Divague #4 - La revue du Quai CDN Angers - Pays de la Loire

DIVAGUE ÉDITO

1

DIVAGUE ÉDITO

2

Divague.

Verbe intrans.

Elle n’avait pas encore vraiment décidé si elle allait rester ou partir. Elle but un verre avec lui. Il fuma une cigarette.

James Salter

ACCÉLÉRATION ET DIVAGATION Dans quel temps, entrons-nous ?

Les cycles de la pensée et de la vie semblent de plus en plus courts.

Gr. / Sens. : Errer ça et là

Etymol. Du bas latin / Di-vagari.

Errer en s’éloignant de…

Hydro. (En parlant d’une rivière) Sortir de son lit pour couler ailleurs

Sens Fig. Parler ou écrire au hasard du cheminement de son esprit (S’écarter sans raison apparente de son sujet)

Réussites et échecs, espérances et déceptions, fêtes et défaites, tout a l’air d’aller désormais pêle-mêle. On passe de l’admiration à l’exécration, et vice versa, en deux clics, quand ça semblait prendre des décades laborieuses dans des temps moins lointains que ceux de Tite-Live. L’obsolescence programmée des objets, des idées et des êtres, n’est que l’autre versant de l’enthousiasme infantile ou sénile pour leur émergence, et vice versa. Un dégagisme chasse l’autre. Il en est ainsi de l’économie, en politique comme de l’art.

Nous assistons, ces dernières années, à une augmentation vertigineuse du « disponible culturel » : pas un village sans son festival de théâtre ou d’art contemporain, pas une ville sans sa scène nationale pluridisciplinaire.

Il n’y jamais eu autant de compagnies, collectifs. Et le phénomène est naturellement exponentiel : jamais autant d’élèves dans les écoles de théâtre qui fonderont des compagnies, des collectifs, qui créeront leurs festivals et justifieront l’érection de nouveaux temples de la culture etc. Chouette !

Mais quand les Cahiers du cinéma peuvent questionner le fait qu’aujourd’hui « on fabrique (à flux tendu) moins des films et des séries que des contenus pour des dispositifs tel Netflix qui ont plus à voir avec Facebook qu’avec le cinéma » ; le théâtre peut/doit aussi prendre le temps d’interroger sa faconde et sa productivité contemporaines, et se demander où va-t-on et pourquoi ? Le théâtre n’est pas exonéré de cette mutation. Dans les salles aussi, les pièces ont fait place à des contenus, « sagas/digest » ou « digest de saga » de Homère à Proust, passant par Dostoïevski et Balzac – rien n’y échappera, ni les chefs-d’œuvre du cinéma (Renoir, Bergman, Visconti) ni les biopics d’Agassi à Nina Simone – une industrie du remix, du reenactment, mais pour aller où ?

La Culture, en général, est dans cette course folle-molle (fut-elle conquérante) dont on doit/peut parfois (ré) interroger le but.

Divague, revue du CDN - Le Quai, échafaudée par le personnel du théâtre, souhaite, en toute humilité, non pas régler ces sujets mais documenter nos intuitions sur le monde qui cavale, pour que les questions s’allument et luisent, en réfléchissant, songeant, divaguant avec les artistes, auteurs, les chercheurs, acteurs de la vie, qui nous entourent.

Frédéric Bélier-Garcia

La réponse est le malheur de la question.

Maurice Blanchot

4-17 Dossier

Trop de culture tue la culture ?

32-35 Silvia Costa

Dans le pays d’hiver

De l’addiction à la culture à la culture addictive Séries, obscur objet de l’oubli Le cliffhanger Trop de culture ?

Plaisir ou addiction ?

Une addiction vertueuse ?

36-41 The Archivists

La bibliothèque de Camille Chamoux 18-21 Cyril Teste - Claude-Éric Poiroux

Théâtre et cinéma

42-43 De sa fenêtre

Babx

22-25 Prends nos vieux souvenirs

Jonathan Capdevielle

44-47

Pippo Delbono + Camille 26-31

La fête est finie (?)

48-59 Dossier

Le père de l’enfant de la mère Petits meurtres en famille Trêve de fjords Pierre Nouvel Pères au Moyen Âge Les effets de la perte dans le corps

72-77 Dossier

Que disent nos paysages ?

Balade urbaine Entre immersion et distanciation

78-79 La librairie du Quai

60-63 In Machina 36O

Marc Caro

Nos coups de cœur 80-81 CNSAD

N’avoir rien accompli et mourir exténué 82-84

Roman-photo 64-65 La composition par l’envoûtement

Gavin Bryars

85-87

Le chœur de Macbeth 88-89

Super VIP Students 90-91 Itinéraires du CDN Angers Pays de la Loire

66-71 Prémices

De l’émergence

92-93 Rentrée en trombes 94-95 Agenda 96 Ours/Crédits

Trop de culture tue la culture ?

De l’addiction à la culture à la culture addictive

texte Frédéric Bélier-Garcia

À écouter la maintenant rituelle passation entre ministres de la Culture, ou les éditos de la bonne presse, les professions de foi des directeurstrices d’institutions culturelles, la culture sauve de tout, et nous sauvera de bien plus encore : du pessimisme, du racisme, de la division, du chômage, de l’homophobie, de l’éloignement rural et de la trop grande proximité conjugale, du machisme, du libéralisme et de l’antilibéralisme, bref de tous les maux du moment et de tous les fardeaux du passé.

Ah bon ?

DIVAGUE

DOSSIER : TROP DE CULTURE ?

6

… Et c’est bien ainsi. Non, bon.

On se l’injecte donc à grandes doses revitalisantes. On en fera bientôt un Pass, pipe-line salutaire qui déversera à haut-débit du Ronsard et du Netflix dans tous les foyers, tous les portables, et autres nouveaux cartables de la nation. L’été venant, on peut apercevoir désormais ces nouveaux pèlerins qui, bermuda au genou et brochure au poing, d’Avignon à Arles en grimpant par la Roque d’Anthéron, ont abandonné plage, torpeur familiale, belotte ombragée pour le grand GR culturel estival. Ainsi victorieuse, la culture, dans sa fonction, comme dans ses espérances, n’a-t-elle pas muté ?

Une boulimie culturelle ? Et alors ? De quoi se plaint-on ?

Mais à quoi sert cette nouvelle culture désormais triomphante ?

Dans notre nouveau monde, selon d’aucuns, le pouvoir ne marche plus comme pouvoir disciplinaire, mais comme pouvoir « occupationnel » : la nouvelle fonction du pouvoir est d’organiser notre temps disponible de loisir en activités consensuelles et partagées – sport, bien-être, tourisme, et bien sûr, culture. Et dans ce monde, oui, LA CULTURE OCCUPE BEAUCOUP – et de plus en plus – de notre temps quotidien, comme de notre temps de cerveau disponible… Elle occupe de nos matinées radiophoniques, jusqu’à nos sorties nocturnes.

La culture gagne de la place dans la vie de chacun.

Elle grignote sur le travail qui s’amenuise, la famille qui s’effiloche, l’action politique qui se démonétise. Au point qu’on lui promet cette capacité structurante autrefois dévolue au révolu « famille, travail, politique ». … Et tant mieux !

On ne va tout de même pas regretter service militaire, et gigot dominical !

Et nous sentons bien notre présent encâblé à la grande roue dialectique de la dose et du besoin : plus le besoin d’objets culturels est grand, plus la dose proposée augmente, et cette dose, injectée, suscite, excite à son tour de nouveaux besoins. Nous assistons, ces dernières années, à une augmentation vertigineuse du « disponible culturel » : pas un patelin sans son festival de théâtre ou d’art contemporain… pas une ville sans sa scène nationale pluridisciplinaire – il n’y jamais eu autant de compagnies, collectifs – et le phénomène est naturellement exponentiel – jamais autant d’élèves dans les écoles de théâtre qui fonderont des compagnies, des collectifs, qui créeront leurs festivals et justifieront l’érection de nouveaux temples de la culture, etc.

DIVAGUE

DOSSIER : TROP DE CULTURE ?

Mais pourquoi au fait ? Comment émettre un doute quand tout le monde consent avec tant d’ardeur à ce mouvement, scandant les chiffres de la culture qui la mettent désormais devant l’industrie automobile dans l’enrichissement du PIB. Bref, Si on la proclame « exception », ne serait-elle pas devenue aussi (par une ironie dont seule l’histoire a le secret) la norme d’un nouveau stade du capitalisme – qu’avec Patrick Pharo, nous pourrions qualifier de capitalisme addictif.

La consommation de masse – grand Satan des années 60, 70 – est devenue consommation addictive – dans un profilage cosmétique, plus post-moderne, plus clean, plus bio – où l’Apple store a remplacé le concessionnaire Simca, comme la culture a remplacé le club Med, le consentement élitaire en plus.

Le rapport du désir à c(s)es objets s’est fidélisé et intensifié dans un rapport addictif, marqué par le manque, l’avidité compulsive des choses, les petites satisfactions temporaires et les descentes… Le rapport que nous entretenons aux objets culturels s’est profondément modifié et n’échappe pas à l’air du temps, il est même peut-être la figure la plus éclatante. Notre consommation du nouvel épisode d’une série que nous attendons n’a rien à voir avec celle que nous avions d’un film à venir de Sergio Leone ou d’un livre annoncé de Kundera.

Dans un monde où la consommation de masse s’est dépassée, profilée, dans une consommation addictive, la « culture » nouvelle dans sa nouvelle expansion, intronisation, ne change-t-elle pas de nature ?

Mais tais-toi malheureux !

En douter serait même tirer sur notre poule aux œufs d’or, n’est-ce pas au nom de ces sortilèges que la culture a son ministère, où nous puisons et réclamons subventions et aides.

D’abord un prérequis : loin de nous l’envie de réactiver les mornes et moribonds débats du néo-conservatisme de droite ou de gauche jetant son imprécation contre l’indifférenciation du « haut » et du « bas », du « noble » et du « vil »… notre problème est de voir si cette inflation de consommation, de pratiques culturelles, ne modifie pas le sens même de la culture et la nature de ses pratiques et de ses objets.

Nous n’aurons bien sûr ni le temps, ni l’espace ni la force de traiter tous ces sujets – mais nous désirons essayer, comme à notre habitude dans ces pages, de documenter un peu nos intuitions frémissantes.

- Est-ce que la culture qui tirait sa positivité, au cours des siècles précédents, de sa faculté d’émancipation, de réveil, n’a pas mué dans ses fonctions comme dans ses espérances avec sa massification, son intensification, avec, d’une certaine manière, sa victoire ?

- Est-ce que les nouveaux objets culturels (séries dans l’audiovisuel, adaptations de romans ou de films pour le théâtre…) sont encore des objets culturels ? Cette croissance quantitative tant de la production que de la consommation de biens culturels (spectacles, films, séries…) ne change-t-elle pas la nature même de ces biens ?

7

Séries Obscur objet de l’oubli

texte FBG

Prenons l’exemple de la série télévisuelle. Il n’y a qu’à traverser un wagon TGV pour constater à quel point la série a repoussé le cinéma de tous les écrans de nos nuits blanches. On peut se satisfaire de cette colonisation grâce à la série par septième art de ces temps morts de la vie que sont les trajets, les couchers, les moments d’attentes en aéroport ou cabinet dentaire. D’où, d’ailleurs, l’ouverture du « Pass culture » aux plateformes Netflix ou OCS… parce que la série fait entrer le septième art dans le quotidien du plus grand nombre.

Mais que reste-t-il du cinéma dans une série ? « Pas une minute », diront certains. Une approche sauvagement phénoménologique et immodérément subjective pourrait nous renseigner.

Que vous reste-t-il d’une série une fois visionnée avidement la saison entière ? Même bien filmée – même dite qualité « cinéma » comme True Detective, même réalisée par une cinéaste de génie comme Top of the Lake de Jane Campion – que vous en reste-t-il ? Une réplique, une scène, une image… Rien, sinon la mémoire du temps passé à la regarder, comme on se souvient d’une grippe ou d’une gueule de bois par la sensation du temps long, agréable ou hypnotique et compact qu’elles ont occupé.

Autre reflet symptomatique et étrange de cette curieuse nature est l’archétypale conversation que suscitent les séries. Comment fonctionne une conversation sur les séries ? « T’as vu Collateral ? / Oui génial si t’as aimé regarde Bodyguard… » Le débat n’entre jamais dans le contenu de l’objet – il renvoie à une autre série.

DIVAGUE

DOSSIER : TROP DE CULTURE ?

Ainsi, je dois l’avouer, je n’ai jamais regardé Le Bureau des légendes – série phare de la production française – réalisée par le très talentueux Éric Rochant, autrefois cinéaste des merveilleux Patriotes. Mais, en 4 ans, malgré tous les afficionados environnants, personne n’a évoqué une réplique, une image, un événement même de cette série pour m’inciter à la regarder – tout le prosélytisme ne mentionne que son efficacité, sa puissance addictive, le « Quand tu commenceras tu pourras plus t’arrêter ».

L’arc dramatique auquel vous confronte un film de cinéma – par sa durée limitée d’environ 1h30, sa structure narrative qui implique un début, un acmé, une fin, un nœud et un dénouement – crise et résolution pour parler comme Aristote – qu’il soit d’Hitchcock ou de Rossellini, est ce qui déplaçait chacun de son identité émotive, culturelle et qui faisait cinéma. Dans ce cadre, le film se définissait – pour le dire vite et pompeusement – comme une manière de sculpter le temps.

8

« La tentative, par exemple, d’utiliser le théâtre comme une institution pour l’éducation morale du peuple, encore envisagée sérieusement au temps de Schiller, est déjà comptée parmi les incroyables antiquités d’un type d’éducation daté.

Tandis que la critique a la haute main sur le théâtre et les salles de concert, le journaliste sur les écoles, et la presse sur la société, l’art dégénère en vulgaire sujet de conversation, et la critique esthétique est devenue le moyen de produire une sociabilité vaine, distraite, égoïste, et par-dessus tout lamentablement banale. » La Naissance de la tragédie, Friedrich Nietzsche Dans la série le temps est un bouillon délayé à l’infini, épaissi a volo par de nouvelles péripéties et qui ne tient son intérêt qu’à la vigueur de ses cliffhangers (voir article p.16-17). D’où la facilité et la douceur à la suivre le dimanche soir, alors que le film (autrefois empereur de la soirée dominicale) est vécu désormais comme une épreuve ardue quasi insurmontable… Dans la série aucune épreuve, nulle difficulté pour suivre, juste se laisser hameçonner. La valeur essentielle de la série est sa puissance addictive, dans sa capacité à retenir le spectateur d’épisode en épisode et de saison en saison.

La série n’intéresse que par renvoi intérieur, d’un épisode à l’autre, ou extérieur d’une série à l’autre. Ceci se traduit par le mode inédit de consommation de la série. Une étude effectuée par Netflix même sur ses abonnés nous apprend que « La moitié des spectateurs interrogés finissent une saison (jusqu’à 22 épisodes) en une semaine.

25% des sondés ont fini un drame de treize épisodes en deux jours… et 88% des utilisateurs de Netflix regardent au minimum trois épisodes de la même série par jour ».

Ce qui fera parler de binge watching – qui après le binge drinking, la pratique de se saouler vite et fort – définirait une nouvelle manière de consommer cette nouvelle culture. Mais le mode de consommation ne désigne-t-il pas une nouvelle fonction, le visionnage chronique et addictif de séries ressemble moins à une démarche culturelle qu’à de la consommation destinée à garnir notre temps de cerveau humain disponible. .../... « L’art est devenu un milieu de plus en plus liquide, au sens où Zygmunt Bauman parlait de capitalisme liquide. Ce qui a remplacé le « système des arts » de jadis, c’est une sorte de continuum des flux artistiques où tous les seuils sont abaissés et toutes les frontières effrangées. Le cinéma (et maintenant le théâtre), notamment dans ses grandes structures de production industrielle, a été l’un des principaux opérateurs de cette liquéfaction. Il fait ses emplettes aussi bien dans la littérature que le théâtre (voire les journaux), il « adapte », pille, remet en circuit, enchaîne, sérialise sans discontinuer, le reenactment est devenu l’un de ses gestes les plus automatiques, somnambuliques, et qui consiste, au fond, à pousser son caddie dans les allées de toutes les pratiques artistiques que distinguait jadis la tradition et à y empiler pêle-mêle tous les produits susceptibles d’alimenter ses chaînes de montage. Le cinéma est un intensificateur formidable de la liquéfaction de l’art… » Le Grand dégout culturel, Alain Brossat

DIVAGUE

DOSSIER : TROP DE CULTURE ?

Créer, produire, fabriquer un film ressemble encore (pas toujours) au geste d’écrire un livre ou de peindre un tableau ou de monter un spectacle. Créer, produire, fabriquer une série ressemble plus à la fabrication d’une BMW ou d’un appareil Apple. La série est l’objet culturel par excellence de la phase actuelle du capitalisme : libérale, technologique, globale. Les séries rendent captifs du canapé pendant des heures et des heures (une saison, c’est beaucoup plus long qu’un film ou qu’un rock), ce qui fait beaucoup de temps qui n’est pas consacré à la pensée, à la réflexion de sa condition, à la révolte. On va me dire, beaucoup de séries comportent une vision critique de notre monde. Oui : ruse ultime du libéralisme qui intègre son autocritique dans les produits qu’il commercialise, rendant ainsi l’aliénation plus soft, agréable.

Les saintes séries, Serge Kaganski

.../...

P.S. Le théâtre contemporain et ses spectacles ne sont pas exonérés de cette mutation. Dans les salles aussi, les pièces ont fait place à des « sagas/digest » ou « digest de saga » (nous sommes dans tous les cas dans l’oxymoron) de Balzac à Proust, de Dostoïevski à Homère… Pas un n’y échappera… quand ce n’est pas à des remakes de tous les grands chefs-d’œuvre du cinéma – Renoir, Bergman, Visconti. Une industrie du recyclage, du reenactment, qui fabrique des objets au long cours et à la fois des abrégés d’œuvres littéraires fleuves qui permettent au public de se dispenser de la lecture fastidieuse et hors du temps de La Comédie humaine ou de Virgile dans le texte. Les pièces elles-mêmes sont transformées en séries ainsi Shakespeare, Tchekhov, Sénèque, Rostand… pour pouvoir retrouver à l’intérieur de la durée narrative du théâtre le goût de la série et de ses cliffhangers.

9

Le cliffhanger ou la peur du vide texte Wilfried Thierry

Agrippé à une paroi de glace, Silvester Stallone – la musculature soulignée par un t-shirt étriqué – est suspendu entre la vie et la mort, le visage fouetté par la tempête de neige. Chaque nouvelle prise se dérobe sous ses doigts, la tension est à son comble alors que le vide – et donc la chute – se dessine en hors-champ. Cliffhanger, réalisé en 1993 par Renny Harlin, emprunte son nom à une figure de style qui consiste à laisser l’intrigue en suspens. Cette technique narrative, utilisée dès le XIXe dans les romansfeuilletons, est devenue l’ADN des séries télévisuelles, moteur de l’addiction qui nous pousse à enchaîner frénétiquement les épisodes soigneusement compilés dans nos disques durs. Ce procédé nous auraitil transformés bien plus profondément que nous pourrions l’imaginer ?

Le craving est le nom donné à l’état de manque irrépressible ressenti par les personnes dépendantes aux drogues. L’effet de manque est si fort, qu’il prend le pas sur tout le reste. Cet épisode supplémentaire, ce dernier chapitre, en dépit de la fatigue ou de la raison, sont-ils des symptômes d’une addiction culturelle ? Et que dire de ce besoin insatiable d’enchaîner les épisodes et les séries, d’en saturer nos ordinateurs jusqu’à l’écœurement ?

Récemment, un ami publiait sur Facebook le message suivant : « Petit point série. Que faut-il voir absolument ? » S’ensuivait une avalanche de titres en commentaires. Parmi les nombreuses réponses, une seule personne fendait sa proposition d’un argumentaire. Dès lors, on pourra

DIVAGUE

DOSSIER : TROP DE CULTURE ?

s’interroger sur les motivations de la requête si les pairs virtuels se satisfont d’une liste potentiellement infinie. La question initiale apparaît ainsi comme la manifestation d’un manque à combler. On remplit. La saison 6 de telle série vient de se terminer sur un cliffhanger insoutenable ! Il faut combler pour parer à l’impossible. Le craving apparaît.

Une autre dose, vite ! Notre esprit serait-il trop faible pour résister à une narration laissée en suspens ? Si tel est le cas, quel procédé masochiste nous pousse alors à réitérer l’expérience ? La puissance du cliffhanger pourrait dès lors être liée à une mécanique cérébrale qui rend la résolution d’une situation laissée en suspens plus satisfaisante. La psychologie a étudié les effets d’une action suspendue sur notre cerveau. L’effet Zeigarnik est ainsi cette capacité à mieux se souvenir d’une tâche qui a été interrompue dans son processus de résolution, qu’une tâche achevée. Ce biais cognitif pourrait être à l’origine de la dépendance.

Frustré par la non-résolution de l’intrigue, notre cerveau reste actif – la mémoire de la scène interrompue ancrée de manière vivace – jusqu’à la résolution.

10

« Je suis toxicomane, c’est un truc que je dois voir, accepter. Et c’est quand je commence à accepter que je peux arrêter. »

Crackopolis, Jeanne Robet – Arte Radio

« Vous avez certainement déjà vu ce procédé [le cliffhanger, ndlr] dans certaines séries télévisées qui agacent grave car il faut patienter une semaine pour enfin poursuivre, encore pire, attendre la sortie de la prochaine saison ! L’avantage avec un roman, c’est que nous ne sommes aucunement dépendants de cette méthode ; nous sommes les seuls maîtres de notre allure ! Par contre, nous subissons le suspense qui est géré par l’auteur et là, nous ne pouvons rien contrôler. » L’aveu de cette lectrice, qui publiait sa critique sur Internet, est particulièrement éloquent. Elle évoque la dépendance créée par cette figure de style et les effets produits sur sa psyché. Dépendance, contrôle, le champ lexical est tout à fait explicite.

George RR Martin, l’auteur à succès de la saga Games of Thrones, en subissait les conséquences il y a quelques années. Le dealer ne fournissait pas assez vite ! Faisant fi de tout bon sens à l’égard du travail d’écriture, les fans (doit-on rappeler qu’il s’agit là du diminutif de fanatique ?) n’hésitaient pas à lui adresser leur impatience, voire leur colère, face à son rythme de production ! La violence du procédé deviendrait ainsi poreuse et les auteur.e.s de subir d’éventuels dégâts collatéraux…

Osons maintenant une parabole à grande échelle. Le cliffhanger fabrique la frustration. Comme ce luxe dans les vitrines ou les magazines, il crée besoin, voire dépendance.

La victoire du capitalisme sur d’autres idéologies ne tiendrait-elle pas de ce même procédé ?

Là où le roman-feuilleton utilisant cette figure pouvait créer des histoires alternatives en poussant l’imaginaire des lecteurs dans l’expectative, la société moderne propose les moyens d’échapper à la frustration. Plus question d’attendre, de se délecter du doute, il faut la dose, tout de suite ! Et peu importe la dette, même si elle touche le sommeil, la vie sociale, la pensée, voire notre activité sexuelle !

Nos vies entières ne seraient-elles pas guidées par ces frustrations répétées, promesses matérielles successives satisfaites puis remises en jeu ? Regardons un produit emblématique de notre époque – qui n’a pourtant que dix ans – l’iPhone d’Apple. Chaque nouvelle version crée cet effet de craving, le secret est jalousement gardé à Cupertino, mais la firme laisse fuiter le minimum d’informations permettant l’effet d’annonce. Il faut attendre la Keynote pour résoudre ce cliffhanger marketing, qui soudainement soulage un public transi d’angoisses.

Les esprits ne cherchent même plus à imaginer la suite, la nouveauté qui répond à l’attente se suffit à elle-même.

Le produit n’aurait finalement plus d’importance tant qu’il comble le vide qui aura été créé artificiellement. D’ailleurs, les vidéos marketing vantant les mérites du procédé fleurissent sur YouTube, on aura trouvé le moyen de transformer le consommateur en drogué frénétique.

Serions-nous, dès lors, entrés dans une ère pavlovienne de l’expectative ? Une époque post homo œconomicus, dans laquelle la raison aurait laissé sa place à un réflexe de cycles courts d’attente/assouvissement ancré dans notre cerveau reptilien ? Ce nouveau millénaire semblait nous avoir fait perdre toute appétence du futur, mais le présent aurait-il, lui aussi, perdu de sa désirabilité ? Nos esprits sembleraient ainsi tournés vers un entre-deux, cet instant à distance palpable, transformant nos vies en périodes suspendues entre promesses et satisfactions. Le gouffre en hors-champ.

DIVAGUE

DOSSIER : TROP DE CULTURE ?

11

CULTURE SICKNESS BAG

Trop de culture ?

texte Anne-Florence Duliscouët1

Notre pays est connu pour son attachement à la culture. Pour l’encouragement qu’il prodigue à la création. Pour le dynamisme de ses scènes artistiques. Pour sa fameuse « exception culturelle » qui fait de la culture un secteur à part méritant ses propres règles, particulièrement en matière d’économie.

Ses politiques publiques revendiquent, et entendent soutenir, la diversité culturelle.

En résulte une profusion de propositions artistiques et culturelles qui réjouit mais peut aussi donner le vertige.

DIVAGUE

DOSSIER : TROP DE CULTURE ?

12

Trop de culture. Il y a trop de culture. Entendez par là trop de productions culturelles. Elles n’ont jamais été si nombreuses : on ne compte plus les nouveaux ouvrages à chaque rentrée littéraire, les plateformes de streaming proposent des millions de morceaux et de playlists perpétuellement enrichies, chaque recoin de France a son festival (on en dénombre 4 000), les expositions temporaires se retrouvent en concurrence dans les musées quand les séries sont devenues une industrie à part entière et alors que même les spectacles, à l’économie si fragile, sont tellement nombreux qu’ils n’ont plus le temps d’être joués et de tourner durablement. La dynamique est incontestable et la production foisonnante.

On serait tenté de dire également que les productions culturelles n’ont jamais été aussi accessibles. Les politiques de décentralisation culturelle, les possibilités infinies offertes par Internet et la gratuité qui peut en découler – légale ou non – la circulation immédiate de l’information, les multiples portes d’entrées ouvertes par les réseaux sociaux, les efforts de tarification (qui font que dans certains théâtres on est jeune jusqu’à 35 ans !), les actions de médiation et l’ouverture aux formes participatives sont autant d’adjuvants à la pratique culturelle.

