Branded #8 sept/nov MMXIV

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Comment s’est passée ta rencontre avec l’oeuvre d’Alix Cléo Roubaud ? Le recueil de poèmes Quelque chose noir de Jacques Roubaud [son mari], consacré à son deuil, était au programme de la khâgne l’année où j’étudiais. Les textes instauraient un dialogue avec le Journal d’Alix Cléo Roubaud (Éditions du Seuil), auquel je me suis intéressée mais qui était à l’époque épuisé en France. À la suite de ces lectures, j’ai décidé de travailler sur la place de la photographie dans l’oeuvre du poète. Par ailleurs, j’ai dirigé un dossier consacré à Alix Cléo Roubaud paru dans Area revue. À la suite de cette parution, Jacques Roubaud m’a confié qu’il cherchait quelqu’un pour s’occuper du fonds, pour oeuvrer à la reconnaissance de son travail, une manière de faire place pour ne pas qu’elle soit à jamais la femme morte du poète. J’ai accepté, sans savoir à l’époque ce que cela représentait. Je me suis retrouvée avec plus de 600 photographies ! Quand je demandais de l’aide à l’époque, certains me riaient au nez en me rétorquant que personne ne la connaissait, que ce n’était pas intéressant. Qu’est-ce qui t’a poussé à continuer vu l’ampleur de la recherche ? J’ai travaillé très près de l’objet. J’ai découvert au fur et à mesure toutes les photographies puis les lettres et les personnes qui l’ont connue. À ce moment-là, Jacques Roubaud souhaitait également faire des donations des tirages aux institutions. Une mission que j’ai prise en charge. Pourquoi a-t-il attendu trente ans ? Je crois qu’il a été secoué par le fait que Quelque

chose noir soit au programme de la khâgne, ce fut comme une réactualisation. Le regain d’intérêt était manifeste. Les éditions du Seuil ont été submergées de commandes, ce qui a entraîné une réédition du Journal en 2009. Comment rentre-t-on dans une telle intimité entre les photographies, les lettres, les témoignages ? Tu racontes notamment ta découverte du studio parisien d’Alix Cléo Roubaud, resté quasi intact depuis 1983. Toute la matière était brute en effet, hormis certains passages du Journal, publié après avoir été trié par Jacques Roubaud. Il est très difficile de se retrouver avec toute la correspondance et toutes les photographies de quelqu’un. On se trouve dans une situation quasi-démiurgique, je sais tout ce que ses proches pensaient d’elle et ce qu’elle pensait d’eux en retour, grâce aux lettres. J’ai donc eu d’abord une forte adhésion, un enthousiasme qui m’a « collée » au sujet. Puis j’ai cherché à décoller la vie de l’oeuvre, pour qu’on parvienne à Alix Cléo Roubaud par son travail d’artiste. D’autant qu’elle s’inscrit véritablement dans une lignée d’artistes conceptuels. Aujourd’hui, je me positionne dans un rôle de transmission. Je dois faire en sorte que d’autres personnes puissent désormais s’emparer du sujet. Justement, comment s’inscrit-elle dans l’art du XXe siècle ? Elle est inclassable ! Ce qui m’intéresse, c’est de montrer que son œuvre peut être envisagée comme une sorte de charnière plutôt qu’une synthèse, rattachée à la fois à la photographie de l’intime et à la tradition conceptuelle.

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