Abadaringi

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Jeroen Janssen

ABADARINGI


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ABADARINGI Je vous présente un album. Ou plutôt, je vous présente un projet. Pendant quelques années j’ai fait le tour de Belgique, France avec mes cahiers et stylos. Pays-Bas. J’ai fait quelques allers-retours au Rwanda. J’ai apporté́ mes carnets, mes feutres et pinceaux. J’y suis allé à la recherche des mémoires, de personnages, de lieux chers que j’ai connus avant le génocide. J’ai recueilli des histoires pour ce qui aboutira dans l’album « Abadaringi ». Un éditeur a déjà​̀ été́ trouvé en Flandres. Excusez-moi donc que la petite partie de la maquette qui a déjà​̀ été́ faite, est en néerlandais. Pour mieux vous faire comprendre l’histoire, j’ajouterai quelques publications récentes en langue française, qui parlent du même sujet. Des histoires dans lesquels j’ai utilisé́ des croquis qui feront partie de l’album. Mais de plus en plus, je suis convaincu que dans l’album, le rôle principale doit être réservé aux « abadaringi » : « ceux de l’Ecole d’Art ». Les anciens élèves, mes anciens élèves. « Abadaringi », c’est le nom qu’ils donnent eux-mêmes, même si les villageois parlent plutôt des « abakorudare ». Ce qui a la même signification, mais avouez, cela résonne moins mélodieux. L’album comptera, comme d’ailleurs mon album précédent “Doel”, environ 320 pages. Mémoires, interviews, récits de vie et histoires de retrouvailles des abadaringi résidants au Rwanda, en Belgique et ailleurs. L’album sera édité́ en Flandres par Oogachtend, fin 2015. Et pour les éditeurs entre vous: le Fonds Flamand des Lettres (www.vfl.be) sera prêt à fournir quelques subventions pour les frais de traduction.


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« Nous sommes et restons des Abadaringi »* « Au Rwanda, dans la paroisse de Nyundo, entre les collines vertes qui séparent les eaux du Nil et du Congo, et les terres de lave fertiles à l’ombre des volcans, se trouve la seule école des Beaux-Arts du pays. Dans les années 90, avant le génocide, j’enseignais le dessin là-bas. Je m’asseyais souvent dans le jardin des frères, près de la salle polyvalente, pour assister les élèves qui dessinaient les arbres et les plantes. C’était, et c’est toujours un endroit inspirant : les oiseaux, le paysage et la rivière Sebeya qui s’élargit et gronde quand il y a trop de pluie… Maintenant je dessine les élèves qui s’exercent sous la surveillance de la nouvelle prof, Anaïs.

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Je ne peux, je ne pourrai jamais me séparer de cette école. J’y retourne de temps en temps, et en ce moment je travaille sur un livre qui racontera l’histoire de ses habitants : les ouvriers, les frères des écoles chrétiennes, les voisins. Et l’histoire des anciens élèves. Ceux qui ont fait leur vie au Rwanda, ceux qui résident en Europe. Il y a une semaine, on a organisé en Flandre la première réunion des Abadaringi, les élèves de l’école des Beaux-Arts - au moins ceux d’avant 1994. Certains ont comme moi la chance d’y retourner de temps en temps, d’autres se sont réfugiés en Europe sans espoir, courage ou envie d’y retourner. Mais tous, nous sommes et restons des Abadaringi.»

*Cette page a été publiée sur le site de XXI, dans “Le dessin du lundi”


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Les pages suivantes ont été faites pour le bulletin annuel de l’ONG belge RCN Paix et Démocratie. Les dessins feront partie de « Abadaringi ». Dans le texte, qui a été écrit en français spécialement pour l’ONG (mais qui ne fera pas partie de mon livre) j’explique ma relation avec le Rwanda et avec l’école d’Art de Nyundo. Et ma motivation pour faire l’album « Abadaringi ». Suffisamment de raisons pour vous présenter ces pages.

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Les pages suivantes sont les premiers essais de maquette pour l’album définitif. La version originale est écrite en langue néerlandaise, ma langue maternelle. Dans ce chapitre, je parle de mon premier retour au Rwanda après le génocide, en 2007. Je constate quels lieux (n’) ont (guère) changés, qui sont les gens que je retrouve, qui sont les absents. Les deux doubles pages d’ouverture contiennent des dessins que j’ai faits dans les jardins de l’Ecole d’Art de Nyundo avant 1994, avant le génocide. Dans les pages suivantes j’utilise des dessins actuels, pour montrer comment les choses (n’) ont (pas) changés. Les travaux de reconstruction des bâtiments qui ont souffert de la guerre. Les rencontres avec anciens profs et ouvriers. Ma rencontre avec la nouvelle bibliothécaire …

