Le Bonbon Nuit 43

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Juin 2014 - n째 43 - lebonbon.fr



édito Juin 2014

© Jacob Khrist

Les dernières fois que je suis sorti, j’ai remarqué que beaucoup de gens avaient la pastille sévèrement dilatée. Alors moi, j’ai mené mon enquête. J’ai fait ça sérieusement, à la pro, avec mon petit calepin et mon crayon de papier. Je suis allé voir les mecs qui me semblaient élargis de l’oignon et j’ai recueilli leurs témoignages. Une fois chez moi, j’ai commencé à compiler post-its, photos, coupures de presse, et peu à peu, la vérité, d’abord parcellaire, s’est enfin révélée. Tout concordait, putain, oui tout concordait, le responsable de cette grande vague de dilatation anale s’appelait : FLACON DE POPPERS. Sacré Poppers, tu t’es fait oublié pendant des années, t’étais limite ringue, et maintenant tu reviens en force mon salaud. Complètement légal, on te trouve pour une bouchée de pain dans la plupart des sex-shops, et on comprend mieux pourquoi t’es devenu la substance préférée des jeunes derrière le teu-teu (3% des 18-25  ans te consomment.) Ah ça, tu l’as réussi ton coup mon bougre, de l’underground des backrooms gays tu es désormais passé au statut de vraie pop-star ! Et puis on va pas se mentir, les gens s’en foutent de se faire titiller la sortie de secours, ce qu’ils recherchent chez toi, c’est surtout cette énorme bouffée de chaleur qui dure une trentaine de secondes et qui rend complètement mongol’. Par contre, y’a un truc qui est pas écrit sur ta notice, c’est que t’es le champion pour foutre des maux de casque d’anthologie le lendemain. M’enfin pour moi, tu restes un truand de seconde zone. Mais comme disent souvent mes potes qui aiment le latex : « Se mettre à l’ouest est le grand point, qu’importe la maîtresse ? Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. » MPK Rédacteur en chef

Rédacteur en chef — Michaël Pécot-Kleiner michael@lebonbon.fr | Directeur artistique — Tom Gordonovitch tom@lebonbon.fr Directeur de la publication — Jacques de la Chaise | Photo couverture — Mr. Flash par Nicola Delorme Secrétaires de rédaction — Louis Haeffner & Justine Knapp | Régie publicitaire — regiepub@lebonbon.fr 06 33 54 65 95 Contactez-nous — nuit@lebonbon.fr | Siret — 510 580 301 00032 | Siège social — 12, rue Lamartine Paris 9e 1—

Nuit



sommaire Le Bonbon Nuit

à la une

Mr Flash

p. 7

musique

Red Axes

p. 11

Y’a quoi au ciné ?

p. 15

itw bourrée

Léo Dorfner

p. 19

nightivisme

OTTO10

p. 21

illustration

Léonard Butler

p. 23

art

Michael Riedel

p. 27

média

Alister

p. 31

gonzo

Une soirée sobre

p. 35

tumblr

Graffitivre

p. 37

Salaire : Minimale

p. 41

cocktail

Picon-bière

p. 43

playlist

S.R. Krebs

p. 45

agenda

Paris la Nuit

p. 48

cinéma

métier de l’ombre

3—

Nuit


JEUDI 19 JUIN

de 19H à minuit

Inscrivez-vous sur : grrrrr@lebonbon.fr

148, rue du Faubourg Saint-Martin - 10e

TOO ER TA ATELI RE AVEC È ÉPHÉM


agenda Les événements à ne pas manquer

Légende Fondateur et chanteur de Bauhaus, l’un des plus grands groupes gothic/indus de l’histoire, Peter Murphy nous revient avec son nouvel album solo Lion. On a eu la chance de le recevoir à la rédaction et de l’écouter. On peut vous dire une chose : ses fans vont jouir des tympans. Sortie le 17 juin. Nettwerk/La Baleine

Une nuit avec Mobilee Mobilee est l’un des 10 labels les plus chartés de tous les temps sur le site de référence Resident Advisor. C’est à la fois un des labels qui ont construit la scène berlinoise (aux côtés de B-Pitch Control, Perlon et Ostgut entre autres) et une vraie référence mondiale. Derrière les platines : Rodriguez Jr, Lee Van Dowski et la toujours percutante Anja Schneider. Vendredi 20 juin à partir de minuit au Zig-Zag

I’m A Cliché invite toujours des gens cool Chaque mois, le label I’m A Cliché explore les marges de la dance music avec une touche de classe tout en faisant la fête comme n’importe qui. Le line up ce mois-ci met en avant des valeurs sûres de la scène électronique européenne : Tim Paris et Marc Piñol. Et puis y’aura Crame pour le warm-up, on ne peut donc pas rater ça… Vendredi 27 juin à partir de minuit à la Java

Grrrrr Before by Le Bonbon #1 La toute première édition du Grrrrr Before aura lieu au Grrrrrand Garden du Café A. Les amateurs de bière sont attendus de pied ferme pour chiller et décomDR/ DR/ DR/ DR

presser après une dure journée de labeur avec Dj Jerry tandis que les tatoueurs de Tatoo Éphémères Bernard Forever marqueront vos peaux dorées. Le jeudi 19 juin de 19h à minuit Au Grrrrrand Garden du Café A 148, rue du Faubourg-Saint-Martin - 10e 5—

Nuit


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à la une T/ MPK P/ Comicon

Mr Flash “Des fumistes dans la musique, y’en a beaucoup trop.” Si le monde de la musique « actuelle » devait être une énorme boîte à cul, on parierait bien sur le fait que Gilles Bousquet aka Mr Flash n’appartiendrait pas à la catégorie des exhibos. Non, son truc à lui,

biens. Il y a aussi A very Englishman, l’histoire d’un mec qui a monté les premiers bars à stripeuses à Londres… Tout cela a surement dû contribué à la construction de mon inconscient musical.

ce serait plutôt d’être derrière un miroir sans tain et de diriger les ébats en scred’. Étiqueté « membre le

Le sexe, c’est un peu une de tes grandes théma-

plus mystérieux de la famille Ed Banger », celui-ci,

tiques, non ?

toujours dans la pénombre, a produit pour TTC, Mos

bon. »

Pas spécifiquement. Après, le sexe, oui, c’est une partie très importante de la vie, mais je trouve que l’amour m’obsède plus. Je suis un éternel amoureux. D’une manière générale, je n’aime pas vivre les choses à moitié, les choses tièdes. La vie est courte tu sais… Je m’implique autant dans la musique que dans mes histoires d’amour parce qu’il n’y a que là que tu peux vivre des choses sincères et fortes. La vie, ce n’est que ça, des relations avec autrui, le reste, c’est une blague.

Je trouve que ce disque sent le cul, qu’il pourrait

Cet album devait initialement s’appeler Smuggler,

être la BO du biopic d’un acteur porno retraçant sa

(en français le contrebandier, ndlr) il s’appelle fina-

vie des années 70 à maintenant. Tu le prends com-

lement Sonic Crusader. Connaissant ton amour du

ment ?

détail, en quoi ce changement de nom peut-il nous

On peut surtout voir ça aussi comme un biopic de ma vie, mais ce que tu dis est magnifique ! Je ne suis pas un grand amateur ni collectionneur de porno, mais je trouve que le porno des années 70/80 est très touchant et très humain. Je ne sais pas si tu as eu l’occasion de voir Lovelace ou Boogie Nights, mais tous ces biopics-là sont vachement

renseigner sur le sens que tu as voulu donner à ce

Def, Kanye West, Tellier… Après une petite flopée de maxis et d’EP bien gaulés, Mr Flash nous lâche enfin au bout de 10 ans Sonic Crusader, son premier (oui !) album. Cohérent dans sa construction, cette croisade sonique met en récit disco cosmique, funk, soul, hip-hop, électro et évite l’écueil de la compilation. Une réussite qui ne contredira pas le célèbre proverbe putassier : « Plus c’est long, plus c’est

7—

premier album ?

Smuggler, c’était plus réducteur que Sonic Crusader. Smuggler, ça décrivait ma façon discrète de faire les choses : je ne suis pas le genre de mec qui aime se mettre sous les projecteurs, je préfère opérer dans l’obscurité, un peu comme un dealer. Nuit


Mr Flash

“Je ne suis pas le genre de mec qui aime se mettre sous les projecteurs, je préfère opérer dans l’obscurité, un peu comme un dealer.”

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Sonic Crusader est plus en adéquation avec cette croisade sonore qui a duré 10 ans de ma vie, c’est plus englobant. On garde le côté contrebandier, mais on lui rajoute un aspect guérilléro. Tu te définis toi-même comme un artisan et il paraît que tu as recommencé Sonic Crusader des dizaines de fois. Est-ce exagéré de dire que tu es un control freak total et que tu ne laisses aucune place au hasard ?

