Le Bonbon Nuit - 101

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Mars 2020 - n° 101 - www.lebonbon.fr



MARS 2020

OK, OK, LA PLUPART D'ENTRE VOUS ME DIRONT QU'IL N'Y A PAS DE SOIR POUR SORTIR.... Que toutes les nuits se valent, que l'ivresse du lundi soir a un charme discret, que celle du vendredi, bien que parfaitement « mainstream », est des plus expiatoires. Certes. Mais ma petite expérience de volatile nocturne m'a mené à un constat implacable : parmi les 7 chambres que compte le barillet de la semaine, c'est dans celui du jeudi qu'on sent le plus la poudre. Un peu comme si tous les sheitans de la débauche se prenaient par le main et se penchaient sur votre épaule ce soir-là. La fameuse cuite du jeudi, donc. Pourquoi existe-t-elle ? Qu'a-t-elle de si particulier pour que nous nous mettions systématiquement à l'envers ? On pourrait chercher du côté des réminiscences de soirées étudiantes. Ou bien se dire que le jeudi soir a le don de nous transformer en éjaculateurs précoces incapables de retenir nos ardeurs festives un jour de plus. « Allez, viens, ça fait trois jours qu'on n'a pas mis le nez dehors,  y a un petit apéro ce soir, on boit juste un verre tranquille et on rentre pas tard, hein. » Cette phrase magique, vous la connaissez par cœur, et le plus souvent, vous la regrettez lorsqu'au petit matin, vous tapotez lamentablement un mot d'excuse bidon à votre supérieur(e) hiérarchique. La bonne nouvelle dans cette histoire, c'est qu'au lieu de prétexter une énième gastro de mytho, vous pourrez dans quelques temps sortir la carte du coronavirus. La nature est bien faite, non ?

N°101

MPK


PRÉSIDENTE DU JURY

IZÏA HIGELIN

GRAND

PRIX

poésie 11 MARS • 14 AVRIL 2020

RATP

POUR VOIR VOTRE POÈME AFFICHÉ TOUT L’ÉTÉ SUR LES LIGNES DE LA RATP, PARTICIPEZ AU CONCOURS SUR

RATP.FR/GRANDPRIXPOESIE


YUKSEK 15. PORTRAIT TIN-TIN 17. DOSSIER LA DANSE 19. LEXIQUE CONTEMPORAIN 21. ARI DE B 23. DANSER MIEUX & VIEUX 25. RONE & (LA)HORDE 27. SAVOIR DANSER & DRAGUER 29. BRADLEY GUNN RAVER 33. SHOOTING TRAVAILLEUSES DÉSTRUCTURÉES 37. MODE FASHION WEEK PARIS 39. CINÉMA CLAIR OBSCUR 43. SORTIE BOOBA AU FESTIVAL CHORUS 45. REPORTAGE LA TENTACALME 7. MUSIQUE

CONFISEUR JACQUES DE LA CHAISE RÉDAC’ CHEF LUCAS JAVELLE CONSULTANT MPK DESIGN RÉPUBLIQUE STUDIO GRAPHISTES ANTOINE MERCIER CLÉMENT TREMBLOT RÉDACTION APOLLINE BAZIN LISA BELKEBLA MANON MERRIEN-JOLY PHOTOGRAPHE NAÏS BESSAIH SR LOUIS HAEFFNER RÉGIE CULTURE ANTOINE KODIO RÉGIE PUB NICOLAS DELMATTO LE BONBON 15, RUE DU DELTA, 75009 SIRET 510 580 301 00040


ALOÏSE SAUVAGE ARLO PARKS AUSGANG (CASEY) BBNO$ BON ENTENDEUR CAMION BAZAR DELUXE EZRA FURMAN FOLAMOUR GREENTEA PENG ISAAC DELUSION JEANNE ADDED JOSMAN JOY CROOKES JULIEN GRANEL HERVÉ HEUSS L’ENFOIRÉ « LA RENCONTRE » : DISIZ x BOSTON BUN LA FRAICHEUR B2B OVERLAND LALA &CE LAST TRAIN LAYLOW LES LOUANGES LOLO ZOUAÏ LUCIE ANTUNES MEZERG N’TO « RAP SOUTERRAINE » : RAP2FILLES RILÈS ROMÉO ELVIS SEBASTIAN SUZANE THE AVENER VIDEOCLUB ZOLA…


DE L’AMOUR ET QUE DE L’AMOUR

Nightclubbing, c’est la soirée dont vous ne voudrez plus jamais partir dans pas très longtemps. Une bonne claque musicale sélectionnée par Jennifer Cardini, créatrice de cet évènement qui sent l’amour à plein nez. La DJ et productrice de longue date nous invite à goûter à sa vision de la nuit libre et libératrice. Club kids, ravers, party queens, celles d’hier et d’aujourd’hui et babys des 90’s… vous êtes tous conviés. Jennifer Cardini présente Nightclubbing @Dehors Brut Samedi 14 mars

LE ROI DE BOULOGNE

Si Booba est connu pour être le Duc de Boulogne, c’est bien le festival Chorus qui en est le roi. Présent depuis 31 ans sur le paysage culturel boulonnais, l’évènement offre ce qui se fait de mieux en matière de rap, d’électro et de pop, le tout dans une ambiance joyeuse et familiale. Le plus de cette année ? Chorus et Booba s’associent pour un concert mémorable le premier soir et une carte blanche aux jeunes découvertes du Duc.

