Cabotages, le gastronaute: Bouches-du-Rhône, 14 escales au fil des bons produits de la mer

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Cabotages

CABOTAGES LE GASTRONAUTE

14 escales au fil des bons produits de la mer et du littoral Bouches-du-Rhône

GRATUIT, NE PEUT ÊTRE VENDU

2013

Destination

PORT GARDIAN - PORT SAINT-LOUIS PORT-DE-BOUC - MARTIGUES - CARRO SAUSSET-LES-PINS - CARRY-LE-ROUET LA REDONNE - L’ESTAQUE - MARSEILLE LA POINTE-ROUGE - CASSIS - LA CIOTAT 1


Francis Alÿs

Caroline Le Méhauté

Marie Aerts

Olivier Millagou

Dominique Angel Martin Baas Christophe Berdaguer & Marie Péjus Lilian Bourgeat Katinka Bock Charley Case Yves Chaudouët Claude Closky Martine Feipel & Jean Bechameil Anne Deguelle Hélène Delprat Claire Fontaine Gerlinde Frommherz Bertrand Gadenne

15 juin 2013 20 octobre

É GARE MENTS

Sébastien Gouju

François Morellet Stéphanie Nava Pascal Navarro Richard Nonas Lucien Pelen Didier Petit Dominique Petitgand Françoise Pétrovitch Javier Perez Michelangelo Pistoletto Anne et Patrick Poirier Markus Raetz Philippe Ramette Alain Rivière Jérémie Setton

Marie Goussé

Jana Sterback

Rainer Gross

Marion Tampon-Lajariette Barthélémy Toguo

Marie-Ange Guilleminot

Felice Varini

Arnaud Maguet

Arnaud Vasseux

Martine Feipel & Jean Bechameil, Many Dreams, 2012, Galerie Gourvennec Ogor, Marseille

Christian Lapie

art contemporain au domaine départemental du château d’Avignon Domaine départemental du château d’Avignon, Route Départementale 570,

13460 Les Saintes-Maries-de-la-Mer

cg13.fr

Tél. : 04 13 31 94 54 www.chateaudavignon.fr


Gérant, directeur de publication Christophe Naigeon, christophe.naigeon@wanadoo.fr Assistante de direction et gestion intranet Julia Chaine : contact@cabotages.fr Directeur du développement Alain Pasquet : alain.pasquet@cabotages.fr Partenariats Thierry Dutto : thierrydutto@cabotages.fr

Cabotages de gastronautes

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bon, c’est de saison epuis le lancement deC’est Cabotages c’est le Languedoc-Roussillon de France en 2007, nous affirmons queSudles plaisanciers sont des touristes exigeants, curieux de ce qu’il y a sur, dans et sous la mer, dans le ciel et de ce qu’ils voient de la côte qui défile, de ce qu’il y a à découvrir en arrivant à l’escale.

Cabotages

notre marque

Les six précédentes éditions annuelles de Cabotages Méditerranée ont voulu répondre à leur envie de déchiffrer le paysage, de connaître et de comprendre les villes portuaires où ils atterrissaient.

Rédactrice en chef Djinn Naigeon : djinn.naigeon@wanadoo.fr Équipages rédacteurs navigateurs : Djinn et Christophe Naigeon Emma et Bastien Chazelles Guy Brevet, Claude Roger Copyright : Cabotages

Tous droits de reproduction même partielle, tout procédé, tous pays.

Fabrication, iconographie : Emmanuelle Grimaud, Nicolas Pasquet maquette, infographie : studio@cabotages.fr Imprimerie : Rotimpres - Espagne ISSN : en cours Dépôt légal : juin 2013 Date de parution : juin 2013 Papier : PEFC libre de chlore Régie publicitaire : contact@akajoumedia.com Applications mobiles :

Site web www.cabotages.fr Claude Despretz, webmaster claude@cabotages.fr

Les plaisanciers sont aussi des voyageurs à la découverte de bonnes choses, de ce qui croît sur la terre, de ce qui vit dans la mer ou qui vole dans le ciel et qui peut éventuellement, pour leur plus grand plaisir, finir dans leur verre ou leur assiette. Comme nous avions inventé le nautouriste, ce numéro est destiné aux gastronautes, les navigateurs gourmets.

CERBÈRE - BANYULS - PORT-VENDRES COLLIOURE - ARGELÈS - SAINT-CYPRIEN CANET-EN-ROUSSILLON - SAINTE-MARIE-LA-MER PORT BARCARÈS - PORT LEUCATE - LA NOUVELLE GRUISSAN - NARBONNE-PLAGE - GRAU DE VENDRES GRATUIT, NE PEUT ÊTRE VENDU

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Cabotages

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CABOTAGES LE GASTRONAUTE

14 escales au fil des bons produits de la mer et du littoral Édition Hérault - Gard

GRAU DE VENDRES - VALRAS-SÉRIGNAN LE CAP D’AGDE - MARSEILLAN - MÈZE BOUZIGUES - BALARUC - SÈTE - FRONTIGNAN PALAVAS - CARNON - LA GRANDE MOTTE LE GRAU DU ROI - PORT CAMARGUE GRATUIT, NE PEUT ÊTRE VENDU

Cabotages

2013

CABOTAGES LE GASTRONAUTE

14 escales au fil des bons produits de la mer et du littoral Édition Bouches-du-Rhône

Ces pages sont, de port en port, la découverte des produits, des mets et des lieux que chaque escale évoque et qui a un lien avec la mer. Ce lien est parfois tout proche car la mer en est le lieu de vie. Souvent aussi la mer les a transportés dans les cales des navires ou en a propagé la recette en faisant voyager les marins. Parfois, le lien est plus lointain, c’est un amer, un coteau, un sommet, une lagune presque invisible qui évoque une plante, un plat, un vin.

LE GASTRONAUTE

14 escales au fil des bons produits de la mer et du littoral Pyrénées-Orientales - Aude

Pour votre santé, évitez de manger troP gras, troP sucré, troP salé - www.mangerbouger.fr

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CABOTAGES

• Photos © Laurent Villarem • Avril 2014

Cabotages est édité par Bastaque Éditions, 16 rue Garenne, 34200 Sète 04 67 17 14 30

PORT GARDIAN - PORT SAINT-LOUIS PORT-DE-BOUC - MARTIGUES - CARRO SAUSSET-LES-PINS - CARRY-LE-ROUET LA REDONNE - L’ESTAQUE - MARSEILLE LA POINTE-ROUGE - CASSIS - LA CIOTAT GRATUIT, NE PEUT ÊTRE VENDU

Cabotages

2013

CABOTAGES LE GASTRONAUTE

14 escales au fil des bons produits de la mer et du littoral. Édition Var - Alpes-Maritimes

Tout en Méditerranée a la mer pour berceau ou comme histoire.

BANDOL - LES EMBIEZ - TOULON HYÈRES - PORQUEROLLES - BORMES LE LAVANDOU - SAINTE-MAXIME - FRÉJUS SAINT-RAPHAËL - CANNES - ANTIBES NICE - MENTON GRATUIT, NE PEUT ÊTRE VENDU

2013

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Retrouvez aussi les anciens numéros du trimestriel Cabotages sur : www.laboutiquedecabotages.fr


Sommaire

LES SAINTES-MARIES-DE-LA MER Du bon, du beau, du biou, zizanie et oriza

PORT-DE-BOUC Sardine, sardinade, tous les soirs, ça redîne

MARTIGUES

3 ESTAQUE

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Escale sans façons mais pas sans chichis

5 MARSEILLE 7

La poutargue, noblesse du mulet

La marmite où mijotent toutes les nostalgies La Navette de Marseille

rade sud de MARSEILLE

23 25

9 La bouillabaisse, embourgeoisée depuis les grecs Carteau ses palourdes et ses moules LA POINTE ROUGE 28 SAUSSET-LES-PINS 11 Les grecs apportèrent le vin Le parc marin, une “usine de vie” CASSIS 33 CARRY-LE-ROUET 13 Douze domaines de fleurs et de miel Estoquefiche de Terre-Neuve sur la Côte Bleue LA CIOTAT 35 LA REDONNE – LE ROVE 15 Anchoïade et tapenade sont dans un bateau… Que faisaient des chèvres dans cette galère ? ESCALE A IMPERIA 62 PORT SAINT-LOUIS DU RHÔNE

Convoyage...

de l’ Étoile de France

39

Flânerie...

dans le sillage du commissaire Maigret

45

Les marins malins, curieux, gourmets, préparent leurs escales avec l’appli

Disponible avec l’appli Navionics® en App Store et www.cabotages.fr 2 Cabotages


LES SAINTES-MARIES-DE-LA MER Les Saintes-Maries-de-la-Mer, autrement dit Port-Gardian, est l’escale la plus isolée de la Méditerranée. C’est aussi l’un des ports les mieux réussis.

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es Saintes-Maries-de-la-Mer, c’est le nom terrestre. Port-Gardian, c’est celui des plaisanciers. Et c’est un port tout à fait exceptionnel. Il est loin de tout : 30 milles de Carro, 20 milles de Port-Camargue, alors que tous les ports de la Méditerranée sont au plus distants de 5 ou 6 milles. Une côte sans abri et dangereuse par vent du Sud. Mais on est content d’arriver aux Saintes pour bien d’autres raisons. La ville est un monde en soi, avec ses vraies richesses et son folklore. L’arrière-pays aussi, avec ses vraies valeurs et sa carte postale. Quant au port, il est exemplaire, tout le monde le sait. Quant on navigue dans les eaux peu profondes du golfe de Beauduc, il faut aussi savoir qu’on passe au-dessus de ce qui fut l’avant-port romain d’Arelate, Arles.

Les Saintes-Maries-de-la-Mer, also called Port Gardian, is the remotest port of call in the Mediterranean. And one of the best harbours. LES SAINTES-MARIES-DELA MER / PORT GARDIAN 43°26’45”N - 4°25’24”E Tél. : + 33 (0) 4 90 97 85 87 www.portgardian.fr

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and lovers call it Les Saintes-Maries-de-la-Mer. Seafarers call it Port Gardian. And what a harbour it is! Remote: 30 miles to Carro and 20 miles to Port Camargue, whereas all the other Mediterranean ports are no more than 5 or 6 miles apart. A coast without shelter and a dangerous one in a southerly wind. But there are many reasons to be glad you have arrived in Les Saintes-Maries-de-la-Mer. The town is a world in itself, full of treasures and folklore. As is the hinterland with its real values and picture postcard image. As anyone will tell you, the harbour really is exceptional. As you sail the shallow waters of the Gulf of Beauduc, you should be aware that you are sailing above what was once the Roman outer harbour of Arelate in Arles.

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Du bon, du beau, du biou, zizanie et oriza

es rues des Saintes-Maries-de-la-Mer proposent bottes, articles d’équitation, vêtements de gardians et… énormément de nourriture. Notamment des dizaines de restaurants de cuisine camarguaise où la gardiane authentique est ici ce que l’omelette de la Mère Poulard est au mont Saint-Michel. La gardiane, c’est une daube de taureau – accompagnée souvent de riz… de Camargue. HERCULE ET LES TAUREAUX DE GERYON

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Destination

Commençons par le biou. Dans notre édition des Pyrénées-Orientales, à Cerbère nous avions quitté Héraclès traçant sa route vers Mycènes à la tête de son troupeau de bovins volés au géant Geryon. Nous le retrouvons traversant le Vidourle et arrivant au pied d’une colline sacrée où son bétail s’abreuve stationnant à une source abondante (les jardins de la Fontaine de Nîmes). À la pointe du delta du Rhône, quelques taurillons et génisses sont emportés par le courant lors de la traversée du fleuve et la légende raconte qu’ils échouèrent sur l’île de Camargue où ils finirent par revenir à l’état sauvage. Les bious, à la robe noire et luisante, aux cornes en forme de lyre seraient donc les descendants de cet herculéen cheptel. Le gros du troupeau gagna la Crau, territoire de bergers qui ne virent pas d’un bon œil ces milliers de bêtes saccager leur herbe abondante. Sous une pluie de flèches lancées par ces bergers, Héraclès implora l’aide de Zeus qui répondit par une pluie de cailloux sur les assaillants qui prirent la fuite. Depuis, la verdoyante Crau a disparu sous un manteau de pierres.


Les Saintes-Maries-de-la-Mer

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Une bon

La Bodega Kahlua 8 rue de la République Tél. 04 90 97 98 41

Les Flamants adorent le riz « Problème écolo-folklorique pour la riziculture camarguaise : les flamants roses ! En 1980, ces admirables volatiles ont quasiment sinistré les rizières. Il ne peut être question de tirer à la carabine sur une espèce protégée qui se moque des épouvantails comme de son premier duvet. Heureusement nous avons un Ministère de l’Environnement et du Cadre de vie. Celui-ci a ouvert un crédit destiné à l’étude d’un plan de défense contre les flamants roses (…) Il s’agit de trouver un moyen (psychologique) de dissuader les échassiers de venir piétiner le riz au moment de la germination. Aux dernières nouvelles, les Flamants roses n’ont toujours pas appris à lire pour tenir compte des panneaux d’interdiction d’entrer ». Maguelone ToussaintSamat. Histoire Naturelle & Morale de la nourriture. Bordas Cultures. 1987

UNE AOC TAUREAU DE CAMARGUE Le biou de Camargue, la noblesse sauvage des bovins, est unique en Europe et reconnue comme telle par la FAO. Cette race est élevée, pour le plaisir du visiteur, en manade sur un mode semi sauvage, dans ces zones humides, pâturages naturels uniques de prés, de marais et de sansouïres, terres salées piquées de salicornes. Ici, dans ces eaux saumâtres auxquelles aucune autre race ne résisterait, 100% des femelles reproductrices de cette lignée pure, inscrites au Registre Généalogique, vêlent sans assistance et le veau y est élevé sous sa mère. Pour les reconnaître, chaque manade pratique sa propre écossure, une échancrure à l’oreille de ses taureaux, marqués au fer. Le bel et farouche animal est dit “brave”, élevé pour le combat, la pratique des jeux taurins, enciero, bandido, abrivado. Mais celui qui sera dans votre assiette n’a pas connu l’arène. La recette de la gardiane de taureau ne concerne que les animaux réformés. L’AOC Taureau de Camargue, à la chair très rouge et maigre, existe depuis 1996. LE RIZ, UNE LONGUE HISTOIRE

photo emmanuellegrimaud.com

Zizania aquatica, drôle de nom latin du riz sauvage, désigne une avoine – folle avoine – des marais, interprétée dans cette étymologie comme une mauvaise graine, l’ivraie, qui fiche la pagaïe – la zizanie – dans les “bonnes” céréales. Pourtant, cette Zizania a été nourriture pour les Indiens d’Amérique,

les Salves et les Baltes, et son cousin, le riz “véritable“, Oriza sativa, nourrit les Chinois depuis cinq mille ans. Quant aux camarguais, ils ont connu des essais de culture depuis… les Mérovingiens. Saint Louis lança la mode du riz aux amandes – importé – à Aigues-Mortes, puis Henri IV et Sully tentèrent d’en faire la culture dans le delta. Mais sans formation, dans la boue au milieu des moustiques, impaludés, les paysans camarguais préférèrent s’en tenir au maraîchage qu’ils pratiquaient de l’autre côté du Rhône. En quatre siècles, projets et échecs se succédèrent jusqu’au XIXe siècle, avec une mise en culture sur 300 hectares, qui échoua entre les deux guerres. Puis, en 1942, l’armée française battue, le gouvernement de Vichy affecta cinq cents hommes des bataillons indochinois et malgaches démobilisés en Provence à la culture du riz en Camargue. Trimant dans des conditions indignes, ils réussirent là où tous avaient échoué. En 2010, 21 200 hectares produisaient 120 000 tonnes de paddy, riz non décortiqué. Le riz de Camargue reste une sorte de symbole, hautement protégé et aidé, comme si on le cultivait ici depuis des siècles… Mais dans votre assiette, blanchi ou complet (notre recommandation), il est là et s’accommode bien de la gardiane.


