Le Bonbon Nuit 53

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Mai 2015 - n째 53 - lebonbon.fr



EDITO Ce virus est sans doute plus grave qu'une bonne vérole, qu'une chaude-pisse carabinée, qu'une hémorroïde sur le fion ou qu'une sale maladie du baiser. Le problème, c'est que tout le monde s'en branle. Pas de mobilisation nationale à la télé avec des défis à la con pour collecter du pognon, pas de grand professeur de fac au nom à consonance ashké qui te dit que la recherche avance et qu'un vaccin sera bientôt trouvé. Non, rien. Cette maladie est pire qu'orpheline, elle n'est même pas encore nommée. Pourtant, ce virus attaque à la sortie de l'enfance, quand l'adolescence ingrate débarque. Premiers symptômes : 3 poils au cul et déjà l'envie sous la lune de faire le mur... pas mal, pas mal, pour la suite ça promet. Lycée, sortie, découchage, mensonge, premiers clubs, eau écarlate, verre cassé, dépucelage, corps nus, free party, cunnilingus, road trip nocturne, buvard sur la langue, Dj extasié, souffrance, plaisir, plaisir, plaisir, plaisir. Tout ça, ça vient du ventre, tu peux pas y échapper. Le pire, c'est qu'en vieillissant, ça empire, ça ne s'arrête pas, le virus se multiplie et sur-sature l'hémoglobine. Vingtaine, trentaine, quarantaine, même combat. Il y a toujours cet appel qui te brûle et qui te pousse à faire durer l'obscurité. Afters d'after, nuits blanches, marathons, roue libre, discussions sans fin avec ton whisky on the rocks… Les limites sont, dis-tu, « faites pour être explosées ». Quitte à foutre un sacré bordel dans le reste, mais ça, c'est pas de ta faute, c'est à cause de ce maudit virus. Ah tu ricanes, toi qui me tiens entre tes mains et qui me lis à cette heure tardive... Mais juste pour ta santé, il serait bon pour toi de savoir si comme moi, si comme nous, tu l'as ou pas... Ce putain de virus de la nuit. MPK

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OURS

RÉDACTEUR EN CHEF Michaël Pécot-Kleiner DIRECTEUR ARTISTIQUE Tom Gordonovitch DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Jacques de la Chaise COUVERTURE Laurent Garnier par Constantin Mashinskiy SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Louis Haeffner RÉGIE PUBLICITAIRE regiepub@lebonbon.fr 06 33 54 65 95 CONTACTEZ-NOUS nuit@lebonbon.fr SIRET 510 580 301 00032 SIÈGE SOCIAL 12, rue Lamartine Paris 9


SOMMAIRE

p. 7 À LA UNE Laurent Garnier p. 13 SOCIÉTÉ Typologie p. 17 MUSIQUE Louisahhh!!! p. 25 LITTÉRATURE Les mots de minuit p. 29 CINÉMA Cannes 2015 p. 31 ART Joel Rea p. 41 MUSIQUE La Mverte



HOTSPOTS

- TRAINSPOTTING DANS LE CLUB Nos potes de Brain se tapent un gros trip et ont décidé de réactiver l'imaginaire de Trainspotting sur le dancefloor. Bon, ce film a perché toute une génération, on s'attend donc à de l'hallu en barre jusqu'au petit matin. Derrière les platines : JG Wilkes, Justin Robertson, la p'tite Anetha et les résidents du mag. Ça va pomper sec. Jeudi 7 mai à la Machine du Moulin Rouge. - ART BRUT Henry Darger, tu vois, c'est le genre de mec qui ne connaissait rien à l'art et qui n'en avait un peu rien à carrer des conventions. Jusqu'à sa mort en 1972, il a su créer une œuvre unique et singulière qui subvertit tous nos codes névrotiques. Bref, à bas l'art pute, longue vie à l'art brut. À partir du vendredi 29 mai au MAM - PERDUE DANS L'OPEN SPACE La House of Moda se la joue powerpoint, comité d'entreprise, logiciels de bureautique et tout le toutim. Prépare-toi à passer ton entretien d'embauche à trois dans les chiottes, avec un peu de chance, tu pourras porter les cafés aux managers de la soirée : Geena et Numéro 6. Fayotte, va. Samedi 30 mai à la Java - WEATHER FESTIVAL Mais oui, le voilà enfin le plus gros festival de l'univers, le plus pro, le plus écolo, le plus humain, le plus ouvert, le plus... Bon, on arrête là ? Sinon, bah le line-up défonce comme d'hab, ça dure 3 jours et tu mettras 3 mois à t'en remettre. Salut. Du 4 au 7 juin non stop. Dans le bois de Vincennes, ma gueule. 5


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À LA UNE T

MPK RICHARD BELLIA & ARTHUR GARNIER P

LAURENT GARNIER — DE L'OR EN BARRE Corps carré, mine tonique, flux de paroles torrentiel, s'entretenir avec Laurent Garnier est un véritable exercice physique. De toute façon, pas la peine de lutter, le mec a plus d'énergie que toi, il carbure à l'instinct, à l'envie, au désir. Ça peut paraître con, surfait, galavaudé, c'est surtout putain de vrai. Voilà donc une existence entièrement shootée à ces essences, et qui à désormais 50 piges, continue d'expérimenter les manières de

vivre la techno. L'an dernier, 5 EP sur 5 labels à l'esthétique différente, cette année, un coffret tiré à 1000 exemplaires, et un CD qui synthétisera le tout, disponible ce mois-ci. Et puis, on l'espère, encore des DJ sets dans la capitale, car s'il est un prod' archi-reconnu, Garnier actualise toute sa puissance derrière les platines. On a été son sparing partner le temps d'une interview, on en est sorti heureux. Et quelque peu galvanisé. 7


“POUR ATTEINDRE CETTE TRANSE, IL FAUT SUPPRIMER LES PARASITES, IL N'Y A RIEN DE PIRE QU'UNE SALLE OÙ IL Y A PLEIN DE MECS LE BRAS EN L'AIR AVEC LEUR TÉLÉPHONE.” 8


Pas mal de gens me parlent encore de ton mix au Weather Winter. Il est vrai qu'il a pété pas mal de mâchoires, et qu'il a surpris les kids parisiens qui ne te connaissait pas vraiment encore. Quel était ton état d'esprit derrière les platines ? En fait, je suis allé me balader deux heures avant dans la salle : il y en avait déjà quelquesuns qui avaient la bouche bien cassée. Je me suis dit, là, y'a juste qu'à les cueillir. Je passais à 5h du mat', j'aime bien cette heure-là parce que c'est le moment où tu peux partir vers le cartonnage de cerveaux. Après, je ne trouve pas avoir fait un set très différent de ce que je peux faire au Sonar ou au Sucre mais bon, j'ai des phases, et c'est vrai qu'en ce moment, je me sens bien à jouer des trucs très techno. Et puis ma femme était là aussi, et j'avais vraiment envie de la faire danser. Hormis le fait de raconter une histoire, d'avoir une intro, un développement, une fin, une sélection maîtrisée, quels conseils plus avancés donnerais-tu aux Dj's qui cherchent à progresser ? Toujours essayer de s'étonner. Et de ne jamais se répéter. Après, tu peux répéter un mix une fois de temps en temps, tu peux avoir des couleurs, des courants que tu aimes bien, y'a des disques de transition, ça, tu peux parfois le réutiliser. Avant mon set, j'aime bien réfléchir à mon premier disque, et à partir de là, absolument ne pas savoir où je vais aller. Parce que je pense qu'un set, c'est toujours une relation avec le public, faut vraiment toujours essayer de le surprendre et de se surprendre. Si tu rentres sur une autoroute, que tu restes que sur du 125 bpm, tu vas faire chier tout le monde, ça devient très académique. C'est pour ça que quand les gens pensent que je vais aller à droite, je vais à gauche. L'important, c'est aussi de savoir où l'on joue, pour qui l'on joue,

et l'heure à laquelle on joue. L'heure, c'est super important. On ne joue pas de la même manière à minuit, 3h ou 5h du mat'. La techno n'est pas simplement hédoniste ou récréative, elle a une métaphysique qui lui est propre. Toi qui connais cette musique sur le bout des ongles, quel est son mystère ? Son mystère vient surtout du fait qu'elle fait danser, elle a ce côté exutoire. Et c'est une chose de plus en plus difficile aujourd'hui, parce que l'on a des objets dans nos poches qui prennent beaucoup de notre attention. Du coup, il est très difficile de s'abandonner totalement à la musique. C'est une grande différence entre ma génération et la vôtre : avant, on n'avait pas des joujoux comme les smartphones, on ne prenait pas des photos dans une soirée, y'avait pas de caméras, y'avait pas de voyeurisme... C'était très hédoniste certes, mais il y avait en effet ce moment où tout bascule et où on passe ailleurs, dans un état de transe. Et ça pour un Dj, c'est génial : tu domines complètement ta salle et tu les chopes, tu les lâches plus, et tu sens leur abandon. C'est à chaque fois ce que j'essaye de faire : choper ce moment-là, ce moment mystique ou magique... L'année dernière, j'ai fait le Panorama Bar, et ça a été ça, on a atteint cette mystique. Sinon oui, pour atteindre cette transe, il faut supprimer les parasites, il n'y a rien de pire qu'une salle où il y a plein de mecs le bras en l'air avec leur téléphone. Et c'est justement ce que fait le Panorama en interdisant aux gens de sortir leurs bidules pendant la soirée. Y a-t-il des secteurs de cette musique qui résistent à ton analyse, qui restent dans l'irrationnel ou le non-dit ? Je ne me pose pas ce genre de question par rapport à ce que je comprends ou ce que je ne comprends pas. D'ailleurs, je ne vais même pas 9


