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Indémodable Poitras

Pionnier de la mode québécoise des années 1970 à 2000, maintenant artiste multidisciplinaire, auteur et professeur, le designer Jean-Claude Poitras n’a jamais perdu le feu sacré. Pour lui, le vêtement est affaire de tradition, d’expérimentation, et même… d’avenir. Après avoir été témoin de la transformation complète de son industrie, Jean-Claude Poitras confie à La Quête avoir espoir pour la nouvelle génération.

D’abord, qu’est-ce que le mot vêtement évoque chez vous ? Vous vous êtes beaucoup inspiré de la culture pour créer. Quel serait le personnage que vous auriez rêvé d’habiller ?

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Il y en a tellement! J’ai toujours eu un coup de cœur pour la chanteuse Barbara, et je suis fier de dire que j’ai pu l’habiller. Autrement, lorsque j’étais adolescent, j’aimais beaucoup le film Breakfast at Tiffany’s (Diamants sur canapé) avec Audrey Hepburn. Humphrey Bogart est aussi un grand classique parce que je suis fasciné par les trench-coats, un vêtement mythique pour moi. Sinon, l’univers de l’écrivaine Françoise Sagan me fascine grandement.

Inversement, si vous pouviez posséder un vêtement porté par un personnage célèbre, quel serait-il ?

Je dois dire que j’irais avec une pièce mythique de la mode: la robe de mariée de Grace Kelly! C’est un vêtement exceptionnel associé à un grand moment de bonheur.

Vous êtes un vétéran de la mode québécoise. Selon vous, comment peut-on durer dans ce milieu, au Québec ?

La passion absolue! Ma mission sur terre est d’embellir la vie des gens et de célébrer la beauté au quotidien. Je pense aussi n’avoir jamais été prisonnier de mon style, car je n’ai jamais suivi de recette. L’expérimentation m’a permis d’évoluer hors des sentiers battus. Pour durer, il est crucial de cultiver la curiosité et le feu sacré.

La mode et l’industrie du vêtement changent. Êtesvous optimiste quand vous pensez à l’avenir ?

Il y a quelques années, j’aurais dit non. J’ai quitté ce que j’appelle le «fonctionnariat» de la mode en 2002 en raison du rythme infernal qui commençait à s’imposer. On achète trop de tout, et l’avènement du «fast fashion» est complètement opposé à qui je suis. La montée des vêtements à bas prix réalisés à l’étranger

pour les grandes chaînes se fait au détriment de la qualité, et dans de très mauvaises conditions pour les travailleurs.

Je me souviendrai toujours de ce que ma grand-mère avait répondu lorsqu’on avait passé des commentaires sur l’une de ses belles nappes: «Quand on est pauvres, il faut acheter de la qualité.» La mode, c’est aussi ça: l’intemporel, voire le minimalisme. Depuis cinq ans, il y a un renouveau de ce côté-là, surtout au Québec. On se rend compte qu’on est allés trop loin, on privilégie le local

Des souvenirs d’enfance. Les dimanches de pluie, ma grand- Ma génération est individualiste, on ne partageait pas nos créamère, mes tantes et ma mère se réunissaient pour tricoter. J’ai tions, on se voyait comme des compétiteurs. Ce n’est pas l’attigrandi autour de ce qu’on ap- tude des jeunes: il y a un chanpelle les «petites mains», celles « Ma mission sur terre est d’embellir la gement de conscience, un esprit qui créaient minutieusement vie des gens et de célébrer la beauté au de collaboration qui m’emballe. nos écharpes, cardigans, etc. Je pense aussi au rapport que nous quotidien. » La mode sera toujours un sable mouvant, mais je trouve formiavons avec le vêtement: c’est une Jean-Claude Poitras dable de retourner vers le vincaresse sur le corps. C’est intime et tage, le recyclage et la créativité émotif. locale!

et la culture.

Quel conseil donneriez-vous à cette jeune génération qui débute dans le milieu ?

Cultiver la curiosité, et ne jamais la perdre de vue. Il faut toujours être en alerte, avoir un esprit créatif à l’affût des tendances. La mode c’est aussi de s’entourer d’une équipe de passionnés, et de savoir en être le chef d’orchestre

En terminant, êtes-vous attaché à une cause sociale particulière ?

J’ai toujours été sensible à l’itinérance. Vivant dans le Vieux-Montréal, j’en suis témoin chaque jour. Je me souviens d’un moment qui m’a beaucoup touché. Mon ex-conjointe et moi avons toujours fait don de vêtements pour des organismes montréalais. Un jour, un homme m’attendait près de chez moi et m’a dit: «Merci, monsieur, votre beau manteau m’a gardé au chaud tout l’hiver.» Je ne l’ai jamais oublié.

J’essaie aussi de m’impliquer dans les écoles de milieux défavorisés pour stimuler la création et encourager la relève avec Fusion Jeunesse. Nous avons même une école de Québec dans le programme cette année. Travailler avec ces jeunes créateurs apporte un petit supplément d’âme à ce qu’on fait.

ISABELLE NOËL

© Photo de François Couture