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PORT-DE-BOUC

Port-de-Bouc a de quoi surprendre et ravira ceux qui oseront s’aventurer au fond du golfe de Fos. Une escale à la fois étonnante et bon enfant.

ort-de-Bouc pourrait s’appeler le port du bout, le bout du golfe de Fos, une extrémité à oser visiter. Si vous ne retenez de Port-de-Bouc que ce que vous en avez vu de la voie rapide, vous ne serez guère tentés par l’aventure qui consiste à risquer sa coque dans le couloir des cargos. Et pourtant... Il est non seulement très émouvant et peu dangereux (moins que leur couper la route !) de naviguer dans l’antre des mastodontes, mais la vision qu’on a de la mer est toute différente de celle de la terre. Port-de-Bouc, avec son immense tour de contrôle maritime, avec son port où l’on croise des barquettes en bois et des remorqueurs géants, des quais populaires et son ambiance bon enfant, n’est pas celle que vous croyez. À voir pour changer.

Port de Bouc has plenty of surprises and will delight those who have the nerve to venture to the back of the Gulf of Fos. A port of call that is both surprising and friendly.

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ort de Bouc could be called the harbour at the end, the end of the Gulf of Fos, and you should risk a visit. If all you remember of Port de Bouc is what you saw from the fast lane, you will hardly be tempted by the adventure that entails risking your hull in the cargo lane. And yet, it’s not only exciting and relatively hazardless, (unless you cut one off) to sail into the giant’s lair, but the view from out at sea is totally different to the one you get on land. There’s more to Port de Bouc than you think, with its huge maritime control tower, a harbour where you run across wooden fishing boats and giant tugs, its busy quays and friendly atmosphere. Try somewhere different.

PORT-DE-BOUC 43°27,7’ N – 004°59,1’ E Tél. : + 33 (0) 4 42 06 38 50

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Sardine, sardinade, tous les soirs, ça redîne

epuis 1988, tous les ans et chaque soir, du 29 juin au 1er septembre et de 18 h 30 à 19 heures, les sardinades port-de-boucaines animent les pontons du port et les restaurants de la ville. Organisées par une association au port Renaissance, ces grands bacchanales ichtyophagiques proposent, pour une somme modique, six sardines, un verre de vin et un morceau de pain. Et chacun peut choisir de continuer avec des moules, des beignets de calmars, du thon et de l’aïoli. Le tout au son des orchestres. En fin de semaine, lors des soirées balletti, 950 places sont offertes aux autochtones et aux vacanciers. Très apprécié. Avant, c’était gratuit et cela se passait à l’autre bout du canal de Caronte. En 1885, Martigues ouvrait le bal des sardinades. Une belle idée, logique et généreuse. À cette époque, la pêche était encore miraculeuse et le quartier maritime très actif. Pour éviter la surproduction et l’effondrement des cours, les chalutiers touchaient des subventions pour rejeter les surplus en mer. La ville eut alors l’idée d’offrir gratuitement à la population ces excédents en dégustation. Succès foudroyant. En un mois, plus de 100 000 sardines par assiettes de cinq trouvèrent d’heureux gourmets. Depuis, la surpêche a fait place à la pénurie. La sardine n’est plus vraiment locale et l’assiette est désormais payante, Port-de-Bouc a pris la succession, mais le succès reste intact. Voilà pourquoi c’est ici, au fond du golfe de Fos que nous avons choisi de parler de ce petit poisson à la grande histoire.

Sardina pilchardus, la seule, la vraie, la sardine européenne homologuée est protégée. Rien à voir avec celle du pacifique, ni avec l’australienne, Sardinops neopilchardus, ou l’américaine bristling.

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Destination

LA SAGA SARDINE


PORT-DE-BOUC cette époque toutes les mers, dans des amphores de terre, puis en baril, en pots et en boite. LA QUESTION DE LA CONSERVE Nicolas Appert (1749-1841) fut le premier à stériliser ses conserves – des bouteilles de champagne ! – dans des autoclaves. Il lui fallait faire adapter un col, élargi, et le bouchon de liège ne s’avérait pas totalement fiable. C’est un Anglais de Grentham, ville de naissance du grand Isaac Newton, Peter Durand, qui eut l’idée de la boite en fer blanc... qu’il fallait dessouder pour l’ouvrir ! Le produit, amélioré en 1824, a gagné en saveur en passant par une friture d’huile sous le génie d’un maître confiseur, Joseph Colin. L’histoire précise qu’il n’est pas d’émigrant de cette époque qui n’ait emporté quantité de ces boites de conserves : 120 tonnes vers les États unis en 1836 et 400 tonnes dix ans plus tard. MISÈRE, PLUS DE SARDINES ! Au tournant du siècle, sans que l’on sache pourquoi, la sardine disparut au large, laissant les familles de pêcheurs et les ouvrières dans une totale misère. Ce grand silence de la mer va durer sept ans. Au retour de la sardine, en 1909, l’âge d’or est passé et il faut compter avec la concurrence étrangère. En 1932, on comptait deux cents conserveries de sardine en Atlantique et trois en Méditerranée employant 150 jours par an une centaine d’ouvrières saisonnières. En 1917, la guerre interdit l’exportation des boites de sardines aux ferblantiers qui fabriquent du matériel militaire. Grand progrès, le sondeur à ultrasons. Aujourd’hui, l’appareil est interdit car les ultrasons sont considérées comme une pollution acoustique mortelle pour les poissons. Autre invention : le filet tournant et coulissant. Les prises sont multipliées par cinq. La pêche à la sardine dans le golfe du Lion passe de 1 800 tonnes à 9 000 t. Les patrons réduisent les équipages. Et ensuite, les armateurs réduisent les flottes. Moins de sardines, moins de pêcheurs, moins de bateaux. Mais toujours les sardinades de Port-de-Bouc. Tout n’est pas perdu.

C’est le repas préféré des dauphins, des thons et des bélougas qui la dépassent en rapidité, sa vitesse de pointe n’excédant pas 20-25 nœuds, ce qui, pour un poisson aussi petit, est un exploit. En bateau, lorsque vous voyez la surface de l’eau bouillir et, si vous êtes près des côtes, les oiseaux de mer plonger en masse, c’est une “chasse”, un banc de sardines en train de se faire décimer par les grands prédateurs. Pendant des siècles, la sardine – comme l’anchois – a semblé être une réserve inépuisable de bienfaits. Les romains, à chaque comptoir qu’ils créaient sur la côte, installaient des ateliers de fabrication de garum, cette sorte de Nuoc Mam à base de poisson fermenté dont ils étaient extrêmement friands et qui se vendait à prix d’or. À Douarnenez comme à Agde, ont été mis à jour les vestiges de fabriques qui comprenaient chacune seize cuves de décantation. Fous de sardines, ces romains l’étaient au point qu’Apicius relate dans son livre de cuisine une recette de sardines farcies avec des amandes et du miel. Salée pour la conserve, mise en saumure, pressée, elle a parcouru dès

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Pour les sardinades, s’adresser à L’Office du Tourisme 22 Cours Landrivon Tél. 04 42 06 27 28

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MARTIGUES

Martigues est une perle dans un écrin ingrat. Mais une vraie perle, calme, propre, historique, gastronomique. Et la porte de l’étang de Berre.

MARTIGUES - MARITIMA 43°24,3’ N – 005°03,0’ E Tél. : + 33 (0) 4 42 07 00 00

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artigues est atteint à la sortie du canal de Caronte. On atterrit dans l’un des sept ports de Martigues qui offrent un total de 1 500 places à flot. Sur les sept, les plus beaux sont ceux de Ferrières, du Miroir aux Oiseaux, du Canal Saint-Sébastien ou côté étang de Berre, de Joncquières. Une fois amarré, vous allez oublier l’industrie, la circulation, le bruit et les parfums raffinés des environs pour vous retrouver dans un havre de calme, une ville propre et riche d’histoire, animée tout l’été – mais sans flons-flons intempestifs – qui a reçu le label Station Touristique Balnéaire. Un autre atout de Martigues est d’être ouverte sur l’étang de Berre, magnifique terrain de jeu pour le nautisme, la voile en particulier. Un bon coup de vent sans vagues, quel plaisir !

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Martigues is a pearl in an ugly shell. But a real gem none the less: quiet, clean, historical and gastronomic. And it’s the gateway to the Étang de Berre.

ou reach Martigues at the exit of the Canal de Caronte and you land in one of the seven marinas and over 1,500 wet dock berths that Martigues has to offer. Out of the seven, the prettiest are Ferrières, Le Miroir aux Oiseaux, Canal Saint-Sébastien and Joncquières on the Étang de Berre side. Once moored, you’ll soon forget the industry, traffic, noise and the floating refinery smells as you find yourself in a peaceful haven, a clean town, rich in history and lively all through the summer – but without the out of place blaring music – that has been classified as a Seaside Tourist Resort. Martigues’ other asset is that it opens onto the Étang de Berre, a splendid playing ground for water sports, especially sailing. A real delight with good winds without the waves!

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La poutargue, noblesse du mulet

ous venez d’arriver à Martigues et votre bateau est amarré tout près du cœur de ville. Demain, vous vous lancerez dans l’étang, la “mer” de Berre, mais, en attendant, vous allez passer la soirée dans cette ville triple à l’histoire très riche (visitez son musée du cinéma !). Et, en sautant du bateau sur la panne, vous dérangez un groupe de muges, poissons familiers des plaisanciers. Les enfants veulent toujours le pêcher, surtout qu’il est friand de pain. Mais on leur interdit toujours : « tu vois pas dans quelle eau il vit ! ». Même avec le label “Port propre”, on associe au muge l’idée de la pollution car on le voit en train “sucer” la végétation sur l’antifouling de nos coques ou les flotteurs sales des pontons avec sa grosse bouche lippue... LE CAVIAR DE LA MÉDITERRANÉE Le mulet – nom peu avenant – n’est pas un poisson qu’on appelle noble. Il suffit de voir son prix sur les étals pour s’en convaincre. Pourtant, ce végétarien – qui peut atteindre 7 kilos, 80 centimètres et l’âge de 25 ans – lorsqu’il vit dans les eaux sauvages, généralement non loin du bord de plage, a une chair excellente et ferme pour peu

Destination

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MARTIGUES salés et mis sous presse une journée entière, avant d’être suspendus à un crochet dans une cage pour y sécher une semaine. ENCORE LES PHOCÉENS ! Chaque poutargue est constituée de la paire de poches d’œufs, jamais dissociées, provenant de mulets capturés en Méditerranée. Un muge femelle d’un kilo produit 150 grammes d’œufs avec lesquels on peut faire 120 grammes de poutargue. La raréfaction du mulet fait de la poutargue un produit de luxe. Il faut en effet compter de 160 € à 200 € le kilo. Des pays comme le Brésil, la Mauritanie et le Sénégal aux côtes sableuses où le mulet est encore très abondant, se sont positionnés sur le marché. En France, le principal producteur est Le Pêcheur de Carro, située à Port-de-Bouc. Il est difficile de dire d’où vient la poutargue comme spécialité culinaire. Appelée aussi botargue ou boutargue, plusieurs pays comme l’Égypte, l’Italie ou la Grèce s’en disputent l’origine. Il semblerait que la poutargue ait été introduite en Provence par les Phocéens – encore eux ! – lorsqu’ils fondèrent Marseille vers 600 avant J.-C. On ne retrouve en revanche des écrits sur cette spécialité en Provence qu’à partir du XIe siècle. TOUS LES PAYS, TOUS LES TEMPS

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Restaurant le Miroir aux Oiseaux Quai Bescon 4, rue Marcel Galdy Tél. 04 42 80 50 45

Cette préparation est commercialisée depuis au moins le XVIIIe siècle. En 1777, Jean-Pierre Papon, dans son Histoire générale de la Provence, expliquait : « La poutargue, qu’on y fait avec les œufs des femelles des mujous ou mulets qu’on sale, quand on a bien nettoyé les ovaires, et qu’on fait sécher au soleil, après les avoir aplatis sous un poids qu’on met dessus, passe pour être fort délicate. On l’a vendue jusqu’à neuf francs la livre. On en sale tous les ans jusqu’à quarante quintaux, ce qui suppose une étonnante fécondité dans le mulet » Rabelais la citait déjà deux siècles avant dans son Gargantua : « Grandgousier estoit bon raillard en son temps, aymant à boyre net autant que homme qui pour lors fust au monde, et mangeoit voluntiers salé. A ceste fin, avoit ordinairement bonne munition de jambons de Magence et de Baionne, force langues de beuf fumées, abondance de andouilles en la saison et beuf sallé à la moustarde, renfort de boutargues, provision de saulcisses ». Quant au nom poutargue, il vient du provençal boutarguo qui dériverait lui-même de l’espagnol botague et de l’arabe bitârikha qui signifient tout simplement “œufs de poisson salés”.

qu’il soit mangé extrêmement frais, à peine sorti de l’eau. Mais ce n’est pas sa chair qui en fait un produit recherché. Ce sont ses œufs avec lesquels on fait le “caviar” de la Méditerranée, et bien au-delà, puisque les Japonais adorent le Karasumi, autrement dit la poutargue de chez nous. La poutargue fait la fierté de Martigues dont c’est la spécialité, et de ses pêcheurs qui la fabriquent encore de façon artisanale. Qu’es-acò la poutargue ? Il s’agit d’œufs de muge salés et séchés. Le mulet est capturé lorsqu’il quitte l’étang de Berre avec un filet appelé calen. Les œufs des femelles mulets sont récupérés et salés durant plusieurs heures, ce qui leur fait perdre leur eau, concentre les arômes et favorise la conservation. Ensuite ils sont des-

POUTARGUE ET “CUISINE AU BEURRE” La poutargue se déguste à l’apéritif coupée en fines lamelles. Certains y ajoutent un zeste de citron ou une goutte d’huile d’olive. On peut aussi la râper sur des pâtes, à la manière des truffes. Un délice! Il y a bien d’autres façons de se régaler à Martigues, dans les trois quartiers qui correspondent aux trois cités réunies de ce qu’on appelle la “Venise provençale” à cause des canaux qui la traversent. Pas besoin de se comparer à Venise pour être fier de sa ville. On dit la même chose de Sète, de Bruges, et d’au moins dix villes d’Europe… Alors, profitons de l’escale, bien agréable et gastronomique où fut tournée, par Gilles Grangier en 1963, La Cuisine au Beurre, avec Bourvil et Fernandel. Ici, elle est plutôt à l’huile d’olive.

photo Véronique Pagnier

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PORT SAINT-LOUIS DU RHÔNE

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Port Saint-Louis-du-Rhône mérite qu’on fasse le détour. En plein changement, cette ville renaît de ses cendres et prend de belles couleurs.

ort Saint-Louis-du-Rhône a connu sa prospérité dès qu’a été “shuntée” la partie basse du Rhône grâce au creusement d’un canal et la construction d’une écluse qui permettent de passer du golfe de Fos au fleuve dont les caprices rendaient le trafic difficile et saisonnier. Port Saint-Louis-du-Rhône est né en 1871 du mariage des eaux douces et salées rendu possible par le creusement du canal Saint-Louis. L’écluse passée, les péniches peuvent transborder leur chargement dans les eaux calmes du grand bassin. Mais ce n’est pas un fleuve tranquille… Aujourd’hui, au lieu de passer tout droit entre les bouées de Roustan et de Couronne, un détour par le fond du golfe de Fos et vers le Rhône n’entraînera pas de regrets. Le seul ennemi, est le moustique.