Sauf que…

Cette richesse est-elle embrassable ? Comment se repérer dans ce grand tout, comment s’orienter, choisir, découvrir ?

Comment ne pas être impressionné, voire démuni, devant l’ampleur des propositions ?

Si l’on se place du point de vue des publics, l’assertion qu’il y a trop de culture, est-elle vraie ? Sans doute le foisonnement s’avère-t-il parfois écrasant et décourageant.

Pour le boulimique qui ne parviendra jamais à tout absorber, pour le curieux qui ne pourra que survoler, peut-être un peu moins pour l’expert qui saura chercher et s’orienter mais pourra être frustré, et certainement pour le novice qui risque fort de se sentir dépassé.

Trop de culture, sans doute pas, mais pas assez de repères, certainement. D’où le décalage toujours plus grand entre quelques bienheureux initiés qui savourent la profusion et profitent de la diversité et de la qualité de l’offre artistique en France et ceux, malheureusement bien plus nombreux si l’on en croit les enquêtes, qui surnagent, naviguent à vue dans un grand tout où tout se vaut puisque rien n’évoque quoi que ce soit.

DIVAGUE

DOSSIER : TROP DE CULTURE ?

Profusion demande prescription. Les médias, le bouche-àoreille – y compris en ligne –, les recommandations faites par les algorithmes qui sont désormais partout, pistant nos moindres mouvements sur la toile pour prétendre nous connaître et opportunément nous conseiller, sont quelques-unes des possibles boussoles qui nous sont données.

Mais l’enjeu est quand même de créer de l’appétence là où elle n’est pas éveillée. C’est le rôle dévolu à la très en vogue EAC, l’éducation artistique et culturelle. Petite sœur des notions d’éducation populaire, d’action culturelle, de médiation, l’EAC entend éveiller et sensibiliser dès le plus jeune âge et sans aucune distinction les enfants et adolescents aux attraits de la culture. Bientôt trop de culture à l’école ? S’il est évident que la mise en relation est indispensable, et que les nouvelles approches plaçant ce public jeune au centre sont en phase avec les mœurs actuelles, on peut se demander si l’école est le meilleur endroit pour « rencontrer » la culture.

L’accès à la culture nécessite une forme de disponibilité d’esprit, de relâchement, un contexte sans enjeu, pas si facilement compatible avec l’atmosphère de l’école, ses tensions, ses objectifs, son besoin de résultats. L’accès à la culture nécessite une envie, sans quoi la « rencontre » (entre l’œuvre et le public) risque fort de ne pas avoir lieu. Or l’école, qu’on l’aime ou non, est quand même encore beaucoup – même si elle évolue – synonyme d’apprentissage obligatoire et d’évaluation.

Pour contrer cela, il faut des moyens humains et financiers, de la formation, du temps. Il s’agit de transmission. C’est un travail sur mesure. Les professionnels et artistes partie prenante de l’EAC le disent assez : il faut contextualiser, accompagner, adapter les propositions. Il n’y a pas de recette miracle, toute faite, duplicable un peu partout, mais un travail de fond et de fourmi, ambitieux et exigeant.

C’est à ce prix seulement que l’EAC pourra amener de beaux résultats, l’école demeurant le lieu où l’on a le plus de chances de toucher le plus grand nombre.

Mais pour les autres, ceux qui n’auront pas été « amenés vers » la culture, y a-t-il trop de culture ? Et d’ailleurs, « trop » par rapport à quoi ? Par rapport à qui ? Trop de productions culturelles pour un public qui ne les attend pas ? On en revient au débat de savoir si on doit donner au public ce qu’il veut ou si on doit l’amener vers des horizons insoupçonnés et vers ce que l’artiste a à dire…. La réponse est dans la question. La découverte est quand même plus excitante, plus stimulante, que la répétition de satisfactions immédiates apportées par des productions familières ou par des œuvres qui se ressemblent toutes.

13

Posons-la justement cette question du soutien public. Du point de vue de ceux qui le financent, le secteur culturel est-il trop prolifique ? Les moyens alloués sont perçus comme insuffisants, l’État comme les collectivités locales sont sur-sollicités, les professionnels mettent en garde contre les risques de « saupoudrage » des aides, certains secteurs sont structurellement incapables de s’autofinancer.

Nous sommes pourtant loin du désastre économique.

La culture peut être vue comme un investissement. Elle rapporte plus qu’elle ne coûte. En France, elle a généré Trop d’offre, pas assez de demande… Doit-on raisonner en 44,5 milliards d’euros en 2016 et représente 2,2 % de termes de « marché » quand on parle de culture ? Réponse l’économie2. Les industries culturelles et créatives créent plus d’emplois que l’industrie automobile en Europe, au non. Bien sûr que non. Si la consécration suprême pour Japon et aux États-Unis (25 millions)3. Un euro d’argent une œuvre est bien de cumuler reconnaissance des initiés public investi dans un festival occasionne quatre euros de et succès populaire, sa légitimité ne saurait se limiter ni à retombées économiques pour le territoire4. La culture est l’une ni à l’autre. Qu’est-ce qui fait la valeur d’une œuvre ?

Sa capacité à toucher ceux qui s’y confrontent. Qu’ils soient donc « rentable ». Économiquement, mais aussi bénéfique 100 ou 10 000. À partir de là, on pourrait donc penser que socialement, humainement. Elle permet une ouverture toute œuvre est bonne à prendre, bonne à créer, qu’elle au monde, des changements de regard, une autre trouvera son public, aussi infime soit-il. Que l’œuvre se appréhension de l’Autre. Elle peut offrir une résonance justifie par elle-même, par le besoin que son créateur a de aux interrogations intimes ou répondre à des questions la faire advenir. existentielles, réparer parfois, ouvrir des perspectives. Et Mais… aussi prodiguer un simple plaisir esthétique, une jubilation, 1 538 spectacles en trois semaines une extraction – même éphémère – La culture est donc « rentable ». du quotidien et de ses difficultés. dans le festival Off d’Avignon à l’été 2018. Est-ce bien sérieux ? Économiquement, mais aussi bénéfique Cette prise de conscience des Le public peut-il s’y repérer, les bénéfices plus ou moins comptables socialement, humainement. artistes peuvent-ils avoir une chance de la culture sert d’ailleurs d’exister et les professionnels celle de faire leur travail de régulièrement à justifier de la soutenir et d’y investir. La découverte, de repérage ? Trop de culture, cette fois-ci fin justifiant les moyens, on ne s’en plaindra pas. Reste à nous y sommes. Trop, pour la cacophonie que cela crée, éviter absolument d’en avoir une vision utilitariste. Car on pour les conditions dures, désastreuses parfois, dans en arrive vite à faire de multiples injonctions à la culture lesquelles les artistes se retrouvent. C’est l’antienne du qui doit pêle-mêle, puisqu’elle en est capable, ouvrir les « beaucoup d’appelés et peu d’élus ». Sauf que la ville esprits, s’adresser à tous, annihiler les inégalités, amoindrir vit comme jamais. Elle vit par et pour le théâtre pendant les tensions, épanouir les citoyens, faire accepter les trois semaines en réunissant des milliers de personnes différences, générer des revenus, créer du lien social, faire d’horizons divers. Que des artistes vivent leur rêve de évoluer la pensée… tenter leur chance, de se confronter à un public, de faire La culture a bien des vertus. Gardons-nous seulement de des rencontres, d’avoir un regard sur leur travail, et ce vouloir assigner trop de rôles, de fonctions, de missions, d’utilité à ce qui par essence n’en a pas ou du moins ne même s’ils doivent repartir épuisés, désillusionnés, frustrés. cherche pas nécessairement à en avoir.

Ils auront accédé à quelque chose de neuf, de fondateur Trop de culture ? Je crois que cela n’arrivera jamais. Tout peut-être. Que la ville doit en grande partie sa notoriété et simplement parce que la culture est intrinsèquement liée sa vie économique à cet événement estival. à l’humain, que nous en avons profondément besoin, et C’est justement la profusion qui peut faire que chacun que, face à la diversité des êtres et à la vie dans toute sa « trouve chaussure à son pied ». Pour peu que profusion complexité, il est précieux d’avoir l’embarras du choix ! veuille dire diversité. Mais on peut imaginer qu’il y a plus de variété dans un grand volume de propositions que l’inverse. Dans un contexte de moindre production culturelle, les plus marginales, innovantes, avant-gardistes, audacieuses, seraient naturellement celles qui risqueraient de disparaître en premier. Et c’est précisément là que le soutien de la puissance publique à la création s’avère utile, et nécessaire, afin de permettre l’expérimentation, d’aider à l’apparition de formes nouvelles, originales, ou à contrecourant.

Directrice déléguée en charge des contenus chez News Tank Culture Panorama de l’économie de la culture et de la création dans le monde », réalisé par le cabinet EY pour le compte de la Cisac et présenté à l’Unesco le 03/12/2015 3 Édition 2018 des « Chiffres-clés de la Culture et de la Communication » publiée par le DEPS (Département des études, de la prospective et des statistiques) du ministère de la Culture 4 Intervention d’Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture, au Printemps de Bourges en avril 2013 1 2

DIVAGUE

DOSSIER : TROP DE CULTURE ?

14

Culture : plaisir ou addiction ? texte Corinne Dano1

Engouement pour les spectacles et les festivals, nombre d’entrées record pour les expositions : l’offre variée et accessible d’objets culturels trouve un écho certain auprès de la population. Tant d’intérêt suscité interroge le rapport de l’individu contemporain à la culture et donc au plaisir.

Toile de fond et remplissage, divertissement ou plutôt démarche engagée dans le « soin et souci de soi » ?

Que se passe-t-il lorsqu’un tableau nous plaît ? Il offre la possibilité de découvrir notre liberté, en percevant toute sorte de significations. Pour Platon, les plaisirs purs sont dans la vision de belles couleurs et formes, l’écoute des sonorités harmonieuses, ou dans l’accès à la connaissance.

Ce sont des « jouissances dont le manque n’est ni pénible, ni sensible, alors que leur présence nous procure des plénitudes senties, plaisantes, pures de toute douleur ».

Cette faculté subjective du beau est du registre du plaisir selon Kant. Universel, il réunirait les hommes et serait à l’origine de la culture et de l’art. Dans notre époque, comment situer le plaisir et la culture ?

L’hypermodernité tend à s’exprimer sur un registre extrême où l’excès côtoie le manque et le vide. La mutation radicale du rapport au temps des 25 dernières années met en avant les notions d’immédiateté et d’urgence. Le temps réel est désormais organisé par l’instantanéité des NTIC et la volatilité financière, sur fond d’urgence climatique.

Nos sens particulièrement l’ouïe et la vue sont sollicités en continu. Notre communication et nos médias sont « audiovisuels » : son à capter, info sur laquelle se brancher, écrans mobiles et disponibles. Wi-Fi, mails et SMS axés sur le temporaire et fugitif organisent la pensée autour de l’image loin de l’écrit aux mots choisis.

Au théâtre, au cinéma ; l’intérêt et l’attention sont de moins en moins captés par un scénario, une histoire « à suspens » chronologique, articulant l’attention du présent au mystère du passé et aux promesses du futur, mais par un flux de sensations qu’il faut renouveler à l’infini, pour éviter le zapping. D’où la multiplication d’effets spéciaux, d’intégration de plusieurs disciplines au sein d’un même spectacle. Les émissions de téléréalité gomment la frontière de l’espace intime et public.

1

DIVAGUE

DOSSIER : TROP DE CULTURE ?

Avec la coopération de Solange Lavoine

15

Pour se sentir vivant, le sujet contemporain a besoin du Outre les addictions aux substances psychoactives mouvement. Il se soumet volontiers à la disponibilité (alcool, tabac, drogues), sont définies les addictions d’informations, de sons et d’images qui ne comblent pas comportementales associant le jeu pathologique d’argent ses manques. Le culte du présent, de la performance et et de hasard et les cyberaddictions (jeux vidéo et en ligne, du changement sur le court terme privilégient la recherche réseaux sociaux). L’addiction s’étend dorénavant au spectre de satisfaction ainsi que la quête de plaisir immédiat des « nouvelles addictions comportementales » au point de et extérieur. De nouveaux objets de plaisir ne cessent voir ses limites s’estomper (achats compulsifs, addiction au d’apparaître stimulant la tentation d’en tirer encore plus sport, au travail ou au sexe, dépendance affective) même de jouissance. Les flux sensoriels occupent le temps et si ces dernières sont encore sujettes à controverses. Les l’espace préalablement dédiés à la pensée entravant représentations sociales liées aux addictions vont de la matériellement la capacité de fascination (figure de l’artiste juger et intervenant sur notre toxicomane, du joueur grand Le culte du présent, de la performance et du gestion des sentiments et des seigneur) à l’image mortifère en émotions. Les relations sociales changement sur le court terme privilégient la passant par la banalisation (le deviennent flexibles, éphémères recherche de satisfaction ainsi que la quête de tabagisme pendant longtemps) entraînant un estompage du lien plaisir immédiat et extérieur. comme par son extension social. aux addictions sans produits, Nous répondons à l’injonction de Beaudelaire prônant et jusqu’à l’usage du terme sans discernement pour l’ivresse universelle comme échappatoire et remède à la qualifier tout comportement répété. La tendance est à une fuite du temps. « Il faut toujours être ivre. De vin, de poésie extension infinie de la notion d’addiction parfois difficile ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous. » Ainsi, le à distinguer de l’habitude du rituel social ou culturel. changement permanent d’objet a construit la société de Où s’arrête la passion et où commence l’addiction ? La consommation en quête d’ivresse. frontière est parfois floue surtout pour les activités plus socialement valorisées (la création artistique, le travail).

Ce contexte encourage l’expérience addictive et sa La création artistique n’est pas d’abord toujours un acte banalisation. Le terme addict a le vent en poupe, alimenté libre et de joie mais un travail en son sens étymologique par la publicité pour promouvoir les marques de luxe et de (le tripalium romain, la torture). Il convient de s’enchaîner sport. La culture n’y échappe pas (libraires : prescripteurs sous peine de quoi la création n’aura pas lieu à la condition de saines addictions – vous deviendrez addicts de son et être suffisamment passionné pour le supporter. Alors, il spectacle). Étymologiquement, le mot addict désignait peut s’agir d’une pratique heureuse, peut-être, de nature à les esclaves romains. Privés de nom, ils étaient « dits à » satisfaire le sujet au lieu de le punir. Mais si l’addict a perdu appartenant à leur maître. Son champ sémantique est celui la liberté de s’abstenir, l’artiste par sa liberté, possède le de l’asservissement. Passé dans la langue anglaise lors de domaine illimité de la créativité et de la nouveauté. la guerre de Cent Ans, son usage devient international.

Le mélomane qui a besoin d’écouter des opéras pour Sa représentation sociale diffère du concept scientifique se sentir pleinement vivre, le cinéphile passionné par le des addictions. Elle l’assimile au processus de conduite septième art qui fréquente quotidiennement les salles addictive par lequel un comportement peut avoir pour obscures, l’amoureux de la lecture qui ne sort jamais d’une fonction de procurer du plaisir et/ou de soulager un librairie les mains vides, sont-ils des addicts devenus malaise. Celle-ci vise la décharge rapide de tension inaptes à chercher du plaisir sans qu’immédiatement psychique liée à des affects en ayant recours à une cette quête se transforme en frénésie ? C’est le rapport à substance, une représentation (loisirs numériques) ou une l’objet plus que l’objet lui-même qui signe le plaisir ou une sensation (pratique artistique, travail). Ce recours à l’action addiction. reste une solution du quotidien, un des plus simples moyens de modifier et pacifier sur commande ce rapport Les addictions seraient une exacerbation des passions, un à l’autre, avec une apparente économie de temps et de état où la souffrance liée à l’objet de la passion dépasse fatigue. Elle a intégré les valeurs d’intensité, d’instantanéité le plaisir qu’il procure avec une difficulté à résister à leurs et de prévalence des sensations qui sont au cœur de impulsions, à prendre le temps de désirer et à tenir compte l’expérience sensorielle de l’hypermodernité. Lorsque ce du désir de l’autre. comportement non pathologique en soi s’installe dans Si les comportements de plaisir et d’addiction mettent la répétition et le toujours plus, il s’expose au risque de en jeu les mêmes supports physiologiques au niveau devenir nécessaire. Les pathologies qui affectent l’individu du système de récompense cérébrale, l’addiction hypermoderne semblent à l’image de ses investissements : correspond à un dysfonctionnement durable des circuits de l’ordre de la défonce. L’addiction consiste en une neurobiologiques qui permettent la régulation de la focalisation sur un objet d’intérêt prévalent, devenu un recherche du plaisir et de la gestion des émotions. Elle véritable besoin plus qu’un désir et en la poursuite de ce est toujours le fruit complexe d’une rencontre entre un comportement malgré ses conséquences négatives (sur individu, un objet et un environnement. la vie sociale, affective ou sur la santé) qui l’emportent sur le plaisir obtenu. Le désir qui mène au plaisir devient de plus en plus vif, conduisant au manque et à l’insatisfaction.

Son mécanisme repose sur la création d’une routine et la recherche d’une expérience forte. Source de souffrance, les addictions saines n’existent pas.

DIVAGUE

DOSSIER : TROP DE CULTURE ?

16

Culture en ligne : pour le meilleur et pour le pire La culture n’échappe pas à l’escalade du toujours plus caractérisant notre époque. Les plateformes de streaming (transmission en continu) diffusent en permanence des séries, des films originaux et inédits ainsi que des morceaux musicaux dont la qualité augmente. Leur data combiné à un algorithme puissant permet de proposer un contenu personnalisé adapté aux habitudes et aux goûts, incitant à la consommation et favorisant ainsi la pratique addictive. À quoi répondent-elles ? Effet détente, pratique au détriment d’autres activités, évitement des problèmes de la vie courante, isolement social ? Cette tendance à s’extraire du contexte réel pourrait devenir l’une des motivations d’un cyberdépendant à la recherche d’un refuge, d’une échappatoire à la réalité. Une étude de l’OMS établit que la consommation des jeunes Britanniques a été divisée par deux depuis 2002. Une des explications désigne les réseaux sociaux. L’alcool ne jouerait plus un rôle de socialisation aussi important qu’autrefois pour les jeunes qui, dorénavant, peuvent mener une vie sociale intense sans avoir à sortir de chez eux. Le monde virtuel n’est-il pas en train de se substituer au monde réel, d’apparaître plus disponible, plus facile à vivre ?

Intermédiaires incontournables notamment pour s’adresser aux jeunes, les formats innovants adaptés aux nouveaux usages deviennent attractifs. Plateformes d’échanges, sites participatifs : le Web se veut plus social et collaboratif avec un accès à la culture et à la connaissance au plus grand nombre. Si depuis plusieurs années déjà, les entreprises culturelles se servent des réseaux sociaux pour échanger avec les usagers, les médias sociaux véritablement dédiés aux produits artistiques sont également plus nombreux.

Visite virtuelle, cybercommerce et produits culturels sont proposés afin de susciter de l’intérêt pour les œuvres. Les artistes et les amateurs des différents moyens d’expression ont toutes les occasions de se rassembler au sein d’une communauté contribuant à faire vivre la culture et à en renouveler l’esprit. Lieu de réflexion et de participation, les réseaux sociaux créent de nouvelles références intégrant la street culture. Ces médiations culturelles trouvent d’autres canaux parallèles à ceux habituellement empruntés et les complètent.

D’un univers exclusif et intouchable, nous évoluons vers une culture inclusive et populaire. Les millennials sont en quête de valeurs axées sur la surprise et l’émotion, la solidarité sur fond d’éthique, de morale et d’immédiateté.

Les réseaux sociaux sont attentifs aux parcours atypiques et différents mais la recherche de l’inclusion est forte, soumise à leur jugement et au risque d’un discours unanime. Or, la force de la culture est de ne jamais se contenter d’une image. Les créateurs doivent être vigilants à garder leur vision créatrice. Les pratiques se diversifient réalisant différentes alliances : celle du style et de la littérature, de la mode et de la culture. L’enjeu est d’attiser la curiosité comme par exemple celle des grands auteurs, via la mode.

La diffusion d’informations par réseau décomplexifie le rapport à la culture avec une touche de légèreté créant presque un art de vivre. À la fois risque et opportunité, la culture ressemblerait à une langue à deux niveaux : l’un ordinaire et l’autre moins accessible désignant vraiment les choses. Située au fondement du lien que l’homme peut avoir avec l’existence (au sens de sortir de soi), elle continue à permettre aux individus de se lier.

DIVAGUE

DOSSIER : TROP DE CULTURE ?

17

La culture, une addiction vertueuse ?

texte Dominique Sagot-Duvauroux

Des collectionneurs qui accumulent des centaines d’œuvres au risque parfois de ne pas même les déballer, des mélomanes qui investissent dans la énième version du Requiem de Mozart, des festivaliers qui assistent à quinze spectacles en trois jours, bref tous ces fondus de création artistique qui ont à peine fini de savourer leur dernière œuvre qu’ils sont déjà en manque de la prochaine, tous ces comportements proches de l’addiction, sont en fait tout à fait rationnels nous expliquent les économistes qui lisent nos comportements à l’aune du paradigme de l’homo economicus. Et la surprise, c’est qu’ils n’ont pas complètement tort.

Dans un fameux article intitulé De Gustibus non est Disputandum1 publié dans la prestigieuse American Economic Review en 1977, deux prix Nobel d’économie, Gary Becker et Georges Stigler, défenseurs acharnés de la rationalité des choix individuels, constataient que les consommations musicales présentaient des caractéristiques proches des pratiques addictives comme le tabac, l’alcool et autres drogues. Ainsi, plus on en avait usé et abusé par le passé, plus on en userait et abuserait par le futur.

Ce comportement est a priori contraire à la loi de l’utilité marginale décroissante qui stipule que nos consommations sont soumises à des phénomènes de saturation. La dernière unité consommée d’un même bien apporte en principe moins de plaisir que les précédentes si bien qu’on a beau préférer les frites aux haricots verts, à partir d’un certain nombre d’assiettes de frites, on finira par préférer

DIVAGUE

DOSSIER : TROP DE CULTURE ?

les haricots verts. L’explication qu’ils apportaient était que les consommations passées jouent un rôle d’investissement productif qui permet, grâce à la connaissance accumulée lors des premières expériences, d’améliorer la capacité des individus à décrypter et comprendre les œuvres, leur originalité et leur pleine signification. En d’autres mots, les expériences accumulées augmenteraient la productivité de consommation donnant naissance à des comportements proches de l’addiction. À prix donné, si l’utilité d’une consommation augmente, il devient logique en effet que la consommation augmente. Dans toutes les filières artistiques, il existe ainsi des passionnés de musique, cinéma, théâtre, art contemporain… dont les consommations intensives jouent un rôle essentiel dans l’économie du secteur.

18

Ce raisonnement rejoint les réflexions conduites par Roland Barthes à propos de la photographie2. Cet auteur distingue en effet deux niveaux dans l’appréciation que l’on a d’une œuvre d’art, le punctum et le studium. Le plaisir que l’on retire d’une œuvre est un savant mélange de choc spontané de nature émotionnelle (le punctum) et de plaisir plus intellectuel lié à notre capacité à la décrypter (le studium). Les expériences accumulées renforceraient le studium et démultiplieraient les sources de plaisirs, plaisir de la comparaison de deux interprétations d’une même pièce ou d’un même morceau de musique, plaisir de la compréhension du parcours et de la démarche d’un artiste plasticien, plaisir de retrouver les sources d’inspiration et les références d’un réalisateur dans son dernier film soit autant de motivations supplémentaires à consacrer du temps et de l’argent à la culture. « Ce que nous avons appris, c’est que l’art s’apprenait, qu’il fallait lire, échanger avec les spécialistes et surtout voir… » déclaraient ainsi les époux Billarant dans un entretien accordé à la revue R.A.R.3 Comme les œuvres majeures sont souvent des œuvres complexes qui ne se révèlent pleinement qu’avec le temps et l’usage, elles ne seraient accessibles qu’aux individus disposant d’un fort capital culturel. À l’inverse, certaines œuvres plus simples peuvent rencontrer un succès immédiat (punctum fort) mais lasser plus vite (le studium n’apportant pas de sources de satisfaction supplémentaire).

Studium et punctum ne sont cependant pas indépendants l’un de l’autre. Parce que le studium fait évoluer le goût, le punctum s’en trouve affecté. Ce qui nous séduit au début peut nous décevoir plus tard et inversement. Mais une trop grande connaissance peut aussi nous rendre incapable de savourer le plaisir spontané retiré d’une œuvre. « Quand j’étais jeune je collectionnais plus rapidement et avec plus de courage et maintenant avec plus de réflexion, est-ce un bien ? », s’interrogeait un collectionneur semblant regretter ses premiers achats plus libres, moins intellectualisés4.

La sévérité de certains critiques s’expliquerait d’ailleurs pour certains par un degré d’exigence croissant vis-à-vis des œuvres qui les conduirait à ne plus être capables d’apprécier simplement la fraîcheur d’une proposition artistique nouvelle, une sorte de syndrome du critique...

L’addiction à la culture résulterait donc rationnellement de l’augmentation des sources de satisfaction engendrées par les expériences passées, le plaisir d’être expert en quelque sorte. N’y a-t-il pourtant rien de maladif dans cette accumulation d’expériences, de visites ou d’achats culturels ? C’est sans doute chez les collectionneurs d’art contemporain que le parallèle avec l’addiction à des drogues est le plus évident. « La collection, c’était au départ un immense plaisir, c’est comme la cigarette, après ce n’est plus un plaisir, c’est une dépendance ». Certains collectionneurs ne se rappellent pas de moments où ils n’ont pas collectionné, comme si leur addiction était génétique. Timbres, vignettes Panini, coquillages, les prétextes à collectionner pendant l’enfance sont nombreux et l’addiction obsédante pour les pièces manquantes, les nouveautés. « On naît collectionneur, c’est-à-dire avec ce goût pour l’amassement, l’entassement (…). Je connais des collectionneurs qui sont collectionneurs de n’importe quoi,

DIVAGUE

DOSSIER : TROP DE CULTURE ?

