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Land
T H E M A
27.01.2023
« Peace and harmony» Bernard Thomas
Le Luxembourg soigne ses relations avec Pékin, en tentant de ménager les susceptibilités de Washington
L’ambassadeur, le Premier ministre et le ministre de l’Économie, lors de la réception du Nouvel an chinois
Trois poids lourds du gouvernement s’étaient déplacés jeudi dernier au « palais de l’Arbed » pour assister à la réception du Nouvel an chinois (celui du lapin). Par leur présence, Xavier Bettel, Franz Fayot et Yuriko Backes envoyaient un signal clair en direction de Pékin : Le Grand-Duché de Luxembourg continue à soigner ses relations avec la République populaire de Chine. Les discours restaient très convenus et génériques, comme s’ils avaient été générés par ChatGPT. La ministre des Finances libérale disserta sur le zodiaque du lapin : « Rabbits are very lovely, very energetic, also very naughty animals sometimes », mais ils seraient également « paisibles et fertiles ». Yuriko Backes cita brièvement les sept banques chinoises établies au Luxembourg, « and of course also the BIL », et mit en garde contre les tendances protectionnistes : « All of us should remember that globalization really is a very net positive ». Chacun des intervenants promit de faire court. Le brouhaha fut tel que Xavier Bettel dut à un moment rappeler l’audience à l’ordre : « It would be nice and
« Rabbits are very lovely, very energetic, also very naughty animals sometimes » Yuriko Backes, ministre des Finances
polite to listen to our next guest ! » Ce fut finalement Franz Fayot qui prononça le speech le plus bref. Le ministre socialiste n’avait pas vraiment intérêt à s’étendre. Car la transposition de sa « human rights due diligence » sur le terrain glissant des relations commerciales reste aussi abstraite qu’au jour où elle fut annoncée, voici dix mois.
Hua Ning, le nouvel ambassadeur chinois au Luxembourg, prit la parole. L’auditoire tendit l’oreille et le bruit ambiant baissa d’un cran. Il déclara sa volonté de « consolider » la position du Luxembourg en tant que « China’s leading partner within the European Union ». Évoquant la « Chinese-style modernisation », le diplomate s’en tenait strictement aux éléments de langage du Parti communiste chinois. « We have optimized our Covid-19 response », dit-il à propos de l’abandon abrupt de la stratégie zéro Covid. Suivait la représentante du bureau de commerce de Hong Kong. Alors que la péninsule vient d’être mise au pas, elle expliqua fièrement à l’auditoire : « We have stayed true to our aspirations in the implementation of one country, two systems ». La « rule of law » serait garantie, tout comme les « open markets » et un « independent judiciary ». Hong Kong jouirait des « avantages » de faire part de la Chine et avancerait vers un « brighter future », rempli de « peace and harmony ».
Les ministres luxembourgeois évoquèrent tous la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine, la qualifiant sans fard d’agression « brutale » et « inacceptable » (Bettel) ou « méprisable » (Fayot). L’ambassadeur chinois n’y fit qu’une référence indirecte, évoquant pudiquement de « conflits géopolitiques ». L’émissaire de Pékin, accrédité depuis septembre dernier, se distingue pourtant de ses prédécesseurs. Déjà parce que, contrairement à ces derniers, il ne parle pas le français mais l’anglais. Hua Ning est également relativement jeune. Pour les anciens ambassadeurs chinois, le Luxembourg constituait traditionnellement le dernier poste, relativement pépère, avant la retraite. On le dit enfin « plus ouvert d’esprit », c’està-dire plus porté sur le business. Cela ne transparaît évidemment pas dans ses déclarations publiques. En 2021, alors qu’il était encore ambassadeur au Soudan du Sud, Hua Ning signait une tribune intitulée « Eliminating Poverty : China’s Practices and Implications » dans le quotidien Juba
Monitor. Il y citait fièrement l’exemple de la région autonome Xinjiang pour illustrer les bienfaits de la politique chinoise : « The problem of absolute poverty in Xinjiang has become the ‘past tense’ and people of all ethnic groups live and work in peace and contentment. » Et de rappeler la doxa officielle : « It has always been China’s assertion that the people are what human rights are all about ». D’après l’Onu, pas moins d’un million de Ouïghours seraient passés par des camps d’internement (que Pékin qualifie de « centres de formation professionnelle »). En juillet 2019, le Grand-Duché avait cosigné une lettre condamnant cette détention de masse dans le Xinjiang. Cela avait nécessité un certain courage diplomatique. Il avait fait défaut à douze États membres de l’UE. Devenu membre du Conseil des droits de l’homme à Genève, le Luxembourg n’a pas tergiversé sur sa position. En octobre, le Grand-Duché a soutenu la proposition de mettre à l’ordre du jour un rapport traitant de la situation au Xinjiang.