chercher pourquoi telles ou telles choses me plaisent, je marche vraiment à l'instinct. La question est : est-ce que tu te prends une gifle ou non ? C'est vraiment mon principal critère de sélection dans la musique, ou plus généralement, dans l'art. Le retour de la MD dans les nuits parisiennes, t'en penses quoi ? Écoute, je ne fais l'apologie d'aucune drogue mais je préfère que le public pour lequel je joue soit tazé ou sous MD. La cocaïne rend les gens chiants, la kéta, c'est aussi bien dégueulasse, les mecs sont couchés et ne savent même plus où ils sont. Au moins avec la MD, y'a ce truc de communion, d'amour universel qui n'est pas toujours vrai mais que je trouve plutôt sympathique. Tu aurais pu te faire beaucoup plus de thunes en vendant plus ton cul. On sent bien que tu n'es pas un mec accro à la maille. Ce rapport à l'argent, il vient d'où ? De ton éducation ? Je ne viens pas d'une famille qui a de la thune. Ma mère était coiffeuse, mon père était forain jusqu'à mes 6 ans, ensuite il est devenu VRP. Quand j'avais 14 ans, si je voulais partir en vacances, fallait que j'aille bosser et vendre des brochettes à la foire à la ferraille. Bref, tout ça, ça m'a toujours donné la valeur des choses, je me suis rendu compte qu'en travaillant, je pouvais aider mes parents, j'ai tout de suite compris la valeur de ce truc-là. Le bling-bling et les strass, ça ne m'a jamais attiré. Je n'aime pas ce que dégage l'argent, tu te rends compte rapidement que les gens intéressés par l'argent te lâchent comme une merde, il n'y a rien de beau là-dedans. Vraiment. Je gagne bien ma vie, je pourrais gagner beaucoup plus, mais je ne veux pas sacrifier ma sincérité pour la thune. Cette recherche de sincérité te caracté10

rise. Tu pardonnes même de mauvais projets s'ils sont sincères. Peux-tu me citer quelques personnes dans le milieu qui manquent justement de cette sincérité, ou qui l'ont perdue ? Je suis un énorme fan de Jeff Mills bien que ces derniers temps, je ne comprenne pas certains de ses projets car pour lui, tout est dans le concept. Et si par exemple il passe une mauvaise soirée, ça ne l'empêchera pas de dormir : ce sera de la faute du public, pas de la sienne. Ça, j'ai souvent contre-argumenté avec lui, car je ne pense pas que ce soit une bonne analyse. Par contre, je ne remettrai jamais en question sa sincérité. Richie Hawtin, lui, s'est musicalement complètement perdu. C'est d'autant plus étonnant que Richie était vraiment quelqu'un de qualitatif. Je ne comprends pas son délire. L'appât du gain, peut-être... L'adaptation cinématographique de ton bouquin Electrochoc, ça en est où ? Le scénario est complètement terminé, on est en train de faire le casting et il y a de fortes chances que l'acteur principal soit Félix Moati. Ce sera une totale fiction : j'avais besoin de me détacher de l'aspect auto-biographique du livre pour avoir la liberté de raconter une histoire, et non en faire un documentaire. Il y a foncièrement deux aspects de la vie de Dj : l'aspect public, fantasmagorique, fait de jouissances musicales, de rencontres, de plaisirs. Et l'aspect plus sombre qui implique la solitude, la fatigue, l'introspection... J'ai voulu traiter entre autre ce second aspect, car il est mal connu du grand public, il est souvent occulté car peu glamour. Il est pourtant bien réel. Ton remède contre la gueule de bois ? Un bon Bloody Mary. C'est le meilleur remède que je connaisse.


La Home Box FCom - Pias Disponible le 11 mai 11


SOCIÉTÉ T

CYRIELLE DEBRUN P ALEXANDRE MIRAUT KOROBOV

TYPOLOGIE MURMURÉE À L’OREILLE DES TEUFEUSES

On se connaît, toutes les deux. Ou du moins on s’est croisées. On a déjà dû se toiser comme deux garces dans des chiottes de club, je me rappelle, t’essayais de remaquiller ta gueule d’oiseau empaillé par 12 heures de 12

techno. Ou bien c’était moi. C’est flou. On s’en fout, le fait est qu’on croise toutes les deux les mêmes mecs, une fois nos Persol rechaussées sur nos nez enrhumés.


LE VIEUX S’il est là, c’est que t’es au bon endroit. Il a l’air de rien, mais il faisait déjà l’animal quand tu bavais encore sur ton jeu de l’oie. Il mangeait « du » MD sous les ponts avant de se faire virer comme un malpropre par les CRS, lui et tous ses copains punks à chiens. Là, il s’identifie pas bien à la relève fluo qui lui bouffe son espace vital et ses cigarettes, qu’il dispense avec bon cœur. Ça lui fait plus de copains, on a toujours des copains quand on a des Phillip Morris à 10h du matin. De toute façon, ce mec est heureux, à 40 ans et deux prêts à rembourser, il trouve

encore le moyen de mouliner des bras et de te sourire, avec ses dents rassies et son T-shirt celtique. Il a besoin de plus d’analgésiques que toi, toi t’es jeune, son corps à lui crie à s’en déchirer la panse, ça fait 40 ans qu’il se fait exhumer en public dans toutes les raves d’Europe. Ce type ne va probablement pas te draguer, t’es trop jolie et trop jeune, et puis sans déconner, il a assez de problèmes comme ça. Mais va lui parler, il est bienveillant, il est comme ton oncle un peu chelou qui te ressert du vin quand ta mère part chercher la charlotte. 13


TON EX

LE GROS RENOI LIBIDINEUX

Ben oui, évidemment qu’il est là, c’est là que tu l’as rencontré, à peu près à la même heure l’année dernière. T’étais tombée amoureuse, de lui, de la musique, de la drogue, de la musique, de la drogue, de lui. Et après la musique et la drogue, il était toujours aussi gentil. Teufs, afters, festivals, déjeuners de famille, tout était mieux avec lui, les montées plus intenses et les descentes plus paisibles. Puis vous vous êtes quittés. C’est comme ça, pas de coupable. Là, il est entouré de gens que tu connais pas, t’as envie de lui en vouloir, mais ça n’aurait pas de sens. Il danse pareil. Il porte la chemise que tu lui as offerte à Prague. Te fie pas à son sourire béat, ça lui rape un peu le cœur de te voir. C’est chiant les souvenirs, pourquoi est-ce qu’on s’emmerderait à se chloroformer la gueule à coups de musique répétitive et de drogues répétitives, si c’est pour se rappeler d’hier. Va lui dire bonjour, joue le jeu, ça sera pas long. Il va pas tarder à se retourner et reprendre là où il en était, la came coûte trop cher pour la laisser descendre. Fais pas la gueule, c’est pas triste, c’est juste la vie. T’es grande, maintenant.

Il ne danse pas, et heureusement : il créerait la panique et un danger potentiel pour toutes les petites âmes qui se cognent sans arrêt à son gros corps, ça l’effleure à peine. Toute façon, il a bien mieux à faire que de danser, il fait du flouze. Plein. Au moins trois vigiles l’ont à l’œil, mais bon, il est bien trop massif, et il fait bien trop de flouze. C’est le B2O de la techno, et tout son crew se meut autour de lui, dans un troc incessant de came et d’oseille. T’inquiète, il va pas te bouffer. Si, en fait, il va carrément te bouffer, si par hasard il te trouve à son goût, si t’as des cuisses musclées, des seins de taille honnête, et que tu souris sans cesse. Mais ça va, il est cool, et s’il penche son pectoral sur ta gueule dévissée, c’est soit pour te faire l’amour, soit pour te vendre des paras. Il va probablement te proposer les deux, une chose en entraînant une autre. Pour l’amour, à moins que tu sois handballeuse de haut niveau, c’est déconseillé. Prends plutôt la came. Non, en fait, bouge de là, si t’es trop défoncée pour te rendre compte que t’es cernée de dealers, faut que tu retrouves tes amis.

