Reveil des combattants mai 14

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L’EURO… EN SORTIR OU PAS ?

ILS RACONTENT LEUR VIE DE «SMICARDS»

le réveil mai 2014 - N°803 - 5 e

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SUR LES RUINES DE LA MORALE : ORADOUR-SUR-GLANE

des combattants

Pour l’amitié, la solidarité, la mémoire, l’antifascisme et la paix

l'avenir de la France en danger réaffirmons nos exigences de souveraineté dans l'intérêt du pays, de l'europe Le journal des droits de tous les anciens combattants et victimes de guerre


LE RÉVEIL actualités

Exposition

Dans le cadre du centenaire de la Première Guerre mondiale Barbusse, combattant de la paix et du progrès social, auteur du Feu, Prix Goncourt en 1916 et fondateur de l’ARAC en 1917 avec Paul Vaillant-Couturier, Georges Bruyère et Raymond Lefebvre.

• 9 panneaux, format 85 X 160 cm • A commander au siège de l’ARAC - Tél. 01 42 11 11 12 • Achat : 700 e • Location : 150 e la semaine • Frais de port : 10 e L’exposition est consultable sur le site : www.le-reveil-des-combattants.fr

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ÉdIto LE RÉVEIL

l’avenir De la France en DanGer

sommaIRE actualités Gel des retraites et des prestations sociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 L’euro, en sortir ou pas ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 Les capitaux français quittent la France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 Service public et construction européenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 Ils racontent leur vie de « smicard » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 international Italie : le Jobs Act, une nouvelle attaque des salariés. . . . . . . . . . . . . . . . 10 Ukraine : qui veut la peau de l’accord de Genève ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Ukraine : pourquoi Washington souffle sur la braise . . . . . . . . . . . . . 12 Grèce : 16 chiffres qui montrent qui paye la crise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 vos droits Alerte à l’ONAC ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 vie de l’arac Soirée d’études du BN de l’ARAC avec Anicet Le Pors . . . . . . . . . . . 22 Voyage au Vietnam et au Cambodge. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24 La vie des comités. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 mémoire La bataille de Tulle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 magazine p. 31

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sur les ruines De la morale : oraDour-sur-Glane une consÉQuence De l’iDÉoloGie naZie www.le-reveil-des-combattants.fr LE RÉVEIL DES COMBATTANTS Fondé en 1931 par Henri-Barbusse Mensuel de l’Association républicaine des anciens combattants et victimes de guerre. commission paritaire n° 0713-a 06545 Édité par les Éditions du Réveil des Combattants SARL au capital de 45 734,41 - Siret : 572 052 991 000 39 2, place du Méridien, 94807 Villejuif cedex Téléphone : 01 42 11 11 12 Télécopie : 01 42 11 11 10 reveil-des-combattants@wanadoo.fr

Gérant Directeur de la publication : Raphaël

Tirage : 60 000 exemplaires

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Vahé • Directeur délégué - Rédacteur en chef : Patrick staat • Comité de Rédaction : Brigitte canévêt, Hervé Corzani, Jean-Pierre Delahaye, André Fillère, Laurence Gorain• Service photos : Jeanclaude Fèvre • Administratrice : Annick Chevalier • Secrétariat de rédaction, conception graphique : Escalier d communication • Impression : RIVET P.E. - 24 rue Claude-Henri-Gorceix,

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ourquoi ne pas entendre le cri du peuple exprimé lors des élections municipales ? La France, les Français souffrent de cette politique qui tourne le dos à l’intérêt collectif. Non la France n’est pas pauvre. Il suffit de voir le montant des dividendes perçus par les actionnaires du CAC 40. L’ampleur de l’évasion fiscale en France représente 80 milliards d’euros (16 % du PIB). Il y aurait de quoi renflouer les déficits. En 2002, 383 assujettis à l’ISF auraient quitté la France. En 2012, ils étaient 717. Et en 2014 ? Ces réalités mènent à la colère, au rejet de la politique, à l’abstention. Elles nourrissent l’extrême droite. Les Français sont de plus en plus favorables à une sortie de l’Europe (49 %), 70 % pensent que la politique économique et sociale de l’Union Européenne pourrait entraîner une montée du chômage, 63 % qu’elle conduit à une baisse de la protection sociale, 52 % à une perte de notre identité nationale. Ils sont 41 % à juger que l’appartenance à l’Union Européenne est plutôt un inconvénient dans la résolution de la crise. Rien d’inexorable, de fatal dans la situation de la France. Nous devons nous opposer à toute politique visant : • A faire de l’Europe un grand marché, • A nier l’histoire et la construction de chaque nation, • A taire la démocratie et à mettre en place un gouvernement fédéral désigné et non élu. Cette politique met en concurrence les peuples, nivelle par le bas les acquis sociaux, baisse les salaires. Cette politique conduit à la misère, au recul des civilisations. Voilà pourquoi l’ARAC demande : • Que soient respectées la Nation et sa souveraineté, • Que l’euro, outil de la finance, soit aboli au profit d’une monnaie commune, garante de la souveraineté et de la coopération entre les peuples, • Que soient examinés tous les scenarii et leurs conséquences d’un désengagement de l’euro, • Que soit organisé un référendum national sur ces questions, • Que soit posé le retrait de la France de l’OTAN, • Qu’un grand débat soit lancé sur une nouvelle construction européenne faisant fi des traités actuels. La politique menée par les gouvernements successifs et accentuée par M. Valls affaiblit notre pays, sa place, son rôle dans le monde. Elle est contraire à l’intérêt des générations de Français qui ont construit notre Nation. Le 25 mai avec l’ARAC, réaffirmons nos exigences, soyons vigilants dans l’intérêt des salariés, des retraités, des anciens combattants, de tous ceux attachés aux valeurs de la République. Patrick Staat LE RÉVEIL - N° 803 - maI 2014

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Retraites et prestations sociales Gel jusqu’en octobre 2015 La prochaine revalorisation des prestations sociales n’interviendra pas avant dix-huit mois. Une mesure d’économies sans précédent. Aucun gouvernement ne l’avait fait jusqu’à présent. Manuel Valls a annoncé le gel de toutes les prestations sociales pendant 18 mois. Les retraites, les allocations familiales, les aides à la garde d’enfant et au logement seront concernées. Seuls les minima sociaux comme le RSA ou le minimum vieillesse seront épargnés par ce large coup de rabot. Les prestations sont habituellement revalorisées tous les ans, au même rythme que l’inflation. Cela ne sera provisoirement plus le cas. La prochaine augmentation n’interviendra qu’en octobre 2015. Autrement dit, pendant un an et demi, tous les retraités - ils sont plus de 15 millions - vont voir leur pouvoir d’achat reculer. Il en sera de même pour près de 7 millions de foyers avec enfant et plus de 6 millions de bénéficiaires d’aides au logement. Ce gel « n’ira pas au-delà de 2015 », le Premier ministre en a pris « l’engagement » sur France 2.

Une mesure très impopulaire, mais qui rapporte beaucoup Manuel Valls et François Hollande ont hésité avant d’annoncer ce tour de vis généralisé. L’exécutif est conscient que la mesure sera très impopulaire dans l’opinion. Elle est considérée comme

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« injuste » par une bonne partie de la majorité parce qu’elle frappe tous les allocataires, quel que soit leur niveau de revenus. S’il a néanmoins décidé d’aller dans cette direction, c’est que la mesure rapporte beaucoup : 2 milliards d’euros d’économies d’un coup d’ici à 2017, dont 1,3 milliard pour les seules retraites de base. Pour réaliser le même volume d’économies, il aurait fallu réformer une par une telle ou telle allocation, voire en supprimer certaines, en pénalisant des populations certes moins nombreuses mais de façon plus douloureuse à chaque fois. L’exécutif espère que le gel des prestations passera plus facilement, en tout cas pour les ménages relativement aisés, d’autant que l’inflation est tombée à un niveau historiquement faible. Il n’empêche, cette mesure d’économie est historique. Le gouvernement Fillon avait gelé les prestations familiales pendant trois mois en 2012. Le gouvernement Ayrault a lui aussi décalé la revalorisation des pensions de six mois, dans le cadre de la réforme des retraites votée l’an dernier. Cette foisci, le gel est généralisé et il durera plus longtemps. Il viendra même amputer le plan de lutte contre la pauvreté, annoncé par Jean-Marc Ayrault fin 2012 : le RSA et deux prestations pour les familles modestes ne bénéficieront pas du coup de pouce promis avant octobre 2015.

Appel aux partenaires sociaux Le plan d’économies pour la protection sociale -11 milliards d’euros hors assurance-maladie - ne s’arrête pas là. Manuel Valls a annoncé de nouvelles mesures d’économies pour la branche famille, en plus du gel. Les caisses de Sécurité sociale devront réduire leurs coûts de gestion à hauteur de 1,2 milliard d’euros. Cela se traduira par des baisses d’effectifs, déjà dénoncées par les syndicats. Le gouvernement fait aussi largement appel aux partenaires sociaux, qui gèrent

les régimes de retraite complémentaire (Agirc-Arrco) et d’assurance-chômage (Unedic). Il leur demande de réaliser pas moins de 4 milliards d’économies avant la fin du quinquennat ! L’objectif est d’autant plus ambitieux que le patronat et les syndicats ont déjà signé des accords qui réduisent les dépenses. A l’Agirc-Arrco, les pensions sont revalorisées moins vite que l’inflation en 2013, 2014 et 2015. L’exécutif espère qu’ils prolongeront cette mesure de désindexation jusqu’en 2017. « Ce n’est pas déraisonnable », estime une source gouvernementale. Les syndicats ne sont pas de cet avis. « Le Premier ministre reprend à son compte les exigences du patronat. Il lui ouvre un boulevard avant même l’ouverture de la négociation », déplore Philippe Pihet, vice-président (FO) de l’Arrco.

La prime de naissance dans le viseur La réforme de la politique familiale, démarrée l’an dernier, sera « poursuivie », a annoncé Manuel Valls. Le gouvernement compte ainsi économiser 800 millions d’euros supplémentaires. Le Premier ministre n’a donné aucun détail, mais plusieurs prestations pourraient être concernées selon nos informations. A commencer par la prime de naissance, une allocation de 923 euros attribuée au 7e mois de grossesse. Autre prestation qui pourrait être réformée, le complément de libre choix d’activité, versé aux parents qui ont pris un congé parental. Une réforme, déjà engagée, prévoit d’en réserver une partie aux pères. Étant donné qu’une grande majorité d’entre eux ne demanderont pas cette prestation, le gouvernement en attend des économies. Le complément de mode de garde, une aide à la garde d’enfants par une assistante maternelle, pourrait lui aussi être réformé. Vincent Collen Les Échos du 17 avril 2014


ACTUALITÉS LE RÉVEIL

L’euro : en sortir… ou pas ? Sortir de l’euro ? Longtemps, la question a été taboue en France. Elle sera au cœur des débats à l’occasion des élections européennes, le 25 mai. Deux économistes de renom en débattent : Philippe Chalmin, professeur à l’université Paris-Dauphine et Jacques Sapir, directeur de recherches à l’EHESS. Une monnaie est quelque chose qui est à la fois très familier et très complexe. En tant qu’économistes, comment définissez-vous une monnaie en général et l’euro, monnaie unique, en particulier ? Jacques Sapir : Une monnaie remplit trois fonctions économiques. La plus évidente pour tous est celle de servir d’instrument d’échange utilisé par tout un chacun pour vendre ou acheter ce qu’il veut. Mais une monnaie sert aussi, au même titre que l’immobilier ou les actions, de réserve de valeurs pour se constituer une épargne. Elle joue enfin un rôle d’unité de compte qui permet d’exprimer la valeur de tous les biens et services avec une mesure commune. Ce cadre général posé, la spécificité d’une zone monétaire unique est de faire fonctionner différents pays avec une même monnaie, à l’exclusion de tout autre, ce qui revient à les considérer comme des régions d’une sorte de méta-pays. Et c’est bien là que le bât blesse. Car de deux choses l’une : ou le méta-pays s’organise assez rapidement comme cela a été le cas des treize colonies américaines qui ont formé les États-Unis, ou la zone monétaire éclate comme ce fut le cas de l’Union nordique, au début des années 1930, faute d’entente entre la Suède, le Danemark et la Norvège. La zone euro n’échappera pas à cette règle. Philippe Chalmin : J’ajouterai deux précisions. Le statut particulier d’une monnaie est d’être signe éminent de souveraineté. C’est le pouvoir du souverain de « battre monnaie ». Dès lors, le terme ultime d’une zone monétaire est d’être appuyée sur un État fédéral unifié, ce que n’est pas, du moins pas encore, l’Union européenne. Subtilité supplémentaire : jusqu’à la Première Guerre

mondiale, nous avons vécu dans un système d’étalon or ou argent dans lequel la monnaie avait une valeur traduisible dans un poids de métal précieux. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, où toutes les monnaies fluctuent les unes par rapport aux autres et où le dollar est la mesure de toute chose. C’est dans ce contexte qu’il faut appréhender la question de l’euro comme une expérience unique, sans équivalent dans l’histoire. La question de l’euro s’impose comme l’un des grands thèmes de la campagne pour les élections européennes prévues le 25 mai. Or, ce débat reste d’une certaine manière tabou en France ? Pourquoi, selon vous ? P.C. : Le débat a tout de même eu lieu, en 1992, au moment du référendum sur le traité de Maastricht qui institue l’Union européenne et précise les conditions du futur passage à la monnaie unique. Je me souviens en particulier de l’échange, resté célèbre grâce à la télévision, entre Philippe Séguin, qui était hostile, et le président François Mitterrand dans le grand amphi de la Sorbonne ! J.S. : Oui, mais dès 1993, le débat va rapidement s’étioler alors que la question reste posée dans l’opinion comme le montre la victoire du « non » au référendum de 2005 sur le traité établissant une constitution pour l’Europe. Or, tous ceux qui, comme moi, ont essayé de poser les problèmes de la zone euro sont restés inaudibles pendant des années. Un phénomène dont je peine à trouver l’explication rationnelle. P.C. : La raison me paraît simple dans le cas français. Si le passage à l’euro suscite au départ quelques inquiétudes, notamment parce que le pouvoir d’achat

paraît entamé, peu de voix discordantes s’élèvent à l’époque parce que la France connaît, au tournant des années 2000, une croissance de 4 %, bien plus forte que dans le reste de l’Europe. On est alors sur un petit nuage rose et tout le monde se réjouit de faire aussi bien, sinon mieux, que l’Allemagne. De même, la plupart des experts estiment que l’euro a permis d’éviter le chaos monétaire lors de la crise financière de 2007-2008. Les critiques de l’euro réapparaissent en 2010-2011 pour dénoncer la politique, un rien obtuse il est vrai, de la Banque centrale européenne (BCE), mais aussi face à l’incapacité de la France à régler ses propres problèmes. Il est alors tentant, pour certains, de dire : c’est la faute à l’Europe. J.S. : Le vrai tournant se situe, selon moi, à l’été 2009, avec le déclenchement de la crise grecque. Celle-ci s’explique, en grande partie, par la hausse d’un euro qui se trouve surévalué par rapport au dollar. Du coup, les produits et services grecs deviennent moins compétitifs sur le marché international, ce qui provoque la chute du commerce extérieur et, à la suite, la baisse des recettes fiscales d’un État grec qui va s’endetter à l’excès. A l’époque, j’ai écrit plusieurs articles pour démonter ce mécanisme et tirer la sonnette d’alarme. Or, si tous les dirigeants et chefs d’entreprise que je rencontrais me disaient, en privé : « Vous avez raison », ils ajoutaient aussitôt : « Mais je ne le dirai jamais publiquement pour ne pas compromettre ma position. » P.C. : L’affaire grecque met surtout en exergue la légèreté avec laquelle on a intégré un pays qui ne méritait pas de l’être ! J.S. : La Grèce ne représente que 3,5 % de la richesse produite dans la zone euro. Le fond du problème n’est pas là… Où est le problème ? J.S. : Je l’ai dit dès le départ : un défaut de conception originel. Que s’est-il passé en réalité ? Face aux difficultés qu’elle rencontre en 2000-2001, notamment après la réunification, l’Allemagne va décider de pratiquer une stratégie non coopérative et profiter des politiques LE RÉVEIL - N° 803 - mai 2014