Oui, je suis un psychopathe du détail, mais comme tout psychopathe qui se respecte, je suis un adepte de la contradiction. Je suis dans le contrôle, je sais très bien où je vais et comment faire pour y arriver, mais ça n’implique pas que je ne laisse pas de place au hasard le plus total. Pour preuve, j’agis d’une manière complètement différente avec les machines, car j’aime profiter de leur instabilité. C’est cette zone chaotique qui fait le charme de la musique. Rester devant un ordinateur et faire des carrés avec sa souris, c’est quand même super rébarbatif. Mais bon, je vais pas te mentir, je reste quand même un grand maniaque… Mr Flash, c’est donc l’exact opposé d’un Mr Oizo…

Je ne l’ai jamais vu bosser, mais je sais qu’il va très très vite dans ses productions. Moi, la plupart du temps, je vais plutôt très lentement parce que je passe mon temps à tout calculer, tout peser, tout millimétrer. C’est une exigence par rapport à moimême et je suis très critique envers les musiciens qui font les fumistes. Et des fumistes dans la musique, y’en a beaucoup trop. Par rapport à Mr Oizo, je trouve qu’il a une manière de défendre son projet qui est complètement légitime : il ne le vend pas pour plus que ce qu’il est. Il met un quart d’heure pour faire un morceau, tant que c’est assumé, je trouve ça sain. Après, c’est ce que les gens en font qui peut me déranger, tout le discours pseudo-intello qu’il y a autour.

Nuit


Mr Flash

Le track Disco Dynamite était déjà sorti en maxi en 2006, puis en 2013 pour une compilation Tsugi des 10 ans d’Ed Banger. Le revoilà sur l’album. Pour-

mais c’est vrai que Venus In Furs se situe entre La soupe aux choux, avec des synthés « pouet-pouet », et les films de boules kitschos de Jess Franco…

quoi ? Est-ce un de tes morceaux « signature » ?

En fait, ce morceau ne devait pas faire partie de l’album. À l’origine, l’album, c’était 23 titres, après j’en ai supprimé un bon paquet, puis rajouté quelques-uns dont Disco Dynamite. Par égo, je ne voulais pas mettre de morceaux un peu datés, mais Disco Dynamite est le résumé de mon côté discocosmic-boogy. C’était bien aussi de l’avoir sur un support plus long, comme un album, pour qu’il puisse prendre sa place au sein d’une histoire plus vaste qu’un simple maxi. Le hip-hop a eu une grande importance dans ta carrière, et il y a bien évidemment 2 morceaux de hip-hop sur l’album avec des feat d’artistes faisant partie de la génération montante (Action Bronson,

Seulement 2 titres que l’on pourrait orienter clubbing/dancefloor (Drill, Parliament Of The Rooks). Est-ce que faire danser les gens ça te fait chier ?

C’est pas ma vocation première du tout. Je cherche rarement à faire des morceaux qui soient dansants. À la base, Drill, ça fait clairement référence au film Driller Killer d’Abel Ferrara. J’avais envie d’un morceaux très brut de décoffrage, très bas de plafond, perforant. Pour Parliament Of The Rooks, pour le coup, ça renvoie à une légende nordique qui dit que les corbeaux se mettent en cercle pour abattre l’un de leurs congénères qu’ils trouvent trop faiblard. J’aimais bien cette idée, et j’avais envie d’avoir des synthés un peu stridents pour rappeler cet animal que j’adore.

Oh No, Lady Leshurr…). Pourquoi avoir choisi de privilégier la jeune garde, tu aurais aussi pu avoir des

Tu parles beaucoup de cinéma, tu voulais être réa-

noms ronflants pour le buzz, non ?

lisateur… Finalement, cet album te permet-il de

Parce que j’avais pas les thunes ! Et attention, mes invités ne sont pas n’importe qui, ils sont super cotés ! À un moment donné, je voulais vraiment faire un truc avec Nicki Minaj parce que j’aimais vraiment ce qu’elle faisait à ses débuts. Bon, maintenant c’est autre chose, c’est devenu de la savonnette. Par contre, ce qui est pernicieux quand tu bosses avec des gens qui sont extrêmement connus, c’est que toi, sur ton album, tu ne sers plus à rien, tu deviens le faire-valoir de ton invité.

combler ce manque ?

Oui, Sonic Crusader, je le vois comme un bouquin, comme un film avec une intro, un milieu, une fin, avec autant d’épisodes qui ont marqué ma vie. Les gens que j’ai perdus, mes amours, mes joies, etc… tout cela je l’ai mis dedans, il y a un côté fantasque aussi. C’est un peu ce que j’avais fait avec l’album de Tellier, j’aime beaucoup les systèmes à tiroirs. J’aime dire quelque chose dans un morceau, mais qu’il y ait différentes manières de l’interpréter.

J’ai l’impression qu’il y a de l’humour et du second degré chez toi, notamment sur Venus In Furs…

Oui, je peux être extrêmement cynique, dur, pas drôle du tout des fois, mais en même temps, j’ai envie d’envisager la musique avec du second degré. Dans les années 70, on avait des mecs comme Cosma qui étaient profondément mélancoliques mais aussi extrêmement drôles voire débilisants. Tous les titres ne sont pas drôles, évidemment, 9—

Mr Flash — Sonic Crusader

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musique T/ Hillel Schlegel P/ Michael Topyol

red axes “on a vraiment essayé d’obtenir un album qui préserve sa beauté dans l’usure.” Avec un nom comme Red Axes, on s’attend à un truc violent. Dur. Punk. Pourtant, malgré leurs basses crissantes et leurs riffs opaques, les deux Israéliens développent un son étonnamment apaisant et nostalgique, enveloppant comme un duvet qui tient bien chaud dans un squat. J’avoue, cette dernière phrase était juste du blabla de journaleux qui se la joue intello. Mais en un mot comme en cent, leur premier album Ballad Of The Ice est tout sauf gla-

C’était un label qui nous avait tapé dans l’œil dès le départ, à partir du moment où on a commencé à envoyer nos morceaux à des maisons de disques. On aimait passer certains de leurs tracks en club, et ceux-ci détonnaient vraiment dans le paysage électro de notre petit pays ! Ils nous ont signés, ce qui nous a fait très plaisir, et on a immédiatement commencé à réfléchir tous ensemble à un concept d’album.

çant. Pour être un vrai journaliste musical, il faut toujours Le premier truc qui m’a frappé en écoutant votre

essayer de placer un concept débile de son cru. Si

album de rock technoïde, c’est son côté très lo-fi,

j’essaye de définir votre son comme du dark gaze ou

voire cheap. Mais en même temps, ça fonctionne

du krautcore, ça vous parle ?

très bien, et une grande puissance s’en dégage.

(Rires) Dans les articles nous concernant, on a lu des tonnes de tentatives de définition comme ça. L’un des trucs qui revient le plus souvent, c’est qu’on a un son « primitif ». Du dark gaze, hmm… c’est un coup à marcher chez les lesbiennes, ce truc ! (Rires)

On aime avoir ce son lo-fi ! C’est exactement ce qu’on voulait. En revanche, cheap, c’est un drôle de mot, parce que ce n’est pas si facile à obtenir comme identité. Obtenir un son propre n’est pas trop dur, obtenir un son crade et beau, c’est plus difficile. Tu vois quand tu adores une vieille photo, toute jaunie et calcinée ? C’est pareil : on a vraiment essayé d’obtenir un album qui préserve sa beauté dans l’usure. Comme s’il avait brûlé, en quelque sorte.

Le Brésilien Abrão Levin chante sur trois titres dans votre disque, dont l’envoûtant Papa Sooma, et ce n’est pas la première fois que vous collaborez avec lui. Vous avez un truc particulier avec la musique brésilienne ?

Et surtout, on y sent vraiment la touche I’m A Cliché. Comment vous êtes-vous retrouvés sur un label français ? 11 —

Abrão a 51 ans, et ça fait vingt ans qu’il vit en Israël. Il avait un groupe de post-punk à São Paulo, Kafka. On adore ce qu’il a fait, et surtout Nuit


Red Axes

sa manière un peu désuète de chanter. C’est lui qui nous a pas mal influencés en fait. Papa Sooma a un côté calypso, oui, mais on n’a pas particulièrement cherché à donner une couleur brésilienne au disque. C’est plutôt le côté old-school et étrange des sonorités d’Abrão qui nous a attiré.

tout ce qu’on veut. En ce moment, les sons 80’s à la Depeche Mode et les sons dark marchent très bien, par exemple. De même qu’il y a vraiment une différence monumentale entre Berlin et le reste de l’Allemagne, j’ai l’impression qu’en Israël, c’est pareil pour Tel-Aviv

Aujourd’hui, la jeunesse écoute quoi en Israël,

versus le reste du pays.

globalement ? La même soupe mainstream que le

La différence est même encore plus frappante ! Il y a 2-3 trucs à Jérusalem, mais pour tout ce qui concerne la vie culturelle en Israël, c’est vraiment Tel-Aviv ou rien. Quoi que tu fasses - du jazz, de la pop, qu’importe - tu es obligé de venir à TelAviv en tant que musicien israélien. C’est là que se trouvent toutes les salles du pays et toutes les vraies possibilités de jouer. Et puis c’est aussi une ville formidable en soi, donc forcément, elle attire aussi de plus en plus les jeunes touristes de partout. Tout ça date de la fin des années 80, de l’Intifada : les jeunes d’ici en avaient marre de la guerre et de l’anxiété permanente, alors ils ont décidé de faire la fête dans cet environnement énergique et ensoleillé. Dans le reste du pays (Haïfa, Jérusalem…), l’atmosphère est bien plus pesante, conditionnée par l’actualité et les tensions politiques. Alors en comparaison, Tel-Aviv est naturellement devenue une véritable tour de Babel permettant à la vie artistique de notre pays de respirer.

reste du monde, ou encore beaucoup de pop aux influences traditionnelles ?