BON TIMING

© Julot Bandit

Festival Chorus @La Seine Musicale 27-29 mars

C’EST NOTRE SAISON PRÉFÉRÉE

Il est de retour, tout pimpant et tout frais : le Printemps est là. Non, pas les beaux jours des hirondelles, mais plutôt ceux de la musique et de la fête du côté de Bourges, où on va encore passer un moment inoubliable. Et au vu des noms annoncés, on ne risque pas de s’en lasser : Camion Bazar, Isaac Delusion, Ezra Furman, Roméo Elvis, -M-, Aloïse Sauvage, Lorenzo, Philippe Katerine, Videoclub, Folamour… et ça, ce n’est qu’une partie visible et infime de l’iceberg. Printemps de Bourges @Bourges 21-26 avril



MUSIQUE

YUKSEK TOUJOURS PLUS DANSANT T P

LUCAS JAVELLE NAÏS BESSAIH


MUSIQUE

Yuksek s’est bien remis de son troisième album Nous Horizon. Après une phase sombre qui l’avait amené à douter de tout, il a aujourd’hui repris goût à la musique, plus particulièrement celle qui le faisait

dan 8/9

ava nt de touch er à la po p : l’él

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YUKSEK

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Dans ce nouveau disque Nosso Ritmo, le Rémois a décidé de faire ce qui lui plaisait avant tout, sans se laisser brider par une major. Un savant mélange de disco, de musique brésilienne et d’influences qu’il est allé chercher du côté de Life and Death, le label de DJ Tennis… Un accomplissement et une repentance plus qu’une œuvre musicale.


LE BONBON : Il m’aura fallu deux minutes

d’écoute pour me dire ça y est, on est sorti de la pop pour le club. YUKSEK : Cet album-là est peut-être, de ce que je ressens et qu’on commence à m’en dire, le plus généreux et accessible, alors que ce n’est pas de la pop. Je ne me suis bloqué en rien, je n’ai pas du tout réfléchi à ce que j’avais envie de faire pour ce disque. À part faire un truc que j’aimais et qui était positif et qui se construisait un peu comme un DJ set.

L.B. Il y a des phases, ça monte, peaktime, Y.

des souffles… Et puis j’avais envie de faire un album long, même si certains des morceaux présents sont déjà sortis depuis deux ans. Et en même temps je trouvais ça cool de faire un album de quinze morceaux, presque une heure et quart. C’est plutôt long, mais je n’ai pas l’impression que ça soit chiant.

L.B. On sent que tu t’es amusé à le faire. Y. Dès le départ, je ne m’étais pas dit

« il faut que je fasse un album ». C’est en faisant un morceau, puis un autre, l’enchaînement jusqu’à avoir huit morceaux et c’est à ce moment-là que je l’ai décidé. Si à la fin je m’étais dit que ça ne tenait pas la route, j’aurais sorti deux ou quatre maxis pendant un an et voilà… La reconnaissance mainstream je m’en fous, je l’ai eue et je n’ai pas forcément kiffé de ouf. Je suis bien dans ma zone de DJ/ producteur électro. C’est l’album où je me suis posé le moins de questions et que je me suis le plus amusé à faire.

L.B. Tu l’as fait pour toi ce disque ? Y. Pour moi… oui. On peut dire ça. Mais aussi pour la partager avec les gens. Quand on fait de la musique, on dit toujours qu’on est là, complètement libre… Mais il y a toujours une

pression de réussir, même si on se dit qu’on n’en a rien à foutre. J’avais ressenti ça après le succès de mon premier album. La pression des gens, du label, de l’entourage, de soi-même, de ne pas vouloir décevoir… Pour le coup, je me suis complètement dégagé de ça donc je ne sais pas pour qui je fais de la musique, je la fais juste pour kiffer la faire.

L.B. Un morceau m’a spécialement marqué,

Y.

c’est “Hashram Peplum” avec Zombie Zombie, qui est cohérent mais fait un peu plus rupture. C’est vraiment lié à mes DJ sets. Sur un set long, je peux jouer à la fois des trucs disco classique, de la house… ou des trucs plus à la Simple Symmetry ou Red Axes. C’est lié aussi à une époque qui ne m’excite pas énormément pour la pop, mais vachement pour la musique de club, parce qu’il y a toutes ces scènes avec un engouement et un intérêt renaissant pour le disco classique et aussi cette scène “germano-israelomexicaine” qui va de Multi Culti, Red Axes et DJ Tennis à Marvin & Guy… Tous ces mecs viennent plus ou moins du disco à la base. Tout ça, ça peut très bien se mélanger, mais pas dans un set d’une heure – de toute façon, un DJ set en théorie, ça ne devrait pas durer une heure.

L.B. C’est quoi un bon DJ d’ailleurs ? Y. C’est juste quelqu’un qui ne prépare

pas ses sets. Parce que je pense que ça tue tout le truc. Il y a quelque chose d’un peu magique. Je ne suis pas particulièrement ésotérique, mais quand tu es surpris toi-même par ce que tu es en train de faire et que tu kiffes le truc, ça devient quelque chose d’un peu magique. Quelque chose passe au-delà de la musique avec les gens. Un truc


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YUKSEK

MUSIQUE


d’énergie qui circule un peu. Il y a toujours ce combat entre le live, forcément créatif, et le DJ qui pousse juste des skeuds, et je trouve que c’est vraiment une connerie absolue. À un moment, dans la musique électronique mélangée à la pop, t’es obligé d’être dans un cadre. Et je trouve ça mille fois moins créatif de faire le même live pendant un an trois fois par semaine avec la même setlist – même si tu changes l’ordre. En DJ set, si tu le fais honnêtement, ce n’est jamais deux fois la même chose.

L.B. Longue tracklist, beaucoup d’invités… Y.

Quelles collaborations t’ont le plus marqué ? Toutes, sans exception. Toutes ces collabs justement correspondent au début de mon regain d’intérêt et de mon plaisir retrouvé à faire de la musique pour danser, donc elles sont importantes. Faire deux morceaux avec Thibault (Breakbot, nldr) et Irfane, un sur l’album et un qu’on sortira plus tard, c’était hyper cool parce qu’on se connaît depuis mille ans, qu’on s’entend bien et qu’on ne s’est jamais mis en studio ensemble donc c’était sympa de le faire… Je suis d’ailleurs un peu désolé de ne pas avoir mis le morceau qu’on a fait avec Bertrand Burgalat et surtout de ne pas avoir eu le temps d’en faire d’autres. J’estimais que le mettre sur l’album, ça faisait un peu réchauffé.