Port Saint-Louis-du-Rhône is worth the trip. This town is changing fast and rising out of the ashes into full bloom.

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ort Saint-Louis-du-Rhône found fortune once the lower end of the Rhône river was “shunted” during the canal excavation and the construction of a lock enabling navigation from the Gulf of Fos into the river whose whims made navigation tricky and seasonal. Port Saint-Louis-du-Rhône came into being in 1871 out of the union of the fresh and saltwater created by the excavation of the Saint-Louis canal. Once the barges have gone through the lock, they can then tranship their cargo in the quiet waters of the main dock. But this is no calm river... Instead of sailing straight ahead between the Roustan and Couronne buoys, make a detour to the back of the Gulf of Fos and into the Rhône and you won’t regret it. The only enemy here is the mosquito!

PORT SAINT-LOUIS DU-RHÔNE 43°23,1’ N – 004°49,7’ E Tél. : + 33 (0) 4 42 86 39 11 www.portsaintlouis-plaisance.fr

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Carteau ses palourdes et ses moules

es moules ne sont pas réservées à Lille et sa braderie. La Méditerranée n’a rien à envier aux côtes de la mer du Nord – à part les frites – et la moule gagne du terrain sur toute la côte. L’avantage est que la matière première est locale, pas chère, et offre aux restaurateurs qui la mettent sur leur carte l’accès à une clientèle qui sait les apprécier sans se ruiner. Il y a plein de façons de les accommoder. Certaines en font disparaître totalement la saveur fine, comme la sauce Roquefort ou un Curry trop violent. Comme la simple pizza napolitaine (tomate-anchois) est le meilleur test de qualité, la moule marinière éventuellement avec un peu de céleri et de vin blanc, laisse toute sa place à la fine saveur marine. Mais attention ! On juge un bon restaurant de moules à la cuisson : ceux qui prennent soin de leur clientèle les servent encore pleines et souples, presque blanches ou jaune clair. Refusez les petits morceaux de caoutchouc orangers. Et essayez les moules crues, si elles ne tombent pas dans le défaut d’une petite amertume, elle savent être presque sucrées. Et que d’iode ! D’ABORD LA PALOURDE

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Destination

En Langueroc, la meilleure pousse dans le bassin de Thau. En Provence, c’est dans l’anse de Carteau, au fond du golfe de Fos, à l’entrée de Port Saint-Louis-duRhône. Son histoire commence à la fin des années 1970, quand ce port fluvio-maritime à la charnière entre le Rhône et la mer, est en crise. Des centaines de dockers sont au chômage. Autant d’autres dans les métiers périphériques. La pêche aussi périclitait. Et pourtant, à ceux qui sont tombés tout petits dans la pêche, quoi qu’ils aient fait après, la mer tendait ses bras.


PORT SAINT-LOUIS DU RHÔNE

Une bonne adresse

LE PARADIS DES MOULES

L’anse de Carteau est un immense haut-fond où explose le phytoplancton, les  prairies  sous-marines et la vie. À cette époque, il suffisait de plonger en apnée à moins d’un mètre pour cueillir un coquillage qui pullulait dans l’indifférence générale : la palourde, la vongola des spaghetti et de tant d’autres belles recettes. C’était de l’or. Dans les années 1980, quatre pêcheurs  de  Carteau faisaient une autre expérience : l’élevage de moules sur des radeaux. Voyant que ça avait marché, les pêcheurs mytiliculteurs ont demandé au port l’octroi d’une concession et cinquante entreprises se sont installées, créant cent tables de 750 mètres carrés et portant chacune mille cinq cents  cordes. Aujourd’hui, ils ne sont plus cinquante mais le nombre de tables (24 000 € chacune à la vente) n’a pas changé, pas plus que la production qui est bon an mal an de 3 000 tonnes (60% pour l’Espagne, le reste pour le marché local).

Carteau est un paradis pour l’élevage des moules : brassage de l’eau salée de la mer et des eaux douces du Rhône, faible profondeur qui laisse entrer la lumière du soleil et favorise la photosynthèse des prairies sous-marines, tout y est. À condition que la teneur en sel suive le cours normal des variations saisonnières et reste dans des limites compatibles avec la  tolérance  des  êtres vivants. Or, la coupure des arrivées d’eau du Rhône provoque la mort des moules par sous-alimentation. Contre cela, les conchyliculteurs de Carteau ont investi 300 000 € pour curer les roubines (canaux de circulation) et faciliter leur entretien régulier. Et la qualité de l’eau ? Le Rhône n’a pas bonne réputation. En zone portuaire, les moules ne peuvent pas être classés “A”, mais “B”, obligeant à une phase d’épuration. Mais ce qui était une contrainte est devenu un avantage : l’épuration nettoie parfaitement les coquillages de tout résidu sableux ou vaseux (sept kilos à la tonne !) C’est un plus gastronomique indéniable. Même les classe “A” pratiquent l’épuration car rien n’est plus désagréable que du sable sous la dent.

Restaurant Le Passe Port Allée quai Bonnardel Tél. 04 42 86 24 42

LA ROYALE OU LA MARINE La Carteau se vend bien. Elle n’a ni marque déposée ni appellation d’origine, ni label. Elle s’est appelée Belle de Carteau, Camarguaise, Martiguaise, Rivages de Camargue. Un maire divers droite l’a appelée Royale, mais son successeur, communiste, l’a démocratisée en Marine. L’histoire – qui ressemble parfois à celle de Clochemerle – la fera peutêtre encore changer de prénom... Ce que les conchyliculteurs ne veulent pas changer, c’est leur statut de pêcheurs. « On se bat pour garder le statut de pêcheurs. Ce serait inconcevable qu’on perde le droit de pêche. Et on le perdrait si on cessait de capturer les naissains », dit Albert Castejon, l’un des pionniers de Carteau. De toute manière, acheter les naissains serait une hérésie économique. « Quand on vide une table, on y laisse environ 30% de moules trop petites pour être commercialisées. Pour réapprovisionner les 70% vides, il faut aller pêcher des naissains. Si on les achetait, vu les faibles marges qu’on fait, la moule ne serait pas rentable », précise Paul Scotti, jeune président de la coopérative des pêcheurs mytiliculteurs de Carteau.

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SAUSSET-LES-PINS Sausset-les-Pins, devenu station balnéaire grâce au train de Miramas, est un port agréable, vivant toute l’année, abrité et accessible par mauvais temps.

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ausset-les-Pins est l’endroit où vous pourrez trouver de la place si Carro ne peut pas vous accueillir. C’est un charmant endroit que l’on repère de loin grâce à son “château”, une villa dans une pinède sur la hauteur construite par un des grands maîtres du savon de Marseille, Jean-Baptiste Charles-Roux. Ayant un bureau à Marseille, il souhaitait voir sa maison de son lieu de travail. Mais c’est son fils, Jules, qui fera de cette villa bling-bling un lieu culturel public, offrira des terrains à la commune. Jusqu’en 1924, Sausset-les-Pins n’était qu’un quartier de Carry-le-Rouet. C’est la mise en service du “petit train de la Côte Bleue”, autrement dit le train de Miramas, qui a lancé ce hameau comme une station balnéaire à succès.

Sausset-les-Pins became a seaside resort due to the Miramas train, and is a nice harbour, lively all year round, sheltered and accessible in bad weather.

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ausset-les-Pins is the spot where you could find a berth if Carro cannot accommodate you. It’s a charming place, identifiable from afar because of its “castle”, a villa in a high pine forest built by Jean-Baptiste Charles-Roux, one of the great household soap manufacturers. He wanted to be able to see his home from his office in Marseilles. Yet it was his son, Jules, who turned this bling villa into a public cultural space by granting land to the locality. Up until 1924, Sausset-les-Pins was merely a neighbourhood of Carry-le-Rouet. When the “little Côte Bleue train” also known as the Miramas train was put into service, the hamlet was reborn as a booming seaside resort.

SAUSSET-LES-PINS 43°19,7’ N – 005°06,7’ E Tél. : + 33 (0) 4 95 09 57 90

Le parc marin, une “usine de vie”

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a pointe de Carro, paradis des véliplanchistes et autres sauteurs de vagues, est constituée des premiers récifs depuis le mont Saint-Clair de Sète. C’est une rupture avec le grand plateau continental et, à partir de là, les fonds plongent, l’écologie change. Carro est aussi un joli petit port de pêche avec un marché aux poissons des plus sympathiques. Juste un peu plus loin vers l’Est, Sausset-les-Pins est l’un des deux grands ports de plaisance de la Côte Bleue. L’attrait de cette côte sur la population marseillaise est ancien. Alors que les calanques sont d’un accès difficile, une voie rapide et quinze rotations ferroviaires par jour y déversent les foules. Pour protéger ce petit paradis, en 1993 a été créé le Parc Marin de la Côte Bleue qui, entre autres, gère deux zones strictement défendues, à Carry-le-Rouet et au cap Couronne. L’idée est de préserver cette «usine» de produits de la mer que le pêcheur professionnel peut vendre et le touriste manger. Cette fabrique est un ensemble d’outils qui travaillent en harmonie. Il y a d’abord les herbiers de posidonies. Ce n’est pas une algue, c’est une herbe qui fleurit jaune chaque année. Les posidonies poussent jusqu’à 30 mètres de profondeur et occupent environ 55 % du substrat rocheux et 85 % du substrat sableux : un millier d’hectares, la plus grande étendue des Bouches-du-Rhône qui abrite 25 % des espèces connues.

Dans les fonds sableux, en été, les jeunes rougets, soles, trigles, grondins, pageots et daurades se nourrissent de petits vers, crustacés et mollusques en fouillant le sable. En hiver, les sardines s’y regroupent avant de gagner la

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Destination

FONDS SABLEUX, FONDS ROCHEUX


SAUSSET-LES-PINS pleine mer. Au printemps, des bancs de lançons frayent en bordure des herbiers. Les petits fonds rocheux, permettent à de nombreuses algues de se développer sur la partie éclairée alors que les animaux fixes prédominent sur la zone ombragée. Ces zones rocheuses servent aussi d’habitat et de refuge pour la faune invertébrée et vertébrée. Elles sont le lieu de prédilection des juvéniles des espèces de poissons, en zone superficielle. Ceux ci y trouvent une nourriture abondante, un milieu peu profond, bien oxygéné et une multitude de cachettes pour échapper aux prédateurs. De nombreux poissons sont présents : 200 espèces appartenant à 77 familles y ont été référencées dont la roussette, la baudroie, la sole et le mérou (espèce protégée), mais aussi loup, muge, saupe, corb (espèce patrimoniale), daurade royale, sar commun, sars tambour, vérade, sparaillon, charax, girelles, serrans, rougets, merle, lasagne, crénilabres et rascasses. La plupart de ces espèces ont un intérêt commercial pour la pêche. Car même si les professionnels n’ont pas non plus le droit de pêcher dans les zones de protection, les poissons, eux, ne connaissent pas de frontières.

L’oursin : un délice et un drôle d’animal L’un des délices gastronomiques de la Côte Bleue est l’oursin. Trop pêché, il a été lui aussi mis sous protection. Mais ceux qu’on peut manger n’en ont pas moins de valeur ! Mais sachez que la châtaigne ou hérisson de mer n’est pas toujours comestible. On en répertorie une dizaine d’espèces dont la taille peut rivaliser pour la plus grosse avec celle d’un melon et pour la plus petite avec le grain de riz. Comestible, l’oursin est de couleur brun sombre ou violette, exit le noir donc mais pour identifier celui dont on savoure le corail on peut se livrer également à un petit test de retournement, seul le comestible, posé à l’envers sur une surface plane recouverte d’eau se retourne en déployant petit à petit ses tentacules... Le petit échinoderme est hérissé d’une centaine de piquants et de podias qui lui permettent de se dépla-

cer. Il a été récemment découvert que chacun des ces “pieds“ contient 140 cellules photoélectriques (200 000 par individu) qui assurent la fonction d’œil. Bon pied, bon œil, l’oursin ! En fait, ce qu’on mange, c’est l’appareil reproducteur de la femelle, cinq gonades orangées. Ce corail est apprécié des hommes depuis l’Antiquité mais rien ne distingue extérieurement individus mâles, femelles ou hermaphrodites dont la cueillette est par ailleurs interdite de mai à septembre. La dégustation est ordinairement crue, directement à partir de la coquille ouverte. Les Athéniens cuisaient l’oursin dans le miel additionné de menthe. En Provence, le corail ajouté sous forme de purée, raffinement suprême, à une préparation de poissons rois (baudroie, loup, sole et daurade) et de pain comme pour la bourride, permet l’élaboration d’une inoubliable oursinade.

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Restaurant de l’Hôtel de la Plage 19 Avenue Siméon Gouin Tél. 04 42 45 54 00

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CARRY-LE-ROUET

Carry-le-Rouet est un port de taille moyenne, bien vivant, et très abrité. C’est aussi une ville d’architecture balnéaire fin XIXe et début XXe siècles.

CARRY-LE-ROUET 43°19,6’ N – 005°09,1’ E Tél. : + 33 (0) 4 42 45 43 04

arry-le-Rouet se repère facilement de loin grâce à - ou à cause de - cet immeuble qui a poussé au fond du port. Si l’image de la ville en souffre, il faut savoir que Carry dispose d’une très belle réserve naturelle boisée. Mais Carry, c’est aussi une ville d’architecture balnéaire intéressante : on y trouve un bon nombre de villas et bâtiments du style ”bains de mer“ du XIXe siècle. Parmi les curiosités plus récentes mais très “people”, l’Ouastaou del Mar, la maison que l’acteur marseillais Fernandel, alias Fernand Joseph Désiré Contandin, fit construire en 1930. Parmi les autres constructions remarquables, la “Villa Arena” un bâtiment Belle Époque à l’emplacement du château que les seigneurs de Jarente firent construire au XVIe siècle.

Carry-le-Rouet is a medium-sized harbour, very lively and very well sheltered. The town’s seaside architecture reflects that of the end of the 19th and early 20th centuries.

