui-même. Cela revient sur la démarche de recherche qu’ouvre ce mé moire et les colloques auxquels je participe.

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ANNEXES

During the crea&on process of the installa&on Universe of Words in which I par&cipated, I came to realise that working with layers and overlays of porous materials (paper, thread…) can make the walls and ceilings of a space disappear and create a limitless universe of colours. Indeed, some ten years

The following communica&on presents the means by which a workshop with ar&st and architect Emmanuelle Moureaux in Japan led me to a research internship with Lyon’s hospitals.

Colour and care in space Lou RICOME Affilia&on 1 : lou.ricome@lyon.archi.fr Keywords : colour, space, care, mouvement Introduc6on

Emmanuelle Moureaux’s coloured spaces

The Woman Mother Child Hospital is en&rely dedicated to the couple, the mother and the child. It is the only permanent recep&on centrefor1 pediatric emergencies in the Lyon area (82,000 visits per year) and also has a gynaecological emergency service.

Inspired by tradi&onal Japanese sliding screens, Emmanuelle Moureaux created the concept of "shikiri", which translates "to divide spacewith2Translacolours".&onof an interview I had with Emmanuelle Moureaux during my internship in Tokyo, 20193

Figure 1. Universe of words, exhibi&on, Chiyoda, Tokyo 2019, source : hfps://www.emmanuellemoureaux.com/#/ universe-of-words/

Moureaux’s workshop provided insight into the ways that colour can transform and interact with space. Given my interest for colour and my architecture studies, I therefore wished to explore the poten&al of colour in a healthcare seIng. Working with the "Femme Mère Enfant" hospital gave me1 the opportunity to create an interac&ve tool that would transform the well-established rela&onship between colour and space. My architectural studies have allowed me to realise that, despite the intangible effects of colour on built space, colour is not a used as a primary conceptual tool. The aim of this experiment was to understand the poten&al of colour on the built environment and, in par&cular, the way it interacts with pa&ents and caregivers in a healthcare seIng. As such, my hypothesis poses ques&ons regarding the effects of colour on healing and care.

My approach to this project was strongly influenced by the knowledge of colour in space I developed during my internship with Emmanuelle Moureaux in Tokyo. Her work as an architect is based on the no&on of “shikiri” She uses colour as a three dimensional element – as layers – in order to create2 spaces. For Moureaux, colour is not only as a finishing touch applied to surfaces. Throughout this internship I came to realise how much her projects focus on the feelings and emo&ons created by colour: “I want the visitors to feel something, emo&ons through colour, I would say this is my main goal,” “theses emo&ons can be different for everyone” . Emmanuelle Moureaux pursues the crea&on3 of wonder, surprise, and bursts of colour in space. This will comes from her own amazement when she discovered the colours of Japan for the first &me: the tradi&onal blue &les, the light panels in the streets, the tradi&onal ou

The ethic of care is an ac&ve process that can be broken down into four “analy&cally dis&nct but in&mately related” phases: “caring about, taking care of, care giving and care receiving” . In my8 9 internship experience, I did not posi&on myself as a care giver but as an architecture student seeking to ques&on how colour and space could “care about” the quality of the hospital environment. It was during my visits to the the Femme Mère Enfant hospital that I became not only aware of some of the children’s needs, but also those of their caregivers. Indeed, a child in hospital is alone, without their family, in a room that is not their own and that they cannot really make their own. They therefore express a lack of afachment, comfort, and familiarity in their environment, but also a lack of