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Ci-après une autre histoire que je reprendrai dans mon album (après avoir changé le format de la page de A4 normal en A4 à l’italienne). Cette histoire a paru en 2007 dans le magazine flamand « Knack ». Elle est importante parce que c’est l’année de ma première visite après la guerre de 1994. Mais j’y ajouterai des nouveaux éléments au texte basés sur mes visites en 2012 et 2014. Bien que 95% des textes et dessins den mon album datent d’après 2012, je tiens à vous montrer ceci parce que c’est une des rares parties dont j’ai déjà une traduction en français (voir page 27, tout de suite après les dessins)

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Septembre 2007 Jean Damascene est un fort bel homme. Même chauve, ce Tutsi de deux mètres ne peut passer une porte sans se baisser (les portes ne sont pas bien hautes à Rubavu). Jean est pasteur de l’Association des Églises de Pentecôte du Rwanda (ADEPR). Son fils Adolphe lui succédera en tant que sculpteur.

l’appelle sur son portable. Comme quoi, le progrès est partout, même dans le fin fond du Rwanda. Qu’il soit encore vivant est un véritable miracle. Durant les premiers jours du génocide, il s’était tenu coi chez lui, sans trop se cacher. A chaque fois que les Interahamwe venaient frapper à sa porte, un voisin leur annonçait que Damascene était déjà mort.

Ses meilleurs clients, les touristes, ne viennent plus à Nyundo, mais son église est comble. J’ignore s’il était déjà Pentecôtiste dans les années '90, avant le génocide, lorsqu’il y avait encore beaucoup de touristes. A l’époque, ses statuettes se vendaient comme des petits pains, que ce soit dans son atelier, dans des douteux attrape-touristes ou dans les hôtels plus chics de Gisenyi et de Kigali. Aujourd’hui, son magasin a disparu. Il ne lui reste qu’un atelier à ciel ouvert, ainsi qu’une église de Pentecôte dans le fond de son jardin, où il accueillera petit à petit toute une flopée de fidèles qui se rendaient avant 1994 à la Cathédrale catholique de Nyundo.

Sa mère, son frère et une sœur ont été tués, mais son Dieu doit être drôlement puissant puisqu’il l’a protégé, lui et sa famille. Plus tard, il a suivi le flot de réfugiés hutus au Zaïre. Il n’avait pas le choix. Ceux qui restaient étaient considérés comme des rebelles. Mais sa famille n’est pas restée longtemps à Goma, où elle était inquiétée et menacée par les milices hutus qui avaient suivi les réfugiés. C’était bien avant les grands camps où les milices hutus faisaient la pluie et le beau temps et où des milliers de réfugiés sont morts de privations et de maladies.

Aujourd’hui, Damascene a cinq enfants. Sa fille aînée a elle aussi cinq enfants, tandis que son second, Adolphe, en a deux.

Damascene et sa famille ont retrouvé quelques-uns de leurs meubles dispersés à Nyundo, parmi lesquels quelques statuettes un peu étranges. Il promet de me les trouver et de les nettoyer.

Nous sommes accueillis par Adolphe. Malgré les faibles notions qui me restent du Kinyarwanda, je parviens à lui faire comprendre que je ne suis pas un touriste à la recherche d’un souvenir, mais une vieille connaissance de son père. Damascene est pour l’instant aux champs, mais son fils

Nous sommes tout sauf de bons touristes. Nous nous promenons en savates à Kigali et nous nous rendons à Gisenyi en taxi-brousse. Pire : les jolies statuettes de Damascene ne me tentent pas. Tout ce qui


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m’intéresse, c’est de savoir ce qu’est devenu Jean Kanyabugoyi, le sculpteur de Kinyanzovu.

Aujourd’hui, Kanyabugoyi ne vit plus. Il a travaillé quelque temps chez Damascene, dans son atelier, s’est enfoui tout comme lui à Goma pendant la guerre et est rentré au pays, où il est mort aussi misérable qu’avant. Jean Kanyabugoyi était un pauvre hère, un paysan sans terre. Je le vois encore débarquer chez notre ami hollandais Edwin, qui a vécu à Kinyanzovu jusqu’en 1993. Il avait sur le dos un sale sac de farine, d’où il sortit toutes sortes de choses merveilleuses, que ne j’avais jamais vu ailleurs. Ici, pas de statuette de gorilles et de femmes légèrement vêtues, comme on en voyait partout, mais de robustes hommes Bugoyi* en costard, avec une belle horloge (ou même deux, signe d’opulence). Et aussi une crèche ayant la forme d’une grotte. Edwin lui avait commandé une image de la misère et c’était là l’interprétation qu’il y avait donnée. Kanyabugoyi réalisait ses grossières statuettes en bois tendre local, avec comme seuls outils quelques vieux morceaux de ferraille (ses soi-disant ‘burins’). Il les coloriait avec des crayons de couleurs et avec de la cire d’abeille. Le noir, il l’obtenait en brûlant des pneus. Nous avons eu de ses nouvelles peu après la guerre. Notre ancien directeur de l’École d’Arts, Frère Iokin, ne partageait pas notre faible pour son œuvre, mais au moins il comprenait notre fascination.

