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(Adel Abdessemed, ADAGP Paris / Photo: Damian Griffith )

Ce hors-série ne peut être vendu séparément Le Temps Vendredi 3 juin 2016

ARTS ZURICH, CAPITALE DE L’ART

MANIFESTA 11 ADEL ABDESSEMED, L’ARTISTE DU CRI ART ET LETTRES: TROIS GRAPHISTES SE LIVRENT

Arts

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Le Temps l Vendredi 3 juin 2016

ÉDITO

Zurich en art capital SOMMAIRE

MANIFESTA 11

DANIELLA & TONATIUH

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Emmanuel Grandjean

Par Linn Levy

4 Christian Jankowski

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Voilà de quoi nourrir encore un peu plus le petit complexe de l’amateur d’art romand qui trouve dans la capitale alémanique ce dynamisme contemporain qui manque parfois à sa région. Mais les choses changent. A Lausanne, le chantier de Plateforme10 avance à une vitesse supersonique. Sur le modèle de certaines capitales européennes, les autorités vaudoises vont ainsi regrouper leurs musées à l’intérieur d’un périmètre où le design, la photographie et les beaux-arts s’exposeront dans les bâtiments d’une nouvelle garde d’architectes. A Genève, où les choses sont toujours plus compliquées, pas de grands projets en vue, mais une nouvelle direction. Celle du Musée d’art moderne et contemporain (Mamco) dont le nouveau responsable signait le 31 mai son premier accrochage. Au Mamco, Lionel Bovier ouvre des lignes, notamment vers la Suisse alémanique et surtout vers Zurich. Il était temps.

ADEL ABDESSEMED, ADAGP

Le choix de la ville de Zurich par le comité de la biennale Manifesta pour sa 11e édition participe de cette logique à la fois économique et cosmopolite.

Son directeur, l’artiste allemand Christian Jankowski, a justement bâti son programme sur cette cité à la richesse ostentatoire. L’exposition, intitulée «Ce que font les gens pour l’argent: quelques collaborations», a motivé des associations entre les artistes invités et la population locale. L’écrivain Michel Houellebecq a ainsi œuvré avec un docteur en médecine interne, et l’artiste italien Maurizio Catellan avec Edith Wolf Hunkeler, athlète handicapée, championne des Jeux para-olympiques.

6 Galerie Bernheim

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Adel Abdessemed: «Je suis un artiste du cri»

L’artiste cristallise dans un catalogue en trois volumes la variété de ses créations. Rencontre dans son atelier parisien autour de cette partie de son œuvre qui donne une nouvelle vie à des images puisées dans l’histoire de l’art comme dans l’actualité.

Par Elisabeth Chardon

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Les graphistes, agents de voyages de l’art

L’art, c’est aussi une affaire de lettres. Partez à la rencontre de trois bureaux suisses qui œuvrent en lien étroit avec la scène contemporaine. Et perpétuent la tradition d’une excellence helvétique pour le livre d’art.

Par Elisabeth Chardon et Emmanuel Grandjean

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22 Carmen Chaplin

Carmen Chaplin, qu’avez-vous fait de vos rêves d’enfant?

Dans chaque numéro, Isabelle Cerboneschi demande à une personnalité de lui parler de l’enfant qu’elle a été, et de ses rêves. Une manière de mieux comprendre l’adulte qu’il ou elle est devenu(e). Plongée dans le monde de l’imaginaire.

Par Isabelle Cerboneschi

Editeur Le Temps SA Pont Bessières 3 CP 6714 CH – 1002 Lausanne Tél. +41 21 331 78 00 Fax +41 21 331 70 01 Président du conseil d’administration Stéphane Garelli

Adel Abdessemed, «Bristow», 2016, acier, borne, 174 x 35 x 28 cm (Adel Abdessemed, ADAGP Paris 2016 / Photo: Damian Griffith )

A Zurich, la force de l’art contemporain

La Ville a su mettre en place des conditions favorables pour que se développe un réseau d’institutions, galeries et espaces dédiés à la création actuelle. Elle en profi e aujourd’hui aussi bien au niveau culturel qu’économique.

Analyse d’un phénomène unique en Suisse.

Par Catherine Cochard

10 Adel Abdessemed

GETTY IMAGES

En quelques années, Zurich et Bâle, avec elle, sont ainsi devenus les centres névralgiques de l’art contemporain en Suisse, et au-delà dans le monde.

C’est ici que sont implantées quelques-unes des plus puissantes galeries du marché, là que les collectionneurs habillent leurs murs. Ce n’est d’ailleurs un secret pour personne: un artiste suisse romand qui veut percer sur la scène internationale doit presque obligatoirement être représenté par un marchand zurichois.

DENIS SAVARY

Longtemps, l’amateur romand d’art contemporain a porté son regard vers Zurich, observant avec les yeux de Chimène cette ville qui ne craint aucune audace.

Et s’étonnait, à chacune de ses visites, de l’ouverture d’un nouveau lieu dédié à la création d’aujourd’hui, voire de l’érection d’un building entier où galeries, librairie et centre d’art se mettaient ensemble pour défendre la culture contemporaine. Ce qui se passait rarement chez lui.

Les Zurichois en pleine Manifesta

L’artiste berlinois Christian Jankowski a été nommé curateur de la Biennale européenne d’art contemporain, qui se déroule pour la première fois en Suisse. Le travail, l’argent, et la collaboration entre artistes et non-artistes sont les thèmes de cette 11e édition.

Direction Ringier Axel Springer Suisse SA Directeur Suisse romande Daniel Pillard Rédacteur en chef Stéphane Benoit-Godet Rédactrice en chef déléguée aux hors-séries Isabelle Cerboneschi

Rédacteur responsable du hors-série Arts Emmanuel Grandjean Rédacteurs Isabelle Cerboneschi Elisabeth Chardon Catherine Cochard Emmanuel Grandjean Linn Levy Responsable production Nicolas Gressot Réalisation, graphisme Mélody Auberson Nicolas Gressot Margaux Meyer Responsable photolitho Denis Jacquérioz Correction Samira Payot

Conception maquette Bontron & Co SA Internet www.letemps.ch Gaël Hurlimann Courrier Le Temps SA Pont Bessières 3 CP 6714 CH – 1002 Lausanne Tél. +41 21 331 78 00 Fax +41 21 331 70 01 Publicité Admeira Publicité Le Temps Pont Bessières 3 CH – 1002 Lausanne Tél. +41 21 331 70 00 Fax +41 21 331 70 01 Directrice: Marianna di Rocco

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ISSN: 1423-3967

Arts

Le Temps l Vendredi 3 juin 2016

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«Lorsque je lui ai présenté le concept de l’exposition, Houellebecq n’a pas vraiment réagi.

Mais sans dire non.

Le lendemain, j’ai reçu un appel me disant: il a rêvé de la Manifesta, il faut que tu passes à son appartement ce matin»

EXPOSITION

Les Zurichois en pleine Manifesta L’artiste berlinois Christian Jankowski a été nommé curateur de la Biennale européenne d’art contemporain qui se déroule pour la première fois en Suisse.

Le travail, l’argent, et la collaboration entre artistes et non-artistes sont les thèmes de cette 11e édition. Linn Levy

SHARON LOCKHART ET MANIFESTA 11

a sphère est la dimension constitutive de l’expérience humaine, expliquait le génial et très global philosophe allemand Peter Sloterdijk. Peut-être est-ce l’amour de la sagesse ou l’irrévérence qui a poussé son compatriote, l’artiste Christian Jankowski, à vouloir à tout prix entraîner le public zurichois de la 11e Manifesta hors du cercle restreint du monde de l’art. Car le curateur a mis un point d’honneur à exposer une grande partie des œuvres d’art de la biennale hors des sentiers battus qu’empruntent habituellement les visiteurs. Aux institutions classiques et au «Pavillon of Reflection » spécialement créé pour l’occasion sur la surface du lac de Zurich (l’ambiguïté de la traduction est voulue: «Pavillon des reflet » et «Pavillon de la réflexio », ndlr), s’ajoutent des «Satellites»: des lieux privés dans lesquels le public n’a jamais pu entrer auparavant et où ses œuvres seront accrochées durant les cent jours que dure la biennale.

Christian Jankowski a choisi pour titre : «Ce que font les gens pour l’argent: quelques collaborations» («What people Do for Money: some Joint Ventures»).

Trente artistes ont été appelés à choisir une profession hors du domaine de l’art, avec laquelle ils souhaitaient travailler. Puis, chacun d’eux a été mis en relation avec un professionnel zurichois.

Le duo a ensuite créé une œuvre inédite. Et c’est le fruit de ces 30 collaborations qui sera exposé – entre autres lieux – dans ces Satellites, c’est-à-dire dans les bureaux des professionnels «hôtes», disséminés aux quatre coins de la ville de Zurich. L’artiste italien Maurizio Cattelan a ainsi collaboré avec une athlète paralympique, la performeuse mexicaine Teresa Margolles a œuvré avec une travailleuse du sexe transsexuelle et la jeune française Marguerite Humeau a travaillé avec un ingénieur en robotique. Star incontestée mais inattendue dans ce genre d’événement d’art contemporain, l’écrivain français Michel Houellebecq s’est, quant à lui, associé avec un médecin pour donner à voir aux visiteurs l’intérieur de son corps. A ces énigmatiques binômes s’ajoute une exposition historique, co-curatée avec la Britannique Francesca Gavin.

La onzième Manifesta sera aussi la première tentative curatoriale de l’artiste Christian Jankowski, qui, à quelques jours de l’inauguration, a accepté de répondre à nos questions et d’expliquer son programme aussi complexe que pléthorique.

Sharon Lockhart, «Lunch Break Installation», Duane Hanson: «Sculptures of Life», 2003.

tutions d’art classique, sous forme de films au œur du «Pavillon of Reflection », et dans les Satellites, les bureaux de chacun des «hôtes» zurichois. J’ai voulu à la fois créer des liens entre artistes et nonartistes, et entraîner le public à sortir du traditionnel «White cube», à regarder de l’art sur d’autres murs que les cimaises immaculées des galeries d’art.

MANIFESTA 11

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Christian Jankowski, curateur de la Manifesta.

Le thème de l’argent semble être au cœur de vos préoccupations pour cette Manifesta 11. Est-ce lié au fait que tout cela se déroule à Zurich, capitale économique de la Suisse?

J’ai en effet d’abord su que la Manifesta se déroulerait à Zurich, puis j’ai décidé du titre et de la thématique centrale. Les deux sont indubitablement liés, même si, en tant qu’artiste, le travail et l’argent sont des sujets avec

lesquels j’ai déjà souvent eu l’habitude de travailler. Ils sont liés au monde dans lequel nous vivons, à nos valeurs, nos paradigmes. Le concept au cœur de cette 11e Manifesta est au fond assez simple: j’ai voulu que les artistes choisissent un domaine professionnel qui les intéresse, puis collaborent avec des professionnels zurichois. Le résultat de cette «joint-venture» sera présenté sous trois formes: au sein d’insti-

Les artistes curateurs sont assez rares à prendre la tête de manifestations de cette envergure. Comment envisagezvous votre travail?

C’est déjà arrivé plusieurs fois par le passé, notamment à la Biennale de Berlin, avec Maurizio Cattelan ou Artur Zmijewski.

Et j’ai appris que la prochaine biennale d’Istanbul serait dirigée par le duo d’artistes scandinaves Elmgreen & Dragset. Mais vous avez raison, c’est peu commun.