.91ago, Emmanuelle Moureaux also developed a “100 colours” guideline that allows her to follow a specific order of shades in her work. Each installa&on will use different quan&&es and propor&ons of theses 100 colours. Furthermore, the enormous quan&ty of hiraganas and lines in the installa&on4 managed to build a deconstructed space. In order to grasp the magnitude of the installa&on, one must note that Universe of Words took place over 200m2; it required the work of about threehundred-and-fiky people and consisted of 140,000 hiraganas. I believe it is only when par&cipa&ng in the set-up of the installa&on that one can comprehend the immensity of work, effort, and organiza&on that such a project requires. Surprising to me in this experience was that, despite having par&cipated in the seIng-up, when I entered the finished installa&on for the first &me, I felt transported. It was as if there was a radiant force coming from inside the installa&on. I was overwhelmed and in awe by this world of colour. The organiza&on of Universe of Words permifed visitors access to smaller areas and corners, allowing them to live the submersion of colour on different scales. It is submersion in theses worlds that takes away the temporality and our knowledge of space. In such contexts, we are therefore forced to rely and focus on our feelings and emo&ons, or as Kandinsky would call it, “the material states of the soul”5 Colour and care theory Throughout my research on the rela&onship between colour and space I had the opportunity to complete a research internship with Chantal Dugave, an ar&st-architect and teacher at the school of architecture in Lyon, as well as Laure Mayoud, a psychologist. Through this internship I wished to ques&on the interac&ons between colour and the theory of care As Laure Mayoud works in6 partnership with Lyon’s hospital, the project I developed focused on the children’s department at the Femme Mère Enfant Hospital in Lyon. Moreover, her approach is to treat her pa&ents with “cultural prescrip&ons” . The inten&on of the project was to develop an interac&ve tool that could, in some7 way, generate care through the effects of colour. Throughout my research and related experiments, I leveraged my posi&on as an architectural student in order to interact with the no&on of space.

Characters of one of the Japanese alphabet .64 KANDINSKY W., 1988, Du spirituel dans l’art et dans la peinture en par&culier, transla&on : RICOME L. GIRAULT E., 2010, « Joan Tronto, Hervé Maury, Un monde vulnérable. Pour une poli&que du"care" ».6 She uses poems, perfumes, pain&ngs and music to cure her pa&ents.7

The par&cularity of care theories is that they allow social and poli&cal issues to be presented beyond the field of care and health. They also allow us to ques&on the place and role of vulnerability and care in our own lives, and then to ques&on its place in society. Apart from the home and, perhaps, healthcare spaces, we do not define the spaces that we occupy in everyday life as places where we can express our vulnerability. It is therefore interes&ng to ques&on spaces and architecture in terms of how they can become conducive to this encounter. Consequently, this raises the ques&on: what role does colour play in humans’ awareness of our own vulnerability?

C TRONTO J., 2008, « Du care », Revue du MAUSS, 2008/2 (n° 32), p. 243-2658 Ibid., 9

Finally, the colours used had to be bright and lively, as they are the ones that have the strongest surprise and amazement effect. Moreover, the fact that this project was set in the par&cular environment of a hospital set certain contraints. Indeed, it was more welcomed to work with colour that ini&ated ac&ve energy and good humour, rather than melancholy with bleak colours such as black. Aker having determined the stakeholders and relevant tools, I was able to define the format of this object. As the aim was to find a way to set space in mo&on through the use of coloured sheets, I chose to work on a Leporello This object is a book that unfolds like and accordion due to the par&cular folding and gluing techniques. This format allowed me to work with a two-dimensional element that unfolds and opens us. It is not a fixed and passive object, its shape interacts and takes place in space. The Leporello also offers different readings through non-linear approaches. Moreover, I found interes&ng the way this object can become an immersive experience through its changes of 10scales.hfp://www.linvita&onalabeaute.org/

Figure 2. Organiza&on of the Leporello, source : © RICOME L.

At the beginning of this research internship I had the opportunity to meet with professionals (caregivers, doctors, ar&sts, illustrators, authors, etc.) but also pa&ents. A conversa&on with a children’s illustrator and author made me realise the importance of interac&on, appropria&on, surprise, and amazement between object and child. One of the main objec&ves of the project was to s&mulate the children’s imagina&on. My first step in developing a prototype was to define its content and materials. Indeed, these two factors were cri&cal to crea&ng a world of colour and wonder. The content would need to s&mulate the interest and ac&on of its reader: games, cutouts, drawings, s&cker, fill-in-the-blank texts, etc. were used to achieve this end. Textured sheets served as the medium through which colour was communicated. Maintaining children’s interest, however, also necessitated the s&mula&on of the senses (touch, sight, etc.). Therefore, transparent, glifer, cardboard, mirror sheets could be implemented to play with readers’ senses. Their use also offered the possibility of encounters or overlap between different materials and colours in order to create depth and perspec&ve within the object. Transparent coloured papers were also used to give the possibility to project oneself – in a way not dissimilar to glasses – in space.