L.B. Quel est ton sentiment depuis que Y.

tu l’as fini ? Je n’en suis pas lassé. Il y avait un truc frais à chaque fois sur les morceaux qui fait que, même à l’heure actuelle, parfois j’ai un détachement qui me permet de les apprécier encore. Je n’ai pas de mauvais souvenir de studio attaché au truc. Je n’écoute pas l’album à part quand je joue les

morceaux, donc à chaque fois c’est cool. C’est peut-être un peu mégalo mais j’ai pris un certain plaisir à les écouter. Honnêtement, je n’ai jamais ressenti ça, surtout pas trois semaines avant la sortie d’un disque. Généralement, deux mois avant, je n’en pouvais déjà plus. Mais aussi parce que j’étais en major et qu’il y a une telle latence entre la fin d’un disque et la sortie que le truc est fini depuis six mois et je suis déjà passé à autre chose…

L.B. Avec toutes ces phases que tu as eues,

Y.

tu disais également qu’il était « difficile d’éviter la phase connard ». Tu situes la tienne quand ? Ça dépend où est-ce qu’on situe le connard, mais par rapport à ma définition… C’est par vagues, on n’est pas un connard tous les jours, mais je dirais 2011-2015. Où je pouvais quand même avoir des comportements parfois dont je ne suis pas très fier, notamment avec les gens avec qui je travaillais.

L.B. Qu’est-ce qui pousse un artiste vers Y.

cette phase ? Tout. Tout le monde te dit que ce que tu fais c’est génial, que tu défonces, que t’es la septième merveille du monde… C’est l’ego. Je ne parle pas non plus de comportement extrême bien sûr, mais je me suis trouvé nul. Ça m’est arrivé de dire des conneries en interview, par rapport à des gens où ça n’avait pas de sens de dire ça. Je retrouve encore des punchlines qui ont été reprises, parce qu’évidemment dès que tu dis des conneries en interview, c’est forcément la phrase qu’on va mettre en headline. Du style : « De toute façon, Paris, tout le monde baise avec tout le monde »… Ne pas se rendre compte, en vrai, de comment c’est cool et juste simple ce que tu es


MUSIQUE

“ Je ne suis pas ésotérique particulièrement, mais quand tu es surpris toi-même par ce que tu es en train de faire et que tu kiffes le truc, ça devient quelque chose d’un peu magique”

YUKSEK

en train de vivre et comment le vivre mieux, en arrêtant de te stresser pour des conneries… Je ne suis pas devenu le Dalaï-lama depuis, mais j’essaye de mettre une grande distance avec ces choses-là et je me dis que c’est con de ne pas y avoir réfléchi plus tôt.

L.B. C’est plus ta personnalité ou le business Y.

qui t’a rendu comme ça ? C’est les deux. Et puis le fait que je n’étais pas préparé du tout à tout ça. Je ne connaissais personne qui a connu un succès artistique ou une mise en lumière de quoi que ce soit. Je suis né dans un quartier pavillonnaire de Reims, je n’avais pas les codes. C’est une question de codes et de comportements, j’ai tout appris sur le tas donc forcément j’ai fait des conneries.

L.B. Cet album va te permettre de tenir

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Y.

plus longtemps ? Parce qu’à la fin du troisième, on n’était pas très optimistes… Putain, tu m’étonnes… Même avant ! Je bossais avec un réalisateur pour mes clips, Jérôme de Gerlache, et le dernier de mon album précédent c’était sur “Sunrise”. On l’avait tourné à Los Angeles il y a un peu plus de deux ans – donc à un mois et demi de la sortie dudit album. Et je crois que je n’ai jamais été aussi mal de ma

vie. On était en tournage à la cool à L.A. pendant une semaine, et j’étais en bad total. Le dernier album, je n’en avais pas envie, je crois. Pas envie de le défendre, pas envie de le sortir comme ça, pas envie de faire un live… C’était vraiment la fin d’un cycle. L’album sort, on commence la tournée, un mois et demi plus tard je perds mon père de manière abrupte… L’année 2017, c’était un cauchemar en gros, à tous les niveaux. Mais aujourd’hui, je ressens la même excitation qu’avant mon tout premier album, voire même encore avant.

L.B. Tu es redevenu un jeune artiste. Y. Mais carrément ! J’ai fait quelques

sorties sur Defected et Glitterbox, je n’ai jamais eu la prétention d’avoir une carrière en Angleterre à part deux-trois dates dans l’année, et là je vois un article dans un média britannique en mode “the new comers” (“les nouveaux talents”, ndlr)… et j’étais dedans ! (Rires) Mais c’est génial, j’ai juste envie de ça. Que les gens découvrent, et surtout ce que je fais maintenant.

YUKSEK – NOSSO RITMO DÉJA DISPONIBLE



PORTRAIT

UNE APRÈM  AU SALON DE

TONTON TIN-TIN

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ILS FONT LA NUIT

T LISA BELKEBLA P NAÏS BESSAIH

Lui, c’est Constantin. Mais vous le connaissez déjà sous le nom de Tin-Tin, parce qu’il est un peu la Rolls Royce du tatouage. Dans ses bras, c’est Jondix, son chien. Installé au fond d’un canap’ à l’étage supérieur, il nous accueille avec des dragibus sur fond de rock’n’roll. Esprit de famille garanti : on rencontre aussi sa femme, une petite rouquine à l’accent british qu’il appelle “la patronne” et qu’il regarde avec des yeux brillants ; devant elle, Tin-Tin a tout de suite moins l’air d’un gros dur. Surtout quand sa tatoueuse lui lance un « Hé Tin-Tin ! Fais gaffe, y’a ta meuf qui débarque ». Entre eux, pas de complexe : cette bande de tatoueurs ressemble à une grande famille heureuse. Et le salon a clairement le sens de la déconnade. « Faut de la musique, rigoler avec nos clients, sinon c’est triste. Puis ça aide pour la créativité ! Alors on kiffe mettre du rock toute la journée, ou parfois chanter sur de la variété française… mais à force de chanter, je crois que je les saoule », dit-il, avant de tous partir en éclats de rire ; on imaginait mal Tin-Tin chanter du Véronique Sanson.