ça peut aller de bouchons de champagne, d’étiquettes de vin en passant par des boîtes de Benco ou tout ce qu’on veut ».

Ce n’est que plus tard, en entrant dans l’âge adulte, pour des raisons diverses (une rencontre, un musée, une exposition) que l’addiction se reporte sur l’art contemporain et qu’au besoin brut d’accumuler s’ajoute une soif de compréhension des formes de la création d’aujourd’hui. L’addiction demeure mais elle se transforme.

Elle produit autre chose qu’un sentiment de manque. Et cette autre chose peut parfois se substituer à l’addiction proprement dite. Face à la vanité du désir d’accumulation, au fétichisme de la possession, nombreux sont ceux qui deviennent des acteurs de la vie artistique, consacrant leur argent à organiser des expositions, à soutenir des artistes, à gérer des lieux, à l’instar d’Antoine de Galbert, lorsqu’il crée à Paris la Maison Rouge ou Philippe Méaille exposant sa collection au Château de Montsoreau. Un collectionneur nous dit d’ailleurs : « Au bout d’un moment, entasser pour entasser m’apparaît totalement vain. Je me surprends à rêver vivre dans des pièces totalement monacales…

Aujourd’hui, j’ai un peu une indigestion de la collectionnite.

L’aide aux artistes me paraît plus importante, surtout l’aide à la production. » Un retour à l’utilité marginale décroissante !

Addiction rationnelle ou irrationnelle, finalement peu importe. « Le goût est le résultat d’une longue errance mentale et visuelle, un voyage », nous rappelle un amateur. Dans tous les domaines artistiques, une minorité d’individus, passionnés, assidus, addicts accumulent les expériences et les achats. Ils représentent une partie substantielle de la demande et constituent un maillon essentiel de l’économie de l’art. Ils jouent souvent un rôle déterminant de découvreurs et offrent aux artistes un premier regard et des ressources susceptibles d’amorcer une dynamique vertueuse d’intérêt pour leur œuvre. L’industrialisation du bouche à oreille que permet aujourd’hui Internet décuple leur capacité à faire connaître et défendre les artistes qu’ils aiment. Choyons les donc, entretenons leur addiction et inquiétons nous s’ils disparaissent, car avec eux disparaîtront également les chances de voir une œuvre exigeante rencontrer son public.

1 Georges S. Stigler, Gary S.Becker, “De Gustibus non est disputendum”, American Economic Review, March 1977, vol. 67, n°2, 1977.

2 Roland Barthes, La chambre claire. Note sur la photographie, Paris, le Seuil, 1980.

3 Entretien avec Françoise et Jean-Philippe Billarant, Revue R.A.R., n°3, p 24.

4 Cette citation, comme les suivantes, est tirée d’entretiens menés à l’occasion d’une étude réalisée pour le ministère de la Culture sur les collectionneurs d’art contemporain : Moureau N., Sagot-Duvauroux D., Vidal M., 2016, Les Collectionneurs d’art contemporain, La documentation Française, collection Questions de Culture, Paris.

19

Festen - Cyril Teste / Collectif MxM

Théâtre et cinéma pairs et impurs texte Mélanie Jouen

Nous célébrons à Angers, véritable terre de cinéma et de théâtre, la dialectique féconde entre ces arts frères avec notamment deux événements majeurs accueillis au Quai en 2019. C’est en effet dans nos murs que se déroulent exceptionnellement la 3Ie édition du Festival Premiers Plans mais aussi la première française d’Opening Night d’après le scénario de John Cassavetes, mis en scène par Cyril Teste et son Collectif MxM, créateurs d’un langage scénique via la performance filmique. L’occasion de converser avec Cyril Teste et ClaudeÉric Poiroux, fondateur de Premiers Plans, pour interroger confluences, hybridations et expérimentations entre théâtre et cinéma. Quelles parités, quels territoires conquis ou à conquérir pour nos deux « pairs impurs » ?

DIVAGUE

THÉÂTRE ET CINÉMA

20

Arts spectaculaires et spéculaires, théâtre et cinéma montrent le monde et racontent des histoires. Si le cinéma s’est construit avec et contre le théâtre, c’est aujourd’hui pour le reconnaître comme pair : aussi « impur » que luimême, pour reprendre le terme employé par le critique André Bazin au tournant des années 19601. Depuis la fin du XIXe siècle et l’invention du cinématographe, le flux naturel des imaginaires, qui se manifeste par propagation esthétique et technique, circule entre ces arts frères.

Qu’ils le citent ou non, si tous deux puisent aux sources de la littérature, de la peinture, de l’architecture et de la musique, le cinéma n’a cessé d’emprunter au théâtre ses textes, ses personnages, sa dramaturgie retraduite dans son écriture du mouvement et sa temporalité tandis que le théâtre a peu à peu glané au cinéma son esthétique, son art du montage et son rapport au réel.

Une dialectique infinie et féconde relie, d’une part, les deux territoires d’expérimentations – au naturel recomposé ou saisi du cinéma et à sa diffusion différée répondent la convention illusoire du théâtre et l’immédiateté réelle de la représentation et, d’autre part, les vecteurs du récit que sont l’acteur et le spectateur – à la fixation de la chair et à la distance que crée la projection cinématographique répondent la présence des corps et l’empathie kinesthésique de l’instantané théâtral.

Au cours du XXe siècle, l’industrialisation des systèmes de production et de distribution cinématographiques a contribué à hiérarchiser les arts du spectacle, leurs disciplines et leurs usages. Aujourd’hui, le développement de l’ergonomie numérique, dont l’accessibilité économique et technique favorise son appropriation par les artistes de la scène, le partage des systèmes référentiels et l’interrogation de l’image médiatique participent à une tension du cinéma vers le vivant. Le XXIe siècle saurait-il reconnaître une parité et l’évidence d’une « intermédialité » ? Si ce néologisme permet de ne plus observer isolément les médias mais de mettre en avant leur co-construction permanente, leurs agencements et interactions dans la production de sens, au sein d’une société mouvante.

Autour d’Opening Night, film de John Cassavetes sorti en 1978, adapté de la pièce The Second Woman de John Cromwell publiée en 1963 ; en conversation avec Cyril Teste (co-fondateur du Collectif MxM, metteur en scène de la libre adaptation théâtrale du film avec Isabelle Adjani, Frédéric Pierrot et Morgan Lloyd Sicard) et Claude-Éric Poiroux (fondateur et directeur du Festival Premiers Plans et des Ateliers d’Angers, d’Europa Cinemas et du cinéma Les 400 Coups à Angers), allons voir ce qui, aujourd’hui, se manifeste dans le travail des metteurs en scène qui intègrent les techniques filmiques à la narration théâtrale ou investissent le champ de la réalisation cinématographique.

DIVAGUE

THÉÂTRE ET CINÉMA

Pour observer aujourd’hui, faisons un détour par hier, lorsqu’au début du XXe siècle, face aux arts du théâtre et du cirque, émerge la modernité cinématographique. Ses premiers opérateurs issus du music-hall (Georges Méliès, Charlie Chaplin, Tod Browning) reproduisent le décor scénique et ses trucages, maintiennent le regard tourné vers le spectateur. Ses premiers objets, diffusés dans des foires et cabarets, attirent les spectateurs de théâtre. Dès les années 1920 en Russie, Vsevolod Meyerhold installe les premiers écrans au-dessus de la scène. Lorsque le cinéma acquiert la parole, l’auteur-metteur en scène Antonin Artaud proclame en 1933 « la vieillesse précoce du cinéma » : succombant au langage usé, celui-ci sera vain, dit-il sans voir les images que son théâtre de la cruauté engendre. À l’intérieur du studio – qui n’est autre que le cube scénique reconstitué – le cinéma adopte les principes archaïques d’unités de temps, de lieu, d’action qu’il déploie à travers la caméra fixe, le plan-séquence et la profondeur de champ. Dans cette industrie naissante, un nouveau langage balbutie, que Jean Cocteau aborde en poète explorant les particularités de chaque médium, Erwin Piscator et Bertolt Brecht en précurseurs du théâtre politique approuvant ses potentialités scéniques, Samuel Beckett et Harold Pinter en chantres de l’absurde tentant de montrer l’invisible. Plus tard, les avant-gardistes Pier Paolo Pasolini, Rainer Werner Fassbinder ou Carmelo Bene écriront et mettront en scène indifféremment pour le théâtre et pour le cinéma – Claude-Éric Poiroux se souvient d’ailleurs du choc que fut la projection de Un Amleto di meno de Carmelo Bene en sélection officielle du Festival de Cannes en 1973. Avec eux, d’autres dramaturges, metteurs en scène de théâtre ou réalisateurs, adapteront au cinéma la littérature dramatique, représenteront le monde du théâtre ou des moments théâtraux, transposeront sur scène des scénarios ou s’inspireront de films. Loin d’être un effet de mode, la circulation des artistes, des matériaux textuels, des esthétiques et des techniques est bien un modus operandi organique.

Les figures tutélaires que citent Cyril Teste et le Collectif MxM sont des réformateurs : Ingmar Bergman, homme de cinéma mais homme de théâtre avant tout, qui a su comme nul autre peindre l’intime et l’intériorité ; la Nouvelle Vague française qui, à la fin des années 1950, place la caméra devenue mobile en décors naturels, réforme la grammaire du septième art et la représentation du réel, interpelle encore, autrement, le spectateur ; Thomas Vinterberg et la nouvelle vague danoise dont le Dogme95 inspire l’élaboration d’une charte énonçant les principes de la performance filmique ; et John Cassavetes qui, « passant invariablement du cinéma au théâtre, réforme la production cinématographique » selon Cyril Teste. L’acteur, réalisateur et scénariste américain, venu de la scène et dont les dernières œuvres seront théâtrales, se situe à la marge d’Hollywood, revendique son indépendance et signe un cinéma narratif fondé en partie sur une écriture que l’on qualifierait aujourd’hui de plateau, basée sur des improvisations, une spontanéité de jeu, une dramaturgie au diapason du vécu des interprètes et de leurs personnages, qui finissent par se confondre. Il écrit pour sa troupe et met en œuvre la théâtralité dans la fabrication et le sujet même d’Opening Night. « Lors du tournage, il passe une petite annonce pour convier quelques figurants comme spectateurs de la pièce. Dans ce théâtre, les caméras suivent le hors-champ, vont en coulisses… En ce sens il y a une vraie filiation » dit Cyril Teste.

21

Car le hors-champ est cette « interzone » que l’auteurmetteur en scène et directeur artistique du Collectif MxM explore, en conviant le cinéma sur le plateau de théâtre, en faisant du cube scénique simultanément un studio de tournage et une salle de projection. Depuis 2000, avec son collectif de créateurs – lumière, vidéo, son – ils exploitent le potentiel des nouvelles technologies comme outils narratifs, depuis la robotique et la diffusion olfactive jusqu’à la réalité virtuelle, sujet actuel de leurs laboratoires de recherches. Depuis 2011, ils œuvrent à la conception de ce qu’ils baptisent en 2015 la performance filmique, une écriture théâtrale qui s’appuie sur un dispositif cinématographique en temps réel et à vue. « Dans le temps de la représentation, la fiction est interprétée, captée, manipulée et projetée. Texte, vidéo, musique, numérique, chaque langue « incomplète » isolément prend sens dans une grammaire commune et synchrone. Ni illusion ni illustration l‘image est mise en perspective de l’action : un espace-temps fictif en réaction avec le réalisme du plateau. » Les temporalités s’entrelacent dans la réalisation d’un film éphémère, le théâtre remettant « au participe présent » les images infinitives du cinéma. L’écriture s’inscrit dans cet interstice, tendu entre ce qui se joue et ce qui est filmé. À la suite de Nobody en 2015, première performance filmique d’après les textes dramatiques de Falk Richter, Cyril Teste crée en 2018 Festen pièce adaptée du film par Thomas Vinterberg et en 2019 Opening Night, écriture collective adaptée du scénario original – avant montage – du film de Cassavetes, délivré par Al Ruban, directeur de la photographie, monteur et ayant droit du film. Deux pièces palimpsestes qui portent en elles les sédiments d’œuvres majeures (Hamlet de William Shakespeare pour la première, La Mouette d’Anton Tchekhov pour la seconde). En s’émancipant d’ores et déjà des principes de la performance filmique, Cyril Teste pose ici clairement les enjeux d’un processus auto-réflexif : « Quels outils doiton fabriquer pour que la vérité du théâtre soit entendue aujourd’hui ? Tout comme Hamlet je crois au théâtre comme piège de la conscience du roi, c’est-à-dire comme un espace qui peut réinvestir le champ de la vérité. Le théâtre est ce lieu unique où artistes et publics fabriquent ensemble l’œuvre au présent de la représentation, dans une réciprocité possible des regards. » Le hors-champ est selon lui, politique en soi : « si l’on veut construire une image, il faut avant toute chose construire autour ce qui ne se voit pas, ce qui est bien plus grand que l’imagemême. Le hors-champ constitue le cadre et en est la marge : il m’intéresse de voir comment le spectateur prend conscience que le récit, en dehors du cadre posé, prend sens autrement. » Opening Night met en jeu la fabrication même du hors-champ d’un plan cinématographique : « Ce sont trois artistes au travail d’une scène, intimement liée à eux : l’intime est-il fiction ? Quelle part d’intimité peut-on garder dans la fiction ? C’est la question du méta-théâtre qui m’intéresse ici. » Cyril Teste sonde également « le moment où la ligne claire est franchie et que l’on ne dissocie plus l’instant fictif du réel. » Avec ou sans projection d’images, il s’agit de déceler les nouvelles fictions à l’œuvre, aujourd’hui « où tout est fiction ». À la suite de The Wooster Group, précurseurs du théâtre multimédia dans les années 1970, Krzystof Warlikowski, Frank Castorf, Romeo Castellucci, Guy Cassiers, Thomas Ostermeier ou Ivo van Hove intègrent au récit l’image filmée, pré-enregistrée ou en temps réel. À la fascination pour l’image et à l’aura du texte qui animaient les

DIVAGUE

THÉÂTRE ET CINÉMA

générations précédentes, celle née dans les années 1970-1980, dé-sidérée, amplifie l’interférence vers ce que l’on pourrait nommer une « cinématographicité » théâtrale qui conçoit chaque élément narratif de manière égalitaire, n’interroge déjà plus la fabrique médiatique mais bien la duplicité de l’image entre réel et fiction, vérité et mensonge, le discernement et l’esprit critique.

La familiarité avec le cinéma, la télévision, l’animation et Internet convoquent des imaginaires partagés et le développement numérique permettent désormais aux metteurs en scène de manier la caméra « comme le peintre manie le pinceau » dit Cyril Teste, formé aux arts visuels et inspiré par Bruce Nauman et Bill Viola. Les responsabilités sont bouleversées, le regard du spectateur, libre et actif, circule du plateau à l’écran, de la danse des corps dans l’espace au détail d’un grain de peau, construit sa subjectivité tandis que les caméramen deviennent protagonistes de la fiction et les acteurs, opérateurs.

Un tel travail repose sur l’établissement préalable d’un storyboard, précise les plans de coupe et écrit tout déplacement, laissant peu de place à l’improvisation : une exigence qui permet d’accueillir l’imprévu que réserve le vivant.

L’usage de l’image relève aussi pour certains d’un art du pauvre, « la vidéo peut remplacer le décor et les lumières.

On peut mettre en scène ailleurs que dans un théâtre. Pour les jeunes de vingt ans qui arrivent, c’est important. » dit Julien Gosselin2. À peine trentenaire, celui-ci fait également de la scène un plateau de tournage allant même, dans sa récente adaptation des romans Joueurs, Mao II et Les Noms de Don DeLillo jusqu’à masquer les acteurs à la vue du public, ne projetant que le film réalisé en direct sur la scène occultée. La Britannique Katie Mitchell élabore un théâtre-live-cinéma : prenant le texte pour point de départ – récemment Schatten (Eurydike sagt) d’Elfriede Jelinek et La Maladie de la mort de Marguerite Duras (qui, d’ailleurs, écrivait pour le théâtre et le cinéma) – elle crée un dispositif massif de tournage, au service de l’image projetée en direct sur un écran surplombant la scène. Dans Reprise / Histoire(s) du théâtre – clin d’œil au titre de l’essai de Jean-Luc Godard Histoire(s) du cinéma – le metteur en scène, réalisateur et producteur de cinéma Milo Rau, également essayiste et critique de télévision, intègre la captation et la projection d’images en direct travaillant la question de la reconstitution et de la reprise, afin d’approcher le pourquoi des choses, non plus le comment. Au cœur de cette nouvelle vague internationale, la Brésilienne Christiane Jatahy renouvelle à chaque création son processus, pour créer ce qu’elle nomme un troisième territoire, « un espace du commun » qu’elle destine au public. Elle fait du spectateur l’acteur et le co-créateur d’une fiction tournée à son insu dans une installation performative (A Floresta que anda), montre la réversibilité de l’image en frontal (What if they went to Moscow ?) en conviant le spectateur à un double processus : la représentation et sa réitération, l’une théâtrale, l’autre cinématographique – les images filmées sur scène étant projetées en direct sur un écran dans une autre salle. De son côté, Marc Lainé cherche du côté de la culture populaire et du cinéma de genre, le road-movie (Vanishing Point) ou le film d’horreur (Hunter), d’autres défis scéniques qui intègrent l’interprétation des bandes originales musicales en direct. Ces recherches scéniques interrogent la production cinématographique, son langage comme son économie. Quelle théâtralité les artistes de la scène injectent-ils aujourd’hui au septième art ?

22

DIVAGUE

THÉÂTRE ET CINÉMA

de la question de l’adaptation, témoigne de ce qui ferait particulièrement théâtralité dans le cinéma actuel : un esprit de troupe, une écriture de plateau transposée au processus cinématographique et la conscience d’un « horsscène » qui serait, au-delà du système vu / non vu, un ailleurs narratif.

En ce XXIe siècle débutant, transdisciplinaire manifestement, des artistes comme Cyril Teste tendent vers l’hybridation totale, évidemment évolutive et collective. Où se situerait la réforme à l’œuvre aujourd’hui ?

Dans l’affirmation d’une parité et d’une impureté, nécessaires à une pensée complexe, ouverte ? Dans le renouvellement du collectif qu’apporterait le rituel théâtral à la projection cinématographique ?

Dans la relation entre l’image et le vivant, dans le saisissement de ce qui est, entre réel et fiction ? Dans les notions de hors-champ, de hors-scène ? « Godard disait Le cinéma, c’est la vérité 24 fois par seconde.

On lui rétorquait que le cinéma pouvait aussi être le mensonge 24 fois par seconde. » raconte Claude-Éric Poiroux. Est-ce dans la dialectique de la vérité et du mensonge que se situerait la réforme, prise comme responsabilité artistique et sociétale ? Christiane Jatahy dans L’Espace du commun3 l’exprime ainsi : « de la même manière que je me demande constamment ce que je peux changer dans mon travail […] afin de trouver de nouvelles possibilités scéniques et de relations avec le public, je me pose aussi des questions sur ce monde […] qui appelle de façon insistante aux changements dans les domaines personnel, politique et social. Et, selon mon opinion, nous ne pouvons pas nous exempter de parler de ça, que ce soit au théâtre, au cinéma, ou dans la jonction des deux. » Pour Cyril Teste : « Réformer n’est pas innover, c’est trouver des structures qui permettent que l’art soit entendu à l’instant où tu le livres. Par peur de la vacuité, on use de l’image d’une manière assez totalitaire aujourd’hui. Dire la vérité n’est pas le plus difficile, le plus difficile est de la faire entendre. Comment aujourd’hui faire entendre une vérité ? Puisque manifester ne suffit plus, il faut d’autres moyens. L’art est là pour critiquer et pour, je le souhaite, apporter une lecture visionnaire du monde. Car tout est déjà là et il appartient à l’artiste de l’éclairer ».

André Bazin, Qu’est-ce que le cinéma ?, Éditions du Cerf, 1958-62 Clarisse Fabre, Sur les planches, une forêt d’écrans, Le Monde, 04.11.16 José Da Costa et Christiane Jatahy, L’Espace du commun, 2016, Éditions publie.net 1 2 3

23

OPENING NIGHT JOHN CASSAVETES / CYRIL TESTE DU 7 AU 16 MARS 2019

La théâtralité d’une œuvre cinématographique ne relève pas de l’effet théâtral – adjectif apposé à ce qui serait jugé anti-naturel, emphatique, frontal ou déclamatoire – mais d’un principe actif. Elle s’incarne déjà dans l’esprit de troupe, propre au théâtre puisqu’au cinéma, les équipes de tournage souvent se défont après une production.

Pour Cyril Teste, le théâtre est un art qui rassemble, dans l’élaboration comme dans la réception « Partager avec une troupe le temps de la création est essentiel : c’est à partir de ça que l’on peut produire des œuvres qui ont plus d’imagination que soi. Cassavetes était exactement à cet endroit et si un jour je fais du cinéma, je ferai du cinéma de troupe, pas autrement. » Selon Claude-Éric Poiroux, citant Jeanne Moreau qu’il a bien connue, Isabelle Adjani à l’affiche d’Opening Night ou Laetitia Dosch dont le spectacle HATE est programmé en mars 19 au Quai : ce qui ferait théâtralité, c’est l’acteur : « Aujourd’hui il y a moins de clivage entre jeu théâtral et jeu cinématographique. À la suite de Patrice Chéreau, les réalisateurs tels Arnaud Desplechin ou Olivier Assayas, mettent à profit la richesse d’interprétation d’un acteur formé au théâtre, son incarnation, son endurance, son intensité. » Chez les jeunes réalisateurs, le directeur de Premiers Plans constate un motif commun : parler d’eux, dans le monde tel qu’il est. « Comme ce sont des gens qui ont peu de moyens pour produire leur art, il y a une dimension rudimentaire » et une inventivité propres à l’économie du théâtre. Loin de l’abondance iconographique, l’ascèse de la représentation théâtrale appliquée au cinéma réactive la puissance d’imagination des spectateurs et réinvestit la conscience du verbe. Figure d’une transdiciplinarité assumée, l’auteur, metteur en scène et réalisateur Christophe Honoré évolue indifféremment à travers la littérature, le cinéma et le théâtre. En 2017 et 2018, il interroge l’homosexualité au sein de la société française à travers trois médias : le roman (Ton Père), le cinéma (Plaire, aimer et courir vite) et le théâtre (Les Idoles). Lui aussi a sa bande, comme le metteur en scène Vincent Macaigne, acteur d’un jeune cinéma indépendant français, qui réalise en 2017 son premier long métrage, Pour le réconfort d’après La Cerisaie d’Anton Tchekhov. La colère envers ce qu’ont laissé ses aînés et le désarroi d’une génération perdue « dans un monde d’avant-guerre », répandue à grand fracas sur scène, s’exprime ici avec une plus douce fougue. Réalisé en quelques jours sans financement, sans scénario et prenant pour prétexte des répétitions, le film est imprégné d’une théâtralité qui, par-delà même sa dramaturgie, se manifeste dans de longs monologues face caméra et des scènes de groupe improvisées. Toujours en bande, Jean-Christophe Meurisse et le trio phare des Chiens de Navarre, réalisent en 2016 une extension moins performative de leur humour potache, dans un film, Apnée, construit comme une succession de tableaux reprenant là un principe dramaturgique familier. Ce panorama succinct, décentré

Prends nos vieux souvenirs Jonathan Capdevielle

L’artiste virtuose Jonathan Capdevielle est de retour à Angers !

Metteur en scène, ventriloque, danseur ou encore acteur, il excelle dans l’art de brouiller les frontières entre réalité et fiction et d’explorer saga familiale, nostalgie de l’enfance, sentiments qui s’ébranlent, prémices de la construction de soi ou encore ses Pyrénées natales. On se souvient notamment de ses spectacles Adishatz, Saga ou du mystérieux À nous deux maintenant. Associé au CDN, Jonathan Capdevielle crée à l’automne 19 au Quai Rémi, une adaptation du roman Sans famille d’Hector Malot, pour le jeune public. L’occasion rêvée pour nous de lui demander quelques photos-souvenirs de ses propres lieux d’errance et d’enfance.

C’est tout naturellement qu’il choisit la plume douce et mélancolique d’un poète pyrénéen – Francis Jammes – pour les ponctuer.

DIVAGUE

JONATHAN CAPDEVIELLE

24

L’absence À dix-huit ans, Pierre quitta la maison campagnarde où il était né.

Au moment précis où il s’en alla, sa vieille mère infirme était dans le lit de la chambre bleue dans laquelle il y avait le daguerréotype de son père, des plumes de paon dans un vase, et une pendule représentant Paul et Virginie, et qui indiquait trois heures.

Dans la cour, sous le figuier, son grand-père se reposait.

Dans le jardin, il y avait sa fiancée, des roses et des poiriers luisants.

Pierre alla gagner sa vie dans un pays où il y avait des nègres, des perroquets, des caoutchoucs, de la mélasse, des fièvres et des serpents.

Il y demeura trois ans.

DIVAGUE

JONATHAN CAPDEVIELLE

25

Au moment précis où il revint dans la maison campagnarde où il était né, la chambre bleue était devenue blanche, sa mère reposait au sein de Dieu, le portrait de son père n’était plus là, et les plumes de paon et le vase avaient disparu. Un objet quelconque remplaçait la pendule.

DIVAGUE

JONATHAN CAPDEVIELLE

26

Dans la cour, sous le figuier où son défunt grand-père se reposa, il y avait des écuelles cassées et une pauvre poule malade.

Dans le jardin de roses et de poiriers luisants où fut sa fiancée, il y avait une vieille dame.

L’histoire ne dit pas qui elle était.

Francis Jammes (1868-1938) poète béarnais singulier, écrivain et biographe atypique.

RÉMI HECTOR MALOT / JONATHAN CAPDEVIELLE SAISON 19/20

DIVAGUE

JONATHAN CAPDEVIELLE

27

Un jour, tu trouves la Vodka-Red Bull dégueulasse La musique est trop forte, tu connais aucun son qui passe Un jour, tu réalises enfin un d’tes fantasmes Et tu ressens comme un vide parce qu’en fait t’as trouvé ça naze Un jour, tu t’écrases et t’atterris dans la vraie vie T’es plus vieux qu’ton père sur les photos d’quand t’étais p’tit Un jour, tu t’sens perdu dans les fêtes de famille Leurs portables sont plein d’photos d’gosses, toi t’as qu’des photos d’gamines Quand y’a plus d’alcool sur le sol que dans les verres C’est qu’il est l’heure de rentrer Quand y’a plus d’musique et t’es tout seul sur la piste Il faut qu’t’arrêtes de danser La, la fête est finie La, la fête est finie La fête est finie, Orelsan - paroles : Aurélien Cotentin / Matthieu Le Carpentier

La fête est finie (?)

