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En vidant les tiroirs

C ourtoi sie: Martine Corrivault

Le printemps relance la vague du grand ménage. Un sport pratiqué dans nos armoires et placards: il faut de la place pour les achats à venir!

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On décroche les cintres, vide les tiroirs, lave ceci et élimine cela et finit par tout remettre en place. Mais selon Recyc-Québec, le Québécois jette quelque 24 kilos de vêtements par an: serions-nous plusieurs à répondre «non» à la question: est-ce que ça pourrait encore servir?

Valentine achève de vider son coffre de cèdre sur un fauteuil quand je lui sers ma statistique, comme argument anti-grand-ménage. Elle rétorque, en lançant un tricot sur sa pile: «Pour arriver à ce poids-là, il devait y avoir des chaussures et des capots de chat dans le tas!». Ignorant la boutade, j’ajoute: «Imagine: ça représente 180 000 tonnes de tissus juste pour le Québec; une montagne de 55 mètres, la hauteur d’une tour de 18 étages… »

Elle reprend le chandail en disant: «Je le connais le discours de l’économie circulaire. Ma mère pratiquait la consommation raisonnable: réutiliser, recycler et réduire ses achats en se demandant si on en a vraiment besoin. Je fais tout ça quand je sors des armoires ce qui ne sert plus. Je réutilise autrement; je ne jette pas, je partage et après, je contribue à notre économie en remplaçant certains articles tout en vérifiant les provenances. Ce chandail-là, je l’ai depuis dix ans. Il a été fabriqué dans un village péruvien, pour une coopérative internationale basée à Ottawa laquelle travaillait avec l’UNICEF… L’étiquette a été pour moi un facteur décisif!

— Comme le sont qualité et prix. T’en trouves encore dans les magasins, des vêtements portant l’étiquette Fabriqué au Canada…? Ça devient rare même dans les boutiques où l’on croirait dénicher des trésors. Le mieux que j’ai trouvé, dernièrement, était identifié Conçu au Canada, réalisé en Chine.»

— «Moi j’ai vu, dans une boutique de sport, Fabriqué au Canada avec des éléments importés. Comme pour les automobiles. Mais le ‘made in China’ apporte d’autres problèmes bêtes avec les pointures: je choisis une taille moyenne et à l’essayage, c’est trop petit. La vendeuse m’a dit que ça arrive souvent parce que les femmes de Chine sont plus petites que nous et les acheteuses n’arrivent pas toujours à expliquer ces différences aux patrons de là-bas… » — «Les Chinois aussi évoluent. Ils observent partout et augmentent leurs prix; leur nombre fait qu’ils gardent le contrôle même quand les clients étrangers refont leurs calculs sur les économies à réaliser là-bas. Le communisme-capitaliste fait que le régime profite des populations qui veulent accéder à la vie moderne. Du cheap labor pas exigeant on en trouve partout: en Asie, en Afrique et même en Amérique… C’est la version moderne de l’esclavage: les pays riches y fabriquent leurs produits pour pas cher.

— Alors la concurrence rentable devient impossible pour les usines d’ici qui délocalisent et déménagent pour survivre, qu’ils disent. Même une signature Louis Garneau ne garantit plus que c’est québécois pure laine! La grosse vague entraîne tout le monde ailleurs et en ramène des marchandises qu’on achète sans regarder… vu que ça coûte moins cher.

— Mais ça doit être remplacé plus souvent. J’ai lu que chaque année, le Québécois s’achète 64 articles de vêtement neuf, chaussettes incluses, mais 90 pour cent de ces objets viennent de l’étranger. Comme ces achats en ligne qui vident les commerces locaux.

— Au temps des catalogues Simpson, le textile et le vêtement employaient 70 000 personnes. Denys Arcand raconte ce que c’était dans son film On est au coton1. Rien de drôle mais on a perdu la moitié de ces emplois et nos artisans peinent encore à survivre… Ma nièce qui rêvait devenir dessinatrice de mode a été bien déçue de voir que ses créations passeraient par un ordinateur et seraient réalisées… en Chine.

— C’est le nouvel âge: nous entrons dans le règne des robots pour tout ce qui est manuel… Et je me demande si le ménage ne pourrait pas se faire en ligne… Mais non; en y repensant bien, je n’ai pas envie de perdre aussi ce petit contrôle sur mes affaires… Et puis, les modes finissent toutes par revenir. Mon chandail en alpaga, je le garde!»

MARTINE CORRIVAULT

¹Pour ceux que ça intéresse, le film de Denys Arcand, après avoir été interdit pendant cinq ans lors de sa sortie en 1970, est aujourd’hui encore disponible sur le site de l’ONF.

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