Si nous étions venus parler de tatouage, le bougre n’en démord pas : il nous sort son téléphone pour nous montrer des vidéos de ses deux chiens. « Regardez, le petit Jondix veut toujours s’en prendre à l’autre, j’adore quand il veut lui mordre l’oreille alors qu’il n’impressionne personne ! », avant de nous saisir par son rire communicatif et attendrissant. On découvre alors en images sa maison lumineuse et son joli jardin, loin du tracas parisien… et on comprend mieux pourquoi cet esprit chaleureux règne en maître dans son salon. Un esprit qui tient à cœur le tatoueur quand il s’agit d’organiser le Mondial du Tatouage. « Des concerts, de la musique, de la proximité : voilà ce qu’il faut pour que le festival soit parfait ! Le but aussi, c’est vraiment de faire découvrir à n’importe qui l’art du tatouage à travers le travail des meilleurs tatoueurs sélectionnés pour le Mondial. Et les gens ont envie de passer à l’acte, entre amis ou en famille… c’est un Mondial décomplexé quoi ! » Mondial du Tatouage Grande Halle de la Villette Du 13 au 15 mars 2020



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LA DANSE

ENQUÊTE


DOSSIER SPÉCIAL

LA DANSE PEUT-ELLE SAUVER L’HUMANITÉ ?

En 1518, une manie dansante saisit Strasbourg et pendant une semaine, une trentaine de personnes dansent sans s’arrêter dans les rues de la ville, jusqu’à la mort. Pourtant loin d’être létale, la danse pourrait même être notre sauveuse à tous. Ses bienfaits aussi psychiques que physiques et ses revendications l’élèvent au rang de prophétie pour l’humanité : la danse libératrice et engagée serait-elle l’avenir d’une vie longue et prospère pour l’Homme ?

Dossier : Apolline Bazin Dossier : Apolline Bazin Antoine Mercier Illustrations : Illustrations : Antoine Mercier


ENQUÊTE LA DANSE

PETIT LEXIQUE DE LA DANSE CONTEMPORAINE

De la petite gigue à la grosse bourrée, en passant par le Hit Dem Folks et autres danses issues de la culture africaine aujourd’hui démocratisées, difficile de s’y retrouver et de cerner toutes les dernières tendances en matière d’expression corporelle. Dans un souci de cohérence et afin que ce dossier ne vous paraisse pas trop abstrait, il est de notre devoir de vous rappeler en quelques lignes le champ lexical de la danse avant que vous plongiez dans ses méandres.

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Twerk (n.m) : danse à caractère sexuel mimant la position de la cowgirl inversée, consistant à remuer son derrière aussi frénétiquement que sa graisse le permet. Une danse démocratisée par Miley Cyrus en 2013 pendant les MTV Video Music Awards, plus par appropriation culturelle que démonstration corporelle. Floss (n.m) : mouvement incompréhensible des bras et du bassin qui consiste à s’énerver sans bouger les pieds en balançant son corps comme un adolescent attardé à qui on aurait filé une cuillère de sucre en trop. Reprise à tort et à travers, notamment dans les cours de récré d’écoles primaires.

Voguing (n.m) : danse urbaine née dans les clubs gays des années 1970 et pratiquée par l’univers queer depuis. Esthétiquement, le voguing est ce qui se rapproche le plus d’un défilé de mode ; on y retrouve d’ailleurs le catwalk. Nécessaire d’avoir une paire de talons très hauts pour le pratiquer à plus haut niveau. Waacking (n.m) : également urbain, le waacking est né dans la culture latinoaméricaine et demande beaucoup d’énergie. Les mouvements consistent à balancer ses bras au-dessus de sa tête sur un pattern géométrique incompréhensible à l’œil nu, mais divinement beau à l’exécution. Coller la petite (n.f) : dégaine de gros lourd en boîte qui pense que se frotter aux femmes pour danser est la meilleure façon de rentrer chez lui accompagné. Danse pratiquée sur tous les styles musicaux en soirée, avec ou sans les mains, avec ou sans « boh allez quoi on rigole » et surtout avec ou sans consentement. Le Petit Norbert, éd. Le Norbert Le Petit Lafrousse, éd. Lafrousse



ENQUÊTE

OÙ EN EST LA DÉCOLONISATION DU DANCEFLOOR ?

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LA DANSE

ARI DE B AKA HABIBITCH, DANSEUSE DE VOGUING ET DE WAACKING

« Si c’était un travail terminé, je ne serais plus bookée, or, et j’en suis la plus étonnée, cette conférence continue d’être programmée, dans des festivals queers, féministes mais aussi dans des espaces plus “grand public” ou institutionnels, en France et en Europe. C’est bien qu’il y a une demande du prisme décolonial ! Du coup la décolonisation n’est pas vraiment en cours mais les questions qui l’entourent le sont ! Et effectivement, il y a une montée en puissance du prisme décolonial en général, ce qui veut dire que cette pensée acquiert une légitimité plus mainstream et qu’elle sort de l’entre-soi militant. Mais là on touche au paradoxe de la mainstreamisation des cultures dites minorisées, comme la ballroom ; c’est que plus elles sont rendues publiques, plus elles sont soumises à des processus de dévalorisation, comme l’appropriation culturelle. Donc il faut redoubler de

vigilance. Je pense que c’est pour ça que la conférence est aussi bookée : on se demande si la médiatisation est une bonne chose pour les personnes concernées, et c’est une de mes questions principales. D’ailleurs comme je pose beaucoup de questions, quand je performe cette conférence dansée, je préfère toujours avoir un temps d’échange avec le public à la fin, la conférence étant assez chargée en termes d’informations, de références et de réflexions, c’est toujours constructif. Et puis les retours qu’on me fait disent toujours que ma pensée est tellement progressive et mon fil rouge tellement bien construit que c’est “impossible de me contrer” (true story), je trouve ça très drôle ! » Conférence dansée “Décoloniser le dancefloor” IG :@_habibitch_



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LA DANSE

ENQUÊTE


POURQUOI DANSER AIDE À VIVRE MIEUX (ET PLUS LONGTEMPS)

Vous en avez peut-être l’intuition quand vous sortez de votre séance hebdo ou du club à 5h du matin : danser fait autant de bien au corps qu’à l’esprit. Voici pourquoi. Avoir plus de plaisir Danser, c’est vivre la musique pleinement. Passer un bon moment, rire, c’est avoir du plaisir et donc sécréter de la dopamine, “hormone du plaisir”, de la sérotonine, “hormone du bonheur” et de l’ocytocine, “hormone de l’attachement”. Danser peut ainsi littéralement être orgasmique. Bichonner son estime de soi « Danser, c’est devenir soi-même », écrit la neurobiologiste Lucy Vincent dans son livre Faites danser votre cerveau (Éditions Odile Jacob). Se lâcher, sécréter les fameuses hormones évoquées plus haut, c’est se créer un moment unique à soi. À condition de savoir s’abandonner et ne pas craindre le regard d’autrui, la dimension esthétique de la danse provoque une satisfaction bénéfique pour notre appréciation de nous-mêmes. CQFD.