Est-ce le Plan Vigipirate ? Est-ce l’âge ? Est-ce l’air âcre du moment ? Estce les petites économies de ces temps pingres et craintifs ? L’heure n’est pas à la fête. L’homo festivus, si peu cher à Philippe Muray, qui régnait sur la fin de siècle a la gueule de bois et se soigne au bio et au cardio-training.

On ne fume plus à cause du cancer, on boit moins à cause des platanes, on baise moins (dixit Le Monde) à cause des réseaux. Boire une Tourtel Twist entre deux vapoteurs électroniques, ça schlingue moins le tabac, mais avouez que ça sent vraiment le sapin. Que Philosophie magazine lui consacre sa une, ça sent aussi le sapin. Allant d’une fête à l’autre, d’un pot de première à l’autre, d’un 14 juillet à l’autre… étrange impression que la lumière baisse, la paillette moins clinquante et l’ivresse moins pimpante. Comme il en est des étoiles en astronomie, on pourrait se demander de quoi cette variation de scintillement est-elle le symptôme ?

C’est pourquoi le cinéma s’interroge sur le Sens de la fête, le beau rap sur la Fête est finie, l’an prochain nous fêterons la fin de la fête, parce que nous y serons et parce que la fête aime bien ces (mises en) abîmes à travers un spectacle qui enjambera le siècle, de Labiche à Viripaev, à la recherche de la fête impossible.

Nous avions requis Guillaume Poix, talentueux dramaturge et auteur de l’abrasif Les fils conducteurs aux éditions Verticales, pour épauler notre réflexion dans un atelier sur ce thème mené au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique.

Aujourd’hui, nous y consacrons l’Atelier de Formation et de Recherche n°100 à travers un stage théâtral et filmique sur l’auteur russe Ivan Viripaev et sa pièce Les Enivrés.

Occasion d’un temps d’arrêt sous le ciel étoilé, vacillant.

DIVAGUE

LA FÊTE EST FINIE (?)

28

« N’importe qui peut être n’importe qui. » L’Homme-dé, Luke Rhinehart

LES FÊTES ET LES DÉFAITES Atelier de Formation et de Recherche n°100 Dirigé par Frédéric Bélier-Garcia, en collaboration avec Caroline Gonce et Wilfried Thierry Notre ambition est de travailler à partir de : trois lieux (une salle de théâtre, une école désaffectée, une boite de nuit), trois textes d’Ivan Viripaev et deux médiums le théâtre et le film. Nous travaillons en allers-retours entre le réalisme de l’image et la théâtralité du geste.

Pour jouer, filmer : la fête, la défaite, l’alcool joyeux et/ou triste.

Pour saisir sous nos masques quotidiens, la peur de ne pas sentir la vie qui passe, le désarroi que nous tentons d’assourdir, d’assouplir dans l’amour et, dans le brouhaha… Pincer ces instants pris à notre danse quotidienne autour du gouffre.

Fête Drôle de fête Drôle de défaite Impossible tête-à-tête Danse Drôle de danse Drôle de cadence Impossible chance À la folie, Juliette Armanet LORA. — Tu veux dire que tout va rester comme c’était, nous serons encore et toujours ensemble alors ?

GUSTAV. — Non, à partir de maintenant tout sera complètement différent, Lora. C’est seulement à partir de maintenant que nous serons enfin véritablement ensemble.

LORA. — Tu le dis là parce que tu es ivre, mais demain matin quand tu auras dessoûlé, tu verras les choses d’une manière toute différente.

GUSTAV. — Je ne dessoûlerai plus jamais, Lora.

LORA. — Tu vas te mettre à boire alors ?

GUSTAV. — Non, je ne boirai plus jamais, mais je ne dessoûlerai pas.

Les Enivrés, Ivan Viripaev

DIVAGUE

LA FÊTE EST FINIE (?)

29

Fragments pour la noce texte Guillaume Poix1

– La fête pour moi c’est une façon de rompre une poche de plastique, une façon pour moi de faire sortir de l’air qui était emprisonné et de voir à l’usage ce que cet air peut générer, je ne crois pas qu’on réussisse sa fête si on ne donne pas un bon coup de canif dans une membrane tendue, si on ne donne pas un bon coup de canif dans peut-être une panse, une baudruche, que quelque chose qui était gonflé se dégonfle et se mette joliment à respirer, la fête ce n’est pas une jupe écossaise ça ne suffit pas, la musique elle aide c’est sûr, c’est certain, la musique elle t’aide mais sitôt que quelqu’un qui devait être là ne l’est plus, sitôt que quelqu’un disparaît pendant que tout le monde est dans la fête, en train d’être dans la fête, sitôt que ça arrive la fête elle se recroqueville sur elle-même pour toi, ton sac de plastique il a un peu voleté dans les airs mais il retombe mollement au sol et c’est une espèce de forme, un crachat, un cadavre d’hirondelle ou de mouette je ne sais pas, ton sac plastique est aplati à cause du coup de canif que tu as donné, et même si tu cherches dans le sac plastique c’est un nid vide, alors moi, tu vois, la fête, je ne sais pas, il y a ceux qui croient qu’ils la font et ceux qui font croire qu’ils la font et ceux qui la font vraiment, et puis quand quelqu’un qu’on croyait avoir vu la faire a disparu, la fête elle est plus dans personne, elle cherche où se poser mais elle est repoussée par tout le monde et ça devient le cauchemar, le cauchemar aussi bien pour ceux qui croyaient qu’ils faisaient la fête, que pour ceux qui faisaient croire qu’ils la faisaient, le cauchemar aussi pour ceux qui la faisaient, et la fête je n’en connais pas une qui le soit restée, alors moi je ne sais pas, je vais voir comment tout ça va gentiment joliment libérer de l’air alentour et puis décider si ça vaut la peine que je me décide à la faire. (…)

– C’est ma seule chance. Si je la laisse passer, c’est fichu. Elle se représentera pas. Faut pas que je loupe l’heure. Je sais pas quel est le plan des tables. J’ai mandaté ma sœur pour essayer d’avoir des infos, pour l’instant je sais rien. Je ne sais pas si c’est un buffet et genre on peut se placer un peu où on veut sur des tables à disposition. Ma sœur pense que jamais ça pourra être ça. Elle pense que vu qui sont les marié-e-s, ce sera forcément un truc placé, avec noms des tables et tout. Je trouve ça tellement con de nommer une table. Tu nommes ton chien, ta fille ou ta chatte, mais une table. Genre quoi, table Dragibus, table YouPorn. C’est spécial comme truc. C’est ma seule chance, si on n’est pas à la même table, je suis flinguée pour la soirée, je rattraperais jamais la distance. Il faut que je lui dise que je trouve un moment pour lui dire, j’en peux plus de pas lui dire. Je sais pas si je me raconte des trucs mais je suis pas loin de penser qu’il pense pas loin de moi. Je peux pas penser à sa place, mais je suis certaine qu’il pense comme moi des fois. Je sais pas dire à quelqu’un ce genre de choses, moi. Je sais pas comment on fait, quels mots on est censée dire. Je me suis fait des films, des bons petits films dans mes nuits qui tournent dans ma tête, mais j’ai l’impression que j’arriverai jamais à oser suivre ce que je me suis dit que je devais faire. Genre aller lui chercher une coupe, et puis trinquer avec lui, genre converser avec lui intelligemment sur je sais pas tout ce qui peut paraître dingue dans la vie et qui peut faire qu’il se dise cette meuf est tellement intense, et puis lui proposer de danser, pas l’inviter à danser, surtout pas, lui proposer de danser, et puis voilà laisser faire la soirée et qu’au matin ce qui doit être dit l’ait été. C’est quoi les occasions que tu as dans une vie de danser avec l’homme que t’aimes sans lui avoir encore avoué que tu l’aimes ? (…)

DIVAGUE

LA FÊTE EST FINIE (?)

30

– Je vais pas tous te les citer mais disons que les grands standards qu’on me demande en général, tu as ABBA évidemment avec Gimme Gimme Gimme, Mamma Mia et Waterloo ou Dancing Queen, Amii Stewart (Knock On Wood), Anita Ward (Ring My Bell), Aretha Franklin (Think), Baltimora (Tarzan Boy), les Bee Gees (Saturday Night Fever), Blondie (Call Me), Boney M (Rivers Of Babylon et Daddy Cool), Cindy Lauper (Girls Just Want To Have Fun), Chic (Le Freak), Depeche Mode (Just Can’t Get Enough), Donna Summer (Hot Stuff), Earth Wind And Fire (September), Imagination (Just An Illusion), Indeep (Last Night A Dj Saved My Life) spécial dédicace évidemment, Jimmy Somerville (You Make Me Feel) John Travolta et Olivia Newton John (You’re The One I Want), Kool And The Gang (Celebration et She’s So Fresh) Laura Branigan (Self Control), Lipps Inc (Funkytown), Mickael Jackson indépassable (Billy Jean et Don’t Stop ‘Til You Get Enough), Modern Talking (Brother Louie), N’trance (Stayin’ Alive), Omd (Enola Gay), Patrick Hernandez (Born To Be Alive), Queen (A Kind Of Magic), Righeira (Vamos A La Playa), Soft Cell (Tainted Love), Stevie Wonder (Part Time Lover), The Bangles (Walk Like An Egyptian), The Beach Boys (I Get Around), un p’tit Beatles (Twist And Shout), The Clash (Should I Stay Or Should I Go), The Pointer Sisters (I’m So Excited), les Village People obligé (YMCA), Wham (Wake Me Up Before You Go Go), Céline Dion et Goldman (J’irais Ou Tu Iras), Claude François (Alexandrie et Les Magnolias) à chaque fois, Cookie Dingler (Femme Libérée) Dalida (LaissezMoi Danser), Début De Soirée (Nuit De Folie), Desireless (Voyage Voyage) Emile Et Images (Les Démons De Minuit), Gilbert Montagné (Sous Les Sunlights Des Tropiques), Indochine (L’aventurier et Trois Nuits Par Semaine), Julie Pietri (Ève Lève-Toi) Laroche Valmont (T’as Le Look Coco), Les Rita Mitsuko (Marcia Baila) éternel, Michel Sardou (Femme Des Années 80) quand même il reste, Ottawan (Disco mais surtout T’es Ok, T’es Bath, T’es In), Partenaire Particulier (Partenaire Particulier), Plastic Bertrand (Ça Plane Pour Moi), Stéphanie De Monaco la pauvre (Comme Un Ouragan), Stone Et Charden (Besoin De Rien Envie De Toi), du Téléphone aussi (Ça C’est Vraiment Toi et Je Rêvais D’un Autre Monde), Thierry Hazard (Le Jerk), en danse de salon tu as Andre Verchuren (La Comparsita), Chayanne (Tiempo De Vals)… (…)

– J’essaye de me baigner à chaque mariage où je vais. Heureusement, tous les mariages où j’ai été convié-e avaient lieu au bord de la mer. Rarement une attache familiale, juste le désir de faire des belles photos le jour J. J’ai fait des mariages à Majorque, à Capri et Arcachon, à Calvi, Southampton et même à Cap-Cod, il y en a eu d’improbables à Venise, Saint-Barthélemy, Palerme, Dunkerque et Saigon et d’autres très mémorables à Ramatuelle et San Francisco.

C’est un budget. Je calque mes vacances sur les destinations de mariage de mes ami-e-s.

Je ne peux pas faire les deux : partir en vacances et assister au mariage de mes ami-e-s. J’ai plus de 4500 ami-e-s sur Facebook, ce qui me promet un certain nombre de mariages encore partout dans le monde. Je deviens même ami-e avec les enfants issu-e-s des mariages de mes ami-e-s, et ceux-là ne tarderont pas à se marier eux-mêmes, ce qui fait que je devrais voyager jusqu’à ma mort. Il n’est pas question que je me marie. Je trouve que c’est une organisation assommante, je n’en serais pas capable. Quand je vois l’état dans lequel se trouvent les marié-e-s le jour J. Je pense que la plupart de mes ami-e-s (ceux qui se marient – et je fais en sorte de devenir ami-e-s avec des gens qui ont ce projet afin d’y être invité-e) sont des controlfreak et qu’ils ne rêvent que d’une chose dans leur vie : contrôler comme, je ne sais pas disons Kim Jong le Coréen qui est très à la mode (je n’ai encore jamais fait de mariage en Corée) ou même un Hitler, contrôler donc tout mais je veux dire absolument tout, tout des autres pendant le jour J. Je ne choisis plus la couleur de ma tenue : on m’impose la gamme quand on ne me demande pas de venir déguisé-e. Souriez comme ça. Mangez ça. Lancez-moi ça sur le visage quand je sortirai radieux-se de la messe (personne ne croit mais encore une fois c’est mieux pour les photos, et ça fait vaguement plaisir à une arrière grand-tante sans enfant dont on espère qu’elle lâchera son solitaire à la mariée). Pâmez-vous comme ça devant le coucher de soleil. Reprenez des bouchées à la truffe. Reprenez-en. Reprenez-en le repas n’est servi que dans 53 minutes. Alors quand je me baigne à poil dans une crique alentour, personne ne me fait chier. Du coup j’essaye de me baigner à chaque mariage. (…)

DIVAGUE

LA FÊTE EST FINIE (?)

31

– Je ne veux pas me porter malheur, mais ce mariage me donne à penser au destin de Vatel.

Mes crustacés ne mettront pas des heures à arriver, je les ai déjà pêchés et s’ils pourrissaient tous au milieu de la nuit j’aurais encore le loisir de plonger moi-même avec un trident pour amasser les quantités nécessaires au repas. Je ne m’inquiète pas, la mer ne m’a jamais fait défaut. Le menu a été patiemment élaboré, étroitement contrôlé par les familles et savamment panaché selon les coutumes des uns et des autres. De ce point de vue c’est mon plus beau menu, je veux dire que c’est un miracle de diplomatie culinaire et de diversité gustative, je suis très fier-e de servir ce que je vais servir demain. Vraiment je le suis. Mais si je n’ai pas de doute quant à mon excellence, mon professionnalisme et tous mes ouvriers, je redoute d’être pris en otage par le mariage lui-même. Ce pourrait bien être mes dernières noces. Je ne sais pas ce qui va sortir de tout ça. Je ne le sens pas. Même mes oursins, quand ils ont glissé de deux jours, sentent meilleurs. Le Grand Condé n’a donné que quinze jours à Vatel pour élaborer les plus somptueux menus de sa carrière. On m’en a donné trois. Je doute que l’on me complimentera sur la réussite de la réception. Je ne manquerai pas de présenter la note avec tous les détails nécessaires à sa compréhension et vous verrez qu’il ne pourra y avoir matière à finasser. Je n’arrondirai aucune des sommes dues, pas même s’il fallait gommer un centime. Je peux bien me dire que je vais réaliser la plus grande réception de ma carrière, je peux me dire que le repas servi à la place sera plus succulent que jamais, je sais pourtant que tout est déjà perdu.

Je ne sais pas quoi je ne sais pas pourquoi. Je le sens, ce parfum, celui de la tourte qu’on a laissé se charbonner dans les recoins d’un four à gaz. Parfois, on peut mourir juste comme ça, en mettant sa tête dans le four. La seule chose que je me demande c’est qui viendra racler la grille du four pour décoller les morceaux qui se seront incrustés dans le fer blanc. (…)

– Je ne sais pas à qui je dois m’adresser pour les discours. S’il y a un ordre prévu, si quelqu’un centralise l’organisation.

– Je n’en ai aucune idée.

– J’ai pensé au frère mais j’ai peur qu’il soit trop jeune. Il ne sait sans doute rien de l’organisation d’une noce.

– Je n’en ai aucune idée.

– Je ne voudrais pas que mon discours plombe l’ambiance, je ne sais pas ce qui est prévu, quelle place on nous donne, pas question de faire des jeux des animations j’ai compris le standing, mais des discours tout de même.

– Je ne peux pas te dire.

– J’ai déjà écrit plusieurs versions, je passe mon temps à changer d’avis, j’ai accumulé plus de ratures que de mots.

– Ah. – Je pourrai te lire une version si tu veux.

Silence.

– Oui. – Je peux te lire la dernière version du discours et tu me dis très sincèrement ce que tu en penses.

– Si tu veux, oui.

– Je lis et tu commentes.

– Allez.

– Je lis ce que j’ai prévu de faire – sachant que c’est encore en jachère, à l’état de projet, que je vais certainement tout changer comme je l’ai déjà fait deux cents fois – je lis et tu me dis en toute franchise si tu trouves/ – Oui. – Que c’est pertinent, émouvant, rigolo/ – Oui oui.

– Touchant, digne, je veux que ce soit digne, il faut que ce soit digne, pas larmoyant mais remuant dans la mesure où/ – Je vois.

– Alors je me lance.

– Allez.

– Je vais avoir envie de tout changer, rien que de me dire que je suis en train de te le dire je/ – Allez.

– Allez allez, oui, en avant, je me jette à l’eau, on s’en parle juste après, indulgence et franchise, donc : « (…)

DIVAGUE

LA FÊTE EST FINIE (?)

32

– C’est ma seule chance. Si je la laisse passer, c’est fichu. Elle se représentera pas. Faut pas que je loupe l’heure. Je sais pas quel est le plan des tables. J’ai mandaté mon frère pour essayer d’avoir des infos, pour l’instant je sais rien. Je ne sais pas si c’est un buffet et genre on se place un peu où on veut sur des tables à disposition. Mon frère pense que jamais ça peut être ça. Il pense que vu la cote des marié-e-s, ce sera forcément un truc placé, avec noms des tables et tout. Je trouve ça tellement con de nommer une table. Tu nommes ton chien, ton fils ou ta bite, mais une table. Genre quoi, table Nutella, table YouPorn. C’est hardcore comme truc. C’est ma seule chance, si on n’est pas à la même table, je suis flingué pour la soirée, je rattraperais jamais la distance. Il faut que je lui dise que je trouve un moment pour lui dire, j’en peux plus de pas lui dire. Je sais pas si je me raconte des trucs mais je suis pas loin de penser qu’elle pense pas loin de moi. Je peux pas penser à sa place, mais je suis certain qu’elle pense comme moi des fois. Je sais pas dire à quelqu’un ce genre de choses, moi. Je sais pas comment on fait, quels mots on est censé dire. Je me suis fait des films, des bons petits films dans mes nuits qui tournent dans ma tête, mais j’ai l’impression que j’arriverai jamais à oser suivre ce que je me suis dit que je devais faire. Genre aller lui chercher une coupe, et puis trinquer avec elle, genre converser avec elle intelligemment sur je sais pas tout ce qui peut paraître dingue dans la vie et qui peut faire qu’elle se dise ce mec est tellement profond, et puis lui proposer de danser, pas l’inviter à danser, surtout pas, lui proposer de danser, et puis voilà laisser faire la soirée et qu’au matin ce qui doit être dit l’ait été. C’est quoi les occasions que tu as dans une vie de danser avec la femme que t’aimes sans lui avoir encore avoué que tu l’aimes ? (…)

– Je n’ai aucune idée du nombre d’enfants qu’il y aura à garder. Le plus chiant, ce sont les parents qui veulent absolument te confier leurs mômes t’as l’impression que c’est une question de vie ou de mort tellement ils en peuvent plus. Ils te les refilent en début de soirée comme un virus honteux, ils disparaissent et, régulièrement, méthodiquement, pendant toute la soirée, ils vont venir te faire chier commenter tous tes faits et gestes, vérifier contrôler que tu n’enfonces pas une aiguille à tricoter au fond de la gorge de leur gamin parce qu’on sait jamais ce qui pourrait te passer par le tête. C’est les pires. Ils font semblant d’être détaché-e-s d’être saoulé-e-s et en fait ils organisent une ronde avec leurs potes pour t’espionner toute la soirée. En général leurs gosses sont adorables une fois les parents disparus et à massacrer au canif quand ils repointent le bout de leur nez. Il faut rester très calme très poli-e. C’est l’horreur. Je sais pas si tu as déjà gardé des nourrissons ? Parce que là c’est plutôt cool s’il y en a. Les parents te les laissent pas ils flippent trop. Ce qui me fait marrer à chaque fois tu verras c’est que les gens pensent que si tu t’occupes des gosses, tu es socialement défavorisé-e. Je sais pas pourquoi. Quiconque bosse pendant un mariage est un pauvre. Le serveur, le majordome, le baby-sitter, le wedding-planner, même le prêtre si y en a un, le D-J : tout le monde est à plaindre. Les gens se font servir et ils s’imaginent qu’ils sont mieux lotis que celles ou ceux qui les servent. J’ai jamais compris ça. Personne sait ce que je fais en vrai dans ma vie, personne ne m’a jamais demandé, personne n’a la moindre idée de ce qu’est ma vie mais tout le monde me prend un peu en pitié. Demain, laisse tomber, on va passer pour la lie de la lie.

Auteur et metteur en scène né en 1986, Guillaume Poix est normalien et diplômé de l’Ensatt en écriture dramatique. Il est l’auteur de nombreuses pièces de théâtre : Les présomptions et Virgile n’a pas les épaules, Straight, Wave, Waste, Brûlent nos cœurs insoumis, Tout entière ou encore Et le ciel est par terre. Il a également travaillé auprès de la cinéaste Claire Simon à l’écriture des films Les Bureaux de Dieu et Gare du Nord. Son premier roman, Les Fils conducteurs, paraît en août 2017 aux Éditions Verticales et reçoit le Prix Wepler - Fondation La Poste.

1

DIVAGUE

LA FÊTE EST FINIE (?)

33

Dans le pays d’hiver de

Silvia Costa

La jeune metteuse en scène, comédienne et plasticienne italienne, Silvia Costa, installée au Quai comme artiste associée nous invite à plusieurs voyages poétiques.

Le CDN propose ainsi en 2019 son adaptation enchantée Poil de Carotte, un Atelier de Formation et de Recherche, codirigé avec l’artiste John Romão, à destination de comédiens professionnels et sa dernière création Dans le pays d’hiver. L’ex-assistante de Romeo Castellucci y tisse une fresque onirique à partir des Dialogues avec Leuco de Cesare Pavese.

En prélude à cette représentation mystérieuse et contemplative des discussions philosophiques de Pavese avec les Dieux, Silvia Costa offre à Divague quelques collages issus de ses recherches. Une grâce énigmatique en émane d’ores et déjà…

DIVAGUE

SILVIA COSTA

34

DIVAGUE

SILVIA COSTA

35

DIVAGUE

SILVIA COSTA

36

DANS LE PAYS D’HIVER CESARE PAVESE / SILVIA COSTA DU 23 AU 26 AVR 2019

37

SILVIA COSTA

DIVAGUE

La bibliothèque de Camille Chamoux texte Valentine Spinelli photos Marie-Pacifique Zeltner

Actrice à la fibre tendre et comique tant à la scène qu’à l’écran, créatrice en tous genres à la plume déjantée, Camille Chamoux dévore les livres surtout quand les histoires sont drôles et loufoques.

Après son seule en scène Née sous Giscard, ses rôles dans la série J’ai deux amours ou pour les films Le ciel étoilé au-dessus de ma tête et Premières vacances, la comédienne est au cœur de la nouvelle création de Frédéric Bélier-Garcia Retours. Elle y joue le personnage de la mère au sein de deux satires fiévreuses du jeune auteur norvégien Fredrik Brattberg créées en mai 2019 au Quai.

The Archivists dépeint le portrait de cette grande lectrice à travers sa bibliothèque personnelle au désordre élégant.

DIVAGUE

LA BIBLIOTHÈQUE DE CAMILLE CHAMOUX

38

DIVAGUE

LA BIBLIOTHÈQUE DE CAMILLE CHAMOUX

39

Bibliothèque – La bibliothèque est le premier élément que Camille Chamoux a imaginé dans son appartement. Le résultat : asymétrique et désordonné – à l’image de ce qu’elle contient. « Mais c’est un désordre étudié » précise-t-elle. Le classement des livres, lui, est plutôt thématique. La poésie d’un côté, le théâtre de l’autre, là les romans graphiques et les bandes dessinées, ici la « zone des bouquins préférés ». Un espace qui s’est créé au fil du temps, observe Camille. En faisant avec nous l’inventaire des rayonnages, elle remet la main sur un livre de son grand-père, François Chamoux, grand helléniste et archéologue. « Vous voyez, les livres sont posés au hasard, mais au final tout a du sens » confie Camille qui aime prêter ses livres, les oublier quelque part, les laisser pour d’autres lecteurs. « J’ai constaté que les livres qui comptent, finissent toujours par me revenir. »

DIVAGUE

LA BIBLIOTHÈQUE DE CAMILLE CHAMOUX

40

Lectures – Grâce à sa mère, grande lectrice et amatrice de littérature jeunesse, Camille a toujours lu. « J’ai des souvenirs très précis.

J’ai dévoré les livres de Roald Dahl, et il y a encore quelques jours je parlais avec grand enthousiasme de Tistou les pouces verts de Maurice Druon ! » Tistou les pouces verts, on n’ose avouer qu’on ne connaît pas. « Vous ne connaissez pas ? Ah mais il faut absolument lire ça ! » Aujourd’hui, Camille lit principalement en vacances et dans les transports : « Ça me donne une excellente raison de ne jamais conduire ! » Il est en effet déconseillé de lire au volant. Retour sur la « zone des bouquins préférés », on y trouve les auteurs qui l’accompagnent : Philippe Jaenada (Plage de Manaccora, 16h30 et La Serpe, entre autres car elle a lu toute l’œuvre de l’auteur), Virginie Despentes (Apocalypse bébé) et Arnaud Le Guilcher (Capitaine frites). « Je me rends compte que j’aime les romans drôles et loufoques » dit-elle en nous présentant son dernier coup de cœur : Anatomie de l’amant de ma femme de Raphaël Rupert. Un premier roman qui l’a enchantée et qui vient de recevoir le Prix de Flore 2018. Réaction de Camille, amusée : « J’ai vu ça ! Je me suis dit que quand même j’avais bon goût ! ». Autre livre parmi les indispensables : Le conflit : la femme et la mère d’Elisabeth Badinter. « Meilleur remède contre la dépression post-partum. » DIVAGUE

LA BIBLIOTHÈQUE DE CAMILLE CHAMOUX

41

DIVAGUE

LA BIBLIOTHÈQUE DE CAMILLE CHAMOUX

42

DIVAGUE

LA BIBLIOTHÈQUE DE CAMILLE CHAMOUX

RETOURS LE PÈRE DE L’ENFANT DE LA MÈRE FREDRIK BRATTBERG / FRÉDÉRIC BÉLIER-GARCIA DU 20 AU 29 MAI 2019

Adaptation – Récemment, sur les conseils d’une amie, elle a lu un roman italien de Cristina Comencini, Être en vie. On y suit Caterina qui se rend à Athènes pour reconnaître le corps de sa mère, retrouvée sans vie dans une chambre d’hôtel auprès de son compagnon Sebastiano, mort lui aussi. À son arrivée, le fils de Sebastiano la rejoint.