Figure 3. Working drak of the Leporello, source : © RICOME L.

lightness, imagina&on, and playfulness. It is therefore important “to take care of” the quality of the architectural space in such medical seIngs.

In order to develop a “care-giving” approach, I took Emmanuelle Moureaux’s work and process as a reference. Indeed, I wished to develop an object that could use layers in order to generate space through the intangible material of colour. Moreover, the work of the ar&st-architect gave me the keys to generate space from two-dimensional porous elements such as paper. Unfortunately, the last phase, “care receiving,” did not take place because of the COVID-19 pandemic. The nature of this crisis made it impossible for me to bring the object to the hospital and to see its uses and effets on children. I therefore did not get any feedback from the pa&ents and care-givers. However, working with Laure Mayoud, founder of the associa&on L'invita<on à la beauté (The Invita&on to Beauty) , I10 was able to test my proposal with members of the associa&on. How to manipulate colour and space ?

Moreover, from a scien&fic approach we know that colour does not stay the same over &me. Many micro-transforma&ons make it constantly evolve. These constant changes ques&on the interac&ons of colours and their environment. They also unconsciously s&mulate our vision/ KANDINSKY W., 1988, Du spirituel dans l’art et dans la peinture en par&culier, transla&on : Lou RICOME11 4. Light and dark effects on blue and yellow

.93 The format, the content and the materials allowed me to focus akerwards on the way I could create depth and space through this object. The layers of the Leporello could be played with by cuIng out some parts of a page in order to overlay sheets and materials. I also had to spend &me on the colour scheme to ensure posi&ve interac&ons between the colours used, the space, and those interpre&ng the project. Similarly crucial was the need to account for poten&ally disparate readings of the installa&on. The choice and ordering of the colours also needed to s&mulate the amazement and harmony that colour schemes have the poten&al to imbue in onlookers.

Figure

The shades of one colour keep the same horizontal movement but the speed changes (from dynamic to sta&c). A warm colour with a bright shade will see its effect increase with a dynamic movement, just like a cold dark colour will. However, a cold warm colour or a bright cold colour will tend to become mo&onless. Another type of movement that we have to take into account is the concentric or eccentric movement of a colour. This can be observed with the example of a yellow and blue circle. Indeed, the yellow circle overflows from its outline whereas the blue one withdraws in its centre and moves away from us. If we come back to the movement previously established, we can observe that the effect of the yellow circle increases when brightened and the effect of the blue once increases when darkened.

Colour and movement Through this approach I was therefore looking to create depth, width, and thickness in the interpreta&on and the movements created. The colour pafern and the colours themselves allowed me to open up vibra&ons and emo&ons in the “receiver”. In order to develop this approach, we need to seize the ways that colours produce movements. First of all, the movements created are physical. From Wassily Kandinsky’s approach, colour has a double effect. The first one is purely physical and short-term, an effect which Kandinsky compares to the touch of ice or fire, and which can generate ephemeral feelings of happiness. Then follows a second, deeper effect: deeper that brings out an emo&on of the soul. This duality allows colour to have different &me scale and to s&mulate our bodies and mind in different ways. Kandinsky’s other approach involves “leIng the colour alone act on you” . This means that even as a passive spectator we interact and live the effects of colour. In11 order to understand the place colour holds in space, we have to separate colour in two main contrasts. The first one is warmth/coldness which is perceived as horizontal movement, coming towards us for warmth and moving away for coldness. The second contrast can be generalised as the difference between black and white, therefore the tendency for a colour to be bright or dark.

