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II. Constructon d’un regard sur le marché de la promoton immobilière

Fig 13. Visite du quarter Ginko avec l’agence, 2020. © Léa Andrieux

II. Construction d’un regard sur le marché de la promotion immobilière

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En termes de répartton de projets, l’agence est assez équilibrée, entre le public, l’urbanisme public, le privé et la promoton. Cependant, le logement mobilise plus de personnes et il est moins rentable. J’ai pu le constater au regard du projet que je suis car cela fait 7 ans qu’il est à l’agence depuis que les études de faisabilité ont débuté.

A l’agence, Nicolas Merlo (associé) est le référent logement. C’est tout naturellement qu’il encadre l’équipe sur le projet. Il faut faire preuve de beaucoup de recul et savoir prendre sur soi face à tous les changements et la complexité qui entourent une commande privée professionnelle. Il faut savoir être l’interlocuteur et faire le lien entre les promoteurs, mais aussi savoir dire les bons arguments au bon moment. Choisir ses mots et la démarche à adopter est très important. C’est un univers complexe où il faut être très lucide et terre à terre.

II.1 Premiers pas : le projet Dulong à Floirac

Je suis confrontée, depuis mon arrivée à l’agence, à un univers très partculier qu’est celui de la commande privée professionnelle. Il a été difcile pour moi au début de saisir tous les enjeux et le rôle de chacun, car l’aspect fnancier prend une part très importante. Ce marché de la promoton représente une part importante du chifre d’afaire de l’agence. C’est un type de marché qui partcipe à la constructon de la ville de demain et qui demande de tenir compte des enjeux en ce qui concerne le territoire, mais aussi les usagers. La producton de logements collectfs a souvent été pour ma part source de questonnements et d’inquiétudes quant à la densité, l’artfcialisaton des sols et une producton de plus en plus présente qui partcipe à l’étalement des villes. Les cours donnés à l’école sur la fabricaton de la ville en passant par les grands ensembles et les diférentes ZAC, ont commencé à soulever en moi des questonnements, des réfexions sur comment on fabrique la ville aujourd’hui et la grande difculté d’allier architecture – économie – environnement et confort des usagers.

Travailler sur ce type de commande me permet de comprendre et de saisir beaucoup d’enjeux auxquels doit faire face l’architecte ; une mission très intéressante et enrichissante, mais ponctuée de contraintes réduisant souvent le projet à des lignes essentelles.

II.1.1 Une adaptation constante

Depuis mon arrivée chez BLP & Associés, je travaille sur un projet de logements collectfs à Floirac, un projet de 225 logements dont la livraison est prévue pour 2024. La faisabilité de ce projet a débuté il y a environ sept ans et l’agence a pris le risque de ne pas signer de contrat dans le cadre de cete mission, mais d’investr du temps afn d’obtenir le marché. C’est un projet conséquent composé de quatre ilots que se partagent trois promoteurs immobiliers, chacun étant la maîtrise d’ouvrage de son ilot. Une coordinaton importante est donc nécessaire pour arriver à un ensemble cohérent.

La commande privée professionnelle est régie par un triptyque : Promoteurs – Architectes – Elus. Il faut en ce sens satsfaire toutes les partes. J’ai pu constater que la complexité réside autant dans la communicaton avec les acteurs que dans le discours tenu qui peut être variable selon l’interlocuteur. L’aspect politque est également un enjeu : Les électons municipales du mois de mars 2020 ont inquiété l’agence quant à l’aspect environnemental, car la ville de Floirac est désormais composée d’une municipalité très

atentve au développement durable et à la manière dont le projet est réféchi dans cete optque. Des réfexions et des discussions on été menées sur de potentelles labélisatons du projet, la qualité environnementale et l’accroche au territoire. L’architecte est en constante recherche d’équilibre entre les envies et les enjeux soulevés par la municipalité et les contraintes fnancières des promoteurs immobiliers. On ne veut pas de projet trop dense d’un côté et de l’autre il faut tel nombre de logements, telle surface de plancher à respecter. Le projet doit s’adapter et se réinventer souvent afn de combiner et d’associer au mieux chaque contrainte.

