Cycle Space Opera

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L’intervenante Li-Cam est auteure de 4 romans et d’une trentaine de nouvelles parues aux éditions La Volte et ActuSF. Elle explore les genres des littératures de l’imaginaire (Space Opera, science-fiction, fantasy urbaine, récits d’anticipation…). Ses écrits questionnent le monde d’aujourd’hui, à travers ses dérives totalitaires mais aussi sa part d’humanité.

Les ateliers d’écriture qui ont permis de produire ce récit ont été menés dans le cadre de la première saison Raconte-moi le Futur proposée par le Labo des histoires Auvergne-Rhône-Alpes, en partenariat avec Grenoble-AlpesMétropole et la Casemate. Raconte-moi le Futur regroupe une programmation d’ateliers gratuits valorisant la rencontre entre arts et sciences, dans toute la métropole grenobloise.


Cycle Space Opera encadrĂŠ par Li-Cam

Sommaire Prologue #1 .............................................................. 7 Brice Gibert

Prologue #2 ............................................................ 13 Diane Ranville

Prologue #3 ............................................................ 23 Justine Carrons

Prologue #4 ........................................................... 29 Laura Schlenker

Prologue #5 ............................................................ 39 Leo Mantegazza

Prologue #6 ............................................................ 47 Mael Cardiet



Brice Gibert

Prologue #1

L

eavitt-238, une étoile en périphérie de la galaxie NGC4303 mais surtout connue sous le nom de M61 située dans la constellation de la Vierge. Cette galaxie fut découverte le 5 mai 1779 par Barnabus Oriani. Pourquoi l’a-t-on appelée ainsi ? Simplement le nom du satellite qui l’a détectée et le nombre de planètes habitables déjà détectées plus une. Leavitt est un satellite télescope servant à détecter les exoplanètes comme son ancêtre Kepler. Son nom provient de Henrietta Swan Leavitt (4 juillet 1868 – 12 décembre 1921) qui était une astronome américaine.

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Mais ce qui nous intéresse ici, ce sont les planètes qui tournent autour de cette étoile. Nous avons : Une planète tellurique proche du soleil Leavitt238e, distance à l’étoile 47 297 870 km Deux planètes telluriques sur la même orbite Leavitt-238c / Leavitt-238d, distance à l’étoile 132 597 670 km Une grosse planète tellurique Leavitt-238b, distance à l’étoile 240 838 810 km Un champ d’astéroïdes Une grosse gazeuse en périphérie Leavitt-238f, distance à l’étoile 1 349 727 421 km Et la plus intéressante de ces cinq planètes est Leavitt-238c, car en plus d’être une planète pouvant héberger la vie, l’une de nos sondes HV (Hyper Velocity) qui passait par là à quelques milliards de kilomètres, a détecté des émissions d’ondes électromagnétiques émises depuis sa surface. Il s’est déjà écoulé 15 ans suite à cette découverte, mais vu que notre expédition se trouve à portée moyennant quelques mois de trajet, il a été convenu de faire une approche la plus graduelle possible pour anticiper toutes les possibilités.

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Possibilités qui sont extrêmement nombreuses, allant d’une planète secouée par des orages électriques perpétuels, en passant par une sonde ou un vaisseau en perdition, jusqu’à la découverte de civilisations ayant maîtrisé la technologie des ondes électromagnétiques. Nous commençâmes l’approche par une reconnaissance à bonne distance en se positionnant derrière le champ d’astéroïdes à 500 millions de kilomètres de Leavitt-238c bien après la grosse planète gazeuse en périphérie Leavitt-238f. Après quelques jours d’observation nous ne captâmes rien de particulier, seul quelques débris métalliques autour de la planète Leavitt-238c retinrent notre attention. Nous poursuivîmes l’approche jusqu’au point de Lagrande de Leavitt-238c et commençâmes l’analyse de la surface pour détecter de potentielles émissions de lumière, chaleur, des structures régulières telles que des chemins, bâtiments et autres constructions remarquables. Durant cette procédure seule une énorme masse métallique de plusieurs centaines de mètres nous interpella. Après trois révolutions