percep&on and afen&on because even though we have an impression of con&nuity: “Objects always shik or mutate over &me, and, if we become aware of this constant movement, we may be able to understand the world as a much more open, nego&able space” . This quote from Olafur Eliasson,12 ar&st, make us ques&on the rigidity of space when it encounters the element of colour. To be aware of this approach enables us to have an ac&ve rela&onship to a coloured environment: “Its instability, its evanescence and its mobile iden&ty” . Olafur Eliasson even speaks of an “open-ended process,13 rather than a discrete or ponctuel act of looking” in our interac&on with colour. These process allow14 Eliasson to work on projects that will generate movement and that can not be observed from a distance or with a passive contempla&on. Opening up uncertain&es and instabili&es through the use of colour s&mulates a constant consciousness towards our bodies and minds. Eliasson’s main goal is to give the visitors the opportunity to relearn to be opened and afen&ve to our bodies, with all its senses. He manages to do so by using colour in its unexpected and imbalanced capaci&es. An example of his approach is the installa&on Your Uncertain Shadow that aimed to ac&vated the visitor’s body by puIng their physical movement at the center of the produc&on: the body itself generates light and colour. This approach to colour, according to the philosophers James, Nietzsche, John Dewey and Henri Bergson, gives us the opportunity to “escape the numbing claims of habits and rou&ne” . The imbalance or discon&nuity of coloured experiences generate a disrup&on of habits15 16 through our bodies and senses. By these sensi&ve s&muli, we remain alive, anchored in our body, in our feelings, and in the lived moment. We are awakened against habit, boredom, and stability, which enriches our bodily experience and the way we take our place in the world.

ELIASSON O., 2006, « Some Ideas about Colour », Olafur Eliasson: Your Colour Memory, p. 7712 CRARY J., 2004, « Your Colour Memory: Illumina&ons of the Unforeseen » In Olafur Eliasson: Minding the world, Edited by Olafur Eliassonand13 Gife Ørskou, Exhibi&on catalogue, Aarhus: ARoS Aarhus Kunstmuseum, p.220 Id., p.22114 Id., p.22315 Olafur Eliasson’s descrip&on to the use and effect of colour on ourselves and our lives16 CRARY J., 2004, « Your Colour Memory: Illumina&ons of the Unforeseen » In Olafur Eliasson: Minding the world, Edited by Olafur Eliassonand17 Gife Ørskou, Exhibi&on catalogue, Aarhus: ARoS Aarhus Kunstmuseum, p.223

Figure 5. Your uncertain shadow installa&on, Olafur Eliasson, 2015, London, source : hfps:// olafureliasson.net

SeHng the psychic back in mo6on Second of all, movements generated by colours are also psychological. As we have started to understand that colour is one of the elements that s&mulates the rela&onship with ourselves, our way of being, our imagina&on and our ability to open up to the world. By ac&va&ng space, by crea&ng movement and by genera&ng emo&ons and sensa&ons, colour ac&vates the imagina&on that we develop for ourselves of our experiences. We can therefore perceive colour as an element allowing us to “explore the imagina&on as a living media&on structuring the experience of the world” . This act17 of seIng in mo&on, both physically and psychologically, allows us to anchor ourselves in space and in the exchanges that we encounter: “this trans-posi&on of the subject can only be explained by the

Acknowlegments I wish to thank Chantal DUGAVE for her investment and interest in my research. Ibid., 18 Ibid.,19 TABET P., 2013, Peindre la vie. Phénoménologie de l’invisible In : La Vie et les vivants : (Re-)lire Michel Henry20