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arry-le-Rouet is easily spotted from afar thanks to, or because of, a building that has sprung up at the back of the harbour. Even if this harms Carry’s image, it has to be said that the town does have a very beautiful forested nature reserve. And Carry does also have some interesting seaside architecture: there are many villas and buildings in the 19th century “sea-bathing” style. Among the most recent and very “celebrity” attractions is Ouastaou del Mar, the house built in 1930 by Fernand Joseph Désiré Contandin, better known as Marseilles actor Fernandel. One of the other noteworthy buildings is the “Villa Arena”, a Belle Époque building on the site of the castle built by the lords of Jarente in the 16th century.

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Estoquefiche, Terre-Neuve sur la Côte Bleue

n longeant la Côte Bleue à la recherche de Carry-leRouet, le navigateur a l’œil attiré par une tour d’une quinzaine d’étages qui domine le port au nord. Foncez tout droit, Carry, c’est là. En entrant dans le port, sur bâbord, vous allez doubler l’Oustaou de la Mar, une des intéressantes villas de Carry : la maison Fernand Joseph Désiré Contandin, dit Fernandel, qui avait choisi Carry-le-Rouet comme lieu de villégiature dans les années 1930 et allait pêcher à bord de son bateau Caméra. Dans sa jeunesse, Fernandel était si maigre que ses amis l’avaient surnommé “estoquefiche”, autrement dit stockfish, morue en conserve dont les filets sont tenus serrés. Voici une belle transition pour évoquer la morue, pêchée à Terre-Neuve mais dont l’histoire méditerranéenne est… médiévale. BRANDADE ICI, OU STOCKFISH LÀ

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Destination

Brandade de Nîmes et stockfish de Nice, deux spécialités culinaires méditerranéennes très prisées à base de morue, pour la première salée et pour la seconde séchée. Toutes deux à l’origine de plats traditionnels des pauvres aujourd’hui inscrites à la carte des plus grands restaurants, elles témoignent des échanges commerciaux depuis le Moyen-âge. La moluel du XIe – ou morue dès 1260 – est pêchée de longue date et en grande quantité sur les bancs de Terre-Neuve et du Labrador. Le cabillaud, – son nom en frais du néerlandais kaberljar – sera longtemps l’aliment de base des Vikings puis des Bretons et des Basques qui connaissent les lieux de pêche avant 1400.


CARRY-LE-ROUET

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Restaurant les Terrasses 2 Place Jean Jaurès Tél. 04 42 45 00 46

Remarquable substitut de la viande, la morue salée ou séchée voyage très bien. Les Portugais, encore très amateurs, assureront son expansion pour répondre à une double demande. Elle sera la source de protéines privilégiée des catholiques pendant le carême et les jours sans viande soit 160 jours par an à l’époque. Et celle des voyages au long cours de la Traite des Noirs, d’exploration et de la Route des Epices dans lesquels ils se lancent dès 1441.

Les oursinades de Carry-le-Rouet Pour ceux qui peuvent, février est le mois des oursinades, dégustation d’oursins et autres fruits de mer, sur le port. Douze ans après l’installation de Don Camillo à Carry, il arriva une drôle d’aventure au Peppone de l’époque, le maire Jean-Baptiste Grimaldi : il se vit offrir son poids en oursins par les pêcheurs qui avaient fabriqué une sorte de balance. L’histoire se répandit alentours et, presque dix ans plus tard, un autre maire décida de faire de ce jour la journée de l’oursin qui devînt ensuite le mois de l’oursin. Les trois premiers dimanches de février c’est l’occasion de grandes dégustations et de joyeuses fêtes.

MORUE SALÉE OU SÉCHÉE ? La “branlade” ou brandade de Nîmes, connue depuis la fin du XVIe, est une purée onctueuse de morue dessalée, remuée énergiquement dans de l’huile d’olive. Les marins bretons échangeaient des morues contre le sel des grandes salines proches d’Aigues-Mortes, à l’époque un port sur une route maritime fréquentée : celle des épices d’ExtrêmeOrient. Quant au stockfish niçois ou “poisson-bâton”, c’est de la morue séchée très dure – il faut la tronçonner à la scie ! – boucanée sur des bâtons au soleil et sous la neige norvégienne. Dès le XVIe siècle, sa consommation se serait diffusée en Europe par deux voies : les soldats du Rouergue de Louis XIV de retour des guerres de Hollande en ont fait une spécialité du Lot et de l’Aveyron appréciée des mineurs pauvres de Decazeville. Du côté de Nice, les navires en provenance des Flandres vers les métropoles d’Italie mouillaient à l’abri de la citadelle et dans la rade de Villefranche. Les pèlerins de Saint Jean de Compostelle auraient également contribué à faire de “l’estofinado”, une spécialité niçoise qui inclut du boyau séché de cabillaud.

semaine de trempage à l’eau courante d’un ruisseau ou une grande bassine, une odeur insupportable, plusieurs étapes de cuisson de plusieurs heures et une petite attente avant dégustation car c’est meilleur réchauffé ! Brandade, stockfish, accras et autre rougaille, autant de délicieux et anciens jalons le long des grands voyages de la morue dans lesquels Fernand Braudel voit un des fondements de l’histoire de la civilisation occidentale et du développement du capitalisme ! Alors caboteurs de passage, laissez vous tenter !

UN STOCKFISH FOLKLORIQUE A Marseille l’estoquefiche ou estocafic est source de blagues : Pagnol fait dire à Marius dans L’Histoire de Zoe au petit Déjeuner que son fils deviendra un stockfish s’il continue à lire. Quand à Nice, les estoficada annuelles sont devenues une affaire d’initiés chics et festifs… Il faut dire qu’il n’est pas facile de trouver du stockfish et le boyau séché de cabillaud puis de le préparer. Comptez une

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La Redonne est de ces ports minuscule où l’on regrette d’avoir un si grand bateau… En cas d’escale à Marseille, prendre le petit train de Miramas pour y aller !

e petit port de La Redonne se repère du large grâce au viaduc qui le surplombe. De là, on a une vision panoramique de la rade. Y entrer demande d’être à la barre d’une unité de taille très modeste. Cette calanque très boisée a vu au fil du temps ses cabanons cachés sous les pins se transformer en villas. C’est, on peut le dire, un petit paradis. Un sentier des douaniers permet de longer la côte sur environ 5 km et de découvrir une infinité de criques. Au retour vers le petit port (très peu de places de passage), on peut admirer ce village abrité du Mistral comme des vents d’Est, dans un repli rocheux surmonté par la chaîne de l’Estaque. De petits restaurants pourront vous retenir un peu sur le quai devant lequel dansent les pointus des pêcheurs.

LA REDONNE – LE ROVE LA REDONNE 43°19’55”N - 5°11’52”E

La Redonne is the type of tiny harbour that makes you wish your boat wasn’t so big. If you call in at Marseilles, take the little Miramas train to get here.

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he small La Redonne harbour is easy to find from the open sea because the viaduct towering above it, from where you get an amazing panoramic view over the natural harbour. To get in, you need to be at the helm of a small-sized vessel. Over time, this densely forested calanque (creek) has seen its tiny sheds hidden under the pine trees transformed into villas. You could call it a tiny bit of heaven. There is a delightful 5km walk along the customs officer’s path where you will discover an infinite number of creeks... Back to the small port (where there are few visitor moorings), you can admire the village which is sheltered both from the Mistral and easterly winds, nestling in a rocky fold surmounted by the Estaque mountain chain. Small restaurants might keep you a little longer on the quay looking out on the fishermen’s pointus (Provencal fishing boats) dancing on the water.

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’histoire locale précise que les premières chèvres du Rove seraient arrivées là.... à la nage, suite au naufrage d’une galère phénicienne qui les transportait depuis l’Anatolie. Une variante, moins sportive mais tout aussi maritime, veut qu’elles aient été l’objet coutumier du troc mis en place par les marins phéniciens et les bergers des blanches collines de la Côte Bleue. Blanches car la roche n’est plus ombrée que par de rares pins d’Alep et chênes verts, hélas en grande partie disparus : plus de 1700 hectares de forêt ont brûlé entre 1997 et 2003.

Que faisaient des chèvres dans cette galère ?

DÉFRICHEUSE ET FACÉTIEUSE

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Ces “filles” des garrigues, insatiables défricheuses, assurent la protection de ce qui reste contre le feu, ce loup qui peut dévorer encore les maigres sols plantés d’épineux qu’elles savourent entre de douces et odorantes bouchées de thym, de romarin et de lavande. La petite Chèvre du Rove est une marcheuse. Mais ont disparu aussi les migrations d’antan vers l’estive des troupeaux de brebis de la région. Elle ouvrait les chemins de transhumance vers l’herbe fraîche des sommets alpins. On a vu des bergers devenus quasi fous à cause des libertés que prenait cette audacieuse qui ne connaît pas les limites de territoire, cette “entraîneuse” de troupeaux, source de querelles plus dommageables que son adoration pour les rosiers du voisinage… Mais ils lui pardonnaient ses larcins car son lait faisait leur ordinaire, comme il assurait l’extraordinaire quand l’agneau perdait sa mère nourricière dans les alpages. La chèvre du Rove, race caprine de “petit effectif” (3 000 têtes), reconnue comme originaire des Bouches-duRhône, porte de nombreuses robes : Cardaline (rouge,


SAUSSET-LES-PINS

méchée de blanc), sardine (avec du gris en plus), boucabelles (yeux, oreilles, museau, pattes avec des marques de feu), “blaù” (gris cendre), “tchaîsses” (noire devant, rouge derrière). Elle se remarque par de fabuleuses cornes torsadées de section triangulaire. Celles du bouc peuvent atteindre des sommets avec une envergure d’un mètre vingt mais c’est bien la “miss du Rove” avec ses 50 kilos qui a sa statue sur la place, devant la mairie du village. Les chèvres du Rove ne sont pas de grandes laitières mais leur lait donne un fromage frais aux parfums incomparablement subtils, moulé dans de petits cônes individuels et attendu avec impatience, dès le mois de février par tous les initiés : la Brousse. Cette spécialité du Rove est au provençal ce que le broccio est à l’Italien et le Cottage cheese au Britannique.

Un “formage” comme dessert Au Moyen-âge le fromage était un formage, du nom de la boite en bois (phormos grec, forma latin) qui servait à mouler le caillé qu’on appelait la jonchée (toujours usité sur le marché de La Rochelle), fromage blanc égoutté ou turos dont se délectait Homère et qui, affiné donnait un Chavignol... grec. Le fromage fut énormément consommé jusqu’au XVIIIe siècle où l’aristocratie devenue fine bouche s’en détourna au profit des desserts sucrés, folie du siècle. Seuls les fromages blancs que l’on sucre et parfume à l’excès d’eau de parfums conservèrent sa place à table. C’est à cette même époque que la bonne société de Marseille s’enticha de la Brousse fraîche du Rove, savourée le soir, aspergée d’une lénifiante eau de fleur d’oranger....

UN VRAI PÉCHÉ DE GOURMANDISE

Les “broussiers” aux cris pleins de promesses « Lei brousso dou Rouvé ! » sillonnaient la ville-port avec leurs petits cônes de brousse du jour et les Marseillais ont conservé l’expression, « l’heure des Brousses » pour signifier une heure tardive. C’est dire si leur attente quotidienne était longue...

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André Gourian. Producteur du Rove 17, rue Adrien Isnardon Tél. 04 91 09 92 33

Immédiatement après la traite, le lait entier, mais de peu de teneur en matière grasse, est progressivement chauffé jusqu’à 85-90°C. puis refroidi jusqu’à 70°C, moment venu pour ajouter un acidifiant qui le fait floculer, à savoir qu’il se concentre en flocons de plus en plus gros qui remontent à la surface. Ce fromage frais est alors récolté à même le chaudron avec une écumoire et séparé dans des moules coniques, allongés (12 cm) à fond plat. Le lait est ensuite filtré et les flocons restants servent à coiffer les brousses qui ont déjà commencé à s’égoutter et à se tasser dans les moules. Dégustée fraîche dans sa juste subtilité, fondante et friable c’est un péché de gourmandise. L’imagination des gourmets la propose également accompagnée de sel, de miel, de coulis de fruits rouge, d’aromates...

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L’ESTAQUE L’Estaque est devenue célèbre grâce à Marius et Jeanette. Il n’y a pas vraiment de port d’accueil, mais des chantiers. Allez-y quand même.

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n arrivant par l’ouest, l’Estaque est reconnaissable à l’église qui domine le port. Une fois au port, sous l’église, votre regard tombera forcément sur les troquets qui le surplombent… quelle émotion, certains sont là depuis très, très, très longtemps et ont vu passer des générations de marins, pêcheurs, touristes et autres buveurs de tout poil. Ici, vous êtes encore sur la Côte Bleue et déjà à Marseille. Mais avant tout à l’Estaque, un “village” maritime au caractère bien… trempé. En provençal l’estaco, veut dire l’attache, celle qui permet d’amarrer les bateaux à un pieu. Attache également sentimentale… Robert Guédiguian a fait de ce quartier populaire et bien vivant, un excellent portrait dans son film Marius et Jeannette.

It was “Marius and Jeanette” that made L’Estaque famous. There isn’t really a visitor harbour, just shipyards; but go there all the same.

L’ESTAQUE 43°21,5’ N – 005°18,8’ E S.N. de l’Estaque Mourepiane : Tél. : +33 (0) 4 91 46 01 40 Cercle de l’Aviron de Marseille : + Tél. : +33( 0) 4 91 46 00 66 Port Servaux : Tél. : + 33 (0) 4 91 46 60 99 Les Pescadou de l’Estaque : Tél. : + 33 (0) 4 91 09 23 90 Lou Sard : + 33 (0) 4 91 46 23 39 Tél. : + 33 (0) 4 91 09 31 11

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hen arriving from the west, L’Estaque can be recognised by the church which towers over the harbour. Once you’re in port, in the shadow of the church, you can’t help noticing the pubs overlooking the port... and what a feeling it is! Some of them have been there for a very, very long time and have watched generations of sailors, fishermen, tourists and all sorts of other drinkers pass through. You are still on the Côte Bleue here, and in Marseilles already. L’Estaque is, first and foremost, a seaside “village” with a character that can only be described as really... salty. In Provençal, “l’estaco” means the rope, or what you would use to tie up a boat to a post. It’s also an emotional tie... Robert Guédiguian painted an excellent portrait of this popular, extremely lively district in his film “Marius and Jeannette”.