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© Mark Renders / Getty Images /afp

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menées par les autres pays d’Europe, en particulier la France. Le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder décide en effet de réduire massivement les charges de ses entreprises pour les transférer sur les consommateurs. Cela revient à réduire la demande interne et à doper la compétitivité de l’industrie allemande face à ses voisins immédiats. L’Allemagne aurait donc imposé la monnaie unique pour son plus grand profit ? J.S. : Qu’elle ait imposé l’euro n’est pas exact, mais elle sait en tirer profit en pratiquant une politique égoïste, qui consiste à se développer aux crochets des autres pays de la zone euro. Une partie des Allemands en ont d’ailleurs payé le prix car on a vu se développer une marée noire de gens à faible salaire et sans garantie sociale. P.C. : L’Allemagne a pratiqué une forme de dévaluation par les coûts, c’est vrai. On peut dire que c’est très mal, comme vous le faites. Mais on peut aussi saluer le courage politique d’un dirigeant qui a fait les réformes nécessaires. Regardons la courbe du chômage : en 2001, l’Allemagne était à 12 % de chômage et la France à 8 %. Aujourd’hui, l’Allemagne est à 6,5 % et nous à 11 % ! Je constate que l’Allemagne a su s’adapter quand, à l’inverse, la France n’a pas su réagir. Coller sur le dos des Allemands ce qui relève de la responsabilité de nos élites, de droite comme de gauche, me paraît un raisonnement spécieux. LE RÉVEIL - N° 803 - mai 2014

J.S. : Sauf que la stratégie allemande ne peut pas être appliquée par la France pour une raison simple qui tient à la démographie. L’Allemagne est un pays à faible natalité qui décroît rapidement alors que la population française, elle, progresse. En 2003, le rapport des jeunes entrant sur le marché du travail était ainsi de 3 pour notre pays contre 1 outre-Rhin. Résultat : en Allemagne, le chômage baisse de manière mécanique du fait de la baisse de la population active, alors que la France connaît la situation inverse. Cette pression oblige nos gouvernants à maintenir une politique relativement expansionniste. Si l’Allemagne avait connu le même dynamisme démographique, elle serait aujourd’hui non pas à 6,5 % de chômage mais à 9,5 % comme nous ! On s’éloigne de la question de l’euro… J.S. : Nous y sommes en plein, au contraire ! L’euro pose problème car il contraint des pays différents à appliquer la même politique monétaire, ce qui revient soit à accepter des divergences de compétitivité majeure, soit à appliquer des politiques de plus en plus punitives pour la population. C’est pourquoi vous êtes l’un de ceux qui prônent la sortie de la zone euro. Selon quelles modalités ? J.S. : Toute sortie de l’euro conduit à retrouver sa monnaie nationale. Après, il est possible que certains pays se mettent d’accord pour recréer une sorte de monnaie commune, et non plus unique. Mais pour y arriver, il faut d’abord en revenir aux monnaies nationales. Ce qui n’est pas compliqué : il suffit que les dirigeants décident, un vendredi soir, de dissoudre, ou de suspendre, la zone euro. Il faudrait convaincre les Allemands… J.S. : Ce serait la méthode civilisée qui a ma préférence car une dissolution concertée resterait un acte européen, une décision commune dans la logique d’une coordination explicite entre pays. Mais, faute d’accord, un pays peut aussi décider de sortir seul. Et l’on comprend

que si la France, ou l’Italie, prenait cette décision unilatérale, les autres suivraient rapidement. Admettons que l’on sorte de l’euro. Mais pour quoi faire ? J.S. : Certains de mes collègues pensent qu’il suffirait de laisser les choses aller pour que tout s’arrange. De fait, une sortie de l’euro provoquerait une dévaluation du nouveau franc d’environ 20 %, ce qui rendrait de la compétitivité à nos entreprises. C’est un avantage essentiel mais pas suffisant. En raison de la désindustrialisation de la France, nous n’échapperons pas à une politique volontariste d’investissements. De même, nous ne pourrons pas faire l’économie de réformes de structures importantes, notamment dans les domaines bancaires et financiers. Sortir de l’euro ne résout pas d’un coup de baguette magique tous les problèmes, mais ce ne serait pas l’apocalypse que certains décrivent. Pour vous, Philippe Chalmain, ce scénario est pure folie… P.C. : Jacques Sapir a raison de dire que, si l’on sort de l’euro, il y aura certainement dépréciation d’un certain nombre de monnaies. Mais ne croyez pas que l’on va y gagner ! Comment fera-t-on, par exemple, pour payer nos dettes qui sont libellées en euros ? C’est une plongée dans un inconnu non maîtrisable. Que se passera-t-il quand les acteurs économiques, les entreprises, les investisseurs vont redécouvrir les risques d’un marché des changes instable ? Jacques Sapir pense que l’on pourrait sortir de l’euro gentiment. Je pense au contraire que cela conduira à un chaos monétaire. Sans parler du risque politique que l’on prend. La plus grande chose que notre génération ait accomplie a été la construction européenne. Il y a d’abord eu la Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca) sous Jean Monnet, puis la politique agricole commune (PAC), le grand marché unique et enfin l’euro. Or, je pense que défaire l’euro, c’est défaire l’Europe. Ce serait une régression historique majeure et, pour tout dire, ce n’est pas


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le genre de sujet que je mettrais au suffrage universel… Jacques Sapir, vous dites : l’échec de l’Europe, c’est l’euro. Philippe Chalmain vous rétorque : sortir de l’euro serait l’échec de l’Europe. J.S. : Que la fin de l’euro provoque une crise dans les institutions actuelles, j’en conviens. Mais l’une des capacités de l’Europe est d’avoir toujours su, à travers les crises, se réinventer. Je ne crois pas que la fin de l’euro provoquera cette fin du monde que prédisent certains. Si des économistes proposent, comme vous, la sortie de l’euro, un seul parti politique, le Front national, en a fait un élément clé de son programme. Pourquoi ? J.S. : Si les partis manquent de courage, c’est leur problème. D’ailleurs, je remarque une évolution sur cette question. Debout la République, le mouvement mené par Nicolas Dupont-Aignan a des positions proches de la mienne. A l’autre bout de l’échiquier politique, le Front de gauche n’en est pas loin. De même, au PS ou à l’UMP, certains responsables admettent en privé que j’ai raison. Le Front national me cite ? La belle affaire. Le FN est un parti légal, après tout. A tout prendre, je préfère que ses cadres et militants lisent mes livres plutôt que ceux d’Edouard Drumont. P.C. : Ce qui est gênant, c’est que la critique de l’euro est utilisée comme un cheval de Troie destiné à détruire l’Europe. On peut reprocher à l’Union européenne d’être technocratique et pas assez démocratique, on peut regretter son manque d’intégration. Mais il faudrait appuyer l’euro sur un budget conséquent et mettre en place une vraie politique fiscale et sociale commune. Pour cela, il ne faut pas moins d’Europe mais plus d’Europe. C’est à cette Europe fédérale qu’il faut arriver ! En prenons-nous le chemin ? J.S. : Intellectuellement, je pourrais dire oui à un vrai fédéralisme, mais je suis obligé de prendre en compte les faits. On a essayé sans y arriver. Il est temps

de revenir au réel : la dissolution de la zone euro est l’électrochoc nécessaire pour retrouver la croissance. P.C. : Jacques Sapir part d’un constat d’échec et prône le retour au réalisme en faisant le pari que la France s’en trouvera mieux si l’on abandonne l’Europe. Suisje un rêveur à estimer le contraire ? En

pensant à la génération de mes étudiants et de nos enfants qui ne comprendraient pas qu’on abdique sans combattre devant les difficultés, je garde espoir que l’Europe reste notre horizon.

Le Pellerin du 17 avril 2014

Les capitaux français quittent la France Nous écrivions, il y a quelques numéros du Réveil, que la France est un pays riche et que le nombre de capitaux qui dans notre pays cherchait à se placer était important. Qui dit investissement ne parle pas d’intérêt de la France, mais parle de rentabilité la plus rapide et la plus haute possible souvent d’ailleurs au détriment de l’emploi, de l’innovation, de la recherche, de la modernisation de l’outil industriel. Ainsi, nous apprenons que la France exporte, c’est-à-dire fait sortir du territoire français des capitaux, qui chaque année sont estimés entre 50 et 130 milliards d’euros. Nous faisons de ce point de vue mieux que l’Allemagne qui fait l’effort d’investir sur son territoire. Le choix français conduit à investir à l’étranger des capitaux issus des entreprises nationales. En clair, de l’argent produit par les salariés des entreprises françaises est exporté à l’étranger, affaiblissant du même coup l’économie et l’industrie française. Ces capitaux, pour près de 70 %, sont investis dans d’autres pays d’Europe occidentale et dans les grands pays de l’OCDE, notamment les États-Unis. Une partie également dans la dernière période se tourne vers les pays émergents. Si les entreprises françaises et la finance se tournent vers les USA ou la Chine, c’est exclusivement dans la perspective de rentabilité importante et rapide. Cet exode de capitaux français, outre de priver notre économie de moyens financiers indispensables, provoque l’explosion en France du chômage, de la précarité et sert à justifier au travers des

différents pactes gouvernementaux la baisse du coût du travail. L’autre aspect néfaste de cette fuite des capitaux c’est que, pour l’équilibre de notre balance des paiements, nous créons les conditions d’entrées importantes de fonds de placement étrangers qui eux visent aussi des taux de rentabilité élevés et fragilisent voire détruisent notre industrie et notre économie. La politique menée depuis 20 ans prend l’industrie française en étau, d’un côté exportations des capitaux de nos entreprises, de l’autre intervention massive de fonds de pensions étrangers. C’est d’ailleurs dans les entreprises du CAC 40 (les 40 plus grandes entreprises françaises cotées en Bourse) que le taux de détention d’actions par des fonds étrangers a extrêmement monté comme l’année 2012 puisque cette détention de parts par des fonds étrangers atteint 46,3 % (ex. Alstom). On voit bien que la question de la maîtrise de ces choix est posée. C’est donc naturellement que se pose la question des nationalisations des grandes banques, notamment des banques d’investissement et de ces grandes entreprises qui risquent de passer sous tutelle étrangère. C’est une responsabilité collective en premier lieu la responsabilité du gouvernement et de ses choix. Jean-Michel Verneuil LE RÉVEIL - N° 803 - mai 2014

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LE RÉVEIL ACTUALITÉS

Service public et construction européenne L’écart entre la conception française du service public et les principaux objectifs de la construction européenne alimente ce que l’on peut appeler une crise du service public ou du service d’intérêt économique général, selon la terminologie communautaire courante. Alors que la construction française du service public s’est traditionnellement référée à trois principes : égalité, continuité, adaptabilité, une autre logique lui est opposée. Cette logique est de nature essentiellement économique et financière, c’est l’option d’une économie de marché et de concurrence dont les critères sont essentiellement monétaires : taux d’inflation et fluctuations monétaires, déficit des finances publiques, taux d’intérêt à long terme. Pourtant l’objectif de production de « la cohésion économique sociale et territoriale » figure à l’article 3 du traité sur l’Union européenne (UE) tandis que l’article 14 du traité sur le fonctionnement de l’UE associe valeurs communes et services d’intérêt économique général : « Sans préjudice de l’article 4 du traité sur l’Union européenne et des articles 93, 106 et 107 du présent traité, et eu égard à la place qu’occupent les services d’intérêt économique général parmi les valeurs communes de l’Union, ainsi qu’au rôle qu’ils jouent dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l’Union, l’Union et ses États membres, chacun dans les limites de leurs compétences respectives et dans les limites du champ d’application des traités, veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions, notamment économiques et financières, qui leur permettent d’accomplir leurs missions. » La traduction juridique de cette dé8-

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marche conduit à une marginalisation des mentions relatives à l’intérêt général ou au service public dans les traités de l’Union européenne. De fait, le service public n’est expressément mentionné qu’à l’article 93 du traité sur le fonctionnement de l’UE au sujet du remboursement de servitudes dans le domaine des transports. Les quelques articles qui font référence à la notion, sous des vocables divers, traduisent son caractère d’exception. Ainsi l’article 106 relatif aux entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général les assujettit aux règles de la concurrence en ne formulant qu’une réserve de portée limitée : « dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire aux intérêts de l’Union. » Il donne mandat à la Commission de veiller au respect des règles de concurrence, en adressant « les directives ou décisions appropriées aux États membres ». Le champ au sein duquel doivent prévaloir les règles de la concurrence est conçu d’une manière très extensive. La Cour de justice de l’UE a ainsi considéré par l’arrêt Höfner du 23 avril 1991 que devaient entrer dans ce champ les services audiovisuels des chaînes de télévision italiennes. On peut toutefois noter une certaine prise de conscience progressive favorable

à la notion de service d’intérêt général. L’arrêt Corbeau du 19 mai 1993 décide qu’un opérateur, distinct de l’opérateur d’un service d’intérêt général, peut offrir des services spécifiques dissociables du service d’intérêt général de distribution du courrier mais seulement dans la mesure où ces services ne mettent pas en cause l’équilibre économique du service d’intérêt général. L’arrêt Commune d’Almélo du 27 avril 1994 prévoit qu’une entreprise régionale de distribution d’énergie électrique peut passer une clause d’achat exclusif « dans la mesure où cette restriction à la concurrence est nécessaire pour permettre à cette entreprise d’assurer sa mission d’intérêt général ». On peut encore citer l’arrêt Altmark du 24 juillet 2003 qui a considéré que les compensations accordées en contrepartie d’obligations de service public et dont le montant ne dépasse pas ce qui est nécessaire à l’exécution de ces obligations ne sont pas interdites. C’est donc une conception restrictive du service d’intérêt général qui continue de prévaloir au sein de l’UE, comme en a témoigné la réforme structurelle des services de télécommunications qui a fait éclater ce service en trois catégories : le service universel (téléphone en poste fixe, annuaire), les missions d’intérêt général (relatives aux fonctions de sécurité de l’État, police, armée) et les services obligatoires imposant l’existence d’une offre des nouveaux services sur l’ensemble du territoire, mais sous la contrainte de l’équilibre financier, ce qui ôte toute garantie que le principe d’égalité soit effectivement respecté. Anicet Le Pors


ACTUALITÉS LE RÉVEIL

Ils racontent leur vie de « smicard » Alors que le patron du Medef, Pierre Gattaz, propose la création d’un mini Smic, Bastien, Sylviane, Mohammed et Louis racontent leur quotidien au salaire minimum. Ils sont 3 millions de « smicards » en France, soit 13 % du total des salariés. Tous les mois, et pour certains depuis des années, leur paye ne dépasse pas 1 128,70 euros net mensuels pour un temps complet. Libération est parti à la rencontre de ces travailleurs de la restauration, de l’industrie, des services, du commerce, qui, à quelques euros près, vivent avec un Smic. Ce salaire de base que Pierre Gattaz, le patron du MEDEF, voudrait bien raboter de quelques euros.

