Cabotages - Le Gastronaute en Méditerranée

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ARGELÈS

et dont les argiles ont donné leur nom à la ville n’est pas une muraille de Chine. Comme toute zone frontalière, c’est un lieu de passage, de rencontre, de mélange, volontaire ou forcé par l’histoire. Quel rapport avec la cuisine et ses produits ? On y vient. Si c’est banalité que dire la Méditerranée riche de ses mélanges et de ses échanges, des gens comme des techniques agricoles et de denrées alimentaires, c’est une évidence plus précise de voir en quoi cette situation de frontière est capitale pour Argelès. C’est même un signe identitaire. Catalans de Barcelone, Espagnols d’Aragon, rois de France, batailles, longues guerres, le Roussillon a été “libéré” tant de fois ! Invasion ou immigration... jusqu’à la Guerre d’Espagne en 1936 et la tragique Retirada. Si Menton, aux antipodes de la côte française, a oscillé entre l’Italie et le France en restant ligure dans la paix, Argelès est la face tourmentée du Roussillon.

Valmy, fumer et boire Sur une colline proche d’Argelès-sur-Mer se trouve une drôle de maison, un château qui n’a rien de classique parce qu’il est l’un des premiers bâtiments à armature de béton armé (voir l’article sur Cerbère). Construit entre 1888 et 1900, c’est une véritable curiosité d’architecture et de décoration. Son histoire, qui est aujourd’hui celle d’un domaine de production viticole de grande qualité a commencé par le papier à cigarette. Pierre Bardou, richissime industriel perpignanais qui avait développé la marque des papiers à cigarette JOB créée par son père, a commandé à l’architecte Viggo Dorph-Petersen un château pour chacun de ses trois enfants. Le château de Valmy à Argelès-sur-Mer. a été construit pour sa fille Jeanne. En 1888, Jeanne Bardou a épousé Jules Pams, figure politique de la IIIe République : avocat, président du conseil général des Pyrénées-Orientales, député, sénateur, ministre de l’Agriculture puis ministre de l’Intérieur, dans le cabinet de Clemenceau, il fut battu par Raymond Poincaré aux élections pour la présidence de la République en 1913.

FAIRE LE TOUR DES CARTES Longue digression le temps d’entrer dans le port pour arriver enfin aux bonnes choses, alors que l’on s’approche des restaurants sur des bord de quais. Quand vous aurez passé les amarres, faites le tour des cartes exposées et vous aurez une idée des mets locaux qui sont ce que d’aucuns pourraient appeler les “aspects positifs” de l’histoire tourmentée du lieu. Et, lorsqu’on s’intéresse à la cuisine du Roussillon dont Argelès est par sa position en quelque sorte un condensé, il faut faire aussi entrer une nouvelle ligne de séparation ou d’ échange, la côte qui unit terre et mer, produits de la pêche et ceux de l’agriculture. Ici, la cuisine est au carrefour de la Catalogne et du Roussillon comme du pages (le paysan) et du pescador (le pêcheur) : l’éventail des types et des spécialités est extraordinairement varié. Elle est bourgeoise et paysanne, somptueuse et frugale, et, chose remarquable, se démarque de la languedocienne. On y trouvera la bullinada d’anguilles, des grands plats d’asperges, l’aigre doux, les fameux anchois de Collioure, les langoustes, les rougets à la catalane et autres grillades de poissons et de fruits de mer. Le port de Saint-Cyprien sur la côte basse vu des dernières collines du vignoble de Collioure

Depuis, le château de Valmy a été vendu à Victor Peix, distillateur à Millas. Ce dernier a étendu le domaine viticole et créé les marques Valmy et Valmya. Ses descendants sont toujours aujourd’hui les propriétaires du château.

VERSION MARITIME, VERSION MONTAGNARDE facile – est la brasucade dont le principe est de faire cuire les moules dans une grande poêle à paella, sur un feu de bois, si possible des souches de vignes. Mais ces moules sont aussi parfois farcies avec coulis de tomates, ail, oignons et basilic, si possible avec des épinards. C’est plus rare et plus inattendu. Autres spécialités catalanes à tester en marchant dans la rue ou à la terrasse d’un bar d’Argelès : les escargots. Il y en a partout avec différentes recettes, en fricassée, en soupe, en aillade, cette dernière variant selon les régions avec huile d’olive, le romarin, la menthe, les anchois, le serpolet, l’aillade avec noix et ail pilé pour imprégner les pommes de terre. Plus raffiné encore : les “cagarots” aux blancs de poireaux avec un ajout de tomates en purée... Complétés par des gambas ou des seiches à la plancha, plaque de fonte très chaude ; en supplément : brochettes de moules ou de petits poulpes à déguster en se baladant.

Y compris pour un même et simple produit, les accommodements varient considérablement. Voyez les sardinades : sardines grillées, en sauce catalane ou à l’escabèche. Une préférence pour les sardines fraîches écaillées et frottées d’huile d’olive puis grillées sur braises de sarments, à manger avec les doigts et arrosées d’un blanc local, tout droit descendu des coteaux de Collioure ou des vallées et enclaves espagnoles des Pyrénées littorales (ah ! le Terra Remota élevé entre La Jonquera et Figueres !). Et la bouillabaisse à la mode catalane ? Un mélange de cigales de mer, de chair de poissons de roche, flambé à l’eau de vie et une sauce onctueuse avec jambon, blanc de poireaux, oignons et ail pillés, petits croûtons... Mais, dans une version plus montagnarde, on peut aussi faire une bouillabaisse avec du saindoux, du lard, du jambon et du foie de porc ! Il existe bien une choucroute de la mer... Et les moules ! L’image la plus touristique – et donc la plus

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