Atelier E.B - Passer-by (édition française)

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Atelier E.B Passer-by

LAFAYETTE ANTICIPATIONS FONDATION D’ENTREPRISE GALERIES LAFAYETTE




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Atelier E.B Passer-by P. 4

I ntroduction François Quintin

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Jasperwear Lucy McKenzie

P. 16 Lettre à Bonnie Beca Lipscombe P. 32 Partager le pouvoir avec la muse (extrait) Lucy McKenzie P. 44

Glossaire

P. 67

Colophon

LAFAYETTE ANTICIPATIONS FONDATION D’ENTREPRISE GALERIES LAFAYETTE


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Introduction François Quintin La mode et l’art de la montrer résident au cœur de cette exposition d’Atelier E.B, duo formé par Lucy McKenzie et Beca Lipscombe. Au-delà d’une simple collaboration à la lisière des arts visuels et du design industriel, ce positionnement explore avec une grande liberté différents modes de présentation des objets au public, de l’exposition patrimoniale au showroom en passant par la présentation de documents d’histoire, d’œuvres contemporaines ou de commandes originales. Pour être fondamentalement hybride, cette exposition n’en est pas moins nourrie de nombreuses références historiques issues d’un travail de recherche particulièrement riche et rigoureux. Passer-by est donc une exposition d’un genre particulier qui invite le public, au-delà de la première surprise, à s’interroger sur la relation qu’il entend construire face aux objets de nature si différente qui lui sont successivement présentés. Qu’il.elle se pense à l’origine visiteur.euse de musée ou client.e déambulant dans les allées du grand magasin, chaque passant.e est invité.e à placer son regard à un autre niveau face à une exposition singulière au statut délibérément changeant. La collaboration de Lafayette Anticipations avec l’artiste et la designer s’est d’abord concrétisée en 2016 par un accompagnement de Lucy McKenzie dans son projet de restauration de la Villa De Ooievaar, notamment présenté dans le cadre de Faisons de l’inconnu un allié. Lucy nous a par la suite introduits au duo qu’elle forme depuis 2007 avec Beca Lipscombe, lequel a déjà donné lieu à quatre collections et de nombreuses présentations, à Paris (en 2008 au 8, rue Saint-Bon, puis en 2017 avec l’exposition MEDUSA au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris), à la


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Kunsthalle Zurich (2011), à la galerie Micheline Szwajcer de Bruxelles (2015)… Cette collaboration originale, de surcroît inscrite dans la durée et mobilisant nombre de références externes et de collaborations diverses, méritait d’être présentée de manière étendue dans cette exposition monographique produite en collaboration avec les prestigieuses Serpentine Galleries de Londres. La variété, tant formelle que matérielle, des pièces présentées est ce qui frappe d’abord, voire surprend lorsque l’on pénètre dans l’exposition. Des œuvres patrimoniales, comme l’escalier historique des Galeries Lafayette, ou originales, comme une fausse devanture de magasin, côtoient un véritable showroom de la dernière collection d’Atelier E.B. Des pièces empruntant à la statuaire antique, reproduites au moyen de techniques d’usinage numérique de pointe dans les ateliers de Lafayette Anticipations, sont exposées aux côtés de mannequins, objets de display des créations textiles commercialisées par le duo et commandés à des artistes, que l’on qualifiera non sans un certain trouble de sculptures contemporaines. Tout cet univers emprunte ses codes au commerce pour parler d’art, mais aussi de médiation sur l’art. Ainsi, le.la visiteur.euse pourra à l’envi s’adresser à des médiateurs comme s'il.elle s’attendait à rencontrer dans cette « vraie fausse boutique » un.e vendeur.se inspirant.e qui lui apprendrait des choses nouvelles sur les objets de ses désirs. Ce croisement des univers est bien sûr une question essentielle pour une fondation d’art contemporain qui porte le nom d’un grand magasin. Les pièces de la collection Jasperwear font également appel à de multiples techniques, des plus traditionnelles aux plus avancées, et abordent des problématiques essentielles mais rarement évoquées en matière de représentation sociale, d’équité de genre ou de production responsable.