« J’ai l’impression de travailler uniquement pour manger et dormir » Bastien, 24 ans, technicien de maintenance à Saint-Affrique (Aveyron) « Je travaille 39 heures par semaine dans une fromagerie, pour un Smic fixe, à peine 1 100 euros et quelques RTT. S’ajoute à cela un treizième mois payé en deux fois. Depuis 2014, je n’ai plus droit à aucune aide et les fins de mois sont rudes. A peine la paye versée, je commence à surveiller mes comptes. Je vis avec ma copine qui gagne à peine plus et nous partageons les frais. Tous les mois, je dois sortir 200 euros pour ma part de loyer, une centaine d’euros pour le téléphone et Internet, 160 euros pour les courses et autant pour les pleins d’essence. A la campagne, les loyers ne sont pas trop chers, mais la voiture est indispensable ! Le tabac grève aussi mon budget : 100 euros par mois environ. Et je dois encore rembourser un prêt étudiant qui ne prendra fin qu’en 2017 : 185 euros mensuels. A la fin, il ne reste plus grand-chose, tout juste 200 euros, pour les loisirs. Alors, il faut faire des choix : si je privilégie les sorties, je sais qu’il ne me restera rien pour acheter des fringues. Un restaurant relève de l’exception. Quant aux voyages, pour le moment, on reporte à plus tard. Dans les bons mois, j’essaye de rester à l’équilibre, mais parfois je tombe dans le rouge. Seule solution alors : grignoter les quelques économies que j’ai de côté. Mais j’évite au maximum, car il faut toujours avoir quelques réserves pour les

pépins, si la voiture me lâche par exemple, ou pour payer les impôts. Plus tard ? Avec un peu plus d’expérience, j’espère trouver une meilleure place ailleurs. Je ne demande pas la lune, mais 300 euros de plus feraient du bien ! Pour le moment, j’ai l’impression de travailler uniquement pour manger et dormir. »

« Il me reste 350 euros pour manger et m’habiller » Sylviane, la cinquantaine, employée de magasin au Pré-Saint-Gervais (SeineSaint-Denis) « Je m’occupe de la mise en rayon des produits dans une grande enseigne, pour un salaire à plein-temps de 1 200 euros et un treizième mois. Avec trente ans d’ancienneté, impossible d’espérer plus. Et encore, j’ai de la chance, mes collègues à temps partiel ne dépassent pas les 800 euros mensuels. Je vis seule depuis que ma fille a quitté la maison. Mon loyer en HLM est de 650 euros. C’est beaucoup, mais cela reste correct pour Paris. Tout compris, mes charges fixes montent jusqu’à 850 euros (40 euros de téléphone, 60 euros de transport, 40 euros pour le gaz et l’électricité, 60 euros de mutuelle et assurance). Il me reste donc 350 euros pour manger et m’habiller. Du coup, dans les magasins, c’est la chasse aux promotions, et, pour les vêtements, il faut attendre les soldes. Les loisirs, on n’y pense même pas. Le cinéma c’est hors de prix par exemple. Non seulement je n’ai pas d’aides, mais je paye en plus des impôts. Cette année, j’ai dû m’acquitter de 200 euros d’impôts sur le revenu et de 650 euros de taxe d’habitation. Ma prime de participation (790 euros) y est passée ! Si un imprévu me tombait dessus ? Ce serait la galère, car je dois avoir 500 euros à tout casser sur mon compte courant. Je n’ai pas de livret d’épargne, à quoi bon quand on n’a rien à y mettre ! Et je ne veux surtout pas emprunter, ce serait trop risqué. Hier, quand j’ai entendu la proposition du MEDEF, j’étais verte de rage. Mais enfin,

que veulent-ils ? Qu’on bouffe des cailloux et qu’on dorme dehors ? »

« Je vis chez mes parents, donc je ne me plains pas » Mohammed, 29 ans, employé de restauration rapide à Paris « Je travaille pour une chaîne de fast-food à temps plein pour un salaire qui stagne autour de 1 150 euros. Employé depuis deux ans, je suis passé du statut d’équipier à celui d’assistant manager, mais l’augmentation salariale a été minime. Je ne me plains pas car je suis célibataire, donc ma petite paye me suffit. De plus, je vis actuellement chez mes parents et ne débourse donc rien pour le loyer et la nourriture. Mes charges restent limitées : tout juste 100 euros pour le téléphone. Je peux donc mettre de l’argent de côté, me faire plaisir, sortir. Mais, plus tard, si je venais à fonder une famille, cela deviendrait bien compliqué. »

« On vit au jour le jour » Louis, 38 ans, employé de restauration à Montereau-Fault-Yonne (Seine-etMarne) « Je suis marié et père de deux enfants en bas âge. Toute la famille vit sur un seul salaire, le mien, soit à peine 1 100 euros par mois pour quatre personnes. Nous touchons des allocations familiales, 300 euros environ. Pour le moment, notre dossier APL est bloqué car nous venons de déménager, mais nous espérons bientôt toucher 300 euros supplémentaires de la CAF. A l’heure actuelle, notre budget est donc de 1 400 euros. A peine de quoi couvrir nos dépenses : un loyer de 750 euros, le transport, les frais divers et les courses que l’on fait une seule fois dans le mois. A la fin, il ne reste rien. Le futur ? On n’y pense pas. On vit au jour le jour. » Amandine Cailhol, Libération du 18 avril 2014

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LE RÉVEIL INtERNatIoNaL

uKRaINE Qui veut la peau de l’accord de Genève ? L’accord entre les États-unis, la Russie, l’uE et les ukrainiens devait permettre une sortie de crise et éviter une guerre civile. Mais le texte n’est respecté ni sur le terrain, ni par le gouvernement intérimaire, ni par les extrémistes de l’Est comme de l’Ouest. Et les États-Unis et la Russie continuent de s’accuser d’ingérence. dans toute l’Ukraine et le dialogue entre le gouvernement intérimaire et les représentants de la minorité russophone de l’est du pays. L’autre élément clé comprend le déploiement d’observateurs de l’OSCE, notamment à Slaviansk. Mais le spécialiste de la Russie Jacques Sapir dénonce l’incohérence « de continuer de parler toujours de sanctions contre la Russie. S’il y a eu accord, il faut, bien entendu, annuler les sanctions. Et si l’on À Donetsk, rien n’a changé pour les ha- veut poursuivre les sanctions, cela signifi e bitants. Ils racontent que la capitale du qu’il n’y a pas d’accord, ou que l’on veut le Donbass reste le théâtre « d’occupation faire capoter ». La guerre de l’informade bâtiments par des groupes armés » et tion bat donc son plein. Chaque camp voient « l’opération antiterroriste se pour- essaye désormais d’exploiter le moindre suivre » avec des avions militaires qui affrontement, comme celui du 20 avril, survolent leur ville. « La situation nous à son avantage. La porte-parole du déparéchappe désormais. Si une large majorité de tement d’État américain, Jennifer Psaki, la population est clairement hostile au gouvernement de Kiev, elle s’oppose à tout rattachement avec la Russie », nous explique Victoria, par téléphone, qui vit dans le centre-ville. Une analyse que partage le député du Parti communiste, Volodia Bidiovka : « Le rattachement ne réglera rien. C’est le système oligarchique, la corruption et la construction territoriale qui posent problème. Il faut arriver à un projet national commun avec l’Est et l’Ouest. » Aux abords de Slaviansk, la fusillade qui a éclaté le 20 avril, faisant plusieurs morts, menace l’accord signé à Genève trois jours plus tôt. Cet incident dans la ville, située au nord de Donetsk, illustre l’instabilité qui règne dans tout l’est du pays : occupation des bâtiments publics, barrages routiers, face-à-face entre militants antigouvernementaux et militaires ukrainiens.

Mort-né ? L’accord de Genève est-il mort-né ? Les chefs de la diplomatie de Russie, d’Ukraine, des États-Unis et de l’Union européenne avaient réussi à signer, contre toute attente, un accord le 17 avril. Devant le risque de guerre civile, tous les acteurs avaient enfin décidé de « briser le dangereux engrenage », constate le député honoraire du Parlement européen, Francis Wurtz. Cet accord prévoit le désarmement des groupes armés illégaux, l’évacuation des bâtiments officiels occupés 10 -

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affirme que des images fournies par Kiev prouvent « des signes d’une connexion entre la Russie et une partie des militants armés dans l’est de l’Ukraine ». L’implication des États-Unis et de la Russie dans cette crise n’est pas une nouveauté, alors pourquoi sortir ces images après le sommet de Genève ? En visite en Ukraine le 21 avril, le vice-président américain, Joe Biden, a rappelé la volonté des ÉtatsUnis « de défendre l’intégrité territoriale » du pays. Le secrétaire d’État John Kerry s’en est pris à la Russie, accusant Moscou de « fomenter les troubles dans l’est ». Réponse de son homologue russe, Sergueï Lavrov, les États-Unis devraient utiliser leur influence afin que « les têtes brûlées ne provoquent pas un confl it », car « cette provocation témoigne du manque de bonne volonté de la part des autorités de Kiev pour désarmer les nationalistes et les extrémistes ». Les troubles, qui persistent aussi bien dans l’est que dans l’ouest du pays, participent à ce climat de défiance envers le pouvoir intérimaire. « Un élément capital qui favorise l’incertitude au sein de l’Ukraine, c’est la légitimité du pouvoir intérimaire actuel », expliquait l’ancien diplomate Andreï Gratchev dans l’« HD » n° 407. Pour sortir de


INTERNATIONAL LE RÉVEIL

cette impasse, il avançait deux points : « Le fédéralisme est la moins pire des solutions, tant qu’aucune structure n’est en capacité de garantir l’intégrité territoriale du pays à travers un projet commun » et « la non extension de l’OTAN », ligne rouge pour la Russie.

Le contexte actuel rendant impossible la présidentielle du 25 mai, c’est désormais tout l’édifice de la transition qui s’écroule. Jacques Sapir évoque une porte de sortie : « Le gouvernement provisoire doit annoncer des élections à une Assemblée constituante ou la mise sur pied d’une vaste commis-

sion de réconciliation nationale, pour que toutes les parties fassent entendre leur voix et tenter de trouver un accord sur le futur de l’Ukraine. »

L’Humanité Dimanche du 26 avril 2014

Italie

Jobs Act Et si, avec le Jobs Act, c’était aux salariés de payer les entreprises ? Le Jobs Act (le plan du gouvernement Renzi pour officiellement « relancer l’emploi et réformer le marché du travail ») a notamment pris forme chez Nestlé, qui a ainsi anticipé la nouvelle manière de corseter les salariés. Pendant que Matteo Renzi se rendait à Londres, le 1er avril, pour rencontrer David Cameron pour dire qu’il veut une organisation du marché du travail plus flexible (c’est là une exclusivité, encore jamais affirmée avant lui !), la multinationale du chocolat (et de bien d’autres choses encore) le disait à ses ouvriers à Perugia. Depuis quelque temps déjà, les attaques contre les salariés se font avec des termes anglais, censés mieux faire passer la pilule. Mais cette fois-ci, on s’est servi de l’italien, ou plutôt d’une sorte de nouvel italien difficile à traduire, d’un langage qui nous parle de « nouveaux paradigmes productifs ». En italien cela signifie halte aux contrats de durée indéterminée (CDI), tout le monde sous contrat précaire renouvelable à merci, le profit constituant la variable indépendante, le travail la variable dépendante. Faisant nôtre la proposition de Nestlé, nous nous permettons de suggérer aux entrepreneurs, aux multinationales et, respectons l’ordre décroissant, au gouvernement italien de « nouveaux paradigmes productifs » propices à la relance de l’économie du pays et aux bilans des entreprises.

Contrat tiré au sort Chaque entreprise de plus de 300 salariés pourra tirer au sort le matin (avant 7 h 30)

les travailleurs qui auront le privilège de se rendre à l’usine. Concrètement, il s’agira d’être directement connecté à leurs réveils et de les convoquer par ce biais. Il ne faut pas perdre de vue ici le côté humanitaire de l’innovation contractuelle : les autres pourront continuer à dormir, au lieu de devoir, comme autrefois, se lever et se rendre sur le lieu de travail pour trouver porte close.

Flexibilité horaire Pourquoi se limiter à des contrats de trois ou six mois ? Au nom d’une flexibilité plus productive du marché du travail, des contrats horaires seront introduits. Le salarié signe un contrat à 9 h qui échoit à 10 h, l’entreprise décide s’il est renouvelé avant midi et, le cas échéant, elle peut le prolonger jusqu’à 15 h 30. Les plus chanceux auront trois renouvellements en une journée et ceux qui auront signé plus de quinze contrats en une semaine auront droit à un privilège exceptionnel, une équipe de nuit gratuite.

Stage de formation Les critiques fusent contre le Jobs Act de Nestlé, lui reprochant sa modération et sa prudence excessive. Pourquoi transformer les salarié(e)s sous contrat de durée indéterminée en salariés précaires, alors qu’il serait possible de les transformer en stagiaires non rétribués ? Le raisonnement est pourtant simple : forger dans une aciérie d’immenses formes en fonte, toutes identiques, est somme toute un travail du même type que faire des photocopies. Pourquoi donc employer de vrais

ouvriers, alors que l’on peut acquérir des stagiaires pour quelques euros la douzaine ?

Contribution de solidarité Le problème que soulèvent certaines multinationales ayant un siège en Italie ouvre un nouveau débat. Est-il encore permis de penser que les entreprises doivent rémunérer le fait d’offrir à quelqu’un l’opportunité d’apprendre un métier et la chance de faire de nouvelles connaissances professionnelles ? La contribution de solidarité, versée par les salariés à l’employeur, résoudrait le problème. La première année, le néo-engagé verserait à l’entreprise un petit salaire, sous la forme d’une somme fixe, sans aucune flexibilité possible. A la fin de l’année, l’entreprise aurait tout loisir de décider si elle désire garder le travailleur et le payer ou si elle désire le licencier et en engager un autre qui versera sa contribution pour une année. Quelques bribes de résistance syndicale ont été opposées à ces « nouveaux paradigmes productifs ». Le syndicat a aussitôt été estampillé « conservateur », « suranné », « idéologique ». Mais on apprend de source gouvernementale que les autorités évalueront les choses au cas par cas, pour définir à chaque fois et avec précision lequel de ces trois attributs est le plus pertinent. Alessandro Robechi Article publié dans Il Fatto Quotidiano, Rome, le 10 avril 2014

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LE RÉVEIL INTERNATIONAL international

Ukraine

Pourquoi Washington souffle sur la braise Au lieu d’œuvrer à une solution pacifique dans l’intérêt des Ukrainiens, les États-Unis et leurs alliés ne cessent d’imputer la responsabilité de la crise ukrainienne à la seule Russie. Samedi, Barack Obama et Angela Merkel, en visite à Washington, ont menacé la Russie de sanctions « sévères » en cas d’aggravation de la crise. Et si le scrutin présidentiel prévu en Ukraine le 25 mai devrait être perturbé, la Russie s’exposerait à de nouvelles sanctions, a prévenu le président américain. Les pays du G7 avaient déjà annoncé, le week-end dernier, un renforcement de leurs sanctions à l’égard de la Russie, qu’ils accusent de déstabiliser activement l’est de l’Ukraine. Mais pas un mot sur le fait que Kiev ait lancé son armée contre une partie de son peuple. En fait, depuis le début de cette crise, Washington et ses alliés, qui caressent le rêve de voir l’Ukraine intégrer l’OTAN,

quitte à raviver les vieux clichés de la guerre froide et, partant, affaiblir la Russie, n’ont cessé de souffler sur la braise. Dans un premier temps, ils se sont rangés sans coup férir du côté des manifestants de la place Maïdan et ce, en dépit d’une forte présence de milices d’extrême droite fascistes se revendiquant publiquement de l’idéologie nazie, sur lesquelles ils ont pudiquement fermé les yeux. Multipliant les pressions, États-Unis et UE ont contraint le président Ianoukovitch, qui est loin d’être un démocrate, à accepter une élection présidentielle anticipée, avant de légitimer le coup de force le démettant de ses fonctions et lui imputer les morts de Maïdan. Et, bien que la vérité ait finalement éclaté sur la tuerie de Maïdan, dont sont en partie responsables des militants d’extrême droite, Washington et ses alliés ont continué de pointer la Russie capitaliste et libérale, l’accusant de revenir à la théorie de la souveraineté limitée de Leonid Brejnev.