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LE GAY ULTRA-LOOKÉ

TON ÂME-SŒUR

S’il est là, c’est qu’encore une fois, tu fais bien d’y être aussi. Il va toujours aux meilleures teufs. Il connaît tout le monde. Il est mieux sapé que toi. Il a plus de potes que toi. Il est allé au Berghain avant toi. Ses potes sont plus stylés que les tiens. Ses tatouages sont plus beaux, ses piercings mieux placés, ses cheveux mieux coupés, sa came moins, il danse mieux que toi, et il baise probablement mieux que toi. Apprends. Il a l’air toujours normal, comme si c’était normal, d’être tout mieux que tout le monde. Il va te prendre en battle de danse, mais c’est pour la forme, de toute façon, tu vas te faire humilier. Et puis t’auras l’air d’une pétasse, alors que lui, il aura l’air stylé. Suis le mouvement, pour une fois, tu peux être sûre que t’es en bonne compagnie. Il va pas te prêter trop d’attention, vu que t’es une fille, mais il va ni se faire virer, ni te claquer entre les doigts parce qu’il sera trop arraché. Il va juste être tout mieux que tout le monde, comme d’habitude.

Encore lui. Putain, c’est vraiment un drogué, il est là à chaque fois. Mais toi aussi, t’es là à chaque fois, puisque t’es là pour le dire. Toute façon, si t’es là, et que t’es là toutes les semaines, ne crois pas qu’un beau jour, tu te réveilleras avec des envies de Normandie et de jeans repassés. T’aimes la foule, la vitesse, la montée et la descente, la chimie et le physique. Faut que tu l’acceptes, et que tu l’embrasses. Laisse faire. Il l’a peut-être pas encore remarqué, ou pas encore accepté, mais il est comme toi. Si on peut tomber amoureux en colo à Chamrousse, au boulot ou dans la rue, on peut tomber amoureux dans la techno. La drogue, la musique et la lumière, c’est du décorum qui rend les sensations plus brutales, les rencontres plus éphémères, la vraie vie moins vraie, mais ça n’enlève rien à la réalité. Ça la rend juste moins palpable, pour un moment. Et si vous vous croisez sans cesse, et si vous vous souriez, et si manifestement t’es pas seule à le voir, même les kilomètres de teuf ne vous séparerons pas. Putain, qu’est-ce que t’es fleur bleue quand t’es droguée. 15


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MUSIQUE T

ARNAUD ROLLET P CLAIRE

LOUISAHHH!!! — DARK LABOR Dans ce monde parfois trop sérieux qu’est celui de la musique électronique, le sobriquet de Louisahhh!!! contient beaucoup trop de « h » et de « ! » pour ne pas attirer la sympathie. C’est peut-être pour ça que l’Américaine a très vite attiré l’attention de Brodinski, le boss de Bromance qui l’a prise sous son aile dès 2012. Après quelques apparitions vocales bien ficelées, la Dj-productrice fait

depuis équipe avec un autre « bro » français, Maelstrom. Suite à la trilogie en « Tra » - Transcend (où Mael jouait les hommes de l’ombre) et les plus officieux Translations et Traces, cette association de bienfaiteurs livre un nouvel EP, Friction. Un défouloir énergique et sombre, un peu comme les deux facettes que cultive l’intéressée.

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Qu’est-ce que tu trouves chez Maelstrom que tu ne retrouves pas chez d’autres artistes ? Créativement parlant et même si on a des backgrounds différents, on se correspond. Ce truc qu’on a en commun, ce n’est pas un but précis à atteindre - nos objectifs changent constamment - mais plutôt les chemins que nous prenons pour y parvenir et la manière merveilleuse avec laquelle on communique. C’est très inspirant. Il y a une vraie connexion entre vous. Chacun fait ressortir le meilleur de l’autre. J’ai beau avoir bossé avec pas mal de gens, je n’ai pas le souvenir d’avoir connu ça auparavant. Ce que nous avons tous les deux est très précieux. Créer des associations, c’est un peu le but de Bromance, non ? Je suppose ! Quelque part, l’idée de départ du label était de créer une fratrie, une famille et de pouvoir bosser entre amis, avec les gens qu’on aime. Par contre, je n’avais aucune idée à l’époque de tout l’amour que je pouvais avoir pour Mael ! C’est le boulot qui nous a rapprochés. J’ai confiance en lui, en tant qu’artiste et en tant qu’ami. C’est un mari charmant avec sa femme, un bon père pour ses enfants… c’est le genre de personne avec qui j’ai envie de collaborer. Le côtoyer, ça fait de vous un meilleur être humain, pas seulement un meilleur artiste. (rires) Alors comme ça Maelstrom est loin de l’image qu’on peut se faire… … du Dj « dark techno » ? Pas du tout, il est super ! (rires) Sa vie est très équilibrée et ça se ressent dans sa musique. Je pense même que c’est pour ça qu’on s’entend si bien : la 18

musique nous permet d’exprimer notre facette la plus sombre et d’exorciser nos démons. On fout tous nos ténèbres dedans, comme ça ils ne peuvent pas ressortir ailleurs, dans la vraie vie. Tu délivres plus d’énergie dans ta musique que dans ta vie quotidienne ? Pas de l’énergie mais les éléments les plus noirs de ma personnalité. Si ces derniers resurgissaient dans ma vie privée, ce serait destructeur et j’en sais quelque chose. Ils ont beau être une bonne source de créativité, ils n’en demeurent pas moins effrayants. Je préfère les contenir dans la musique pour les relâcher en club, où l’atmosphère s’y prête bien. C’est la même chose pour Mael. Nous sommes des guerriers… ce qui n’est pas toujours facile pour ceux qui doivent nous gérer ! (rires) Ce côté obscur, on a du mal à y croire sachant que, avant de te lancer dans l’électro, tu chantais dans une chorale et faisais de l’équitation. C’était très pastoral… jusqu’à ce que la drogue arrive. Au début, c’était fun mais c’est vite devenu sombre, flippant… Je prenais des décisions qui faisaient de moi une mauvaise personne. Si tu prends de la drogue mais que tu arrives à respecter tes promesses et à rester quelqu’un de confiance, tant mieux. Moi, ce n’était pas mon cas. Tu étais trop dans l’excès ? Oui mais pas seulement : j’étais aussi peutêtre trop centrée sur moi-même. À partir du moment où tout ton univers tourne autour de toi et de toi seul, la situation devient précaire, dangereuse. D’où le fait que tu apprécies les collab'. C’est un bon juste milieu, oui. (rires)


"UN DJ, C’EST UN PEU COMME UN GUÉRISSEUR PSYCHIQUE, UNE SORTE DE SHAMAN MUSICAL QUI DOIT AMENER UNE ÉNERGIE QUI N’ÉTAIT PAS LÀ L’INSTANT D’AVANT." 19


Louisahhh!!! & Maelstrom / Friction Bromance 20


Quand as-tu croisé pour la première fois ton toi « dark » ? Elle a toujours été là, enfouie. J’ai toujours été plutôt anxieuse et dépressive, un tantinet maniaque aussi. D’un côté, je pouvais être pleine de joie de vivre mais de l’autre, j’avais beaucoup de peurs en moi. Quand j’ai commencé à prendre de la drogue, ce n’était pas tellement pour effacer ces angoisses mais pour ne plus en avoir rien à foutre. C’est à ce moment que j’ai rencontré cette noirceur. Plus rien n’avait alors d’importance à mes yeux. C’était vraiment effrayant. Aujourd’hui, tu vis à Paris. Pourquoi ? Tout simplement parce que Bromance m’a dit : « Tu bouges à Paris ou alors on ne pourra plus travailler avec toi ». (rires) C’était logique en même temps : Los Angeles et Paris, ce n’est pas la porte à côté. Le décalage horaire était aussi bien chiant : pour discuter avec moi par Skype, le label devait attendre le soir. En tout cas, je ne regrette pas mon choix. En plus, en ce moment, il y a une atmosphère particulière ici et une vraie communauté soudée. Tu sais, Paris est une petite ville et quand je suis arrivée ici en 2013, c’était deux ans après la mort de DJ Mehdi : les gens avaient alors réalisé combien la vie est précieuse et se montraient vraiment très attentifs les uns envers les autres. Ce n’est pas anodin, en particulier dans le domaine de la musique où tout est une question de partage. Les gens ont compris que ça ne servait à rien de faire des histoires. Même si Paris aime bien ce côté « drama », il faut se dire que nous sommes là seulement pour quelques instants et qu’on doit prendre soin de ceux à qui on tient. Il paraît que tu crèches dans le 11e, pas loin de Charlie Hebdo. Oui, à Richard Lenoir, en face. D’ailleurs, cette