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Escale sans façons mais pas sans chichis

n sept lettres, on y fait bien des chichis… Énigme de cruciverbistes facile à deviner ici. Lorsque vous arrivez, on vous l’annonce : « ici, on mange des chichis (beignets frits) et des panisses (beignets de farine de pois chiches) ! » En vente un peu partout, y compris sur le marché. Derrière les bistrots et les restaurants, l’Estaque est un lacis de ruelles étroites, de petites maisons, le tout ordonné et coloré, du moins dans sa partie centrale. Lieu de vie, lieu de charme, le village a été choisi par Paul Cézanne, Pierre-Auguste Renoir, Georges Braque, André Derain, Raoul Dufy... entre 1860 et 1920, comme Camille de SaintSaëns et Émile Zola, lequel participera à la fondation du journal La Marseillaise. PAS D’ESTAQUE SANS CHICHIS

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Le beignet frit ou chichi fregi, a juste un peu plus d’un siècle. Rendons à César ce qui n’est pas à panisse… Le Chichi – le Cece des Mocos – a été inventé été vendu pour la première fois à Toulon dès 1907. Il a envahi les rues et les plages de l’Estaque à partir de 1930. À Toulon, il est très populaire, à l’Estaque, c’est une véritable institution. Pourquoi “chichi” ? Rien à voir avec la définition du dictionnaire : « façons maniérées ; simagrées » (Larousse). Bien au contraire, le chichi de l’Estaque raconte des histoires à la Guédiguian. À base de farine de blé et de pois chiche, parfumé à la fleur d’oranger, frit dans l’huile et roulé dans le sucre glace, on le déguste dans un cornet de papier, pas dans la porcelaine fine. Chichi, d’après Frédéric Mistral, dans son Trésor du Félibrige (1878), est un mot enfantin pour désigner les oiseaux, les insectes et le chichi fregi, un oiselet frit, ou une personne qui vit dans la gêne, un petit rentier.


L’ESTAQUE LE POPCORN DE L’ANTIQUITÉ Le chichi qu’on dira de-Toulon-adopté-par-l’Estaque pour ne froisser personne, a un ancêtre carolingien ! Charlemagne adorait les pois chiches, arrivés d’Asie occidentale. Et un autre, plus ancien encore ! Le cece, traduction du latin cicer, était vendu, grillé, par les marchands ambulants romains lors des représentations théâtrales. C’était, en quelque sorte, le popcorn de l’antiquité. La tradition provençale a remplacé par un beignet ce chichi fregi historique qui devait être plus proche des panisses, à base de farine de pois chiche.

photo : Eleassar

photo : L. González

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Kiosque de Magali Chichi fregi Promenade de la plage

En soupe ou en pilau, la favouille est un crustacé d’eau salée. À Marseille, outre de désigner un petit crabe, favouille est aussi le nom que l’on attribue au sexe des petits garçons, à une sottise ou encore à une femme aux mœurs légères, y entendre qu’elle ne marcherait... pas droit. Ou que beaucoup en pincent pour elle… Ce décapode (dix pieds) se déplace à l’aide de ses cinq paires de pattes. Sa locomotion spécifique donne du fil à retordre à toute tentative d’explication simple. Vous en retiendrez comme nous une histoire d’atrophie musculaire et d’articulations singulières. Le crabe est en famille avec les crevettes mais aussi les écrevisses et les homards même si ces derniers présentent un corps allongé. Les grecs étaient friands de ce Karabos (la fée du même nom lui ressemblait-elle ?) à carapace dure, frit à l’huile d’olive. Par extension, Perrault en attribua le nom à son Marquis de Carabas qui se déplaçait dans un lourd carrosse, une évolution de la chaise à porteur si lourd que les porteurs, sous l’effort, marchaient en crabe.

Dans la tradition chrétienne le beignet était dégusté le Mardi gras, jour de liesse et dernier jour des sept jours gras – ou jours charnels – qui précédaient l’entrée dans le carême. Le lendemain, mercredi des cendres, commençait une période de jeûne de quarante jours. Mardi gras jour de “carnaval” (du carne levare médiéval qui signifie, enlever la chair), on se déguisait et on demandait aux voisins des œufs, de la farine et du sucre pour confectionner des beignets, derniers excès avant une longue abstinence, rappelant les quarante jours passés au désert par Jésus-Christ.

LA FAVOUILLE EST DÉCAPODE Bleu, chinois ou des neiges, nordique, de Dungeness, royal, dormeur, épineux, rouge, étrille, tourteau ou tourloutou, le crustacé compte de multiples espèces mais l’on doit à Pierre André Latreille, en 1802, la création de l’ordre des Décapodes, de la classe Malacostraca auquel appartient notre favouille. Le pilau de Favouille associe le riz (riz autrement dit “pilaf“) à une préparation qui ne dédouane pas le cuisinier de la pratique cruelle consistant à ébouillanter les favouilles, dont on dépouillera les pattes de leur chaire fine. Le pilau associe le riz à l’oignon ou à un poireau haché, la tomate, de petites langoustes et cigales de mer (écrevisses). Parfumé avec le céleri, le thym, le laurier, l’ail, le safran, et le persil. Le riz cuit à part est agrémenté de moules et de clovisses et du bouillon de cuisson. L’Estaque a bien d’autres charmes. Inspiration pour les peintres, c’est devenu un décor de cinéma, extrêmement cinégénique, autant pour les quartiers que les friches industrielles, les quais du port, que pour les gens qui y vivent et essaient d’y avoir du travail toute l’année.

LE PILAU DE FAVOUILLE Pour l’autre spécialité, pas de doute. C’est bien dans la rade de Marseille qu’elle a été inventée : c’est le le pilau de Favouilles. Quel nom magnifique ! Il met l’eau à la bouche.

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Société Nautique de Marseille

Votre escale a` Marseille Située au cœur du Vieux-Port de Marseille, Capitale européenne de la culture, la Société Nautique dispose d’un accueil passagers hors norme tout au long de l’année, à quelques minutes des plus beaux mouillages de la côte méditerranéenne. Mairie

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Osez Marseille ! N’écoutez pas ceux qui vous disent qu’il n’y a jamais de place. Le VieuxPort est un mythe, un lieu idéal pour faire escale et avitailler.

arseille est un port immense. Commerce, croisières, ferries… il est bien rare d’y entrer sans croiser la route d’un «gros» prioritaire. Cela fait partie du folklore de ce port mythique que tant d’écrivains et de marins ont chanté. Et le Vieux Port ! Un gigantesque port de plaisance que les mauvaises langues disent anarchique et bondé. Il n’en est rien. Aujourd’hui, on y trouve de la place, notamment en passant par les deux plus grandes sociétés nautiques, la Nautique, l’une des plus anciennes de France, et le CNTL. Ce port est un enchantement : paradoxalement silencieuses, les places au port offrent sur le bassin une vue unique sur les illuminations de la ville le soir. Et de jour, la proximité de la ville incite à prolonger l’escale.

Dare to try Marseilles! Don’t listen to people who say that there is never a berth. The Old Port is legendary, the ideal spot to make a stop and get provisions.

MARSEILLE – CORBIERES 43°21,6’ N – 005°18,1’ E Tél. : + 33 (0) 4 91 03 85 83 MARSEILLE – VIEUX PORT 43°17,7’ N – 005°21,8’ E Tél. : + 33 (0) 4 91 99 75 60 MARSEILLE - LA NAUTIQUE Tél. : + 33 (0) 4 91 54 32 03 www.lanautique.com MARSEILLE CNTL Tél. : + 33 (0) 4 91 59 82 00 Fax : + 33 (0) 4 91 59 82 09 www.cntl-marseille.com

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arseilles is a huge port. Trade, cruise liners, ferries – you’ll rarely come here without crossing paths with a large “priority” vessel. All part of the folklore of this legendary port whose praises so many writers and sailors have sung. And then, there’s the Old Port! A massive marina that the detractors accuse of being lawless and bunged. It is neither. Today, there are moorings, especially if you go through one of the two biggest sailing clubs – la Nautique, which is one of the oldest in France, and the CNTL. This harbour is charming – oddly quiet, the berths in the harbour have a unique view of the city’s illuminations across the basin at night. And by day, the closeness of the city will make you want to stay longer.

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La marmite où mijotent toutes les nostalgies

arseille, « c’est le marché offert par la France aux vendeurs du vaste monde. Les chameaux portant leur faix vers les mahonnes d’au-delà de nos mers, sans le savoir, marchent vers lui. Port de Marseille, cour d’honneur d’un imaginaire palais du commerce universel » écrivait au début du XXe siècle le journaliste et écrivain Albert Londres dans Marseille, Porte du Sud. Tout est dit. Depuis que les Celto-ligures de Marseilleveyre ont vu arriver le Phocéen Prôtis, ce port du “commerce universel” a accueilli tous les produits, toutes les recettes, toutes les gourmandises du monde. La cuisine “authentiquement“ marseillaise est cette bouillabaisse de cuisines diverses venues se mélanger, pour le plus grand bonheur des papilles, dans cette grande marmite cosmopolite qu’on appelle encore phocéenne. GASTRONOMIES DE L’EXIL

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Destination

«Marseille appartient à l’Exil» dit encore Jean-Claude Izzo, auteur de polars Marseillais, parlant de ceux qui y ont déposé leur baluchon plein de pauvres richesses d’ailleurs. Et, avant que ces arrivants ne soient confinés dans des ghettos périphériques, ils se mélangeaient aux exilés d’avant, mêlant aussi leurs gastronomies nostalgiques. Ainsi, la gastronomie gréco-romaine a intégré la tapenade et anchoïade qui dérivent du Garum, les Maures ont donné aux cuisinières provençales la poutargue, la fougasse, le pois chiche, les Corses ont apporté la châtaigne, le Broccu et le Figatellu, les Espagnols les cardons braisés, les Juifs espagnols sont venus avec leur cuisine à base de graines de sésame et d’oignons à la cannelle et aux raisins, les chefs italiens de la maison Médicis ont fait connaitre la rouille et les pâtes alimentaires, les Arméniens ont dispersé leurs aubergines un peu partout (source coachingourmand.com).


MARSEILLE Diéu nous fague la gràci de vèire l’an que vèn, E se noun sian pas mai, que noun fuguen pas mens ! (À la bûche - Transmet la flamme ! - Allégresse ! Allégresse, - Mes beaux enfants, que Dieu nous comble d’Allégresse ! - Avec Noël, tout bien vient Dieu nous fasse la grâce de voir l’année prochaine. - Et, sinon plus nombreux, puissions-nous n’y pas être moins). Si la bûche durait jusqu’au jour des Rois, elle était alors considérée comme miraculeuse et ses charbons étaient placés dans les étables pour en éloigner les maladies du bétail.

Nous ne ferons ici qu’effleurer cette richesse car on la retrouve disséminée dans toute la Provence où nous les suivrons dans d’autres ports de notre croisière épicurienne. Et, ici, avant de faire bombance, nous nous arrêterons sur quelques rituels culinaires qui trouvent leurs racines loin dans l’histoire. Tout commence à la noël, comme on dit au Sud, et bien avant le jour anniversaire de la naissance du Christ car presque toutes ces traditions sont d’origine païenne, habilement récupérées par l’église chrétienne qui, pour imposer son culte, a du composer avec les traditions antérieures.

GROS SOUPÉ ET 13 DESSERTS

LA BÛCHE DU SOLSTICE D’HIVER

Quant au gros soupé, maigre mais plus que copieux : voici un choix non exhaustif de plats dont il convient d’en mettre sept au menu : escargots, gratins de chou fleur et d’épinard ou de carde. Pour les poissons le loup, le muge aux olives l’anguille ou la morue en réito (frit et additionné de vin et de câpres) ou en brandade. Ajoutez encore des omelettes aux truffes ou à l’artichaut. Passons aux desserts, les calenos provençaux. Leur nombre n’est pas cité avant 1920, mais les nombreux inventaires s’accordent pour y retrouver figues et raisins, pruneaux de Brignolles, oranges et pommes, poires et cédrats confits, biscuits, nougats et fruits secs, châtaignes et pompes à huile. Selon la richesse des familles on trouvait aussi confitures et autres confiseries mais aussi les dattes et la pistache, la fougasse et les fromages. Finissons avec d’irrésistibles variantes : calissons, pâte de coing, pâte d’amande, bugnes, merveilles, oreillettes, beignets à la fleur d’oranger... Pour que le bonheur accompagne l’année il faut manger, un peu, de 13 desserts différents. Le maintien de cette tradition des fêtes dites calendales, propres à toutes les cultures de la Méditerranée, tient ici de la volonté des Félibres, disciples de Mistral (1830-1940) tout comme le gros soupé, en voie de disparition. En 1925, à Aubagne, la plume du Docteur Joseph Fallen précise la quantité et la nature de ces desserts devenus 13 : les pachichois ou les quatre mendiants (que l’on

À Marseille, le repas maigre, ou gros soupé, partagé en famille avant la messe de minuit le soir du 24 décembre est un rituel très ancien, lié au solstice d’hiver. Il s’ouvrait par une cérémonie qu’on ne savait pas encore païenne du cacho fio ou mettre au feu d’une bûche, provenant d’un arbre fruitier emblématique de la région, olivier ou poirier... posée sur les braises ardentes du foyer. Le rituel invitait le plus jeune et le plus vieux des convives à faire trois fois le tour de la table recouverte de trois nappes et éclairées de trois chandeliers où étaient disposées avec trois soucoupes de blé, le pain calendal : 12 petits pains lovés autour d’un plus gros piqués de verbouisset, le petit houx local. La religion chrétienne a plus tard interprété à son profit ce dispositif du pain calendal comme une évocation de la Cène, repas réunissant les apôtres et le Christ. En Provence, il a symbolisé les mois de l’année et le soleil, au cœur d’une célébration de la nouvelle année et du retour de la lumière. Le plus jeune se livrait à trois libations avec du vin cuit sur la bûche pour qu’elle s’enflamme (on pouvait aussi recourir à l’huile d’olive) alors que le plus ancien prononçait des paroles rituelles : Cacho fiò, Bouto fiò, Alègre ! Alègre ! Mi bèus enfant, Diéu nous alègre ! Emé Calèndo tout bèn vèn...

J’ai deux amers, la Bonne-Mère et la tour CMA-CGM

En venant de l’ouest, la BonneMère guide le navigateur vers le Vallon des Auffes, en venant du sud, c’est la tour qui oriente vers le nouveau quartier d’affaires Euroméditerranée.

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Les lieux que nous aimons bien

r­etrouve de Marseille jusqu’en Avignon), une référence aux ordres religieux ayant fait vœu de pauvreté : figue sèche pour les Franciscains, noix et noisettes pour les Augustins, amande pour les Carmes et raisins secs pour les Dominicains. Puis vient la pompe à l’huile, une brioche plate parfumée à l’olive et à l’anis. Suivent les pommes et poires, le verdaù (un melon vert conservé dans le grain), le nougat noir et le blanc, sorbets et raisins frais. (Source : Musée du terroir de Marseille – Arts et traditions populaires). Décidément Marseille est une escale où il faut prendre son temps, ne pas s’en tenir aux trop touristiques évidences qui s’affichent sur le vieux port et aller chercher, en flânant, dans les ruelles, sur les places, dans les quartiers moins fréquentés.