Certes, puissance impériale, la Russie de Poutine est loin d’être un ange. Mais, tirant les leçons des engagements jamais tenus par Washington et ses alliés de ne pas intégrer les ex-pays socialistes dans l’OTAN au lendemain de l’effondrement de l’URSS et du retrait des forces soviétiques de ces pays, le pouvoir russe a décidé d’y faire face, quitte à faire des entorses au droit international. C’est ainsi que s’explique le « retour » de la Crimée dans le giron russe. De leur côté, les États-Unis, devenus orphelins depuis la chute de l’URSS, s’essaient à se fabriquer des ennemis. Après l’Irak de Saddam, le Venezuela de Chavez, l’Iran des mollahs, la Syrie de Bachar, c’est la Russie qui est ciblée aujourd’hui. Demain, ce sera la Chine et ce, dans l’optique de reconfigurer l’ordre international dans un sens qui assurerait dans la durée le leadership américain sur le monde.

Hassane Zerrouky, l’Humanité du 5 mai 2014

Grèce I 16 chiffres qui montrent qui paye la crise • 34,6 % de la population vit dans la pauvreté ou dans l’exclusion sociale, ou est susceptible d’y glisser (chiffres 2012). • Depuis le début de la crise, le revenu disponible des ménages a chuté de 30 %. • 34,8 % des ménages grecs ont des arriérés à l’égard de l’État, des banques, de la Sécurité sociale ou d’autres services publics. • Plus de 40 % pensent qu’ils ne seront pas en mesure de remplir leurs obligations financières cette année. • Le service public de fourniture d’électricité coupe l’approvisionnement électrique de près de 30 000 familles et entreprises chaque mois en raison de factures impayées. • Depuis le début de la crise, le chômage a augmenté de 160 %. Près de 3,5 millions d’employés travaillent pour soutenir 4,7 millions de chômeurs et d’inactifs. • Les chômeurs reçoivent une indemnité de chômage de 360 euros pendant les 12 -

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12 premiers mois de leur chômage. En conséquence, seulement 15 % des 1,4 million de chômeurs reçoivent des prestations. Les travailleurs indépendants (25 % du nombre total de personnes actives) n’ont pas droit à ces prestations. • Les transferts sociaux devraient être réduits de 18 % cette année. Le budget de la Santé a été réduit de 11,1 % entre 2009 et 2011. Aucun pays de l’OCDE n’a réalisé une coupe aussi importante sur ce budget. • La pension moyenne de base se monte à moins de 700 euros et, depuis 2010, elle a été réduite d’un quart. Il est prévu que ce montant soit encore réduit de moitié sur les prochaines années. • Pour 48,6 % des ménages, la pension est la principale source de revenus. • S elon une étude de l’université d’Athènes, 12,3 % des Grecs souffrent de dépression clinique. Ils n’étaient que 3,3 % en 2008.

• Environ 800 000 personnes vivent sans accès aux soins de santé et dans certaines régions, des organisations humanitaires telles que Médecins du Monde ont dû se substituer au système de santé national pour fournir des soins et des médicaments aux personnes les plus vulnérables. • La réduction du nombre de seringues et de préservatifs disponibles pour les toxicomanes a provoqué une forte hausse des cas d’infection au VIH, les faisant passer de 15 en 2009 à 484 en 2012. • Les chercheurs notent également une augmentation de 21 % du nombre d’enfants mort-nés, qu’ils ont attribuée aux restrictions d’accès aux soins prénatals. • La mortalité infantile a augmenté de 43 % entre 2008 et 2010. • Enfin, le taux de suicide est également en hausse : alors qu’on en avait compté 400 en 2008, on a dénombré 500 cas de suicides en 2011.


LE CAHIER MÉMOIRE

le réveil

N° 803 mai 2014

des combattants

Pour l’amitié, la solidarité, la mémoire, l’antifascisme et la paix

ÉDITO

Sur les ruines de la morale

Oradour-sur-Glane Pourquoi la plupart des soldats allemands de cette division SS ont-ils obéi à ces ordres ? La réponse se trouve dans les pages qui suivent, notamment sur le caractère particulier du soldat SS, dressé spécialement à donner libre cours aux impulsions élémentaires qui expriment, chez l’être humain, un réveil de la bestialité et inciter par une idéologie qui reconnaît à une race qui se veut supérieure le devoir

Édité par le Réveil des combattants - 2 place du Méridien - 94807  Villejuif - Tél. 01 42 11 11 12

d’éliminer les peules considérés comme inférieurs. C’est de l’idéologie nazie qu’il s’agit, définie par Adolphe Hitler dans son livre Mein Kampf (Mon combat). C’est « la bête immonde » ainsi définie par le grand dramaturge allemand Berthold Brecht. Cette « bête » que nous combattons de toutes de nos forces à la moindre de ses apparitions, quelle qu’en soit de nos jours l’origine. LE RÉVEIL - N° 802 - avril 2014

Par Paul Markidès

L’

histoire de la sanglante division Waffen-SS « Das Reich » provoque une série de questions chez tous les hommes et les femmes de paix. Comment des hommes ont-ils pu en arriver à une telle violence à l’égard d’autres hommes, de femmes, d’enfants, de vieillards ? Comment a-t-il été possible que des officiers supérieurs donnent des ordres aussi iniques ?

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LE RÉVEIL dossier

Le cœur de France

face à la division assassine Das Reich Une semaine de juin 1944, la division blindée SS Das Reich a traversé la France pour exécuter un ordre : celui de venir renforcer le dispositif allemand qui tentait de rejeter les armées d’Eisenhower à la mer. Le fait qu’à partir de 1944 de nombreux Allemands et ressortissants des pays satellites aient été incorporés d’office dans la SS ne contredit pas cet aspect essentiel. L’encadrement demeurait foncièrement nazi. L’explication des faits qui accompagnèrent le déplacement de la division Das Reich réside dans l’objectif de maintien de l’ordre. Mais c’est de l’ordre nazi qu’il s’agit, celui du devoir nazi : essentiellement, l’asservissement du monde entier au profit d’un groupe humain décrété supérieur à la suite des rêveries lyriques de son chef, Hitler. Au nom de la toute-puissance des Germains, les sous-hommes, c’est-à-dire tous les autres, doivent servir ou disparaître. Dans la France de ces années-là, le pouvoir appartient à l’autorité allemande qui contrôle et exploite l’ensemble du territoire et ce, depuis l’invasion de la zone non occupée, le 10 novembre 1942. Dans le Centre Sud-Ouest en juin 1944, il n’est plus guère question du pouvoir fantoche de Vichy. Dans les grands centres comme Limoges, Brive, Cahors ou Périgueux, ses propres forces du maintien de l’ordre, appuyées par les garnisons allemandes importantes, peuvent encore parader, 14 -

LE RÉVEIL - N° 803 - mai 2014

mais le cœur n’y est plus. Dans le Lot, la Dordogne, la Corrèze, la Haute-Vienne, la Creuse, le pouvoir n’a plus la situation en main. Des régions entières sont contrôlées par le maquis, expression armée de la contestation populaire. Le 6 juin 1944, le débarquement allié sur la côte normande

Les informations livrées par ce Cahier de la Mémoire ont été tirées du livre de Gérard Guicheteau, La Das Reich et le cœur de la France. Collection Archives de guerre, Éditions Daniel et Cie L’Écho du Centre.

enflamme l’espoir de la grande majorité du peuple de France. La libération est en vue. Du coup, ceux qui depuis le début de l’occupation n’ont pas cessé, aux yeux de Vichy et des Allemands, de troubler « l’ordre public », reçoivent un renfort extraordinaire. La Résistance, aux yeux de tous,


dossier LE RÉVEIL

désormais, porte l’avenir - les uns s’effraient du châtiment qui les menace, les autres, le plus grand nombre, rêvent au proche bonheur d’être libres. 70 ans après, pour celui qui aborde le récit de ces évènements, l’erreur serait de passer sous silence cet aspect profondément populaire de la Résistance. Il y eut des héros isolés, c’est vrai, mais en 1944, dans le Limousin, le Périgord et le Quercy, les combattants de la liberté n’étaient plus seuls. Ils étaient, selon la formule célèbre : « comme le poisson dans l’eau ». Dans la revue Der Freiwillige (Le Volontaire), n° 7 en 1968, on pouvait lire entre autres : « … Le représentant allemand expose… le point de vue allemand, que les maquisards, selon notre avis, ne furent pas des soldats réguliers, mais des francs-tireurs, puisqu’ils combattaient en dehors des règlements de La Haye sur la guerre continentale. Le fait que, peu après l’invasion, le général Eisenhower ait déclaré toute la Résistance comme partie intégrante des Forces françaises intérieures dans le cadre des armées alliées, ne change en rien cette conception, puisque cette déclaration ne se base pas sur des conventions bilatérales, mais fut un acte unilatéral et par là même absolument inefficace du point de vue du droit international… Mais il fut bien dit que nous autres Allemands nous éprouvions un grand respect vis-à-vis de ces Français qui, à l’époque, pour des raisons patriotiques, prirent le risque de combattre les troupes allemandes, tout en sachant qu’ils encouraient la peine de mort s’ils tombaient aux mains des Allemands. Du point de vue du droit international, la Résistance a clairement rompu, en commençant sa lutte contre les troupes allemandes, l’armistice franco-allemand de 1940 qui était bien entendu toujours pleinement valable, de sorte que le commandement allemand avait de son côté le droit international en utilisant les

moyens les plus draconiens, pour briser la résistance naissante contre les forces d’occupation allemande. Il est regrettable, fut-il ajouté, qu’on ait laissé la division Das Reich porter seule la responsabilité après la guerre - Oradour fut exclu de cette argumentation, comme un cas spécial - et que nulle part une voix se soit élevée qui eût rappelé la situation en droit international, existant alors (rupture de l’armistice), et les règlements de La Haye concernant la guerre (concernant les francs-tireurs) et l’existence d’ordres généraux très sévères du commandement de l’armée… » Ce morceau est exemplaire de la mentalité des anciens SS et de l’aptitude nazie à se réfugier dans le juridique après en avoir tellement rigolé. Il montre aussi l’insupportable évidence d’Oradour et le besoin qu’ont les bourreaux d’en faire une exception. « Bien sûr, il y a eu Oradour, disent-ils en soupirant, mais c’est une erreur, une regrettable erreur ! » A considérer les faits, ce n’est pas une erreur, mais un élément dans une démarche logique. A suivre cette démarche, on se rend très vite compte que les « erreurs » correspondent à un plan concerté d’opérations contre les « bandes ». Depuis le milieu de 1943, ces « bandes », les maquisards, mènent la vie dure aux forces de répression. En Dordogne, dans le Lot, en Limousin, GMR (1) et miliciens reçoivent raclées sur raclées. C’est dans ce climat qu’arrivent, en février 1944, à Bordeaux, les premières unités de la 2e SS Panzer-Division Das Reich qui vient de recevoir un nouveau chef, sorti d’ailleurs de son encadrement, le colonel Heinz Bernhard Lammerding lequel, pour la circonstance, est promu « Brigade-führer et Generalmajor de la Waffen-SS ». La division a participé à la bataille de Koursk, en juillet 1943, puis à la tentative contre Jitomir en no-

1 / Groupe mobile de réserve. GRM et Milice appartenaient aux forces dites du « Maintien de l’Ordre » placées, depuis le début de 1944, sous l’autorité de Joseph Darnand.

vembre-décembre. Elle a perdu la moitié de ses effectifs et une grande partie de son matériel (en 1942, elle avait déjà renouvelé ses hommes et ses blindés après l’épouvantable bataille du front de Moscou, au cours du premier hiver russe). C’est une division aux cadres expérimentés, qui reçoit de nouvelles recrues, au camp de Stablack, en Prusse-Orientale, puis à Bordeaux, après son arrivée. Ces recrues sont quelques mercenaires provenant des 650 000 hommes de ce qu’on appelle à tort « l’armée Vlassov ». Géorgiens, Cosaques, Tartares, Turkmènes, ils sont dispersés dans toutes les unités allemandes et sur tous les terrains de combat ou d’occupation. Jaques Delperrié de Bayac écrit, à leur propos, dans son Histoire de la Milice : … « L’armée Vlassov n’était une armée que de nom et ce n’était pas le général Vlassov qui la commandait. Elle était composée de renégats racolés dans les camps de prisonniers soviétiques, formés en bataillons et rattachés à des régiments allemands. En France, la soi-disant armée Vlassov dépendait administrativement du général von Wartenberg, commandant des troupes volontaires du Front de l’Ouest. » Si les mercenaires enrôlés par la Das Reich sont des volontaires, il en va différemment de ces « volontaires du Front de l’Ouest ». A partir de juin 1944, ils seront nombreux à rejoindre les rangs des FFI qui les accueilleront, les encadreront et leur confieront des missions où ils montreront de grandes capacités de courage et d’efficacité. Les recrues de la Das Reich ne sont pas, cependant, toutes volontaires. Un fort contingent de « Volksdeutscher » est envoyé d’autorité dans ses rangs. Parmi ces hommes, reconnus « du peuple germanique », figurent des Alsaciens et des Lorrains dont le pays (encore une violation de l’armistice pour les « juristes » de LE RÉVEIL - N°803 - mai 2014

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Der Freiwillige ?) a été annexé au Reich en 1940. Les représailles sur la famille (déportation) et sur les biens (confiscations) pèsent lourd dans la détermination de ces jeunes gens dont la plupart ont tout juste dix-huit ans. Si nombre d’entre eux désertèrent à l’occasion, essayèrent de limiter les conséquences d’ordres inhumains, il faut dire aussi qu’il y en eut pour se trouver à l’aise dans les pires situations. Cette ambiguïté a eu son importance dans les polémiques qui accompagnèrent le procès des bourreaux d’Oradour. Ces recrues font leurs classes rapidement au camp de Souges, près de Bordeaux, et dans les unités réparties aux portes de la ville. Fin février, le général Lammerding arrive avec les derniers éléments de la division qui se sont fait une « spécialité » de la lutte contre les partisans et du massacre des populations occupées. Un officier de cette « élite », le SS Sturmbannführer (commandant) Kowatsch dira plus tard, à Tulle, au préfet Trouillé (2) qui essaie d’éviter la pendaison aux otages : « Je regrette, nous avons pendu plus de cent mille hommes à Kharkov et à Kiev, ce n’est rien pour nous… » En avril, la Das Reich passe la ligne de démarcation à Langon et va s’installer dans l’ancienne zone sud, au carrefour que font, à Montauban, les routes de Bordeaux à la Méditerranée, d’une part, des Pyrénées à Limoges d’autre part. Les unités se répartissent dans les petites villes de la vallée de la Garonne, de Tonneins à Toulouse. A l’est, des éléments cantonnent à Caussade, à Caylus, et dans les environs ; au sud, les SS descendent jusqu’à Villefranche-de-Lauragais. Le cœur de la France les inquiète. Tout le Massif Central est en ébullition. Pour le Haut Commandement allemand, cette zone d’insécurité pèse sur les communications d’un ensemble 16 -

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2 / Pierre Trouillé, Journal d’un préfet pendant l’occupation. Cette affirmation peut paraître exagérément horrible. Si l’on se souvient que huit millions de civils soviétiques furent massacrés par les nazis dans les villes occupées et les camps, cette horreur devient vraisemblable.

de forces qui attend mollement un débarquement hypothétique. La division Das Reich est postée au point le plus névralgique. Elle interdit aux maquis de couper la France en deux et d’isoler les unités qui gardent le littoral languedocien. La belle vie dure deux mois. Dans cette riche région, les solides appétits du « Herrenvolk » se donnent libre cours. De temps en temps, « pour garder la main » et instruire les « bleus », une compagnie se lance dans une « Grossaktion » contre les maquis. Là encore, pour certains commentateurs, il y a comme une fatalité impossible à éviter. L’admettre, c’est assimiler la population à un troupeau, c’est reprendre (peut-être involontairement) la justification des SS. En 1944, en France, une riposte populaire est trouvée, riposte qui sera celle de peuples en guerre en d’autres lieux, sous d’autres cieux. La population est invitée à se réfugier dans les zones tenues par le maquis – cette population a fait l’expérience que l’ennemi ne fait absolument aucune distinction entre « innocent » et combattant. Les abords de ces zones sont encombrés d’abattis, de rochers, de tranchées creusées à l’explosif ; les

ponts ont sauté et les voies ferrées sont inutilisables. Les grands axes sont laissés « libres », cependant que les unités de partisans y font régner une totale insécurité par des harcèlements successifs qui tiennent en haleine les lourdes colonnes de l’ordre. Le résultat est évident. L’ennemi se contente de tenir les axes stratégiques et les plus grosses agglomérations. Il ne peut rien contre les zones « libérées », à moins de renforts très importants. La division Das Reich passée, la colonne « Jesser », qui traversera Egletons le 17 août 1944 et qui atteindra Tulle le 19 avant de rebrousser chemin, se gardera bien de risquer une opération ailleurs que sur la nationale 89, malgré ses 2 500 hommes et ses 300 véhicules dont des éléments blindés.