journée était folle. Je revenais des US le matin des attentats et n’ai appris ce qui se passait qu’à l’atterrissage. Tu sais, j’ai grandi à New York et j’étais là-bas au moment du 11 septembre. C’est resté gravé dans ma mémoire. Après ces événements, les États-Unis ont crié « C’est la guerre ! » alors que la France a répondu par cette marche pour la paix… Pour tout te dire, j’étais anxieuse à l’idée de me pointer à cette marche le dimanche mais, au final, tout le monde était là, tous ceux que j’aimais, et nous étions 3 millions à marcher tout doucement ! C’était trop cool de voir la France se tenir debout pour la paix. C’est une grosse différence. Je ne vais pas parler de Dieu parce que certains pourraient peut-être mal l’interpréter, mais je crois que c‘était une vraie action spirituelle. Les gens sont sortis de chez eux alors même que le risque était encore important ce jour-là et qu’on ne savait pas ce qui pouvait se passer. Tu crois en Dieu ? Je crois à une certaine force, au pouvoir de l’amour. Je ne souscris à aucune religion en particulier, mais c’est ce pouvoir qui est au cœur de mon travail et qui me fait avancer dans la vie. C’est aussi grâce à lui que j’ai pu prendre confiance en moi et devenir cette femme que je n’aurais jamais pensé pouvoir devenir. C’est aussi ça qui m’a poussée à être chanteuse : un ami m’avait dit que si je ne partageais pas ce « don », j’étais conne. Je pense donc qu’il faut faire avec ce que tu as et le cultiver. Quand tu y penses, un Dj, c’est un peu comme un guérisseur psychique, une sorte de shaman musical qui doit amener une énergie qui n’était pas là l’instant d’avant. J’aime cette idée de pouvoir canaliser l’amour, de ressentir ces émotions et de créer une communion. C’est la chose la plus incroyable qui puisse t’arriver. Moi, ça m’arrive deux fois par semaine et, en plus, je suis payée pour ça ! J’ai encore du mal à réaliser. (rires)

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SONDAGE

SONDAGE Tous les vendredis à 18h, Damien Raclot-Dauliac et les acteurs de la nuit parisienne font des heures sup' pour vous donner la clé des clubs de la capitale sur radiomarais.fm

Sondage effectué auprès d'un échantillon représentatif de 100 fêtards

Cube 5%

BP 9% Tunnel 38%

Faust 20%

Monseigneur 35%

LE MEILLEUR NOUVEAU CLUB Salut les perchés ! Ce mois-ci, vos votes sont unanimes : vous avez décidé de donner votre petit cœur plein de tachycardie au Tunnel, nouveau club souterrain situé à Issy-les-Moulineaux. Bien, bien. Notons que celui-ci est talonné de près par le très hype Monseigneur, machine de guerre dirigée par l'équipe de Sonotown. Le Faust n'en fait pas toute une tragédie et se contente d'une belle troisième place. 22

Surprize 11% Blank 20%

Marvellous 6% Blue (Douce production) 29%

Lakomune (Tunnel) 23%

LA MEILLEURE ORGA Visiblement, c'est les gars de Lakomune qui vous ont le plus fait vibrer ce mois-ci. Sans doute à cause de leur dernière grosse soirée au 1936 qui, paraît-il, donnait envie de reprendre le pavé et monter des barricades. À une encablure, vous nous avez cité Blank qui bizarrement, n'est plus extrêmement actif ces derniers temps. Surprize (mastodonte !) et BP ferment joliment la marche.


NOCTURNE Retrouvez les résultats du sondage de la nuit parisienne tous les 3e vendredis du mois dans l'émission Le Bureau Machine 6% Showcase 20%

Glazart 11%

Rouge Pigalle 47%

Rex 26%

LES PIRES TOILETTES Les toilettes sont d'une importance primordiale dans l'art du clubbing. Tss, tss, toimême tu sais, ne fais pas semblant de baisser les yeux, hein. Bon, à ce petit jeu-là, vous n'avez pas mais vraiment pas kiffé les waters du Rouge Pigalle. Mais pourquoi donc ? Sontils sales ? Trop fliqués ? Trop petits ? Sans doute un peu des 3. Le Rex et ses portes de chiottes sciées jusqu'au genoux sont deuz. Normal. Showcase bonnet d'âne itou.

Showcase 47% Concrete 41%

LE MEILLEUR FUMOIR Bon, on vous a surinés avec le fumoir le plus pourri de Paris (bonjour la Machine), il était maintenant temps de renverser la tendance, et d'élire dans la joie et la bonne humeur le meilleur spot où fumer ses tiges. Par le plus grand des hasards, il semblerait bien que vous préféreriez fumer vos tiges (re) en plein air plutôt quand que dans un petit cagibi. Ah bon ? 1. Showcase 2. Concrete 3.Glazart

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LITTÉRATURE T

TARA LENNART

LES MOTS DE MINUIT

Blanche comme une page, la nuit s’inscrit aux abonnés absents. Pas de marchand de sable à l’horizon ni de pilules magiques pour baver dans les bras de Morphée. Ne cherchez plus,

lisez. Et dans votre lit, c’est encore mieux ! Vous aurez une bonne raison de ne pas dormir…

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Le Cerveau à Sornettes Roger Price Vous aimez ne rien faire MAIS vous aimeriez avoir une bonne excuse, bardée d’explications dignes d’un livre de développement personnel et de psychologie ? Des arguments scientifiques ? L’humoriste Roger Price vous embarque pour une virée loufoque et acide au pays de l’Évitisme, votre nouvelle philosophie. Et entre deux fous-rires, vous sourirez à la critique de la société de consommation parfaitement d’actualité, encore plus pour un livre qui date de 1951. — Éditions Wombat Quarante-sixième Parallèle nord François Michel Derrière ce titre énigmatique, point de boussole ni de matelot homosexuel, mais des articles. Ou des petites nouvelles. Ou des textes de journalisme qui racontent une histoire. Des évocations de villes, un peu comme un carnet de voyage. Bref, tout ça pour dire qu’on part loin, avec ces textes, de l’Illinois à Lyon en passant par Saint-Lazare. Ou l’inverse. Et c’est beau, la poésie gonzo ! — Éditions Denise Labouche Le Livre pour les enfants qui veulent gribouiller des monstres Thomas le Guern Vous n’êtes pas un enfant ? On s’en doute. Vous n’en avez pas ? Tant mieux ! Vous pourrez leur voler ce carnet de gribouillages rigolos et super bien faits en toute impunité. Gribouiller, dessiner, colorier, laisser votre cerveau stressé au repos et favoriser un doux retour à l’âge de l’insouciance. Adieu les problèmes, gribouillez des monstres ! — Éditions Courtes et longues

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Little America Rob Sigwart Un roman typiquement américain, avec une histoire de fils obsédé par des pompes à essence et l’idée de tuer son père qui le méprise (Freud es-tu là ?). Une chose est sûre, on n’est pas chez Clint Eastwood, le rêve américain prend une bonne raclée dans cette fable loufoque, jouée par des idiots arrivistes et obsédés. Ça part dans tous les sens, un Tex Avery sous LSD (un Tex avery, quoi), avec une critique sociale à la fois latente et bien appuyée. — Éditions Cambourakis À Pleines dents la Poussière Stéphane le Carre Des sales types, des losers, des braves gars parfois pas futés, des galères et des plans pourris. Les personnages de ce recueil de nouvelles délicieusement teinté de God Bless America font mordre la poussière. Un Français est donc capable d’expédier au tapis avec des textes ficelés, rythmés, décalés. On déambule dans une galerie de portraits abîmés, partagé entre sympathie et mépris, un peu effrayé quand on se retrouve entre les lignes et qu’on serre les dents ! — Éditions Antidata Revue Muscle Comme son nom l’indique, cette revue en a dans les biceps. Extérieurement, non, elle est toute fine, feuille de papier pliée de façon à offrir un aperçu de la poésie contemporaine à travers deux poètes (donc). Et contrairement aux idées reçues, la poésie actuelle, c’est bien. C’est inspirant, c’est beau, ça donne envie d’en écrire. Vos insomnies seront plus belles que vos jours grâce à Muscle. — revuemuscle.tumblr.com


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CINÉMA T

PIERIG LERAY

CANNES 2015 Pourquoi se faire iech’ à débarquer sur la Croisette ? Si c’est pour draguer des michetonneuses peinturées de la gueule et des chauves en costard trop large, autant tirer la langue et s’infiltrer à l’Étoile pour picoler avec Patrice Evra. Carrément plus fun, tout aussi culturel. Pour le plaisir, et pour vous éviter l’accréditation anale douloureuse, les 4 films qui méritent (ou pas) d’être dégustés ivre à 8h du mat’, comme la belle tradition le souhaite.

Deephan, l'homme qui n'aimait plus la guerre de Jacques Audiard Palme 5% C'est un long combat forcément perdu d'avance que de m'opposer fermement à l'emballage démesuré autour de la cinématographie d’Audiard. Voilà qu'il nous ressort la même rengaine écrite d'avance pour tenter inlassablement de décrocher sa palme qu'il n'aura pas, un homme brisé par une guerre vraiment dégueulasse, un héros du quotidien qui sauve femme et enfant dans une immigration européenne hostile et raciste. Bingo Jacquo, belle tentative mais forcément vaine, le talent ne s'écrit pas (ses scénarios sont généralement remarquables), il se dessine à l'écran (ses mises en scène plutôt exécrables). 28

The Sea of Trees de Gus Van Sant Palme 30% J'ai toujours un plaisir coupable à admirer le travail de Gus Van Sant, un grand cinéaste parfois perdu dans une adolescence outrageuse qu'il ne filme que trop bien. Il revient à Cannes avec l'archi bankable - mais putain il est vraiment dans tous les bons coups - Matthew Mc Conaughey dans une forêt prisée pour ses suicides collectifs au Japon, la mort en filigrane pour une poésie macabre forcément troublante, questionnante et qui risque de marquer d'une force relative le retour de la noirceur contemporaine si bien dessinée par Van Sant.