La Nautique : le restaurant ambiance “Yacht Club” et bonne table de la Société Nautique d’où l’on admire les bateaux classiques. 20 Quai Rive Neuve Tél. 04 91 33 01 78

De la fée verte au petit jaune Comment parler des spécialités de Marseille sans parler du Pastis ! Cet héritier assagi de l’absinthe qui “rend fou“, alcool «qui cachait ses 72 degrés dans la candeur d’une eau fraiche légèrement sucrée» (Marie-Claude Delahaye, Le Livre du Pastis, «Z» Editions), interdite en 1915, est né ici, en 1951, grâce à la loi qui autorisait les alcools à 45°. Surfant sur la frustration qu’avait fait naître la disparition de la mortelle «fée verte», les marques se sont ruées sur cette occasion d’apporter à nouveau de la fraicheur au goût d’anis. Pernod fut l’un des premiers avec son «51» commémorant l’année de promulgation de la nouvelle loi et qui devint ensuite Pastis 51 affichant la recette «cinq volumes d’eau, un volume de Pernod». Il y eut aussi le Casanis, qui affiche ses origines corses par le bandeau noué sur le front du Maure. Mais la saga la plus fameuse est celle de Ricard, nous la raconterons dans les îles des Embiez dont Paul Ricard, le fondateur, est devenu propriétaire et mécène des sciences et des arts. L’histoire du Pastis, c’est non seulement l’histoire de Marseille mais aussi une partie flamboyante de celle du marketing et de la publicité. Avant la loi Evin de 1991, les marques d’alcool pouvaient s’afficher et parrainer des manifestations sportives. Ce fut l’occasion d’un débordement d’imagination pour accompagner les fêtes sportives populaires, notamment le Tour de France dont le Pastis, en tout cas pour les spectateurs, était un dopant autorisé. Depuis, les marques d’apéritifs anisés accompagnent les fêtes sur les plages, l’été, les soirées d’écoles, les grands concerts… Mais, après le goût du sel, un Pastis bien dilué et bien frais dans le cockpit est une chose bien douce en regardant l’extraordinaire spectacle qu’est le Vieux port de Marseille quand la nuit tombe. Tchin, avec modération.

La Casertane : épicerie italienne très fine et restaurant (midi) excellent et copieux (les pâtes !) , derrière l’Opéra, 71 rue Francis Davso. Tél. 04 91 54 98 51

La Part des Anges : bar à vins, tartines, assiettes froides; à fréquenter surtout le soir, très animé, tables à partager. 33 rue Sainte Tél. 04 91 33 55 70

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Destination

photo : easyrab


MARSEILLE En Provence, les cierges de couleur verte, allumés le jour de la Fête des Chandelles, que l’on rapportait à la maison sans les éteindre, étaient censés protéger les mas du fléau de la foudre ou du feu. Ils séjournaient ensuite dans les armoires d’où ils ressortaient les soirs d’orage mais aussi pour éloigner le diable ou lors des accouchements et pour la guérison des malades. UNE NAVETTE PAR MOIS DE L’ANNÉE Quant aux navettes achetées à la douzaine, une pour chaque mois de l’année, le 2 févier, quarante jours après le solstice d’hiver, elles symbolisaient le passage de l’hiver au printemps. C’est le jour où, en Provence, on range la crèche de Noël et à Marseille, après un office célébré dans les catacombes de l’Abbaye Saint-Victor il est possible de toucher la robe verte de la statue de la vierge échouée. Le vert fut la couleur du cachet de cire, ordinairement rouge, accordée par les Comtes de Provence aux moines de Saint-Victor. Le petit gâteau sec en forme de barque, inventé, par le boulanger Aveyrous en 1781, allie farine, beurre, eau, du sucre et œuf, une préparation simple et pourtant... il y a autant de navettes que de tours de main, de patience à la laisser reposer et de talent pour l’architecture navale. Les recettes varient également, certains y ajoutent sel, zeste de citron et fleur d’oranger. D’autres encore la préfère dans une version salée, aux épices ou aux anchois. La vraie, délicieuse, navette de Marseille sortirait du plus vieux four à voûte (fin XVIIIe, sur un modèle de four romain) de la plus vieille boulangerie de la ville port, sise près de Saint-Victor. Le Four des Navettes a conservé sa recette du biscuit, proposé autrefois aux pèlerins. Ne vous privez pas ces savoureux biscuits de marins...

La Navette de Marseille, barquette de ship Chandeleur

Four des Navettes tradition marseillaise depuis 1781 médaille d’Or de l’exposition Internationale de Paris 2007 Label Entreprise du Patrimoine Vivant 136 Rue Sainte Marseille 04 91 33 32 12

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n entrant en bateau dans le Vieux port, aussitôt passé le ponton du CNTL, regardez à tribord, sur la hauteur, vers l’église Saint-Victor et la rue Neuve Sainte-Catherine, avec ses anciens ateliers où se nichent encore une fabrique de santons et le chantier de bateaux en bois de tradition Scotto di Perotolo. Juste dans ce carré privilégié par la vue qu’il a sur le port, se tient aussi le Four des Navettes, monument de la gastronomie marseillaise qui répand dans les environs un beau parfum de farine chaude et fleur d’oranger. Allez-y à pied depuis votre appontement. La naissance de la navette de Marseille, en forme de petite barque est associée à deux événements légendaires liés à la mer : l’arrivée un 2 février, depuis la Terre Sainte, de l’embarcation, sans rames ni voiles, des “Saintes-Maries” et l’échouage, au XIIIe siècle, d’une statue de la vierge, vêtue d’une robe verte et portant une couronne d’or. PAS DE CRÈPE, UNE NAVETTE Traditionnellement, le 2 février, jour de la chandeleur, les Marseillais ne confectionnent pas de crêpes mais se précipitent chez leur meilleur fournisseur pour acheter les fameuses navettes, en paquet de 12. Au XVIIIe siècle elles étaient même bénies par l’Archevêque, près de l’Abbaye de Saint-Victor. Dans la culture catholique, le 2 février, jour de la Fête de la Chandeleur qui symbolise la purification de la vierge Marie et la présentation de l’enfant Jésus au temple, 40 jours après sa naissance, associe une procession rituelle des fidèles portant des cierges allumés et bénis.

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rade sud de MARSEILLE Le Frioul et la digue Berry font la liaison entre les îles de Ratonneau et Pomègues. Ancien mouillage romain, c’est un grand port d’accueil de plaisanciers.

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e loin, à certaines heures, on confond les îles du Frioul avec la côte. Aujourd’hui, c’est un archipel pelé et blanc qui se couvre de fleurs aux couleurs vives au printemps quand les millions de goélands qui y vivent nichent dans tous les creux de rocher. À part ça, le Frioul est chargé d’histoire. C’est là que César, grâce à 18 galères construites en un mois à Arles, vainquit son rival Pompée installé à Marseille. C’est là que, à la suite de la grande peste de 1720 au cours de laquelle la moitié de la population de Marseille périt (50 000 morts) et d’autres épidémies qui suivirent fut installé l’Hôpital Caroline, une quarantaine pour les navires suspects et un lieu de soin pour les malades.

Le Frioul and the Digue Berry (seawall) connect Ratonneau and Pomègues islands. This ancient Roman harbour is now a large visitor harbour for boaters.

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t’s easy to mistake the Frioul islands for the coastline, at certain times of day and from afar. Nowadays, it’s a stark, white archipelago that is carpeted with brightly coloured flowers in spring when the millions of resident gulls nest in every nook and cranny of rock. Le Frioul does have its share of history. Caesar built 18 galleys in just one month in Arles and here he defeated his rival Pompey who had established himself in Marseilles. Following the deaths of half of the population of Marseilles (50,000 dead) in the great plague of 1720 and later epidemics, the Hôpital Caroline was built here as a quarantine for suspect vessels and a place to care for the sick.

LE FRIOUL 43°16,6’ N – 005°18,6’ E Tél. : + 33 (0) 4 91 99 76 01

La rade Sud de Marseille est riche de trésors culinaires. Les noms de toutes les petites calanques qui abritent des ports où, hélas, le visiteur n’a que peu de chances de pouvoir relâcher, recèlent plein de petits restaurants qu’heureusement les Marseillais ont – dans la plupart des cas – réussi à préserver des dérives touristiques. Le Vallon des Auffes, les Goudes, la Baie des Singes... Les gastronomes et les écrivains ont chanté la cuisine de ces ports secrets. La parole est à Jean-Claude Izzo, gourmet et amoureux de Marseille et, en particulier, des lieux où la ville laisse la place aux vagues et aux rochers, aux cabanons.

La cuisine de Marseille n’est pas provençale

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Les poissons de la cuisine marseillaise sont tellement dans la culture marseillaise qu’ils décorent parfois les salles de bains d’hôtels, comme ici l’Hôtel Peron, à côté du restaurant éponyme où l’on sert une bouillabaisse renommée

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tains lieux ne sont pas forcément ceux que j’ai envie de côtoyer. Ils n’apprécient d’ailleurs que modérément aïoli, bouillabaisse ou anchoïade. Ils ignorent tout du plaisir de panisses frites. Ils n’ont jamais goûté de limaçons en sauce piquante, ni d’oursinade, de pieds et paquets, de morue en raïte, de bohémienne, de ragoût de fèves fraîches. Et ils ignorent tout du bonheur d’une soupe au pistou, juste tiède, à l’ombre d’un pin. Ce n’est pas un hasard si j’évoque ces plats. La cuisine marseillaise a toujours reposé sur l’art d’accommoder poissons et légumes dédaignés par sa riche bourgeoisie d’armateurs ; “ses paysans”, sur les terres des mas et bastides du pays d’Aix, la fournissaient en produits raffinés : gibiers et volailles, agneaux, truffes, fromages et fruits. La bouillabaisse est née ainsi. À cause de ce poisson à la gueule horrible, la rascasse, invendable parce qu’immangeable. On pourrait multiplier les exemples. Cuisine de pauvres, certes. Mais dont le génie n’en finit plus de nous régaler, même si aujourd’hui on se chamaille sur les mille et une manières de préparer la bouillabaisse. Je dirai, pour ne fâcher personne, que c’est mieux de la préparer soi-même. Mais il en va tout aussi pareillement de toutes les recettes marseillaises et, plus largement, des plats de la Méditerranée : couscous, tajines ou paella, ou, simplement, pâtes en sauce avec boulettes et alouettes. Et par là, on retrouve toute la convivialité méridionale : manger est une fête. » (Jean-Claude Izzo, Marseille, Ed. Hoëbeke, 2000).

arseille n’est pas provençale. Elle ne l’a jamais été. Dans la plupart des restaurants, on y mange donc simplement, et pour pas cher, des plats sans artifice ancrés, non pas dans une tradition, mais dans une farouche fidélité aux origines. D’autres l’ont dit, déjà : la cuisine, ici, n’innove pas, elle ne se “métisse” pas, elle perpétue. Manger ramène au pays. Se mettre à table, à la maison comme au restaurant, en famille, entre amis, c’est renouer avec la mémoire, les souvenirs. Je ne parlerai donc pas de cuisine provençale. «(…) Qu’on me comprenne : j’appartiens à cette ville et, il est vrai, j’ai souvent plus de plaisir à manger une part de pizza achetée chez Roger et Nénette, en regardant la mer le cul sur un rocher, que de m’ennuyer devant un mille-feuilles de sole avec “son jus d’olive” dans un restaurant feutré où se pressent ceux qui rêvent d’une ville autre. (…) Moi, quand je mange, j’aime sentir Marseille vibrer sous ma langue. Sauvage et vulgaire, comme peuvent l’être un loup, un sar ou des rougets grillés au fenouil et simplement arrosés d’un filet d’huile d’olive, comme Chez Paul ou à L’Oursin. C’est dire que les restaurants où j’ai plaisir à traîner sont rarement mentionnés dans les guides et ne ramassent jamais toques ou clefs d’or. Qu’importe. Les gens que l’on peut croiser dans cer-


LA RADE DE MARSEILLE

La bouillabaisse, embourgeoisée depuis les grecs la tournée des croûtons. On partageait ensuite le poisson que l’on mangeait avec de la rouille ou de l’aïoli.»

©OT de Marseille

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« Je suis en train de peindre avec l’entrain d’un Marseillais mangeant la bouillabaisse, ce qui ne t’étonnera pas lorsqu’il s’agit de peindre de grands tournesols. » Vincent Van Gogh, extrait d’une Lettre à Théo Août 1888

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uand ça bouille, tu baisses», voilà, dit-on avec quelque vraisemblance, l’origine de ce plat typiquement marseillais, même si le Cap d’Antibes se targue d’en avoir une étoilée au Michelin. Peu importe, comme la pizza mondialisée reste napolitaine, la bouillabaisse fait indissolublement partie du patrimoine marseillais et de l’image de la «cité phocéenne». Phocéenne est aussi cette préparation originaire de la Grèce Antique. À l’origine, à Massalia, on mangeait un ragoût de poissons ou Kakavia. Comme dans tous les ports de pêche et de tous les temps où les meilleurs poissons étaient mis sur le marché, les pêcheurs gardaient pour eux ce qui avait une moindre valeur commerciale. Les marins grecs n’échappaient pas à la règle et – comme pour d’innombrables plats qui se sont depuis endimanchés – c’était un vrai plat de pauvre. Ce qui n’interdit pas le raffinement, bien au contraire, car plus les produits sont simples mieux ils doivent être traités. Et frais. En matière de bouillabaisse, la fraicheur est capitale et là, les pêcheurs sont les mieux placés. L’Univers des Gourmets précise : «C’était la soupe de poissons des pêcheurs des calanques entre Marseille et Toulon. Au retour de la pêche, ils faisaient chauffer au bord de l’eau un chaudron rempli d’eau de mer. Dés que l’eau bouillait, les pêcheurs y faisaient cuire les poissons invendables (sans tête, abîmés…). La cuisson terminée, le bouillon était versé sur des croûtons de pain rassis frottés d’ail : on appelait cela

Changeons d’époque : dans la mythologie romaine, la bouillabaisse est la soupe que Vénus fit manger à Vulcain, le dieu du feu, des forges et des volcans, lorsqu’elle voulut aller papillonner avec Mars… Cette soupe dont elle fit «abaisser le feu» était destinée à apaiser l’infortuné maître des flammes jusqu’à l’endormissement. La bouillabaisse serait donc à la fois une ruse et une métaphore ! Perdant ses vertus soporifiques, la recette s’est embourgeoisée au fil des siècles. Le ragoût est maintenant cuit dans un fond de vin blanc, relevé d’ail, d’huile d’olive et éventuellement, fioriture suprême, de safran. On sert d’abord la soupe dans laquelle on trempe le pain grillé frotté d’ail et recouvert de rouille (voir la rouille de Palavas dans notre édition de l’Hérault – Gard). La rouille est une sauce épicée composée de foie de lotte, de pomme de terre, de tomate, d’un peu d’ail et d’huile d’olive, le tout passé au pilon et agrémenté d’un peu de fumet du plat de poissons. Elle joue un rôle capital dans la bouillabaisse dont on peut ainsi moduler la saveur à sa guise en variant la quantité de coûtons à la rouille. UNE CHARTE DE LA BOUILLABAISSE À Marseille il existe une “charte de la bouillabaisse” qui fixe les règles fondamentales. La plus importante est qu‘il faut au moins quatre espèces de poissons, extrêmement frais : rascasse vive (ou araignée), Saint-Pierre, fielas (congre), chapon (scorpène), gallinette (rouget grondin), et, facultatifs, la cigale de mer. La langouste a été ajoutée tardivement, quand il y a eu surpêche de cigales. Sa présence est considérée comme une hérésie par les puristes. On raconte que Marcel Pagnol en piqua une grosse colère ! Pour le liant, on utilise les petits poissons de roche. Autre règle absolue : les poissons doivent être servis entiers et découpés devant les convives. Il est loin le temps des “bas morceaux” à l’eau de mer des pêcheurs…

Daurades d’élevage au Frioul

L’épicerie célèbre

Au Frioul cet élevage “bio” en cages flottantes produit 60 tonnes de poissons semi-sauvages, élevés dans ce milieu naturel où ils sont nourris de granulés de céréales certifiés bio, produits en Bretagne. Ces poissonsportions sont essentiellement vendus aux restaurants. Certes, ce sont des daurades d’élevage, mais élevées dans de l’eau surveillée. Sontelles moins bonnes que leurs sœurs qui vivent dans les eaux libres sans contrôle ?