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complètes de la planète d’une durée de 33 heures, nous nous dirigeâmes vers ce point remarquable. Durant la phase d’approche nous distinguâmes un enchevêtrement de structures tubulaires ressemblant à un genre d’oursin à grosses aiguilles, et comme nous le pensâmes, cette masse était constituée de plusieurs parties de vaisseaux. Peut-être que les débris rencontrés précédemment en orbite avaient un lien, les analyses répondront sûrement à cette question. Quoi qu’il en soit, aucune activité ne fût détectée et nous commençâmes à amorcer une procédure d’atterrissage à bonne distance. Nous comprîmes trop tard pourquoi il y avait cette gigantesque masse. Une énorme impulsion magnétique dévia le vaisseau qui essaya par tous les moyens de contrer cette force imprévue. L’appareil se disloqua sous les forces contraires des réacteurs et du champ magnétique brutal. Les différents morceaux ainsi découpés rentrèrent en collision avec l’amoncellement déjà présent. L’explosion qui s’ensuivit projeta des débris jusqu’en orbite...




Diane Ranville

Prologue #2 Autochtone

J

e n’ai pas de forme. Mon enveloppe extérieure se déforme au gré de la pression de l’air autour de moi. Plus je plonge en profondeur, plus mon corps s’affine et s’aplatit sous la densité de l’atmosphère. Mes organes souples s’adaptent à ces changements, sauf bien sûr mon cœur solide et chaud. Je croise Siléo et nous nous frôlons pour nous saluer. Si j’osais, je ferais affleurer mon cœur à la surface de mon enveloppe pour l’embrasser. Mais il glisse dans un courant descendant et disparaît vers le Fond.

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Comme souvent, je vais à contresens de mes semblables et je monte à la surface. Au passage, je sème quelques idées, qui se détachent de mon épiderme sous la forme de petites bulles encodées et qui s’en vont flotter dans les flux de communication. Puis j’atteins l’exosphère. C’est désert. Les gens n’aiment pas venir ici. L’air est trop rare, on flotte sans contrôler vraiment nos mouvements... Mais moi j’aime bien cette sensation. Mon enveloppe, au lieu de s’aplatir sous la pression, au lieu d’être obligée de se faufiler entre les blocs de gaz denses de la mésosphère, se regroupe en une boule vibrante et nage sans effort. À cette altitude, on est seul même en pensée. Peu de flux d’idées circulent ici. Mais c’est justement un bon endroit pour trouver l’inspiration et en générer de nouvelles. Je perçois le ciel sombre au-dessus de moi, constellé de points de lumière. C’est ici que j’ai eu la première fois l’idée du voyage extra-atmosphérique – et du même coup je me suis posé toutes les questions techniques qu’il faudrait résoudre pour réaliser un tel projet. J’ai tellement aimé cette idée que je l’ai semée partout dans les flux, elle a beaucoup circulé.

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C’est une idée plutôt subversive, qui divise, mais il y a semble-t-il quelques esprits semblables au mien qui l’ont aimée, absorbée, et qui ont ressemé leurs propres hypothèses. Des ingénieurs suggèrent des solutions techniques, des poètes livrent leur vision de mondes extra-gazeux. Hier encore, j’ai capté dans un flux la vision d’une exploration de notre satellite Axile. L’idée est brillante. Malheureusement, selon les dernières analyses des scientifiques, Axile est un astre essentiellement tellurique, avec une atmosphère extrêmement fine dont la pression n’excède pas 100 000 pascals. Comment une quelconque forme de vie pourraitelle se déplacer sur un tel caillou, sans véritable couche gazeuse dans laquelle se mouvoir ?

Carnet de bord de Calypso O’Graham Vaisseau La Casemate – Mission d’exploration 2801-B Nous sommes entrés hier dans le micro-système Epsilon-465. Comme prévu par nos sondes, nous avons affaire à un petit système planétaire composé

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de seulement deux planètes : une tellurique et une gazeuse. L’un des satellites de la géante gazeuse m’intéresse particulièrement : ses caractéristiques atmosphériques sont les mêmes que la Terre : une atmosphère de quelques kilomètres, avec une pression d’environ 100 000 pascals. Même si nous n’y avons pour l’instant détecté aucune trace de vie, c’est une excellente candidate à la colonisation. La géante gazeuse, en elle-même, est semblable à beaucoup d’autres de son genre. J’y ai cependant détecté des mouvements semi-aléatoires de corps quasi-liquides qu’il faudra étudier de plus près. Mais sûrement rien de très important.