Oradour-sur-Glane, peu après le drame


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SS Waffen - SS - SS « VT »

Qui étaient ces soldats allemands ? Avant tout, prenons connaissance de l’identité de ces troupes allemandes qui ont martyrisé, persécuté, sauvagement assassiné hommes, femmes, vieillards, enfants lors de leur passage sur notre territoire national. Les SS L’origine des SS n’est absolument pas mystérieuse, comme certains auteurs voudraient le laisser entendre (1). C’est en 1925 que Hitler fonde, sous le commandement du capitaine Julius Schreck, un Groupe de protection (Schutzstaffel, en abrégé : SS). Les hommes qui composent ce groupe ne sont que huit. Leur rôle consiste à protéger Hitler lors de ses déplacements et de ses meetings. Le 6 janvier 1929, lorsque Himmler prend le commandement des SS, cette troupe compte 280 hommes répartis en petits groupes dans les localités importantes pour le parti nazi (le NSDAP). Dès sa prise de commandement, il fixe l’esprit qui doit animer les SS - on peut s’en faire une idée par les documents qui ont servi au procès de Nuremberg : « … On a créé une troupe homogène, fermement unie et solennellement assermentée, à partir d’une conception du monde et de la vie, dont les tenants sont choisis dans la meilleure race d’hommes aryens. La connaissance de la valeur du sang et de la terre est la condition essentielle pour être admis à la SS. Il faut que chaque membre de la SS soit pénétré du sens et de l’être du Parti national-socialiste… La fidélité, l’honneur, l’obéissance et la bravoure constituent la marque de l’action du membre de la SS. Son arme porte l’inscription octroyée par le Führer : « Mon honneur est la fidélité. » Les deux vertus sont liées

l’une à l’autre indissolublement. Celui qui y manque devient indigne d’appartenir à la SS… » En 1937, les membres de la SS sont environ cent quatre-vingt mille, tous volontaires. Le candidat SS est reçu définitivement après diverses épreuves et enquêtes. Son serment est le suivant : « Je te jure, Adolf Hitler, Führer et Chancelier du Grand Reich allemand, fidélité et vaillance. Je te promets solennellement, à toi et à ceux que tu m’as désignés comme supérieurs, obéissance jusqu’à la mort. Que dieu me garde ! »

1 / N. Beau et Gaubusseau, Les SS en Limousin, Périgord et Quercy, Éditions Presses de la cité.

Les Waffen - SS Les historiens fixent généralement la fondation de la Waffen-SS à mars 1933, lorsque « Sepp » Dietrich, général SS, devient commandant d’une petite unité qui prend le nom officiel de Leibstandarte SS Adolf Hitler (Régiment SS de gardes du corps Adolf Hitler). Cette garde (prétorienne) est indépendante des forces militaires ou policières traditionnelles. Elle tient des deux organismes habituellement destinés à maintenir l’ordre et la sécurité, mais sa création révèle en même temps le but qui anime son fondateur : disposer d’une force armée attachée au parti nazi, procédant du parti. Le nom donné aux unités qui, à l’image de la garde SS, se forment bientôt dans toute l’Allemagne est révélateur : Politische Bereutschrften (Troupes politiques à disposition - ou de réserve). Les

Officiers de la « Das Reich » en manœuvre aux environs de Montauban en mai 1944

membres de ces troupes ne sont donc pas des militaires, mais des soldats politiques, des militants organisés militairement. Lorsque, en mars 1935, rompant (unilatéralement) le traité de Versailles de 1919, Hitler décide le rétablissement de l’armée allemande, il crée, parallèlement, un corps spécial SS : SS Verfügungstruppe ou SS « VT » (Troupes S.S. à disposition). Les régiments SS Deutschland, SS Germania, les bataillons techniques naissent à Munich, Hambourg, Arolsen, Radolfszell, Dresde, Una. Les écoles de cadets SS de BadTölz et Brunswick préparent les premiers führer qui deviendront les sous-officiers et officiers particuliers de la SS. En mars 1938, à Vienne, Graz et Klagenfurt, est formé le régiment SS 3 Der Führer. La plus célèbre manœuvre de ces troupes reste celle de Münster, au début de l’été de 1939. Le régiment SS Deutschland livre un assaut simulé, sous le tir réel, devant Hitler lui-même qui est enthousiasmé par le brio de ses SS. En septembre, le Brigadeführer (général de brigade) SS Gottlob Berger prend la direction de l’ensemble des Waffen-SS, dont le titre devient officiel le 2 mars 1940. La Waffen-SS, cependant, demeure indépendante de la Wehrmacht.

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Sur les ruines de la morale : Oradour-sur-Glane Un voyage de Paris à Oradour-sur-Glane, les 9 et 10 juin 1944 Récit d’un père Le texte que nous présentons ci-dessous est paru dans un numéro spécial des Lettres françaises clandestines d’août 1944. Communiqué par Georges Duhamel à Claude Morgan et à Paul Éluard, il semblait alors « tellement forcé » comme dit Claude Morgan, que les deux écrivains hésitèrent à le publier. Éluard n’y croyait pas : « Les témoignages, quand ils sont excessifs, font plus de mal que de bien ». Après enquête, lorsque la réalité se montra dans toute son horreur, le texte fut imprimé sous un titre donné par Paul Éluard : Sur les ruines de la morale : Oradour-sur-Glane. C’est le récit d’un voyage de Paris à Oradour entrepris par un père, ingénieur des chemins de fer, qui vient prendre des nouvelles de sa famille réfugiée. C’est le récit le plus bouleversant que nous avons eu entre les mains. Il évoque parfaitement le quotidien de ce temps-là. 18 -

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Le 9 juin 1944, vers 19 heures, je partis de Paris en camion pour Limoges, via Toury. Ma femme et mes enfants se trouvant à Oradour-sur-Glane, petit bourg situé à une vingtaine de kilomètres de Limoges, j’avais obtenu l’autorisation d’aller les embrasser. Nous atteignîmes Toury le soir même, après avoir vu sur la route plusieurs voitures immobilisées par le mitraillage ­d’avions anglo-américains et dont l’une d’elles, un camion, brûlait encore. … Nous atteignîmes alors Argentonsur-Creuse, où la plus grande consternation régnait. Les actes de sabotage que nous avions constatés avaient été commis durant la nuit par des maquisards et les autorités allemandes tenant la population d’Argenton pour responsable de la police des routes, aux abords de la ville, venaient, à titre de représailles, de fusiller une douzaine d’hommes. … A quelques kilomètres de là, nous avons été arrêtés par une unité allemande motorisée qui gardait le croisement des RN 20 et 71. Après vérification de nos papiers, nous avons été autorisés à continuer notre route et nous avons atteint Limoges sans autres difficultés. Il était 13 heures. A 4 kilomètres environ d’Oradour, nous avons croisé, venant de cette bourgade, un camion et une chenillette allemande transportant une cinquantaine d’hommes qui, après nous avoir mis en joue, nous obligèrent à nous arrêter, à faire demi-tour, à descendre de voiture et à nous ranger debout dans le fossé de la route. Toujours sous la menace d’un homme porteur d’une mitraillette, les Allemands procédèrent à une vérification minutieuse de nos papiers contenus dans le portefeuille du chauffeur et à une perquisition de la voiture. Personnellement, je produisais ma carte d’identité et l’autorisation de

transport dont j’étais porteur. Grâce à quelques connaissances d’allemand que je possède, je pus m’entretenir directement avec l’officier commandant le détachement, sans le truchement d’un interprète… J’exposai à cet officier pourquoi j’étais venu à Limoges et que je rentrais à Paris, via Oradour où je comptais embrasser ma femme et mes enfants qui s’y trouvaient à l’abri des bombardements anglo-américains. L’officier me demanda alors si j’étais né à Oradour ; sur ma réponse négative, il m’a autorisé à continuer ma route. Il nous fallut recharger dans la voiture tous les objets et matériel dont elle avait été vidée au cours de la perquisition. De l’endroit où nous séjournions, on ne voyait pas Oradour, mais on aperçoit dans sa direction une épaisse colonne de fumée s’élever dans le ciel. Je prescrivis à mes compagnons de voyage de regagner Limoges au cas où je ne serais pas de retour dans un délai assez bref. Il était 20 heures environ. Au cours de notre trajet à travers champs, nous avons constaté qu’un cordon de troupe en armes cernait complètement le bourg. Arrivés au PC, nous subîmes un nouvel interrogatoire. Nous étions 5 ou 6 hommes et 8 ou 10 femmes. En l’absence du chef du détachement, l’interrogatoire fut conduit par un sous-officier qui nous indiqua ensuite qu’il convenait d’attendre le commandant. Durant notre séjour au PC, les hommes de troupe qui nous gardaient et qui étaient tous des Allemands, n’ont pas cessé de plaisanter avec les femmes et de montrer une gaîté comparable à celle que l’on éprouve après une bonne partie de plaisir. Aucun de ces hommes n’était en état d’ivresse. Vers 22 heures, les soldats allemands changèrent subitement d’attitude, le commandant venait d’arriver au PC. Il nous fut prescrit, à moi et aux autres hommes, de nous aligner sur un rang le long de la clôture, comme si nous allions être fusillés. Une nouvelle vérification d’identité fut faite. Nous étions tous des hommes qui venaient voir leur famille, et aucun


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d’entre nous n’était domicilié à Oradour. Est-ce pour cette raison ? Estce plutôt parce qu’il était très tard et que l’officier avait hâte de rentrer ? Toujours est-il que nous fûmes invités à nous éloigner rapidement du village. Au moment de notre départ, le sous-officier qui avait procédé à la dernière vérification d’identité et qui parlait correctement le français, nous dit : « Vous pouvez dire que vous avez de la chance. » Nous comprîmes ces paroles, par la suite, lorsque nous sûmes que toutes les personnes même étrangères au bourg qui s’étaient présentées à Oradour dans l’après-midi, avaient été exécutées. Parmi les hommes qui étaient avec moi, il s’en trouvait un que je connaissais et qui m’offrit l’hospitalité dans sa petite maison de campagne, dépendant d’un petit hameau appelé Les Bordes et situé à 1 200 mètres d’Oradour. Sa femme nous apprit que les Allemands étaient arrivés vers 14 heures, avaient perquisitionné dans la maison et exigé qu’on prépare, pour leur officier, un repas chaud aussi copieux que possible. Elle avait été informée dès le début que les Allemands avaient pour mission de

brûler Oradour, un commandant portant beaucoup de décorations ayant été victime d’un attentat, à quelques kilomètres de là. Elle nous apprit également qu’un maçon avait été tué dans le courant de l’après-midi, qu’aucun enfant de l’école n’était rentré au hameau, et que les mères de ces enfants qui, inquiètes, s’étaient dirigées vers le bourg au moment de l’incendie, n’avaient pas non plus reparu. La nuit s’écoula dans une grande consternation. Le lendemain, dès le petit jour, 5 ou 6 hommes, dont j’étais, se dirigèrent vers le bourg, avec l’espoir d’avoir des nouvelles des disparus. Un spectacle indescriptible nous y attendait. La maison qui, la veille au soir servait encore de PC, était complètement brûlée. Aux abords, on remarquait de nombreuses douilles de cartouches et un amas de bicyclettes dont la plupart étaient détériorées. Un peu plus loin, nous sommes entrés dans l’agglomération principale que nous avons traversée dans sa plus grande longueur. Tous les bâtiments, y compris l’église, les écoles, la mairie, la poste, l’hôtel que ma famille habitait, n’étaient plus que ruines

fumantes. Deux maisons seulement avaient été épargnées : l’une à l’entrée du bourg côté Les Bordes, et l’autre à la sortie du bourg, côté La Fauvette. En tout et pour tout, nous n’avions aperçu que trois cadavres, deux cadavres carbonisés en face d’une boucherie, et un cadavre de femme non carbonisé mais tué d’une balle dans la nuque. Nous avons continué sur la route de La Fauvette jusqu’à la première ferme sinistrée, dans le but de savoir si l’on avait vu passer des femmes et des enfants. Malheureusement, personne n’avait rien vu. Je pus toutefois interroger un adolescent qui m’a dit s’être sauvé de la maison de ses parents de la façon suivante : lorsque les Allemands sont arrivés à Oradour, ils ont pénétré dans toutes les maisons et ont obligé tous les habitants à sortir immédiatement. Lui-même, pris de peur, était monté jusqu’au grenier où les Allemands n’étaient pas venus le chercher. Plus tard, incommodé par la fumée, il était sorti de sa cachette et avait pu, en se dissimulant derrière les haies, atteindre les fermes où nous venions de le trouver. Nous sommes alors revenus vers le bourg, avec l’intention de prospecter une nouvelle route, celle qui mène à Saint-Junien, par Meferat et Dieulidou. Mais dès les premières maisons, nous nous sommes heurtés à une patrouille allemande dans laquelle j’ai reconnu quelques soldats de l’unité qui nous avait, la veille, arrêtés à 4 kilomètres d’Oradour. Après une nouvelle vérification des papiers et m’être fait reconnaître, le sous-officier commandant la patrouille nous intima de nous éloigner immédiatement, si nous ne voulions pas qu’il redonne l’ordre de tirer. Il nous avait également demandé d’où nous venions, et j’ai la certitude qu’il nous aurait massacrés, s’il avait su que nous avions déjà traversé le bourg. Nous avons alors regagné Les Bordes, en faisant le tour d’Oradour, par des chemins détournés. A notre arrivée, le bruit courait que les enfants et les femmes avaient été rassemblés à Maferat. Comme nous nous disLE RÉVEIL - N°803 - mai 2014