Du mainstream qui passe à la radio, bien sûr, mais effectivement, il y a encore une grosse scène pop aux sonorités très « méditerranéennes » qui marche très bien chez nous. Arik Einstein ou Shlomo Artzi y sont encore très populaires, par exemple. Il nous semble que la musique israélienne a une identité très forte, oui, mais il nous est difficile d’en parler parce que c’est un milieu auquel on ne s’identifie pas du tout et qu’on ne connaît pas bien… En matière d’électro, Israël est, avec les pays de l’Est, l’un des plus grands producteurs au monde de musique trance. Ce son prédomine-t-il toujours dans les clubs là-bas, et pourquoi ?

C’est toujours gros, oui. Probablement parce que depuis des années, après ou pendant son service militaire, une grande partie de la jeunesse a pris l’habitude d’aller à Goa pour décompresser, et elle a ramené le son de là-bas. Cette île est une destination touristique classique pour les jeunes fêtards de chez nous, qui aiment aller en Inde parce qu’ils y découvrent une atmosphère totalement opposée à celle qu’ils connaissent. Quant à la scène israélienne à proprement parler, tout se passe à Tel-Aviv. Cette ville comporte un petit milieu de musiciens où tout le monde se connaît, mais en même temps, elle est devenue tellement internationale que les sons en clubs y sont très variés : de très bons Dj’s viennent régulièrement du monde entier pour y jouer, on peut y écouter 12 —

Red Axes — Ballad of the Ice (I’m A Cliché)

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Cinéma T/ Pierig Leray P/ DR

Y’a quoi au ciné ? 1 mois, 4 films, 4 avis. Le pro-

Tristesse Club de Vincent Mariette – Sortie le 4 juin –

blème ? On ne les a pas vus.

Il ne suffit pas d’associer trois acteurs « dans le vent » (Sagnier/Lafitte/ Macaigne), de cadrer comme un sous-Wes Anderson et de balancer un scénario « jeu de piste burlesque » pour provoquer mon futur et probable plaisir. Mais il y a dans ce film une tristesse contemporaine new-wave bien bancale, en langue originale et ô combien à la hauteur des prétentions futiles du cinéma Sundance qui gave et engraisse.

Critiques abusives et totalement infondées des meilleurs/pires films du mois.

Palo Alto de Gia Coppola – Sortie le 11 juin –

Mais aussi : Edge of Tomorrow de D. Liman le 4 juin, on peut dire à Tom Cruise d’arrêter de porter des armures en titane à chaque film, ça le fera pas grandir (1/5), Débutants de J. Pittaluga le 11 juin, ah la jeunesse, éternelle question sans fond (0/5), Jersey Boys de C. Eastwood le

les biopics, ça me saoule mais quand Clint rencontre Christopher Walken, l’addition de classe, ça saute vite aux yeux (4/5) et Transcendance de W. Pfister le 25 juin, oui j’ose la faire, Pfister ? On est plutôt chez Ikea tant le scénario est illisible, les acteurs en carton et l’esthétisme déjà ringard (0/5).

18 juin,

Quand Sofia filme le vide, Gia – petite fille de Francis – tente bien maladroitement de faire perdurer l’esprit familial. Il faut lui dire que filmer la débauche de pauvres pécores américains pour nous vendre la tristesse de la solitude adolescente, on l’a déjà fait, et bien mieux. Même pas trash, même pas poétique, c’est une daube pour hipster à duvet de 13 ans qui découvre le cinéma. Tellement rétrograde. Under the skin de Jonathan Glazer – Sortie le 25 juin –

On a un match. Non, pas la nouvelle ignominie du XXIe siècle qui consiste à s’associer virtuellement comme deux consanguins territoriaux en manque de cul (Tinder) : il y a combat entre deux films de SF diamétralement opposés. Et celui proposé par Glazer avec Scarlett Johansson en femme fatale/E.T. vire rapidement au ridicule pseudo-métaphorique genre « je t’ai dans la peau mais littéralement, tu vois la profondeur du message ». À oublier, et vite. Zero Theorem de Terry Gilliam – Sortie le 25 juin –

Pas besoin d’être devin pour anticiper le fiasco Zero Theorem. Surprétentieux, vraisemblablement incompréhensible, une loufoquerie d’un soixante-huitard à la masse. Mais il faut, dans tous les cas, saluer le génie d’un Christopher Waltz chauve au sommet, d’un Terry Gilliam en galère depuis quelques années mais qui ne lâche rien à ses élucubrations sous acide, et prêt, en 2014, à nous expliquer le sens de l’humanité. Chapeau (troué) ! 14 —

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interview bourrée T/ Paul Owen Briaud P/ Léo Dorfner

Léo Dorfner “Un de mes meilleurs souvenirs de sortie, c’était à Disneyland.” Au fin fond du 13e, à deux encablures de la porte de Choisy, Léo Dorfner me reçoit dans son atelier.

ou à des vernissages. Ou alors au Bar des Familles, rue de la Roquette, un bar de supporters du PSG.

Dandy faussement branleur, peintre, dessinateur, graveur et photographe, fondateur du superbe

Aimer le PSG quand on est un intellectuel distingué,

magazine en ligne Branded, et de Branled, son pen-

c’est une posture ?

dant papier, il affine son style pictural très person-

J’aime le foot pour la diversité sociale parmi les supporters comme pour son aspect esthétique. Ça a autant de sens qu’un spectacle de danse contemporaine. Et en même temps, c’est comme la guerre, c’est hyper primaire. Il y a de la dramaturgie, et David peut gagner contre Goliath. Tu aimes le foot, toi ?

nel autour de thèmes récurrents, qui se nourrissent et se donnent de l’ampleur à force de se répondre. J’ai apporté cinq bières artisanales pour nous nourrir aussi, et donner de l’ampleur à ses réponses, à défaut d’en ajouter à mes questions. Pourquoi c’est aussi bien, le 13e arrondissement ? (On ouvre les hostilités avec une Gordon Highland

Du tout, mais j’aime la bière (pour joindre le geste à

Scotch Ale à 8%, ndlr).

la parole, je suis prêt à déboucher une Duchesse de

Ben, parce que j’y suis né… Je l’aime parce qu’il est secret, isolé mais connecté au reste, je suis près de tout, à 30 minutes de ma galerie (galerie ALB - Anouk Le Bourdiec, ndlr), parce que j’y mange tous les jours chinois, et parce que c’est un quartier où l’on vit, pas où l’on sort.

Bourgogne à 6,2%, autant dire une bière de fillette, ndlr). Si tu devais ne posséder qu’une œuvre d’art ?

La peau d’un cochon tatoué par Wim Delvoye. Smoke Signals, ton magnum opus jusqu’ici, est une accumulation de paquets de Gitanes sur lesquels tu t’es appliqué à peindre les pochettes de tes albums

Tu sors peu ?

cultes, essentiellement rock et new-wave. Tu fais du

Un de mes meilleurs souvenirs de sortie, c’était à Disneyland, pour un enterrement de vie de garçon au ranch de Davy Crockett, où on est descendus avec une caisse d’alcool. On avait à manger pour 2, à boire pour 20, et on était 5. Mais je ne sors pas dans les lieux publics, je vais plutôt chez des gens,

On peut dire ça, oui. À la base, il y a un tas de paquets de Gitanes que j’ai peints pour les vendre au prix du paquet. Smoke Signals, ce sont trois accrochages de 96, 90, et 72 paquets, mais il y en a presque autant que j’ai vendus à l’unité.

17 —

pop-art ?

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Léo Dorfner

Aux Beaux-Arts, tu allais en cours en costume cra-

une Vicaris Tripel à 8,5%, ndlr).

vate, et tu as longtemps gardé cet uniforme.

Ça me rappelle trois potes qui ont décidé que chacun se ferait tatouer quelque chose que l’un des deux autres aurait choisi. (Il dessine une pinte, ndlr) C’est un logo allemand, genre panneau d’interdiction, mais là, sans le cercle rouge. Et dessous, ou dedans, « nunc est bibendum ». Hum, elle est bonne celle-ci.

Ouais, et du coup ça choquait les cons d’étudiants qui se prennent pour des révolutionnaires prenant la Bastille alors qu’ils enfoncent des portes ouvertes. Et puis c’est pratique. Si tu devais ne sauver qu’un livre ?

La Possibilité d’une île, de Houellebecq, parce que je trouve que c’est le meilleur… Ou La Carte et le Territoire, où il est beaucoup question d’art, et du 13e.

Bah où tu veux, mec.

Tu es pour le fascisme ?

Vendu. Il y a une question que tu aimerais qu’on te

Limite, ouais, je trouve ça beaucoup plus couillu. (j’éclate une Belgoo Magus à 6,6%, ndlr)

pose ?

On te demande une création sur le thème de la nuit,

Ouaip. Burp. (Je l’ai descendue d’une traite, ndlr). Sur quelle partie du corps ?

Peut-être celle du questionnaire Branded : si je pouvais connaître la réponse à une question, quelle serait-elle ?

tu représenterais quoi ?