6 La place des femmes, actrices de la représentation du corps féminin dans l’art et la mode du XXe siècle, est également une thématique majeure de l’exposition au travers de figures clés telles que les créatrices Jeanne Lanvin et Bonnie Cashin, la designer de mannequins et de poupées Sasha Morgenthaler, ou encore la peintre Marie Laurencin dont Lucy McKenzie pastiche le style pictural pour mettre en scène les vêtements de la nouvelle collection de la marque Atelier E.B. Mentionnons encore la grande photographe américaine Eileen Quinlan, dont la présence nous honore et qui a produit de nouvelles images pour cette présentation parisienne. Passer-by d’Atelier E.B n’est pas une exposition comme une autre, mais une adresse à tous.tes ceux.elles qui portent un regard curieux et critique sur ce que le monde donne à voir, sur ce qui s’expose à nos envies, ce qui nous expose en tant qu’être désirants, comme une enquête renouvelée et ouverte sur l’apport des modernités à nos univers quotidiens.



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Jasperwear

Lucy McKenzie


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Comme d’habitude, il n’y a pas de thème unificateur dans Jasperwear et cela nous plaît ainsi. Jasperwear a plutôt été construit sur les leçons tirées des collections précédentes, nos recherches respectives distinctes et sur ce que nous pouvons réellement produire en tant que petite marque indépendante du système de la mode. Il y a certains thèmes auxquels nous revenons toujours, par exemple le néoclassicisme que nous utilisons ici pour illustrer la force irrésistible de l’appropriation. Les camées de nos pendentifs tirent parti d’une technologie d’impression 3D permet­ tant de reproduire l’aspect et le toucher de la porcelaine biscuit bleue de Wedgwood, ou jasperware. Ils sont à l’effigie de deux architectes néoclassiques écossais, Alexander « Greek » Thomson et Robert Adam, ainsi que de l’artiste visuelle Barbara Conviser. Les camées existent depuis des millénaires. Toutes les civilisations successives se les sont réappropriés et ils n’ont depuis cessé d’acquérir de nouvelles significations jusqu’à nos jours. Nous nous intéressons aux aspects de l’habillement historique et non occidental, ainsi qu’à la façon de canaliser son influence sans tomber dans le déguisement. Le survêtement en cachemire divise le torse à la diagonale avec autant d’élégance qu’un sari ou une toge. Le parapluie Scutum est littéralement un bouclier romain. Notre chemise et notre pantalon inspirés des dishdashas sont des répliques en soie de celles qu’on trouve dans les boutiques du quartier musulman de Molenbeek à Bruxelles. L’admiration de Beca pour le travail de Bonnie Cashin et celle que j’éprouve pour celui de Madeleine Vionnet sont réunies dans Jasperwear à travers le personnage de Gilbert Adrian. À l’instar de Bonnie Cashin, il a conçu des costumes de cinéma, et comme Madeleine Vionnet, il a fait référence à des thèmes classiques avec un style qui paraît toujours


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aussi contemporain aujourd’hui. Nous sommes inspirées par les superpositions de pièces sportswear typiques de Bonnie Cashin et par la simplicité des tenues de jour de Madeleine Vionnet, tellement chéries et portées par leurs propriétaires qu’on n’en trouve que de rares exemplaires en bon état dans les archives. Les robes grecques créées par Gilbert Adrian dans les années 40 constituent une abondante source de fantasmes, mais comment se les approprier aujourd’hui alors qu’elles n’ont pas leur place dans la vraie vie ? Nous prenons ce qui est essentiel dans l’attrait d’une robe haute couture néoclassique – la simplification de la silhouette par des blocs de couleur et les motifs de l’Antiquité – et l’appliquons à ce que les gens portent au quotidien : le survêtement. Les principes modernistes imposent d’employer une matière adaptée à chaque objectif, et que les vêtements soient activés par le mouvement : ils s’appliquent aussi ici. Nous nous inspirons des racines démocratiques du classicisme pour créer des vêtements quotidiens. L’importance des différentes gammes de prix proposées à nos clients est tout aussi démocratique : des T-shirts en coton biologique pour ceux qui peuvent se permettre un engagement éthique, ou en coton Fruit of the Loom pour ceux qui n’en ont pas les moyens. Nous espérons que nos vêtements sont lavés le plus rarement possible, chéris, réparés et portés pendant de nombreuses années. Les autres bijoux de la collection sont tous, en quelque sorte, des accessoires de flics de séries télévisées. La broche en coquillage ornée d’une fleur artificielle, inspirée par le petit vase argenté qu’Hercule Poirot portait au revers de sa veste et présentée dans un décor mortuaire, est à la fois vivante et morte. La lanière DCI Lanyard est aussi un clin d’œil aux policières dures à cuire des séries TV britanniques. Il s’agit d’un objet hybride associant une lanière en plastique