J’aimerais acheter une de ses statuettes. Kinyanzovu est très proche du Congo. Y a-t-il moyen de s’y rendre à pied ? Pas de souci, je connais un peu le chemin, même après toutes ces années. D’abord quelques heures tout droit sur un large chemin de sable entre les bananeraies. Passé le drôle de cratère de Cyanzarwe, il faut tourner à gauche, après quoi, je demanderai. Ça m’aide que les gens me prennent pour Edwin. Ils ne l’ont manifestement pas oublié. Et son retour semble faire fort plaisir. Il y a en même qui chantent et qui dansent. Lorsque je refais le même chemin en


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septembre 2012 avec ma fille et une nièce, je sais déjà qu’on approche de Kinyanzovu lorsqu’on commence à m’appeler Edwin. A Kinyanzovu, nous rencontrons l’ancien boy d’Edwin, qui nous conduit jusqu’à sa maison. Or il ne reste plus rien du coquet jardinet hollandais. Les arbres fruitiers et les agaves ont disparu. Le jardin est envahi d’herbes folles et de fleurs sauvages. La maisonnette est toujours là : elle n’a plus de porte, toutes les fenêtres sont brisées, à l’intérieur tout est vide et crasseux. La chambre à l’arrière, celle d’Edwin, est squattée par une ou deux pauvres femmes. Tout est plat, tout est vide, même les clapiers ont disparu. Je reconnais le foyer (les nuits sont froides à Rwerere) et l’évier en pierre, même s’il n’en reste que les murets.

tout sobre et essaie de nous séduire avec ses bas-reliefs doucereux et d’élégantes coupelles. Un objet saute aux yeux : un plat noir jais rustique avec dans le haut et dans le bas un monstre à huit pattes. Il est peint avec du suif et a de méchants petits yeux rouge profond. A-t-il été réalisé par Kanyabugoyi ou par un de ses concitoyens ? Le monstre représente l’éclair, « Inkuba ». Car l’éclair est invisible. Nous n’entendons que son grondement, ne voyons que ses éclairs, explique Damascene. C’est pourquoi il est tellement dangereux. Plus tard, j’apprendrai qu’Inkuba était aussi le nom qu’on donnait aux milices de jeunes extrémistes hutus en 1994.

Et la peinture murale du pavillon, qu’Edwin a fait réaliser en 1992. Signée YOHANI KANYABUGOYI. Quelques jours plus tard, Jean Damascene me rend visite dans la maison où nous logeons, Lennert et moi. Il porte un sac de farine usé, dont il sort de merveilleux objets. Septembre 2012 Cinq ans plus tard, je rends visite à Damascene avec ma fille Lina et ma nièce Hanne. L’atelier a disparu. Damascene nous reçoit dans son séjour

*région démunie dans le nord-ouest du Rwanda, sur la lave des volcans environnants


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Voici quelques dessins que j’ai faits lors de mon dernier voyage, février 2014. Mieux serait dire, mon avant-dernier voyage, mais les dessins que je ferai en octobre, je ne pouvais plus les ajouter au dossier avant de le présenter. Et quelques dessins que j’ai fait chez les abadaringi en Europe, ceux de la diaspora. Je place les dessins au fur et à mesure, la logique deciendra clair une fois j’aurai placé les textes. Mais je vous les montre pour dépeindre un peu cet ambiance flamando-rwandaise.

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Jeroen Janssen Né en Belgique, en 1963, il fut clair dès la maternelle que je n’étais pas fait pour autre chose que le dessin. Mais je n’en vis pas uniquement. Pour faire bouillir la marmite, j’ai été aide dans la psychiatrie, chauffeur, jardinier, assistant de pub dans une entreprise d’aliments pour bétail, facteur, prof de dessin, formateur de peintres/tapissiers handicapés. Actuellement, je suis assistant bibliothécaire. Après un séjour de cinq ans au Rwanda comme enseignant aux Beaux-Arts, j’ai publié plusieurs albums : entre autres « Muzungu, Sluipend gif » (« Homme blanc, poison insidieux », 1997), « La Revanche de Bakamé » (La Boîte à bulles, 2010) et "Doel" (2013). J'ai publié dans des journaux et magazines tels que De Standaard, MO*, HUMO, De Morgen (B), Zone5300 (NL), Stripburger (SLO), Chimurenga (ZA), XXI (F).

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Actuellement j’ai un projet de récit BD sur Franz Schubert avec le scénariste hollandais Pieter van Oudheusden († 2013) et je finirai bientôt l’album « Abadaringi » : une BD reportage sur les gens de l’Ecole d’Art de Nyundo (Rwanda).

Steenhouwersstraat 3 9050 Ledeberg-Gent Belgique 0032 486 275 233 0032 9 324 93 59 Jeroen.janssen@pandora.be www.bakame.be


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