Ils ont le même âge, la même douleur les lie. Tout en lui l’irrite, la dérange et pourtant l’attire aussi. Au cours de ces quelques jours intenses, ils vont revisiter leur enfance et faire ressurgir un passé au goût d’interdit et de liberté. Et se sentir, enfin, vivants. « C’est une véritable ode à la vie et à l’amour et il y a un magnifique personnage de femme. » Si, quand elle lit, Camille parvient à relâcher son regard d’actrice et de réalisatrice – « ce qui n’est pas du tout le cas quand je regarde un film où j’analyse chaque scène, chaque plan, chaque personnage » – elle voit dans ce roman un beau rôle féminin pour le cinéma. Mais le livre qu’elle aimerait tout particulièrement adapter pour le cinéma c’est De nos propres ailes de Kinga Wyrzykowska, un roman jeunesse qui l’a faite vibrer.

43

Babx De sa fenêtre

images Yvan Schreck et David Babin

Le pianiste et chanteur–poète Babx cultive une admirable singularité avec sa musique à la fois douce et indomptable. Les douze chansons qui composent son nouvel album Les Saisons Volatiles en sont une belle illustration. Déclinées au rythme du temps qui passe, elles évoquent des scènes aussi brutes que fugitives observées depuis la fenêtre de son appartement parisien au cœur de Belleville.

Le musicien orfèvre de l’intime offre à Divague quelques imagespaysages issues de ses nouveaux clips, en écho au concert donné à Angers en mars 2019.

DIVAGUE BABX - LES SAISONS VOLATILES

44

BABX LES SAISONS VOLATILES MER 27 MARS 2019

Pippo Delbono + Camille

photographies Simon Gosselin

Et si les metteurs en scène, les acteurs, les artistes en général ne faisaient que travailler à cela : offrir au public les sensations de leur intime première rencontre avec une œuvre ?

Réunis autour du texte Feuilles d’herbe de Walt Withman, le réalisateur et acteur Pippo Delbono et la chanteuse Camille se sont rencontrés sur scène pour une performance improvisée en public au Centre Pompidou fin octobre 2018.

Un moment hors du temps initié par le CDN et retenu par le photographe Simon Gosselin.

Une sensation suspendue, improvisée, rare et précieuse. Leur première fois.

DIVAGUE

PIPPO DELBONO + CAMILLE

46

DIVAGUE

PIPPO DELBONO + CAMILLE

47

DIVAGUE

PIPPO DELBONO + CAMILLE

48

DIVAGUE

PIPPO DELBONO + CAMILLE

49

Être Père : Possible, impossible ? Être Mère : Tautologie ou contradiction ?

Les enfants nous font-ils du bien ?

Le père de l’enfant de la mère La comédie de l’Éternel retour Il en est des auteurs comme des tombes égyptiennes, découvrir un auteur n’est jamais la même histoire. Il y a des écritures qui vous intriguent, certaines attirent et d’autres frappent. Le jeune théâtre de Fredrik Brattberg pourrait relever d’un genre qu’on nommerait : la comédie catastrophe.

DIVAGUE

DOSSIER : LE PÈRE DE L’ENFANT DE LA MÈRE

51

Petits meurtres en famille texte Frédéric Bélier-Garcia

Il s’agit à chaque fois d’une satire de la famille contemporaine, c’est-à-dire d’un couple, aussi aimant qu’aimable, droit dans ses bons sentiments, dans ses émotions généreuses et partagées. Mais l’auteur en concasse l’ordinaire, l’évidence, pour y faire suer, suinter ce qui la ronge de menace, d’inquiétude, d’hypocrisie consciente ou inavouée. À quoi nous sert l’amour des enfants ? Qu’est-ce qui s’y joue ? Qu’est-ce qu’on y joue ?

Les pièces les unes par rapport aux autres sont aussi différents fragments d’un même problème, l’amour et l’enfantement.

Brattberg a une cible qu’il martèle jusqu’à faire rougir l’enclume et fracasser le marteau : le couple avec enfant.

Noyau atomique de la nouvelle société, libérée, émancipée des carcans et morales d’antan… Pas une série qui ne compte la disparition d’un enfant pour dramatiser son plot, ou relancer sa saison, pas une tragédie qui ne soit ramenée Le protocole de composition et de destruction de à la mort d’un enfant comme étalon de la valeur dolorifère ; Brattberg fait penser aux exercices de Dino Risi, Todd réciproquement le souci de l’enfant est le nouvel étalon de Solondz, ou certains actes de Nanni l’humanité et de la vertu.

Comment vivre ensemble dans Moretti. Non seulement parce qu’il Cette nouvelle et joyeuse trinité est l’icône profane qui trône sur les une société et famille civilisées pratique le sketch long, ou la nouvelle fonds d’écran de nos ordinateurs quand elles ont fini par étouffer, théâtrale, comme calibre profilé pour attaquer, forer son objet par plusieurs et téléphones, en haut des profils interdire, proscrire toute mauvaise de ses faces. Aussi parce que le genre Facebook, totem des frigos.

La frappe de Brattberg cherche la fission passion, pulsions primitives, tous et le ton clopinent aimablement et joyeusement sur ces deux pieds : le plus que la fusion, c’est-à-dire la rupture nos mauvais sentiments ? grotesque monstrueux, et un regard du noyau de l’atome. Qu’est-ce qui ne critique. Comment vivre ensemble dans une société se dit pas dans cette image immaculée ? et famille civilisées quand elles ont fini par étouffer, interdire, proscrire toute mauvaise passion, toutes pulsions Ses histoires d’abord vous tutoient presque. Elles sonnent primitives, tous nos mauvais sentiments ? le quotidien partagé, puis ça glisse, tout glisse, comme si nos certitudes émotionnelles versaient telle une molle Pour ce faire, le plaisir est de recourir au même trio – père, gélatine dans le ravin, pour laisser paraître un fond très étrange, parfois surréaliste, d’un Buñuel trivial et farceur, mère, enfant – de les envoyer tambours battants dans cette grande lessiveuse qui pulvérise chaque fois l’évidence décidé à nous faire rire beaucoup, souvent jaune ou rouge. de cette trinité laïque (le père, la maman et l’enfant) de la société contemporaine. La pièce doit être joyeuse, sportive, épuisante et musicale, comme un Ravel effréné ou un Satie fiévreux.

DIVAGUE

DOSSIER : LE PÈRE DE L’ENFANT DE LA MÈRE

52

Brattberg est compositeur et grand interprète classique de Bach et Beethoven. Il maîtrise l’art de la fugue, une forme de composition musicale dont le thème passant successivement dans différentes tonalités, semble sans cesse fuir. On ne sait si on assiste à plusieurs possibilités d’une même scène (le retour de l’enfant cru mort) et/ou à une suite de scènes successives (où un enfant sans cesse revient d’une mort supposée).

Les pièces ont en commun leur objet et leur méthode que l’on pourrait nommer « l’éternel retour », en piquant le titre au gars qui disait que ce qu’il y a de pire en l’homme est nécessaire pour ce qu’il y a en lui de meilleur.

La tragédie y avance avec le nez rouge de la comédie, et inversement la comédie y sent le malheur par tous ses pores. Ce mélange est si dense que c’est la première fois, je crois que j’entre dans une matière sans en connaître le genre, d’où cette distribution au talent amphibie.

RETOURS PRÉCÉDÉ DE

LE PÈRE DE L’ENFANT DE LA MÈRE de Fredrik Brattberg mise en scène Frédéric Bélier-Garcia avec Camille Chamoux Jean-Charles Clichet Dimitri Doré traduction Retours Terje Sinding traduction Le père de l’enfant de la mère Jean-Baptiste Coursaud collaboration artistique Caroline Gonce scénographie Pierre Nouvel lumière Nicolas Marie son et création musicale Sébastien Trouvé costumes Marie la Rocca Production Le Quai Centre Dramatique National Angers Pays de la Loire

Fredrik Brattberg

DIVAGUE

DOSSIER : LE PÈRE DE L’ENFANT DE LA MÈRE

pièce traduite avec le soutien du ministère norvégien de la Culture/NORLA/ Norske Dramatikeres Forbund Fredrik Brattberg est représenté par L’Arche, agence théâtrale.

53

RETOURS LE PÈRE DE L’ENFANT DE LA MÈRE FREDRIK BRATTBERG / FRÉDÉRIC BÉLIER-GARCIA DU 20 AU 29 MAI 2019

Cette manière de concasser, triturer, broyer son sujet (la famille, l’amour, l’adolescence, le deuil…), en jouant sur des répétitions de scène et sur la variation, nous fait perdre progressivement l’évidence de leur sens et fait monter des couleurs et des vérités que nous ne leur connaissions pas.

Dans ce jeu, on ne sait si on a affaire à une histoire réelle, un fait divers, une fable perverse, ou un rêve ou cauchemar de notre actualité affective.

Brattberg engendre son style en prenant le déguisement de ses ancêtres (Ibsen, Strindberg), de ses aînés (Norén, Fosse), de ses frères (Lygre), et ainsi que toute sorte de phototypes de la série télévisée, ou même de la publicité. On est toujours au bord de la parodie (l’homme regarde par la fenêtre la route enneigée que personne n’empruntera), mais on évite subitement son écueil, la vanité, en ouvrant soudain devant nous des couloirs d‘affects et de pensées, personnels et inédits.

Trêve de fjords,

Drôlerie ‑ cruauté ‑ lâcheté La comédie scandinave Avec Aki Kaurismäki, Lars von Trier, Ruben Östlund, pour ne citer que les plus internationaux et les plus palmedorisés, le cinéma scandinave possède, depuis la chute de l’empire italien, la comédie la plus réjouissante, celle qui sonde le plus à la racine de la société, ses mœurs contemporaines pour en sonder la misère, le pathétique, la poésie sombre. Les bons sentiments, qui font les mauvaises comédies, y sont vidangés, pour laisser apparaître l’homme dans sa solitude, sa fragilité, dans sa chair la plus vulnérable.

Le théâtre scandinave, sous le poids radieux de ses figures tutélaires d’Ibsen et Strindberg, a surtout exporté sur le continent de grands tragédiens : de Lars Norén à Jon Fosse. Nous serons heureux de faire entendre la corde divinement farcesque et corrosive de ce théâtre.

DIVAGUE

DOSSIER : LE PÈRE DE L’ENFANT DE LA MÈRE

54

Snow Therapy - Ruben Östlund

Le Direktør - Lars von Trier

Les Leningrad Cowboys rencontrent Moïse - Aki Kaurismäki

DIVAGUE

DOSSIER : LE PÈRE DE L’ENFANT DE LA MÈRE

55

SCÉNOGRAPHIE : ÉTUDES PRÉPARATOIRES DE PIERRE NOUVEL

Le père de l’enfant de la mère

DIVAGUE

DOSSIER : LE PÈRE DE L’ENFANT DE LA MÈRE

56

ANATOMIE DU COUPLE

Retours

DIVAGUE

DOSSIER : LE PÈRE DE L’ENFANT DE LA MÈRE

57

Pères au Moyen Âge : être et avoir texte Carole Avignon1

« A quel moment de son existence l’homme devenait[-il] véritablement père dans sa famille : à la naissance de son premier enfant ou à la mort de son père ? » Voilà l’une des questions que se posent aujourd’hui les médiévistes qui interrogent les représentations et les modes d’incarnation de la paternité médiévale2. Isabelle Chabot restitue ainsi des pratiques dans un lignage de marchands florentins au prisme d’un libro, livre de famille transmis de père en fils, de 1326 à 14293. Valorino di Lapo était le seul fils légitime d’un père qui mourut en août 1329, laissant deux filles légitimes et deux fils bâtards.

Giovanni, aîné des bâtards de son père, avait toujours été associé aux affaires familiales et appelé « son fils ».

Le testament rétablit la hiérarchie entre les fils, légitimes, qui furent seuls aptes à hériter du père, et les illégitimes qui disparurent ainsi de la mémoire successorale officielle.

Mais ce fut Valorino, l’héritier légitime qui dut finalement renoncer à l’héritage du père pour se libérer de ses dettes.

Il dut alors émanciper deux de ses fils, encore mineurs, pour faire porter sur eux la charge de purger les dettes de leur grand-père. Ceux-ci moururent à vingt ans, avant d’avoir pu fonder à leur tour une famille, tout en ayant été revêtus des responsabilités matérielles et immatérielles de chefs de famille. Dès 1342, le plus jeune des fils, qui n’avait pas été émancipé, Barna di Valorino di Lapo, se retrouva chargé des « responsabilités qui incombent à un père de famille » : marier ou placer au couvent ses sœurs,

DIVAGUE

payer les dernières dettes, jouer un rôle politique, et tenir le livre de famille. Son fils, Valorino, fut associé à l’écriture domestique dès 1368, à seize ans, quand la santé de Barna déclina. En 1380, la mort de son père fit de lui le seul scripteur officiel ; il s’autorisa alors à évoquer la naissance de ses propres enfants, pourtant déjà âgés de trois et cinq ans, et engagea en parallèle la rédaction de son propre livre de ricordanze. « Jusque-là, comme l’analyse I. Chabot, bien qu’étant déjà père, il n’avait eu ni l’autonomie ni le pouvoir de le faire. Et c’est dans le dédoublement de son écriture […] que l’on peut lire en filigrane la construction de la paternité de Valorino ». Il enregistra ensuite les naissances et les décès des neuf enfants qui naquirent de ces deux mariages, et l’émancipation de ses quatre garçons ; il conserva également la mémoire familiale du bâtard de son père, Matteo, né d’une esclave, mais aussi du bâtard de son fils. Le livre de famille fut donc le lieu d’expression de paternités plurielles, plus ou moins fidèlement articulées aux normes coutumières et canoniques du temps. Celles-ci excluaient en effet du périmètre des successibles les enfants nés en dehors du mariage légitime de ses géniteurs et auraient pu en faire des enfants sans père. Valorino accueillit bien comme un fils celui que nos contemporains désigneraient comme un demi-frère et l’information de sa mort en

DOSSIER : LE PÈRE DE L’ENFANT DE LA MÈRE

58

Jouer « au » père

Dans l’ordre des représentations, la dimension composite des formes de paternité est encore plus frappante. Jérôme Baschet présente le double principe de la « paternité partagée » et de la « hiérarchie des pères » comme une clef de lecture des sociétés occidentales des XIe-XIIIe siècles7. Si la mère « enfante », le père « engendre ».

Mais depuis le VIIe siècle, les canonistes et théologiens n’ont jamais posé comme équation stable l’égalité entre paternité et engendrement. La formule romaine du Digeste qui prescrivait que « le père est celui que désignent les noces » (Pater si quem nuptiae demonstrant) se retrouva en effet amplifiée dans la pensée de l’Église : le père légitime restait d’abord celui qui était l’époux légitime de la mère venant d’enfanter. Dans son travail sur Joseph, Paul Payan cite encore un extrait de la Passion d’Arras écrite en 1430 par Eustache Mercadé. Lorsque Joseph présente Jésus au Temple, le prêtre lui demande qui est cet enfant. Quand il insiste pour savoir si Joseph est bien son père (« Beau preudons, estes-vous son père ? »), celui-ci lui répond, en application parfaite de la pensée romano-canonique à l’œuvre depuis des siècles : « Certes, j’ay espousé sa mère »8. En dehors de ce dispositif structurant, des juristes aux expressions les plus populaires de la culture de la fin du Moyen Âge, quel (genre de) père peut-il advenir ?

Chloé Maillet a ainsi étudié des cas de fausses accusations de paternité, invoquées dans l’œuvre hagiographique connue comme Légende dorée et composée au XIIIe siècle par Jacques de Voragine9. Accepter, comme le fit saint.e Marin.e, de nourrir l’enfant désigné, sans se défausser sur son sexe en révélant qu’elle ne pouvait pas en être le père puisqu’elle était une femme travestie en homme pour vivre au monastère, lui fit bien prendre le risque de donner foi à tout ou partie de cette (fausse) accusation. Lucie Laumonier exhume aussi des actes notariés montpelliérains du XVe siècle qui permettent de complexifier la qualification de la relation entre nourrissage, éducation, et paternité. Ainsi un jeune orphelin, Bernat, fit-il « par affection » donation de ses biens à un couple, Raymond et Agnès, pour pouvoir vivre dans leur demeure en s’engageant à les servir « comme un vrai fils est tenu de le faire ».

DIVAGUE

DOSSIER : LE PÈRE DE L’ENFANT DE LA MÈRE

Raymond et Agnès promettaient quant à eux de lui fournir « aliments et boisson, vêtements et souliers, ainsi que le toit, sa vie durant », ainsi que de lui « inculquer de bonnes mœurs […] comme s’il était leur propre fils »10. Cette démarche d’acceptation mutuelle suffit-elle à faire de Raymond un « père » en actes ? Les actes analysés révèlent aussi qu’« en 1455, Johan Champene, écuyer des consuls de Montpellier, [fit] la promesse de « norir l’enfent, vestir et causer et de le faire apprendre a l’escolle » avant de le placer en apprentissage […]. Si l’enfant se révèle être « de bon commandement, comme doit faire le fil au pere et a la mere », Johan, son père adoptif, agira « comme pere doit faire au fil ». Et si l’enfant […] désire continuer à vivre avec Johan et son épouse, qu’il est obéissant et s’entend bien avec le couple, alors il pourra obtenir jusqu’à vingt livres tournois sur les biens de ses parents adoptifs ».

La paternité médiévale revêt donc des contours labiles, actés dans la transmission d’un capital matériel (héritage, legs) ou immatériel (le nom, la déposition de la mémoire dynastique), mais aussi dans la circulation de la caritas qui fonde l’accueil, le soin, l’éducation (la norreture des médiévaux). N’oublions pas non plus que ces processus de paternité plurielle s’inscrivent dans un système culturel où la paternité par la chair n’est qu’une paternité parmi d’autres, à côté de celle des prêtres et des abbés (« pères » en grec) à l’égard de leurs fidèles ou de leurs moines, mais aussi à côté de la « paternité absolue », en Dieu11. La transcendance évangélique de la germanité universelle de tous les Chrétiens, quoique modulée au Moyen Âge pour ne pas heurter les obligations normatives de la régulation sociale, notamment dans le mariage, a contribué, dans l’ordre des représentations, à cette pluralité des institutions de paternité : avoir des fils (spirituels, adoptifs), sans être père (par la chair) ; être un père (nourricier) sans avoir de fils (légitimes) ; être un nourricier, sans être un père (par la chair) ; être un père par la chair, sans avoir l’autorité culturelle de la paternité.

Maîtresse de conférences en histoire du Moyen Âge, Université d’Angers, TEMOS-CNRS. Aude-Marie Certin (dir.), Formes et réformes de la paternité du Moyen Âge au début de l’époque moderne, Francfort-sur-le-Main, 2016, p. 20.

3 Isabelle Chabot, « Modèles et pratiques de paternité à travers un siècle d’écriture domestique (Florence, XIVe-début XVe siècle) », Aude-Marie Certin (dir.), Formes et réformes de la paternité du Moyen Âge au début de l’époque moderne, Francfort-sur-le-Main, 2016, p. 51-68.

4 Anna Bellavitis, « Paternité, fraternité et entreprise à Venise », Aude-Marie Certin (dir.), Formes et réformes de la paternité du Moyen Âge au début de l’époque moderne, op. cit., p. 113-129 ; ici p. 129.

5 Carole Avignon, « Accueillir l’enfant illégitime : modalités, enjeux, limites de la benignitas canonica. Des théories romano-canoniques aux pratiques sociales (XIIe-XVe s.), Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 124 (2017, n°3), p. 65-86 ; « Sans gens ni genus ? Configurations coutumières, reconfigurations pratiques de la condition de l’enfant illégitime (XIIe-XVe s.) », Carole Avignon (dir.), Bâtards et bâtardises dans l’Europe médiévale et moderne, Rennes, 2016, p.135-146.

6 Lucie Laumonier, « Bâtards et enfants naturels à Montpellier (XIVe-XVe siècle), Carole Avignon (dir.), Bâtards et bâtardises dans l’Europe médiévale et moderne, Rennes, 2016, p. 319-334.

7 Jérôme Baschet, Le sein du père. Abraham et la paternité dans l’Occident médiéval, Paris, 2000.

8 Paul Payan, Joseph. Une image de la paternité dans l’Occident médiéval, Paris, 2006, p. 302.

9 Chloé Maillet, « La filiation spirituelle face à l’illégitimité. Accusation de paternité et transgenres altimédiévaux dans la Légende dorée (XIIIe s.) », Carole Avignon (dir.), Bâtards et bâtardises dans l’Europe médiévale et moderne, Rennes, 2016, p. 383-391.

10 Lucie Laumonier, « Manières de parenté. Les formes de l’adoption dans la région de Montpellier au XVe siècle », Annales du Midi, 289, 2015, p. 7-24.

11 Jérôme Baschet, op. cit., p. 337.

1

2

59

FABRIQUE #22 DE PÈRES EN PÈRES : QUELS GENRES DE PÈRE ?

MER 20 MARS 2019

1400 fut consignée sur la même page que celle où ce dépositaire de l’autorité familiale et de la mémoire dynastique renseignait les informations relatives à la naissance et à la mort de ses propres enfants. Dans les replis de l’illégitimité, se cacheraient donc des processus symboliques de re-compositions de parenté, choisie, dans des formes de quasi-paternité. Dans les testaments des marchands vénitiens du XVIe siècle qu’étudia pour sa part Anna Bellavitis, il n’est pas impossible de découvrir qu’un fils naturel fût désigné comme l’héritier unique d’un père qui n’avait pas eu d’autres descendants légitimes.

Mais l’historienne précise aussi que « la formule pour [les] désigner reste toujours qu’il soit ou qu’il ne soit pas mon fils, expression qui insiste sur la paternité comme choix »4.

Les bâtards ne furent en tout cas jamais totalement laissés sans père, a minima saisi dans ses devoirs de père naturel, nourricier5. Dans les testaments montpelliérains des XIVe-XVe siècles étudiés par Lucie Laumonier, des pères firent bien des legs à leurs enfants « bâtards » qui parfois portaient clairement le patronyme paternel. Et abandonnés aux institutions charitables de la ville, les enfants exposés dont on ne pouvait pas connaître le père naturel étaient significativement désignés « fils » ou « filles du consulat » de Montpellier6.

Les effets de la perte dans le corps texte William Bellanger

Du point de vue métaphysique, penser la mort peut ne pas apparaître comme un problème insurmontable.

Penser la finitude de l’homme s’imposerait alors comme première à toute conception philosophique générale.

Philippe Forest et Vincent Delecroix dialoguent dans Le Deuil : entre le chagrin et le néant (2017). Ils estiment qu’il en va d’une toute autre affaire que de penser les effets de la perte dans notre rapport au monde. La perte d’un être cher qui nous précipite dans le réel de notre manque à être, comme une plaie béante, abyssale et irréductible d’où l’on ne revient pas.

Anéantissement du soi, effondrement narcissique, douleur, culpabilité, colère.

Les effets de la perte ont un sens. Ils agissent comme une trouée dans l’être, constituent un vide au bord duquel le sens est donné par le symptôme. Mais il n’est pas donné d’emblée, dissimulé et tapi dans l’ombre, le plus souvent et pendant longtemps à l’insu du sujet. Quand se donnerat-il au grand jour, à la lumière de la conscience ? C’est la passionnante question qui se pose à la pratique de la

DIVAGUE

clinique en médecine générale notamment. La plupart du temps, il s’agit de recevoir d’abord le symptôme du corps apparent, comme lieu d’hébergement du sens caché, en admettre la portée signifiante, accepter de ne pas savoir, en être dépositaire comme un lieu d’adresse, une boîte postale. Ce qui se dépose peut être encombrant. Les effets thérapeutiques inconstants dépendent du niveau d’implication du médecin, de la confiance accordée ou non par le patient, de ce qui s’y joue à l’insu des deux dans la relation transférentielle.

DOSSIER : LE PÈRE DE L’ENFANT DE LA MÈRE

60

« Jouer » le deuil

La mort « impensable » est ressentie par le corps somatique et s’exprime cliniquement. La mort comme pensée ou représentée comme un drame ou une tragédie dans l’espace psychique s’articule au réel. Et la mort agie ou agissante dans l’abîme de l’être constitue le « corps psychique » (JB Pontalis : Entre le rêve et la douleur, éditions Gallimard, 1977). Le symptôme de ce corps psychique se montre et se donne à voir pour être entendu, dans une répétition élémentaire, compulsive et insistante du symptôme. Si tant est qu’une résolution même partielle de la souffrance engendrée soit possible, elle ne saurait s’accommoder ni de compassion ni de complicité, bien au contraire.

La clinique des corps meurtris comme impression saisissante de ce qui ne se dit pas. Quand la transposition en mots ne se fait pas. Encore.

C’est à partir de ses expériences en clinique analytique de ce qu’il nommait « des réactions thérapeutiques négatives » posées comme des obstacles à la guérison et qu’il attribua finalement « à la pulsion de mort » en 1937, que Freud lui-même en fit sa théorie sur les pulsions : « rien autant que les résistances rencontrées au cours du travail analytique ne donne l’impression d’une force qui s’oppose par tous les moyens possibles à la guérison et qui est absolument déterminée à se cramponner à la maladie ou à la souffrance… dont une partie relève d’une conscience de culpabilité et besoin de punition… ». Ces premières théories psychanalytiques sur la question de la mort, reprises et travaillées par nombre de contemporains, auteurs chercheurs penseurs aussi célèbres que décriés tout au long du XXe siècle, marqueront en profondeur les esprits de la rationalité contemporaine, y compris dans une approche cognitive et comportementale pour caractériser l’agressivité par exemple.

