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Les démissions tranquilles
Que sont devenus nos journalistes?
ISABELLE NOËL
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D’emblée, l’idée de décrire mon parcours en tant qu’«ancienne» de La Quête est plutôt étrange, puisque je ne l’ai jamais vraiment quittée. J’ai rallié les rangs du magazine en 2007, et, depuis quinze ans, le plaisir de participer à chaque numéro est constamment renouvelé… tellement que je n’ai aucune intention d’arrêter! Évidemment, depuis la fin de mon baccalauréat en journalisme, les projets (et les années!) se sont enchaînés. Et bien que je ne travaille plus dans le fascinant monde des médias, je garde un pied dans le métier avec La Quête. Le fait de continuer à écrire, d’accompagner de nouveaux journalistes venant de tous horizons et de côtoyer une équipe éditoriale stimulante étanche amplement ma soif d’information. Ayant insisté pour étudier en journalisme écrit — avec une mineure à l’international en plus — le défi était grand en partant. Je rêvais de parcourir le monde et de raconter les événements qui marqueraient le cours de l’histoire. Plus jeune, j’adulais les reporters de guerre comme Christiane Amanpour, Anne Nivat et Céline Galipeau…, des carrières intenses et difficiles qui ne cadraient toutefois pas tout à fait avec ma peur de l’instabilité financière. Malgré tout, j’ai quand même fait un peu de pige, mais cette fameuse peur revenait souvent. Pour être pigiste, il faut avoir les reins solides. J’ai beaucoup de respect pour mes collègues qui le font et qui composent avec l’incertitude qui fait malheureusement partie du deal. Se battre pour être payé, pour avoir des conditions de base, ou même pour justifier la valeur monétaire de la recherche d’information est très drainant. J’ai aussi travaillé pour Le Quotidien/Le Progrès, au Saguenay, où j’ai pu apprendre une foule de particularités sur l’information régionale. On ignore souvent à quel point le journalisme très local est riche et complexe. Le niveau de connaissances à acquérir sur le terrain est très pointu, et le côté humain du travail est primordial. Mon passage chez Narcity, un média en ligne dynamique et très jeune, m’a gardé sur une lancée hyper locale: trouver avant tout le monde et ce qui fait de la ville de Québec un endroit pour prendre les meilleures photos Instagram. Dans ce monde où tout change au rythme des tendances sur les réseaux sociaux, j’ai vraiment pu plonger dans l’univers de la rédaction Web. La compétition est très forte dans ce milieu, et le rythme, extrêmement rapide. Finalement, je trouve mon équilibre dans ce que fait le magazine que vous tenez entre les mains — La Quête. Des articles axés sur un volet social qui n’est pas toujours abordé dans les journaux et les médias traditionnels. Des sujets à explorer plus à fond, mettant en lumière des gens ancrés dans leur communauté. Réflexion faite, le chemin parcouru, bien que sinueux, m’a appris une chose: la valeur d’une information de qualité va au-delà de son coût. C’est aussi la somme des gens, de leur travail, de leurs idées et de la mission commune qui se cachent derrière.
Isabelle Noël
LES DÉMISSIONS TRANQUILLES
NE PAS FAIRE PLUS QUE LE CLIENT EN DEMANDE
Ne vous fiez pas à son surnom: la démission tranquille, ou quiet quitting, a fait énormément de bruit à l’échelle planétaire. Sans être nouveau, ce phénomène a profité de l’élan de son prédécesseur, la Grande Démission, pour devenir viral et chambouler le marché du travail en 2022. Et si soudainement on arrêtait de donner «son 110%» au boulot? Retour sur une grande remise en question.
Selon le Bureau of Labor Statistics, une masse de 47 millions de personnes salariées ont quitté leur emploi en 2021, faisant du Big Quit un phénomène sans précédent aux ÉtatsUnis. Sans être aussi fracassante, la démission tranquille a su faire parler d’elle en 2022 grâce au réseau social TikTok. Au 16 octobre 2022, les vidéos liées au mot clé #quietquitting avaient 206,9 millions de vues sur la plateforme. Mais qu’est-ce que ça signifie, au juste? «La démission tranquille consiste en un mouvement très simple: on suit l’entente de travail à la lettre. Ni plus ni moins. Cela ne fonctionne pas? On remet le CV à jour et on va ailleurs», explique Marc Roussel, spécialiste en acquisition de talents pour la firme Coveo. Les «TikTokers» ayant partagé leurs anecdotes de démission tranquille dénoncent notamment la valorisation de la culture du burnout/productivité toxique (hustle culture) qui règne dans la société américaine. Des exemples de productivité toxique? Prolonger sa journée de travail pour terminer ses tâches, être disponible en tout temps pour son patron, ou tout simplement en faire plus que le client en demande par perfectionnisme.