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posions à partir, nous avons aperçu sur la route, venant d’Oradour, un vieillard de plus de 80 ans. Il avait échappé au massacre en se cachant dans une cabane à lapins. De sa cachette, il avait, la veille, entendu la fusillade tout l’après-midi et assisté à l’incendie… Nous sommes alors revenus à Oradour où le nombre des hommes cherchant dans les ruines avait considérablement grossi notre précédent passage. C’est alors que je me dirigeai vers les charniers déjà découverts. Le spectacle était horrifiant. Au milieu d’un amas de décombres, on voyait émerger des ossements humains calcinés, surtout des os de bassin. Dans une dépendance de la propriété du docteur du village, j’ai trouvé le corps calciné d’un enfant dont il ne restait plus que le tronc et les cuisses. La tête et les jambes avaient disparu. Je vis plusieurs charniers : un à côté de l’embranchement des routes Saint-Junien et de la Fauvette, un autre dans le garage du village, un troisième dans une grange située à côté du café du Chêne vert. Bien que les ossements fussent aux trois-quarts consumés, le nombre des victimes paraissait très élevé. Au cours de mes déplacements dans le bourg, j’avais pu constater que les trois cadavres aperçus le matin, au petit jour, avaient disparu et que les deux maisons épargnées avaient été incendiées, très certainement par la

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patrouille que nous avions rencontrée le matin. C’est alors que j’appris, il était 17 heures, que l’on venait de découvrir, dans l’église, les cadavres des femmes et des enfants. Il n’est pas de mots pour décrire pareille abomination. Bien que la charpente supérieure de l’église et le clocher soient entièrement brûlés, les voûtes de la nef avaient résisté à l’incendie. La plupart des corps étaient carbonisés, mais certains, quoique sur le point d’être réduits en cendres, avaient conservé figure humaine. Dans la sacristie, deux petits garçons de 12 à 13 ans se tenaient enlacés, unis dans un dernier sursaut d’horreur. Dans le confessionnal, un garçonnet était assis, la tête penchée en avant. Dans une voiture d’enfant, reposaient les restes d’un bébé de 8 à 10 mois. Je ne pus en supporter davantage, et c’est en marchant comme un homme ivre que je regagnai Les Bordes. D’autres que moi ont vu cela, mais ils ne sont pas nombreux, car le lundi matin les Allemands sont revenus pour effacer le plus de traces possibles de leurs œuvres. Ici s’arrête l’exposé des faits dont j’ai été personnellement le témoin. Mais je crois bon d’y ajouter la déclaration d’un rescapé que je n’ai pas vu, mais dont les paroles m’ont été rapportées par une personne digne de foi : lorsque les Allemands ont pénétré dans Oradour, vers 14 heures, ils ont obligé tous les habitants à sortir de leur demeure

et les ont rassemblés sur la place du pays, le champ de foire. Un interprète les a alors avisés qu’un commandant allemand portant beaucoup de décorations avait été tué, à quelques kilomètres d’Oradour, et que les autorités allemandes savaient qu’il existait un dépôt de munitions dans la localité. L’interprète a alors demandé où se trouvait ce dépôt. N’ayant pas obtenu de réponse, la population a alors été avisée que le feu allait être mis aux maisons, afin de faire sauter le dépôt clandestin. Le maire prit alors la parole pour donner l’assurance que tout le monde ignorait, à Oradour, l’existence d’un dépôt de munitions. Il s’offrit comme otage, afin d’éviter la destruction de l’agglomération. Mais les Allemands décidèrent de mettre leur menace à exécution. Ils firent alors rentrer un premier groupe d’hommes dans une grange, puis les mitraillèrent. Ensuite, sur les corps tués ou simplement blessés, ils amassèrent du bois, de la paille, du foin et mirent le feu. Ils procédèrent de la même façon pour les autres hommes. Le rescapé dont il s’agit est une personne qui a subi le sort commun, mais au moment du mitraillage, a eu la présence d’esprit de tomber, et qui, par la suite, a attendu que l’incendie soit suffisamment violent, pour sortir de la grange sans être vu des Allemands. Il ne semble pas que les femmes et les enfants aient subi le même sort, puisqu’on a retrouvé dans l’église des corps que la mort a surpris dans une attitude normale. Il s’ensuit que les femmes et les enfants ont dû, avant de mourir, assister au massacre des hommes. … Depuis, je suis retourné à Oradour. Je n’ai pu y retrouver aucune trace des miens, si ce n’est le témoignage d’une jeune fille rescapée qui m’a donné l’assurance que ma femme et mes enfants étaient tombés aux mains des Allemands.


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Alerte à l’ONAC ! Le conseil d’administration de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) s’est réuni à Paris le 9 avril dernier. André Fillère, n’ayant pu y participer, avait confié son mandat à Jean-Claude Gouellain (Grands Invalides de guerre) qui intervint notamment sur les problème des psychonévroses OPEX, rappelant l’actualité des travaux (non exploités hélas) menés par Georges Doussin, André Fillère, Bernard Sigg et certains médecins militaires. Un conseil d’administration extraordinaire fut annoncé pour juin, lequel devra statuer sur l’externalisation (expulsion !) des établissements médicaux sociaux (Écoles de réinsertion professionnelle et maison de retraite) hors de l’ONAC. Le syndicat CGT (lui aussi « externalisé » du CA de l’ONAC où il siégeait avec la CFDT et FO) a fait parvenir un courrier aux administrateurs. Il y déclare notamment : « La logique purement comptable présentée (…) montre des résultats majoritairement positifs (…) parvenant même à verser un abondement de 3 MF au fonds de roulement de l’ONAC. La contrepartie, et pas seulement dans les établissements : difficultés pour les personnels, pas assez nombreux, arrêts de travail, donc des surcoûts pour leur remplacement, non remplacement des personnels, surcharge de travail, les démissions de directions, souffrance au travail et difficultés de fonctionnement, diminution du volume horaire d’enseignement, moyens de fonctionnement ramenés à des seuils mettant en difficulté les apprentissages, requalification à la baisse de certains postes (cadres A remplacés par des agents de catégorie B, qui feront bien sûr le même travail), alors que les ERP ont les moyens de maintenir une qualité de formation, qui serait un « plus » au moment de leur transfert. Certaines situations sont proches de la maltraitance des personnels, des stagiaires et des résidents. La direction générale souhaite faire entériner le transfert des éta-

blissements, après avoir dit que l’ONAC devrait se recentrer sur ses missions, dont les établissements ne faisaient pas partie. Mais pour cela il faut réécrire le Code des pensions, puisqu’une des missions de l’ONAC était justement, dans son volet social, la reconversion diplômante des travailleurs handicapés et l’hébergement des ressortissants âgés ! » Or, fait remarquer la CGT, la « refonte » de ce code PMI est déjà en cours, sans la participation des ACVG ni des administrateurs de l’ONAC, avec au bout une loi d’habilitation et des ordonnances, hors de toute validation parlementaire ! Le transfert des ERP et maisons de retraite, poursuit la CGT, « c’est la suppression de près de 800 postes à l’ONAC, la moitié de son personnel ! (…) Alors que, dans le même temps, il y a volonté d’étoffer le siège (central) en augmentant le nombre d’administrateurs civils ». On peut en effet noter au moins trois exemples précis : le remplacement de Mme Cristel Augustin (secteur solidarité) par une administratrice civile, arrivée de M. Charlet (conseiller spécial de la directrice générale de l’ONAC) et de Mme Cristina Colorgé… chargée de l’externalisation des ERP et maisons de retraite ! Administrateurs civils dont on aimerait savoir si leur traitement

mensuel est identique à celui de la fonction publique… Quant à la CGT, elle souligne que « les ERP et les maisons de retraite sont en attente d’information sur leur avenir et cette incertitude accroît encore leur inquiétude et leur mal-être ». Le COP (Contrat d’objectifs et de performances) qui va régir l’ONAC jusqu’en 2017, se pose comme objectif de supprimer 50 % de ses personnels et de déshabiller l’ONAC de plus de ses quinze établissements. Que restera-t-il à l’ONAC, à l’heure où la centralisation des régions mettra à mal des dizaines de départements et autant de services départementaux de l’ONAC, frappant de plein fouet le maillage départemental de l’ONAC et ses services de proximités ? Voilà un tour de Valls dont les ACVG se passeraient bien !

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LE RÉVEIL VIE dE L’aRac

actualité de la souveraineté nationale Le 9 avril 2014, soirée d’études du Bureau national de l’ARAC avec Anicet Le Pors, ancien ministre de la fonction publique et des réformes administratives. Les questions de la nation, de la souveraineté et de la citoyenneté ont émergé dans le temps long et c’est à l’échelle de l’histoire qu’il convient d’aborder ces questions.

Première rupture. Philippe Le Bel, fin XIIIe siècle, crée le Conseil d’État du Roi, entraînant une franche distinction public-privé. Il installe le pape Clément V en Avignon pour signifier qu’il est moins monarque « par la grâce de Dieu » que par son autorité propre ; La sécularisation du pouvoir il fait décapiter ses créancier et brûler politique L’idée de souveraineté émerge de notre les Templiers. Dans le même esprit histoire à travers un processus de sor- François 1er, par l’ordonnance de Viltie de la religion, d’affranchissement de lers-Cotterêts en 1539, impose le franla monarchie absolue et d’affirmation çais comme langue administrative offisimultanée de l’existence de l’État na- cielle et se réapproprie le droit d’asile tion et de la communauté des citoyens ; en matière civile qui était jusque-là le le processus correspond à trois rup- monopole de l’Église. Le souverain, tures depuis la sortie du Moyen-Âge c’est le Roi. soit sur quelque sept siècles, ce que le Deuxième rupture sous Louis XIV, sociologue Marcel Gauchet a appelé « Le durant son long règne de 72 ans, comdésenchantement du monde ». mencé par « l’État c’est moi » et qui se termine par « Je meurs, mais il reste l’État ». L’établissement d’un appareil d’État a abouti à son autonomisation, à sa séparation de la personne du monarque. Cela pose la question

campagne de signatures carte-pétition

Cette carte est disponible au siège national de l’ARAC. Comme pour la précédente campagne carte postale-pétition, celle-ci est à déposer dans n’importe quelle boîte aux lettres - sans affranchissement.

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du lieu et de la nature de la souveraineté. Quoi qu’il en soit, ce n’est déjà presque plus la personne du monarque. Troisième rupture, préparée par les Lumières et formalisée par Jean-Jacques Rousseau, notamment dans Du Contrat Social en 1762. Il propose que ce soit une abstraction : le concept de Peuple qu’il conçoit comme étant la communauté des citoyens qu’il définit ainsi : « À l’égard des sociétés, ils prennent collectivement le nom de Peuple, et s’appellent en particulier citoyens comme participant à l’autorité souveraine ». Il annonçait ainsi le transfert de la notion de souveraineté du monarque au peuple. La nation sera introduite par l’article 2 de la Déclaration des droits de 1789 : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation ». La constitution de 1793 ajoutera en son article 7 : « Le peuple souverain est l’universalité des citoyens français ». Non seulement l’histoire n’est pas finie mais elle s’accélèrera au XIXe siècle mettant en confrontation les citoyens et l’appareil d’État. Au plan européen, s’affirment les nationalités. Se combineront alors les luttes pour la République, pour le socialisme, pour la laïcité, pour de grandes conquêtes sociales, débouchant sur le XXe siècle « prométhéen », ses expressions totalitaires, son échec ouvrant sans doute la voie à une nouvelle « métamorphose » (Edgard Morin), mais « pendant la mue le serpent est aveugle ». La souveraineté nationale doit désormais se définir dans un contexte de mondialisation.

La problématique actuelle de la souveraineté La souveraineté est une en ce qu’elle légitime l’exercice du pouvoir politique et de ses instruments (création monétaire, État de droit, politiques publiques, relations internationales). La France, dans cette recherche, a connu quinze constitutions en deux siècles... Il est courant d’en distinguer deux aspects,


VIE DE L’ARAC LE RÉVEIL

la souveraineté nationale et la souveraineté populaire. La première ne prétend pas à la seule représentation des citoyens existants, mais veut aussi traduire les aspirations de la continuité des générations. La seconde tend à privilégier la démocratie directe par rapport à la démocratie représentative soutenue par la première. Le programme du CNR était fortement imprégné de l’idée de souveraineté nationale et populaire. La constitution de la IVe République retiendra la notion de souveraineté nationale que l’on retrouve dans la constitution de la Ve République en son article 3 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et la voie du référendum ». La souveraineté ne saurait être déléguée si certaines compétences peuvent l’être. C’est dans le contexte très particulier du lendemain de la deuxième guerre mondiale que le préambule de la constitution de 1946 a prévu que, sous réserve de réciprocité, « La France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l’organisation et à la défense de la paix ». Restera constante, par ailleurs, la règle selon laquelle « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois » (article 55 de la constitution). La souveraineté ne saurait cependant être préservée par le seul respect formel des règles du droit positif. On a vu comment le gouvernement est parvenu à contourner, par la voie parlementaire, le rejet par le peuple français, en 2005, du traité constitutionnel de l’Union européenne pour aboutir à ses fins avec le traité de Lisbonne. Au-delà de ces manœuvres juridiques, il y a aussi perte de souveraineté sur le plan économique. La France a abandonné à la Banque centrale européenne son pouvoir monétaire. Avec l’inscription dans les traités européens de la « règle d’or » de l’équilibre budgétaire sous peine de sanctions, elle perdrait aussi son pouvoir budgétaire, c’est-à-dire la conduite de l’ensemble des politiques publiques et, par là, serait mise en cause l’existence même de ses services publics et la notion d’intérêt général qui

fonde leur existence. Y compris en ce qui concerne le problème de la dette, la France perdrait la maîtrise de sa gestion sous couvert de coordination des politiques budgétaires et financières soumises aujourd’hui au diktat des marchés financiers mondiaux et de leurs agences de notation dépourvus de toute légitimité politique. La souveraineté, c’est donc aussi la reprise en main par la nation de sa politique économique : le Japon est deux fois et demie plus endetté que la France et pourtant il ne connaît pas les tourments européens pour la simple raison que les titres de la dette japonaise sont possédés, non par les marchés financiers mondiaux, mais par … les Japonais. L’abandon de la souveraineté, c’était aussi, pour le pouvoir sarkozyste, l’occasion de mettre la France aux normes exigées par l’ultralibéralisme prévalant au sein de l’Union européenne. La souveraineté nationale et populaire a permis : un service public occupant un quart de la population active, un système de protection sociale basé sur la solidarité, un principe de laïcité fondant la responsabilité civique, un modèle d’intégration établi sur le droit du sol, une démocratie locale aux multiples foyers. C’était, pour le pouvoir d’alors, autant d’ « anomalies » qu’il voulait supprimer. Comme l’a écrit le philosophe Marcel Gauchet : « Le programme initial du sarkozysme, c’est un programme de banalisation de la France ». La nouvelle majorité présidentielle ne rompt pas vraiment avec cette démarche, si on doit relever ce qui en diffère néanmoins. Une plus grande prudence concernant les politiques publiques et une tentative de donner le change (MAP, CGSP) ; la conservation du statut général des fonctionnaires malgré un manque total d’ambition (30e anniversaire, loi Lebranchu, rapport Pêcheur) ; une politique de l’immigration et de l’asile qui change peu si elle est moins ostentatoirement hostile. En revanche, on peine à faire la différence sur l’acte III de la décentralisation et même sur la laïcité (en dépit de la Charte Peillon). L’option libérale conduit le pouvoir actuel à faire allégeance à une union

européenne en crise économique et politique défavorable à la souveraineté nationale sans profit pour le peuple.