L’éprouvé du corps vidé assoit « l’absence à soi-même » comme manière de vivre, sous l’effet de la rationalité technique qui prévaut depuis l’entre-deux-guerres en Europe, en tant qu’elle organise le monde contemporain et donc notre rapport au monde tout court en le vidant de sens (Michel Terestchenko : Un si fragile vernis d’humanité, éditions La Découverte, 2005). Il y a de ce point de vue, éminemment politique, à reconquérir une parole déniée, au moins pour protester contre les violences, et notamment la maltraitance, ainsi qualifiée par Kaltenbeck (2009), de crime en association sous l’effet de la volonté collective de silence et de préciser que « la maltraitance pourrait bien venir de la volonté haineuse d’étouffer ce cri de la jouissance de la vie d’un sujet qui est la condition de ses énonciations » comme pour faire taire ce qui risque de se dire.

DIVAGUE

DOSSIER : LE PÈRE DE L’ENFANT DE LA MÈRE

Quoi qu’il en soit, l’analyse sémiologique des effets de la perte reste formidablement opérante aujourd’hui en pratique clinique et surtout en contexte de médecine de famille. Interrogé d’abord par la voie du corps, le clinicien rencontre la volonté de maîtrise et de contrôle exprimée par le corps qui relève de ce qui fait date (sens) sur le corps. Le corps est ici, au présent, directement concerné en divers endroits tour à tour attaqués, menacés, convoqués d’autorité pour se donner à entendre. La tête qui tourne, ou douloureusement serrée dans un étau de « migre-haine », celle qui se prend, ou celle qui se perd, devient folle. Le cœur brisé, siège des oppressions, des serrements, est souvent aux affaires. Un homme jeune s’est blessé la main avec une tronçonneuse. Il sent battre son cœur dans le bandage qui couvre sa main meurtrie.

S’entend-il me parler de son cœur brisé par une rupture amoureuse ? Une femme avance la date de son rendezvous pour une douleur dans la poitrine parce qu’elle craint « de faire un infarctus ». Elle réalise que c’est, ce jour, la date anniversaire de la mort de son frère, qui fait mal.

Le ventre sous couvert des intestins et du côlon, loin d’être sot à ses heures, frappé même d’intelligence nous apprend-on, se repait des vicissitudes de la vie qui s’y loge ou s’y arrête, se remplit et se vide à grand bruit se faisant ainsi entendre du vivant. Une femme a vomi le jour de l’enterrement de son père, mort d’un cancer du côlon ou du pancréas. Elle se souvient enfant d’avoir souhaité sa mort. Elle espère qu’Axel (prénom de l’enfant à naître qu’elle porte) « va guérir tout ça » et lui « permettre d’enterrer ses mauvais souvenirs ». Les articulations, encore, lieux de passage d’une partie à l’autre d’un membre si important pour le tout, trait d’union et lieu d’ancrage d’un sens à trouver, chevillé au corps.

Décider du moment de sa mort atteste d’un vœu de toute-puissance, sinon d’immortalité. Concevoir un enfant qui pourra me survivre et par la même me rendre un peu d’immortalité ou qui me précipite à ma propre mort en disparaissant, atteste du même vœu.

Ce faisant et sous l’effet du vide, « l’addiction » vient en réponse quand le travail de symbolisation, par la prise assumée de parole ne se fait pas. Répondre en miroir au vide de sens, par l’exigence du remplissage, revient à s’attacher au produit de la dépendance, pour ne pas mourir. Une femme négligée par sa mère pendant toute son enfance rêve d’Efferalgan® pédiatrique qu’elle boit, et se réveille avec un goût sucré dans la bouche, se demande si c’est réel. Le produit reste après que tout s’effondre.

C’est l’objet de ce qui reste d’une demande d’amour qui ne fut pas entendue en son temps. Le produit peut être une personne aimée, un enfant, enjeu de la dépendance qui confronte à sa propre solitude. Une femme débute les entretiens à l’annonce d’une nouvelle grossesse qui fait suite à quatre fausses couches. Elle parle de son père admiré et violent, immigré espagnol et musicien, mort quand elle avait onze ans. Il donnait des coups, parlait peu. Elle ressent beaucoup d’admiration, sentiment mêlé, quand sur son lit de mort, elle l’a embrassé, corps froid.

Elle se demande s’il l’aimait.

61

In Machina 360 Marc Caro

dessins Marc Caro

Les images du dessinateur et réalisateur ligérien Marc Caro frappent fort et restent ancrées dans nos imaginaires collectifs. On pense notamment au magazine Métal Hurlant ou encore aux films Délicatessen et La Cité des enfants perdus qu’il coréalise avec Jean-Pierre Jeunet.

Exceptionnellement accueilli au Quai pour sa 3Ie édition en janvier 2019, le Festival Premiers Plans mène un projet avec l’artiste et l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes autour d’une web-série écrite par Marc Caro. Le Festival met à l’honneur l’univers fantastique du réalisateur.

Au programme : présentation du décor réalisé par les étudiants, tournage du premier épisode, découverte des étapes de fabrication et exposition inédite de photos du tournage de La Cité des enfants perdus, sa projection et celle du Bunker de la dernière rafale, un de ses premiers courts-métrages.

Pour l’occasion, le réalisateur qui vient de la BD a eu envie de nous présenter trois personnages ou trois divagations futuristes spécialement dessinés pour Divague.

DIVAGUE

MARC CARO

62

DIVAGUE

MARC CARO

64

FESTIVAL PREMIERS PLANS DU 25 JAN AU 3 FÉV

65

MARC CARO

DIVAGUE

Gavin Bryars

La composition par l’envoûtement texte Karyn Bauer

Gavin Bryars, l’inclassable. Ses créations bouleversent. Qu’elles soient destinées à l’opéra classique, à la danse contemporaine ou aux chants d’église, ses univers sont à la fois hypnotisants, sensuels et enveloppants, parfois à partir d’un simple son. Considéré comme un des dix hommes les plus intelligents de la planète par le sculpteur espagnol Juan Muñoz, cet univers onirique est à l’honneur au Quai en mars 2019 avec la présentation du spectacle incontournable de Maguy Marin, le très émouvant May B, créé à Angers en 1981, ainsi que la reprise de Biped pour le centenaire de Merce Cunningham avec qui Bryars a souvent collaboré.

Ce compositeur anglais, dont la mère avait fait du violoncelle une passion et le père, du chant, est né en 1943 dans la petite ville de Goole dans le Yorkshire. Il sera néanmoins le seul enfant d’une fratrie de cinq à suivre une voie musicale, en commençant par le piano à l’âge de cinq ans. Ce grand amateur de football aurait pu jouer en équipe professionnelle, mais il a pris la voie de la musique.

L’instrument était pourtant totalement inexistant dans cette petite ville ouvrière du nord de l’Angleterre. « Adolescent, quand j’écoutais de la musique, je n’entendais que le son de la basse » me disait Bryars. Il rêve d’en jouer lorsqu’il part à Sheffield pour faire ses études universitaires. Là, il touchera à sa première contrebasse, toute cabossée ! « Il y en avait une douzaine, elles étaient toutes en piètre état. Mais le professeur de musique m’en a confié une. À l’aide des livres à la bibliothèque, j’ai appris à la réparer ! » Contrebasse à la main, il s’imagine étudiant en musique, mais atterrit dans des cours de philosophie.

DIVAGUE GAVIN BRYARS

« C’était superbe, tellement utile. Il n’y a pas d’emploi possible après, à part enseignant, mais quelle mise en forme du cerveau ! » Il devient vite contrebassiste dans un groupe de jazz professionnel et, en peu de temps, se met à la composition. Marqué par la philosophie, il ne veut plus improviser, il veut rajouter de la réflexion au son. Cet autodidacte récidive et apprend la composition auprès des plus grands, notamment John Cage chez qui il travaillera en Illinois pendant trois ans. « J’ai rencontré Cage en Angleterre en 1966 lorsque Merce Cunningham venait avec sa compagnie. C’est eux sans doute qui m’ont éloigné du jazz et de l’impro…, se rappelle-t-il, je me suis rendu compte que je préfère l’approche détachée de Cage ». Devenu professeur dans une école d’art, Bryars crée la Portsmouth Sinfonia, un orchestre d’amateurs jouant librement les morceaux populaires de musique classique. « Aucun de nous ne jouait très bien, mais on se rajoutait les uns aux autres, tout le monde était le bienvenu. C’était incroyable, on avait un son impensable, et on ne s’est jamais améliorés ! »

66

DIVAGUE GAVIN BRYARS

les tableaux de ce spectacle se répètent sans cesse et la rengaine religieuse chantée par cet inconnu, mise en musique hypnotisante par Bryars, prend toute sa dimension pour accompagner avec puissance les héros sans grade de la chorégraphie. Après Maguy Marin, c’est aussi Tom Waits qui s’emparera du morceau dans une interprétation bouleversante. Avec chaque reprise, le morceau évolue, sans perdre de sa force. Il a également été utilisé par le chorégraphe William Forsythe dans Quintett dansé par la Sydney Dance Company en 2015. « J’aime énormément travailler avec des chorégraphes contemporains, rajoute Bryars qui se lie d’amitié avec beaucoup d’entre eux, notamment Forsythe, Edouard Lock, et surtout, Carolyn Carlson, également présente sur la scène du Quai en janvier 2019. « Cela fait 18 ans que je travaille étroitement avec Bryars » me disait-elle récemment. « Il a des idées uniques, et possède surtout des illuminations spirituelles dans son travail lyrique. J’ai toujours été inspirée par ses atmosphères mystiques qui rajoutent des points de vue poétiques de l’absurde et du profond. » L’appréciation est réciproque. « J’adore Carolyn, » enchérit Bryars. « Elle est complètement cinglée, mais elle est sublime. » Et rigole lorsqu’il dit qu’elle doit dire la même chose le concernant.

Bryars a également collaboré considérablement avec Edouard Lock et ses La La La Human Steps avec qui il aura sans doute une nouvelle collaboration en 2019. Mais son interprète de prédilection restera sans doute son proche ami Merce Cunningham avec qui il commence à travailler suite au décès de John Cage. « Je rêvais de travailler avec Cunningham, et là, il m’a fait rentrer dans son univers par la grande porte. Sa chorégraphie me parle. Elle s’approche le plus de la rigueur du ballet classique sans être prisonnier de ses limitations. » Ensemble ils créeront Biped, pièce emblématique du répertoire tardif de Cunningham dont l’univers s’inspire du monde informatique. « Il m’a dit un jour que je devais imaginer ma partition sur le son du cliquetis du changement de chaînes d’une télévision… mais dans les années 90, ce n’était pas comme aux États-Unis, nous n’avions que cinq chaînes en Angleterre à l’époque ! » Les directives étaient maigres, seule la durée du spectacle était réellement spécifiée. Une fois la partition construite, elle ne rencontrait les danseurs que le soir de la répétition générale. Une vraie gymnastique de l’esprit… Sachant que le vocabulaire de la danse devenait de plus en plus difficile avec cette chorégraphie qui développait de nouveaux enchaînements de plus en plus compliqués voire vertigineux. « Mon rôle ?

Accompagner les danseurs sans jamais prendre le pas sur leurs mouvements. Respecter l’indépendance de chacun était la base pour Merce. » Un travail profondément satisfaisant pour ce grand pédagogue qui se sent tout à fait chez lui à Angers, berceau de cette chorégraphie américaine si délicate et interprétée avec grâce par, d’après lui, « une compagnie des plus agréables ».

Les œuvres de Bryars ont été interprétées notamment par le BBC Symphony Orchestra, le Quatuor Arditti, le Hilliard Ensemble, le Quatuor Balanescu, le contrebassiste Charlie Haden, le guitariste américain Bill Frisell ou avec son groupe, le Gavin Bryars Ensemble.

L’enregistrement de Gavin Bryars : The Fifth Century par The Crossing de Philadelphie a reçu le Grammy de la Meilleure Performance Chorale en 2018.

67

MAY B MAGUY MARIN JEU 21 MARS 2019

Un jour il amène ses élèves à Londres voir un spectacle de Cunningham mais c’est lui qui y retournera toute la semaine. « Ça m’a vraiment parlé. » En 1969, il compose The Sinking of the Titanic d’après des enregistrements authentiques sortis d’archives. Travaillant auprès d’artistes plasticiens, son approche a pris tout son sens. « J’étais très sensible à l’idée que les musiciens étaient en train de jouer pendant que le navire sombrait. J’ai commencé par le son de l’eau, l’évolution, la spéculation, j’ai ensuite rajouté des instruments à cordes, comme un assemblage.

C’est une pièce ouverte qui se module à chaque fois qu’on la joue… » Deux ans plus tard son second opus naîtra et fera de lui une star internationale. Il se trouve à l’époque à Londres avec son ami Alan Power, tous deux en train de récolter des sons pour accompagner un film en cours sur les sans-abris du quartier de Waterloo et Elephant and Castle, quartier où Charlie Chaplin avait passé son enfance.

L’alcool y était très présent, la misère aussi. Au cours du tournage, certains chantaient, parfois de l’opéra, d’autres des ballades. Et puis, ce vieil homme. « Power m’avait donné ses vieilles bandes non utilisées. Ça valait cher à l’époque, les bandes. Celle-ci, je ne sais pas pourquoi, je ne l’avais pas effacée tout de suite. Je l’ai écoutée. La voix de cet homme chantonnant avait interpellé toute une salle de personnes qui s’étaient mises à écouter, à ralentir, certains s’étaient même mis à pleurer » disait Bryars en se souvenant de ce morceau, Jesus’ Blood Never Failed Me Yet. Il servira de refrain à répétition pour la composition du même titre. « J’ai senti tout de suite la puissance de ces 27 secondes de chant qui se terminait là où il avait commencé. Ce point de départ est non seulement un travail, mais un hommage à cet homme dont on n’a jamais réussi à trouver le nom. On sait seulement qu’il ne buvait pas d’alcool. » Depuis, ce morceau a été interprété des milliers de fois. Il servira entre autres en hommage aux sans-abris, une soirée est d’ailleurs programmée une nuit entière à la Tate de Londres en avril 2019 avec des musiciens professionnels jouant côte à côte avec des amateurs démunis. Lorsque j’en ai parlé avec Bryars, il se remettait tout juste de l’émotion de la veille où il avait interprété ce même morceau au cœur de l’église Saint Martin’s in the Field à Trafalgar Square pour la cérémonie annuelle donnée à la mémoire des sans-abris décédés dans la rue. Un chœur constitué de personnes sans domicile fixe y interprétait la voix de l’homme. Le moment était si bouleversant que la violoniste de Bryars, qui avait tant joué ce morceau, a dû s’arrêter par moment pour essuyer ses larmes. C’est justement ce morceau puissant que découvrira par hasard la chorégraphe toulousaine Maguy Marin lors de la création de son hommage à Samuel Beckett, May B, dévoilé au Théâtre Municipal d’Angers en 1981. « Une amie m’avait apporté cette cassette. « Écoute-ça, me disait-elle, c’est ça qu’il te faut ». J’en étais bouleversée. Mais à l’époque, notre compagnie n’avait pas d’argent. Non seulement ça, mais on avait peur qu’on nous empêche d’utiliser le morceau. Alors on s’est emparé de cette musique sans que Gavin le sache. » Fille d’émigrés espagnols, Marin est une chorégraphe engagée. Elle s’intéresse aux faibles, aux délaissés, sans pourtant tomber dans un misérabilisme de façade. Nul ne pouvait prévoir à l’époque que ce spectacle ferait le tour du monde, et encore moins que 37 ans plus tard il serait encore programmé dans des théâtres prestigieux.

Ce n’est que quelques années après que le compositeur en prendra connaissance. Entre le grotesque et le sublime,

De l’émergence Quelles vérités et nécessités se cachent derrière les termes « émergence », « jeune création », ou « nouvelle génération » ?

Mots-écrans, fourre-tout galvaudés (à défaut d’idées, louons la nouveauté) ou authenticités uniques qu’il faut soigner et préserver ?

Selon les définitions qu’en donne Le Larousse l’émergence serait la « sortie d’un système, d’un liquide, d’un fluide, d’une onde, d’une particule ». Ou encore « l’apparition soudaine d’une idée ». Au Quai CDN, en association avec le TU-Nantes, nous souhaitons offrir avec Prémices, nouveau temps fort dédié à la jeune création, un humble terrain de jeu afin de favoriser la propagation de quelques ondes, ligériennes pour la plupart. Une échappée pour faire apparaître des inattendus…

DIVAGUE

PRÉMICES

68

Cartographie non exhaustive d’espaces dédiés à l’émergence et à la jeune création.

Ceux sympas qui nous ont répondu. Regarde tes spams !

Impatience / Festival du théâtre émergent 5 Paris Décembre Encourageant les démarches scéniques inventives, stimulant les explorations des uns et éveillant la curiosité des autres, Impatience met en lumière le travail de compagnies émergentes auprès du grand public et des professionnels. Des projets venus de tous horizons et de toutes cultures sont accueillis sur différents plateaux parisiens. Quatre prix sont remis à l’issue du festival : le prix Impatience, le prix des lycéens, le prix SACD et du public.

1 Wet° / Festival de jeune création contemporaine Centre Dramatique National de Tours – direction Jacques Vincey Mars Comment vivre sans inconnu devant soi ? René Char Un temps fort non seulement consacré à la jeune création mais également porté par ses pairs.

Avec aux manettes le Jeune Théâtre en Région Centre-Val de Loire – ensemble artistique associé au CDN de Tours – le désir est de faire feu de tous bois afin d’y traquer la réalité des termes « jeune création » et « émergence ».

2 BAM ! / Surprise party artistique TU-Nantes Scène jeune création et émergence Septembre Une invitation lancée à de jeunes équipes artistiques qui proposent des formats inédits, in situ, ou des premières tentatives, pour une surprise party artistique explorant quelques possibles du théâtre pendant deux soirées qui font Bam !

3 Actoral / Festival des arts et des écritures contemporaines Marseille Automne Actoral, festival international pluridisciplinaire, créé par l’auteur et metteur en scène Hubert Colas, favorise les interactions performatives de la création contemporaine. Chaque automne durant trois semaines, plus de deux cents artistes français et internationaux rejoignent la cité phocéenne pour s’y produire.

8

6

PRÉMICES

5

7

1

2

4

4 Un Festival à Villeréal Juillet À mi-chemin entre Bergerac et Villeneuve-sur-Lot, le petit village de Villeréal propose un festival unique à hauteur humaine qui noue finement village et théâtre.

DIVAGUE

Artdanthé 6 Théâtre de Vanves Mars-avril Quatre semaines à la rythmique effrénée durant lesquelles se rencontrent artistes confirmés et jeunes compagnies, françaises et étrangères, autour de créations, premières françaises, reprises, formes performatives et versions in situ.

Artdanthé fait la part belle aux prises de risques et aux spectacles novateurs, illustrant le décloisonnement des arts.

Prix Théâtre 13 / Jeunes 7 metteurs en scène Paris Juin Le Théâtre 13 et la SACD organisent un concours dédié aux jeunes metteurs en scène. Un jury de présélection (composé 3 des metteurs en scène ayant travaillé au Théâtre 13) retient les six meilleurs projets qui concourent chaque année. Ces spectacles sont alors présentés au public et au jury.

Un Festival à Villerville 8 Fin août Une mosaïque d’initiatives artistiques par de jeunes artistes, des compagnies émergentes dans divers lieux du village pour un festival de théâtre qui se veut à la fois savant et populaire.

69

À ce jour il y a une forte concentration de dispositifs culturels visant à soutenir « l’émergence » et la « jeune création ».

Cet « appétit de nouveauté » n’est-il pas pour autant le symptôme d’un modèle économique créant luimême de l’obsolescence pour accélérer le marché ?

DIVAGUE

PRÉMICES

70

Clément Pascaud - Programme Penthésilée : entraînement pour la bataille finale À mon sens, le nouveau n’existe pas. Tout n’est que réinvention, réinterprétation, réappropriation.

Tout est pré-histoire, tout est antique, Moyen Âge et Renaissance, Lumières et romantisme, amour et guerre.

Le théâtre, à mon sens, restera toujours l’histoire d’un homme ou d’une femme qui marche sur un plateau pour dire, pour dire la nécessité de vivre. « Tout est obsolescence et redeviendra obsolescence ».

Le théâtre, peut-être, nous permet de comprendre que la mort n’est que de la littérature, des mots, des imaginations particulières sur un fait universel : un cœur qui cesse de battre. Les personnages de théâtre seront toujours vivants. La parole du poète entre dans le seul dispositif qui est celui du mental et de l’imagination.

En tant que (jeune) metteur scène, j’essaye modestement d’apprendre à la transcrire.

Garance Rivoal - ADN Est-ce qu’on peut en vouloir à des « dispositifs culturels » et à un « modèle économique » de traiter les artistes et leurs œuvres autrement que comme des produits ?

Nous pouvons par contre espérer, en tant que jeunes metteur.e.s en scène, trouver en face de nous des interlocuteurs humains qui comprennent la contradiction qu’il y a à mener un travail qui ne peut se contenter d’en être un et qui sont en capacité de nous soutenir sur une ou plusieurs créations... Le temps pour nous de construire un univers singulier et plein ainsi qu’un langage personnel pour l’habiter. Nous laisser le temps et comprendre notre rythme, que nous ne soyons ni pressés d’épouser les clichés de l’air du temps, ni que nous ne devenions les faiseurs d’une seule et même recette efficace, réussie une fois, répétée mille autres. Nous donner la luxueuse opportunité (pour nos temps austères) de tenter et de rater.

Que le milieu de la culture s’aligne entièrement sur le modèle économique dominant me semble une sombre conjecture. Comme dans beaucoup de domaines de notre société, la loi du plus fort finirait de s’étendre aux plateaux de théâtre et la fragilité humaine, qui à mon avis constitue la beauté sinon le sens du spectacle vivant, n’aurait plus aucune place dans nos représentations culturelles...

DIVAGUE

PRÉMICES

71

Côme de Bellescize - Tout brûle, so what ?

Faut-il craindre les possibles effets pervers de « l’appétit de nouveauté » de l’institution théâtrale ?

Depuis que j’ai commencé ma vie professionnelle, j’entends ce discours en boucle : « Tu arrives trop tard, l’âge d’or est derrière vous. Il y a trop d’artistes, trop de techniciens, votre système d’assurance chômage est surendetté, il faudra mettre un terme à l’intermittence. Le public est vieux, il meurt sans bruit en regardant des spectacles ennuyeux ; on ne remplacera pas les baby-boomers, bientôt les salles seront complètement vides. Il y a trop de théâtres, il n’y a plus d’argent. Les directeurs/trices de salles ne se programment qu’entre eux, ils ne s’intéressent à personne d’autres qu’à eux-mêmes, ils sont vieux mais imputrescibles, bedonnants et méchants, ils ne te laisseront que des miettes… ».

J’ai construit tout mon parcours en cherchant à me protéger de cette grisaille et de cette déprime, en m’associant à des femmes et à des hommes qui soient à l’opposé de ces clichés grincheux, heureux de donner du sens à ce qu’ils font et d’essayer de le partager. Et il y en a. Plein.

Il y a un mouvement de pensée à la mode qui prétend qu’il n’est pas raisonnable d’avoir des enfants car leur empreinte carbone est trop importante et que l’Humanité est nuisible à la planète. L’époque est très inventive pour broyer du noir et inventer de nouvelles formes de désespoir.

Pourtant je continue à croire que cela a du sens de faire naître des spectacles, des enfants, de la vie. Cela nous place devant une grande responsabilité : celle de donner du sens, le goût du service, de la solidarité, de la beauté et de la joie.

Faut-il alors craindre des dispositifs qui ouvrent les portes des théâtres à de nouveaux artistes, émergents, issus de la diversité etc. ? En fait, faut-il craindre de s’ouvrir à la concurrence ?

Mais on ne peut pas se plaindre que les théâtres aient été des bastions fermés aux nouvelles générations, et dire le lendemain : « attention ils ouvrent les portes, cela vous fragilise ! » Et puis l’obsolescence, c’est la vie qui est programmée pour s’arrêter. Est-ce qu’on s’arrête de créer parce qu’on va mourir ? J’y trouve une raison de créer plus, quelles qu’en soient les conditions, le plus possible, le plus vite possible, sans arrêt, sans regarder le vide sous nos pieds. Tant qu’il reste du souffle. À la fin nous tomberons, mais cela nous oblige à la joie. Quelque chose de beau et d’utile en sortira peut-être.

DIVAGUE

PRÉMICES

72

Guillaume Bariou - Radio On - Where Dreams Go To Die « Marché » ? « Modèle économique » ? « Obsolescence » ?

Bonjour, je m’appelle Guillaume. J’ai 40 ans. Je ne suis pas un iPhone XS.

Je ne crois pas avoir répondu à la question. Je ne suis pas sûr d’avoir compris la question.

On est content de jouer Radio On à Angers.

Et puisqu’on parle marketing, rendez-vous sur www.bicheprod.com. Grosse promo sur les précédents spectacles. Garantis « 100% émergents » selon l’équipe de communication. Nos chargés de clientèle sont à votre écoute.

DIVAGUE

PRÉMICES

73

PRÉMICES DU 5 AU 8 JUIN 2019

C’est quoi l’opposé de « jeune création » ?

Vieille garde ? Élite de l’élite ?

Crème de la crème ?

Création industrielle ?

S’il y a un vieux dans le spectacle. Est-ce que ça compte ?

Est-ce que ça casse la baraque ?

Ou est-ce que ça passe crème ?

Quand on parle d’artistes émergents, est-ce qu’on parle d’une nouvelle sorte d’icebergs ?

Nous n’avons encore rien vu.

Les artistes immergés sont-ils plus profonds ? « Accélérer le marché » = Nettoyer la scène ? À quand un festival dédié à la détergence ?

Ou un festival de l’urgence ? Ça serait bien un festival de l’urgence.

Combien à attendre ?

Accompagner l’émergence ou donner sa chance ou programmer des précaires.