Protéger son cœur Danser régulièrement serait bon pour le cœur, c’est une des conclusions de l’étude publiée par l’université de Sydney en 2016 : sur les 48 000 personnes, 3100 seulement ont déclaré danser régulièrement. Même si l’intensité des pratiques différait dans ce groupe, toutes ces personnes avaient en commun d’avoir un meilleur IMC, d’être moins touchées par de longues maladies et de paraître plus jeunes. Stimuler la mémoire Danser permettrait de stimuler l’hippocampe, la zone du cerveau responsable de la mémoire, selon une étude de l’université allemande de Magdebourg réalisée en 2017. Les chercheurs ont ainsi comparé les effets d’un programme d’aérobic et d’un programme de danse sur des personnes âgées de 63 à 80 ans pendant six mois. Les danseurs montraient un hippocampe plutôt tonique et avaient aussi de meilleurs résultats aux tests d’équilibre. Mémoriser vos chorés sur Just Photo © Daphné Borenstein Dance a donc un intérêt.


ENQUÊTE LA DANSE

RONE & (LA)HORDE

Spectacle musical chorégraphique La chorégraphie rencontre la musique pour raconter la souffrance et la légitime colère des nouvelles générations qui cherchent à se fédérer pour se donner sens, dans des communautés de fête et de combat, débordées par les infinies violences du monde qu’elles rejouent en boucle, dans leur chair, comme pour les exorciser.

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Room With A View, 5-14 mars Théâtre du Châtelet Photo © Thierry Hauswald



ENQUÊTE

SAVOIR DANSER SAVOIR DRAGUER

LA DANSE

MÊME COMBAT

Romantique ou frénétique, collé-serré ou slow : l’acte de la danse évoque la proximité des corps et la possibilité d’une rencontre… et de sexe. Si aujourd’hui on ne s’accorde plus de danse, il faut bien s’accorder sur l’idée qu’on ne se chope plus pareil après #MeToo.

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Danser sexy pour soi plus que pour séduire Les danses les plus médiatisées de ces cinq dernières années, le twerk et le pole dance, portées par le corps féminin, sont souvent réduites à un jeu de séduction. Mais les femmes qui les pratiquent les investissent aussi pour revendiquer leur empowerment. « Les injonctions à la virilité ont exclu les hommes de la danse et le sexisme sexualise les femmes qui pratiquent ce sport », estime Mathilde Neuville, coprésidente de Consentis, association de lutte contre les agressions sexuelles en milieu festif. « Culturellement, les femmes et les hommes ne sont pas introduits à la danse de la même manière. Déconstruire ces normes est bénéfique pour tous car l’expression corporelle qu’est la danse a beaucoup de bienfaits pour la psyché. »

De “nouveaux” codes de la danse à deux ? Les danses collectives et de couple n’ont pas tout à fait disparu. Même si elles ne sont plus majoritaires, la répartition des rôles genrés inscrite dans leur patrimoine est aussi remise en question par différentes initiatives féministes ou queer. D’après une de leurs études réalisées sur 1 000 danseurs, 57 % des femmes ne se sentent pas en sécurité seules en milieu festif. Alors pour les danseurs, Consentis dispense les conseils du fanzine Rave Ethics pour une drague saine sur la piste : ne pas interrompre quelqu’un dans sa danse, ne pas fixer comme un mort de faim les filles qui dansent, et surtout ne pas forcer l’interaction en attrapant une partie du corps de votre target. Oser improviser un pas original, au risque de bousculer ses habitudes, sera toujours le meilleur moyen d’entrer dans la danse et peut-être en transe à deux. Plus d’infos : @consentis.info



ENQUÊTE LA DANSE 28/29

LE JOUR OÙ BRADLEY A DANSÉ 36 HEURES SANS S’ARRÊTER Danser, c’est plus qu’un mouvement. Le corps s’exprime dans un langage complexe que chacun interprète à sa manière. Pour certains, notamment parmi les plus pieux, la danse est une transe, un moyen de communication avec le réel et l’au-delà. Pour Bradley Gunn, elle aura surtout été le moyen de briser les chaînes étouffantes de son syndrome d’Asperger. Ce trouble du spectre de l’autisme avait condamné, d’après les médecins, le jeune Bradley dès sa plus tendre enfance. Étiqueté alors incompatible avec la société actuelle, le Britannique s’y refuse, mais devra attendre quelques années avant de s’en débarrasser. Le souci, c’est que la maladie n’attend pas et ses objectifs sont revus à la baisse ; avec le temps, Bradley s’isole et s’enferme inévitablement dans sa tête. De la difficulté de s’ouvrir au monde va naître une frustration qui va guider Bradley vers sa rédemption : la danse. Déjà apprivoisé par les clubs de sa région depuis qu’il sort avec ses amis, il aura 18 ans quand il découvrira sa première rave. Dès lors, les premiers beats perçus par le jeune homme l’entraînent dans une transe corporelle et la libération s’exécute. Alors bercé par le potentiel de la drum’n’bass, c’est du côté de Londres, au festival Cocoon, qu’il fera ses

premières armes dans l’univers de la techno. La rave, la fête, la danse, tous vont former cette première étape du reste de la vie de Bradley. Il se crée alors un personnage : Bradley Gunn Raver. Sa particularité, c’est son atypisme et sa façon de danser, auxquels s’ajoute une tenue des plus singulières composée d’un legging noir, un bandeau, un t-shirt avec son logo BGR et sa mythique paire de lunettes de protection rouge et bleu. Lancé dans sa tenue de super-héros de la teuf, Bradley part à la conquête des raves du monde entier et enchaîne les soirées sans une goutte d’alcool ou un milligramme de drogue. C’est cette ambition qui l’aura amené à repousser ses limites : Bradley a déjà dansé 36 heures d’une traite en participant à quatre raves à la suite. Plus qu’un exutoire, cet art l’aura amené à briser les barrières sociales de sa maladie, à gagner en confiance en soi et à devenir une personne notoire sur les réseaux sociaux. Plus qu’un influenceur de la rave, il est aujourd’hui devenu porte-parole de ceux qui prônent la fête sobre et un exemple pour tous, fêtards comme DJ’s. BBC’s Three Amazing Humans : Bradley Gunn Raver Bradley Gunn Raver, de Aspect Media