La mise en perspective universelle de la souveraineté nationale À l’inverse, la défense de la souveraineté nationale c’est, pour le peuple français, le moyen de se réapproprier son histoire, la démarche rationnelle et la morale républicaine. C’est aussi le moyen de s’inscrire dans une autre conception de l’histoire qui prend appui sur la montée de l’« en commun », privilégie l’universalisme sur la politique des blocs, participe à l’émergence de valeurs universelles. Le monde à venir est celui des exigences d’interdépendances, de coopérations, de solidarités qui conduisent à l’idée d’un XXIe siècle « âge d’or » du service public. Cela contribue activement à la création des moyens d’une mondialisation qui n’est pas seulement celle du capital, s’inscrit dans une dynamique qui établit une dialectique progressiste entre le monde, les grands continents et la nation. Ernest Renan dans sa célèbre conférence à la Sorbonne du 11 mars 1882 : « Les nations ne sont pas quelque chose d’éternel, elles ont commencé, elles finiront […] La confédération européenne probablement les remplacera. Mais telle n’est pas la loi du siècle où nous vivons ». C’était il y a 132 ans… Cela nous apprend que l’on ne bouscule pas les créations de l’histoire par décret. Qu’il ne suffit pas que le traité de Maastricht ait décrété en 1992 : « Il existe une citoyenneté de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne de l’Union ayant la nationalité d’un État membre », pour que cette citoyenneté existe. Elle n’existe pas à l’évidence. C’est la nation qui est, par son histoire et la réflexion sur cette histoire, la créatrice d’universalité, car c’est la nation qui est et demeure le niveau le plus pertinent d’articulation du particulier et du général.

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Notre voyage au Vietnam et au Cambodge Avec ma compagne Françoise, je faisais partie du groupe qui a effectué ce voyage organisé grâce au Comité français pour le Village de l’Amitié créé il y a 20 ans par l’ARAC. Pour ce qui nous concerne, c’était le grand voyage et la découverte d’un pays et d’un peuple qui avait toute notre sympathie et pour lequel nous étions de ceux qui ont manifesté concrètement et bien des fois, afin qu’il puisse vivre en paix et

prendre lui-même sa destinée en main. Voyage touristique et de connaissance, le pays est magnifique avec la trépidante Hanoï et le calme auprès de ses lacs, la merveille naturelle de la baie d’Ha Long, la visite en barque de « l’Ha Long terrestre », les temples et pagodes si richement décorés, ses spectacles de marionnettes, de danses et musique, ses paysages de rizières, de montagnes, de bord de mer, Hué et sa cité impériale, les marchés pittoresques et étonnants, l’attachante Hoi An et bien d’autre sites…. Mais également, avec le programme qui nous était proposé, l’entrée en connaissance d’un peuple, de son histoire et de ses traditions, de ses souffrances, de son évolution. Ainsi nous avons été en contact avec les minorités du Nord dans les marchés, dans la rue avec les hmongs noirs et colorés. Mais nous avons, avec la visite du village des Dao Rouge, pu rencontrer ce peuple si accueillant et être reçu dans leur maison, nous entretenir 24 -

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sur leur façon de vivre, l’éducation des enfants, leur protection dans le domaine de la santé (un dispensaire vient d’être ouvert récemment dans le village qui assure les premiers soins). Dans la même journée, nous avons visité une école située en zone montagneuse. La rencontre et les informations fournies par la directrice nous ont montré l’effort entrepris par le Vietnam, dans ce domaine. Nous avons visité à Vàn Canh, près d’Hanoï, le Village de l’Amitié. Rencontre avec le directeur du Centre et avec le personnel éducatif et médical, les diverses activités des enfants du village nous ont été présentées. Nous avons rencontré des vétérans qui y sont soignés. L’ARAC est de ceux qui sont à l’origine de la création de ce village pour marquer sa volonté de solidarité concrète, de paix et de réconciliation. Le Comité français pour le Village de l’Amitié, dans le comité international, en partage la responsabilité de l’organisation et du financement. Trente années de guerre auxquelles il faut ajouter l’intervention contre les Khmers Rouges et l’agression de la Chine en 1979 ont lourdement handicapé ce pays. Si l’évolution et la modernisation sont à l’ordre du jour pour répondre à l’attente du peuple, les difficultés ne manquent pas. Des zones entières (de l’ordre de 20 000 km2) ne peuvent être exploitées. L’agent orange est responsable encore aujourd’hui de nombreux problèmes de santé. Les enfants qui naissent étant les plus concernés. La structure sociale du pays a permis d’assurer des résultats positifs dans de nombreux domaines. Et, d’un autre côté, le pays s’est ouvert à l’économie de marché. A Hanoï, nous avons visité le musée de l’Histoire militaire qui retrace la lutte de libération du peuple vietnamien ; également la place où Ho Chi Minh a proclamé, en 1945, l’indépendance du pays, ainsi que sa résidence près du mausolée. Après le Vietnam, quelques jours

d’étapes au Cambodge nous ont permis de découvrir et d’être subjugués par la beauté et le gigantisme des temples d’Angkor. Phnom Penh nous a éblouis par la magnificence du palais royal, nous a intéressés par la visite du musée de l’art Khmer. Avant de quitter ce pays, nous avons souhaité visiter le musée du génocide qui retrace la tragédie de la main mise sur le pays par les Khmers Rouges. Enfin, avec plein de souvenirs, d’émotions, de mémoires vives, de rencontres amicales, nous sommes rentrés chez nous. Jean-Claude Dumoutier

Le Village de l’Amitié à Villejuif Le 14 mars dernier, le Comité pour le Village de l’Amitié de Villejuif a, comme chaque année, organisé une soirée festive avec repas vietnamien, exposition et vente d’artisanat. Soixante-dix personnes étaient présentes, des amis anciens et d’autres nouveaux. Nous avons apprécié la présence de notre maire Claudine Cordillot qui a toujours soutenu nos activités. Un billet aller/retour Paris-Hanoi offert par Vietnam Airlines et HIT Voyages, que nous remercions, a été gagné par une jeune participante qui rendra visite aux enfants accueillis au Village de l’Amitié. Le bénéfice de cette soirée sera envoyé au directeur du village en vue de la construction de la piscine médicalisée indispensable et pour les soins à donner aux résidents de ce village, qui a vu le jour grâce à la solidarité internationale des anciens combattants et pacifistes, dont l’ARAC.


Vie de l’arac LE RÉVEIL

Gironde (33) Présence de l’ARAC au défilé du 1er Mai à Bordeaux.

Contre l’austérité Alfortville (94)

L’ARAC était présente lors de la manifestation du 12 avril contre l’austérité. Nous avons distribué massivement

L’appel au peuple de France. Quelques adhésions à l’ARAC ont été réalisées.

L’ARAC d’Alfortville à l’Arc de Triomphe, le 7 mars

Le Havre (76) Jeudi 10 avril dernier avait lieu, au cinéma Sirius, au Havre, et à l’appel de l’Union locale havraise de la CGT avec l’IHS (Institut de l’histoire sociale de Seine-Maritime), l’ARAC, les Amis de l’Humanité et ATTAC, la projection du film Les jours heureux. Ce fut un réel succès puisque la salle, d’une contenance de 200 places, était occupée en totalité et que nous avons eu obligation de refuser des spectateurs. Après la projection émouvante du film, une très fructueuse discussion s’instaura en présence de Gilles Perret, réalisateur et des représentants des cinq associations organisatrices de cette soirée.

Clermont-Ferrand (63) Pour certaines personnes, les faits se suffisent à eux-mêmes. Et hier, c’est une de ces vies « peu banales que l’on rencontre peu souvent », comme l’a qualifié le recteur Jean-Marc Monteil, qui a été mise à l’honneur, à Clermont-Ferrand. Cette vie, c’est celle de Roger Champrobert, promu commandeur de la Légion d’honneur. C’est celle d’un résistant clermontois né le 3 octobre 1918 au sortir de la Der des Ders. Celle d’un adolescent au destin « un peu particulier » qui a travaillé à l’usine dès 14 ans. Puis celle d’un jeune homme aux Jeunesses communistes propulsé sur le front en

1939 avant d’être fait prisonnier une première fois en 1940. « Vous êtes une mémoire et un témoignage. Un engagement à vivre debout ». Pour Roger Champrobert, qui a tenu à rendre hommage à sa femme, le discours de Jean-Marc Monteil aura été « trop élogieux ». Pourtant, celui qui est âgé de 95 ans a tant œuvré pour son pays. En devenant résistant dès 1941 avant d’être déporté en juin 1944 à Dachau. Autant d’événements et de faits qui auront façonné de manière indélébile sa vie d’après-guerre : « celle d’un journaliste synonyme d’espérance ». LE RÉVEIL - N° 803 - mai 2014

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Solre-le-Château (59)

Tombola du Réveil Remise de la voiture à la gagnante La gagnante de la voiture de la tombola du Réveil est, cette année, Cécile Fringans de la section locale de l’ARAC de Solrele-Château, jolie commune du terroir du Nord, proche de Maubeuge. Raphaël Vahé, président national et Patrick Staat, secrétaire général et directeur du Réveil, avaient fait le déplacement pour lui remettre les clefs lors d’une très belle cérémonie tenue dans la salle d’honneur de la mairie, devant sa famille, ses proches, ses amis, soit plus de quarante personnes. Quel plaisir de voir une lectrice du Réveil, adhérente de l’ARAC, resplen-

dissante avec son sourire, une section locale rassemblée de façon conviviale et affectueuse sous la houlette de nos dynamiques responsables locaux JeanClaude, Lucie Waxin, bien entourés de leur équipe expérimentée… Georges Spellemacker et Bernard Hannecart de la direction départementale de l’ARAC

59, les amis de Fenain s’étant excusés, et de nombreux membres des sections voisines avaient tenu par leur présence à exprimer à Cécile leur joie partagée… Bonne route et bonne conduite à Cécile, en attendant la tombola de Noël du Réveil 2014 pour de nouveaux gagnants…

Sud-Finistère (29)

tion de l’ARAC Sud-Finistère a voulu célébrer cet homme de progrès. Avec la venue de Charles Silvestre, ancien rédacteur en chef de l’Humanité, plusieurs manifestations furent organisées en Sud-Finistère, à Douarnenez, à Concarneau, avec une conférence débat à La Forêt-Fouesnant en présence de 80 personnes, suivie de la dédicace du livre du conférencier, La victoire de Jaurès.

Raphaël Vahé

Pessac (33) 27 avril, Journée de la Déportation : Christian Elie, président de la section, avec Germaine Bonnafon, ancienne déportée, déposent la rose « Résurrection » au monument aux morts.

Arac Dordogne (24) Cérémonie annuelle du Sablou. 26 -

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Le 31 juillet 1914, Jean-Jaurès était assassiné. 100 ans :1914, début de la Grande Guerre. Ardent défenseur de la paix, négociateur de la paix, laïcité, humanisme, progrès social, il en était le promoteur. Journaliste progressiste, il avait toutes les valeurs que nous défendons à l’ARAC. Avec le Mouvement de la paix, la Ligue des droits de l’homme, la sec-


souscriPtion nationale

souscriveZ

liste Des souscriPteurs mai 2014

Pour l’arac De Demain !

PrÉlèvements : Auberget Roger (71) : 10 e par mois, Nicolas Alain (Conseil national) : 50 e par trimestre, Roger Gabriel (07) : 50 e par trimestre.

Arac section Brive-la-Gaillarde (19) : 150 e, Arac section Vénissieux (69) : 50 e, Arac section Le Havre (76) : 50 e, Arac Paray-le-Monial (71) : 500 e, Arac section d’Igny (91) : 100 e, abonnés réveil Delpierre Paul - 100 e,

Je souhaite faire un don à l’arac

merci De PrÉciser le moDe De rèGlement : • par chèque à l’ordre de l’ARAC, en un ou plusieurs règlements, avec les dates d’encaissement souhaitées. • par prélèvement bancaire, avec le montant de votre prélèvement (mensuel ou trimestriel) : merci de joindre un RIB. • Dès réception de votre règlement, nous vous adresserons une attestation de contribution et un reçu fiscal. Nous vous rappelons que vos dons ouvrent droit à une déduction fiscale de 66 %.

Seine-Maritime (76) : Cramoisan Charles - 50 e Merran Alain - 50 e Ridel Georges - 50 e Yvelines (78) : Boissonnet Claude - 100 e Somme (80) : Desaimard Gérard - 10 e Tarn (81) : Fiamazzo Bruno - 20 e Var (83) : Zolli Marius - 50 e Essonne (91) : Anchuelo Louis - 50 e Barrier Floréal - 100 e Berducat Claude - 50 e Hauts-de-Seine (92) : Canacos Georges - 100 e Espi André - 100 e Seine-Saint-Denis (93) : ` Brazzini Roger - 100 e Val-de-Marne (94) : Sinet Jacky - 100 e

Ain (01) : Maire François - 30 e Aisne (02) : Velu André - 100 e Côte-d’Or (21) : Harbelot Marcel - 50 e Finistère (29) : Jardin Yves - 100 e Ille-et-Vilaine (35) : Huber Serge - 100 e Isère (38) : Buttin Odette - 20 e Hautes-Pyrénées : Lamon Laurent - 50 e Pyrénées-Orientales (66) : Pouget Etienne - 50 e Rhône (69) : Alloisio François - 50 e Savoie (73) : Evrard Henri - 200 e Paris (75) : Sagnes René - 30 e

et je coche le montant souhaité :

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nom et prénom : adresse :

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Autre montant :

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code postal : tél. :

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a retourner à : arac - 2 place du méridien - 94800 villejuif - tél. 01 42 11 11 11 - arac.nationale@orange.fr


LE RÉVEIL Vie de l’arac

Décès de Gaston Mater Juste parmi les nations, Chevalier de la Légion d’honneur Gaston Mater, Villejuifois, nous a quittés en mars dernier. La présence nombreuse de ses amis est l’écho de l’affection qu’ils lui portaient mais aussi de leur profond respect. Un respect teinté d’admiration, car pendant l’occupation, face à la brutalité, Gaston et Thérèse, son épouse, ont abrité chez eux, au péril de leur vie, un enfant juif, Simon Hohman, pendant deux longues années. La Libération venue, Gaston et Thérèse Mater ont, en toute simplicité, repris le cours d’une vie paisible que seuls les tumultes, les horreurs et les privations de la guerre avaient interrompu. C’est Jean Hohman, le fils de Simon, qui fera la démarche pour que Gaston Mater et sa femme Thérèse soient reconnus « Justes parmi les nations ». Le 11 février

2007, Villejuif rendait officiellement hommage à ces deux citoyens d’exception qui sont l’honneur de la ville, une ville qu’ils aiment passionnément. « …Aujourd’hui et demain, il nous faudra garder en mémoire leur courage, leurs idéaux pour une humanité fraternelle. Aujourd’hui comme hier, ne laissons ni banaliser ni passer les messages de haine, d’antisémitisme, de racisme, de xénophobie… » (Claudine Cordillot, le 7 mars 2014, maire de Villejuif).

Robert Meunier nous a quittés Ancien combattant en Indochine, président du comité départemental de soutien au Village de Van Canh en Essonne, président d’honneur de l’ARAC 91, fondateur de la section de Vauhallan, ancien membre du Bureau national de l’ARAC, Robert s’est éteint des suites d’un cancer généralisé à l’âge de 83 ans. Ce combattant pour la paix, pour la

solidarité internationale était aussi un défenseur ardent des droits à réparation des ACVG. Dirigeant départemental de l’UFAC 91, membre actif des commissions de l’ODAC, il fut, avec Nouchette son épouse, l’un des éléments vitaux du développement de l’ARAC en Essonne. Le président de l’UFAC 91, Raymond Gamel, lui rendit hommage le 10 avril dernier lors de la messe à Vauhallan, puis André Fillère prononça l’oraison funèbre l’après-midi au crématorium des Ulis, en présence d’une nombreuse assistance, parmi laquelle bien des représentants du mouvement ACVG 91 (ARAC, UDAC, FNACA, UF, etc.) et les drapeaux associatifs. Que Nouchette et ses deux fils, leurs épouses et ses sept petits-enfants trouvent ici, avec nos condoléances, le soutien chaleureux et fraternel des directions nationales et départementales de l’ARAC, de la Mutuelle de l’ARAC, de l’ACVGI et du Réveil des Combattants.