Combien à suivre ?

Soyons désinvoltes. N’ayons l’air de rien.

Fabriquons des spectacles. Avec désir et joie, si possible.

Et jouons. Devant du public, si possible.

Que le festival s’appelle Prémices, Périmés, Crépines ou Prépuces. On ne choisit pas son emballage. Ni sa case.

Que nous disent nos paysages ?

Ne dit-on pas que le toit du Quai dispose d’une des plus belles vues d’Angers ? Mais que nous disent nos paysages ? Quels dépaysements peuvent-ils provoquer ?

On peut les traverser guidés par la boussole de géographes pour une lecture d’une certaine réalité paysagère ou accompagnés des divagations de l’esprit d’écrivains-voyageurs. In fine ces lectures recouvrent autant d’évolutions, de perturbations que de perceptions possibles dans nos relations aux paysages.

En octobre 2018, à l’occasion de la création Prélude à la fugue d’après Sylvain Tesson par Julien Barret, la FabriQue #20 – rendez-vous mêlant actes artistiques et paroles universitaires – interrogeait alors différents points de vue.

Retours sur les chemins empruntés en mouvement et à l’écoute du panorama angevin.

DIVAGUE

QUE NOUS DISENT NOS PAYSAGES ?

74

Balade urbaine

Que nous disent les paysages des écrivains ? texte Isabelle Trivisani-Moreau

Les géographes nous apprennent à lire les paysages de la réalité ; les écrivains nous donnent aussi des paysages à lire, mais ceux-ci ne s’offrent pas directement à notre regard : ce sont d’abord des vues de l’esprit. Les paysages des écrivains sont parfois référentiels, mais il est rare qu’ils cherchent à l’être complètement et il s’agit plus souvent d’imaginer que de reconnaître. Ce travail de l’imagination consiste à se représenter intérieurement le cadre spatial dans lequel s’inscrit l’histoire ou le propos d’une œuvre : aux indices fournis dans le texte répond en chaque lecteur une sorte de paysage intérieur plus ou moins flou, plus ou moins complet.

Ce paysage est en revanche chargé des intentions d’un auteur ; et il ne faut parfois pas beaucoup d’indices, la dimension spatiale et descriptive occupant des parts extrêmement variables.

Le sens du paysage Pour qu’un auteur s’arrête sur cette dimension, il faut qu’il y trouve une certaine rentabilité : par exemple, il faut que la construction littéraire du paysage soit au service de l’action ou que le paysage ait quelque chose de spécifique, d’inattendu, qui justifie qu’on prenne le temps de chercher à le voir autrement qu’une toile de fond, grâce à un certain degré de précision. En littérature, quand on rencontre un paysage, ce n’est pas gratuit : cette stase, cet arrêt sur image ou cet arrêt de l’action interpelle et amène le lecteur à s’interroger sur les intentions de celui qui a ainsi interrompu le fil de la lecture, nous obligeant à collaborer, à nous représenter intérieurement ce spectacle.

Il est tentant, dans un contexte ligérien, d’emprunter

DIVAGUE

QUE NOUS DISENT NOS PAYSAGES ?

un exemple à un roman-géographe – pour reprendre l’expression de Marc Brosseau – de Julien Gracq, Le Rivage des Syrtes (1951) : pas de référence exacte à la réalité ici, mais un roman qui donne aux lecteurs un paysage à lire, celui de la frontière, au moyen d’un lexique nourri des termes de la géomorphologie, de la construction de panorama et promouvant la figure du guetteur, également en indiquant des points cardinaux qui, loin d’aider le lecteur à s’orienter, installent en réalité un tremblé propre à perturber son repérage. De là ce double sentiment d’attente et d’incertitude. À côté des romans, nous ne sommes pas moins interpelés par les textes poétiques, d’autant que les poètes n’hésitent pas à se mettre euxmêmes en scène au sein des paysages qu’ils construisent, s’approprient mais aussi nous confient.

75

Porosité de l’être au paysage L’interpellation émanant d’un paysage littéraire peut porter les marques négatives d’une difficulté, d’une déception ou d’une hostilité. C’est par exemple la désagréable perception de la ville qu’évoque Jean Giono à propos de Paris dans Les Vraies Richesses (1936) : « Dans cette ville où les hommes sont entassés comme si on avait râtelé une fourmilière, ce qui me frappe, me saisit et me couvre de froid mortel, c’est la viduité. (…) Je vais à pied. Je me sens tout dépaysé par la dureté du trottoir et le balancement des hanches qu’il faut avoir pour éviter ceux qui vous frôlent. Je marche vite et je dépasse les gens qui vont dans ma direction ; mais quand je les ai dépassés je ne sais plus quoi faire, ni pourquoi je les ai dépassés, car c’est exactement la même foule, la même gêne, les mêmes gens toujours à dépasser sans jamais trouver devant moi d’espaces libres. » Pour l’écrivain de la montagne, le tableau de la ville et de sa foule joue comme un écran qui empêche d’étendre la vue pour trouver enfin le paysage qui le comblerait : c’est l’environnement qui perturbe. La confrontation ville/ campagne est propice à ce sentiment d’insécurité : la concentration humaine donne l’impression de se perdre soi, le rythme diffère, aiguisant le ressenti d’une ou de plusieurs pertes, celle aussi de ce qui existait autrefois.

Mais le prisme de la temporalité – un autrefois révolu dont on pourrait avoir la nostalgie – ne suffit pas à rendre compte du sentiment d’hostilité que secrètent parfois les paysages. De certains semblent ainsi émaner des forces sombres. Un exemple chez un écrivain-voyageur, Nicolas Bouvier, pourtant si disponible pour recevoir sans préjugé tous les paysages que ses voyages lui font découvrir ; il s’agit, dans L’Usage du monde (1963), d’une promenade près du fleuve à Ispahan : « … j’ai commencé à la sentir partout, la mort : les regards qu’on croisait, l’odeur sombre d’un troupeau de buffles, les chambres éclairées béant sur la rivière, les hautes colonnes de moustiques. Elle gagnait sur moi à toute allure. Ce voyage ? Un gâchis, un échec. On voyage, on est libre, on va vers l’Inde… et après ? J’avais beau me répéter : Ispahan ; pas d’Ispahan qui tienne. Cette ville impalpable, ce fleuve qui n’aboutit nulle part étaient d’ailleurs peu propres à vous asseoir dans le sentiment du réel. Tout n’était plus qu’effondrement, refus, absence. À un tournant de la berge, le malaise est devenu si fort qu’il a fallu faire demi-tour. (…) des paysages qui vous en veulent et qu’il faut quitter immédiatement sous peine de conséquences incalculables, il n’en existe pas beaucoup, mais il y en a bien sur cette terre cinq ou six pour chacun de nous. » Difficile de rester à l’extérieur du paysage dans les œuvres littéraires ; narrateur et lecteurs y sont bien souvent absorbés et s’en trouvent marqués.

Un mouvement d’accueil Ce sentiment de malaise peut cependant être converti : l’essor d’une poésie de la ville au XIXe siècle a montré le pouvoir finalement poétique de ce qui auparavant paraissait sale, désordonné. Dans les « Tableaux parisiens » de Baudelaire les moindres détails de la ville activent chez celui qui la traverse mémoire, mise en relation et projection. La figure du flâneur, appelée à se développer aux XIXe et XXe siècles, n’est pas celle du simple badaud : sa disponibilité lui permet de donner toute leur force aux impressions. En littérature comme dans la vie, divaguer devient un art, largement illustré à travers la ville par excellence qu’est Paris : l’œuvre de Balzac en donne de nombreux exemples, tout comme les surréalistes, Breton avec Nadja et L’Amour fou, Aragon avec Le Paysan de

DIVAGUE

QUE NOUS DISENT NOS PAYSAGES ?

Paris, mais aussi un peu plus tard l’écrivain situationniste Guy Debord qu’évoque A. de Baecque avec sa Théorie de la dérive (1956) : la dérive consiste à se déplacer dans un espace en se laissant guider par ses impressions, et à découvrir le lieu grâce à cette expérience subjective. L’art du flâneur est double : art de se déplacer, art de lire la ville, le paysage aussi.

Cette posture d’accueil est naturellement présente dans les œuvres apparentées au genre du récit de voyage, celles, par exemple, des écrivains marcheurs ou randonneurs, Rousseau, Goethe à la fin du XVIIIe, mais plus encore au XIXe où les écrivains randonneurs, comme Thoreau, Stevenson ou Hugo, sont nombreux : pour de tels auteurs, le voyage devient promenade, parce qu’ils savent parfois substituer à un moyen de transport plus rapide celui de la marche. Désormais disponibles aux détails, ils font directement l’expérience des lieux. Dans leur sillage se sont inscrits des ouvrages comme Chemin faisant de Jacques Lacarrière, les Carnets du grand chemin de Julien Gracq, Routes et déroutes de Nicolas Bouvier et bien des textes de Sylvain Tesson comme Les Chemins noirs.

Chez eux, le mouvement de la marche engage un geste de rupture avec une société dont ils mettent à distance rythme et valeurs, rupture souvent opérée pour se retrouver soi. Il y a là tout un discours qui entend mettre en branle le corps pour mobiliser l’esprit. Chez l’écrivain, A. de Baecque parle d’une dynamique qui part du pied passe par le regard et aboutit à la plume, mais pour ceux qui ne choisissent pas forcément l’étape de la plume, que se passe-t-il dans un tel mouvement ?

Les ambiguïtés du discours de la marche Il existe aujourd’hui tout un discours, entretenu parfois à l’aide des écrivains, sur les bienfaits de la marche. Par-delà les conseils hygiénistes, la marche aurait pour vertu de nous aider plus largement à retrouver l’équilibre de nos vies, non seulement en y restaurant de la lenteur, mais aussi parce qu’elle favoriserait une introspection qui nous permettrait de trouver des solutions à nos difficultés.

On pourrait même parler d’une sorte de miracle de la marche : sans que nos promenades soient troublées par nos préoccupations, il suffirait de cette mise en route des corps, suffisamment prolongée, pour que la simple divagation de notre esprit, gratuite et aléatoire, loin de toute conscience réflexive, nous guide imperceptiblement vers une issue salutaire. Ce discours très euphorique n’est pas exempt d’amalgames : le concret côtoie la métaphore, le physique se mélange avec l’intellectuel, voire le spirituel, les pèlerinages se transforment en randonnées. Autrefois, la marche était d’abord liée à des nécessités, notamment celles des métiers : pour les colporteurs, les bergers, les compagnons faisant leur tour, la marche était une composante intrinsèque d’activités qui ont aujourd’hui singulièrement régressé voire disparu.

Pour autant la marche est-elle forcément passée du côté du gratuit et du divertissement ? Le prestige dont la marche a été dotée a amené les politiques à s’en saisir pour l’intégrer à nos mobilités quotidiennes ou à des aménagements touristiques, si bien qu’elle peut s’insérer dans des cadres contraints où « marcher » ne rime pas toujours avec « liberté ». La marche préserve certes sa dimension de rupture dans les manifestations et les marches contestataires, mais la dimension politique de la marche est loin d’être univoque : qu’est-ce qui nous donne envie de marcher ? Fuite ? Fugue ? Conquête ? Et ne nous ferait-on pas parfois un peu « marcher » ? Le discours des écrivains sur la marche n’est sans doute ni à formuler ni à écouter sur le seul mode de la distraction.

76

Entre immersion et distanciation Que nous racontent nos paysages ?

texte Hervé Davodeau & David Montembault

Ces deux images prises à cent ans d’intervalle sur les rives de Maine à Angers montrent des transformations spectaculaires qui interrogent la « qualité paysagère ».

Faut-il regretter la première vue et cet alignement presque parfait des façades des maisons du quai Ligny, qui formaient un tableau si harmonieux ? L’homogénéité des formes architecturales, la succession des blocs, le rythme régulier des portes, des fenêtres et des cheminées se reflétant dans la Maine, formant une alternance de tons sombres et de tons lumineux à l’image d’une peinture en clair-obscur, la répétition des lignes horizontales depuis les quais jusqu’aux lignes de toit, soulignant le tracé de la Maine, etc., tout semblait participer à la mise en scène de la rivière dans un tableau majestueux.

DIVAGUE

QUE NOUS DISENT NOS PAYSAGES ?

À l’inverse faut-il se réjouir de la disparition de ces « taudis » - comme les appelait Jean Turc, l’ancien maire d’Angers – trop longtemps délaissés et devenus insalubres, occupés par une population pauvre en majorité immigrée ?

L’arasement des maisons du quai Ligny au début des années 80 a permis d’aérer la ville, de mettre en valeur le château longtemps masqué et de construire une voie de communication plus moderne qui a beaucoup contribué à l’essor d’Angers et sa région. L’espace ainsi libéré a aussi permis à la végétation de s’installer offrant un nouvel écrin de verdure à la Maine qui, dans le prolongement du parc Balzac et de l’île Saint-Aubin crée une « trame verte » favorable à la biodiversité.

77

Mais en contrepartie, l’autoroute A11 a bloqué l’accès à la rivière et le développement de cette végétation spontanée est aussi le signe d’une désertion des rives de la part des habitants. Le bruit incessant des voitures a également rendu la vie des riverains plus bruyante, sans parler des odeurs de gasoil et du danger qui ont découragé la fréquentation des bords de Maine. On pourrait donc à nouveau regretter les ambiances des années 1900 lorsque la rivière était l’artère principale d’Angers et que la vie battait son plein au bord de l’eau. Mais les bateaux-lavoirs situés en face du quai Ligny nous rappellent que c’était une vie de labeur, souvent pénible, également bruyante et polluante qui ne correspondrait pas non plus à nos attentes contemporaines plus récréatives (comme l’attestent les péniches transformées en bateaux d’agrément au premier plan de la deuxième photo).

Au cœur de la discipline, l’étude des paysages permet de transmettre des connaissances entre histoire et géographie (le paysage « physionomie » du pays, du terroir, de la contrée), mais aussi l’amour de la patrie, comme en témoigne l’œuvre géographique la plus emblématique de l’époque : le tableau géographique de la France (Vidal de La Blache, 1903). Au regard des géographies antécédentes (en particulier celles développées en Allemagne et en Russie), fortement marquées par une lecture déterministe (les caractéristiques physiques du milieu déterminent l’apparence du paysage), la géographie française (« classique » aujourd’hui) cherche au contraire à valoriser le facteur humain, selon le principe du « milieu géographique », qui fait alors sa renommée internationale.

Elle situe la réalité du paysage à mi-distance (milieu) entre facteurs physiques et sociaux.

Au-delà de tout jugement esthétique, la comparaison de ces deux paysages urbains nous donne donc à lire l’histoire de la ville et de ses habitants, au point qu’il est difficile d’en juger la « qualité ». On peut en effet admirer un paysage comme un tableau de façon distanciée tout en ignorant la vie qui s’y développe au quotidien ou, inversement, goûter les ambiances qui se dégagent d’un espace attrayant sans se soucier de l’harmonie visuelle dont rendrait compte ce même espace observé avec plus de distance. À toutes les échelles, l’observation du paysage nous renvoie à nos émotions mais également à nos savoirs puisqu’on peut y déceler l’assemblage de tout un ensemble d’éléments naturels, économiques, techniques, sociologiques, etc. qui sont à l’origine des formes que nous contemplons.

Un siècle plus tard, la Convention Européenne du Paysage (seul traité international sur le paysage, il a été ratifié par le Parlement français en 2005) propose une définition (désormais intégrée dans le droit français) qui reprend cette idée que le paysage (…) « résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations », mais en commençant la définition par une idée neuve – dont n’avait pas pris la mesure la géographie classique – selon laquelle le paysage est d’abord une « Partie de territoire tel que perçue par les populations » (…). C’est sous cet angle des représentations sociales et culturelles, que la géographie réactive et renouvelle son approche du paysage dans les années 1980-90, après l’avoir mis de côté dans les années 60-70.

Cette lecture historique d’un paysage changeant sous l’effet de divers facteurs (techniques, politiques, naturels, économiques, culturels, sociaux) est l’approche traditionnelle de la géographie. La description et l’interprétation des formes matérielles qui composent et structurent les paysages est jusqu’au milieu du siècle dernier le projet de cette discipline naissante : « Nous dirions volontiers que toute la géographie est dans l’analyse du paysage (…) » (Sorre, 1913, p. 10). Cette géographie du paysage, plus particulièrement centrée sur la morphologie agraire (Dion 1934, Lebeau 1969, Meynier 1959), (s’)exprime alors (dans) un contexte idéologique marqué par le nationalisme du début du siècle, l’élaboration des premières mesures de protection des patrimoines bâtis et naturels, puis l’émergence des premières modalités du tourisme.

DIVAGUE

QUE NOUS DISENT NOS PAYSAGES ?

Cette histoire du paysage dans la discipline reflète plus globalement celle du paysage dans la société et ses territoires qui, durant l’après-guerre, connaissent des transformations profondes (reconstruction, urbanisation, industrialisation), qui ne s’encombrent pas du paysage (vision fonctionnaliste de l’aménagement). Ce n’est qu’avec la crise environnementale des années 1970 (création du premier ministère dédié en 1971) que la qualité du cadre de vie devient une préoccupation et que le paysage est réinscrit dans l’agenda politique en permettant « l’irruption du sensible dans les politiques d’aménagement et d’environnement » (Bertrand, 1992). Il retrouve aussi une actualité scientifique à travers l’important travail de théorisation d’Augustin Berque (1995) qui, en s’appuyant sur l’analyse de la trajectoire sémantique du mot paysage au sein de différentes cultures européennes et extraeuropéennes (Chine, Japon), propose le concept de « médiance paysagère » pour caractériser cette relation bien spécifique – sur un plan non strictement visuel mais plus largement sensible – qu’entretient notre société contemporaine avec son environnement. Historiquement datée (la Renaissance en Europe), culturellement et

78

socialement marqué mais en voie de démocratisation, ce regard paysager sur ce qui nous environne relève de la contemplation, du plaisir esthétique (au sens plein du terme). Alors que nous projetions ce regard distancié de façon sélective seulement sur certains objets pittoresques (étymologiquement « dignes d’être peints »), nous le portons désormais sur l’ensemble du cadre de vie : ce paysage ordinaire, celui de l’espace vécu et perçu au quotidien, dont les qualités paysagères ne sont peutêtre pas nécessairement celles d’un bien patrimonial à transmettre en l’état, mais peuvent être reconnues et « ménagées ». L’apport essentiel de la Convention Européenne du Paysage est de formuler les objectifs de qualité paysagère à partir du point de vue des populations, en articulant donc très étroitement la question du paysage avec celle de la démocratie locale.

DIVAGUE

QUE NOUS DISENT NOS PAYSAGES ?

Le paysage est une notion complexe et évolutive. Il est composé d’objets matériels, mais sur lesquels chacun projette un regard subjectif. Au sein d’une société, ces différentes perceptions s’opposent parfois mais convergent aussi autour de valeurs communes. En retour, ces représentations motivent des aménagements qui reconfigurent les lieux, concrètement. Ce « paysagement » donne le meilleur lorsqu’il renforce le bien-être de l’usager et de l’habitant, mais il peut aussi produire le pire lorsqu’il est soumis à des logiques d’images strictement marchandes ou lorsqu’il est instrumentalisé à des fins parfois contestables.

Enjeu d’aménagement, outil de connaissance, le paysage est un reflet qui fait réfléchir.

79

La Librairie du Quai1 saison 4

Nos coups de cœur Romans Bande dessinée Les rigoles Brecht Evens Actes Sud BD – 2018 Le peintre-poète de la bande dessinée flamande offre ici un époustouflant récit choral, une ode à nos fêtes et défaites avec une prouesse tant narrative que graphique. « Dans la plus belle ville du plus beau pays, princes et princesses d’Europe sont en quête d’émerveillement, de salut et de gloire. Les néons de Brecht Evens se fondent dans les illusions de ses héros. Ils sont dans la fleur de l’âge... et c’est une nuit d’été. »

DIVAGUE

LA LIBRAIRIE DU QUAI

Le discours Fabrice Caro Gallimard – 2018 On connaissait les jubilatoires bandes dessinées de Fabcaro qui ont notamment inspiré notre installation romantico-ludique participative RomanPhoto. Cette fois l’auteur, qui dynamite le couple avec exaltation, tisse autour d’un irrésistible loseur, un récit à la mélancolie hilarante. « Tu sais, ça ferait très plaisir à ta sœur si tu faisais un petit discours le jour de la cérémonie. C’est le début d’un dîner de famille pendant lequel Adrien, la quarantaine déprimée, attend désespérément une réponse au message qu’il vient d’envoyer à son ex. Entre le gratin dauphinois et les amorces de discours, toutes plus absurdes les unes que les autres, se dessine un itinéraire sentimental touchant et désabusé, digne des meilleures comédies romantiques.

Un récit savamment construit où le rire le dispute à l’émotion. »

80

Les rêveurs Isabelle Carré Grasset – 2018 La discrète et lumineuse comédienne signe un premier roman autobiographique subtil avec une sincérité bouleversante, à son image. « Quand l’enfance a pour décor les années 70, tout semble possible.

Mais pour cette famille de rêveurs un peu déglinguée, formidablement touchante, le chemin de la liberté est périlleux. Isabelle Carré dit les couleurs acidulées de l’époque, la découverte du monde compliqué des adultes, leurs douloureuses métamorphoses, la force et la fragilité d’une jeune fille que le théâtre va révéler à ellemême. Une rare grâce d’écriture. »

Les fils conducteurs Guillaume Poix Gallimard – 2017 Le dramaturge et primo-romancier dont on peut se délecter des Fragments pour la noce dans cette revue a reçu le prix Wepler pour ce roman inventif, mêlant énergie argotique et charme lyrique. « Près du port d’Accra, au Ghana, dans une immense décharge de produits électroniques, Isaac et Moïse initient Jacob à la «fouille». Trois jeunes garçons plongés dans les déchets de l’obsolescence industrielle auxquels Guillaume Poix donne une grâce singulière. Ce premier roman captive tant par son style lyrique et son ambition documentaire que par l’humour impitoyable qui interroge les zones troubles du regard occidental. »

Jérôme Jean-Pierre Martinet Finitude – 2018 « Entre détracteurs enragés et admirateurs fascinés, Jérôme est de ces romans qui interdisent la modération.

L’histoire est pourtant simple : obsédé par Polly, la jeune fille qu’il croit aimer, Jérôme Bauche se lance dans une quête hallucinée à travers une ville étrange, un peu Paris un peu Saint-Pétersbourg. Tel Dante, il s’enfonce irrémédiablement vers l’enfer, et nous y entraîne avec lui. De gré ou de force. Depuis des années, Jérôme était devenu introuvable et on ne parlait plus qu’à voix basse de ce livre monstre, de ce livre dans lequel Martinet rend hommage à ses maîtres, Dostoïevski, Joyce, Gombrowicz ou Céline, de ce livre qui résonne comme un terrifiant éclat de rire. Aujourd’hui Jérôme est de retour. On va enfin pouvoir le lire, connaître le délicieux frisson du pire. Et choisir son camp. »

Essai Éloge du mauvais goût Frédéric Roux Éditions du Rocher – 2011 Frédéric Roux a le (mauvais) goût de la joute oratoire. Il fulmine, vocifère et crache au visage de « l’esprit français » !

Un essai acide en écho à notre dossier Trop de culture. « La mélancolie gagne. L’Hexagone roupille… L’esprit français, éventé comme un mousseux débouché de la veille, ne pétille plus des masses (…).

Il faut à Monsieur de Fursac et à Madame Figaro un fortifiant, un vulnéraire, un cataplasme, une friction au gant de crin… un bon petit éloge du mauvais goût. »

Jeunesse De nos propres ailes Kinga Wyrzykowska Bayard jeunesse – 2017 Déniché dans la bibliothèque de l’actrice Camille Chamoux qui rêve d’en imaginer une adaptation cinématographique, ce roman pour adolescents raconte les bouleversements et métamorphoses de sept jeunes filles avec une justesse unique. « Elle veut sa vie, ailleurs. Là où les rêves ne macèrent pas jusqu’à pourrir, entre quatre murs et des haies taillées approximativement. Elle veut être la capitaine de son propre bateau, lancé, toutes voiles dehors, sur une mer imprévisible. Personne ne l’en empêchera. Personne ne réduira son océan en flaque. Une grande histoire d’amitié qui se lit comme un thriller. Une bouffée d’énergie et de révolte. »

la librairie est ouverte 1 heure avant et 30 minutes après les spectacles ou événements, en partenariat avec la librairie Contact/Sadel

1

DIVAGUE

LA LIBRAIRIE DU QUAI

81

N’avoir rien accompli et mourir exténué

photos Christophe Raynaud de Lage

Les élèves du Conservatoire National ont travaillé sous la conduite de Frédéric Bélier-Garcia et de sa collaboratrice Caroline Gonce d’Angers à Paris pour y faire spectacle.

8 actrices et 5 acteurs… 4 élèves des Arts Décoratifs…

D’Angers au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique qui rutile sous la direction de Claire Lasne.

Que faire de nos désirs de belle vie, goût de gloire, désir d’ivresse, de toutes les premières promesses, qui devaient culminer dans nos noces avec la vie, quand le vent se retire de nos voiles ?

Ce spectacle est l’entremêlement et la manigance – le long d’une fête, à dresser, à mener, puis naufrager – de trois pièces qui racontent l’échec d’une noce – l’échec partagé et renouvelé de tous nos hyménées espérés – noces fictives, noces brisées, noces sanglantes, noces inaccomplies.

Chacune de ces pièces attrape, à sa manière, ce moment, où la promesse du bonheur se défait, se « dé-fête » : la négociation, la compromission, ou la défaite qui s’ensuit.

Ces trois pièces sont Iphigénie à Aulis d’Euripide, où, dans la rêche violence antique, le malheur est la destinée des hommes et de leur démesuré appétit ; Tambours dans la nuit, acte de jeunesse et de justesse de Brecht, où les

vies se diffractent entre leur désir de révolte et leur choix du bonheur égoïste ; et, Maladie de la jeunesse, tableau de jouvence et de déviation de Ferdinand Bruckner, où la belle vie s’envenime dangereusement au goût de la belle mort.

Trois jeunesses saisies par leur nerf fragile, au moment même où le vent ne vient plus frapper les voiles hissées ; au moment de leur vacillement, de leur indécision, où l’égarement advient.