Bulle Voilà deux cycles déjà que notre satellite Axile est l’hôte d’un étrange phénomène. D’abord, nos observateurs ont cru qu’il s’agissait d’un météore qui allait s’écraser à sa surface. Mais la trajectoire de l’objet était bourrée d’anomalies. Très vite, les premiers soupçons se sont confirmés :

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dans les jours qui suivirent, on a vu l’objet alien déployer, à partir de l’emplacement de son point d’atterrissage, de petites unités qui se meuvent désormais à sa surface. Moi, évidemment j’observe ce balai avec fascination. Les ingénieurs de la planète sont sur le pied de guerre. Ils rivalisent de techniques pour observer avec précision ce qui se joue là-haut. Ils s’échangent des milliers d’idées-bulles pour perfectionner leurs systèmes et emploient toute leur science de l’alchimie pour agencer les gaz en couches, en blocs, en colonnes, et concevoir des lentilles complexes qui amplifient notre perception des ondes et des particules en provenance d’Axile. Tous ces dispositifs demandent beaucoup de main d’œuvre et beaucoup d’espace, si bien que les couches extérieures de l’atmosphère se sont transformées en véritables labyrinthes où l’on doit se faufiler entre de multiples édifices gazeux. Moi qui étais souvent seule dans l’exosphère, perdue dans mon imagination, je vois mes semblables se passionner soudain pour cet outre-monde qui devient réel. Ils montent à la surface dès qu’ils ont du temps libre, et flottent en bandes éparses,

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échangeant des flux de bulles pour commenter le phénomène. Moi, je monte toujours plus près du vide.

Carnet de bord de Calypso O’Graham Vaisseau La Casemate – Mission d’exploration 2801-B Nous avons atterri sur le satellite tellurique de la géante gazeuse depuis bientôt 37 jours terrestres. L’exploration remplit toutes nos espérances. Cependant, la géante gazeuse nous inquiète. Les corps gazeux en mouvement dans son atmosphère ont un comportement tout à fait imprévisible. Depuis notre arrivée, ils s’agglutinent régulièrement à la surface et semblent nous « suivre ». On a d’abord cru à un phénomène semblable aux marées : ces bulles de gaz seraient attirées à la surface par l’attraction gravitationnelle du satellite... Mais nous avons écarté cette hypothèse car de fait, aucun modèle mathématique ne parvient à prédire leurs mouvements !

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Évidemment, notre exobiologiste est persuadée qu’il s’agit d’une forme de vie inédite. Elle a fait une requête pour une mission d’exploration sur place. Évidemment, c’est hors de question. Je ne peux pas autoriser une équipe à aller s’immerger dans une atmosphère instable pour interagir avec une potentielle forme de vie dont nous ne connaissons rien ! Nous devons d’abord en apprendre plus.

Bulle Un objet s’est détaché d’Axile et s’approche de nous. Moi, rivée derrière une petite lentille gazeuse de ma fabrication, je l’observe. Je suis au plus près du vide, plusieurs mètres au-dessus de tous les autres. La nuit est noire, à peine troublée par la faible lumière de nos cœurs chauds qui irradient à travers nos enveloppes. L’objet des visiteurs – c’est ainsi que je les appelle en pensée et le mot est désormais d’usage courant dans les flux – est semble-t-il creux, selon toutes nos perceptions. Et à l’intérieur se déplacent des êtres. Sans nul doute, c’est un véhicule. Et il s’approche toujours plus près de nous.

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J’observe la scène sans vraiment m’interroger sur ce qui va arriver. Et puis, soudain, un rayon de photons se braque sur moi. Je me fige. L’instant se suspend. Et puis, peu à peu je me sens soulevée, comme attirée par une force, et mon corps s’élève sans que je puisse y résister. À cet instant l’idée me frappe que je vais mourir. Ce rayon gravitationnel va m’attirer dans le vide qui me sépare du véhicule des visiteurs, et je vais y mourir. Mais non. Le faisceau soulève avec moi une colonne d’atmosphère dense, qui m’enveloppe et m’accompagne. Je suis à la fois exaltée et terrifiée. Je m’élève encore. Voilà. Je suis dans le véhicule. Je flotte dans quelques mètres cubes de gaz entourés de parois faites d’une matière solide. L’atmosphère de ma planète est ainsi recréée en miniature, et l’air est renouvelé par un petit tunnel dont je ressens le souffle discret. Je me dis que ce système est assez ingénieux, et qu’il s’agirait là

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d’un dispositif parfaitement adapté à notre projet de voyage spatial. Emballée par l’idée, je la sécrète par réflexe pour la partager avant de me souvenir qu’il n’y a aucun flux autour de moi pour la diffuser, ni personne pour la recevoir. Moi qui apprécie la solitude, je comprends que je l’expérimente véritablement pour la première fois.