Des gens bourrés. Une photo puis une peinture d’après la photo, pas de prise de position, pas de jugement. Qu’est-ce qui est impossible à représenter en peinture ?

Alors ?

J’aimerais qu’on me montre la civilisation extraterrestre la plus avancée. Je trouve ça hyper frustrant de vivre à une époque où on sait qu’il y a autre chose, mais aussi qu’on mourra avant de savoir à quoi elle ressemble.

Les paysages, parce que ça me saoule. Si tu devais être réincarné ? Je crois qu’un gars a dit un jour qu’il peignait les

… en moi.

femmes comme s’il peignait des paysages, et inversement, mais peut-être pas.

(Je nous sers une Queue de Charrue à 9% et je me

Oui bah moi non. Les paysages, c’est froid. Pas un corps.

blant, hips ?

La peinture, c’est une façon de dessiner (sur) des corps alors ?

Non, mais effectivement, bien dessiner, ça permet de se faire des potes. Quand j’étais petit, c’était cool.

lâche, ndlr). Tu es vraiment arrogant, ou tu fais sem-

Mais ce n’est pas arrogant, au contraire… je resterais à ma place ! (Pour ma part, j’aimerais bien rester à la mienne et faire une sieste dans son canapé moelleux, mais le devoir m’appelle, et j’ai soif, ndlr). Léo Dorfner — See, Art & Sun à la galerie ALB -

À chaque fois que je rencontrerai un artiste, j’ai

Anouk Le Bourdiec, 47 rue Chapon, 75003,

décidé que je me ferai tatouer un dessin et/ou une

du 3 au 26 Juillet 2014

phrase de son choix. Tu ouvres le bal (et moi, j’ouvre 18 —

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nightivisme T/ MPK P/ Charlotte Gonzalez

OTTO 10 “notre principe de base, c’est de détourner.” Le jeune collectif OTTO 10 pourrait être l’un des

Bon, j’aimerais que vous me parliez de ce délire

symboles pertinents de ce que l’on appelle « La

autour du nom de votre asso : OTTO 10. Cela vient

nouvelle nuit parisienne ». Proposant une fête

bien du peintre expressionniste allemand Otto Dix,

décomplexée et hors des cadres classiques (lieux,

hein ?

horaires...) cette structure associative assume com-

F. : C’est un gros clin d’œil aux clubs allemands de musique électronique comme le Robert Johnson, le Harry Klein, le Dorian Grey... Ce sont des clubs où il y a un détournement de nom propre. Et notre principe de base, c’est de détourner : on détourne des lieux, on détourne des images pour faire nos flyers, on détourne les soirées traditionnelles. Et puis Otto Dix, c’était aussi un peintre qui avait des couilles, que ce soit dans ses œuvres ou ses engagements politiques. W. : Ce nom, ça permet aussi d’avoir des questions comme ça, et d’expliquer notre démarche par la suite.

plètement sa manière artisanale de faire les choses : avec eux, les soirées sont élevées en plein air, avec du bon grain, rien à voir avec les soirées industrialisées et piquées aux hormones de croissance. On a pris un apéro avec les représentants de la bande. Les gars, vous venez d’organiser une grosse teuf ce week-end (l’interview s’est déroulée juste après leur fiesta à l’Alter Paname le 18 mai dernier, ndlr). Ça va, bien redescendu ? Fabien : C’est toujours spécial l’après-soirée par ce qu’on ressent deux sentiments très différents. D’une part, on est sur un petit nuage parce qu’on est heureux d’avoir fait une fête réussie, de voir les retours super positifs sur les réseaux sociaux, etc. Mais d’une autre part, on est complètement morts, on n’en peut plus. On a les nerfs à vif, et pour peu qu’on ait beaucoup de boulot à côté, c’est difficile à vivre. William : Je ressens exactement la même chose. On a tous des tafs à côté, et c’est un peu tendu de concilier les deux dans ce genre de moment. Là, j’ai des courbatures partout, il m’a presque fallu 3 jours pour m’en remettre. 21 —

De quels autres orga/collectifs vous vous sentez proches ?

On n’est pas amis ou partenaires avec d’autres orgas factuellement, mais on admire les Souk Machines pour leur état d’esprit, les 75021 de Sonotown pour leur côté pointu, et les Katapult pour leur intégrité.

F. :

Vous avez une ligne édito bien définie pour bâtir vos line-up ? F. :

L’orientation, elle est pensée par rapport aux Nuit


OTTO10

lieux, aux horaires, à nos envies pendant une période précise. Chaque événement implique un contexte différent, donc un line-up différent aussi. On est autant attirés par la musique roumaine que par le disco, on adore mélanger les styles dans un même événement. Par exemple, à la dernière, y’avait Demian à 15h qui faisait un son plutôt Kill The DJ, 2 heures après, Justus Köhncke était disco à fond, à la fin, il y avait de la minimale avec Isolee. Du coup, ce mélange-là, bien amené, ça donne une bonne progression, une bonne cohérence. W. : Sans vouloir enseigner la musique aux gens, on essaye aussi d’avoir un petit côté défricheur. À côté des grosses pointures, on est très contents d’amener des jeunes pousses.

de temps, c’est détendu. Du coup, ça influe beaucoup sur les rapports entre les gens. Bon, on est d’accords, la banlieue, c’est l’avenir de la nuit parisienne ? F. : Ce n’est pas l’avenir, C’EST la nuit parisienne. W. : On a eu des propositions dans Paris intramuros mais ça ne collait pas avec nous. On ne pouvait pas faire ce que l’on voulait, et tout était trop cher. Quand on nous dit : « Tu ne peux pas balancer des paillettes ici », c’est juste pas possible pour nous. L’objectif n’est pas forcément de faire des teufs en banlieue, le truc c’est surtout qu’on nous empêche d’en faire à Paris. Et si un jour, un club traditionnel vous propose de faire la DA, vous dites quoi ?

Comment travaillez-vous ce qu’il y a autour de la musique ?

Quand on a fondé OTTO 10, on ne voulait surtout pas louer un lieu, poser 2 platines, envoyer du son, et vendre des bières chères. On avait envie de créer de la surprise, que les gens s’en prennent plein les yeux, qu’ils soient déguisés, qu’il y ait à écouter, à voir, à prendre, à manger, que tous les sens soient explosés. F. : C’est vraiment la base de l’identité OTTO 10. OTTO 10, c’est la décoration, la recherche de lieux, tous les petits happenings qui peuvent se faire, le bar, la gestion de la sécu, et c’est aussi la musique. La musique, c’est pas la chose première. Tout doit être vu dans son ensemble, on a voulu bâtir un projet global. Tout ce qui permet de rendre la fête plus folle, ça a vachement de valeur. W. :

Quel est le principal avantage d’organiser des « soirées » en pleine journée ?

Ça évite surtout les problèmes de voisinage. Et puis c’est pas la même teuf quand il est 3 h de l’après-midi que lorsqu’il est 2 h du mat’, et que tu n’as que 5 h devant toi pour te cramer la gueule. En journée, t’es moins pressé, y’a beaucoup plus

F. : Accepter, ce ne serait plus OTTO 10. Si quelqu’un dans l’asso est intéressé, il peut y aller en son nom propre. W. : Notre credo, c’est d’organiser des événements toujours dans des lieux différents, et si possible pas très connus. Si on peut aller dans des endroits inédits, ça donne de la valeur ajoutée. Faire ça dans un club que tout le monde connaît, ce serait nous trahir. Et on trahirait aussi les gens qui nous suivent depuis le début. Vous pouvez nous donner des pistes pour le prochain event ? W. : Déjà, après 10 séances de kiné et 3 tubes de pommade, on va se remettre tranquillement. Je vais essayer de me souvenir du code pour rentrer chez moi, et on verra... En tout cas, ce sera pas cet été parce que tout le monde part en vacances. La prochaine, ben, dès qu’on pourra, c’est tout. On n’en sait rien en fait.

W. :

22 —

www.otto10.fr

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Š LÊonard Butler


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Vue de l’installation de Michael Riedel, « Jacques comité [Giacometti] », Palais de Tokyo, 2013. / Courtesy of the artiste and Michel Rein, Paris/Brussels Vue de l’installation de Michael Riedel, «Dual air [Dürer] », Palais de Tokyo, 2014./ Photo : Aurélien Mole. / ©The Absolut Company.


art T/ Hillel Schlegel P/ Florent Michel ©The Absolut Company

Michael Riedel le point perché by the absolut company Né en 1972, Michael Riedel est un artiste allemand

Concernant ton installation Dual Air [Dürer], on

vivant à Francfort. Avec son installation Dual Air

comprend qu’il s’agit d’une sorte de méta-expo-

[Dürer], il expose en ce moment au Point Perché,

sition rassemblant des éléments ayant trait à une

l’espace du Palais de Tokyo faisant la part belle aux

exposition précédente, sur le peintre Dürer, et qui

artistes émergents. Une installation qui interroge :

n’était pas de ton fait. Pourquoi avoir choisi de te

des « l » qui tapissent la salle du sol au plafond,

consacrer à « l’après-coup » d’une rétrospective

des objets textuels difficilement identifiables, et

sur Dürer en particulier ?

surtout… des tableaux de Dürer qui brillent par

Déjà, je dois préciser qu’il s’agit de la deuxième partie de ma série d’expositions. En tout, mon travail actuel consiste en trois installations indépendantes. La première s’intitulait Jacques comité [Giacometti] ; Dual Air [Dürer] est la seconde installation, et une troisième à venir complètera le tableau. Si j’ai choisi de travailler sur « l’après » d’une exposition sur Dürer, c’est purement par hasard - ce n’est pas pour dire quelque chose de précis concernant la Renaissance, par exemple ; c’est que grâce à des amis, j’ai tout simplement eu accès au matériau d’une rétrospective sur Dürer qui avait eu lieu en Allemagne. En clair, j’ai pu réutiliser tous les « accessoires » de la rétrospective : notices explicatives de l’expo, descriptifs des tableaux, catalogues, affiches promotionnelles, enregistrements des réactions du public etc. Tout, sauf les œuvres en question. En fait, je travaille avec les résidus d’autres expositions.

leur absence. Michael ferait-il lui aussi partie de ces « artistes sans œuvre », comme dirait Jouannais ? Nous soupçonnons cet ex-décorateur de théâtre d’être plus subtil que ça. Where is your art, Michael ? « Artiste », c’est un statut plutôt vague aujourd’hui. Dirais-tu de toi que tu fais plutôt dans la performance, dans l’installation, que tu es plasticien ? Comment te définirais-tu ?