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LA DANSE

ENQUÊTE


DANSE

LE MOT DE LA FIN

Même si on ne règlera pas tous les problèmes du monde avec la danse, chacun peut envoyer valser ses tracas quotidiens à travers l’expression du corps. Ce qui se joue dans les danses actuelles en dit long sur notre époque, sur comment nous traitons nos angoisses et formons ensemble un corps social (ou pas). Notre manière de danser dit notre manière d’être en lien, d’être en communauté. « Danser seul ne suffit pas », chante le groupe Bagarre. Lieu de performance pour les artistes, la danse peut être un moment de partage intense et sincère pour la majorité. En 2020, les danses les plus populaires portent un message fort sur les revendications des femmes, et de celles et ceux qu’on appelle les minorités. Les protestations les plus urgentes se prêtent au jeu d’une forme collective, joyeuse quand ce sont les riveteuses en grève qui performent “A cause de Macron”, ou farouche quand les femmes chiliennes scandent en rythme “Le violeur c’est toi !” à la manière d’un haka.

40 ans après la publication du documentaire Paris is burning de Jennie Livingston, la capitale s’enflamme littéralement pour le voguing et le waacking, odes flamboyantes aux identités LGBT et métissées. Les danses n’appartiennent à personne, mais elles ont des origines (sociales, géographiques…) qu’il faut respecter, tout comme celles et ceux qui les pratiquent. La reconnaissance institutionnelle de l’art de la danse – qui a fait l’objet de deux grandes expos à la Philharmonie et au MUCEM en 2018 – est-elle le signe d’un élan vital, une urgence de se sentir plus vivant ? Kiffer son corps et apprendre à le faire bouger est en ce sens un premier pas révolutionnaire. Danser c’est oser, mettre en mouvement une autre version de soi et se défaire des attentes sociétales qui nous pèsent. Le temps de la danse est aussi un temps de déconnexion dont on a plus que jamais besoin. C’est aussi le propos de l’exposition Faire corps des artistes Adrien M et Claire B à la Gaîté Lyrique, jusqu’au 3 mai.


MODE 32/33

SHOOTING

RÉSULTAT DES COURSES

Direction artistique & stylisme – Manon Merrien-Joly Photographie – Naïs Bessaih Mannequin – Anja Winkelmann / @anjawk Merci à : Frontrow, Pascale Venot, Polene Paris, POPandPARTNERS

Boucles d'oreille : Iria Ashimine Collier : Amor Dust Jupe : Rowen Rose Chaussures : What For Sacs : Le Snob



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Sac-ceinture : Polene Paris Harnais : Dr.Harness



MODE

FASHION WEEK OÙ VA LA MODE ?

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DISTYLLERIE

T P

MANON MERRIEN-JOLY NAÏS BESSAIH

Le 1er mars dernier s’est tenu le semimarathon de Paris. À défaut de vous ramener une médaille – ou une quelconque preuve de participation –, faisons plutôt un semibilan de la Fashion Week, qui s’est achevée le 3 mars. Les deux événements ont en commun la formidable endurance de leurs participant.e.s, un échauffement inégal et surtout une hydratation constante. Qu’ont donc à nous dire les collections automnehiver 2020/2021 ? Futur dystopique Dans un futur plus que proche, des familles entières défilent pour Marine Serre. Les masques de protection et les cagoules couvrent pour certains entièrement le visage des mannequins, installant une ambiance apocalyptique. « Les humains se sont répartis sur une série de planètes où la vie subsiste. », disent les notes du défilé. « The moon will be your friend, the sun your enemy » : devons-nous nous fier aux astres quant à l’avenir ? Chez Saint Laurent, Anthony Vacarello nous plonge dans le générique de James Bond contre Docteur No, avec ses jeux de lumière et d’obscurité. Leggings en vinyle ultra-brillants, déclinaison de blazers aux épaules oversized, jupes crayon très serrées, le tout nous est présenté sur une armée de six-packs partagés par les modèles qu’on aimerait bien pouvoir arborer cet été aussi.

Féminisme en deux temps Si Vacarello nous donne à voir des superbourgeoises aux épaules extra-larges, chez Thebe Magugu, designer sud-africain en pleine ascension, l’uniforme est de retour et s’ajoute à la (longue) liste des designers qui nous proposent des costumes cette saison. Maria Grazia Chiuri se réengage aux côtés de l’une des figures de la scène artistique féministe, le collectif Claire Fontaine, pour livrer une scène ou trônent les messages “CONSENT”, “PATRIARCHY = CLIMATE URGENCY” ou encore “FEMINIST BEAUTY IS READY MADE” dans une arène phénoménale. On ressort avec plaisir le bandana hippie 70’s et on garde les rangers aux pieds. Fringués comme des sacs Autre élément à noter, le sac à main fait son grand comeback, semblant se venger des tote bags ayant provoqué sa sortie de route les années précédentes. Chez Marine Serre, il est conçu avec GPS ou gourde intégrée. Partout, on le voit en format minus, couvert de plastique chez Margiela, greffé à la ceinture chez Kenzo. Entre le mélange de matières, l’afflux de détails, l’empilement de pièces et les patchworks, une chose est sûre, l’hiver sera riche en couches.