Justine Carrons

Prologue #3

I

ls étaient isolés depuis tant de générations que l’existence d’autres civilisations était devenue un mythe. Les anciens en parlaient encore le soir autour des pierres incandescentes et il y avait les grandes fresques des galeries supérieures, les plus anciennes, là où peu de jeunes générations s’étaient aventurées. Mais voilà ce que le reste de l’Univers était devenu : une légende. Hélas, c’est ce que les Cerniotes étaient devenus pour l’ensemble de l’Univers également. Même leur nom avait été oublié. On utilisait leur savoir passé sans même en avoir conscience. On explorait les confins de l’univers grâce à eux. Leur technologie était omniprésente dans nos vies mais tout ça, tout le monde l’ignorait. Ils représentaient cette origine

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inconnue qui peuple les civilisations, la réponse à toutes les questions sans être là pour y répondre. Les êtres les plus brillants de l’univers se sont retrouvés exclus, condamnés à garder leur savoir pour leur seule planète et unique civilisation et sont désormais ignorés de tous. Cela avait commencé avec la Grande Guerre, celle qui avait éclatée dans le système solaire. Les planètes voisines étaient devenues envieuses du savoir que détenaient les Cerniotes ainsi que du pouvoir que représentait Cercium dans la galaxie. Au fil des siècles, les Xarates étaient venus à bout des ressources de leur propre planète, et bientôt ils ne purent supporter davantage de voir leur voisine prospérer. Erinos, le roi des Xarates, lança une attaque contre Cercium et mit la planète ne état de siège. Des milliers de vaisseaux encerclaient Cercium et attaquaient jour et nuit. Mais le peuple Cerniote ne se laissa pas faire. Ils unirent leurs forces et toutes leurs « amérines », l’orbe rouge tant convoitée, pour riposter. La puissance de frappe des Xarates demeurait cependant considérable. La guerre s’étala sur des siècles au cours desquels les Cerniotes essuyèrent de nombreuses pertes. Les Xarates mirent en place des raids pour subvenir

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à leur besoin et pillèrent sans merci la planète. D’autres planètes s’allièrent aux Xarates, jalousant la place de Cercium dans la galaxie. Des peuples amis se transformèrent en ennemis. Les batailles continuèrent, la planète arriva à but de ses forces. Amal, le chef des Cerniotes, tenta à maintes reprises des négociations mais en vain. Erinos ne voulait rien entendre. Amal dut prendre une décision, la plus difficile, celle qui incombre aux grands dirigeants. Il tendit une embuscade aux Xarates en les attirant dans les galeries les plus profondes de la planète pendant qu’en surface, les derniers vaisseaux furtifs des Cerniotes décollaient et allaient encercler la flotte Xarate. Les Cerniotes frappèrent avec toute la puissances des « amérines », laissant les Xarates meurtris et autant affaiblis qu’eux. Les quelques vaisseaux survivants retournèrent sur Xarator, les alliés se dispersèrent et les Cerniotes reconstruisirent leur galeries en pansant leur plaies. Il existe néanmoins des blessures qui ne se referment jamais et la Grande Guerre fait maintenant partie de celles des Cerniotes. Il cessèrent toute construction de vaisseaux, ils se replièrent sur eux-même. Ils condamnèrent toute transaction avec les autres planètes et décidèrent de vivre reclus, entre eux,

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creusant des galeries encore plus profondes. Les apparitions à la surface se firent de plus ne plus rare, à tel point que la planète paraissait désromais inhabitée. Ils conservèrent leur technologie pour eux, entretenir leur amérines et se contentèrent de faire profil bas. Et même si autrefois, la diffusion de leur savoir fût grande, ils furent oubliés. Du moins, ce fut le cas, jusqu’au jour où les Explorateurs débarquèrent dans la galaxie et mirent leur cap sur Cercium.