Non, je dirais bel et bien « artiste » dans un sens général. J’entends souvent dire de moi que je suis un « artiste conceptuel » par exemple, mais ce n’est pas le terme que j’emploierais. Pour moi, l’art conceptuel renvoie à quelque chose de bien précis, en l’occurrence au conceptual art des années 60 à la Henry Flynt, et ce n’est pas du tout ce à quoi correspond mon travail. Et puis en soi, tout peintre est un « artiste conceptuel »… Voilà pourquoi je dirais que je suis tout simplement « artiste ».

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Nuit


Michael Riedel

“Ce qui m’intéresse, c’est le paradoxe auquel on se trouve soudain confronté : déclarer que le non-Art est de l’Art.”

Ton expo aurait donc très bien pu avoir trait à n’importe quel autre artiste.

Absolument. Je suis ouvert aux aléas qui me donnent accès à telle ou telle exposition, je ne cherche pas à dire quelque chose à propos d’un artiste spécifique. Le sujet est ailleurs. Pour nous public, est-ce qu’on peut comprendre ton installation actuelle sans avoir vu la précédente de la série, Jacques comité [Giacometti] ?

Tout-à-fait. Ces travaux constituent une série car ils ont en commun une méthode de travail, mais ils sont indépendants les uns des autres. Ce qui m’importe, c’est de montrer ce qui se passe quand on présente une exposition sans les œuvres. Quand l’œuvre est absente - en l’occurrence une rétrospective sur Dürer ne présentant aucun tableau de lui, la question devient : qu’est ce qui peut se constituer en tant qu’Art ? Qu’est-ce qui glisse alors sur le premier plan ? Ce qui m’intéresse, c’est le paradoxe auquel on se trouve soudainement confronté : déclarer que le non-art est de l’art. On doit trouver une manière de se débrouiller avec tout ce qui est à priori para-artistique : les notices par exemple, mais aussi tout ce qui a trait à la communication sur une expo. Exactement comme l’interview que tu es en train de faire, et l’article que tu écriras à la suite… L’ensemble fait donc partie de mon installation sans en faire vraiment partie. Artistiquement, je cherche à mettre sur le devant de la scène ce qui revêt habituellement une importance secondaire. J’ai l’impression que c’est moi qui t’enregistre avec mon dictaphone, mais je parie qu’en même temps, la pièce est truffée de micros et qu’au final, c’est moi qui me fait enregistrer.

(Rires) Exactement  ! Tu es enregistré en ce moment-même, et des éléments de notre entretien présent feront sans aucun doute partie de ma prochaine installation. Je m’intéresse à tout ce qui atteste de la présence artistique, tout ce qui consti28 —

Nuit


Michael Riedel

tue le témoignage d’une œuvre en-dehors de cette œuvre, et c’est un processus qui s’auto-alimente constamment d’une exposition à la suivante. C’est malin ton truc : tu tiens là un générateur automatique d’installations artistiques. En fait, tu peux à chaque fois réutiliser pour tes installations actuelles les méta-données des expos d’autrui ou de tes propres expos précédentes, virtuellement à l’infini…

Hé oui, c’est le principe. J’ai mis en marche quelque chose d’assez stable, là, il me semble… (Rires)

absentes ?

(Sourire) Pas du tout ! Ça, c’est un malentendu de ta part, mais en un sens, c’est parfait, parce que ce titre est précisément basé sur un malentendu : Dual Air, c’est la retranscription que m’a proposée un programme de reconnaissance vocale quand j’ai prononcé « Dürer » dans le micro. Et comme tu t’en doutes, Jacques comité, c’était ce que l’ordinateur a sorti quand j’ai dit « Giacometti ». Ce n’est même pas un jeu de mot : c’est vraiment un pur malentendu généré par la technologie moderne. N’est-ce pas une attitude très post-moderne que de faire disparaître l’œuvre artistique au profit du dis-

Une sorte de mouvement perpétuel artistique ?

cours qui va autour ? L’œuvre devient discours sur

Oui, absolument. Ainsi, je dispose toujours d’énormément de matière, d’un surplus permanent à partir duquel je peux librement créer. Ça génère une substance quasiment inépuisable dans laquelle je pioche librement en fonction de ce qui me plaît : discours, supports…

l’œuvre, jusqu’à quasi-anéantissement de l’œuvre

L’intégralité du sol et des murs est ici tapissée de la lettre « l », qu’on peut aussi percevoir comme des « 1 ». D’autant plus que pour Jacques comité [Giacometti], c’était également le cas, mais avec la lettre « o » (donc des « 0 » ?). Tu cherches à signifier quelque chose comme « it’s off/it’s on », ou aucun rapport ?

Pour moi, c’est évident, c’est une histoire de numérique : « off/on », oui. Pourquoi « o/l », ou « 0/1 » ? D’une part, parce que les œuvres véritables sont absentes : 0. D’autre part, parce qu’à partir de cette absence, je constitue malgré tout quelque chose de présent artistiquement : 1. La troisième installation de la série liera ainsi le tout, en créant une symbiose entre ces deux états.

elle-même. Ton installation, en l’occurrence, c’est du discours.

Tout-à-fait, mais je ne dirais pas pour autant que l’œuvre disparaît. En revanche, ce qui s’élargit, c’est le champ d’exploration artistique - ou plutôt, ce qui disparaît, c’est la définition traditionnelle de ce qui constitue une œuvre. On doit repenser les domaines permettant l’émergence d’une forme artistique. Puisqu’on parle de post-modernité, on peut aussi parler de post-production. Car justement, sans jeu de mots, une grande partie de ma production est constituée de « post »ers, de cartes « post »ales, de tout un tas de choses « qui viennent après » l’œuvre, donc en un sens : de post-production. Ainsi, l’art est à même de surgir dans une surface inédite - celle qui jusqu’ici, était réservée à la pure médiation de l’œuvre.

Créé à l’initiative de The Absolut Company, le Point Perché est un espace qui accueille régulièrement des concerts, performances, conférences et

Est-ce pour cette raison que ton installation com-

projections au Palais de Tokyo.

porte « Dual Air » dans son titre ? Parce qu’il

Toute l’actualité du Point Perché sur

s’agit de deux espaces mentaux projetés - celui

www.lepointperché.com

où les œuvres sont présentes et celui où elles sont 29 —

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média T/ Manon Troppo P/ Dom Garcia

ALISTER “Je fais gaffe à ce qu’on ne jargonne pas trop, et qu’on aille « vers » le lecteur.” On le connaissait auteur-chanteur-compositeur. On l’a découvert concepteur et rédacteur en chef de

connaissance, d’une expertise sur les sujets. Même si c’est sur la Suze.

la revue Schnock. Alister participe aujourd’hui au lancement de Chic Fille, elle aussi vendue en librai-

Schnock se différencie en mettant à la Une des per-

rie. Un peu de décalé, un chouia de nostalgie, pas

sonnalités désuètes, c’est par réel amour pour ces

mal d’humour, beaucoup d’idées, et un paquet de

« idoles » ?

clopes.

Il y a de ça. Il faut vraiment qu’en amont on ait de l’affection pour eux. La désuétude n’est pas le critère premier. Il faut qu’on en parle comme nous estimons intéressant d’en parler, ce qu’on a fait sur Coluche ou Gainsbourg. Ne pas hésiter à casser les mythes, ce qui rentre aussi dans l’exigence de liberté de ton.

Schnock a passé le cap des 3 ans ! Ca marche bien, donc ?

Oui, on a atteint notre vitesse de croisière autour de 10 000 exemplaires par numéro. Les débuts se sont faits rapidement, le plus dur est de maintenir ce succès. On a un lectorat fidèle, qu’il faut alimenter. J’étais frustré de ne pas lire certaines choses dans la presse : des articles creusés sur des œuvres ou des artistes français considérés comme « populaires ». Marielle, Yanne, Lear… Sans tomber dans le foutage de gueule ou le ringard. On voulait traiter sérieusement de choses qui ne le sont pas. J’avais envie aussi d’une liberté dans le ton, et l’écriture empêche la revue de se prendre trop au sérieux. Ce qu’on peut appeler de l’humour. On y sent un réel plaisir à écrire de la part des journalistes.