Je suis arrivée pendant la consttuton du permis d’aménager du projet. On se rend vite compte que les délais sont de plus en plus courts et la pression plus forte, mais on arrive à décaler les points d’étapes car d’importants changements surviennent assez régulièrement comme la programmaton par exemple. Nous sommes passés sur un des ilots d’une résidence services seniors avec des logements et un bâtment de logements type avec un mode constructf à respecter, à un ilot entèrement composés de logements. Des plans de logements de bâtments étaient déjà dessinés et ils ont été supprimés du projet. Quand la programmaton change, c’est tout un cahier des charges à revoir car le bailleur social qui intervient change également. C’est un travail très chronophage et lourd mentalement, l’architecte doit être capable de saisir les priorités et d’être réactf. C’est à ce moment que je saisis les propos d’Olivier Brochet quant à la non-rentabilité du logement au sein de l’agence. Aujourd’hui le projet mobilise six personnes.

La dépose du permis d’aménager au mois de décembre 2020 a été marquée par un changement de signataire, plusieurs fois, le jour même où il devait être déposé à la mairie. Il n’y a jamais de certtudes et tout peut être remis en queston. L’architecte est le lien entre élus et promoteurs pour assurer une compréhension maximale du projet et des intentons architecturales. Il n’est pas pour autant au courant de toutes les évolutons qui sont en train d’être menées. Il doit donc se tenir informé et prêt à agir.

II.1.2 Entre conception et réalité

Il était essentel pour moi, de saisir la réalité de telles constructons aujourd’hui dans le paysage urbain. Je suis allée me confronter à un chanter en cours à l’agence : le projet Amédée St Germain, à proximité de la gare Saint Jean qui est un ensemble immobilier. BLP & Associés est architecte mandataire de trois bâtments dont un en cotraitance avec une autre agence d’architecture, qui est plutôt avancé et dont la concepton ressemble fortement à un des ilots des logements à Floirac. Je suis saisie par l’ampleur du chanter et la prestance des bâtments. La concepton sur le projet Dulong à Floirac ne me permet pas de me projeter, de me rendre compte des

hauteurs, de l’impact au sol et sur le tssu existant. J’ai donc pu constater très vite le rapport à l ‘environnement immédiat et les espaces développés au cœur du projet.

Le quarter est majoritairement consttué d’un tssu d’échoppes allant jusqu’en R+2. Avec les soucis de compacité pour plus de rentabilité, certaines habitatons vont faire face à un bâtment épais d’une dizaine d’étages avec uniquement la largeur de la rue comme recul. Il y a un fort impact sur le tssu existant et une impression de non contnuité de celui-ci.

Il en est de même pour le confort des futurs habitants. Sur le projet Dulong, afn que les promoteurs rentabilisent leur bilan, tout est chifré au centmètre près, les surfaces de terrasses sont réduites, certains logements sont difcilement aménageables. Le confort des usagers est un peu oublié au proft de l’aspect fnancier, même si l’agence fait un travail minuteux sur ces sujets. Je me rends compte sur le chanter qu’une envie d’ofrir un soin à la qualité de vie est là : on distngue déjà des logements en double hauteur avec une belle et grande baie avec en contrebas un jardin, mais qui a un vis à vis très important avec le bâtment voisin à une dizaine de mètres. Toute la complexité est là : on densife en hauteur pour minimiser l’artfcialisaton des sols et l’étalement, mais on ofre habitants à expérimenter une ville dans la ville. Ce sont des problématques qui m’interpellent et m’intéressent.

II.1.3 Une réfexion environnementale soumise à contraintes

Une autre queston complexe englobe le marché de la promoton immobilière (tout comme les autres marchés) : l’impact environnemental et les solutons proposées en ce sens. Il est clair que c’est l’un des enjeux majeurs à expliciter lors de la commission d’avantprojet. Il est important aujourd’hui de comprendre comment et dans quelle mesure un projet de grande envergure comme le logement collectf aborde ces questons. Sur le projet Dulong, lors de la CAP, des points importants ont été évoqués quant aux enjeux de développement durable. Un travail est fait en collaboraton avec les paysagistes sur les notons d’ilots de fraicheur urbains. C’est grâce aux diférents revêtements de sols, jardins et arbres prévus dans le projet que cet aspect est calculé. Au-delà de la densité indéniable de l’ensemble, des jardins en cœur d’ilot prennent place ainsi que plusieurs venelles plantées. Il y a une volonté de réduire les revêtements imperméables. Ainsi, une seule voie principale goudronnée sera réalisée. Le reste des circulatons sera en revêtements perméables, pour d’un part réduire l’artfcialisaton du sol, et d’autre part respecter l’emprise pleine terre du PLU. Le projet prévoit également de réduire son empreinte carbone avec le réemploi des structures de voiries et parkings existants, mais aussi le réemploi des bâtments existants, en privilégiant la déconstructon plutôt que la