RETROUVER L’ÉQUILIBRE
M. Roussel précise que cette tendance s’inscrit dans un objectif d’équilibre entre le travail et la vie personnelle. «Contrairement à l’excès de zèle, les motivations sont toutes autres: on ne cherche pas ici à mettre la pression sur son employeur, mais davantage à se protéger de la pression de celui-ci». L’origine de cette prise de conscience? On s’en doute. La pandémie qui a chamboulé notre quotidien métro-boulot-dodo en l’espace de quelques semaines. «Une réalité s’est ouverte à une très grande partie de la population active: le travail de la maison n’était pas seulement une réalité lointaine, elle est devenue rapidement une commodité», dit-il. «Commence alors un grand exercice collectif, la fameuse Grande Démission où plusieurs personnes, à force de prendre soin d’eux, ont simplement vu là une occasion de reconsidérer leur carrière, et ont profité de ce hiatus forcé pour retrouver une carrière qui avait du sens à leurs yeux, et qui pourrait leur permettre de maintenir les saines habitudes de vies acquises».
LE DILEMME D’UNE «TRANQUILLE»
Catherine a confié à La Quête qu’elle a décidé consciemment d’essayer le quiet quitting. «Je travaillais pratiquement six jours toutes les semaines, et les heures supplémentaires étaient très valorisées au travail. C’était presque mal vu de refuser d’en faire». Selon elle, la pénurie d’employés qualifiés pour gérer le nombre de projets acceptés par sa firme contribuait à cette pression. «Petit à petit, j’ai commencé à me dire que je fermais mon ordinateur à 17 heures pile. Le dernier courriel, ou le dernier projet à boucler me prenait toujours une grosse partie de mes soirs de semaine», raconte celle qui travaille dans le milieu de la construction. Finalement, plus ça allait, plus Catherine se sentait mieux dans sa vie personnelle. «J’ai commencé à refuser de travailler la fin de semaine. J’ai pu enfin faire des activités avec mes amis sans donner l’excuse de la job.» Se choisir a quand même entraîné certaines conséquences sur sa vie professionnelle. «Je me sentais moins motivée dans mes tâches, je devais me convaincre d’arrêter de faire trop d’efforts. Je ressentais aussi de la culpabilité parce que j’avais l’impression de laisser tomber le reste de mon équipe, qui continuait de se donner à fond», révèle-t-elle.
PLUS ÇA CHANGE…
Selon Marc Roussel, même si le mouvement a un relent de nouveauté en raison de l’influence des réseaux sociaux, une forme de démission tranquille existait déjà, au Québec comme ailleurs. «Plusieurs personnes venant de firmes d’assurances, de la fonction publique ou d’autres milieux syndiqués m’ont fait des confidences à peu près similaires: “Je ne suis pas heureux dans mon emploi actuel, mais j’y suis depuis 20 ans, et si je pars, je ferme la porte à une grosse prime de retraite et à mon ancienneté. Je ne peux pas mettre une croix là-dessus, mais je suis sur le pilote automatique et fais mon temps jusqu’à ma retraite”», raconte-t-il. Il ne voit pas non plus cette tendance s’essouffler, puisque la pénurie de main-d’œuvre que l’on vit actuellement continuera de pousser les travailleurs à choisir un emploi qui valorise leur bien-être au travail, mais poussera également les employeurs à en demander plus à un nombre limité d’employés. «La pénurie de main-d’œuvre et le besoin de créativité des entreprises [pour la garder] vont être parmi les enjeux d’une génération, voire deux», dit-il. «Il y aura bien entendu encore une partie de population qui aura à cœur la carrière et qui va vouloir pousser leurs projets d’entreprises le plus loin possible! Mais une partie de ce groupe est aussi à risque de rejoindre les tranquilles, après un burnout ou un autre événement de vie qui les amène à prioriser différemment.» Difficile de savoir si ce ras-le-bol émergent entraînera une nouvelle culture plus équilibrée du travail, mais l’heure est à la réflexion pour plusieurs, dont Catherine. «Je me rends compte que le temps, c’est vraiment précieux. Oui, je veux bien gagner ma vie, mais je veux me donner le droit de vivre avant ma retraite!»
ISABELLE NOËL
*Nom changé afin de préserver l’anonymat.