Mon attitude, ma façon d’aborder les choses sont exactement les mêmes que lorsque je travaille en tant qu’artiste. Je n’ai aucune idée de la façon dont un curateur traditionnel pense et je ne peux pas me changer: je travaille ici comme j’ai toujours travaillé.

Il s’agit simplement d’un autre système, d’un bateau plus grand.

L’intérêt que j’ai toujours nourri pour l’art me sert dans ce nouveau challenge. Car oui, c’est un immense challenge. Cet exercice oscille entre paradis et enfer.

Et j’avoue attendre encore un peu le paradis. Il arrivera sans doute le jour de l’inauguration!

Pourquoi avoir accepté de diriger cette Manifesta 11 ?

C’était une occasion unique, ce genre de proposition n’arrive qu’une fois dans une vie. Et j’aime l’expérimentation. J’aime l’art, sous toutes ses formes. On m’a demandé de le faire, j’ai accepté.

Puis ensuite, nous avons été trois à être en compétition jusqu’à la décision finale Vous avez créé des binômes entre artistes et non-artistes. Cette idée de collaboration comporte-t-elle une part idéologique: vouliez-vous démontrer que la collaboration est plus fructueuse que la compétition individuelle érigée en norme contemporaine?

L’idée a été de créer des ponts, d’arriver à des résultats surprenants, inattendus. J’ai eu envie

Arts

ETH STUDIO EMERSON

Le Temps l Vendredi 3 juin 2016

MANIFESTA 11

MARCO SCHMITT

Dessin préparatoire pour le «Pavillon of Reflections» par les a chitectes britanniques Studio Emerson.

L’écrivain Michel Houellebecq avec Henry Perschak, docteur zurichois en médecin interne.

de montrer à quel point il est faux de croire que l’artiste crée de façon isolée: son travail est toujours poreux, infiniment en lie avec le monde qui l’entoure.

La collaboration permet au plasticien d’échanger avec d’autres personnes, d’autres métiers. Cela crée des liens, au niveau professionnel, créatif mais aussi personnel. C’est une histoire qui s’écrit entre deux personnes. In fine, c est le processus – le chemin, si vous voulez – qui m’intéresse. Il n’y a ici pas de morale, pas de slogan. L’idée est diffuse, non pas idéologique: ne faites confiance à personne vant de voir une œuvre d’art de vos propres yeux et vous pourrez ainsi vous faire votre propre opinion.

Votre volonté de décloisonner, de sortir le monde de l’art de ses frontières que vous jugez trop étroites, saute aux yeux.

Bien sûr. J’aime découvrir jusqu’où le travail de l’artiste contemporain peut modifie son environnement, mais aussi comment ce dernier peut altérer la création artistique. Placer ces œuvres d’art dans des endroits qui ne sont pas des «white cubes» offre des perspectives inédites.

Je suis un entremetteur. J’aime faire circuler les informations, les idées, les matériaux entre les artistes et professionnels d’autres domaines. J’ai d’ailleurs été impressionné par l’engagement et la générosité de chacun pour faire vivre cette biennale. Prenez l’exemple de la police de Zurich: l’engagement des agents qui ont collaboré pour un remake du fil L’ange exterminateur de Luis Buñel a été total, ils se sont comportés comme des héros de l’art! Par ailleurs, aucun des 30 professionnels qui ont collaboré avec les artistes ne nous a demandé de loyer pour exposer les œuvres d’art. Autre exemple: la Werdhölzli, la plus grande station d’épuration de Suisse, au cœur de Zurich, a collaboré sans problème et gratuitement avec l’artiste Mike Bouchet, qui a voulu récolter l’ensemble des déchets produits en une journée pour en faire des sculptures cubiques, qu’il expose aujourd’hui au Migros Museum.

A quoi servent les grandes manifestations artistiques comme la Manifesta?

J’adore ce genre d’événements.

Beaucoup de monde y va, cela

Extrait d’un film de Ma co Schmitt avec des agents américains. Pour la Manifesta, l’artiste allemand a choisi de collaborer avec la police de Zurich.

permet d’être en contact les uns avec les autres, de rencontrer de nouvelles personnes, de voir de l’art, de sentir ce qui se fait. Pour un artiste, c’est une expérience assez centrale. On ne dort pas beaucoup, on marche beaucoup, on parle beaucoup, on voit beaucoup d’expos, on boit beaucoup…

Depuis que je suis un étudiant, je me rends systématiquement aux Biennales de Venise, à la Documenta, à la Manifesta…

L’écrivain Michel Houellebecq est l’une de vos têtes d’affiche Vous l’avez initialement contacté pour qu’il écrive un texte pour le catalogue, mais l’idée d’une collaboration plus concrète est née. Comme cela s’est-il déroulé?

J’ai d’abord essayé de le contacter avec cette idée de texte pour le catalogue, mais je n’ai pas reçu de réponse. Puis, j’ai tenté de le joindre à travers son agent, avec l’idée de le faire participer plus activement – en tant qu’«artiste» – à la Manifesta. A nouveau je n’ai pas reçu de réponse… Lorsque j’ai appris qu’il allait participer à une exposition au Palais de Tokyo à Paris, j’ai appelé son directeur Jean de Loisy, qui m’a mis en contact avec lui. J’ai rencontré Michel Houellebecq dans le bureau de Jean. Je lui ai présenté le concept de la Manifesta, mon idée d’une collaboration artistique avec un professionnel zurichois : il n’a pas vraiment réagi. Mais il n’a pas dit non. Puis,

il s’est levé et a quitté la pièce.

Le lendemain, j’ai reçu un appel me disant : Houellebecq a rêvé de la Manifesta, il faut que tu passes à son appartement ce matin.

Nous y sommes allés à l’heure dite. Avons frappé à sa porte, sans recevoir de réponse. Nous sommes allés boire un café, avant de réessayer quelques heures plus tard, il a enfin ouvert. Il débouché une bouteille de vin blanc, nous avons fumé d’innombrables cigarettes. Et il a choisi de travailler avec un médecin zurichois. Comme exemple, il nous a montré des photos de son corps que son docteur avait prises de lui. Puis, il est venu à Zurich pour tout mettre en forme.

Vous avez tenu à ce que le public intervienne aussi dans le processus créatif: il est invité à produire des performances au Cabaret Voltaire ?

Absolument. Là aussi, l’idée de collaboration in situ a été fondamentale. Tout au long des cent jours que dure la Manifesta, la scène du Cabaret Voltaire est ouverte à tous. Il suffit à chacun de prendre une page A4, sur laquelle il a dessiné un moment clé de sa performance et en a écrit un court résumé. Cela doit nous être envoyé par la poste ou par e-mail.

Le «Pavillon of Reflections» qu flot e sur le lac de Zurich a été qualifié d’«icône a chitecturale» de la Manifesta. Expliquez-nous.

Le pavillon flotte g âce à des pontons immergés, ce sera une sorte d’île avec un cinéma en plein air, un bar et, entre les deux, une piscine ouverte.

Les films proje és se re éteront à la fois dans l’eau et sur le grand écran. L’expérience sera totale.

Le bâtiment a été conceptualisé par le bureau d’architectes britanniques Tom Emerson, en collaboration avec 30 étudiants en architecture de l’EPFZ. J’ai tenu à ce que chacune des 30 collaborations entre artistes et non-artistes fasse l’objet d’un film documentaire. our ce faire, j’ai établi une sorte de «charte de tournage», charte que j’ai soumise à l’approbation de Jean-Luc Godard, qui me l’a donnée.

Pour moi, le film capture la érité d’un moment, sans être cette vérité. J’aime ce que cela révèle, ce que cela altère. En matière de création, c’est le processus qui m’a toujours intéressé: ce qu’il y a juste avant l’art, ce qui reste après. Le point de transition, le seuil. Et bien sûr la relation entre les gens. Aux binômes artistes-non-artistes, j’ai à chaque fois ajouté une sorte de troisième «œil», un adolescent zurichois qui a suivi le processus créatif depuis l’origine. J’ai appelé ces jeunes, les «détectives de l’art».

Manifesta 11, du 11 juin au 18 septembre, Zurich. Plus d’infos: m11.manifesta.org

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MARCHÉ

A Zurich, la force de l’art contemporain La ville a su mettre en place des conditions favorables pour que se développe un réseau d’institutions, galeries et espaces dédiés à la création actuelle. Elle en profi e aujourd’hui aussi bien au niveau culturel qu’économique.

Analyse d’un phénomène unique en Suisse. Par Catherine Cochard

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ieux qu’ailleurs dans le pays, c’est à Zurich que le marché de l’art contemporain a pris ses quartiers. Bien sûr, Bâle demeure la ville qui a vu naître et grandir la foire la plus importante en la matière, mais le nombre de galeries y est restreint, malgré la présence de collectionneurs d’art très importants. «Ici, les amateurs achètent à un niveau de prix moins élevé qu’à Bâle, mais ils acquièrent énormément de pièces, ils sont très actifs, ce qui rend le marché très dynamique», explique Eva Presenhuber, galeriste d’origine autrichienne – installée dans la capitale économique suisse dès la fin des années 1980 – et qui fait partie des noms qui comptent sur la scène internationale.

Soft power

DENIS SAVARY

L’exposition du Vaudois Denis Savary à la galerie Maria Bernheim.

Très tôt, la ville au bord de la Limmat a su entrevoir la plus-value économique à tirer d’une politique culturelle forte et décomplexée. Publiée en mars 2015, une étude intitulée Kultur als Wirtschaftfaktor (la culture comme facteur économique) montre les retombées de ce «soft power» sur l’économie réelle de la région. Commandée par la Julius Bär Stiftung et réalisée par l’institut BAKBASEL, cette recherche indique que les établissements culturels de la ville (théâtres, salles de concerts, festivals, musées) sont subventionnés à hauteur de plus de 200 millions de francs. Et poursuit en affirmant «Les 61 établissements culturels zurichois bénéficiaires de subventions publiques ont «produit» en 2013 des prestations culturelles d’une valeur totale de 296 millions de francs […]. La chaîne de valeur brute liée à cette production s’est élevée à 212 millions de francs, cette dernière ayant également engendré près de 1360 créations d’emplois à plein-temps.»

Aujourd’hui, de nombreuses sociétés établies dans la ville de Zurich et le reste du canton profitent de l’activité économique des lieux de culture finan és par les contribuables. «Les entreprises régionales sous-traitantes sont impliquées sur toute la chaîne de valeur du processus de production, étaie l’étude de BAKBASEL. En 2013, les établissements culturels bénéficiant de subventions publiques ont acheté des prestations externes pour un montant de 84 millions de francs. D’autre part, le commerce local et le tissu professionnel de la ville profiten du fait qu’une partie des salaires alimente en retour le circuit économique local sous la forme de dépenses de consommation à hauteur d’environ 160 millions de francs.»

Naissance d’un marché

Couplée à des facteurs socio-économiques comme l’importante

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bord de la Limmat, quelque chose de particulier prenait forme. «Zurich, ville financière marquée par son rapport à l’argent décomplexé, avait moins de tabous que Bâle ou Berne vis-à-vis de l’aspect commercial de l’art et à sa fina ciarisation.» Puis ce fut au tour de la ville de prendre conscience du potentiel offert par l’art contemporain. «Quand les autorités ont compris l’importante plus-value pour l’image, le tourisme et l’économie de la ville que cela pouvait représenter, elles se sont engagées dans une politique à même de défendre cette culture émergente.

Aujourd’hui, l’art contemporain fait partie de l’identité de la ville.»