.95ac&on of an imagina&on crea&ng the impression of living inside beings and things as if they lived in us” . Therefore, colour s&mulates the imagina&on through its sensory and emo&onal capaci&es. Thesociologist,18 Phillipe Descola, emphasizes this characteris&c, explaining that “detached from feeling, colour has no existence”19 Our rela&onship with colour is consequently rooted in the temporality of our self, our feelings, and our subjec&vity. We are in perpetual evolu&on and transforma&on through the events of life, which implies the impossibility of repea&ng a sensi&ve phenomenon. The ac&ve nature of colour s&mulates us and seeks to set our body and our imagina&on in mo&on within space. These movements and feelings allow us to “experience ourselves” by focusing our afen&on on our body and mind. According to Philipe Descola, experiencing ourselves/feeling ourselves is the very essence of life, since one lives the experience and existence of oneself without distance, without hindsight. It is precisely when we experience ourselves that we can gain awareness of our vitality, of our existence as unique living beings. Taking &me to feel this phenomenon is part of our encounter with ourselves and therefore of the development of our personhood, of our iden&ty, and of our wellbeing. According to Kandinsky, intangible elements open up the world to the unexpected, mysterious, and indescribable, allowing us to experience what he describes as “the essence of our invisible life”20 These invisible phenomena s&mulate what is strongest, deepest, and most indescribable in our experience of the world and of ourselves. The hypothesis I developed through my research asks, therefore, not how colour can bring physical treatment or care to certain needs. Rather, I seek to ques&on how colour can generate psychological well-being through the vitality it s&mulates in the human experience of space. This movement that is induced by colour, both physically and psychologically, brings us knowledge and awareness of ourselves and the ways we feel. I therefore developed the Leporello with the idea that its uses and interac&ons with colour and space would generate psychological well-being in pa&ents of Lyon’s hospital. Furthermore, we must keep in mind that this project is set in a very specific environment: the pa&ents under observa&on cannot necessarily move out of their beds. I therefore chose to ques&on and work on the ways that movement could be brought to the oken-stagnate hospital rooms of these pa&ents. This is how I believe the experience and use of the coloured Leporello could generate movement in the pa&ents’ limited spa&ality. As was men&oned previously, I did not have the opportunity to test the Leporello in its intended environment as a result of the healthcare-related constraints imposed to the COVID-19 pandemic. However, during my &me in the hospital and in my work with Laure Mayoud, I was able to grasp the profound impact ar&s&c works can have. Her encounters and discussions with the pa&ents made me realise how much a pain&ng, a picture, or simply a colour has the ability to open up windows to the outside and imaginary world of the pa&ent. By paying afen&on to these produc&ons, pa&ents are transported and are given the opportunity to escape from the difficult reality of the hospital. These observa&ons allowed me to develop the hypothesis on which I based my research and allowed me to define the ways the Leporello would generate psychological well-being for the pa&ents through the movements created by colours.

-Books:KANDINSKY

W., 1988, Du spirituel dans l’art et dans la peinture en par<culier, Paris, Gallimard, Folio. Essais, 210 pages CRARY J., 2004, « Your Colour Memory: Illumina<ons of the Unforeseen » In Olafur Eliasson: Minding the world, Edited by Olafur Eliasson and Gife Ørskou, Exhibi&on catalogue, Aarhus: ARoS Aarhus Kunstmuseum, p.209-225. URL : hfp://olafureliasson.net.s3.amazonaws.com/texts/ Your_Colour_Memory_Illumina&ons_of_the_Unforeseen_by_Jonathan_Crary_111191.pdfELIASSONO.,2006, « Some Ideas about Colour », Olafur Eliasson: Your Colour Memory, (Glenside, 2006), p. 75–83. URL : Some_Ideas_About_Colour_109981.pdfhfps://s3-eu-west-1.amazonaws.com/olafureliasson.net/texts/ Ar<cles C TRONTO J., 2008, « Du care », Revue du MAUSS, 2008/2 (n° 32), p. 243-265. URL : hfps:// www.cairn.info/revue-du-mauss-2008-2-page-243.htmGIRAULTE.,2010, « Joan Tronto, Hervé Maury, Un monde vulnérable. Pour une poli<que du "care" », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, URL : hfp://journals.openedi&on.org/lectures/ TABET929 P., 2013, Peindre la vie. Phénoménologie de l’invisible In : La Vie et les vivants : (Re-)lire Michel Henry [en ligne]. Louvain-la-Neuve : Presses universitaires de Louvain. URL : hfp:// books.openedi&on.org/pucl/2736

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