Louder than Bombs de Joachim Trier Palme 70% Un drame familial à la sauce lugubre norvégienne, la rousseur glaçante d'Isabelle Hupert par le réalisateur d'Oslo, c'est peut-être un peu trop tendre pour décrocher la timbale, mais ça tournera forcément autour tant les premiers échos font de Louder than Bombs (tout est dans le titre...) la séance dépressivo-accablante inratable de la quinzaine. Le regard sordide de Jesse Eisenberg (Zuckerberg dans Social Network) viendra achever nos derniers espoirs utopiques d'une vie meilleure (soleil, alcool, sexe non protégé).

Tale of Tales de Matteo Garrone Palme 60% ou 0% Bien loin de Gomorra, l'avenir du cinéma entre ses mains, mon second protégé (avec Jeff Nichols), se lance dans un délire fantastique complètement loufoque - des fées, une reine, des monstres, de l'irréel, qui n'est pas sans rappeler l'incursion fantasmagorique du Labyrinthe de Pan de G. Del Toro mais façon Garrone, d'une brutalité réaliste effrayante : on aura le droit soit à une émotion débordante avec un Grand prix au bout, soit aux huées scandalisées d'une œuvre potentiellement culte, littéralement incompréhensible. Ça passe ou ça casse pour Garrone qui ne s'est encore jamais trompé. Mais osez mettre des cheveux longs et un pantalon bouffant Louis XIV à Vincent Cassel, n'est-ce pas là son risque le plus téméraire ?

Mais aussi : Je me languis de découvrir une nouvelle version de Mc Beth (de Justin Kurzel)... Ah pardon, on m'annonce Marion Cotillard dans le casting, je retire et n'attends rien de cette bouse (palme 0%), un Nanni Moretti (palme 30%), dans le quadruplé français on retiendra le film social penchant chômage et pôle emploi post-dardennien de Stéphane Brizé (palme 5%) et on oublie Maïwen, vite (palme 20%). Un dernier mot sur le routard de Cannes Jia Zhang-Ke pour sa cinquième participation avec Mountains May Depart qui ne m'inspire guère qu'une réussite critique étincelante (palme 70%). 29


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ART T

MANON TROPPO & PAUL OWEN BRIAUD

JOEL REA — MASOKITSCH

L’art de l'Australien Joel Rea a quelque chose de pompier, et d’anachronique. Son classicisme grandiloquent renoue avec la grande tradition académique, en la gâtant d’une modernité inquiétante et cauche-

mardesque. Pénétrons l’imaginaire d’un homme dévoué à sa cause, qui porte avec abnégation le fardeau de ses énigmatiques obsessions, et se résout courageusement à y obéir. 31


“QUAND TU ENTENDS UNE CHANSON, TU T'INTRODUIS DANS LE RÉCIT, N'EST-CE PAS ? [...] JE VISE À PROVOQUER LA MÊME RÉACTION AVEC MES PEINTURES.”

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Tu as fait le choix rare de la peinture hyperréaliste, probablement la plus difficile de toutes. La représentation de l’eau, des nuages, des drapés, étaient des passages obligés dans la peinture classique pour prouver une technique maîtrisée sur le bout des doigts. Est-ce pour cela que tu t’imposes tant de difficulté ? L’hyperréalisme, le photoréalisme, et surtout leur penchant daliesque que je qualifierais de photo-surréalisme, m’ont fasciné depuis ma jeune adolescence. Une fascination qui m’a conduit à en apprivoiser les techniques requises, mais, plus personnellement, je ne crois pas en mon travail si celui-ci n’est pas difficile ; quand les choses se passent facilement, je suis très suspicieux. Je peins environ 10 heures par jour. Il en est ainsi depuis que je suis sorti de l'université, il y a 11 ans. L’acte de peindre très lentement est un processus conceptuel en soi, comme le dripping de Pollock l’était. Le nombre incalculable de coups de pinceau dans chaque tableau hyperréaliste en dit long sur la nature humaine. D’ailleurs, tu peins ces motifs et ces personnages si détaillés d’après photo, ou tout est-il dans ta tête ? Je peins toujours, toujours, d’après photo. Et les animaux ? Tu les photographies toi-même ? Je voyage pour prendre des photos d'animaux exotiques comme les tigres. Je suis allé récemment dans des parcs à Singapour et sur la Gold Coast où je vis, en Australie, pour en photographier. La quasi-totalité de ton œuvre comporte ces motifs récurrents : drapés généralement rouges, feuilles de papier qui volent ou sont déjà retombées, tigres, chiens, et la liste

est encore longue. Qu’est-ce que ces symboles représentent pour toi ? Ils ont des significations très personnelles, que je garderai pour moi. Disons qu’ils sont des illustrations métaphoriques de mon chemin en tant qu’être humain. Ils représentent les seules réponses que je suis capable de donner à mon existence, et à l’existence en général... Il y a essentiellement deux types d’hommes dans tes tableaux : le bureaucrate cravaté et le type au t-shirt rouge encagoulé dans son sweat gris. Ce personnage est-il toi ? Le rebelle, l’artiste, et la figure christique tout en un, opposé au représentant du capitalisme, de la cupidité, et de la vacuité ? Ces deux personnages opposés sont moi ; ils sont, avec les animaux, les personnages principaux du récit que je propose. Mais tu sais, toute interprétation par autrui est correcte. C’est ma vision idéale du récit auquel on peut s'identifier : quand tu entends une chanson, tu t’introduis dans le récit, n’estce pas ? C’est toi qui l’habites. Je vise à provoquer la même réaction avec mes peintures. L’opposition flagrante entre ces deux hommes reflète celle que tu proposes entre la lumière et l’obscurité. Il est difficile, aussi, de dire si les animaux sont des menaces ou des alliés. Il est difficile de savoir si tes personnages tombent ou s’élèvent (sauf quand le titre de l’œuvre nous aiguille). T’attends-tu à ce que nous soyons également dérangés et confortables devant tes tableaux ? J’adore les tableaux dont l’imagerie me perturbe, mais qui sont peints d’une façon si belle qu’ils sont des sortes de petits trésors morbides. Accéder à cela serait un de mes 33


buts, mais je n’y suis pas encore. Je pense être dans une période d’exigence esthétique, mais quand j’évoluerai, j’aimerais aller vers des choses plus conflictuelles, et plus expérimentales.

ma direction d’acteur, mon jeu, et l’exécution de la peinture. Les koalas sont arrivés par hasard mais quelque chose en eux a nécessité plus de recherche puis de précision dans mon positionnement artistique.

En dehors des vieux maîtres de la peinture chrétienne, est-il juste de supposer que Dal et Friedrich ont eu une influence majeure sur toi ? Oui, Dali m’a énormément influencé, mais aussi tant d’autres. Mes influences ont été très diverses au cours des années.

On ne trouve dans ton travail presque aucune trace de civilisation, outre de l’architecture antique et parfois du graffiti contemporain. Pourquoi ? J’évite de représenter la moindre trace de technologie dans mon travail, et je choisis de me concentrer presque exclusivement sur la nature, parce que c’est en elle que nous pouvons trouver les réponses pour toutes les choses dans notre univers, bien que malheureusement nous nous déconcentrions souvent trop vite.

Quels artistes contemporains t'intéressent le plus ? Pour n'en citer que deux : Mark Ryden, un Américain, et Jeremy Geddes, un Australien. Tu as déjà exposé à Paris ? Puisque tu t'intéresses au graff, connais-tu des artistes français dans ce domaine ? Non, mais j'ai été en France dernièrement et j'ai beaucoup aimé son énergie et le mélange de l'ancien et du nouveau. Tu sembles très intéressé par la représentation de personnages de dos, ou dont les visages ne peuvent être distingués. Peux-tu nous expliquer pourquoi ? Généralement, c’est pour que le personnage et le spectateur se fondent ensemble. Le spectateur endossant le rôle du personnage voit alors à travers les yeux de ce dernier l’intérieur de la scène. Pourquoi peins-tu tellement moins de femmes que d’hommes, et presque jamais d’enfants ? Et qui sont ces mystérieux koalas que tu as soudain peints dans Land Of Certainty ? Je me peins surtout moi, parce que ça devient une performance triangulaire entre 34

Tout ton travail s’articule autour de quelques mêmes thèmes. Comment as-tu pu être si certain dès le départ de ce que tu voulais peindre ? Et pour combien de temps penses-tu continuer à exploiter ces mêmes thèmes ? Je savais dès le départ que si je me consacrais à peindre mon propre voyage dans ce monde, j’y donnerais une valeur sincère. La difficulté réside dans le fait de pouvoir donner libre cours à la fantaisie tout en focalisant sur une exécution ultra-précise. Dans les années à venir, mes principes vont faire leur chemin, dévier de leur route actuelle, et je suis curieux de voir où ils m’emmèneront. Je rêve souvent qu’un jour je pourrai exécuter des tableaux plus rapidement, plus librement, et qu’il me sera possible d’aimer ça… L’an prochain, tu auras 33 ans, l’âge que l’on prête au Christ quand il est mort. Cette balise dans la vie de tout homme sera-t-elle peut-être l’occasion d’un changement de cap dans ton art ? J’ai des enfants maintenant, alors


mon âge ne veut plus rien dire. Cependant, je suis toujours jeune d’esprit, et peut-être qu’à 40 ans, j’arrêterai le skateboard et m’essaierai à la peinture en plein air, et pourquoi pas à l’aquarelle et au fusain. Tu as deux enfants. Tu les inities à la peinture ? Au skateboard ? Oui, mais ils n'ont qu'un an et trois ans. Ils manifestent un grand intérêt pour le dessin, et quand ils seront prêts, je leur apprendrai à skater.