L’ancienne brasserie Löwenbrau regroupe plusieurs lieu d’art dans le quartier du Kreis 5.

tait pas à Zurich, il est né grâce à un mouvement de jeunesse et d’opposition, qui a offert une alternative à la culture dominante de leurs parents et de la haute société zurichoise.»

Culture alternative

Des artistes comme Peter Fischli, David Weiss, le photographe Andreas Süss ainsi que des intellectuels tels que la curatrice Bice Curiger, l’éditeur Patrick Frey, ou encore l’entrepreneur Martin Heller soutenaient cette scène politisée, dotée d’une conception de la culture complètement différente de celle de la ville alors. «C’est cet esprit alternatif qui a servi de socle au développement de ce que l’on connaît aujourd’hui, analyse Da-

THIES WACHTER

présence à Zurich de professionnels des industries créatives (graphistes, architectes, designers, publicitaires), cette politique culturelle a particulièrement profi é au développement du marché de l’art contemporain à Zurich. Un développement discontinu, mais dont on peut établir l’origine à la Deuxième Guerre mondiale, lorsque de nombreux marchands d’art ont trouvé refuge au bord de la Limmat.

Une genèse hautement symbolique pour sceller une tradition.

Il faudra néanmoins attendre la fin des années 1980 pour que le marché de l’art se développe hors du moderne et du classique pour s’intéresser à la création actuelle.

«Jusque dans les années 1980, il y avait très peu d’art contemporain à Zurich, explique Daniel Baumann, le directeur de la Kunsthalle Zürich. Les choses se faisaient à Bâle, notamment sous l’impulsion de Jean-Christophe Ammann à la Kunsthalle, et à Berne où Harald Szeemann puis Johannes Gachnang, Jean-Hubert Martin et Ulrich Loock imaginaient des expositions qui firent date.» Zurich était alors une ville conservatrice ne favorisant pas l’expression culturelle de ses jeunes citoyens.

Au printemps 1980, des révoltes éclatent partout en Europe. Les contestataires zurichois exigent des espaces indépendants des structures étatiques. Les relations avec les autorités se tendent. Pendant près de deux ans, la lutte pour l’obtention d’un centre autonome se poursuit, puis le mouvement de protestation se dissout.

Mais les revendications des jeunes font leur chemin. «En 1985, la Kunsthalle Zürich a ouvert ses portes avec comme directeur d’alors Bernhard Mendes Bürgi, continue Daniel Baumann. Auparavant, l’art contemporain n’exis-

niel Baumann. Le changement de mentalité, l’énergie sont venus de la rue, dans l’opposition mais avec aussi énormément d’humour.» On peut évoquer l’exposition organisée dans sa cuisine par le commissaire d’exposition Hans Ulrich Obrist, en référence à des propositions semblables qui avaient pris place dans les années 1970. Dans cet accrochage devenu mythique – mais vu, à l’époque, seulement par 29 personnes – les artistes, dont Fischli & Weiss ou Christian Boltanski, avaient notamment fabriqué des boîtes de conserve surdimensionnées qui trônaient sur les étagères en contreplaqué comme sur un autel.

Peu à peu, des galeries commerciales viennent s’installer aux

côtés de la Kunsthalle et des autres institutions d’art contemporain sises dans le quartier du Kreis 5 pour profiter de l’effervescence de cette scène émergente. C’est à partir de ce moment-là que le marché a réellement commencé à se développer. «Plus qu’ailleurs en Suisse, il y avait à Zurich des jeunes citadins qui voulaient se meubler avec des pièces de design actuel, conduire une Saab ou une Volvo et pas la Mercedes de leurs parents, se rappelle Daniel Baumann. Ces nouveaux consommateurs ne désiraient pas non plus accrocher aux murs de leur appartement un Fernand Léger ou un Paul Klee: ils appréciaient les œuvres d’art contemporain conçues par des artistes de leur génération.» Au

Brassage culturel

Un bâtiment, plus que tout autre, a occupé une place déterminante dans le développement de l’art contemporain à Zurich. Il s’agit de l’ancienne brasserie Löwenbräu, renommée «Löwenbräukunst», et sous le toit de laquelle sont notamment regroupés la Kunsthalle, le Migros Museum für Gegenwartskunst, les galeries Hauser & Wirth, Bob van Orsouw, Eva Presenhuber ou encore la maison d’édition Patrick Frey. «Ce bâtiment et les institutions qu’il abrite, c’est ça qui a fait la différence et marqué la scène de l’art contemporain à Zurich en proposant sous un seul et même toit une offre à même de satisfaire les collectionneurs d’ici et d’ailleurs», commente Eva Presenhuber. Autour de ce pilier, c’est tout un quartier des arts, le Kreis 5, qui a pris forme.

Et pourtant, rien ne destinait le Kreis 5 à une carrière artistique.

Le quartier était à l’origine celui des travailleurs et des industries.

A la fin des années 70 et dans les années 80, la crise vide les usines de leurs employés. D’importants

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DR

STEFAN ALTENBURGER PHOTOGRAPHY ZÜRICH

ANNIK WETTER

ANNIK WETTER

Vue de l’exposition d’Elizabeth Murray. Nouvelle venue dans le Kreis 5, la galeriste Maria Bernheim a trouvé un emplacement en face de la Löwenbrau.

La galeriste Eva Presenhuber et une vue de l’exposition de Matias Faldbakken dans son espace de la Prime Tower.

Boom, crise et reprise

«Entre 2002 et 2008, le marché de l’art contemporain à Zurich a connu une période faste, se souvient Eva Presenhuber. Il y eut ensuite la crise, les résultats ont échi, puis ils se sont repris.» Et aujourd’hui? Selon l’étude de BAKBASEL, l’avenir est radieux. «La ville de Zurich profite actuellement du boom du secteur du tourisme urbain en général, conclut le rapport. Par ailleurs, la dynamique des dépenses culturelles de la population locale est en hausse. Les établissements culturels subventionnés par l’argent public profitent eux aussi de cette double tendance. Les projections des calculs concluent à une augmentation annuelle moyenne de 1,2% de la valeur ajoutée brute créée

par ces établissements à l’horizon 2019, année où elle devrait s’établir à 228 millions de francs.»

Mais qu’en est-il sur le terrain, pour les acteurs zurichois de l’art contemporain? Inaugurée en décembre dernier, la galerie Maria Bernheim fait partie des nouvelles adresses fédératrices du Kreis 5. «J’ai eu la chance de pouvoir trouver un espace juste en face du Löwenbräu, ce qui me permet de profiter de l’important passage, indique Maria Bernheim, la propriétaire de l’enseigne. Il y a à Zurich une ambiance particulière qui favorise la compétition saine entre les différentes entités.» Une entente collégiale qui bénéfici à tout le monde. «Les collectionneurs ne se déplacent pas pour une seule exposition mais pour cinq ou six accrochages puisque nous nous arrangeons pour ouvrir tous en même temps.» Des collectionneurs qui viennent de Suisse et d’ailleurs, la proximité avec Bâle et la qualité des acteurs locaux ayant depuis longtemps forgé sa réputation de ville qui compte pour l’art contemporain à un échelon international. «Toute l’année, nous avons accès à des acheteurs qui viennent de tous les pays, pour les affaires ou le tourisme. Mais le moment le plus important demeure le week-end juste avant Art Basel qui nous apporte énormément de monde. Les visiteurs de la foire ont pris l’habitude de passer par Zurich avant de se rendre à Bâle.»

Maria Bernheim n’aurait pas imaginé un meilleur endroit en Suisse pour ouvrir sa galerie. «C’est parfois même trop facile d’être à Zurich car on peut, rien qu’avec la clientèle locale, faire tourner une enseigne décemment, sans faire des ventes et des chiffres mirobo-

lants, mais tout de même ça peut très bien fonctionner.»

De façon tout à fait pragmatique, Zurich, en tant que ville la plus peuplée de Suisse, offre un public quantitativement assez important pour que les affaires puissent être rentables. «Le week-end, ce ne sont pas que les citadins qui affluen mais également les habitants des zones en périphérie et de villes comme Winterthour ou Aarau, indique Daniel Baumann. A Zurich, il y a tout simplement beaucoup plus de monde qu’ailleurs en Suisse et les visiteurs d’exposition font preuve d’une réelle fier é à défendre et soutenir la culture contemporaine de leur ville.»

LUKAS WASSMANN

volumes sont laissés à l’abandon, la scène créative s’en empare. La Kunsthalle, le Migros Museum für Gegenwartskunst, des espaces et galeries d’art s’installent dans les murs de l’ancienne brasserie.

Le Löwenbräu a également permis à la ville de montrer son attachement et son soutien à l’art contemporain. En effet, en 2011 pour éviter que la régie immobilière PSP propriétaire du bâtiment ne chasse ses locataires culturels, elle n’hésita pas à créer une société anonyme – Löwenbräu-Kunst AG – pour défendre et assurer la pérennité de ce haut lieu de l’économie artistique et créative.

Et mettre la main au portefeuille, puisque l’investissement pour la ville représenté par cette structure semi-publique – quasi unique en Suisse et s’inspirant du modèle américain de financement de la culture – s’élève alors à un tiers des 27 millions de capital-actions.

acteurs très actifs qui ne l’étaient pas autant au début des années 2000. En comparant ce qui prend forme là-bas avec ce qui se passe ici, j’ai parfois l’impression que Zurich s’endort sur ses lauriers…

Bien qu’on observe de nouvelles initiatives comme la galerie Maria Bernheim ou la Galerie Bernhard qui défendent la nouvelle génération d’artistes.»

La ville subit de plein fouet la période post-boom. Une fois qu’on a atteint l’objectif que l’on s’était fi é, comment retrouver l’ambition des débuts? Hormis cette baisse de motivation, une autre menace plane sur la scène artistique: la gentrification. «La

l’art contemporain acquis par Zurich. La scène artistique se caractérise par un nombre important d’«artist-run spaces», des lieux d’exposition et d’expérimentation tenus par des artistes et que la ville soutient en partie. «Il y a environ une vingtaine d’espaces de ce type comme Taylor Macklin, Plymouth Rock, Counter Space, Up State, Corner College ou Réunion, énumère Daniel Baumann. Ces nouveaux acteurs ré échissent à l’art et proposent de nouvelles pistes. Leur approche est primordiale pour redynamiser la scène.»

Un esprit neuf qui rappelle celui des origines. «Depuis la crise de 2008, la nouvelle génération

«A Zurich, de nouveaux acteurs ré échissent à l’art et proposent de nouvelles pistes. Leur approche est primordiale pour redynamiser la scène» Daniel Baumann, directeur de la Kunsthalle Mais ce réservoir important d’amateurs et acheteurs potentiels n’est pas sans danger: le confort qu’il offre favorise parfois une certaine fainéantise… «Il y a 15 ans, Zurich, au même titre que New York ou Londres, faisait partie des villes qui comptaient pour le marché de l’art, rappelle Daniel Baumann. Mais les choses ont changé et aujourd’hui on assiste à la montée en puissance de Milan, São Paulo, Mexico City, Los Angeles, Hongkong, Berlin ou encore Paris. Il y a au moins dix

finance et ses professionnels qui sont omniprésents à Zurich ont tendance à pousser les artistes hors de la ville en faisant grimper les loyers des logements et des espaces de création, s’inquiète Maria Bernheim. Si la ville ne parvient pas à retenir ceux qui produisent de l’art, elle risque de perdre son principal intérêt et moteur d’innovation.»