Laura Schlenker

Prologue #4 «

Attention, intrusion »

En quelques secondes, ce message alarmant fut diffusé à tous les habitants de New Gaïa. Le réseau filaire, composé de racines et de champignons, couvrait désormais la quasi-totalité de la planète. La zone aride, encore peu desservie il y a une centaine d’années, bénéficiait depuis peu d’une couverture optimale grâce à la dernière mutation des mycètes. Les repoussés, assignés à la zone aride, avaient donc acquis de nouveaux droits : ils pouvaient bénéficier du réseau, si précieux pour le lien social. C’est l’un d’entre eux qui avait donné l’alerte.

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En recevant le signal, un frisson collectif parcourut les écorces, les branches et les épines des robustes. À la réception de l’alarme, un tremblement vertical secoua les pionniers, alors occupés à étirer leurs feuilles vers la lumière de Rouge. Tous, oubliant leurs querelles, furent agités par la même peur ancestrale. Depuis 3 000 ans, aucune intrusion n’avait eu lieu sur la planète noire. Pourtant, l’intrusion était réelle, et elle devait être d’origine extraterrestre car aucun organisme non symbiosé n’avait été épargné du grand détox. Les prédateurs les plus résistants avaient survécu une semaine, au plus, après le lâcher des gaz. La réponse unanime ne tarda pas à être diffusée sur le réseau : « Reconnaissance immédiate ». L’essaim d’éclaireuses quitta la ruche pour s’envoler vers la source du piétinement, au cœur de la zone aride. En prévention d’une attaque éventuelle, pionniers et robustes déversèrent un antalgique puissant dans leurs racines afin d’en allaiter leurs jeunes pousses. En attendant le rapport des éclaireuses, dans un silence total, chacun refoulait au mieux son stress. Tous se remémoraient cette histoire que l’on 28


racontait encore aux jeunes de toute espèce pour leur faire peur. On entendait parfois des anciens l’évoquer pour réprimander leur progéniture lors de désobéissances : « Arrête de pousser, laisse de la place à ton frère ou alors ils reviendront te régler ton compte. » Plus personne ne plaisanterait à leur sujet. Un jeune pionnier ne put se retenir d’interroger la collectivité en consultant le réseau : « Dans combien de temps aurons-nous un rapport ? » La réponse fut immédiate : « Le point d’impact est à trois heures de vol d’éclaireuse. » Les trois éclaireuses survolaient la zone tempérée en formation de flèche. Elles changeaient de place régulièrement afin de se relayer et de limiter la fatigue due au frottement du vent d’altitude sur leurs ailes. Une fois arrivées à mi-parcours, à la frontière de zone, elles décidèrent de faire une pause sur la branche d’un robuste.

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L’éclaireuse aînée, s’adressa à ses sœurs : « Une fois arrivées dans le grand désert, je vous propose de raser le sol pour gagner du temps. » Les éclaireuses étaient épuisées, mais comprenaient l’urgence de leur mission. Elles partageaient les craintes de leurs maîtres. Elles aussi, se souvenaient bien des récits des souffrances infligées à leurs ancêtres. Aussi, après cinq minutes de repos en position fœtale, elles reprirent leurs envols. À peine une heure plus tard, elles parcouraient le grand désert à vitesse constante. Dans la zone tempérée, les jeunes pousses avaient eu le temps d’interpréter de mille façons l’intrusion. L’hypothèse qui leur semblait la plus probable était celle qu’une petite météorite ou alors qu’un débris spatial avait percuté la surface de New Gaïa. Aussi, le message du rapport des éclaireuses eut l’effet d’une blessure dans leurs racines. Il se diffusa tel un poison le long du réseau.

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« Ce sont eux. Les trancheurs, les voleurs de miel. Ils ont survécu. Ils sont de retour pour se venger. »

« Il fut un temps où les essaimeuses butinaient en toute liberté, toutes les espèces, sans restrictions de pollinisation. Elles étaient respectées par les anciens. On raconte qu’elles étaient même invitées à fêter la première feuille de chacune des jeunes pousses. » — Extrait des mémoires de Kora 1