Ton travail est si précis et méticuleux qu’il ne peut tolérer aucun tremblement de ta part. Tu as déjà réfléchi à ce que tu feras quand l’âge aura eu raison de ta capacité à peindre d’une telle façon ? Il me sera en tout cas probablement beaucoup plus facile de rester tranquillement en place quand je serai vieux qu’il ne me l’est maintenant, mais d’un autre côté mes yeux ne me serviront alors plus à rien... Peut-être que j’aurai des assistants d’ici-là ! — www.joelrea.com 35


PLAYLIST P

DR

MAESTRO

MAESTRO est composé du noyau Mark Kerr / Frédéric Soulard. Un Écossais disciple de Genesis-P-Orridge et un Français maniaque du son qui se sont rencontrés lors d'une tournée de Joakim - par ailleurs patron de Tigersushi, Fred alors ingénieur du son et Mark batteur (il jouait aussi à l'époque avec Catherine Ringer, Bot'Ox ou Discodeine). Mark fait écouter ses démos chantées à Fred et ils commençent à travailler ensemble. Leur nom de scène les pousse à l'excellence et 36

c'est avec un grand enthousiasme critique et public qu'est reçu en 2010 leur irrésistible premier maxi, A War Zone - ils peuvent compter parmi leurs premiers fans François Kevorkian et James Holden. En mars dernier sortait l'excellemment tripé Mountains of Madness, un album de haut vol où se mêlent groove exotic, no wave, electro goth et cold. Rien que ça. On est fans. — Mountains of Madness Tigersushi Le 20 juin au Badaboum


CLUSTER HOLLYWOOD Upside down. Inside out. Ce morceau peut vous amener n'importe où. Par contre à vous de trouver le chemin du retour. LOVE OF LIFE ORCHESTRA CONDO Les anges existent-ils vraiment ? Après avoir écouté ça une centaine de fois on commence à se demander. Peut-être que oui ? MONTE CAZAZZA KICK THAT HABIT MAN On a tous une habitude dont on aimerait se débarrasser. Peut-être Monte peut-il t'aider avec cette chanson ? Ça a marché pour nous. On en veut juste plus ! VANITY SIX MAKE UP Prince et ses trois petites copines. On voudrait tellement être Prince ! Et avoir les trois mêmes copines ! HUMAN LEAGUE TOYOTA CITY Rassieds-toi. Arrête d'y penser. À quoi ça sert ? RDV à Toyota City. SUUNS AND JERUSALEM MY HEART 2AMOUTU I7TIRAKAN Pourquoi les Canadiens sont-ils souvent si sombres et torturés ? Une expérimentation poussée à l'extrême dans ce nouveau projet où

des synthés techno croisent un krautrock malsain et des mélodies arabes. What else ? FRANCIS BEBEY BISSAO (PILOOSKI EDIT) Les édits de Pilooski sont toujours aussi géniaux !! Born Bad records continue de rééditer les expérimentations de Francis Bebey, quel kiff !!!! JAMES HOLDEN RENATA James Holden est le chaman d'une musique boursouflée, son armée de machines-insectes semblent nous embrigader dans leur secte vénéneuse. Peut-être n'a-t-il pas le choix, peut-être que les machines sont prêtes à définitivement nous rayer de la carte ? MOZART - QUATUOR A CORDES N19 KV 465, QUATUOR EBENE Passé la trentaine, de plus en plus de gens (re)découvrent la musique classique, qu'ils écoutent de la techno, du rock psyché ou de la folk. Les cloisons tombent, et c'est bien, donc pourquoi ne pas mettre un morceau de Mozart dans une playlist du Bonbon Nuit ? Oui, pourquoi crier au génie tous les 4 matins quand l'histoire a fait le tri pour nous ? BLIND DIGITAL CITIZEN RAVI On les adore, sur scène c'est massif, torturé, habité, le chanteur est incroyable , et les textes sont tellement dingues ! On jouera avec eux au Badaboum le 20 juin prochain, on en a « les bras qui raccourcissent » !

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DIVAGATION T

SYDNEY VALETTE

RÊVE CB, Ukraine, Minsk. CB habite Minsk en Ukraine (?!) avec sa mère. Je suis invité chez elles (?!). Je suis en compagnie de CB putain ! CB est de passage en Ukraine pour voir sa mère (père absent). Je suis l’intrus accepté. Nous partons nous promener en ville tous les trois, nous parlons en français. La ville est morne et violente, et nous aurons l’occasion de l’expérimenter. Nous perdons la mère, nous trouvons un endroit bizarre, une sorte de club accessible par une fente rouge, il faut se tortiller pour y pénétrer. Dedans : des putes, des drogués, des militaires aux cheveux en brosse. CB et moi ressortons : trop flippant. On continue donc la ballade et, nous discutons fluidement de tout et de rien. J’ai pourtant l’impression de lui forcer un peu le mou, mais bon, ça n’a pas l’air de la déranger plus que ça. Sur le chemin pour aller prendre un café viennois au Café viennois, nous longeons un parc méga glauky, où se battent des hommes avec des chaînes, au milieu de jeux pour enfants déla38

brés. Le temps est décidément maussade et froid. Bizarrement, CB disparaît, à notre arrivée au Café viennois, la conne est repartie toute seule au « Club de la Fente Rouge » pour je ne sais quelle X raison (sans doute le goût du risque). Arrivée là-bas, celle-ci, qui est une femme connue mondialement, est reçue comme une princesse à première vue… Sauf qu’il y a beaucoup de monde cette fois-ci, bien plus que la dernière fois, une véritable bamboula : le club est une vraie boîte à sardines et les sardines ne sont que putes, drogués et militaires déglingués. Du coup CB, un peu fofolle, disparaît dans les entrailles du lieu-dit dans un nuage de drogue épais (j’apprendrai plus tard que ce club est en fait un ancien abri nucléaire). Et moi pendant ce temps-là, je m’fais du mouron bien sûr ! Mon p'tit doigt me disait déjà qu’elle était repartie tapiner là-bas. Alors j'barkdé, à la rescousse, j'la trouve au fond du trou littéralement, complètement défoncée à je n’sais quoi. En la r’montant sur mes épaules, elle trouve quand même la force de donner son Mac Book


Pro au physio (mais quelle conne). Et moi pendant c’temps-là, j’me fais assaillir par des connards qui essayent de m’planter des s’ringues remplies d’héro dans les bras. Non mais quelle bande de fils de putes ! J’ai sauvé CB, et je la tiens dans mes bras dans la rue, je suis complètement amoureux de cette conne. L’a quand même l’air d’en pincer une chouille pour ma pomme mais… J’ai quand même l’impression certaine qu’elle me fait une faveur ; pouah ! Mais quelle pute ! Sur le chemin du retour vers je n’sais où, j’vois des militaires en exercice s’accrocher aux immenses aiguilles d’une grande horloge d’une église. Les mecs font un tour entier du cadran et sautent sur les structures adjacentes. C’est à c’moment-là que j’me dis que les Ukrainiens sont quand même vraiment des gros tarés.

Plus tard, des semaines plus tard, en proie aux affres de l’amour les plus vilaines, attendant une réponse de ma dulcinée égocentrique, je reçus un message Facebook inespéré… Bien évidemment, venant d’elle, il m’aurait étonné d’être heureusement surpris… Bien évidemment, je me fis larguer par chat interposé, la connasse prétextant que le succès grandissant dans lequel elle s’était fourrée l’empêchait de s’engager dans une relation avec qui que ce soit, que le rythme incessant des tournées et des enregistrements, emportée qu’elle est par un succès grandissant, mais qu’elle tenait à moi, mais que peut-être un jour nous nous retrouverions, que j’étais quelqu’un de formidable, que cette décision était une chance pour moi, même si je ne m’en rendais pas compte, que je pouvais l’appeler si ça allait pas, blablablablablablabla, etc… etc… Quelle pute celle-là alors.