L’esprit des origines

Il n’y a pas que le marché qui participe au statut de leader suisse de

d’artistes essaie de prendre de la distance vis-à-vis du marché de l’art. Elle s’efforce de trouver des alternatives au tout-puissant modèle commercial qui gouverne le milieu. On sent de nouveau l’envie de discuter du contenu, de se rencontrer, d’échanger, d’explorer, de s’organiser différemment.

Comme si l’esprit des origines, celui à l’œuvre lorsque la scène a émergé au milieu des années 1980, refaisait surface. C’est du moins tout ce que je peux souhaiter à Zurich!»

Arts

«Untitled», 2014.

Lames de bistouri

ADEL ABDESSEMED, ADAGP, PARIS 2016, COURTESY OF THE ARTIST / PHOTO MARC DOMAGE

10 Le Temps l Vendredi 3 juin 2016

Arts

Le Temps l Vendredi 3 juin 2016

RENCONTRE

Adel Abdessemed: «Je suis un artiste du cri» L’artiste cristallise dans un catalogue en trois volumes la variété de ses créations. Rencontre dans son atelier parisien autour de cette partie de son œuvre qui donne une nouvelle vie à des images puisées dans l’histoire de l’art comme dans l’actualité. Par Elisabeth Chardon

Ç

a ressemble à un rendez-vous clandestin. Un rendez-vous qu’on attend depuis des semaines, qu’on imagine un moment à Londres, et puis soudain, un jour à Paris, on tape les codes des deux portes successives d’un petit immeuble du Xe arrondissement, on sonne à une porte anonyme et Adel Abdessemed vous ouvre, enjoué. Il a mis un disque, un vinyle.

«Ce sont les seuls qu’on écoute vraiment.» Il prépare deux petits cafés. Il le boit sans sucre. Pas commun pour quelqu’un qui a grandi en Algérie? «Oui, pour mon père, c’est quatre cuillères, mais moi je ne sucre rien.» Adel Abdessemed est clairement un émancipé. Son art nous le prouve depuis plus de vingt ans, on le vérifiera au long de cette rencontre.

Le prétexte de ce rendez-vous, c’est un livre. Une somme plutôt.

Un coffret de trois ouvrages qui accueillent l’œuvre de l’artiste à ce jour, éclairé par une belle poignée d’éminents penseurs.

L’idée lui avait été souf ée par Alain Seban, alors président du Centre Pompidou, pendant la préparation de la grande exposition parisienne de 2012, Adel Abdessemed Je suis innocent. Trop tard pour qu’un livre conséquent accompagne l’événement, mais il n’a pas abandonné. Et c’est à Genève, par l’intermédiaire des éditions Macula, qu’il a trouvé ses graphistes. Joanna Schaffter et Vincent Sahli ont peaufi é le cadre tout d’élégante sobriété qui accueille les œuvres de manière plus ou moins chronologique, le dessin remplissant un volume à lui seul. «C’est un livre qui va cristalliser ma production, montrer comment je fais les choses, comment je les quitte, je ne suis pas contre la répétition, j’aime la ligne droite, mais avec des zigzags. Ce livre montre mes zigzags et ma ligne droite. Je suis un artiste qui pratique la multiplicité.»

Le coffret paraît ce mois de juin aux éditions Walther König.

Lors de notre rencontre, il n’est encore que virtuel, nous en avons vu les poupées, volumes aux pages blanches, et feuilleté chez les graphistes les dernières versions numériques. Dans l’atelier, plusieurs œuvres prennent soudain vie. Comme cette présence christique, ce torse dessiné de quelques traits vigoureux, torsions plutôt que chairs, nœuds plutôt que côtes. Le cruci é ouvre le volume de textes. Sur la photo, l’éclat d’une ampoule nue fait briller les barbelés coupants qui sculptent la tête. Elle a été prise là, dans l’atelier. Sur le cliché gure aussi le grand visage contemplatif d’une femme. «C’est un dessin qui n’existe plus. Je l’ai détruit. C’était une commande.

Je suis bon le matin, très, très tôt. Je recharge et je recharge, puis j’attaque après comme un sanglier. Le modèle est venu dans l’après-midi. Aussi, elle me l’a commandé et je réponds mal aux commandes.» Le portrait, qui aurait été destiné à une vente de charité, n’est plus que là, dans le livre. Pourquoi le placer autant en évidence, puisqu’il a été détruit? «J’aime bien montrer ce que je peux faire, mais je ne suis pas contre le fait de voir mes erreurs.» Il a les yeux malicieux cet homme.

Christ en souffrance

Cette photographie de l’atelier est justement la première d’une série de pages que nous avons sélectionnées pour servir de base à l’entretien. Toutes montrent des œuvres qui doivent à d’autres images, préexistantes, appartenant à l’histoire de l’art ou à l’actualité. Nous lançons la conversation: «Travailler la figure du Christ, ce n’est pas une évidence quand on a grandi en Algérie?»

La réponse est déjà dans le titre de cette œuvre mi-sculpture mi-dessin: Histoire de l’art (2011-2013).

Pour l’artiste, ce symbole ne concerne pas seulement la chrétienté. «Dans ce cri historique, il y a la souffrance, la culpabilité, c’est un cri pour toute l’humanité, c’est aussi celui d’un individu. Dans le

Christ, il y a toute l’humanité; c’est toute l’humanité qui crie avec lui.

Je suis un artiste du cri, il y en a eu d’autres avant moi.»

Aussi, Adel Abdessemed rappelle qu’il est né à Constantine, la ville de la diaspora juive en Algérie, où la chrétienté était aussi présente avec ses chapelles et ses monastères. «Je suis né dans une maison juive et des religieuses chrétiennes ont aidé ma mère à me donner naissance. Dans le quotidien de ma petite enfance, ces questions ne se posaient pas.

Plus tard, à Batna, j’ai aussi vu le Christ par la porte de l’église qu’on entrouvrait.»

C’était dans un temps où les images avaient leur poids, où elles étaient rares. «On n’avait que la télévision en noir et blanc avec des films du régime. On découpait des images. J’adorais aller chez ma grand-tante qui avait un ou deux dictionnaires dont je pouvais feuilleter les pages, voir les illustrations. Ensuite, ma première découverte, c’était dans la rue, à Batna. Des bouquinistes posaient des livres par terre et je suis tombé sur L’Encyclopédie de Diderot et

arrivée en France, il est allé à Colmar voir le Retable d’Issenheim de Matthias Grünewald. Une quinzaine d’années après cette visite, il présentera aux côtés du Christ du maître de la Renaissance allemande quatre cruci és de barbelés. «Grünewald a peint comme un médecin qui fait une autopsie. Quelqu’un qui va disséquer le corps pour trouver l’origine du malheur. Très vite, j’ai pensé au fi barbelé. Ou plutôt je l’ai vu. Mes idées, ce sont des rêves du jour.

Quand je dessine, quand je trace une ligne, c’est vraiment comme le bistouri sur un corps. C’est ce qui m’a motivé pour le choix de ce matériau. Je suis très sensible à la matérialité de l’image. Elle reflèt la substance, la présence que je veux donner à voir.» Et d’ajouter: «Le corps du Christ est vide, c’est un corps en épines. Je l’ai multiplié pour montrer que cette douleur est infinie » Quatre cruci és, pour échapper au trois. «C’est ce qui permet d’appeler l’œuvre Décor (2001-2013), de souligner que l’art n’est plus dans le symbole au service d’une religion.»

«Je suis bon le matin, très, très tôt.

Je recharge et je recharge, puis j’attaque comme un sanglier» d’Alembert. Et c’était magnifique parce qu’on y voyait méticuleusement illustré comment on fabrique un toit, comment on fait du tissage, comment on peut couper un tronc pour faire un mât de bateau. Voilà, le dictionnaire, L’Encyclopédie, les images fi ées par de l’encre sur une pauvre feuille, c’est ce qui m’a marqué – sans parler de la présence des animaux dans la ville, de la terre, de la lumière, du côté sec du paysage.»

En 1994, Adel Abdessemed a quitté une Algérie dévorée par les horreurs de la guerre civile et par les assassinats d’intellectuels et d’artistes. Très tôt après son

Barques de migrants

Le barbelé, Adel Abdessemed l’a utilisé dans plusieurs pièces. En 2006 déjà, pour Salam Europe, une création exposée à Vejer de la Frontera, tout au sud de l’Espagne. Un monumental rouleau, dont la longueur reprenait la distance entre Tarifa et Tanger.

«C’est là que j’ai commencé à penser à ce qui est advenu plus tard.» Il évoque notamment ses dessins de barques de migrants qui affluaient alors vers Lampedusa, série initiée en 2012.

«Voilà encore un cri. Ce n’est pas celui du théâtre, de l’opéra, chez moi c’est un autre cri.»

Dans l’ouvrage, le philosophe italien Emanuele Coccia analyse magistralement cette clameur qui traverse l’œuvre d’Adel Abdessemed, et qui passe bien sûr par la sculpture Cri (2012) dont nous parlerons aussi. «Faire de l’art l’espace privilégié du cri, comme semble s’y employer Abdessemed, signifie lui reconnaître un rôle particulier, la capacité de donner forme au psychisme en l’arrachant aux symboles et au régime des signes», écrit-il.

Des lames encore, mais de bistouris. Elles hérissent cette sculpture sans titre dont nous avons aussi choisi de parler. Adel Abdessemed a représenté le sacrifice d’Isaac, d’après la toile du Caravage mais sans l’ange, vision de décapitation qui, très vite, a aussi fait référence à de violentes images d’actualité. «C’est mon père et moi. J’ai fait cette œuvre avant que Daech ne décapite.»

Pourquoi avoir fait poser son propre père? «J’ai aussi posé moimême, sourit-il. Il n’existe pas d’art qui ne soit pas autobiographique. Toute œuvre puissante est autobiographique. Primo Levi, après Auschwitz, a écrit «j’ai honte d’être un homme». J’ai honte de cet homme-là. J’ai tenté plusieurs fois de montrer que l’animal le plus féroce de toutes les espèces c’est vraiment l’homme. Y compris son propre père.»

Julia Kristeva a nourri de conversations avec l’artiste ce qui est sans doute le texte le plus magnifique du livre. «Vous n’êtes pas moraliste. Vous ne montrez pas la voie et n’avez aucune feuille de route. Vous nous introduisez dans votre laboratoire – à nous de jouir, de nous angoisser, de penser!

Sans même nous aider à nous en sortir?» Et de se livrer, de raconter comment elle a fait face à l’impossibilité d’enterrer son père, ultime cruauté subie du régime communiste bulgare, en écrivant un polar métaphysique.

Depuis son exil, Adel Abdessemed a vécu en France, à New York, à Berlin, au Maroc, à Londres.

Il dit qu’il n’a aucune langue, que ce n’est pas à lui d’expliquer

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ADEL ABDESSEMED, ADAGP, PARIS 2016, COURTESY OF THE ARTIST / PHOTO MARC DOMAGE

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«Hare», 2015.

Pierre noire sur papier.

ADEL ABDESSEMED, ADAGP, PARIS 2016, COURTESY OF THE ARTIST / PHOTO JULIE ABDESSEMED

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«Nafi sa», 2006.

C-print.

ses œuvres, mais il dialogue volontiers avec les philosophes.

Avant ce catalogue, plusieurs ouvrages ont déjà témoigné de ces échanges, comme cette nourrissante correspondance avec Hélène Cixous parue aux éditions Galilée en 2014. «La philosophie m’aide. Je n’ai pas le temps de lire de simples romans, ce que j’ai lu c’est Dostoïevski, Les Frères Karamazov, c’est Gogol, Le Manteau, Les Ames mortes, où les personnages sont déjà philosophiques.»