démoliton, ou encore le recyclage des bétons inertes soit en grave pour la route, soit en gravillons pour le béton. Le projet vise 50% de réemploi. Une réfexion est donc bien amorcée sur ce qui peut être réutlisé et transformé sur le chanter. Une atenton est donc portée sur la globalité du projet, ce qui l’est peut-être un peu moins sur les matériaux. Au-delà du béton du site qui sera en part recyclé, il est difcile face aux promoteurs de faire accepter des structures bois par exemple ou des matériaux biosourcés, même si paradoxalement, le promoteur MOA de l’ilot sur lequel je travaille a un pôle de développement durable avec beaucoup d’envies et d’ambitons, mais le budget ne permet pas de tout envisager. Les contraintes liées au PLU, mais aussi aux exigences de la mairie, permetent au groupement de maîtrise d’œuvre d’être plus ferme face aux promoteurs pour afrmer une qualité environnementale, sachant qu’aujourd’hui le BTP fait parte des industries les plus polluantes en France. Je regrete le manque d’engagement des promoteurs sur la qualité constructve en raison de contraintes de budget et de temps. L’agence a envie de faire évoluer les choses et je vois que des adaptatons sont possibles mais jusqu’à quelles limites ?

« Demain ne sera pas, comme l’écrit Michel Houellebecq, pareil « en un peu pire ». Je n’aimerais pas, en tous les cas, le penser. Il y a sûrement des efets positfs sur les projets. Peut-être un plus grand nombre d’humains se montreront adaptés à une vie plus simple et localisée. Nous devons réféchir à la producton d’un habitat qui revient à une certaine simplicité, éviter la compacité à tout prix que les entreprises actuelles prônent pour des raisons de rentabilité. Travailler à des notons de seuil, d’entre-deux, de territoires de rencontres et d’échanges entre les logements. C’est aussi un logement avec des habits trop grands, des limites plus foues, des zones d’expansion et de respiratons. Demain notre architecture devra contribuer à une ville plus naturelle moins agressive à l’égard de l’environnement, plus agréable à vivre. Tout ceci est en marche mais certains modèles dominants ont récemment ment, en détournant les objectfs salutaires énoncés. Sortons des faux-semblants de la communicaton pour rétablir une producton de l’habitat plus engagée fondée sur les notons de bien-être et d’échange. »8

II.1.4 Un marché complexe pour la réfexion sur les problématiques sociales et environnementales

Il est difcile aujourd’hui de se positonner dans ce marché en afchant des convictons et des envies. On est face à une situaton complexe entre le fait de construire en hauteur pour réduire l’artfcialisaton des sols et le rapport au territoire, mais aussi le confort des usagers. J’ai compris que la place de la créaton dans la concepton de ce type de marché est reléguée au second plan au proft de la réfexion fnancière, normatve et règlementaire, car les contrats fnanciers impliquent des prix de sorte au m2 qu’il faut respecter. Néanmoins, je découvre les solutons environnementales adaptées à ce type de projet et les eforts de l’agence pour afrmer leur posture et leurs convictons. Cela nourrit diféremment mon regard sur le logement collectf et ma volonté d’agir à une autre échelle.

Mon travail chez BLP & Associés n’est peut être pas ce à quoi j’aspirais à la sorte de l’école en terme d’échelle de projets, mais j’y trouve des points positfs et apprendre une autre méthodologie et un type de marché très contraint me permet d’accumuler beaucoup de connaissances en ce qui concerne les relatons et la communicaton entre les promoteurs et l’équipe de MOE, la communicaton interne à l’agence, l’organisaton… Cela m’apporte des réfexions complémentaires sur l’architecture d’aujourd’hui et celle que j’aimerais concevoir. Le logement collectf sur lequel je ne portais pas un regard très positf est devenu matère à réfexion et à un questonnement personnel. C’est un environnement de projet où j’ai également envie d’agir dans ma future pratque professionnelle.

Les nombreuses contraintes liées à ce type de marché et la difculté d’afrmer envies et convictons, me laissent penser qu’il est difcile d’en trer satsfacton. J’aimerais alors m’orienter vers des projets de taille plus modeste afn de pouvoir appréhender une autre méthodologie de travail et plus de souplesse face à la maîtrise d’ouvrage.

Fig 14. Maison du Parc Naturel et Régional du Gâtnais, Milly-la-forêt, MOE Agence d’architecture Joly & Loiret, MOA Conseil général de l’Essonne, 2013. © Agence d’architecture Joly & Loiret

Projet passif Matériaux locaux : pierre de Grès local, bois de douglas français, terre crue et isolaton chanvre.

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