Je fais gaffe à ce qu’on ne jargonne pas trop, et qu’on aille « vers » le lecteur. Et c’est pour le plaisir, oui. Mais ce plaisir découle d’une 31 —

Mais on ne verra jamais la dernière actrice en vogue en Une, si ?

À priori, non. À moins qu’elle nous donne sa recette des tripes à la mode de Caen. Il se dégage un amour un peu décalé pour le passé, c’est le cas ?

C’est indubitable. Mais jamais dans l’hommage pompeux ou la célébration niaise. On se réapproprie l’époque, on fait le tri dedans, comme le feraient des conservateurs de musée. Tout n’était pas génial en 1974, loin de là, mais c’est un Panthéon imaginaire. C’est aussi une critique en creux d’aujourd’hui, mais je ne passe pas mes journées à regarder des films de Gabin ! Nuit


Alister

Si tu vivais à Paris à une autre époque, ce serait

Tu deviens chanteur quand c’est la crise du disque,

laquelle ? Tu sortirais où ?

tu lances une revue quand c’est la crise de la presse,

Bonne question. Pas très original : je vais dire le Montparnasse des années 20. Pour la concentration des talents, l’hétérogénéité des origines, la richesse de la création, blablabla. Me battre avec Hemingway à la Closerie.

c’est quoi ton prochain projet ? Monter un vidéoclub ?

Ha ha ha ! Que faudrait-il pour que les libraires ouvrent à nouveau la nuit ?

Je ne fais qu’y collaborer mais oui, on peut considérer que c’est la petite soeur de Schnock. Valentine Faure, qui l’a imaginée, est une amie qui a collaboré à Schnock.

Pas sûr qu’il y ait un public suffisant. À moins que cela soit multi-médias ou concept-store. En revanche, les libraires se défendent vraiment bien face à l’Amazonification du marché. Ils organisent des événements, dédicaces, etc. On leur doit une fière chandelle.

Où avez-vous trouvé ces sujets farfelus ? Vous écou-

Celle où il y a eu la fête de lancement de Chic Fille

tez les conversations éméchées dans les bars ?

par exemple, Le Thé des Écrivains ?

Valentine Faure a bien circonscrit les sujets de la revue. Mais ce ne sont pas les conversations des autres. Ce sont les nôtres. À jeun. C’est ça qui est inquiétant.

Voilà. Et d’autres comme Libres Champs Léa, Le monte en l’air, La Librairie des Batignolles…

Passons à Chic Fille, qui est aussi assez intemporelle, en marge.

Un peu de pub aux concurrents : quels mags papier apprécies-tu ?

Qu’est-ce qui fait de Chic Fille un féminin si aucun des sujets dits féminins n’y sont abordés ?

Il y a une vraie tentative de renouveler la figure imposée de la presse féminine. Avec la même exigence littéraire, sans se prendre trop au sérieux. Et surtout ne jamais prendre les lectrices pour des connes. Si tu étais une fille, tu serais quel genre de fille ?

Si j’étais une fille, j’essaierais d’être marrante. Je trouve ça toujours séduisant. Enfin, je ne sais pas si c’est le bon mot, « spirituelle » quoi.

Je lis Le Canard enchaîné. Et Ça m’intéresse, c’est bien foutu pour le métro ! Un conseil aux « petits jeunes » qui veulent lancer leur mag ?

Faites votre truc et proposez-le clés en main à des éditeurs. Que la ligne éditoriale, le sommaire, le graphisme soient déjà TRÈS avancés. Limiter au maximum les discussions de contenu. Ça fait gagner du temps. Et second conseil, pour tout le monde : sur quelle pensée s’endormir pour s’assurer un beau matin ?

Quand t’étais petit, tu voulais être chanteur, écrire, diriger une revue ?

J’avais un journal qui s’appelait « Ma chambre » : toute l’actualité de ma chambre. Mais en fait le point commun de tout ça c’est l’écriture et créer des objets un peu originaux, un peu à part, dans tous les domaines possibles. 32 —

Penser à la fonte des glaces : ça aide à relativiser le bullshit quotidien.

larevueschnock.com facebook.com/pages/CHIC-FILLE

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gonzo T/ Raphaël Breuil P/ MPK

Une soirée sobre “En fait danser sur de la minimale à jeun c’est super chiant.” C’est décidé. J’arrête de boire. Je vais bientôt avoir 30 ans, je pense qu’il est temps d’arrêter les conneries.

Sans déconner, la vie est courte et notre génération ne peut s’empêcher de passer un bon moment sans que celui-ci soit sponsorisé par Vikanov (une vodka pas chère), BrownCheep (une mauvaise copie de Redbull, pas chère) et Flotus (du pq qui éponge bien, pas cher). Seulement chroniquer le monde de la (sous) nuit sans picoler, c’est un peu comme si on arrivait à choper Tania Young et qu’on ne lui mettait que des doigts. Alors, c’est en mon âme et conscience que j’accepte de chroniquer pour un maigre salaire une autre soirée « du peuple », tout ça pour faire rigoler quatre zigotos qui lisent le Bonbon Nuit au Rex parce que le Dj de 5h du mat’ est tout ripou. Je suis allé à la soirée d’un de ces nouveaux collectifs à la mode qui s’inspirent des concepts berlinois : des lieux pourris, des horaires décalés (ici en plein après-midi), de la musique de drogués... Mais à 16h de l’aprèm et complètement sobre, c’est pas la même limonade. Ici, toutes les règles sont respectées. Un petit cirque abandonné, deux dancefloors, un parfait décor de film d’horreur. 35 —

Bien sûr ce genre d’endroit ne se trouve pas être intra-muros. Bah non, the place to be ne se trouve pas entre un food-truck de burgers éphémère et un vide-showroom-dressing-vintage du Marais. Ça serait pas rigolo. On distingue néanmoins une belle poignée de hipsters et de gens cool, ce genre d’anciens baba cool qui ont gardé le côté « on se met de la peinture fluo cancérigène sur le torse » pour trouver une raison de montrer les résultats de leur abonnement au Club Med World de Paris Bercy. C’est un peu le premier problème que je rencontre face à la sobriété : le jugement d’autrui. Réfléchissez-y à deux fois. Quel est le seul endroit où l’on ne boit généralement pas d’alcool ? Au boulot ! En effet, à part peut-être chez les maçons et dans les rédactions du Nouvel Obs, il est très mal vu de boire un gros Ricard avec des cahuettes pendant une présentation Power Point du budg’ pour des ascenseurs à escaliers de vieux. Et quel est l’endroit où l’on déteste le plus les gens : le bureau aussi. Coïncidence ? Je ne crois pas. Sobre, on déteste tout le monde. Mais revenons à nos moutons, c’est le cas de le dire car j’en suis à la file d’attente. Les deux heures de queue sont dues à une kaporal au check point. Une meuf vigile qui scrute chaque recoin de foufoune de toutes les meufs pendant Nuit


Gonzo

“Je lui fais profiter de mes réflexions, et bois un peu d’eau croupie des chiottes de banlieue dans sa bouteille de plancoët.”

mille ans. Le but de cette fouille : trouver de la drogue pour empêcher qu’un connard mort ne gâche la fête. Je suis assez d’accord avec cette politique drastique. Peut-être aurais-je l’occasion de rencontrer quelqu’un qui m’accompagnera dans mes vœux de chasteté. En tout cas la fouille est assez agréable à regarder. Elle passe partout, caresse les seins, palpe les p’tites fefesses. C’est assez excitant. J’imagine un film de boule qui s’appellerait “La Videuse”. J’ai d’un coup une forte envie de placer un kil’ de péruvienne dans mon slip de Dim. En tout cas sa politique ne fait pas que des heureux. Il y a des post-ados qui pleurent leurs cachetons perdus devant l’entrée. On se croirait presque aux résultats du bac. Plus loin sur le côté, des videurs fument les pétards trouvés. Le cycle de la vie à l’échelle des pignoufs. Mais au moins, c’est sûr, ce n’est pas le genre de soirée où l’on va trouver de la drogue ! La fête est sympa. Non sans rire, après quelques verres et un coup de Vix Vaporub, je me serais amusé comme une petite fofolle. Mais là rien n’y fait. Je vais parler à des mecs en descente sur le sable. Interview : - Ça va les gars vous passez une bonne soirée ? - Ouais délire ! Tiens bois un coup, j’ai mis un para. - Non merci. J’aimerais passer une soirée saine ! - VAS-Y AMUSE-TOI LÀ ! - Mais je m’éCLATE figurez-vous ! Whaou ! - PUTAIN BOIS UN COUP LA PUTAIN ! Cette dernière roule une pelle à son collègue de travail creuvard (qui est aussi sobre que moi) et lui vomit sur les chaussures.