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MUSIQUE T

MPK P MARIE ATHENAIS

LA MVERTE EN 12 MOTS CLEFS

Depuis quelques temps déjà, Alexandre Berly aka La Mverte fait figure de talent émergent de la scène électro parisienne. Et son dernier EP, A Game Called Tarot sorti sur le très sûr label Her Majesty's Ship, confirmera ses bonnes dispositions à produire une musique

sombre et froide qui fait chaud au cul. Durant l'interview, on s'est tapé un bon paquet de pintes ensemble. Et c'est à l'aide de 12 motsclef que j'ai essayé de cerner la personnalité de ce jeune homme (27 ans) aux faux airs de poète matador. 41


La Mort Toute l'esthétique qu'il y a autour de la mort me plaît, que ce soit les vanités, le romantisme noir anglais du XIXe, l'ésotérisme, je m'y sens hyper à l'aise. J'ai toujours aussi aimé la musique plutôt sombre et synthétique comme la cold wave, la synth, etc. Après, pour mon pseudo de La Muerte, ça vient d'une soirée à Berlin. On était dans le studio de Mathias Aguayo avec Philip Gorbatchev et Hugo Casablanca, on faisait des jams, et au moment de les envoyer à Mathias, Philip me dit qu'il faut trouver un nom. On a appelé ça la Mort, la Muerte. Ça m'est resté. Adolescence Mes parents ont divorcé quand j'étais très jeune. J'habitais avec ma mère, elle écoutait beaucoup de disco à la maison. Et mon père, que je voyais quand même assez régulièrement, avait chez lui pas mal de new-wave, Depeche Mode, New Order, ce genre de trucs. En piochant dans leurs disques, je me suis fait une double éducation musicale. Ado, j'ai été bassiste dans des groupes de post-punk. Ensuite, quand mes parents ont compris que je voulais vivre de la musique, ils ont un peu flippé, ils m'ont bien fait comprendre qu'ils voulaient un avenir plus stable pour moi. Bon, maintenant, ils voient que je suis épanoui et ils n'ont plus vraiment le choix. A Game Called Tarot C'est un jeu de mots sur le morceau A Place Called Tarot du groupe Tantra. C'est un morceau de disco que j'adore, qui est d'ailleurs assez synthétique. Encore une fois, le tarot, avec ses symboliques, rejoint bien mon univers, je me suis d'ailleurs intéressé aux significations de la carte de la mort. Bref, tous ces rapprochements ont donné le prisme de l'esthétique de mon EP. Her Majesty's Ship J'ai rencontré David (David Shaw, co-fonda42

teur du label avec Charlotte Decroix) en 2013. C'était sur la tournée du premier album de Yan Wagner, au Temps Machine à Tours. On a discuté, on s'est super bien entendus, on avait bu pas mal de coups d'ailleurs. Ensuite, il m'a vachement motivé pour que je finisse mes maquettes et que je lui envoie. On a commencé à bosser ensemble de cette façon-là. On a beaucoup de goûts musicaux communs, que ce soit le post-punk, le rock suintant qui sent le cul... Notre amitié s'est construite très naturellement. Idem avec Charlotte. Et ils me laissent une totale liberté dans ma création. Le rire. J'ai plutôt un rire caustique, je suis très attiré par l'humour noir. Je n'aime pas forcément les humoristes, ce sont plutôt les situations qui me font rire. Par exemple, la politique me fait beaucoup rire. Je ne vote pas mais j'adore la politique. Tous les jeux de pouvoir, toute la communication, je trouve tout ça éminemment comique. Tiens, dernièrement, le réveil du borgne au FN était très drôle. Red Bull Music Academy J'ai soumis mon dossier un peu à la bourre, j'ai eu la chance de faire partie des 60 retenus sur les 6200 candidats de départ. Ça m'a permis d'aller jouer à Tokyo. C'était une super expérience, j'y ai rencontré Michael Rother de Neue !, Marco Passarani, Alejandro Paz. La Hype Ça se regarde un peu trop. Le mieux, ce serait qu'ils se regardent un peu moins et qu'ils travaillent un peu plus. Substances C'est le best of de Joy Division ? Oui, j'ai plus essayé la drogue les premières fois par curiosité, et les fois d'après, c'était par plaisir. Plus jeune, je pouvais me droguer et jouer des disques, parce que ce n'était pas mon métier. L'avantage de grandir avec des gens un peu


plus vieux que toi, c'est de voir ce qu'il ne faut pas faire, et ça, ça en fait partie. J'ai pas envie de prendre super cher et de perdre du niveau dans ce que je fais. Nuits blanches J'ai été un bon oiseau de nuit mais je me suis pas mal calmé car je bosse ma musique le jour. La nuit, ça reste un environnement naturel pour moi, mais au bout d'un moment, si tu veux avancer, faut quand même être un peu plus diurne. Tu sais, quand tu sors dans un club, tu rencontres pas mal de gens qui te disent qu'ils font de la musique, etc, moi, j'ai souvent envie de leur demander s'ils bossent vraiment. C'est ça la vraie question en fait. Ta dernière nuit blanche ? C'était à Barcelone, j'ai joué au Razzmattazz mi-mars. C'était l'anniversaire de l'un des programmateurs, la teuf a été assez longue si je me souviens bien.

La presse musicale Pour être tout à fait franc, je ne la lis plus depuis un certain temps. Je vais plutôt suivre des webzines comme The Drone, Groove en Allemagne, Wire, Resident Advisor... La presse papier française est en crise, pour subsister, elle doit faire de plus en plus de deals avec la pub ; du coup, y'a une grosse perte d'indépendance. Ça perd vraiment de son intérêt, le lien entre l'annonceur et l'annoncé est beaucoup trop fort. Demain J'ai un maxi à finir avec Alejandro Paz. J'ai aussi la chance de faire mes premiers gros festivals comme les Nuits Sonores, Villette Sonique ou encore le Sonar à Barcelone. Et après la clôture de ma préparation du live, ce sera aussi pour moi l'occasion de pouvoir travailler mes nouveaux morceaux. J'en ai besoin et j'ai putain de hâte. — A Game Called Tarot Her Majesty's Ship. 43


GONZO T

SIMON KINSKI ZNATY

ON S'EST BIEN MARAIS J’aurais tellement aimé être homo. Malheureusement, j’aime les femmes et surtout j’aime leur courir après. Je les aime toutes. Les grosses, les anorexiques, les lolita, les vieilles peaux, les naines, les manchotes, « c'est ainsi qu'un amant dont l'ardeur est extrême, aime jusqu'aux défauts des personnes qu'il aime ». Oui, je vais jusqu’à citer Molière pour leur plaire. J’ai pris des coups. J’ai tendu l’autre joue. J’ai repris des coups. Je prends des vacances. Ce soir, je réalise mon rêve, je suis homosexuel ! Direction rue des Archives, depuis le temps que je me demande ce que font la nuit tous les crânes rasés de ce quartier. J’oublie juste qu’on est lundi et qu’un lundi en bordel, c’est un soir qu’on n’aura jamais ! Mais ça, c’était avant. La rue de la Verrerie est pleine de mecs en tous genres, j’ai déjà croisé deux Monsieur Propre, trois Robert Downey Junior et un Michou. Je commence à avoir les boules au ventre, je suis un imposteur et ils le verront… « Allez, sois gay putain ! ». Je rentre dans le bar planqué des Souffleurs, malheureusement il y a plus de 44

mecs dehors que dedans, et la ballade morose d’Adele Someone Like You n’arrange rien. C’est trop violent. Faire son faux coming-out comme ça, devant trois mecs qui te regardent dans le blanc des yeux, j’ai besoin d’un peu de vaseline pour sortir du placard. J’abandonne. Je me dis que c’était vraiment une idée de merde lorsque traversant la rue Sainte-Croixde-la-Bretonnerie je remarque qu’il y a vraiment beaucoup, beaucoup de monde devant ce qui semble être ma deuxième chance. Le vigile du Spyce m’ouvre la porte en me souhaitant la bienvenue, j’ai même le droit à un clin d’œil rassurant. Nous sommes quatre dans le sas avant de pouvoir rentrer dans le club. On demande à mon voisin son âge, il ne comprend pas. « How old are you » répète-t-il au touriste, qui répond « twenty-six ». « Too old for me ! ». Il fait sa blague tout en ouvrant la porte et nous pénétrons ainsi le Spyce en riant et en laissant mon hétérosexualité dans le sas. Le nom de l’établissement prend tout son sens. C’est comme si j’étais tranquillement en train de bouffer une salade verte quand soudainement exploserait dans ma bouche un piment


