Le Fil 20 septembre 20012

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environnement

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3 questions à Alain Olivier sur la sécurité alimentaire Q Comment lutter contre ce phénomène?

Alain Olivier photo Marc Robitaille

La sécheresse n’a pas fait que des heureux cet été. En Russie et aux ÉtatsUnis, notamment, la production céréalière a baissé et les prix repartent à la hausse comme en 2008. Le spectre d’une famine se profile à nouveau dans plusieurs régions du monde. C’est l’un des thèmes abordés par les agronomes du monde entier réunis pour la première fois cette semaine à Québec. Le phytologue Alain Olivier, titulaire de la Chaire de recherche en développement international, a prononcé une conférence durant le congrès « Nourrir le monde ». Q Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, l’indice du prix des céréales a grimpé de 17 % en juillet dernier. Pourquoi ? R La sécheresse des derniers mois a certainement eu des conséquences sur la baisse de production et des réserves. Il ne faut pas non plus négliger l’effet désastreux des politiques des dernières décennies sur l’agriculture paysanne. Dans les pays riches, nous bénéficions du très bas prix des aliments; du coup, les paysans des pays pauvres retirent très peu d’argent de la production alimentaire. Ils ne sont donc pas encouragés à produire beaucoup, d’autant que l’aide au développement néglige l’agriculture depuis longtemps. Les États, eux, coupent dans les dépenses publiques et ne fournissent plus de conseillers techniques. Par ailleurs, en ces temps de sécheresse, un tiers, voire presque la moitié du maïs produit aux États-Unis sert maintenant aux agrocarburants. Cela crée une diminution de l’approvisionnement et une pression sur les prix, d’autant plus que certains investisseurs spéculent désormais sur les produits agricoles. On note aussi sur la planète une baisse de la fertilité des sols à la suite de la première révolution verte. Depuis 30 ou 40 ans, nous obtenons de meilleurs rendements grâce à des variétés mieux adaptées, aux minéraux et aux pesticides, mais la dégradation des écosystèmes constitue un sérieux revers, entraînant l’apparition de ravageurs et l’épuisement des sols.

R Certains en appellent à une seconde révolution verte, basée sur une meilleure utilisation des processus écologiques que l’on trouve dans la nature plutôt que sur des engrais chimiques. On peut avoir une agriculture écologique intensive, car il faut produire beaucoup pour répondre aux besoins de population. De plus en plus de gens considèrent par exemple que l’agroforesterie pourrait avoir un effet positif. La plantation d’arbres en milieu agricole favorise une agriculture plus durable, notamment en améliorant la fertilité du sol. Les feuilles et les petits branchages qui tombent par terre augmentent le taux de matière organique – azote, potassium ou phosphore – utile aux plantes. Les racines souterraines en se décomposant ajoutent aussi des aliments. Tout cela contribue à la fertilité du sol, une des composantes de la productivité avec l’eau et la lumière. L’arbre lutte aussi contre l’érosion et la perte de sol arable causées par le vent et les pluies violentes, qui sont en augmentation avec les changements climatiques. Plusieurs études soulignent également que la présence d’arbres favorise une plus grande biodiversité des oiseaux, des mammifères et des insectes. Au Missouri, par exemple, on note une plus grande présence des insectes pollinisateurs dans les champs de luzerne bordés d’arbres, ainsi que des prédateurs des ravageurs, ce qui est très utile en cas d’invasion d’une espèce. Q Comment l’agroforesterie pourraitelle aider les agriculteurs des pays pauvres à surmonter la crise alimentaire? R Le bois coupé venu de feuillus nobles constitue une valeur intéressante à long terme, mais aussi les fruits ou les noix. On peut vendre les feuilles du baobab comme plantes médicinales. Le feuillage de certains arbustes, surtout en condition tropicale et subtropicale, est aussi bien apprécié de certains animaux. Sans parler des huiles tirées de noyaux comme celui du karité, ou de la récolte des chenilles, friandes de ce genre de feuilles, dont la vente constitue un revenu très intéressant pour les femmes de certains villages du Burkina Faso. Ce type de production est facilement accessible pour les plus pauvres de la société, car elle ne requiert pas de machinerie lourde. Le Sahel, par exemple, dispose de parcs agroforestiers qui ressemblent à une savane cultivée. Ça présente un intérêt sur le plan local, mais aussi global, car les arbres fixent le carbone, ce qui participe à la lutte contre les changements climatiques. Par ailleurs, l’agroforesterie permet de combiner l’arboriculture avec les cultures alimentaires sur une même terre. On obtient une meilleure productivité totale que si l’on avait séparé, par des bosquets, des champs de monoculture. Propos recueillis par Pascale Guéricolas