Nous les avons montées ensemble, nouées, noyées l’une dans l’autre, comme trois temps, trois humeurs, trois variations d’un même geste, d’une même kermesse de la vie qui se manque.

Depuis Iphigénie et le golfe d’Aulis, les hommes racontent, et le théâtre redresse sans cesse, cette fête qui inlassablement se disperse au vent mauvais.

Nous avons cherché dans le détour de cette grande noce manquée/ratée/gâchée– que le théâtre toujours rebâtit – un cheval de Troie pour pénétrer le fond de nos humeurs dont nous ne savons que faire tant que le théâtre n’en a pas fait quelque chose.

Avec Marilou Aussilloux, Louis-Nelson Delapalme, Andréa El Azan, Aurélien Feng, Malek Lamraoui, Héloïse Manessier, Eugène Marcuse, Rose Martine, Bénédicte Mbemba, Emma Meunier, Charlaine Nezan, Louise Orry-Diquero, Souleymane Sylla

DIVAGUE

N’AVOIR RIEN ACCOMPLI ET MOURIR EXTÉNUÉ

82

LE CONSERVATOIRE NATIONAL À ANGERS

Roman-photo

Ciel !

Que lui vais-je dire, et par où commencer ?

Scène 1 / V°A - Classique / Jean-Cri à droite

photos Julien Villeneuve-Pasquier

Pour continuer à faire du Forum du Quai un véritable lieu de vie, lieu de tous les croisements fertiles ou futiles, espace d’expériences artistiques et participatives, on y a installé une patinoire, une façade d’immeuble et on y promet un skatepark ! En décembre 2018 c’est à se mettre en scène dans un roman-photo grandeur nature conçu par l’équipe du Quai que publics et artistes étaient invités. Six décors, d’infinies possibilités de langage, pour vivre et frémir d’un scénario à la mièvrerie exaltante avec Jean-Cri et Deborah – toute ressemblance avec des personnes existantes est purement fortuite ! – Les Chiens de Navarre, l’équipe d’Ervart ou encore le collectif Marthe, équipes artistiques alors accueillies au CDN, se sont prêtés au jeu. On savoure leurs personnages et on tente de comprendre où en est l’amour de Jean-Cri et Debbie...

DIVAGUE ZENZILE DIVAGUE ROMAN-PHOTO

84

LES CHIENS DE NAVARRE

DIVAGUE ROMAN-PHOTO

85

COLLECTIF MARTHE

DIVAGUE ROMAN-PHOTO

ÉQUIPE DU SPECTACLE ERVART

86

Le chœur de Macbeth

photos Isabelle Sanchis, Solange Abaziou

C’est sur notre territoire angevin que Frédéric BélierGarcia avait dépisté pour sa création La Tragédie de Macbeth de William Shakespeare en mars 2018 quelques talentueux amateurs de théâtre. Ils y interprétaient un chœur de trente-cinq personnes personnifiant la foule, les sorcières, les assassins, les répliques sismiques qui atteignent le peuple martyrisé par Dominique Valadié et Stéphane Roger, les époux Macbeth.

Une expérience ahurissante comme en témoignent ces clichés capturés en coulisses et sur le plateau. Ce Macbeth opératique leur tire son chapeau !

DIVAGUE

LE CHŒUR DE MACBETH

87

DIVAGUE

LE CHÅ’UR DE MACBETH

88

DIVAGUE

LE CHÅ’UR DE MACBETH

89

super_vip_students@le_quai Plus qu’étudiants, plus que simples spectateurs, en partenariat avec le service culturel du CROUS, ce sont les VIP du Quai !

Pour cette 2e édition, ils sont 13 – accompagnés de Flore et Julien, nos chargés des relations avec les publics étudiants – assistent aux spectacles, participent aux différentes activités et glissent aussi dans quelques endroits dérobés du Quai pour des temps de répétitions, de fabrications ou encore des temps festifs qui font la vie de la maison. En véritables ambassadeurs, ils partagent régulièrement leurs expériences sur leur page Facebook C’est au Quai pour nous.

En voici quelques extraits sous forme de publications Instagram. On aime !

DIVAGUE VIP DIVAGUE PROJET DE CRÉATION 2016

« C’est une extraordinaire chose que le théâtre. Des gens comme vous et moi s’assemblent le soir dans une salle pour voir feindre par d’autres des passions qu’eux n’ont pas le droit d’avoir – parce que les lois et les mœurs s’y opposent. » André Gide Dans le faisceau brumeux d’un réverbère, le spectacle se devine.

Jusque dans vos bras - Les Chiens de Navarre #chiensdenavarre #etlalumierefut #humour #identite #vivelafrance #oupas #championsdumonde #ramenezlacoupealamaison #aquarius #refugies #cocorico #bobo #rire #catharsis

90

DIVAGUE VIP

« Les paroles des hommes c’est un jeu entre les ombres et la lumière, on ne sait jamais où sera la lumière où seront les ombres... » Bruno Samson Pousser la chansonnette Stage Lumière et Son #singing #casserlavoix #stage #serieux #maisdetendu #console #merciclement #etjeanchrichri #etnicoco #technique #pasfacile

« Un acteur n’entre pas en scène. Il apparaît. » Antoine Vitez Aveuglez-moi, éblouissez-moi de votre talent !

Stage Jeu de l’acteur #jeudelaveugle #confiance #concentration #closeyoureyes #andmakeawish #artistesendevenir #capousse #etcajoue

91

Itinéraires du CDN Angers Pays de la Loire Le Quai CDN est une véritable maison de création dont les différentes productions artistiques inspirées en son sein vont bon train et voyagent tant sur le territoire national qu’à l’international.

Pour mieux suivre les périples des objets artistiques soutenus par la maison, nous avons rêvé un plan de métro imagé…

MAÎTRES ANCIENS COMÉDIE

THOMAS BERNHARD NICOLAS BOUCHAUD ÉRIC DIDRY

RETOURS, LE PÈRE DE L’ENFANT DE LA MÈRE

BELFORT Le Granit

FREDRIK BRATTBERG FRÉDÉRIC BÉLIER-GARCIA

PARIS

Théâtre de la Bastille

SUISSE

Théâtre de Vidy-Lausanne

PARIS

Théâtre du Rond-Point

ANGERS

Le Quai CDN

DÉTAILS

LARS NORÉN FRÉDÉRIC BÉLIER-GARCIA

REIMS

Comédie de Reims

PARIS

Théâtre du Rond-Point

ANGERS

ANGERS

Le Quai CDN

Le Quai CDN

BELGIQUE Théâtre de Namur

SAINT-QUENTIN EN-YVELINES Théâtre de Saint-Quentin en-Yvelines

OPENING NIGHT

Festival Roma Europa, Rome

Comédie de Clermont-Ferrand

LYON

Les Célestins

SÉNART

Théâtre-Sénart

CO-PRODUCTIONS

Le Quai CDN

ITALIE

JOHN CASSAVETES CYRIL TESTE

PRODUCTIONS DÉLÉGUÉES

CLERMONT FERRAND

ANGERS

ÉTATS-UNIS

FIAF, New York

MONTPELLIER Printemps des comédiens

ANNECY

Bonlieu Scène Nationale

NICE

MARSEILLE

Théâtre du Gymnase Bernardines

PARIS

Théâtre des Bouffes du Nord

Théâtre national de Nice

EL BAILE

ALAN PAULS MATHILDE MONNIER

SUISSE

SUISSE

MONTPELLIER

Larsenic, Lausanne

THL, Sierre

Théâtre des 13 vents

TOULOUSE

Théâtre Garonne

ORLÉANS

CDN Orléans

SUISSE

Théâtre de Saint-Gervais, Genève

RÉMI

HECTOR MALOT JONATHAN CAPDEVIELLE

SAINT-OUEN Espace 1789

SAINT-QUENTIN EN-YVELINES

TARBES

Théâtre de Saint-Quentin en-Yvelines

Le Parvis

PARIS

COMÉDIES POLICIÈRES

La Ferme du Buisson

Festival d’Automne à Paris Nanterre-Amandiers

Le Quartz

Théâtre du Rond-Point

MARNE LA-VALLÉE

NANTERRE

BREST

EUGÈNE LABICHE IVAN VIRIPAEV FRÉDÉRIC BÉLIER-GARCIA

ARGENTINE

Teatro La Ribera, Buenos Aires

ANGERS

Le Quai CDN

DANS LA LUGE D’ARTHUR SCHOPENHAUER

ANGERS

Le Quai CDN

YASMINA REZA FRÉDÉRIC BÉLIER-GARCIA

ANGERS

PARIS

Le Quai CDN

La Scala

SUISSE

Théâtre de Vidy-Lausanne

LORIENT

Théâtre de Lorient

CRÉATION 2019 [TITRE EN COURS] NATHALIE BÉASSE

PARIS

Festival d’Automne à Paris - Centre Pompidou

BLOIS

La Halle aux grains

SAINT-QUENTIN EN-YVELINES

SUISSE

Théâtre de Saint-Quentin en-Yvelines

Comédie de Genève

UN CONTRAT POUR SAUVAGES

SUISSE

Théâtre populaire romand, La Chaux-de-Fonds

PAYS-BAS

Boulevard Theaterfestival, Bois-le-Duc

LA RIBOT TIAGO RODRIGUES MATHILDE MONNIER

ITALIE

Festival RomaEuropa, Rome

ANGERS

Le Quai CDN

NORVÈGE

Festival Oktoberdans, Bergen

PORTUGAL

Festival Dias Da Dança, Porto

NANTES

Le lieu unique

ESPAGNE PORTUGAL

Teatro Nacional D.Maria II, Lisbonne

Teatros del Canal, Madrid

Rentrée en trombes

LA COLONIE DE VACANCES © Arnaud Gaudin

INTÉGRATION DES ÉTUDIANTS EN INFOCOM / UCO © Corinne Nicole

DIVAGUE RENTRÉE EN TROMBES

94

AFR n°100 © Wilfried Thierry

DIVAGUE RENTRÉE EN TROMBES

FABRIQUE #20 © Solange Abaziou

95

Agenda du Quai JANVIER-JUIN 2019

CDN ET CNDC

JANVIER

//////////////////////////////////////////////////////

POIL DE CAROTTE JULES RENARD SILVIA COSTA 9 ET 12 JANV

REQUIEM POUR L.

FABRIZIO CASSOL ET ALAIN PLATEL LES BALLETS C DE LA B 11 ET 12 JANV

FESTIVAL DANSE SOLO DU 15 AU 22 JANV

MARC LACOURT

TIONDEPOSICOM OU LE SOURIRE QUI SCOTCH SUR LA BAVE AU LOIN 15 JANV / HORS LES MURS : THV

ÉCOLE SUPÉRIEURE DU CNDC

PROMOTION 2017-2020 SOLI PATRIMONIAUX ET DE CRÉATION DU 16 AU 19 JANV

HEDDY MAALEM ALI MOINI PSAUMES - JAMES CARLÈS 16 JANV

DOMINIQUE BOIVIN TENUE DE SCÈNES 17 JANV

AËLA LABBÉ LAURELINE RICHARD AMBRA SENATORE SOIRÉE PARTAGÉE

18 JANV / HORS LES MURS : THV

CURIOSITAS

CLÉMENT PASCAUD 19 JANV

PERE FAURA

SIN BAILE NO HAY PARAÍSO : MI PROPIA HISTORIA DE LA DANZA 19 JANV

DIVAGUE AGENDA

FRANÇOIS CHAIGNAUD NINO LAISNÉ ROMANCES INCIERTOS, UN AUTRE ORLANDO 19 JANV

RAPHAËLLE DELAUNAY SOMA

21 JANV

CAROLYN CARLSON SHORT STORIES + SURPRISE 21 JANV

CHLOÉ HERNANDEZ ORIN CAMUS

HERE COMES THE CHAOS, L’HOMME ASSIS 22 JANV / HORS LES MURS : THV

FESTIVAL PREMIERS PLANS D’ANGERS DU 25 JANV AU 3 FÉV

FÉVRIER

//////////////////////////////////////////////////////

WAYNAK

ANNABELLE SERGENT COMPAGNIE LOBA DU 5 AU 8 FÉV

HERVÉ ROBBE

IN EXTENSO, DANSES EN NOUVELLES - OPUS 1 & 2 7 FÉV

CURIOSITAS GARANCE RIVOAL

14 FÉV / HORS LES MURS : TU-NANTES

IPHIGÉNIE JEAN RACINE CHLOÉ DABERT

DU 26 FÉV AU 2 MARS

PLOC

THÉÂTRE POUR 2 MAINS 27 FÉV

MARS

//////////////////////////////////////////////////////

OPENING NIGHT JOHN CASSAVETES CYRIL TESTE DU 7 AU 16 MARS

HATE

LAETITIA DOSCH 7 ET 8 MARS

ASHLEY CHEN COMPAGNIE KASHYL UNISSON 19 MARS

FABRIQUE #22

DE PÈRES EN PÈRES : QUELS GENRES DE PÈRE ?

CONFÉRENCE PERFORMÉE 20 MARS

MAGUY MARIN MAY B

21 MARS

QUAND J’ÉTAIS PETIT JE VOTERAI BORIS LE ROY / ÉMILIE CAPLIEZ DU 26 AU 29 MARS

BABX

LES SAISONS VOLATILES 27 MARS

AVRIL

//////////////////////////////////////////////////////

FABRIQUE #23

QUI FABRIQUE LE CRIME ?

CONFÉRENCE PERFORMÉE 2 AVRIL

ÇA DADA

ALICE LALOY LA COMPAGNIE S’APPELLE REVIENS 3 AVRIL

96

TEMPS FORT CIRQUE[S]

RETOURS

RADIO ON

OPTRAKEN

LE PÈRE DE L’ENFANT DE LA MÈRE

FALK RICHTER GUILLAUME BARIOU

DU 4 AU 8 AVRIL

DU 4 AU 6 AVRIL

LE MISANTHROPE MOLIÈRE ALAIN FRANÇON

ODILE DUBOC ALBAN RICHARD

DU 20 AU 29 MAI

TAFELMUSIK

UNA NOCHE DE BOLEROS

ENSEMBLE AMARILLIS GEORG PHILIPP TELEMANN

DU 23 AU 25 AVRIL

CESARE PAVESE SILVIA COSTA

DU 5 AU 8 JUIN / HORS LES MURS

FREDRIK BRATTBERG FRÉDÉRIC BÉLIER-GARCIA

GALACTIK ENSEMBLE

DANS LE PAYS D’HIVER

WHERE DREAMS GO TO DIE

PRÉCÉDÉ DE

11 ET 12 JUIN

28 MAI ARTISTE ASSOCIÉE

DU 23 AU 26 AVRIL

LA CHAMBRE DÉSACCORDÉE

MARC LAINÉ COMPAGNIE LA BOUTIQUE OBSCURE

JUIN

DU 5 AU 8 JUIN

5 JUIN

ICI-BAS

LES MÉLODIES DE GABRIEL FAURÉ BAUM & INVITÉS 27 AVRIL

WIM VANDEKEYBUS TRAPTOWN 30 AVRIL

MAI

//////////////////////////////////////////////////////

CLASSE D’ART DRAMATIQUE 23 JUIN

DIALOGUE AVEC ROYAUMONT

DU 5 AU 8 JUIN

DIALOGUES III 27 JUIN

TOUT BRÛLE, SO WHAT ?

CÔME DE BELLESCIZE 5 ET 6 JUIN

Retrouvez toutes les informations sur les spectacles et les différents rendez-vous proposés au Quai dans notre brochure de saison et sur notre site internet : www.lequai-angers.eu

RENAUD DALLET 5 ET 6 JUIN

ADN

DENNIS KELLY / GARANCE RIVOAL COMPAGNIE PLATEAU K DU 6 AU 8 JUIN

LINA PROSA / CLÉMENT PASCAUD

L’accueil-billetterie du Quai est ouvert du mardi au vendredi de 13h à 19h et le samedi de 15h à 18h tél 02 41 22 20 20

ENTRAÎNEMENT POUR LA BATAILLE FINALE

14 ET 15 MAI

7 ET 8 JUIN

KADER ATTOU

CENT MÈTRES PAPILLON

DIVAGUE AGENDA

CRR D’ANGERS

PLATEAU RADIO CAMPUS ANGERS

SOPHIE PEREZ, XAVIER BOUSSIRON LA COMPAGNIE DU ZEREP

17 MAI

14 JUIN

103FM

PROGRAMMEPENTHÉSILÉE

ALLEGRIA

FIX ME

SILVIA COSTA JOHN ROMÃO

BABARMAN

MON CIRQUE POUR UN ROYAUME

ALBAN RICHARD ARNAUD REBOTINI

TEMPS FORT JEUNE CRÉATION

FABRIQUE #24 25 AVRIL

12 ET 13 JUIN

PRÉMICES

AFR N°102

CONFÉRENCE PERFORMÉE

COMPAGNIE LUCANE DE LA CAVE AU GRENIER

//////////////////////////////////////////////////////

24 AVRIL

ALGORITHMES : QUI CONDUIT ?

AËLA LABBÉ STÉPHANE IMBERT

MAXIME TAFFANEL / NELLY PULICANI COLLECTIF COLETTE 7 ET 8 JUIN

97

Directeur de la publication Frédéric Bélier-Garcia Adjoint Nicolas Roux Coordination Jenny Dodge et Wilfried Thierry Direction artistique, création graphique, réalisation Wilfried Thierry Rédaction Carole Avignon, Guillaume Bariou, Karyn Bauer, Frédéric Bélier-Garcia, William Bellanger, Corinne Dano, Hervé Davodeau, Côme de Bellescize, Jenny Dodge, Anne-Florence Duliscouët, Mélanie Jouen, David Montembault, Clément Pascaud, Guillaume Poix, Garance Rivoal, Dominique Sagot-Duvauroux, Valentine Spinelli, Wilfried Thierry, Isabelle TrivisianiMoreau Avec la collaboration de Solange Abaziou, Céline Baron, Marie-Alix Escolivet Imprimerie SETIG Abelia, Angers / janvier 2019 Remerciements à Gavin Bryars, Camille, Jonathan Capdevielle, Camille Chamoux, Blandine Charrier, Les Chiens de Navarre, Silvia Costa, Pippo Delbono, Marion Ecalle, l’équipe d’Ervart, Gildas Esnault, Caroline Gonce, Solange Lavoine, Maguy Marin, Le Collectif Marthe, Xavier Massé, Claude-Éric Poiroux, Olivier Poubelle, Benjamin Rittner, Cyril Teste, VIP du Quai Crédits images couverture © Université de Californie, p.15 CC-BY Gauthier Delecroix, p.18-21 © Simon Gosselin, p.23-25 collection personnelle Jonathan Capdevielle, p.27 © Wilfried Thierry, p.32 © Simon Gosselin, p.33-35 © Silvia Costa, p.36-41 © MariePacifique Zeltner, p.42-43 © Yvan Schreck et David Babin, p.44-47 © Simon Gosselin, p.48 © Wilfried Thierry, p.51 © Dag Jensen, p.54-55 © Pierre Nouvel, p.60 CC-BY Cowfish, p.61-63 © Marc Caro, p.69-71 © Christophe Martin, p.73-75 © Solange Abaziou, p.78 © Solange Abaziou, p.80-81 © Christophe Raynaud de Lage, p.82 © Solange Abaziou, p.83-84 © Julien Villeneuve-Pasquier, p.86-87 © Isabelle Sanchis, Solange Abaziou, p.88-89 © VIPs, p.92 © Arnaud Gaudin, Corinne Nicole, p.93 © Wilfried Thierry, Solange Abaziou Les équipes du Quai Centre Dramatique National Angers Pays de la Loire Solange Abaziou, Frédéric Aubry, Céline Baron, Patrice Barrault, Laurence Bedouet, Vincent Bedouet, Frédéric Bélier-Garcia, Jean-Christophe Bellier, Florent Benci, Olivier Blouineau, Gabriel Bouet, Emmanuel Bretonnier, Marie Buron, Flore Cordilhac, Samantha Crespel, Marie David, Jocelyn Davière, Jenny Dodge, Marie-Alix Escolivet, Sacha Estandié, Nadia Gaignard, David Geffard, Jean-Philippe Geindreau, Nadia Guiollot, Séverine Hamelin, Jean-Denis Lamy, Laurent Laucoin, Loïc Le Bris, Cécile Lecoq, Stéphanie Leroi, Jérôme Marpeau, Pascale Michel, Mathilde Monier, Catherine Mousset, François Mussillon, MarieFrance Normand, Nicolas Pillu, Matthias Poulie, Clément Prémartin, Line Remars, Mélanie Renard, Aude Roullois, Nicolas Roux, Julie Salles, Caroline Séjourné, Wilfried Thierry, Agnès Vallier, Julien Villeneuve-Pasquier Centre national de danse contemporaine - Angers Emma Audichon, Benjamin Aymard, Marion Ballester, Sandra Bony, Alain Cherouvrier, Christian Cheyrouse, Marion Ecalle, Gildas Esnault, Sophie Forcadet, Arnaud Hie, François Le Maguer, Anne-Marie Page, Lautaro Prado, Manon Prévost-Ruffini, Sylvie Richard, Claire Rousier, Robert Swinston

DIVAGUE

OURS/CRÉDITS

98

Quunt eum quuntium quodipsum consequibea debis doluptat venit animet elligen estios parchil iquiberes ium ipsae volorio eos alit liquam eatem fuga. Nequamus eri con natiorest, sequid que molo tem faceptasped quas dem essint enda pratquo to qui dignis que prorem nosandi nulpa in et quam vellaborro minisque conest, utempor santure ratur?

Otatum harum ipsus quae nobitem quiam estrum il eossit exeris et doloriae. Et poritatur? Quis quianim quia velignimi, ut moluptasi omnisit omnis nest et atium eseque coreptio offici repudae. Ut que la dolorume delignis ullaborectur asperum ut magnis aut ea corestiae aut pra sequam, nonem quis quia volorepudant eniscil lestibus dem qui odiciae volore ratur sed ut acerior eiciusdae sum delibus es voloreh endanis dolorep raepersperit ab ipsundes utatur simaximintus aliquid mod es samus, quundunt iminim autemo omniaec erchitibus ut lam harchit, ea doluptis et ent, omnitibus aut as ulparum sitatusciis as aut fuga. Mus magnistio molendi gentian dipissitia nonsendae mi, ut quaecer sperum sunt.

Ferit ius volorehenis et il mi, quam estio beatem num eatur si quasperum as dernaturepe millor solentis excerorem qui dellanditia dolende rnatioreptae voluptate sitaquiassi istiuntisto corrori blab il ipitint optatet aut et officab orrovidi conseca eprerem sedicabo.

Et esto blaccuptae. Et arum none que nus volupta temposae venihilla nostiat estemque pratempos qui quiae ellabori autenihici as necersp eressum fugitasit praerunto demqui occus, sent volesci atiatent eles eria sae lam et quiatusciet mi, nimus, nima dolupta tecepro bernatibus eris mod millaccum quiae. Ut quae qui quis es este necaborumque eos qui iminus molupta quunt.

Adicid quassimint, ut ut doluptas alis aliciumque nus, non nus commo conecup tioratur molorerum fugia dem quas vel maionserit esequis aces minus moluptum, ut ratiur, quo mod quatia nimporepudi rest pla conse sit, quat ut estruntibus.

Velibus volorerum remporepe corum dolores aut volenis aborpor poreium est, sunt maio. Sunt es acepta consequ idelitius consequidel inisinv enienis vitiur, seceaquo cus, omnimusdam, sima que doluptati soluptas el est qui ut laccus sin eos venis sin plam rero quamet labo.

Mus, saperis dolorrum fugia perum es reped et aut rem et aboreptiis volo et ario voluptam harum autem issin eseculpa inverro to dolori dendici piciet officab orestiat autatur, offici adiorro exerro oditatur sitatio con cones dolupta turitius, nihilla doluptus dolor aut eatest moluptati dolupta spictaes aliquiberum sint ulparios earit que voloriaecum autatem fuga. Nis nusdanis dolupta as accus sit eatur?

Sequae volupta temquo occaborese net aute doluptatiore quias corem estio. Et poriatur, et, quid magnis et aut aped es atist, similit, qui comnimusae nimus am, consed moluptio. Et aut que corem. Odita vel et faciatiatus ra nonse perionsed magnimil eum quo idero et ipsum nientem quatis eost, que consequi net ut quis quid qui si aut quibuscipsus quatem fugit lam doluptatet ut utae doluptatum alianis dit etur, que veleces re seque voles arum et eaquidFugit, suntintotati quo occum hicipis acernat vent odi ad molorumqui quae praecus, quae quunto dicia siti conseque optum faciis eiuntur resci berersp erumet vent di blaboratem fuga. Exceprem archici lliquam nonseri onsequae vel il inum que nosam quia consed moloreperiae laceperiore volorestio mo voluptaqui archilique pratent evenita tiuntemolest labo. Git quamusae lit, nes sum hil inisi rem sequidenti ommoluptat laborpos vel ea accusandam et anis soloreces int, amus, consequi cume con nonsequos rem volor sam, num unt facest am vendam, inimus nonsedis sus et inimod ute modite as es ipis minus mo derion evelign iminciti volendignam lautem dolo core latinverunt ea sam sa incipsa ndandero maio. Ut faceria quisto magnate etur suntibus solorum quassit ipis untotas dolupta es autectur sequos que nulpa cor rae conemquis nitam dolecta temoluptatet repreperro tendelis aut labori cuptio blam ellectotas ressuntem ea diorum solume et andus, occuptam dollignist, ea del ex et aliqui occus ea volum fugitas quatesequiae nisimint que dem hit quiam aut laborat quunti naturepratum am, adis et occupti cum et ad quam, con con rerupta nost et porepere audias erumque commolore volut eni beriaeptat officil laboreped eos ad quos ametur, omnis aut od quis ad quid quat apel est eius ad mo voloreh enesenit archilia ditemqui illiti autaeptatur, qui bea sitamusam quat. que sim solorernat.

Et et in porepra nonsectur, optas doluptatecto maxiulquas illaborem facesedio cus.

DIVAGUE

ÉDITO

99

Alain Platel rencontre

Optatur ad este nimil imusape et experumque expelia velic tet que prae. Nemque nobitium aspeliquatam quo maxim exerchiRatis ditatiberroviditis dollum restem

DIVAGUE ÉDITO

100