SORTIES CINÉMA 38/39

CLAIR OBSCUR L’ÉDITO CINÉMA Je me répète sans cesse, mais quelle chance d’avoir eu 20 ans en 2008, pu mettre des moule-bites, inconscient des risques de stérilité, s’effondrer dans la bière tiède sans ligne blanche à côté, gaspiller, tout jeter, mettre des pulls en hiver, voler des verres au Baron sans risquer de tout oublier… T

PIERIG LERAY



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SORTIES CINÉMA


… y croiser De Niro et le prendre pour Spielberg, chialer devant les Strokes au Zenith en 2006 ; la vie sans l’angoisse de son point final. Ré-écouter leur nouveau single “Bad Decisions”, c’est un retour violent du présent, la trentaine et les lombaires qui sifflent, l’idiocratie généralisée et son chef de rang Trumpi qui attaque l’oscarisé Parasite, une borne du KFC sacralisée par les doigts de la débilité incarnée (K&K), l’impossible branlette discrète et la morale des réseauxsociaux en juge fasciste et autoritaire. Mais merde, que je plains les milléniaux (mal) menés par une autiste à queue de cheval… leur insouciance et naïveté est déjà bafouée. Et ce n’est pas dans le cinéma français qu’ils trouveront une échappatoire à la médiocrité qui inonde leur fil d’actualités. Bien loin les Rohmer, Truffaut, Sautet, ce cinéma précurseur, attaquant les sujets de demain. Lui qui dominait le monde par son regard d’avant-garde et sa capacité à dépeindre la société avec grandeur dans ses recoins les plus intimes. Aujourd’hui, il se débat dans une soupe populaire tiède, sans saveur, abreuvant l’ignorant de sa fadeur, se vantant de dominer un monde qui s’effondre. Prenons ce mois de mars en exemple, un film par semaine sur le même sujet, traité d’un regard identique, tourné et joué par le même cercle auto-centré pour rassurer les banquiers. D’abord, La bonne épouse de Martin Provost (sortie 11 mars), vieille rengaine bankable (Binoche, Bear, Lvovsky) ressortant dans un festival de clichetons la libération de la femme dans le deuil. Ensuite Filles de joie de Fonteyne et Paulicevich (sortie 18 mars) avec de nouveau Lvovsky et la Binoche du jeune Sara Forestier. Trois meufs en galère qui doivent se prostituer pour sortir d’une misère sociale qui les accable. Quel enfer, le cinéma français à son paroxysme dans la tiédeur de sa mise en scène, fausse violence surannée qui abrutit par un message couru d’avance. Et pour finir le mois, La Daronne de Jean-Paul Salomé (sortie 25 mars), avec une Hupper tentant toujours désespérément

de copier Adjani (dans Le monde est à toi de Romain Gavras) dans un rôle de rombière parachutée à la tête d’un trafic de dope. Désespérant. Et que dire du cinéma américain qui se targue de présenter comme meilleurs films de l’année aux Oscars des échecs répétés, entre la mièvrerie de Marriage Story, la niaiserie sans imagination de Jojo Rabbit, le faux grand film Joker, l’un des pires Tarantino ou encore 1917 et sa bravoure technologique de pacotille, comment Parasite ne pouvait-il pas s’imposer dans cet océan de rien ? En tout cas, cela matérialise la force du cinéma asiatique, beaucoup plus imaginatif et novateur. Comme chaque année, la mélasse pré-Cannes n’amène rien de bon, les producteurs repoussant leurs sorties en espérant une sélection. On pourra citer la tentative maladroite de Matteo Garrone et son Pinocchio, sortant Roberto Begnini du formol (sortie 18 mars) et Radioactive de Marjane Satrapi (sortie 11 mars), l’histoire de Marie Currie d’un angle moderniste sur, de nouveau, la place de la femme dans une société machiste (que c’est original). Courage jeunes gens, la fin est proche, les tropiques arrivent, Paris-Plages au mois d’avril, le mojito en plein mois de mars, et ce fol espoir qu’un jour, les tongs et le pantacourt reviendront à la mode, pour une fin du monde en toute décontraction.


SORTIE

BOOBA CURATEUR DE LA

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FESTIVAL CHORUS

NOUVELLE GÉNÉRATION DU FESTIVAL CHORUS Si l’on connaît plus Booba pour ses contrepèteries et ses envolées lyriques sur les réseaux sociaux que pour son art de la rime et sa maîtrise du rap, on peut facilement se demander ce que vaut le Duc de Boulogne en curateur d’une scène du Festival Chorus. Le fait est que directeur artistique, c’est un métier que le rappeur des Hauts-de-Seine pratique presque, et ce depuis des années.

donner carte blanche à Booba et d’organiser une petite scène de jeunes talents en lesquels le Duc a foi. Surtout quand on regarde d’un peu plus près la liste : Nadjee, beatmaker passé de l’autre côté du mic’, Green Montana, nouvelle pépite chinée du côté de Bruxelles, Bramsito, avec lequel le featuring sur “Sale mood” a déjà bien fait parler de lui, ou encore Lestin et Dixon, jeunes poulains du Duc présents sur son label.

Parmi les exemples les plus concrets, difficile de se cantonner à la seule France puisque, du côté du plat pays, le jeune Damso continue son ascension vers la domination. Même si celui-ci ne fait déjà plus partie de l’écurie de Booba, c’est tout de même ce dernier qui avait contribué à son succès avec trois albums sortis sur le label 92i. Plus récemment, c’est le jeune Maes qui a su séduire les oreilles de notre rappeur vétéran. À l’image de cette nouvelle génération, violente et prête à tout bousculer sur son passage pour une miette de reconnaissance et un bout de scène, le Duc avait lui aussi conquis le monde du rap par la force. C’est ainsi peu surprenant de le voir se lier avec cette jeunesse qu’il avait lui-même connue. On ne se fait donc aucun souci quand on apprend que le Festival Chorus a décidé de

Une belle réunion du côté de La Seine Musicale du 26 au 29 mars, qui verra ces nouveaux talents se produire au milieu d’autres émergents des scènes électroniques et pop, mais également des artistes confirmés venus des quatre coins du monde. Départ sur les chapeaux de roues avec la journée du 26 mars, dédiée à l’émergence et aux artistes du célèbre Prix Chorus dont le groupe en vogue Nyoko Bobkae, le duo d’électro orientale Taxi Kebab ou même les Globel Network. Une compétition rude à ne pas manquer, et comme la journée est gratuite, vous n’aurez aucune excuse. Festival Chorus Du 25 au 29 mars à La Seine Musicale Plus d’infos sur chorus.hauts-de-seine.fr