Le recrutement de nouvelles oies reproductrices dépend presque autant de la pression de chasse printanière que des conditions climatiques pendant la migration et à l’arrivée des oies sur les aires de reproduction à l’île Bylot. photo Cédric Juillet

Dommages collatéraux La chasse printanière réduirait l’élan reproducteur des jeunes oies des neiges par Jean Hamann La chasse printanière diminuerait la propension à la reproduction chez les jeunes oies des neiges. À preuve, plus la pression de chasse est forte au printemps, plus faible est le pourcentage d’oies qui tentent de se reproduire pour la première fois dans les semaines qui suivent, rapportent des chercheurs du Département de biologie dans l’édition d’octobre du Journal of Applied Ecology. Au cours des trois dernières décennies, les effectifs de l’oie des neiges ont explosé au point où l’espèce menaçait de détruire son habitat. En 1999, dans l’espoir de maintenir les effectifs sous un seuil critique, les gestionnaires de la faune ont instauré une chasse printanière à l’oie des neiges. Jusque-là, cette espèce migratrice était chassée à l’automne et à l’hiver au Canada et aux États-Unis. Cédric Juillet et Gilles Gauthier, du Centre d’études nordiques et du Département de biologie, Rémi Choquet et Roger Pradel, du Centre national de la recherche scientifique de France, et Josée Lefebvre, du Service canadien de la faune, ont tiré profit des fluctuations annuelles dans la pression de chasse printanière pour en étudier l’effet sur le recrutement d’oies reproductrices (nombre d’oies qui se

reproduisent pour la première fois une année donnée). Chez l’oie des neiges, les femelles les plus précoces commencent à pondre dès l’âge de deux ans, mais certaines patientent jusqu’à cinq ans ou même plus avant de se reproduire. Cette décision dépendrait en partie de facteurs environnementaux. Les analyses des chercheurs, qui couvrent la période allant de 1992 à 2005, démontrent que le recrutement dépend presque autant de la pression de chasse printanière que des conditions climatiques pendant la migration et à l’arrivée des oies sur les aires de reproduction à l’île Bylot. En 2000, lorsque la chasse printanière a atteint un summum – 6 % des oies adultes abattues ce printemps-là –, le recrutement a diminué de moitié comparativement aux années sans chasse. L’explication la plus plausible? « Il s’agit d’un effet indirect de la chasse qui se manifeste à des milliers de kilomètres plus au nord, répond Cédric Juillet. Les oies migrent sur de longues distances et elles doivent s’arrêter dans les marais ou dans les champs de maïs du sud du Québec pour faire le plein. Le dérangement causé par la chasse les force à se déplacer régulièrement pendant leur halte migratoire de

sorte qu’elles dépensent plus d’énergie et qu’elles passent moins de temps à s’alimenter. Or, les réserves nutritives accumulées pendant la migration printanière sont cruciales à leur reproduction. » Dans le cas de la surabondante oie des neiges, le double effet de la chasse printanière n’est pas dramatique. « Par contre, l’effet indirect de la chasse sur la reproduction est un élément dont doivent tenir compte les biologistes qui gèrent des populations animales en déclin », estime Cédric Juillet.

«

Le dérangement causé par la chasse force les oies à se déplacer régulièrement pendant leur halte migratoire de sorte qu’elles dépensent plus d’énergie


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