de Cayenne embusqué. Le club est composé d’une piste de danse et d’un bar. Tout ce qui n’est pas bar est piste de danse, et vice versa. Il y a des danseurs torse nu, des barmans torse nu et même des clients torse nu. Les enceintes crachent de la bonne soupe commerciale remixée sur mon visage émerveillé. Pas de préliminaires au Spyce, tu rentres, tu teufes. Je vais au bar et commande un vodka-pomme en m’efforçant de ne regarder ni les pectoraux ni les tatouages de mon serveur. Je lui demande le prix, il m’adresse le célèbre « V » de la victoire avec ses doigts, et devant mon incompréhension, il précise « deux euros ! ». De tous les Happy hour que j’ai connus, c’est de loin le plus gai. Et croyezmoi, c’était pas un verre de pédé ! J’entends à nouveau la voix d’Adèle sur un remix techno super rythmé. Mes frères et moi chantons à l’unisson : « Someone like youuu ! » Chantant les bras en l’air parmi cette foule qui me traîne et qui m’entraîne, écrasés l’un contre l’autre, je remarque que le fond de l’air est parfumé. Dix mecs au mètre carré qui se déchaînent et pas d’odeurs, j’ai presque envie d’aller aux toilettes vérifier s’ils ne chient pas des arcs-en-ciel. Je retourne au bar, cette fois je prend un mojito « géant », et en effet, c’est énorme. À Paris, il n’y a vraiment que dans les bars gays que l’on ne se fait pas enculer. Il est 23h30 et personne ne m’a dragué. Cendrillon va redevenir hétéro avant d’avoir rencontrer son prince. C’est à contre-cœur que je quitte ma nouvelle famille pour tenter ma chance ailleurs. Ivre, j’essaye de repérer les concentrations d’ambiance et tangue jusqu’à la rue du Temple où je découvre le Raidd bar. Devant, on sépare le vigile d’un type assez inoffensif au premier abord. « Tu vois ma lampe ? J’vais te la foutre dans le cul ! ». Je ne sais pas vraiment si c’est une menace. « J’suis

pas gay moi ! La dernière fois j’t’avais prévenu, tu me retouche j’te démonte ! » Sécurité hétéro au Raidd bar, ça doit être dur parfois. La pression retombe, et remonte aussitôt entre une montagne de gonflette et un cure-dent. Combat atypique. La montagne se fait arracher son débardeur et mordre au biceps puis envoie valser l’asticot contre une bagnole. J’ai la joie d’assister à un vrai cat fight du Marais. Mon voisin, plutôt mignon, me demande ce qu’il s’est passé. Je lui explique. « Oh lala, mais moi j’ai jamais vu ça dans un bar gay ! Et puis t’as vu ce mec ? C’est pas moi qui irait l’énerver ! ». Ça y est ? Serais-je entrain de me faire draguer ? Non. Mon copain met fin à la conversation et rentre dans le bar. Moi aussi, en petite nana désespérée que je suis. À l’intérieur, un écran de fumée épais me sépare de ma target. Je me retrouve un peu perdu lorsque je remarque une douche encastrée dans le mur. Les clients s’attroupent devant et La Montagne réapparait, nu, une serviette nouée à la taille. Il se savonne le torse, nous on se rince l'œil. Je remarque qu’un gros dégueulasse me regarde, il me fait un clin d’œil et me tire la langue, une main sur le bide. Ce n’est pas le prince que j’espérais. Je retourne au fond du bar, un autre mec me fait les yeux doux en face. Chemise à carreaux rentrée dans le pantalon, lunettes d’intello, après le grossier proxénète, la petite pute coincée du cul. En fait, je plais aux hétérosexuels refoulés. C’est un échec. Je suis plus mauvais pédé que j’étais hétéro, c’est pour dire. Je retourne au métro et comme d’habitude, la queue entre les jambes. Trou noir. Le conducteur me réveille, je suis à l’Arche de la Défense. J’ai pas de ticket, les contrôleurs me font raquer. Y’a plus de métro, le taxi me fait raquer. Je me couche. Cendrillon a mal au cul, et pas comme elle l’avait imaginé ! 45


LES NUITS “IMPOSSIBLE” fb

Thijs de Vlieger de Noisia…

JACOB KHRIST

… se lâche dans les backstages

Salut c'est Cool after show

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FESTIVAL PANORAMAS

Carla & Julia. Mansfield. TYA

Maxim Maillet

Boris Brejcha

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AGENDA

VENDREDI 1ER MAI 23h Monseigneur Gratuit/8€ A MORT ! w/ x1000 (Youcef ), Kalvin A MORT ! (Mezigue w/ Snowball)

SAMEDI 16 MAI 23h30 La Java 10€ Mona Die Tanzerin w/ Arcarsenal Nick V, Eugenio, Dusty Fingers

SAMEDI 2 MAI 22h Point Éphémère 12/15€ Smallville Birthday w/ Smallpeople Christopher Rau, Jacques Bon, Moomin

DIMANCHE 17 MAI 13h Garden Paris 10/13€ Open Air w/ Dekmantel Sound System San Proper, Eliott Litrowki, Another Pixel

JEUDI 7 MAI 18h Wanderlust Gratuit/10€ House Music w/ Tom Akman, Sven Love Medlar, Chris Thomas, Joachim Labrande, Flabaire SAMEDI 9 MAI 23h30 District Factory 12€ Skylax vs Wild w/ Skylax Records YGRK KLUB, Gabriel and guest JEUDI 14 MAI 00h La Java 5€ Jeudi Minuit w/ K-Lagane, AZF STUFF, AZAMAT B and more VENDREDI 15 MAI 23h30 Showcase 20€ We are… w/ Sucré Salé, Solomun

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VENDREDI 22 MAI 23h La Machine du Moulin Rouge 15/25€ Tale of Us, Rival Consoles (Live) Zaltan SAMEDI 23 MAI 00h Rex Club 12€ Circus Company w/ Nôze (Live) Pépé Bradock, Sety JEUDI 28 MAI 00h Rex Club 5/8€ D.KO Night w/ Mr.Beatnick Harvey Sutherland (Live), D.KO Records VENDREDI 29 MAI 23h45 Batofar 12/15€ Weather Off w/ Blake Baxter Didier Allyne, Taapion Soundsystem



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LE CLAN CAMPBELL.

L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.


COCKTAIL T

ROGER DE LILLE P JACOB KHRIST

THE LAST WORD Aujourd'hui on est en mai, l'occasion d'aller se rouler dans un champ de fleurs, ou plus sobrement de faire un pique-nique. Pour le pique-nique, ce cocktail n'est peut-être pas le plus simple a réaliser, cependant sa fine saveur herbacée vous rappellera les prairies de votre enfance, dans lesquelles vous aimiez courir pieds nus dans la douceur du mois de mai. Dans un shaker, versez 3 centilitres de gin, 3 centilitres de chartreuse, 3 centilitres de jus de citron vert et 3 centilitres de marasquin. Shakez énergiquement avec de la glace, filtrez la glace, versez dans un verre à Martini, dégustez avec votre plus belle amie dans la douceur du mois de mai. Ce cocktail est un trésor qui fut longtemps perdu. À vrai dire jusqu'en 2004. Inventé en 1925 à Détroit pendant la prohibition, plus précisément au Détroit Athletic Club par un barman dont l'histoire ne retint pas le nom, il était originalement préparé avec ce qu'on appelle du « bathtub gin ». Pas vraiment du gin, une méthode disons « amateur » pour fabriquer son alcool. Il fut introduit à New York dans les années 50 par Frank Fogarty, qui n'était pas barman mais un genre d'artiste de stand up de l'époque, puisqu'il faisait dans le vaudeville. Il surnomma ce trésor le « Dublin Minstrel » et le fit publier dans le bouquin de Ted Saucier, Bottoms Up.

Mais là où ça devient intéressant, c'est qu'il fut zappé. Complètement. Plus personne n'en but jusqu'à ce que Murray Stenson, barman au Zig Zag Cafe de Seattle, ne le mette à la carte en découvrant une copie du livre de Saucier datant de 1952. Il cherchait alors un nouveau cocktail à mettre à sa carte et redécouvrit un classique perdu parmi les classiques, ce qui eut pour effet de créer un véritable engouement de la part des barmen situés entre Seattle et Portland, et de manière plus générale une réapparition sur les cartes de la plupart des villes du monde. Afin de parfaire le tableau, il fut inclus a l'édition 2009 du Mr. Boston Official Bartender Guide. Alors peut-on vraiment changer la recette d'un tel mélange sans déclencher courroux et autres malédictions ? Et bien Phil Ward, barman new-yorkais de son état, s'y est essayé, remplaçant le gin par du rye whiskey et le jus de citron vert par du jus de citron jaune. Cette version-là s'appelle un « Final Ward ». Aussi, au même titre que la musique ou la mode, le cocktail peut faire ses revivals. Et bien qu'on ait eu droit a une explosion de la vodka rendant la possibilité d'un monde aux mélanges infinis – ou presque, je vous rassure – ils sont encore nombreux à chercher le mélange parfait, celui qui mérite d'entrer dans l'Histoire. Au milieu de ça, il y a ceux qui redécouvrent leurs classiques, et à la fin, ma pomme, qui prend son pied à vous raconter tout ça. 51


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