Dans l’atelier parisien, la conversation se poursuit: «Dans mon art, je libère des choses, je libère même la vie. Dans L’Histoire de la folie (2013), la vidéo où avec mon pied j’écrase le crâne, c’est le vivant qui frappe la mort. Je libère la vie de ces choses qui sont obscures, indéchiffrables, cachées. Je suis comme de la foudre, et mon art donne de l’éclairage dans la noirceur.» Et ne lui dites pas que la foudre est dangereuse. «L’énergie ne peut être que positive. L’art ne peut pas être négatif, ce n’est pas possible.»

rée par les lesbiennes du Sommeil de Courbet. Tour et détour des références… Puis Adel Abdessemed revient à la présence de ses parents dans ses créations. «Il faut éviter la psychanalyse, les interprétations symboliques, le père, c’est le lion, la mère, c’est la sécurité, le serpent et tout ça. Ça m’ennuie, ça m’enferme.»

La présence maternelle est aussi une forme d’hommage. «Mon père était responsable de toute sa famille, ses sœurs, ses frères, sa mère, nous y compris. Et c’était le seul salarié. Au milieu du mois, son salaire épuisé il n’y avait plus rien. Ma mère nous donnait une tranche de pain, de l’huile d’olive et de l’oignon et on était rassasiés.

Le lendemain c’était pareil, une

Père et mère

tranche de pain, de l’huile d’olive, un peu de sel, un peu de tomate, et on était rassasiés. A la fin du mois mon père recevait sa paye, et là c’était des choses au four, du rôti, de la pâtisserie, et on était aussi rassasiés. Ma mère inventait tout le temps, quand elle n’avait rien, quand elle avait beaucoup. Voilà comment ma mère pratiquait son art, son art du quotidien. Et mon art, c’est ça. Je prends mes rêveries du jour, et j’y vais. Grand ou petit,

La vie, elle est là justement, dans cette photographie où l’artiste est en posture horizontale, une position improbable, adulte dans les bras de sa mère. L’œuvre porte son nom, Nafissa (2006). Devant cette Pietà contemporaine, prise dans la rue, Adel Abdessemed évoque aussitôt Telle mère tel fil (2008), un de ses projets géants, qui voit s’enlacer deux carlingues d’avions. L’œuvre est en fait inspi-

peu importe, pour moi il faut que ce soit chargé.»

Nous lui montrons ensuite une double page du catalogue avec Mon Enfant (2014). La statue donne une troisième dimension au petit garçon photographié par les nazis lors de la liquidation du ghetto de Varsovie en 1943, et devenu une icône de la Shoah. «Je l’ai appelé ainsi parce que je ne veux pas qu’il y ait de distance. Il aurait pu être mon enfant. Je l’ai fait peut-être. Il est vivant. En tant qu’artiste, je ne suis responsable qu’envers mon œuvre. Aujourd’hui, si on clique sur Google, on trouve des multitudes d’images d’enfants morts de tuberculose, d’accidents. Ces images m’ont laissé sans voix. Et je me suis demandé comment leur

«... Ma mère inventait tout le temps, quand elle n’avait rien, quand elle avait beaucoup» donner une nouvelle vie. Barthes explique que les photographes ne sont là que comme des témoins, je voulais aller au-delà. Je voulais être sur le lieu du crime – je le suis toujours.» Pour cela, il a donné une troisième dimension au petit garçon, mais aussi à Kim Phuc, dont tout le monde connaît la photographie, prise alors qu’elle courait nue, hurlant sa douleur de fillette brûlée par le napalm durant la guerre du Vietnam.

Ivoire de mammouth

«J’ai choisi l’ivoire, et même de l’ivoire de mammouth, car c’est un matériau très précieux. Vivant, il contient la mémoire de toutes les époques qu’il a traversées. Ni Google ni personne ne peut encore une fois assassiner ces enfants.» La petite fille en ivoire est là dans l’atelier, gracile, comme évadée de sa souffrance. Kim Phuk est venue la voir. «Oui, elle était là, dans l’atelier, c’était émouvant.

Pour moi, ces figures sculptées, je les ai adoptées. Elles sont comme mes enfants.» D’ailleurs, la sculpture de Kim Phuc a été réalisée en quatre exemplaires, selon la taille des propres filles de leur auteur. Une grande photographie les montre avec leur mère, Julie, dont on retrouve également plusieurs fois le portrait dans l’œuvre.

«Nous artistes ne pouvons nous limiter à être des témoins, ni même comme des détectives.»

Le petit garçon sorti les bras en l’air du ghetto, il l’a aussi dessiné, et ses traits de pierre noire donnent la vie, là où la photographie l’a fi ée. Nous lui montrons la double page du catalogue où face à ce dessin, un autre enfant, le même qui aurait pu vivre, grandir, jouer, ou l’artiste lui-même, est en équilibre sur les mains.

«Oui, j’ai renversé la perspective.»

Et de nous renvoyer au texte de Philippe-Alain Michaud dans l’ouvrage. «L’autoportrait en équilibriste est le contraire de l’enfant du ghetto, mais il en est aussi le retournement extatique: au lieu de lever les mains, l’artiste les pose

sur la feuille où elles laissent leur empreinte, et si l’on retourne à nouveau la feuille, il apparaît alors sous les traits d’un funambule tenant en équilibre dans le vide.»

Et le philosophe de poursuivre en convoquant le funambule de Jean Genet.

Impossible d’éviter quelques représentations animales, tant elles sont présentes dans l’œuvre, parfois au risque de quelques malentendus avec les amis des bêtes. Ou avec les prudes et les défenseurs du sacré, comme ce fut le cas avec Lise (2011), vidéo où une jeune femme tient au sein un porcelet. «Les animaux ne sont ni signes ni symboles, ce sont mes frères lointains, ce sont de vraies présences.» Il évoque Derrida, sa pudeur devant son chat lorsqu’il le fixait dans les yeux pendant qu’il prenait sa douche. Mais sur l’image, c’est d’un cochon qu’il s’agit, pas d’un chat, lui fait-on remarquer. «J’ai fait beaucoup d’œuvres avec des chats. Le cochon a sa place parmi les nombreux animaux présents dans mon travail: pigeons, coqs, tortues... D’ailleurs je ne suis pas musulman. Je suis né sur une terre où la majorité des habitants est musulmane. J’ai mangé du cochon très vite en arrivant en Europe. L’art traverse, la culture ne traverse pas. L’art, c’est quelque chose de très violent. Et c’est aussi mon amour pour les animaux. Je ne veux pas humilier l’Homme en le mettant au même niveau que l’Animal. Je place tout contre tout, et je me piège moimême.»

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PHOTO GILLES BENSIMON

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> Abdessemed, un livre et des expositions

Corps étalon

Le catalogue Adel Abdessemed, «Works, (19882015)».Publié par Kœnig Books, Londres, 2016. Trois livres sous coffret, 1252 pages, Anglais..

Tous les textes du catalogue ont été publiés en français chez Manuella Editions sous le titre: «Adel Abdessemed Par», janvier 2016, 240 pages.

«Bristow», une œuvre pour la 10e édition de Bold Tendencies, à Londres Bold Tendencies, c’est un grand festival des arts qui investit depuis dix ans un immeuble de parkings de Peckham pendant toute la belle saison (jusqu’au 1er octobre). Pour sa 10e édition, il accueille sur son toit «Bristow», une installation permanente créée spécifiquement par Adel Abdessemed. Et qui doit son titre à «Bristow», un comic strip paru pendant des décennies dans l’«Evening Standard». www.boldtendencies.com

ADEL ABDESSEMED, ADAGP, PARIS 2016, COURTESY OF THE ARTIST / PHOTO MARC DOMAGE

C’est un lièvre que nous faisons ensuite surgir. Si différent de celui de Dürer. Géant, il a fallu quatre feuilles juxtaposées pour le dessiner. «En vérité, c’est la taille de mon lit que je multiplie, et donc celui d’un corps. Quatre feuilles, ce sont deux corps. Mes rêveries de jour commencent allongé.» Parmi les artistes qui ont pris pour base la dimension du corps, c’est à Jannis Kounellis qu’il fait référence. «C’est lui qui m’a donné cette idée. Avec Habibi (2003) déjà, j’ai travaillé sur la multiplicité de mon corps. Sphère (2006), c’est aussi mon corps et celui de ma femme. Donc j’ai quatre formats essentiels.» Et de se rapporter au cinéma, celui de Bresson. «Dans Pickpocket, dans Un condamné à mort s’est échappé, ce ne sont qu’agencements de petits espaces.»

Ce lièvre géant, il n’est pas brûlé, ni abattu, il ne lui arrive rien apparemment, mais tout est dans la violence du trait. L’animal nous ramène à la pratique du dessin.

«J’ai besoin d’un modèle. Parfois je fais de petites sculptures que je peux retourner pour sentir les dimensions de l’objet. Je pense que je ne vais jamais y arriver, mais je n’abandonne pas, c’est un défi. Je dessine très vite, pas plus de dix minutes pour un dessin, quelle qu’en soit la taille. C’est une décharge, et ça montre mon désespoir de ne jamais y arriver.»

C’est peut-être ce désespoir agissant qui nous rend justement ses dessins d’une présence si urgente.

Vue de l’atelier.

«Coup de tête», 2012. Bronze.

Artiste invité du Festival d’Avignon L’affiche, c’est lui, une belle ruade imprimée sur fond orange. Mais Adel Abdessemed a aussi été invité par Olivier Py pour faire partie du programme. L’exposition «Surfaces» est annoncée à l’église des Célestins et sera animée de rencontres. Du 6 au 24 juillet. www.festival-avignon.com Toujours à Avignon, «Coup de tête» trouvera refuge dans la cour de la Collection Lambert, dans le cadre de l’exposition «Au cœur» (3 juillet au 6 novembre), www.collectionlambert.fr

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«Adel Abdessemed.

Works (1988-2015)» Publié par Koenig Books, London, 2016.

(Photos: Schaffter Sahli)

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«Citizen», 2015.

Graphite sur céramique.

«Adel Abdessemed.

Works (1988-2015)» Publié par Koenig Books, London, 2016.

(Photo: Schaffter Sahli)

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RUEDI BAUR

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COMMUNICATION VISUELLE

Les graphistes, agents de voyages de l’art I L’art, c’est aussi une affaire de lettres.

Partons à la rencontre de trois bureaux suisses qui œuvrent en lien étroit avec la scène contemporaine.

Et perpétuent la tradition d’une excellence helvétique pour le livre d’art. Par Elisabeth Chardon et Emmanuel Grandjean

l n’est pas d’art qui ne sorte de l’atelier sans accompagnement. Même le street art n’aurait pas tant de succès sans quelques expositions, quelques livres, quelques diffusions organisées. L’art qui se crée aujourd’hui comme celui qui continue à faire son chemin dans nos vies depuis les siècles passés circulent grâce à des galeries, des centres, des musées, des éditeurs. Mais quel que soit l’espace où nous le rencontrons, dans un livre ou sur un site internet, dans une petite galerie émergente ou au MoMa, il n’a guère pu se passer d’un graphiste.

Du simple flyer au riche catalogue, de l’espace muséal au site, ces designers visuels inventent

les cadres qui conviennent à l’art dans sa plus grande diversité. Ils trouvent l’accord nécessaire entre les œuvres et les appareils critiques et commerciaux qui vont de pair avec leur sortie au monde, ils donnent aux institutions la signalétique qui les différencie.