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Gonzo

Je décide alors d’aller danser. Ces rythmes sont entêtants et ces petits sons sont « énormes ». Moi perso ça me fait chier. Après avoir jeté un coup d’œil à mon 3310 pour faire un Snake II en dansant, je me rends compte que ça fait à peine 2 minutes que je suis en train de faire le clown. En fait danser sur de la minimale à jeun c’est super chiant. Tu te mets à zieuter tout le monde. Les yeux révulsés, on dirait un sermon de secte dans le Vercors, sauf que le prêtre est un guignol à moustache sur un Macintosh qui fait semblant de tourner des boutons quand ça se vénère. Chacun masse les épaules de la personne devant. Et tout le monde aime son prochain. Alors que dans la vie tu peux pas le blairer. Des jeunes effrontés aux lèvres sèches se prennent la bouche sans vraiment se connaître, le tout sur un rythme répétitif et aliénant. Je vois une fille qui danse, à priori aussi sobre que moi. Je lui fais profiter de mes réflexions, et bois un peu d’eau croupie des chiottes de banlieue dans sa bouteille de Plancoët.

Je me dirige vers le bar (après une heure de queue). « Salut ! Je peux avoir un Coca steuplé ? », dis-je à la barmaid après a voir tenté de m’imposer pendant une heure sans qu’elle ne me calcule. « C’est une blague ? On n’a presque plus d’alcool du coup on le garde pour les whisky-Coca. Next. » Putain mais normalement boire du Coca c’est cool. À priori pas ici. Je prends une petite bière, c’est pas la p’tite bête qui va manger la grosse. Et je me retrouve au « dancefloor des guédros ». Dans une soirée berlinoise, il y a toujours cette piste de danse à part qui attire beaucoup moins de monde car la musique est plus pointue (entendez plus chiante). Ici, c’est une autre sphère. La musique est insupportable. Les basses font trembler l’estomac, on est à deux doigts de la syncope.

J’avais un peu soif. Elle avait fait tomber une feuille à rouler dedans mais sinon ça m’a fait du bien.

Le Dj mixe son son avec des extraits sonores de films de cul. C’est terriblement excitant. Je me prends à être terriblement séduit par cette prouesse d’un virtuose qui ne doit pas être rabaissé au rang d’un simple Dj tellement son talent est visible. Ohlala c’est génial la minimale sérieux. La chanson dure plus de 4 heures, à peine je me concentre que la nuit est déjà tombée.

« C’est marrant, plus l’heure passe, plus tous ceux qui sont là n’ont rien prévu pour le lendemain matin, et pourtant c’est un lundi. Que ce soit ceux qui vont se lever pour bosser, ou ceux qui vont remettre ça demain après un rendez-vous chez Pôle Emploi, tous oublient leurs angoisses sur des tempos abrutissants, cloués au sol par des substances hors de prix. C’est marrant non ? »

C’est dingue ce que le soleil se couche vite en banlieue. Et cette femme de 100 kilos avec qui je danse depuis tout à l’heure. Qu’elle est gracieuse et sympa. Son nom c’est Cécimafilyu, enfin c’est ce que j’ai compris, c’est une copine de Jean Michtrou, mon meilleur pote que j’ai rencontré à l’école je crois. Il y a 10 minutes. Je retrouve mes amis qui me boudaient au début.

« Non, pas trop », me répond-elle très fort sans trop me regarder, complètement saoulée. Elle continue à danser sans me calculer. Je repars chercher le possible amusement et entend un « booooriiiing » derrière moi. Tout le monde semblait penser la même chose. Ne pas boire, ça rend un peu parano.

- T’as pris quoi mec ? - Rien du tout ! De toute façon on ne peut rien ramener alors…

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Y’a pas à chier, les soirées sobre, ça déchire !

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© graffitivre.tumblr.com


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métier de l’ombre T/ Paul Owen Briaud P/ Pavel Linguine

Salaire : minimale “Non mais c’est le meilleur taf que j’aurai jamais !” La meuf en jette un paquet. Toujours au taquet, fluette, garçon manqué mais coquette, avec la tchatche d’un camelot et un petit boule de compèt’. Elle prend ses sous à la cool, mais joue des coudes dans la foule au gré des aller-retour, pousse les zouz avec amour sans trop s’attirer de foudres, et vérifie que tout roule jusqu’à ce que le jour retourne. Elle

chaque soirée, ils partagent toujours les tips. » Et les runners se retrouvent avec 100 euros environ de pourboire à ajouter à 200 balles de paie pour une nuit de travail. « S’teuplaît, en gros, on me paie pour venir dans les soirées où n’importe comment j’aurais payé pour entrer, pour écouter du son, boire et prendre de la D. ! »

accomplit sa mission, qui donne le smile et défoule, avec panache et passion, entre parach’ et gros son, s’attache à ramener les verres, ramasse les tessons par terre, et pour couronner le tout, elle secourt ceux qui prennent cher… À la différence de vous, jamais son taf ne la saoule : elle peut s’atteler à sa tâche en agitant son derrière.

Normalement, c’est un job de mec, mais on comprend vite de quoi elle est cap’. Plus vive, débrouillarde, et mordante que quiconque, elle n’est pas du genre à s’en laisser conter. « Je suis venue un jour, sans prévenir, remplacer un pote qui était trop foncedé pour taffer ; on m’a regardée comme si c’était une blague mais j’ai insisté… » et maintenant elle est en charge de l’équipe de runners convoqués à chaque événement, chargés, en gros, de ramener les bouteilles vides qui trainent en salle, de réapprovisionner le staff en caisses d’alcool, et de faire des aller-retour entre le bar et la benne pour fluidifier le service des barmen. « Ils sont trop cool, et ils ont beau être une dizaine à 41 —

Ça la change de ses minables jobs d’étudiante à trois sous de l’heure. « Non mais c’est le meilleur taf que j’aurai jamais ! Je bois à l’œil, je rigole trop, si je disparais 30 minutes, personne s’en aperçoit, et je fais rentrer mes potes gratos ! Haha c’est trop drôle ! » Ma foi, que du kif, en somme. Elle peut même presque se targuer de sauver des vies en s’amusant. « Ce que je préfère, c’est être la première à secourir les personnes qui font un malaise, ou qui prennent une montée trop violente ; si leurs potes sont trop à la ramasse, les gens ont le temps de mourir avant que qui que ce soit remarque le moindre problème. Tu sais c’est quoi le plus drôle ? Je ramasse de tout à force d’avoir les yeux rivés par terre. Des paras, des oinj, des thunes, laisse tomber. Après, si je trouve un portable ou un portefeuille, je le ramène au vestiaire, en disant que je vérifierai sur la page de l’événement qu’ils les ont bien déclarés parmi les objets trouvés. En vrai, je le fais jamais, je suis trop dans le mal le lendemain, haha ! »

Nuit


Cocktail T/ Vincent Kreyder P/ Hillel Schlegel

piconbière Dix ans. Dix ans déjà que le krach de 1929 a fait tomber chômeur l’essentiel de mes potos. Les rues de Paris ne sont plus vraiment ce qu’on pourrait appeler une sinécure, les petites gens, qui malgré l’artiche qui décarre, s’obstinent à rester dans le droit chemin, tournent à la flotte.

Et les voyous, quant à eux, sirotent une tisane de patate que renâclerait n’importe quel féru du Yang Tsé Qiang. J’ai les calots en face des orbites, je sais qu’on n’est pas ici pour toujours et que ce sont les petits plaisirs qu’on emportera avec nous dans la redingote en sapin, quand on calanchera. Moi, c’est mon demi de Picon dans un trocsif de Belleville. C’est pas le grand stupre, pour sûr, je ne connaîtrai jamais les cigares des amerloques, ni les filles du Sphynx, tout juste les fritures des ginguettes de Nogent. Mais ça me va, c’est mon opium populaire. Le dragon, je le chasse dans les zestes d’orange séchés, la gentiane et le quinquina. Je mire la valse des cocus tourbillonner dans un godet rempli de bulles caramel. Les amerloques, tiens, parlonsen : la trouvaille de Gaëtan Picon ils la goupillent pas avec de la bibine comme nous mais avec du whisky, du Martini et du Mascarpin. Un Brooklyn, ils appellent ça. Ironique, que sa gnôle, à Gaëtan, se retrouve assimilée aux mangeurs de 42 —

moules. Lui, le Marseillais, il l’a mise au monde début XIXe, enrôlé en Algérie, pour se requinquer d’une méchante fièvre. Il serait jouasse, cézig, si il savait combien de titis parigots avaient, à défaut de les noyer, appris à leurs chagrins à nager dans les limbes sirupeuses de sa mixture. Combien de zouaves dont le regard vide contemple conjointement l’existence et Ménilmontant, le béret vissé sur la boussole. On peut pas vraiment dire que je vienne vous pisser sur le clicheton, c’est vrai. Mais dans cet inconscient collectif très précis qui est le mien, le Picon-bière, c’est ça. Paname, la dèche, les brêmes. Moi, je ne m’en fais pas, la vie s’égoutte à mesure que l’histoire se répète, les guerres et la pauvreté nous font passer le temps une ou deux fois par siècle, on nous refourgue toujours les mêmes salades bectées par qui veut, mais dans le fond, on n’est jamais plus à l’abri qu’en terrasse. Les foies, je les réserve aux gamelles et l’amertume à mon gorgeon. De quoi se plaint-on ? Les rues de Paris sont à nous, on arrive toujours à se bricoler quelques fonds de poches pour siroter au comptoir, le casse-croûte est pas fameux mais l’humanité, depuis la nuit des temps, sait trouver de quoi s’occuper en attendant la prochaine guerre. Allez, amigo, rejoins-moi dans la Grande Cité et refaisons le monde au Picon-bière, je t’attends. Habemus Paname. Nuit


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Nuit


trousse de secours Ouvert toute la nuit !