Atelier E.B, Cleo’s, 2018, peinture à la bombe sur carreaux en céramique, montage sur bois. Image : Tomas Rydin

et un porte-carte produits en usine avec un minuscule morceau de faux marbre peint à la main, signé et numéroté au verso comme une édition unique. C’est un objet omniprésent, réel et artificiel. Cet accessoire garantit de « ruiner » n’importe quelle tenue et on le voit le plus souvent sur les employés qui vapotent à l’extérieur des immeubles de bureaux. Portez-le à une fête et on pensera que vous faites partie du personnel, tel l’un de ces domestiques invisibles dont parle Sarah Waters et qui s’avère être le personnage principal depuis le début…


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Jessie porte le pull en cachemire harissa Liz Diagonal et le collier Cameo Egyptian, Chloë porte le pull à col roulé Mairi, Ruby porte le pull en cachemire à motifs intarsia sans manches Compass et le pull à col roulé en cachemire de soie terracotta Halston, collection Jasperwear, 2018. Image : Josephine Pryde


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Les mannequins habitent les boutiques, les musées, les Expositions internationales et les ateliers. Littéralement debout à la frontière entre art, design, commerce et présentation, ils invitent ouvertement à une conversation artistique. Un tel dialogue s’est déroulé à Paris lors de l’Exposition internationale des arts et des techniques appliqués à la vie moderne. Stratégiquement implantés en bord de Seine (sur l’actuel site du musée du quai Branly), les Pavillons de l’Élégance et de la Parure représentaient le visage officiel des industries françaises de la haute couture et du luxe (la mode constituant une part importante du PIB de la France, à l’époque comme aujourd’hui). Leur direction artistique avait été confiée à la couturière Jeanne Lanvin. Le Pavillon de l’Élégance était une œuvre d’art totale et collaborative qui réunissait, entre autres, des sculptures de Robert Couturier, une architecture d’Émile Aillaud et d’Étienne Kohlmann, des décors de Mme Max Vibert et des fresques murales d’Angèle Macles. Les couturiers parisiens les plus confirmés, souvent des femmes, y ont présenté des robes en tissu et en papier spécialement conçues pour les mannequins sculpturaux commandés à Siégel et produits sous la supervision de Robert Couturier. Lors de cette Exposition universelle, la silhouette féminine a été utilisée comme un leitmotiv : elle illustrait les documents promotionnels, elle habitait le site sous la forme de statues ornementales ou de mannequins présentant des costumes folkloriques et les tendances de la mode. Les mannequins du Pavillon de l’Élégance, qui faisaient plus de deux mètres de haut, affichaient des proportions monumentales et une finition de surface brute en terre cuite qui se fondait avec l’architecture environnante. Les photographies documentaires de l’artiste allemand Wols montrent une installation conceptuellement bien plus stricte et abstraite que les définitions contemporaines de l’élégance promues auprès du grand public de l’époque.


CARNET N°1 FRANÇAIS ISBN 978-2-490862-02-3

IMPRIMÉ ET FAÇONNÉ À LAFAYETTE ANTICIPATIONS, 9 RUE DU PLÂTRE (PARIS) DÉPÔT LÉGAL : FÉVRIER 2019 5 EUROS


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