Photo © View of Marquis


REPORTAGE LA TENTACALME 44/45

TENTACULAR ORCHESTRA PARADIS AMBIENT P

NAÏS BESSAIH


Un dimanche de février, 20h30. Je grimpe les marches qui mènent à l’étage supérieur du Pavillon des Canaux, la main sur la rampe collante témoin des frasques de la veille. Je viens assister à la troisième Tentacalme, une sieste psychédélique organisée par La Pieuvre, l’alias marin de Sylvain Di Cristo, artiste électronique et journaliste. T P

MANON MERRIEN-JOLY NAÏS BESSAIH


REPORTAGE 46 / 41 LA TENTACALME 46/47

« Là on avait installé les DJ’s sur la gazinière et invité les gens à s’installer dans la chambre avec un projo ici, les gens étaient calés sur le lit » : j’ai ma première conversation avec La Pieuvre, qui se remémore les deux premières éditions sur un lit à baldaquin auréolé d’un voile immaculé, dans une chambre rose poudrée. Il règne dans la chambre voisine – bondée, parsemée de corps avachis et enlacés sur des coussins – une ambiance de sieste enfantine. Dans ce pavillon qui pourrait être votre vieille maison de famille, les images psychédéliques se mêlent à des vidéos d’un autre temps. Dimanche soir, la lente guerre des émotions est déclarée. C’est clairement l’objectif, m’annonce La Pieuvre : « C’est ce qu’il y a de beau avec l’ambient et les musiques psyché, c’est qu’elles déshabillent l’âme, leurs sons et mélodies ont une fonction essentielle, celle d’émouvoir, de toucher, de provoquer des émotions très personnelles, de sorte qu’on puisse se retrouver totalement vulnérable devant leur beauté. Dans ces moments-là, on ressent des sentiments contradictoires, on est en communion avec ce qui nous entoure mais on se sent aussi très seul, unique. ». Jean-Yves Leloup arrive à ce moment-là. Il est la moitié de Radio Mentale, duo des années 1990 connu

pour avoir mixé de l’ambient à plusieurs rave parties en France et en Angleterre et sur Radio FG. J’en profite pour le questionner sur ses ressentis pendant le set qu’il vient de donner. « J’ai l’impression de faire quelque chose que je voulais faire depuis très très longtemps, et je n’avais pas eu l’occasion de faire. Au début des années 90, on a joué dans quelques chill-out de rave parties mais il n’y en a pas eu tant que ça à Paris, c’était un petit peu frustrant. » Leloup se rappelle d’une en particulier, « dans un club qui s’appelait Lili la Tigresse à Pigalle, un peu dans cet esprit-là, un ancien bar à strip-tease, on avait fait des trucs le dimanche qui étaient très sympas. ». En fond sonore, #130E0A, DJ résidente chez Rinse France défricheuse de sonorités issues de l’ex-URSS, rythme notre échange. Ce soir-là, la salle déborde d’âmes venues réchauffer leur week-end, flottant parmi les effluves sonores et sentimentales qui trompent la mélancolie du dimanche soir. Les siestes ambient seraient-elles le nouveau hangar ? La Tentacalme @Pavillon des Canaux Certains dimanches de ta vie



AGENDA

VENDREDI 6 MARS 23h Dock Eiffel 25 € Arcadium : Ben Klock, Rebekah… 23h Badaboum 15 € Increase the Groove label night 00h YOYO 20 € H A Ï K U x DJ Tennis x Gerd Janson 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur lebonbon.fr

VENDREDI 20 MARS 19h La Maroquinerie Franc Moody en concert 23h Badaboum 15 € Kerri Chandler all night long 00h Rex Club 15 € Maison Close : 1st Anniversary 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur lebonbon.fr

SAMEDI 7 MARS 22h Le Bourget 30 € Airdrome : Ricardo Villalobos 23h Breakfast Club Bande de Filles Golden Edition 23h La Java 10 € Trou Aux Biches 00h Rex Club 20 € Popcorn Records x Jardins Suspendus

SAMEDI 21 MARS 23h à la folie 15 € Haribo House w/ Markus Sommer… 00h Lieu inconnu 15 € Possession x Mama Told Ya 00h Rex Club 20 € Pont Neuf 4 Years 00h Djoon 18 € Confluence pres. Antal

VENDREDI 13 MARS 23h YOYO 20 € ITALO DISCO DISCO 00h Sierra Neon 13 € Mackiver w/ Renart, Sentiments… 00h La Machine 16 € Club Trax w/ Young Marco… 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur lebonbon.fr

VENDREDI 27 MARS 23h Les Caves Saint-Sabin 12 € Firmamentum by High Kollektiv 00h Glazart 15 € Meaculpa : Acid VS Indus 00h Rex Club 20 € Deeply Rooted Night w/ Function… 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur lebonbon.fr

SAMEDI 14 MARS 23h La Station 15 € Spectrum w/ Stef Mendesis… 23h Badaboum 15 € Glenn Underground, G’Boï & Jean-Mi… 00h Dehors Brut 15 € Jennifer Cardi pres. Nightclubbing

SAMEDI 28 MARS 00h Rex Club 20 € Bass Culture :Moodymann & D’Julz 00h La Java 10 € Professeur Promesses #23 00h Dehors Brut 15 € &ME x Adam Port x Jimi Jules

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DIMANCHE 15 MARS 16h La Cigale Mura Masa en concert

IMPRIMÉ EN FRANCE



Ricard SAS au capital de 54 000 000 euros - 4&6 rue Berthelot 13014 Marseille - 303 656 375 RCS Marseille

SWEDISH BY NATURE* É L A B O R É E À PA R T I R D E B L É S D ’ H I V E R S É L E C T I O N N É S E T C U LT I V É S E X C L U S I V E M E N T E N S U È D E . D E P U I S 1 8 7 9. *S U É D O I S PA R N AT U R E .

L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.


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