C

’était pour aujourd’hui. Le temps était clément, et la lumière de l’aube rougissait peu à peu chacun des arbres fruitiers encore en fleurs en ce matin printanier. Dans le verger, chacun avait préparé un cadeau précieux pour accueillir le nouveau venu. Doucement, avec délicatesse et conviction, il avait défroissé sa première feuille sous le regard attendri de ses parents. Il l’avait alors orientée et déployée complètement vers Rouge. Et là, en une 31


inspiration profonde, il avait accueilli sa première lumière. First était le premier arbre natif de New Gaïa. « Joue des feuilles, First ! » Le son de la voix de son petit-fils sortit First du visionnage de cet extrait de mémoire. First était un des gardiens de la mémoire collective. Cette fonction prestigieuse lui demandait de stocker dans son bois les séquences de vie des anciens, et de les diffuser à la demande sur le réseau filaire. Ainsi, tous les membres disposaient d’une mémoire identique, commune, sans failles. Mais la demande du jeune pommier était tout autre : First avait développé au cours de ses 3 000 années de vie un talent musical apprécié de tous, et, avec le vent comme complice, il jouait des feuilles avec dextérité. « Pas maintenant, je suis occupé. » First aimait son petit-fils avec toute la tendresse et la générosité d’un grand-père. Mais, à chaque fois qu’il l’observait, sa fierté était gâchée par un sentiment d’injustice, un échec, une fatalité. 620 serait le dernier de sa lignée. Cette certitude

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provoquait chez First une acidité qui se répandait lentement dans sa sève, et qui finissait en une vive brûlure, au cœur de son aubier. Les ressources s’amoindrissaient sur New Gaïa et le conseil des anciens avait décidé de suspendre la reproduction, toutes espèces confondues. Les libéraux avaient riposté en vain tandis que les conservateurs se félicitaient de la prudence de cette décision. Grâce à son rang de robuste et son statut de gardien de la mémoire il avait obtenu un des derniers permis de pollinisation, et 620 était né le printemps dernier. First était triste pour 620. Il faisait ses premiers fruits cette année mais ne connaîtrait ni le plaisir du butinage sur ses pétales, ni la joie de voir germer ses graines dans la terre fertile. Il n’allaiterait pas ses jeunes pousses, il ne les verrait pas pousser jour après jour vers la lumière. Mais pire encore, il n’y aurait plus de jeunes pousses à élever. Cela signifiait pour First qu’à terme, son rôle de transmission serait obsolète.

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Kora 6047 fêtait sa quatorzième lune avec peu d’enthousiasme. Il lui semblait qu’hier encore, elle sortait de sa chrysalide. Mais le temps avait bel et bien passé, et il lui fallait désormais mettre tout en œuvre afin de se reproduire avant sa mort. Le problème c’est que Kora n’avait pas de partenaire. Elle préférait s’entraîner à la course de tronc. D’ailleurs, elle détenait le record de vitesse dans sa catégorie. C’était également une pointure en vol stationnaire : 15 000 battements d’ailes, ce qui n’était pas mal du tout pour un lépidoptère. Quand elle ne volait pas, Kora dessinait. Avec sa longue trompe, elle était devenue habile, et s’employait à illustrer les cahiers des mémoires de ses ancêtres. Depuis les restrictions de pollinisation, toutes les essaimeuses avaient développé des loisirs afin d’oublier leur inutilité sociale. Les anciens réduisaient le nombre de pollinisateurs sans pour autant les exterminer. La nourriture avait d’abord été rationnée. Puis, peu à peu, les fleurs des arbres étaient devenues toxiques si bien que les essaimeuses devaient se restreindre aux fleurs encore comestibles : celles des espèces d’arbres dominantes.

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Enfin, depuis 6 lunes, les arbres avaient décidé d’arrêter de se reproduire. Ils avaient laissé aux essaimeuses quelques fleurs d’arbustes dédiées à cet effet, dans le grand désert. Ainsi, si par mégarde, une graine germait suite à un butinage, elle n’aurait pas d’eau pour se développer. Kora était née dans la zone humide. Elle avait connu le goût du mélange des nectars et elle vivait très mal cette privation de nourriture. Mais ce soir, en contemplant la pleine lune et en comptant les jours qui lui restait pour s’accoupler, Kora était déçue, et même un peu vexée. Elle se posa au sol, dans le sable, et observa son dernier croquis sans satisfaction. Elle avait toujours cru qu’elle jouerait un rôle clé dans la prophétie des Koras. Elle s’était imaginé mille fois pondre dans un vaisseau inconnu, sauver son espèce du dictat des arbres, et s’enfuir loin de New Gaïa vers la forêt promise. Mais ce n’était pas elle qui accomplirait ce devoir sacré. Il était trop tard, elle avait perdu son temps à rêver. Maintenant il lui fallait s’accoupler avec le premier venu et ceci avant la prochaine lune.