NOS PEINES MAI 2014 Le Réveil des Combattants adresse aux familles et aux amis de nos camarades décédés ses sincères condoléances. ALLIER (03) Meillard : Mme Marcelle LACARIN, 102 ans. Saint-Germain-des-Fossés : Maurice ALLIGIER, Résistant. Saint-Pourçain-sur-Sioule : Christian LERAY, AC ATM. ALPES-DE-HAUTE-PROVENCE (04) Les Mées : Edmond AILHAUD, AC 39-45. ALPES-MARITIMES (06) La Colle-sur-Loup : Claude BELLUCCI, AC ATM. BOUCHES-DU-RHÔNE (13) Aix-en-Provence : Roger Albert COMPAGNE, AC 39-45. Rognac : Maurice GUIOU, AC 39-45. Rousset : Victor LONG, AC ATM. Senas : Joseph ALLIOT, AC 39-45. Jean CUINET, combattant pour la paix. Saint-Marcel : Charles CHATELET, AC 39-45.

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Velaux : Antoine AGUILAR, AC ATM. DORDOGNE (24) Montrem : Jean BOISSIERE, AC 39-45. Mario SACCON. Périgueux : Mme Gaby AUXERRE, veuve. Teyjat : René BOURBON, AC ATM.

LOIRE-ATLANTIQUE (44) Orvault : René TURPIN, 79 ans, AC ATM.

VENDÉE (85) La Roche-sur-Yon : Mme MarieLouise CAPDEVIELLE, veuve.

LOT-ET-GARONNE (47) Fourques-sur-Garonne : Marcel LESPINE, 78 ans, AC ATM. Villefranche-Queyran : Jean Etienne LAFFARGUE. Charles VULPIANI, 74 ans, AC ATM.

ESSONNE (91) Savigny-sur-Orge : Joseph GALLAIS, 74 ans, AC ATM, Médaille Militaire, Porte-drapeau de la section.

FINISTÈRE (29) Fouesnant : Joseph BUSSON, 80 ans, AC ATM.

MOSELLE (57) Yutz : Pierre JOYEUX, 76 ans, AC ATM.

GARD (30) Nîmes : Gilbert IEHL, AC 39-45, Indochine et Algérie. Mme Lucette PERONET-VELLAZ, 91 ans, veuve.

NIÈVRE (58) Nevers : Jean-Claude BOUZIAT, AC ATM. André CHAUVEAU, AC ATM.

HAUTE-GARONNE (31) Lévignac : Joseph SEGURA, 84 ans, AC ATM.

NORD (59) Feignies : Mme Alice LECOMTE, Résistante.

HÉRAULT (34) Lodève : Emile BRINGUIER, AC 39-45. Jean TRINQUIER, AC 3945. Jean VALETTE, AC ATM.

SAVOIE (73) Chambéry : Jean-Louis TABLET, AC ATM Marthod : Gaston AVRILLER, AC ATM.

VAL-D’OISE (95) Isolés : Jean LEMOINE, AC TOE, Indochine. Conseil national Saint-Cyr-sur-Loire : Jacques-André LINCKER


LE RÉVEIL mémoire

La bataille de Tulle Les 7 et 8 juin 1944, les FTP de la Corrèze attaquent la garnison allemande et les Forces du maintien de l’ordre qui défendent Tulle. L’enjeu est la possession d’une ville moyenne, mais administrativement importante, et la mise à la disposition de la Résistance de la Manufacture d’armes. Le plan de l’action a été mis au point durant le mois de mai ; la direction régionale FFI a prévu des opérations de diversion dans les zones limitrophes. Les voies ferrées sont neutralisées, les ponts doivent sauter sur la N140, une avalanche de rochers doit bloquer la N89. La bataille, indécise le 7 juin, tourne à l’avantage des assaillants le 8. Les Allemands se réfugient en deux points forts : au sud, la Manufacture d’armes et l’école de Souillac ; au nord, l’École normale de jeunes filles. A 17 heures, le 8, l’incendie de l’École normale chasse les Allemands de leur retranchement. Sur la fin des combats de Tulle, de nombreuses versions ont paru. Des plus odieuses au plus fantaisistes. Nous donnons ici la version du commandant du 2e bataillon de FTPF qui dirigeait les combats autour de l’École normale, le commandant « Lucien » : « Le feu a maintenant ravagé toute la toiture… Soudain, vers 16 heures, les cadres, sans galons, tentent une sortie en force par la porte de service de l’école, donnant sur l’avenue de Bournazel. Ils sont cloués sur la route, essayant de progresser vers le Belvédère. Aucun abri ne les protège et leur feu ne peut nous atteindre. Ils sont cloués sur place par le feu conjugué d’un FM et de nos tireurs à la mitraillette surplombant d’une dizaine de mètres cette avenue… Arrêtons-nous sur ce dernier « détail ». Lorsque les Allemands reprendront la ville (le soir même) une rumeur se répandra, bientôt reprise par des commentateurs soucieux d’accabler les maquisards : « Les cadavres d’Allemands ont été odieusement mutilés ! » Les déclarations du médecin allemand, Dr Schmidt, les témoignages des blessés alle-

mands eux-mêmes, interrogés par la Gestapo et les SS sont formels, il n’y a pas eu de cruauté, bien au contraire, contre les ennemis morts ou blessés. Nous nous en tiendrons à la seule version des combattants, Allemands et Français. Les apparences de mutilation peuvent être causées par le tir à bout portant des armes automatiques. Vers 17 heures, le feu ennemi a presque cessé ; seules quelques détonations isolées, ou l’échange d’une rafale, çà et là, dominent le bruit de l’incendie. Tout à coup, nous apercevons un grand drapeau blanc, porté par une jeune fille en civil, sortant de l’école et se dirigeant vers le portail d’enceinte. Il est accompagné de quelques personnes en civil et derrière viennent les soldats allemands sans armes mains en l’air. Aussitôt tous les cadres crient « cessez-le-feu » mais ces commandements, dominés par le bruit de l’incendie et notre propre tir, ainsi que par une excitation bien compréhensible, ne s’exécutent pas immédiatement. … Quelle est notre surprise et notre joie de découvrir en la personne du porte-drapeau, Ginette, agent de liaison FTP, arrêtée par les Allemands une dizaine de jours auparavant et retenue prisonnière par la Gestapo… Nous essayons de faire un rapide tri des rescapés. Les blessés graves sont évacués sur l’hôpital, les blessés légers sont conduits à « la Croix de Bar », dans un baraquement. Les autres militaires sont confiés à un détachement qui doit les éloigner de Tulle, en direction de la haute Corrèze. Le tri des civils est une affaire beaucoup plus délicate. … Les armes se sont tues et nos sections entrent dans la ville où la population les reçoit avec beaucoup d’enthousiasme et de chaleur. Des femmes et des jeunes filles ont puisé dans leurs maigres réserves d’alimentation et nous offrent de quoi nous restau-

rer. Les combattants des guerres 1914-1918 et 1939-1940 viennent vers les cadres et les hommes pour nous faire part de leur admiration… La rue du Trech, la place de la Cathédrale et les quais sont noirs de Tullistes qui commentent, gesticulent… Des mesures sont prises d’un commun accord avec le préfet. » … Lucien précise que le PC du bataillon va aller s’installer en mairie de Tulle pour préparer la défense de la ville. L’entrevue avec le préfet terminée, nous sommes rassurés sur l’intention des services publics à notre égard. Entretemps, un officier de gendarmerie a pris contact avec nous et nous a offert du matériel roulant (side-cars notamment) et de l’armement. Le commissariat de police de la ville s’est également mis à disposition. … Il est 21 heures environ quand les unités font mouvement vers leurs emplacements de protection. Le PC du bataillon s’installe vers la même heure… Vers 22 heures, un ronronnement sourd et puissant venant de la ville inquiète B… aux aguets devant la mairie. Il rend compte à Lucien qui lui demande d’effectuer une patrouille en ville… Parti avec quelques hommes, il rencontre, quelques instants après, les chars allemands qui ouvrent le feu immédiatement…

Citoyens de Tulle ! Quarante soldats allemands ont été assassinés de la façon la plus abominable par les bandes communistes. La population paisible a subi la terreur. Les autorités militaires ne désirent que l’ordre et la tranquillité. La population loyale de la ville le désire également. La façon affreuse et lâche avec laquelle les soldats allemands ont été tués, prouve que les éléments du communisme destructeur sont à l’œuvre. Il est fort regrettable qu’il y ait eu aussi des agents de police ou des gendarmes français qui, en abandonnant leur poste, n’ont pas suivi la consigne donnée et ont fait cause commune avec les communistes. LE RÉVEIL - N° 803 - mai 2014

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Pour les maquis et ceux qui les aident, il n’y a qu’une peine, le supplice de la pendaison. Ils ne connaissent pas le combat ouvert, ils n’ont pas le sentiment de l’honneur. 40 soldats allemands ont été assassinés par le maquis. 120 maquis ou leurs complices seront pendus. Leurs corps seront jetés dans le fleuve. A l’avenir, pour chaque soldat allemand qui sera blessé, trois maquis seront pendus : pour chaque soldat allemand qui sera assassiné, dix maquis ou un nombre égal de leurs complices seront pendus également. J’exige la collaboration loyale de la population civile pour combattre efficacement l’ennemi commun, les bandes communistes. Tulle, le 9 juin 1944 Le Général Commandant les Troupes allemandes

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Cette affiche est une pièce maîtresse dans l’accusation portée contre Lammerding qui, jusqu’à une date récente, niait sa présence à Tulle. Selon ses propres déclarations, il se serait occupé, pendant que ses hommes exécutaient les otages, de vérifier les chenilles des chars de son 2e régiment blindé. Outre que ce travail ne nécessite pas la présence d’un général - un rapport lui suffit ! - les preuves ont pu être apportées que Lammerding se trouvait bien à Tulle pour ordonner les pendaisons… … Les otages ont été choisis parmi la population mâle rassemblée à la Manufacture. L’homme de la Gestapo, un certain Walter, a désigné lui-même cent vingt Tullistes. L’abbé Espinasse, aumônier du lycée, a obtenu d’assister les suppliciés. Par la persuasion, il réussira à sauver vingt-et-une vies.


maGaZINE LE RÉVEIL

les combats de Gaston revel, instituteur, communiste, élu en algérie Alexis Sempé, diplômé en histoire de l’Université Toulouse le Mirail, s’est penché avec passion sur le parcours citoyen et militant de Gaston Revel né en février 1915 à Laure-Minervois, près de Carcassonne. En octobre 1933, il entre à l’École normale de Carcassonne pour devenir instituteur et, en 1936, il part à Alger où il rejoint la section spéciale de l’École normale de Bouzaréah pour se préparer à « l’enseignement des indigènes ». 1937-1939, c’est le service militaire à Paris, puis la guerre en 1940. Et, le 12 septembre, il est nommé instituteur à Ain-Tabia, l’un des douars isolé de la commune mixte de Collo (arrondissement de Philippeville, département de Constantine). Issu d’une famille de gauche et bien que tenté un temps par la démagogie de la « Révolution nationale », Revel va d’abord vers la SFIO puis s’engage avec le Parti communiste algérien (PCA). Son choix ? La misère du peuple algérien présente à chaque instant de sa vie quotidienne. « Tels ces frères venant en classe un jour sur deux parce qu’ils n’avaient qu’une seule chemise et un seul pantalon, ou cet élève venant à l’école avec un sac en guise de pagne autour de la ceinture ». Le PCA est alors le seul qui offre aux Européens la possibilité d’agir en coopération fraternelle avec ces exploités, les algériens colonisés. La CGT aussi, et Revel y militera également. Mais là où Revel entre dans l’histoire, c’est qu’il devient le principal acteur d’une expérience originale, peut être unique dans l’histoire de l’Algérie, lorsqu’il est élu en 1953 à Bougie dans le collège « indigène » (musulman) car, « démocratie » coloniale exige, il y avait

d’une part les électeurs européens et d’autre part les autres, les parias, les Algériens qui, pour la première fois, élisaient un Européen ! Ce livre, comprenant les carnets tenu par Revel, ses correspondances, ses discours d’élu et de communiste, ainsi que de très nombreuses photos d’époque, présente ce qu’était la vie quotidienne d’un Européen, diffusant Alger Républicain, au sein de la population laborieuse algérienne et évoque ce qu’aurait pu être une société algérienne non communautariste. La barrière féroce du colonialisme d’une part, la force d’un certain nationalisme excluant la communauté européenne (à plus forte raison communiste), les douloureuses séquelles nées de l’attitude du PCA face aux massacres du 8 mai 1945 avaient creusé un fossé profond entre les com-

munistes et les patriotes algériens. Ces plaies sont encore vivantes en 1954, lorsqu’éclate la guerre de libération nationale. Revel est expulsé d’Algérie et nommé instituteur dans son village natal de Laure-Minervois, c’est de là qu’il soutiendra le combat légitime de ses frères algériens. La paix gagnera, dès septembre 1962, Revel retrouve son poste d’instituteur à Bougie. L’accueil qui lui est réservé est chaleureux : « La population algérienne l’a porté en triomphe. Ils ont retrouvé leur Gaston ». Arrêté pour avoir manifesté le 7 mai avec les chômeurs et les anciens moudjahidines – mais bien soutenu par la population et par Henri Alleg – Revel continuera d’enseigner en Algérie jusqu’à sa retraite en 1965, où il regagnera la France et Carcassonne. Décédé en 2001, cet « ancien combattant d’Algérie », demeuré fidèle à son parti, mérite de rester dans la mémoire anticolonialiste. Et ce livre s’y emploie avec bonheur et sincérité

Des hommes de tête Birkefeld et Hachmeister, Éditions du Masque, 22 euros Ce pourrait être Richard Birkefeld et Goran Hachmeister, les deux auteurs de ce polar noir sur fond de nazisme levant. En fait, il s’agit d’hommes de la tête des courses de motos s’affrontant en 1926 sur les circuits du Grand Prix d’Allemagne. Arno « à fond les manettes », l’ancien combattant toujours pas remis de la guerre 14-18, et le noble Falk Von Drontre, l’aristo trop jeune pour la guerre qui regrette de ne pas l’avoir faite. Ils foncent à « tombeau ouvert » et ensanglantent les parcours, tant parmi les coureurs que les spectateurs. Dans ces années 1920, meurtries, exsangues, qui ne se remettant ni du Traité de Versailles ni de l’occupation de la Ruhr par les troupes françaises, ces deux hommes se haïssent, prennent des risques insensés, se livrent à une concurrence effrayante avec, en toile de fond, assassinats politiques, règlements de comptes et affrontements entre « rouges » et « bruns ». Dans les cou-

lisses, les nazis tissent leur toile et utilisent le chauvinisme sportif - jusqu’aux marques de motos ! - pour fanatiser les foules. La dénonciation des horreurs de la guerre 14-18 est puissante, brutale, toujours présente et entraîne les survivants (psychotraumatisés) dans les abimes. Pourquoi, après chaque course, retrouve-t-on un cadavre sans tête ? L’un est accusé des crimes (devinez qui) ; mais ces deux anti-héros finiront par comprendre qu’ils ne sont que des marionnettes dont les fils sont tirés par des individus pervers et destructeurs jouant de leur « patriotisme » comme de leur déchéance. Pas de solution ni de fin heureuse, et même la belle Théa n’y pourra rien. Seul le lecteur averti pressentira que ce polar dénonce les pseudos thèses scientifiques du racisme nazi et qu’il annonce les horreurs à venir dans les camps de la mort.

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