Nous en avons rencontré trois qui nous parlent de leur expérience dans ce domaine, de la créativité qu’il leur offre. Entre Ruedi Baur, le Franco-Suisse qui a fait ses débuts à Lyon dans les circuits d’art contemporain dans les années 80 et les jeunes quadragénaires que sont Marie Lusa et Gilles Gavillet, tous deux formés à l’ECAL, un point commun, un réel engagement, tout simplement le goût de l’art.

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Ruedi Baur met de l’art dans la signalétique

R

Question de contexte

Pour Manifesta, le graphiste a installé des silhouettes sur certains bâtiments. Un portrait de la population zurichoise en forme d’hommage à Otto Neurath, grand sociologue des années 1920-1930.

En bas à gauche: en 2014, Ruedi Baur faisait courir La Phrase sur 10 kilomètres de murs dans la ville de Mons.

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Rendre compte d’un projet muséal, Ruedi Baur en a l’habitude. Il a œuvré dans ce domaine dès les années 1990 pour le Louvre, le Musée Picasso, le Mamco de Genève, pour la seconde vie du Centre Pompidou, après sa réouverture en 2000, ou plus récemment au Musée Rodin pour lequel ses bureaux œuvrent à chaque nouvelle exposition. Cela lui a-t-il permis de développer une recette? «La question du contexte m’importe beaucoup. La recette est de ne pas en avoir, mais de réagir à des situations.»

Pas de recette, certes, mais du métier. Ce qui est vrai pour les musées l’est d’autant plus pour des manifestations comme Expo.02, ou, cette année, Manifesta 11, à Zurich. Partant de la particularité de cette édition où un artiste, Christian Jankowski, tient le rôle de curateur et impose une sorte de thématique, Ruedi Baur et son épouse et collaboratrice, Vera, très impliquée dans ce projet, ont souhaité «rebondir sur son statement». «Manifesta, c’est indéniablement un corps extérieur qui vient s’implanter à Zurich. C’était l’occasion de glisser des éléments un peu inhabituels dans le langage visuel de l’art contemporain, qui a ses codes, ses manières de fonctionner.»

Le titre, What People do for Money, impliquait une dimension politique qui n’a bien sûr pas échappé au graphiste. «Qu’est-ce que ça veut dire que d’analyser les intérêts et le travail d’une population? Du coup c’est une sorte de portrait de Zurich qu’on a voulu mettre en œuvre, avec un hommage à Otto Neurath, grand sociologue des années 1920-1930.» Le penseur viennois était aussi graphiste et il a conçu un système d’isotypes, des petites fig rines graphiques.

«Manifesta, c’est indéniablement un corps extérieur qui vient s’implanter à Zurich.

C’était l’occasion de glisser des éléments un peu inhabituels dans le langage visuel de l’art contemporain»

RUEDI BAUR

uedi Baur, c’est une carrière au long cours, plus de trente ans de métier et un véritable circuit rhizomatique d’ateliers, d’instituts de recherche et d’enseignement, en France, en Suisse et en Allemagne. Il est avant tout l’homme de l’identité visuelle et de la signalétique, avec une pratique et un discours déployés autour de la notion de civisme.

«L’analyse de notre environnement montre bien qu’une part importante des signes, objets, espaces, processus, actions auxquels nous nous voyons confrontés ne tient pas du tout compte de ce minimum de respect que l’on pourrait attendre d’eux, participe du malaise, de la tristesse, de l’empathie, des troubles psychologiques parfois importants ou des agressions», peut-on lire sur son site.

Mais là, si nous sommes venus le voir à Paris dans la vaste ruche qu’est l’IRB, l’Intégrale Ruedi Baur, installée dans un ancien local industriel au fond d’une cour de la rue Jules-Vallès, c’est pour parler de ses travaux liés à l’art.

Sur la table, son agenda, gon é par les billets de ses prochains voyages. Dans moins de deux heures, il sera dans le train pour Lyon. C’est là que son parcours a commencé au début des années 1980, après sa formation zurichoise, et il y est toujours actif, enseignant aux Beauxarts. Il a notamment développé l’identité visuelle du Musée des Confluences et travaille en ce moment à un projet pour l’ancienne prison militaire de Montluc, qui impliquera des étudiants de la HEAD – Genève.

Ruedi Baur «La règle du jeu, c’est de ne jamais utiliser deux fois la même illustration. C’est une sorte de dépassement. Il faut ça pour s’amuser, sinon on s’ennuierait.» Toutes les figurine sont singulières mais doivent être reconnaissables comme faisant partie d’un tout. Grâce notamment à l’utilisation du noir et blanc.

«Une sorte de petit retour en arrière puisque j’ai commencé à Lyon dans l’art contemporain avec le noir et blanc. Ce radicalisme me paraît aujourd’hui presque nécessaire. Il permet de s’extraire du monde ambiant.»

Pour dessiner ces figurines à la Neurath, représentant la diversité de la population zurichoise, avec ses âges, ses métiers, ses occupations, ses situations sociales, un outil a dû être développé qui permet de les vêtir toutes différemment. Avec, par exemple, une présence forte de la police, des sportifs, des services sociaux. «Otto Neuhart réalisait aussi des scènes de société. En les observant, nous avons vu à quel point les contrastes étaient intéressants à figure .» Il a fallu aussi lier cette diversité humaine à une typographie. En plus de la signalétique habituelle, des affiches, du site internet, du catalogue, des éléments à taille réelle mettent en valeur les «satellites», des lieux liés aux habitants avec lesquels une trentaine d’artistes ont choisi de travailler, du médecin à la professionnelle du sexe. «C’est aussi un travail de négociation pour choisir des images peut-être un peu plus politiques, un peu plus chocs.» En tout, il aura fallu plus d’un an pour trouver le bon système, le simplifie , lui donner vie. «Un workshop avec de jeunes étudiants zurichois a bien fait décoller le projet», souligne le graphiste.

A Zurich, c’est aussi l’année Dada. «Nous travaillons régulièrement pour le Landesmuseum et nous avons donc fait une proposition, mais notre affiche Dada a été jugée trop Dada», reprend le graphistequi aime semer le doute dans les esprits. «Manifesta crée un peu de doute dans une société zurichoise si sûre d’elle où la dimension économique de la ville est si forte. Notre société aurait besoin qu’on la disjoncte un peu, qu’on la fasse exploser par son ridicule.» Ruedi Baur a le souci d’utiliser le graphisme pour ré échir et faire ré échir sur l’espace social. La Phrase, projet qu’il a réalisé

à Mons, capitale européenne de la culture en 2015, avec Karelle Ménine, auteure et réalisatrice de projets culturels, semait ainsi poésie et littérature dans les rues de la ville. Un livre vient de paraître aux éditions Gallimard qui raconte cette «expérience de poésie urbaine».

Une autre version aura lieu prochainement dans quatre villes suisses.

Grand Paris Express

S’il a réalisé beaucoup d’ouvrages pour des artistes au début de sa carrière, il en fait moins maintenant. Il a encore travaillé avec Susanna Fritscher ces dernières années. «Il faut poursuivre l’œuvre plutôt que de la traduire. Toute reproduction est une trahison, dont il faut rendre compte.» Nous avons réalisé beaucoup de catalogues d’art contemporain à Lyon, pas mal pour le Centre Pompidou. «Le travail avec l’art est souvent important au début de la carrière. Quand on est jeune, ce sont des milieux qui nous sont proches et qui sont ouverts à l’expérimentation. C’est un très bon moyen de développer son portfolio. Et j’en ai énormément profi é. A l’heure actuelle, l’art est un peu entre les mains d’autres graphistes et c’est très bien comme ça.»

Et aujourd’hui, avec quels artistes souhaiterait-il travailler? «J’ai été sensibilisé à une forme d’art minimal de deuxième ou troisième génération, qui cherche à intervenir avec très peu et à modifier les choses. Une collaboration, d’égal à égal, avec Thomas Hirschhorn me plairait bien. Je m’en sens assez proche.»

Ruedi Baur participe aussi au Grand Paris Express, ce projet de métro qui doit relier la capitale à ses périphéries. Deux commissaires, Jérôme Sans et José Manuel Gonçalvés, en assurent la partie artistique. Le graphiste est chargé de la signalétique d’une soixantaine de gares. Le projet, qui durera une dizaine d’années, commence ce 4 juin. «Nous avons travaillé sur la manière de créer un langage visuel pour aider à se déplacer, mais nous souhaitons aussi dresser une carte mentale des lieux traversés qu’on connaît peu. C’est une forme de reconnaissance. Chaque gare aura son illustrateur.»

Integrale Ruedi Baur, www.irb-paris.eu

Arts

Le Temps l Vendredi 3 juin 2016

MARIE LUSA

Ci-contre: le logo pour le centenaire de Dada s’inspire du dessin stylisé d’une femme par Francis Picabia.

Ci-dessous: Campagne pour la foire indépendante Paris internationale.

Marie Lusa, du Jura à Dada

D

ans son petit atelier sous les toits, à Zurich, la graphiste crée des identités visuelles pour des projets culturels et dessine des catalogues d’exposition qui font date.

A partir d’un dessin de Picabia, celui d’une femme tracé d’un seul jet, comme une spirale, elle a créé le logo des 100 ans de Dada, que l’on voit partout à Zurich et ailleurs, décliné selon les événements de l’année. Marie Lusa parle de son dessin comme d’un sein, avec son mamelon. Une image qui, pour elle, correspond à l’organisation du jubilé, une structure qui est une sorte de mère pour les institutions qui produisent les événements Dada.

L’atelier de la graphiste se situe au dernier étage d’un minuscule immeuble d’un autre siècle aux abords de la Zurich la plus contemporaine, la plus haute, la plus internationale, celle de l’Europaallee. Dans cet immeuble en coopérative, une famille de Syriens vient de trouver refuge dans un appartement disponible. Dans l’atelier, souvent, un artiste de passage est hébergé et laisse un petit souvenir.

Il faut dire que la graphiste est aussi active dans la galerie Gregor Staiger, du nom de son compagnon. Leur espace du Löwenbrau est invité dans les foires internationales, et on le retrouvera cette année à Liste, après deux années de présence dans les Statements d’Art Basel et l’an dernier à Art Basel Miami (Position).

Depuis l’an dernier, la galerie zurichoise est aussi à l’initiative, avec un groupe de jeunes lieux d’exposition de Belleville, à Paris, de la mise sur pied d’une foire off de la FIAC parisienne. Beaucoup de galeries émergentes s’étaient senties maltraitées par la FIAC. «C’était un coup de poker. En quelques semaines, avec, entre deux, août où tout est fermé, nous avons lancé une association, loué un espace. On a signé le bail une semaine avant d’entrer dans l’immeuble de la rue Iéna que nous avions trouvé.» Pour le groupe, c’était aussi le moyen de créer son «propre biotope, la foire de nos rêves». Et bien sûr, Marie Lusa a développé le graphisme de l’événement. «J’avais utilisé Instagram, avec une campagne dès l’été où je piquais les photos de vacances des gens du monde de l’art.

Je faisais des regrams. C’est-à-dire que je repostais les images en ajoutant une bulle où

«Je piquais les photos de vacances des gens du monde de l’art que je trouvais sur Instagram.

Je les repostais ensuite en ajoutant une bulle où il était écrit: AAAAHHH!!!