À suivre…



Leo Mantegazza

Prologue #5

V

u de l’espace (avec de bons senseurs bien sûr, mais la flotte était équipée des meilleurs à ce jour) tout ce que l’on pouvait distinguer était des zones de chaleur, des pics d’énergie et des déplacements de signaux. Les analystes et les ordinateurs en avaient tous déduit que les parties éloignées de l’équateur comprenaient les industries majeures, probablement minières et agricoles. Les scans indiquaient pourtant des taux d’oxygène, d’azote et d’autres éléments trop bas pour être en accord avec la présence de tant d’industrialisation : très peu de matières polluantes. Et toujours aucun moyen de savoir ce qui se cachait sous cette perpétuelle couche de nuages. Aucun à part bien sûr… Atterrir.

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Le capitaine se tourna vers les quatre soldats qui l’accompagnaient et les briefa une dernière fois : « La pilote m’informe qu’on s’apprête à percer les nuages. On ne sait pas vraiment ce qui se trouve là-dessous et c’est pas notre problème. » Il pointa du doigt les autres occupants de la navette, penchés sur des consoles d’analyse ou observant intensément l’extérieur par les hublots. « C’est le leur. Ces gars-là vont faire toute la causette et la science qui va avec. Nous on est juste là pour surveiller et observer un maximum. Pas trop de danger, il paraît que ces... quoi qu’ils soient, en bas sont peu développés. » Le haut-parleur s’activa alors que des secousses interrompaient le militaire, et ils entendirent la pilote. « Entrée dans l’atmosphère imminente, attachezvous ! » Scientifiques et soldats se tournèrent vers les vitres de la coque et scrutèrent l’extérieur. Tout ce qu’ils virent au début n’était que le bleu légèrement verdâtre du ciel et l’immense couche de nuages vers

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laquelle l’appareil se dirigeait. Il plongea quelques secondes plus tard et la visibilité devint nulle. La navette resta dans le brouillard pendant une demi-douzaine de minutes, témoignant de l’épaisseur hors du commun de ces nuages. Les passagers, y compris ceux en uniforme, commençaient à s’agiter lorsqu’ils percèrent enfin les nuages. Tous furent surpris. Au lieu des bâtiments en pierre, en briques ou en béton auxquels ils s’attendaient, ils avaient sous les yeux une cité gigantesque et éclatante. De grandes tours de verre atteignaient le ciel quelques cinq-cents mètres plus bas. La deuxième chose frappante était les véhicules qui circulaient au pied des tours – mais aussi entre et au-dessus. Un véritable fourmillement de « voitures volantes », aucun autre terme ne leur venait à l’esprit. Au milieu de cela, dépassait un grand building argenté. À son sommet clignotait une balise rouge et la navette se dirigea dans sa direction. Plusieurs centaines de mètres plus loin, dans la tour, le général éteignit l’écran. L’image des passagers

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de la navette disparut et les six personnes autour de la table commencèrent à discuter. « Ils semblaient surpris ? » dit le Secrétaire des Ressources. « Ne sont-ils pas aussi avancés que nous ? - D’après nos informations, ils ont effectivement atteint un niveau technologique suffisant pour atteindre l’espace et l’explorer. Néanmoins, il semblerait que leur planète ne dispose pas d’autant de capacité technique, l’informa le Ministre de la Recherche. - Ils voyagent entre les astres malgré un développement limité ? » demanda la Secrétaire de la Sécurité. Le consul prit la parole. « Je ne les appellerais pas “limités”. Ils ont tout de même réussi à atteindre l’espace. Ce que nous n’avons toujours pas fait ». Il se tourna vers le Ministre de la Recherche. « Ne me faites pas de reproches ! Vous connaissez les raisons de nos échecs. - Je les connais. Espérons que ce contact nous fera progresser plus que ce que vous nous apportez. »