Elle était célèbre dans le monde du nautisme. Sa réputation était celle d’un lieu de survie alimentaire, d’une faible consolation quand la tempête vous bloquait une semaine et que la navette n’assurait plus la liaison avec le continent. Mais tout a changé ! En tout cas l’essentiel qui console de tout : le pain frais. Plus besoin de commander la veille, chaque matin à l’ouverture, le plaisancier peut avoir sa baguette croustillante. Cela peut paraître peu de choses, mais ceux qui ont connu ces années tristes comme un jour sans pain comprendront…

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Le vin médicinal des marins au long cours

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n autre lien entre le vin et la mer est le baptême des bateaux. Depuis le XVIIIe siècle la tradition existe, en tout cas en France, d’où elle est partie avant de conquérir le monde maritime. C’est aussi une superstition : si la bouteille ne se brise pas sur les oeuvres mortes, c’est très mauvais signe. Le paquebot Titanic avait raté son

Bien souvent, dans la marine James Cook en bois des grandes découvertes et des grandes batailles navales, les médecins de bord cherchaient à maintenir l’équipage à l’abri des affections et des carences alimentaires qui les menaçaient. En mer, l’eau croupissait rapidement. On y ajoutait du vinaigre, du vin, de l’eau de vie pour la conserver. Christophe Colomb y ajoutait la quinine pour lutter contre “les fièvres”, principalement le choléra, “la peste des marins” tant redoutée. Tellement précieux, ce Kinkhina était enfermé dans le coffre de bord. On y trouvait aussi du vin camphré pour les traumatismes et un autre émétique pour les problèmes digestifs. Le capitaine Cook pensait lui aussi tout particulièrement à la santé des équipages et faisait régner à bord des règles d’hygiène et d’alimentation très strictes. Ironie du sort, cet homme sain et bien nourri, fut dévoré par les cannibales aux caraïbes… « Plutôt dormir avec un cannibale sobre qu’avec un chrétien ivre » écrira au XIXe siècle Herman Melville, auteur de Moby Dick. L’explorateur de l’Antarctique Jean-Baptiste Charcot (fils du neurologue) donnait pour sa part un quart de vin par jour aux membres de son équipage.

- père d’Ulysse - Orphée - le plus grand musicien de Grèce...), au moment de l’embarquement, prit un gobelet d’or rempli de vin précieux, du retsina, élixir de courage. Il voulut le verser dans la mer en priant Zeus de les mener au but mais Hera guidant sa main lui demanda de faire boire les héros marins. Les Argonautes, remplis

Le vin qui porte bonheur aux bateaux baptême. On connaît la suite... Les anglo-saxons ont à ce propos créé un aphorisme : « un bateau qui n’a pas goûté le vin, goûtera le sang ». Si la bouteille cassée est une pratique récente, le vin répandu remonte à l’Antiquité. Ainsi, Jason dont le navire Argo partait à la recherche de la Toison d’Or avec un équipage illustre (Héraklès, Thésèe, Castor et Pollux, Pelée - père d’Achille -, Nestor, Laërte

d’allégresse et de fougue firent face aux périls ! Depuis ce jour, le rituel du vin versé sur le bateau ou sur la mer entra en usage chez les Grecs de l’Antiquité.

BETTY SAVASTANO Les couleurs du Vallon des Auffes

Destination

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Betty Savastano est une veinarde. Elle habite au Vallon des Auffes et, accessoirement sur son bateau dans le port du Frioul. Car, en dehors d’être un peintre qui aime les couleurs autant que les pêcheurs qui parent leurs barquettes de chatoyantes palettes, elle est l’épouse du maître de port. Quand elle n’expose pas dans les galeries marseillaises, elle accroche ses toiles dans la fameuse pizzeria “Chez Jeannot” au Vallon. Betty aime les lumières de Marseille, des bateaux, des maisons qui se serrent au fond des calanques et elle sait communiquer cet amour. Son site : http://perso.numericable.fr/louissava/


La plage aux cabanons

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uand on arrive par la mer, la Pointe rouge est un port de 1200 places bien tassées où les postes de passage sont peu nombreux et les manœuvres pas faciles quand le mistral se fait un peu fort. C’est un lieu fonctionnel, point. Pris sur la mer, il n’est bordé que de shipchandlers, de rayonnages à bateaux, de hangars de clubs de plongée, d’empilements de dériveurs des écoles de voile. Il est fermé côté sud par une zone technique très fréquentée. Moralité, sortez du monde portuaire pour aller vers celui de la plage. Dans la journée, pour peu qu’il y ait un bon nord-ouest, vous verrez évoluer les as du kite-surf qui se régalent sur ce plan d’eau sans risque avec l’anse du Prado et la Bonne Mère côté pile pour arrière plan. Ou, comme c’est souvent le cas, vous pourrez suivre des matches de beach-volley ou de sand-soccer de haut niveau. Voilà pour l’univers des activités fatigantes aux noms anglais. LE SPECTACLE EST PERMANENT En revanche, les adeptes du tchatching, du pastissing ou du rienfaire-du-tout-ing trouveront leur compte sur cette belle plage de sable en croissant où le spectacle est permanent. Le tout Marseille cosmopolite des familles et des bandes de copains se retrouve là, à cet endroit resté populaire sans réussir à devenir branché, pour notre plus grand bonheur. Ne cherchez pas à y faire une sieste tranquille avec parasol et matelas de location, massage à la demande et rondelles de concombre sur les yeux, ce n’est pas le genre de la

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maison. Le genre, ce serait plutôt déjeuner tranquille les pieds dans le sable (la pizza aux anchois !) en regardant ses mômes se baigner (sans danger), pique-niquer dans le sable avec pépé-mémé (et la glacière bleue), prendre l’apéro devant les cabanons-cabines qui s’alignent coquettement tout autour de la plage et dont on jalouse (forcément) les heureux occupants. LE PREMIER CAFÉ SUR LA PLAGE Mais les moments privilégiés de la Pointe Rouge sont le matin et le soir. Le matin, plutôt que de rester dans votre cockpit avec vos semblables pour tout panorama, faites les cent mètres qui vous séparent du premier café qui ouvre sur la plage (marchand de journaux au-dessus) et faites-vous servir un premier café en regardant l’anse encore déserte qui se peuple peu à peu, la lumière chaude qui bleuit doucement, les cabanons qui se réveillent. Le soir, quand la foule est repartie avec les bus et que la nuit tombe, s’organisent les dîners de plage, les bains de minuit, les petites fiestas. Parfois, c’est soirée Ricard-à-gogo dans le bar à cocktails de la plage. Si vous n’aimez pas, poussez un peu plus loin en direction de la corniche. À cinq minutes, là où commence l’avenue de la Pointe Rouge, il y a des restos et des bars de nuit fort agréables. Moins facile pour y trouver une place, moins bien coté que le Frioul, c’est, de très loin, un endroit plus chaleureux, plus varié et aux commerçants vraiment sympathiques.


LA POINTE ROUGE L

La Pointe Rouge est à la fois la presque unique zone technique de la rade de Marseille (avec l’Estaque et le Firoul) et un paradis des sports de vents et d’eau.

LA POINTE-ROUGE 43°14,8’ N – 005°21,8’ E Tél. : + 33 (0) 4 91 99 75 64

e premier port sur tribord quand on entre dans la rade, c’est la Pointe Rouge, avec 1200 places bien tassées et des postes de passage peu nombreux. C’est un lieu fonctionnel, bordé de shipchandlers, d’étagères à bateaux, de clubs de voile et de plongée. Sa zone technique est très fréquentée et on y est un peu “quiché”. Mais il n’y a guère d’autre choix. Ce qui fait le charme de l’escale, c’est la petite plage, ses cabanons, le quartier autour et l’ambiance à la fois populaire «baignade et barbecue du dimanche» et sportive avec un déchainement de planches à voile, funboards et kite-surfs dès qu’il y a du Mistral. Le soir, quand la foule est repartie, se déroulent sur la plage de petites fêtes de famille ou de copains bien sympathiques.

Pointe Rouge is just about the only boatyard in the Marseilles natural harbour (the others are at L’Estaque and Le Frioul), and is also a windand water sports paradise.

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ointe Rouge is the first harbour to starboard as you enter the natural harbour; its 1,200 moorings are tightly packed and there are few places to pass. This is a practical place with plenty of chandlers, boat racks, sailing and diving clubs. Its boatyard is heavily used and you’re a bit hemmed in here. But there isn’t really any alternative. What’s nice about this port of call is the little beach, the cabanons (huts), the surrounding neighbourhood and the atmosphere which is a mix of relaxed “Sunday swim and barbecue” and sporty – as soon as the Mistral kicks up, out come the sails, fun boards and kitesurfing kites. Once the crowds have gone home for the evening, friends and family hold pleasant gatherings on the beach.

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Les grecs apportèrent le vin

ix cents ans avant notre ère, des navigateurs Grecs après avoir colonisé et couvert de ceps et d’oliviers la Sicile et l’Italie du Sud, arrivèrent devant le massif de Marseilleveyre, au-dessus de la Pointe Rouge, où vivaient les tribus celto-ligures qui les virent arriver sur des pentécontores, leurs galères de voyage. Ils fondèrent Massalia, la première ville “française”. Marseille, bientôt florissante cité maritime, sera donc phocéenne, oléicole et viticole. L’union des tribus autochtones avec les nouveaux arrivants fut scellée par une coupe d’eau fraîche offerte par la belle Ligure Gyptis à Prôtis, capitaine de l’escadre Phocéenne qui apportait la science d’une boisson autrement plus dyonisiaque… Dionysos, né – la seconde fois – de la cuisse de Jupiter, dieu grec des sucs vitaux, a donné la vigne aux hommes, comme Osiris l’Égyptien et Bacchus le Romain. Mais c’est à Neptune – Poséidon, dieu des océans, que le vin est le plus lié. L’histoire de la navigation en Méditerranée est d’abord celle du commerce du vin et l’architecture navale est affaire de potiers. Embarquons donc sur les pinardiers de l’Antiquité. ARCHÉOLOGIE À LA INDIANA JONES

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La fouille sous-marine, née de l’invention du scaphandre autonome par le Commandant Cousteau, est venue bouleverser l’archéologie à la Indiana Jones. Les récits des hiéroglyphes, des mosaïques et des textes anciens sont confirmés, précisés, prolongés par la découverte d’épaves qui racontent la vie, les techniques et les fortunes de mer de toutes les époques. Mare Nostrum donne, reprend, et parfois rend… Ce n’est qu’un début. Aujourd’hui, on fouille à soixantedix mètres. Demain cent, deux cents. Les gisements


LA POINTE ROUGE

sont immenses, dans les alluvions du Rhône, les sables du ­Languedoc, les fosses de Provence, mais aussi sur les routes fluviales, le Rhône, l’Hérault, Arles, Agde… La plupart des épaves retrouvées sont celles de bateaux de commerce aux formes arrondies. Quasiment pas de trace des fins bateaux de guerre que l’on voit sur les vases et les murs des palais. Trop légers, chargés de rameurs et de guerriers qui tombaient à la mer, ils coulaient en se disloquant et s’éparpillaient sur le fond, vite recyclés. Les navires de commerce, lourdement chargés et costauds s’enfonçaient avec leur cargaison dans la vase, se recouvraient de sable. Conservés ainsi presque intacts jusqu’à ce qu’un caprice des courants ne les remette à nu ou qu’un plongeur chanceux… Phéniciens, Grecs et Romains feront naviguer des bateaux de plus en plus grands aux charpentes et aux cargaisons de plus en plus phénoménales. Chacun établit ses comptoirs sur les routes maritimes et des corporations se développent comme en témoignent les mosaïques d’Ostie (port de Rome) où des enseignes devant des “bureaux” de commerce figurent notamment Narbonne et les Bouchesdu-Rhône.

La pizza sur la plage

Sur la plage de la Pointe Rouge, il existe une pizzeria, l’Escale, qui réussit à merveille la napolitaine, pizza-test de cette spécialité italienne. Galette du paysan, du travailleur ou du pêcheur, elle s’est considérablement sophistiquée en faisant la conquête du monde. Une conquête rapide si l’on sait qu’au milieu des années 1950, l’Italie ne comptait qu’une dizaine de pizzerias en dehors de Naples ! Il en existe à pâte très fine ou à pâte épaisse à l’américaine (deep pan), et avec toutes les garnitures, y compris de la viande hachée épicée (texane), du saumon à la crème (nordique), ou encore des ingrédients asiatiques, brésiliens ou maghrébins… C’est une variante du chapati Indien, de la tortilla mexicaine, de la crêpe bretonne et de toutes les pâtes sans levain dans lesquelles on glisse des produits de pauvres et qui s’embourgeoisent ensuite.

LES PINARDIERS DE L’ANTIQUITÉ

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ne adres

Une bon

L’Escale 22 Avenue de Montredon, Tél. 04 91 73 32 51

Pourquoi par la mer ? C’est que les voies terrestres sont encore moins sécurisées. Durant quatre siècles que dure la Pax Romana (entre -200 et +200) les fondateurs d’Olbia, d’Agde, de Narbonne, de Lattes et de Marseille profitent de la surveillance de la mer par les galères impériales. Après le déclin de la Grèce, c’est le triangle Espagne – Italie – Gaule romaine qui concentre l’essentiel du commerce maritime. Les navires sont longs de 40 mètres et pèsent jusqu’à 400 tonnes, comme La Madrague de Giens retrouvée dans les années 70, lestée de six mille amphores. Ces bateaux sont avant tout des “pinardiers”, qui, jusqu’au 1er siècle vont transporter le vin d’Italie vers la Gaule et, ensuite, de la Gaule vers l’Italie. Flux et reflux des marchés… Dans la tradition chrétienne, il y a un aussi un lien entre le vin et la navigation. Dans la Genèse, il est dit que Noé « quand le déluge cessa, planta la vigne, but le vin et connut l’ivresse ». Il ne sera pas le dernier marin à prendre un cuite en arrivant à terre ! Mais sachant qu’il faut cinq ans à la vigne pour produire…

© Scott Bauer

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CASSIS C

Cassis est un très beau port rempli de jolis pointus méditerranéens et aux quais bordés de lieux de gourmandise. Un accueil sympathique aussi.

CASSIS 43°12,8’ N – 005°32,0’ E Tél. : + 33 (0) 4 42 32 91 65 www.cassis.fr

assis, au pied du Cap Canaille et du massif de la Couronne à l’Est et du massif des calanques à l’Ouest doit sa réputation aux terres qui se trouvent derrière, en pente, parfaitement exposées au Sud : 180 hectares de vignoble introduit ici par les Grecs 600 ans avant notre ère et qui produisent aujourd’hui à 80% du vin blanc, un peu cher mais divin. Avant la ville, il y avait un comptoir grec…. Le château sur la hauteur date du XIIIe siècle et, sous les Comtes de Provence, il contenait toute la cité. Il faudra attendre le XVIIIe siècle pour que le port se développe avec une conserverie de morue, une carrière de “pierre de Cassis” (à Port-Miou) et la vigne. À l’entrée du port, l’ancien hôtel Panorama où Churchill habita en 1920.