Paris internationale»

il était écrit AAAAHHH!!! Paris internationale.» Cette déformation d’un slogan situationniste a créé un mystère avant même l’annonce de la foire Paris internationale. «Nous avons eu des échos très favorables. Après le succès de la première édition, qui a accueilli 34 galeries et invité 7 off spaces, une seconde est prévue cet automne, sans doute encore un peu plus grande, dans un autre immeuble du quartier. Quand tu y crois, c’est fou ce que tu peux créer!»

Enfant de la foire

Marie Lusa est une enthousiaste. Son intérêt pour l’art vient de loin, de son enfance à Porrentruy. «Je suis allée chaque année à Art Basel et dans les musées bâlois depuis toute petite, mes parents étaient passionnés, c’était des collectionneurs locaux. J’étais aussi fascinée par cette énergie, cette excitation pendant la foire. C’est pour ça que j’ai voulu aller dans une école d’art.» Elle arrive à l’ECAL l’année où Pierre Keller en devient directeur.

«Nous avions des cours avec Lionel Bovier, Christophe Chérix, Fabrice Stroun, toute cette génération high level. Je me suis sentie attirée par la communication visuelle, mais j’ai beaucoup apprécié la transversalité avec les étudiants en art.» Aujourd’hui, elle enseigne à son tour à l’ECAL. Marie Lusa est encore étudiante quand elle fait son premier livre pour une exposition au Magasin de Grenoble, Oops., curatée par Lionel Bovier. Plus tard, il la présentera à Heike Munder, la directrice du Migros Museum, qui deviendra l’un de ses clients les plus importants. «Pour eux, j’ai une grande marge de manœuvre, je peux travailler avec l’artiste directement.» Marie Lusa aime pouvoir s’investir dans son projet, béné cier d’un large corpus de documents avec lequel elle pourra concevoir une dramaturgie. Elle va volontiers découvrir les artistes dans leur atelier. «Confier son travail à un designer, c’est un peu effrayant. Une artiste m’a dit: j’ai déjà tant de livres et je les déteste tous. Mais je pense que j’arrive bien à communiquer avec les artistes. Deux fois seulement j’ai dû abandonner tant le contrôle de l’artiste était absolu.»

Après l’ECAL, Marie Lusa part pour New York. Le 11 septembre la ramène brutalement dans son Jura natale, son employeur fermant son bureau américain. Elle

Marie Lusa

MARIE LUSA

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se console avec des séjours au Brésil, entre l’Amazonie des chamans et l’architecture de Brasilia. «Une fois, dans l’avion de retour, j’ai lu dans Le Temps que Juri Steiner allait présenter son projet d’Arteplage mobile du Jura pour Expo.02. J’y suis allée, je lui ai demandé s’il avait besoin d’un designer.» Elle sera engagée. Elle dessine tout, du site internet aux costumes, c’est une riche expérience et une bonne entrée dans certains réseaux. Juri Steiner lui présente l’intellectuel Stefan Zweifel avec qui elle travaillera plus d’une fois, notamment pour l’exposition Labyrinthe, au Musée Rath à Genève.

Objet du désir

Pour son premier livre pour la Fondation Beyeler, le catalogue de l’exposition Basquiat en 2010, elle trouve le moyen de se démarquer de ce qui a déjà été fait en partant elle-même en quête d’images inédites. Et elle réussit. Entre autres avec des images de l’artiste à l’œuvre dans sa première galerie new-yorkaise, Annina Nosei, et des photos avec Madonna. Le livre est devenu incontournable, très vite retiré avec de meilleures reproductions des œuvres faites à Beyeler.»

Près de nous, un autre catalogue de la fondation bâloise celui de l’exposition Courbet en 2014, avec en couverture: L’Origine du monde. «Les discussions ont été hallucinantes.

Cette peinture a été sans cesse censurée. Alors

qu’au début je trouvais cela trop évident, j’ai fini par penser que c’était la bonne image pour la couverture, mais la démocratie a décidé que ce n’était pas le cas. Nous en avons tout de même fait une série limitée qui est devenue l’objet du désir.» Dans le catalogue, Marie Lusa a aussi fait des choix assez radicaux. Ainsi, tout est composé avec la même taille de caractère (Univers, 8,3), sans hiérarchie entre titre des chapitres, textes et légendes des images.

C’est elle qui a développé l’identité de la Fondation Van Gogh, à Arles. Elle a aussi redessiné la revue Else pour le Musée de l’Elysée. Quand il arrive à Marie Lusa de sortir un peu du monde de l’art, c’est encore dans des univers parallèles, pour des catalogues d’architecture ou pour dessiner le logo d’un bar absolument fou à Jaïpur, le Palladio, designé par son amie Marie-Anne Oudejans.

Marie Lusa dit issue, ad, review plutôt qu’édition, publicité, ou revue de presse, parce que c’est la réalité de son univers, Rien de snob chez cette jeune femme active qui, certes, a eu la chance de convaincre rapidement quelques clients d’importance, mais qui garde sa capacité de prendre des initiatives tout en soignant le small is beautiful.

«Nous n’avons jamais été plus de quatre dans l’atelier, et je ne m’imagine guère avec une plus grande équipe.»

Studio Marie Lusa, home.studiomarielusa.com

Arts

Le Temps l Vendredi 3 juin 2016

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Gilles Gavillet, l’homme de l’Art

Police du web

«Le livre d’art est très exigeant. Il réclame beaucoup de recherche, notamment dans la manière de communiquer une approche artistique à travers la matérialité d’un objet» Gilles Gavillet

notamment pour produire des statistiques en ouverture du catalogue. Alors oui, le catalogue d’Art Basel occupe mon studio toute l’année.»

Un livre avec Richard Prince

Un emploi du temps chargé donc, qu’il faut partager avec d’autres commandes. En ce moment c’est un projet avec le Guggenheim de New York qui occupe son agenda. «En 2014, le bureau avait conçu le catalogue du Hugo Boss Prize dont le lauréat décroche une exposition personnelle au Guggenheim. Le musée nous a récemment proposé de réaliser l’ouvrage de sa collection, qui sera publié en 2017 à l’occasion de son 80e anniversaire. Vu le niveau de l’institution, cela représente un travail titanesque.» D’autant qu’un autre livre-anniversaire d’envergure se profile à l’horizon. Celui qui retracera les 20 ans du Musée d’art moderne et contemporain (Mamco) de Genève. Lionel Bovier, son nouveau directeur, a naturellement demandé à Gilles Gavillet d’en prendre en main la réalisation.

Dans la foulée, le graphiste a déjà redessiné l’identité visuelle de l’institution, mais en gardant une trace de la réglette graduée, le symbole métrique du Mamco depuis sa

création. «Etrangement, je vis ici, mais je ne travaille que rarement pour Genève. A l’exception notable du Musée Jenisch à Vevey, nos clients se trouvent souvent en Suisse alémanique et à l’étranger. C’est donc la première fois que je développe un mandat local aussi important, ce qui est très agréable et plutôt stimulant», reprend Gilles Gavillet que l’art contemporain passionne, forcément. «Notamment la Picture Generation new-yorkaise des années 80 et celles qui l’ont suivie. J’ai eu la chance de collaborer très étroitement avec des artistes qui en sont issus, de Richard Prince à Kelley Walker, dont le travail s’intéresse au statut et à la manipulation des images. En règle générale, le livre d’art est très exigeant. Il réclame de celui qui le conçoit et le construit une connaissance approfondie de la matière et beaucoup de recherche, notamment dans la manière de communiquer une approche artistique à travers la matérialité d’un objet.

En tant que président du concours du plus beau livre de Suisse, je remarque que c’est un produit très qualitatif de notre pays. Et que dans ce domaine, notre niveau est très élevé par rapport à d’autres pays, qui parfois excellent ailleurs.»

Gavillet & Cie, www.gavillet-cie.com

OLIVIER PASQUAL

Le style Gavillet? Il se trouve dans une approche parfois disruptive mais qui s’inscrit dans la tradition du graphisme helvétique élégant et minimaliste et un soin maniaque apporté à la typographie. La production de lettres, c’est l’autre métier du studio genevois qui, sous le nom d’Optimo, produit et distribue des polices de caractères digitaux.

«A l’origine, j’avais conçu cette structure en guise de travail de diplôme sans envisager sa viabilité ou son rôle pionnier. Ni imaginer qu’elle publierait quelques années plus tard des classiques typographiques dessinés

par François Rappo ou Team77. Grâce au développement des supports numériques, les fontes ont profi é d’un regain d’intérêt.

Si l’on nous commande toujours des polices pour le papier, les clients souhaitent désormais acquérir des caractères spécifiques pour l’écran. Et cela crée un nouveau contexte très stimulant pour la typographie», observe le graphiste devant la bibliothèque où il stocke les ouvrages qu’il a mis en scène.

Parmi ceux-ci, des monographies, des livres d’artistes et, sur un comptoir, la nouvelle somme qu’il coédite avec la foire de Bâle depuis trois ans. Un livre épais frappé d’un «A» majuscule en couleur sur une couverture monochrome. Jusqu’alors, la plus grande foire d’art du monde marquait chacune de ses éditions avec un gros ouvrage encombrant. A l’intérieur, les galeries présentaient sur une double page la liste des artistes qu’elles exposaient sur leurs stands.

Le catalogue offrait un intérêt relativement limité. «Après l’ouverture de Hong Kong, son directeur, Marc Spiegler, a proposé à JRP | Ringier de développer un nouveau concept éditorial et visuel. Avec cette nouvelle étape, et en comptant Art Basel et Art Basel Miami, la foire organisait désormais trois événements. Produire un catalogue à chaque fois n’avait plus de sens. Il a été décidé que le contenu informatif migrerait vers des plateformes digitales. Et qu’une fois par an, Art Basel éditerait un livre qui regrouperait l’activité de ses trois foires mais enrichi avec des interviews d’artistes, de curateurs et de galeristes qui constituent la colonne vertébrale de l’ouvrage. Bref, de profiter de tout ce ce que la foire génère comme contenu – par exemple ce qu’ont fait Hans-Ulrich Obrist et Klaus Biesenbach avec la performance à l’occasion de 14 Rooms – pour en garder une trace et en faire un ouvrage intéressant.» Voire un peu plus que juste intéressant. «On approche aussi ce projet comme un outil documentaire sur le marché de l’art, la foire de Bâle étant en première ligne dans ce domaine.

La fabrication de chaque nouvelle édition nous donne l’occasion de récolter énormément de données dont nous nous servons

DAVID WAGNIÈRES

L

e Genevois coédite le catalogue de la foire de Bâle et prépare les ouvrages anniversaires du Guggenheim de New York et du Mamco de Genève.

Dans le quartier des Acacias à Genève, une ancienne fabrique de cigarettes regroupe tout un aréopage créatif. Au BAT 43, les studios de photographes, d’artisans et de graphistes se distribuent à travers un corridor long comme la nuit. C’est dans un de ces ateliers fondés en 2001 que Gilles Gavillet et ses collaborateurs œuvrent toujours en lien étroit avec la scène de l’art sous le nom de Gavillet & Cie. «Après mes études à l’ECAL il y a 20 ans, j’ai rapidement collaboré avec Lionel Bovier, alors directeur des éditions JRP. Je suis ensuite parti travailler à Zurich à la fin des années 90, avant de devenir le directeur artistique de la maison, devenue entretemps JRP|Ringier.» Laquelle publie essentiellement des livres d’art contemporain et des catalogues d’exposition. «C’était une période déterminante pour l’art contemporain à Zurich. Le Kreis 5 se développait, l’art y était omniprésent. Je n’ai depuis cessé d’être en contact avec ce milieu.»