Pharmacies de garde

Épicerie Shell

Chez Tina

84, av. des Champs-Élysées - 8e

6, boulevard Raspail - 7e

1, rue Lepic - 18e

≥ 01 45 62 02 41

≥ 7/7 — 24/24

≥j jusqu'à 4h30 / v≥s jusqu'à 7h

6, place de Clichy - 9e

Minimarket fruits et légumes

Boulangerie Salem

≥ 01 48 74 65 18

11, boulevard de Clichy - 9e

20, boulevard de Clichy - 18e ≥ 7/7 — 24/24

6, place Félix-Éboué - 12

≥ 7/7 — jusqu'à 7h

≥ 01 43 43 19 03

Alimentation 8 à Huit

Livraison médicaments 24/24

151, rue de la Convention - 15e

Fleuristes

≥ 01 42 42 42 50

≥ 7/7 — 24/24

Chez Violette, au Pot de fer fleuri

Supérette 77

78, rue Monge - 5e

Urgences

77, boulevard Barbès - 18e

≥ 01 45 35 17 42

SOS dépression

≥ mardi au dimanche jusqu'à 5h

Relais Fleury

e

≥ 08 92 70 12 38

114, rue Caulaincourt - 18e

Urgences psychiatrie

Resto

Se déplace sur région parisienne

L’Endroit, 67, place du Docteur-

≥ 01 46 06 63 97

≥ 01 40 47 04 47

Félix-Lobligeois 17e 01 42 29 50 00

Carwash

Drogue, alcool, tabac info service

≥ tlj de 11h à 1h, jeudi, vendredi,

Paris Autolavage 7/7 — 24/24

≥ 08 00 23 13 13 / 01 70 23 13 13

samedi de 10h à 5h

Porte de Clichy - 17e

Livraison sextoys

Tabac

Shopping

Commande en ligne

Tabac du Châtelet

Librairie Boulinier

www.sweet-delivery.fr

4, rue Saint-Denis - 1er

20, boulevard Saint-Michel - 6e

≥ 7/7 — jusqu'à 6h

≥ 7/7 — jusqu'à 3h

≥ jusqu'à 00h, m≥j jusqu'à 23h

Tabac Saint-Paul

Monoprix (Champs-Élysées)

Livraison alcool + food

127, rue Saint-Antoine - 4e

52 av. des Champs-Élysées - 8e

Nemo 01 47 03 33 84

≥ 7/7 — jusqu'à minuit

≥ du l. au s. jusqu’à 00h

≥ 7/7 — jusqu'à 6h

Le Pigalle

Faim de Nuit 01 43 44 04 88

22, boulevard de Clichy - 18e

Kiosques à journaux 24/24

≥ 7/7 — jusqu'à 7h

≥ vendredi et samedi jusqu'à 5h

38, av. des Champs-Élysées - 8e

Allô Hector 01 43 07 70 70

16, boulevard de la Madeleine - 8e

≥ 7/7 — jusqu'à 6h

Poste de nuit

2, boulevard Montmartre - 9e

Apéritissimo 01 48 74 34 66

52, rue du Louvre - 1er M° Louvre-

Place de Clichy - 18e

≥ 7/7 — jusqu'à 4h

Rivoli / Étienne-Marcel

Allô Glaçons

Boulangeries

53, rue de la Harpe - 5e

01 46 75 05 05 ≥ 7/7 — 24/24

Snac Time

≥ 01 44 07 38 89

97, boulevard Saint-Germain - 6e

20, rue du Fb Saint-Antoine - 12e

Épiceries

≥ 7/7 — 24/24

≥ 01 43 40 03 00

L'Épicerie de nuit

Boulangerie-pâtisserie

35, rue Claude-Bernard - 5e

99, avenue de Clichy - 17e

Envoyez-nous vos bons plans

≥ vendredi et samedi jusqu'à 3h30

≥ 7/7 — 24/24

ouverts la nuit : nuit@lebonbon.fr

Internet 24/24

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la playlist du mois P/ Laurene Berchoteau

S.R. KREBS

The Blue Nile - Tinseltown in the Rain

Chaque fois que j’entends cette chanson cela me fait penser à Los Angeles, au moment où le soleil se lève pour un homme alors que pour moi le soleil se couche. Intimatchine - Are You Rich ?

Je suis obsédée par ce duo underground de L.A. Je mets souvent ce morceau en boucle, tard dans la nuit. Saada Bonaire - More Than You Are

Tout est parfait dans cette chanson : les paroles, l’intensité de la prestation, l’attitude… cela me rappelle Paris, une romance fictive au milieu de la nuit. On connaissait la jolie Sarah

Vashti Bunyan - Glow Worms

Rebecca Krebs par le biais de

J’avais l’habitude d’écouter cette chanson à mes heures perdues le soir, attendant à la maison que mon copain rentre d’une soirée, déprimée.

Slove. Elle revient en solo pour la joie de nos oreilles avec un maxi de remix de son EP She Likes sur Her Majesty’s Ship. Elle nous avait

Pale Saints - Blue Flower

promis une playlist nocturne et

Les nuits dans le Mississippi, les trips sous acide, les hashbrowns au café du coin.

sexy, c’est enfin chose faite. Oh yeah.

Laraaji - Unicorns In Paradise

Parce que j’aime méditer avant de m’endormir. S.R. Krebs - Criminal (Cardini&Shaw forever cha mix)

Le seul remix que vous devriez écouter pendant vos heures les plus sombres (de rien !). Hayden James - Embrace

Voilà ce que j’écouterais pendant une chaude nuit d’été à New York avec un admirateur russe… Kurt Vile - In My Baby’s Arms

J’adore cette chanson et c’est exactement là que je voudrais être. Don Henley - Boys Of Summer

Imaginez une boombox et trois filles nues en train de nager dans une rivière, sous un ciel étoilé, avec une glacière remplie de bières.

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Bonbon Mai 68 Party - 06/05/14 47 —

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agenda La sélection du Bonbon Nuit

Lundi 2 juin 19h30 Cité de la Musique 26€

Samedi 7 juin 23h30 ZigZag 20€

Villette Sonique avec Nils Frahm, Chassol

Exploited Label Night avec Adana Twins, Round Table Knights, Shir Khan

Mercredi 4 juin 20h Trabendo 16€ In Paradisum X Villette Sonique avec Low Jack (Live),

Dimanche 8 juin 14h Parc de la Villette Gratuit

Prurient, Pharmakon, Sister Lodine

Villette Sonique avec Pilooski b2b JG Wilkes & +

Jeudi 5 juin 19h30 Grande Hall de la Villette 26€

Dimanche 8 juin 00h Rex Club 15€

Villette Sonique avec Four Tet (Live), Jon Hopkins

Weather Off avec Sebo K, Patrice Scott, Djebali

(Live), Factory Floor Dimanche 8 juin 23h Cabaret Sauvage 20€ Vendredi 6 juin

00h

Le Divan du Monde 12€

Villette Sonique avec Todd Terje (Live), Paranoid

La Bonbon Pécho Party avec Jerry

London (Live), Gavin Russom, Acid Arab, Shit Robot

Vendredi 6 juin 23h Cabaret Sauvage 20€

Dimanche 8 juin 00h Île Seguin 24€

Villette Sonique avec James Holden (Live), Andrew

Weather Festival avec Moodymann, Theo Parrish,

Weatherall b2b Daniel Avery, Ana Helder

Marcellus Pittman & +

Vendredi 6 juin 12h Concrète 15€

Vendredi 13 juin 23h30 ZigZag 10€

Weather Off avec Apollonia (Dan Ghenacia, Dyed

Oliver Koletzki, Huxley, Tibo’z

Soundorom, Shonky) Samedi 14 juin 00h Rex Club 15€ Vendredi 6 juin

18h

Institut du monde arabe 30€

Weather Festival avec Mount Kimbie (Live), The

45 Spéciale Infiné avec Danton Eeprom, Clara Moto, Mlle Caro

Moritz Von Oswald Trio (Live), Underground ResisJeudi 19 juin 23h30 Showcase 17€

tance (Live) & more

Dj Shadow & Guests Vendredi 6 juin 23h30 La Java 10€ Thank Mona it’s Friday avec Linkwood, Nick V,

Vendredi 20 juin 23h30 Showcase 10€

Wrecka Spinnazz Club

Robert Hood, Untold, Coni

Samedi 7 juin 14h Parc de la Villette Gratuit

Vendredi 20 juin 23h30 ZigZag 10€

Villette Sonique avec Pachanga Boys & +

Mobilee Paris avec Anja Schneider, Rodriguez Jr (Live), Lee Van Dowski

Samedi 7 juin 00h Rex Club 15€ Automatik avec Dusty Kid (Live), Celine Duval,

Samedi 28 juin 23h30 Showcase 20€

Loodboy

Free Your Funk & Super présentent: Kaytranada, Sango, STWO

Samedi 7 juin 19h30 Grande Halle de la Villette 32€ Villette Sonique avec Slowdive, Loop, Hookworms

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Envoyez votre prog à : louison@lebonbon.fr

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