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Il se leva et pénétra dans l’ascenseur. « Espérons… » répéta-t-il doucement. La navette se posa sur le toit de l’immense gratteciel et la rampe arrière s’abaissa. Les scientifiques descendirent, les militaires se déployèrent rapidement autour. Devant eux se trouvaient quatre êtres à la couleur vert pâle. Leur corps était recouvert d’écailles et ils possédaient ce qui ressemblait à des ailettes, ou plutôt à des nageoires, sur les côtés droit et gauche de la tête. Autrement, le reste de leur physionomie semblait humanoïde. Surprenant compte tenu de la différence d’environnement entre leur planète et la Terre. En un instant les appareils de mesure furent déployés et les enregistrements lancés. L’un des individus devant eux s’avança et prononça des sifflements. Les jauges des détecteurs s’agitèrent, l’un des hommes de science agita quelques interrupteurs et ajusta des leviers sur une machine. Après une dizaine de secondes il leva un pouce vers l’un de ses collègues qui prit à son tour la parole. L’échange continua comme cela pendant vingt minutes terrestres. Les personnes reptiliennes 41


ne semblaient pas les comprendre plus qu’eux ne les comprenaient. Le capitaine militaire signala qu’ils devaient redécoller promptement s’ils voulaient éviter les perturbations liées aux anneaux de la planète. L’émissaire terrien s’inclina et fit comprendre par des gestes qu’ils devaient partir. Après cela, le matériel fut rangé prestement dans l’appareil et avant de monter à leur tour, les scientifiques tendirent une boîte en métal à leurs interlocuteurs. Le capitaine fit un rapide salut militaire et tous entrèrent dans la navette. Celle-ci décolla quelques secondes plus tard et perça rapidement les nuages. Sur le toit de la tour, le consul examina la boîte qui lui avait été offerte puis la tendit à son assistant. Celuici la prit avec soin avant de demander : « Pourquoi ne pas leur avoir dit que nous connaissions leur langage ? - Parce qu’ils se seraient posé trop de questions. Laissons-les revenir, de cette manière nous pourrons en apprendre plus sur eux. Leur vaisseau-mère restera en orbite, nous aurons donc tout le loisir de l’étudier depuis le sol. »

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Il sortit un boîtier dont il pressa l’un des boutons. Immédiatement, un véhicule volant semblable à ceux qui circulaient plus bas - quoique plus profilé apparut lentement. Une porte presque indétectable coulissa à l’approche du consul et celui-ci rentra dans l’appareil. « Portez l’objet au centre de recherche de la Tour et dites-leur de ne faire que de simples analyses, je veux pouvoir l’examiner moi-même un maximum. - Bien monsieur. - Je suis sûr qu’elle pourra déjà nous apporter des informations importantes sur cette espèce et leur technologie. » La paroi coulissante se referma et le véhicule décolla avant de redevenir invisible quelques mètres plus loin.



Mael Cardiet

Prologue #6

U

ne nébuleuse ordinaire, nichée dans le bras d’une galaxie spirale. D’infimes perturbations gravitationnelles. Une agglomération, une accrétion, un effondrement. Une étoile était née. Du disque de poussière en orbite de la protoétoile naquirent quatre planètes. Trois centrales, telluriques, constamment bombardées de météorites et autres débris. Des surfaces incandescentes où jaillissent des geysers de magma de leurs cœurs surchauffés. Planètes-océan de roches en fusion. La dernière était différente. Géante gazeuse aux confins du système, protégée de la folie d’une trop grande proximité stellaire. Protégeant de son puit gravitationnel ses trois lunes, suspendues au cœur de ses spectaculaires anneaux. De la plus grande

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lune jaillissaient des geysers des crevasses de sa surface glacée, par ailleurs si uniforme qu’elle en paraissait inerte. De l’eau. Un océan primordial. Abrité de l’environnement inhospitalier par une colossale couche de glace. Chauffé de géothermie et d’effets de marée de la géante si proche. Préservée d’un système solaire tumultueux et d’un univers vaste et indifférent, la vie est apparue. Primitive. Rudimentaire. Mais consciente. La domination de la conscience collective de l’Essaim sur les autres formes de conscience vint bien assez tôt. Sa totale domination de son environnement fut aussi expéditive qu’absolue. L’Essaim ne se contenterait pas de sa bien limitée lune. Elle l’avait vu naître, mais elle le bridait par sa surface étriquée. Il en fallait plus, toujours plus. Communiquer. Pour qui, pour quoi, qu’importe. Des messages au hasard. Sans autre but que de focaliser la conscience sur son prochain objectif. Tentative désespérée d’apaiser son ambition et son insatiable faim d’espace et de domination. Mais aujourd’hui était différent. Aujourd’hui, il reçut une réponse.




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