Avec parfois des rebonds étonnants. En 2009, le bureau est ainsi approché par Jay-Z. Le rappeur multimillionnaire se cherche une identité visuelle pour son nouveau label RocNation. «C’est sa galeriste de New York, une Suissesse, qui nous avait recommandés, explique le graphiste genevois. Il a aimé notre travail. On lui a dessiné un lettrage accompagné d’un logo en forme de diamant et toute la communication qui l’accompagne.»

JULIEN GREMAUD

OLIVIER PASQUAL

A gauche: un stand d’Art Basel 44.

Ci-dessus: le catalogue du Hugo Boss Prize en 2014.

Ci-contre: Le catalogue Art 46 de l’édition 2016 de la foire de Bâle.

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Arts

Le Temps l Vendredi 3 juin 2016

INTERVIEW SECRÈTE

Carmen Chaplin,

qu’avez-vous fait de vos rêves d’enfant?

Dans chaque numéro Isabelle Cerboneschi demande à une personnalité de lui parler de l’enfant qu’elle a été, et de ses rêves. Une manière de mieux comprendre l’adulte qu’il ou elle est devenu(e). Plongée dans le monde de l’imaginaire.

«Mon grand-père avait un côté assez victorien, ma grand-mère était une lady: je ne la tutoyais pas, je n’allais pas m’asseoir sur ses genoux» Quel était votre plus grand, votre plus beau rêve d’enfant?

Faire du cinéma. J’écrivais et je réalisais des pièces dans lesquelles je jouais quand j’avais 8 ans, à l’école, et j’aimais déjà beaucoup regarder des vieux films des an ées 50. Mes préférés: des westerns, des film avec Joan Crawford, Judy Garland, ça me faisait rêver.

Quel était le thème des pièces que vous créiez?

Vous connaissez le 40 Towers?

C’est une comédie anglaise sur un hôtel. On copiait des épisodes, on inventait un peu aussi. Un jour, vers mes 9 ans, avec mes ami(e) s et mes sœurs: on avait mis une

musique de Marilyn, on a inventé une chorégraphie et un strip-tease.

Nos parents ont été très surpris!

Vouliez-vous faire un autre métier qu’actrice quand vous seriez grande?

Médecin sans frontière. Mais je me suis rendu compte que je ne supportais pas la vue du sang et qu’il me fallait changer d’idée.

Quels souvenirs d’enfance la visite du Musée Chaplin a-t-elle fait resurgir en vous?

Aucun en particulier, juste des images. Ils ont enlevé la chambre de mon grand-père, mais c’est surtout dans le salon, où j’ai passé plein de Noëls, de soirées, de moments en famille, que j’ai des souvenirs. De ma grand-mère aussi, des jeux qu’on faisait entre cousins dans le parc. Il est idéal pour les enfants, parce qu’il est très grand: il y avait de l’espace pour courir, jouer à cache-cache. Ma grand-mère y organisait de grandes chasses aux œufs à Pâques. Et à Noël, il y avait un sapin qui montait jusqu’au 1er étage! Mes grands-parents faisaient venir un père Noël, qui chantait des chansons. Pour nous, c’était magique.

Quel était votre jouet préféré?

Un nounours et une poupée «Sacha». Je les ai toujours.

A quels jeux jouiez-vous à la récréation?

A cache-cache.

Est-ce que vous grimpiez dans les arbres?

Oui. J’étais très garçon manqué, je n’aimais pas porter de robe: j’avais des salopettes avec des trous dedans. Ce n’était pas la mode, mais je m’habillais en garçon. Je n’aimais pas être habillée en fille Que ressentiez-vous quand vous étiez tout en haut d’un arbre?

Pas tout en haut. J’avais envie de construire une cabane, avec des planches de bois, un peu sommaire. C’étaient toujours des cabanes qui étaient construites par mes parents ou par un oncle, ou par quelqu’un et qui n’étaient jamais terminées, donc c’étaient des cabanes bancales.

Quelle était la couleur de votre premier vélo?

Rouge.

Quel superhéros vouliez-vous devenir?

Peter Pan! Je ne voulais pas grandir. Mes sœurs rêvaient d’être la Belle au Bois dormant ou Blanche Neige, mais moi je voulais être Peter Pan. De quels superpouvoirs vouliez-vous être dotée?

Voler. Je voulais avoir une vue d’en haut, la liberté de m’échapper, d’aller où j’avais envie.

Rêviez-vous en couleur ou en noir et blanc?

En couleur.

Ian Gavan / Getty Images for Jaeger-LeCoultre

C

armen Chaplin a des faux airs de Marisa Berenson circa 1980.

Son regard a la couleur des eaux qui entourent l’île d’Avalon, selon l’idée que je m’en fais. Son grand-père s’appelait Charlie Chaplin et elle en a hérité le gène qui prédestine au jeu et à l’art dramatique, si tant est que ce gène existe.

Carmen Chaplin était à Vevey le jour de l’inauguration du musée dédié à son aïeul, dans la grande maison où elle a passé des étés et des Noëls, enfant, mais c’est à Londres qu’eut lieu la rencontre.

«Ma famille a habité dans cette maison tellement longtemps que c’est un peu bizarre: il y a un décalage entre mes souvenirs et la réalité. Cela a fait remonter tous mes souvenirs de petite fille, tous les Noëls avec ma grand-mère. Et de voir tout ce monde ici, c’était étrange.»

La première fois que Carmen Chaplin est apparue sur grand écran, c’était en 1991 dans un fil de Wim Wenders Until the End of the World. Puis elle est passée devant la caméra d’André Téchiné, de Brigitte Roüan, d’Alexandre Arcady, de Sydney Pollack, pour ne citer qu’eux. Elle est même passée derrière en réalisant un court-métrage pour Jaeger-LeCoultre dont elle est l’ambassadrice. «A time for everything» inspiré des versets de l’Ecclésiaste (3.1-15). Un film qui met en scène trois générations: Carmen Chaplin, sa mère et sa fille. «Je voulais exprimer l’idée du temps qui se renouvelle, du cycle de la vie. C’est mon père qui m’a donné l’idée d’utiliser ce poème», dit-elle.

Il y a un temps pour tout, en effet, même un temps pour rêver.

Quel était votre livre préféré?

L’île au trésor et Les quatre fille du docteur March.

Pour quelqu’un qui ne voulait pas être une fille Ah, mais j’aimais les histoires romantiques! Je ne voulais pas être une fille, mais en ême temps je voulais être Marilyn Monroe. Soit très garçon, soit très glamour.

Je ne voulais pas être entre deux.

Vous les avez relus depuis?

Non, mais je vais les lire à ma fille Elle est trop petite encore, elle a 3 ans et demi. Pour l’instant, je lui lis Boucle d’or.

Lui avez-vous montré des film de votre grand-père?

Non, mais au musée elle est allée dans la salle où des extraits de ses films étaient projetés et elle ne voulait pas partir: ça la faisait beaucoup rire, les tartes à la crème dans la figure, elle était fascinée par ces images.

Quand vous étiez enfant, aviezvous conscience du statut de votre grand-père?

J’ai pris conscience de qui il était quand je suis allée à l’école. On vivait dans un endroit très rural.

Des journalistes ont su qu’on était là, la presse est venue, et ensuite, du coup, les enfants n’ont pas toujours été très sympas avec nous. Ils nous disaient: «Ce n’est pas vrai!» «Pour qui tu te prends?» Après, on n’avait plus trop envie de dire qui était notre grand-père. Je pense que les choses auraient été différentes si on avait grandi à Hollywood avec d’autres enfants de star. J’ai à la fois envie de dire à ma fill qui est son arrière-grand-père, et en même temps je n’ai pas envie qu’elle en ait conscience à son âge parce que ce n’est pas nécessaire. Quand ça l’intéressera, plus tard, je lui expliquerai.

Quel était votre lien avec votre grand-père quand vous étiez enfant?

C’est un lien très lointain. Je m’en souviens à travers les films de fa mille, qu’on voit d’ailleurs au musée. Et aussi à travers mon père,

qui a beaucoup d’expressions et de traits communs avec son père.

J’étais très petite et lui était très âgé. Mes grands-parents n’étaient pas des gens qu’on appelait «mamie» et «papy». On allait dans la grande maison, on dînait avec la nounou et les autres enfants.

Mon grand-père avait un côté assez victorien, ma grand-mère était une lady: je ne la tutoyais pas, je n’allais pas m’asseoir sur ses genoux. C’était un rapport très respectueux, alors que j’ai grandi dans une ferme, avec des parents très bohémiens.

Quel goût avait votre enfance?

Aigre-doux.

Et si cette enfance avait un parfum, ce serait?

Le foin, les bois, la campagne.

Les odeurs du Lot-et-Garonne, où j’ai grandi. J’étais entourée de champs de pruniers, de tournesols, de forêts, de champs cultivés, c’était la vraie campagne.

Pendant les grandes vacances, vous alliez voir la mer?

Oui, mais pas toujours. On allait en Suisse rendre visite à ma grand-mère, ou en Angleterre voir la famille.

Savez-vous faire des avions en papier?

Oui. Mal. Mais comme c’est mon mari qui les fabrique pour ma fille, peut être que je ne sais même plus les faire…

Aviez-vous peur du noir?

Oui. Qu’est-ce qu’il y avait dans le noir qui vous faisait peur?

Des fantômes, des monstres, j’avais beaucoup trop d’imagination.

Et comment vous veniez à bout de tout ce noir?

En m’endormant. Tout disparaissait…

Vous souvenez-vous du prénom de votre premier amour?

Christopher, mon oncle. C’est le plus jeune frère de mon père: mes sœurs et moi on était toutes

amoureuses de lui. Il est très beau! Toujours!

Et vous souvenez-vous de l’enfant que vous avez été?

J’étais très timide, avec beaucoup d’imagination.

Quand on est timide, faire du cinéma ça aide?

Pas nécessairement, je crois que c’est la vie que l’on mène et l’âge qui guérissent, parce qu’on vit plus confortablement avec soi-même.

Pas le cinéma. Quand j’ai commencé, j’étais horriblement timide quand je tournais, beaucoup plus que maintenant.

Vous parlez de «Ma saison préférée» d’André Téchiné?

Ah oui! Pour moi, le pire c’était d’aller déjeuner avec toute l’équipe et de devoir aller m’asseoir à côté de quelqu’un.

C’était un cauchemar! Mais heureusement, sur ce film, Cathe rine Deneuve a été très maternelle, parce que André Téchiné pouvait être un peu abrupt parfois – sûrement pour faire sortir des choses des acteurs – même si c’est quelqu’un de très sensible.

Catherine Deneuve, elle, était très protectrice. C’était un bon mélange pour un premier film Est-ce que cette enfant vous accompagne encore?

Pour se souvenir d’être bon avec soi, c’est bien de se penser en tant qu’enfant. On est souvent trop dur en tant qu’adulte. Quand on se rappelle l’enfant qu’on a été, on a envie d’être plus protecteur avec soi-même.

Avez-vous le sentiment parfois que votre grand-père porte sur votre carrière un regard bienveillant?

Oui, bien sûr, mais c’est parce que je l’imagine comme j’ai envie de l’imaginer. Comme toute personne, il avait plein de facettes, et j’ai choisi les facettes de lui dont j’avais besoin puisqu’il n’est plus là. Je pense à lui quand je fais des films. Je ’interroge sur la façon dont il s’inspirait, ce qu’il faisait pour écrire, comment il travaillait. J’aime penser à lui en tant qu’artiste.