Cassis is a pretty harbour full of pretty Mediterranean “pointus” and its quays are heaving with places to eat. And the welcome here is warm.

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assis is at the foot of Cap Canaille and the Couronne massif to the east, and the calanques massif to the west. It owes its fame to the sloping land behind that is perfectly south facing: 180 hectares of vineyard brought here by the Greeks in 600BC and 80% of which nowadays produce white wine which, although pricey, is heavenly. Before the town existed, the Celts had their huts and there was a Greek trading post etc. The castle up high dates from the 13th century and it encompassed the entire city under the Counts of Provence. It was only in the 18th century that the port developed with a cod cannery, a quarry for “Cassis stone” (in Port Miou) and the vines. The former Hotel Panorama where Churchill lived in 1920 is at the entrance to the harbour.

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Douze domaines de fleurs et de miel

uand vous approchez des Côtes de Provence par la mer, deux phares insolites brillent entre le Cap Croisette et les Embiez. Sur tribord, c’est le rouge, sur bâbord, c’est le blanc. Autant dire que ces feux conduisent plutôt au naufrage qu’à bon port… À l’Est, c’est Bandol avec ses merveilleux vins rouges, parfois forts en alcool mais précieux et profonds. À l’Ouest, c’est Cassis, avec ses blancs fins et fruités, ses cépages – Ugni, Sauvignon, Doucillon, Clairette, Marsanne – qui chantent comme les sirènes d’Ulysse. Accrochez-vous au mât ! Choisissons le phare blanc de la baie de Cassis (pour Bandol, voir notre édition Var – Alpes Maritimes). Imaginez l’endroit il y a cent millions d’années : à la place de la mer, il y avait une chaîne de montagnes, à la place de la terre, il y avait la Mer Alpine qui noyait Avignon, le Luberon, Gap… Puis tout a basculé il y a 65 millions d’années. Ce qui dominait s’est effondré, la Corse et la Sardaigne se sont écartées de la Provence en laissant un grand vide, l’eau de mer a rempli les bassins qui s’ouvraient, mettant la Méditerranée au Sud. Les ancêtres du Var et de la Durance se sont mis à couler dans le “bon” sens, vous permettant aujourd’hui de naviguer ici. Et de voir face à vous, les magnifiques vignobles de Cassis sur les collines. Il en a fallu, un temps pour en arriver là ! CARRIÈRE, MORUE ET VIGNOBLE

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Si on quitte l’échelle géologique pour celle des humains, il y eut ici les Grecs et les Romains dont les marins utilisèrent l’abri de Cassis. Après la fin des Césars, la piraterie barbaresque troubla la tranquillité de la Méditerranée pendant cinq siècles, poussant les habitants sur les hau-


CASSIS

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Une bon

La Maison des Vins de Cassis Route de Marseille Tél. 04 42 01 15 61

Escoffier et les rougets Nous avons fait le choix, dans ces colonnes de ne pas donner de recettes, toujours sujettes à divergences… Mais celle-ci appartient au patrimoine historique. Elle nous vient du célèbre Auguste Escoffier (1846 – 1935), cuisinier du Carlton et du Savoy de Londres, du Grand Hôtel de Monte-Carlo et du Ritz à Paris et New-York. Rougets aux feuilles de vigne 150 à 200 g de rougets de roche par personne 1 feuille de vigne par rouget Huile d’olive, Sel, poivre. Videz, écaillez, lavez et séchez les rougets sans leur retirer le foie. Faites à chacun des fentes le long du dos. Enduisez-les de beaucoup d’huile d’olive. Salez, poivrez. Faites tremper les feuilles de vigne pendant une minute ou deux dans l’eau bouillante pour les assouplir. Enveloppez chaque poisson, une fois préparé, dans une feuille de vigne et rangez-les dans un plat à gratin. Arrosez d’huile d’olive. Faites cuire environ 20 mn à four moyen.

teurs, notamment dans le château, le “castrum”que l’on voit encore sur la colline, en très bon état et à usage privé. Il fallut attendre le siècle des Lumières pour que les habitants sortent peu à peu des remparts et développent à nouveau une économie autour du port : une carrière de pierre mais, plus important pour notre propos, une sécherie de morue et, surtout, un vignoble. «L’abeille n’a pas de miel plus doux: il brille dans le verre comme un diamant limpide, et sent le romarin, la bruyère et le myrte qui recouvrent nos collines, et danse dans le verre» (Frédéric Mistral, Calendal, chant III). Tout est dit. Le vin de Cassis est le plus beau monument de la ville. Quand vous aurez passé les amarres, n’hésitez pas à piller ses œuvres, vos soutes en supporteront la charge. 120 HECTARES DE BONHEUR L’appellation d’origine contrôlée (AOC) “Vin de Cassis” remonte à 1936, année bénie où furent aussi inventés les congés payés. Le populo parisien pût ainsi descendre jusque-là et se rincer le gosier avec ce goûte-moi-ça-Paulette-tu-m’en-diras-desnouvelles ! Le terroir, le plus ancien de la région, est limité à 180 hectares et le blanc représente 80% de la ré-

photo G. Schicluna

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colte. Le reste est du rosé et du rouge, intéressant aussi, mais on peut se contenter, le temps d’une escale, de n’explorer “que” la palette des blancs. Les vins de Cassis n’ont pas toujours été ce qu’ils sont aujourd’hui, en pollens, en fleurs blanches, en tilleul, en pèche, en amandes… et en miel. C’est peut-être ce miel qui les relie à leur histoire ancienne quand Cassis produisait un muscat qui ravissait les palais des rois de France au XVIe siècle. À quoi ressemblaient les nectars des vignobles installés ici bien avant l’arrivée des Phéniciens qui fondèrent Marseille ? Nul ne le sait. Les Grecs, à partir de 600 avant J.-C., améliorèrent la viticulture de leur savoir-faire. Le jus de la vigne était certainement suave comme c’était le goût de l’époque. Il faudra attendre les années 1880 pour que la crise du phylloxéra oblige à changer tous les cépages et qu’on arrive à ce qu’est le vin de Cassis d’aujourd’hui, plus sec, plus vif, mais dont l’acidité n’est jamais plus qu’un léger contrechamp aux douceurs. Cassis produit environ un million de bouteilles par an dont sept à huit cent mille vont dans les restaurants. Paris en consomme beaucoup, l’étranger peu. Il en reste encore pour vous. Préparez-vous un petit itinéraire qui pourrait commencer par la Maison des Vins de Cassis, sur la hauteur, et qui vous ferait redescendre doucement vers le port…


LA CIOTAT L

La Ciotat a trois ports. Le plus beau et le plus accueillant pour les bateaux «classiques» est le vieux-port. Les autres ne sont pas loin du centre.

a Ciotat a une réputation de port industriel et de zone économiquement sinistrée par le déclin de l’industrie navale. Pendant de longues années, autour du port de plaisance installé dans les bassins où on lançait autrefois de grands bateaux, les grues ont eu l’air de fantômes voués à la rouille. La Ciotat restait une station populaire, loin du Bling-bling de la Côte d’Azur. Puis, grâce à la volonté de la municipalité et d’anciens ouvriers, l’activité est revenue avec le “refit” des méga-yachts. La ciotat revit et reste aussi populaire et sympathique. Sachez aussi que l’Eden, la plus ancienne salle de cinéma, a été restauré dans la ville des Frères Lumière. La Ciotat est aussi la ville où fut inventée la pétanque, le jeu de boule à “pieds tanqués”, immobiles.

LA CIOTAT 43°10,5’ N – 005°36,8’ E Tél. : + 33 (0) 4 95 09 52 60 LA CIOTAT PORT VIEUX 43°10,3’ N – 005°36,6’ E Tél. : + 33 (0) 4 42 83 80 27

There are three harbours in La Ciotat. The old harbour is the prettiest and the best at accommodating classic boats. The others are not far from the centre.

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a Ciotat is known as an industrial port whose economy suffered under the decline in the shipping industry. For many years the cranes that stood around the marina established in the basins which in the past had launched great ships looked like ghosts doomed to rust. La Ciotat remained a popular resort, far removed from the bling of the Côte d’Azur. Then, thanks to the will of the council and former workers, work returned with the refitting of superyachts. La Ciotat is alive anew and remains just as popular and friendly. And another fact: the very first cinema screen – Eden – has been restored in the hometown of the Lumière brothers. La Ciotat was also where pétanque was invented, the bowling game where you play with your feet “tanqués” (rooted to the spot).

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oudingue. Rien à voir avec le pudding anglais, encore que… Quand vous approchez par l’Ouest, le Bec de l’Aigle, falaise ocre au profil creusé d’alvéoles – taffonis – dont le principal surplomb – parpèle – lui donne l’air d’un oiseau de proie est un conglomérat – poudingue – de galets de rivières anciennes, “cimentés” par du grès et sculpté par le vent du large. Le pudding aux fruits ressemble d’assez près à cette structure agglomérée. Quant à la densité…, il y a photo. La Ciotat, le vieux port au charme fou de cette petite cité portuaire à l’histoire industrielle tourmentée, est une très belle étape, du genre où on aime se faire bloquer par un coup de vent. La Ciotat, c’est aussi deux inventions qui ont conquis le monde: cinéma et pétanque. Côté cuisine, pas d’invention d’impact international, mais on note une belle liste de tables cotées dans les guides prestigieux et aussi une jolie brochette de restaurants sans prétention sur les quais du vieux port où une famille peut manger sans se ruiner de délicieuses moules de Carteau (voir le chapitre de Port Saint-Louis du Rhône). Et, puisque les moules ont déjà été traitées, intéressonsnous à d’autres préparations typiquement méditerranéennes qui unissent la terre à la mer, l’anchoïade et la tapenade, cousines que l’on pourra retrouver sur la table d’un de ces petits bistrots de la Ciotat, à l’heure de l’apéro, en regardant les bateaux dans le port. De fort jolis pointus d’ailleurs qui livrent chaque jour leurs prises sur les quais. D’anchois, point.

Peu importe, c’est par excellence et comme tous les poissons en conserve, un produit de marins et de “petites gens”. Sur une tartine grillée frottée à l’ail et à l’huile

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ANCHOIS, DISCRET OU PUISSANT

Anchoïade et tapenade sont dans un bateau…


LA CIOTAT Mais, en terme de gastronomie le plus intéressant est la mariage de l’anchois et de l’olive. Et là, deux options sont possibles : l’olive domine l’anchois, ou l’anchois prend la première place. ANCHOIS OU OLIVE EN TÊTE Comme son nom l’indique, l’anchoïade met en avant le poisson. Les filets, dessalés ou épongés selon qu’ils ont été conservés au sel ou à l’huile, sont coupés en petits morceaux puis passés au pilon avec l’ail, un peu d’oignon rose, un filet de citron, le poivre. En remuant, on ajoute alors peu à peu l’huile dolive jusqu’à obtenir une pâte onctueuse que l’on peut tartiner sur du pain grillé ou dans laquelle on peut tremper des légumes frais. Chaude, l’anchoïade accompagnée d’un panier de légumes s‘appelle la bagna cauda (bain chaud) du côté de Nice.

d’olive, sur une pâte à pain non levée avec un coulis de tomate, c’est un tapas ou une pizza. Des plats universels où il donne saveur et bienfaits de la mer. Il se déguste en entrée où il se marie à merveille avec des poivrons rouges grillés et marinés, il entre dans la composition de nombreuses recettes de pâtes, frais, en beignet, mariné, grillé comme une sardine, ses fumets vont du zéphyr le plus discret au plus puissant arôme marin. L’anchois est presque un condiment tant un seul suffit à parfumer tout un plat. La cuisine romaine en raffolait car il permettait la confection d’un condiment roi : le garum. On laissait macérer les intestins crus dans le sel, le tout étant exposé au soleil jusqu’à l’obtention d’un caramel auquel était adjointe une décoction savante de plantes balsamiques. Sous l’Empereur César, la valeur marchande de ce condiment, qui rappelle le Nuoc Mam vietnamien, a atteint des sommets jamais égalés par notre pourtant peu démocratique caviar. On en a analysé les traces recueillies dans des amphores.

La préparation où l’olive est reine, est la tapenade. Elle aurait été inventée en 1880 par, Meynier, chef du restaurant La Maison Dorée à Marseille. Sa recette est un pilage à quantités égales de câpres et d’olives noires, auxquelles il a incorporé des filets d’anchois, du thon mariné, du poivre, quelques épices, de l’huile d’olive et… deux verres de cognac. Le tout lié au fouet. Aujourd’hui, dans la tapenade noire, l’olive est en majorité, les autres ingrédients (câpres, ail, épices et anchois) sont là pour relever le goût. Dans la tapenade verte, l’anchois disparaît et est remplacé par les pignons de pin ou l’amande. Un conseil d’habitués : si vous êtes amarrés au vieux port, devant la capitainerie, commandez un cocktail au rhum bien glacé au bar du yacht-Club et emportez-le à bord pour accompagner une anchoïade ou une tapenade. Mariez la terre et la mer, les Caraïbes et la Méditerranée.

OLIVE, LIQUIDE OU PURÉE

se

ne adres

Une bon

Restaurant Au Chantier 46 Quai Francois Mitterand Port vieux Sur les quais, au dessus de la capitainerie 04 42 84 44 39

L’autre produit des amphores – à part le vin – était l’huile d’olive. Avec une vie économique à éclipse, elle a regagné ses lettres de noblesse au XIXe siècle pour devenir aujourd’hui tellement sophistiquée qu’on en fait des coffrets-cadeaux ! L’huile d’olive vierge, la quicho des provençaux est celle de cette première pression. C’est l’huile sainte des Juifs et des Francs que l’on doit préserver de la lumière et qui se consomme fraîche. Délice des délices que l’on mange dès qu’elle coule, car seule l’huile d’olive est le jus pur et stérile d’un fruit frais. Même le vin pour être bu doit fermenter. Olea ou oliva en latin, un seul mot pour le fruit et pour l’arbre et Oleum pour l’huile. Et Oleum olea huile d’olive, sorte de pléonasme destiné au pape Eugène IV qui entendait ainsi éviter la fraude sur l’huile sainte à laquelle on mêlait un peu trop de sésame…

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Le temple de la voile

La Grande Motte bien plus grande que vous ne l’imaginez

04 67 56 42 00

lagrandemotte.com



Convoyage

de Lorient à Saint-Malo sur Étoile de France

Textes et photos Emma et Bastien Chazelles Une manière inhabituelle et économique de faire une croisière active s’appelle le convoyage. C’est ce que propose Étoile Marine, une société Malouine qui possède une flotte de vrais et de plus ou moins faux vieux navires pleins de charme pour naviguer à l’ancienne entre deux événements nautiques où ces bateaux sont conviés. Et aussi des bateaux de course réformés qui font accéder aux sensations de l’élite vélistique. Pour essayer la formule, nous avons convoyé l’Étoile de France de Lorient à Saint-Malo dans un vrai temps... breton.


L’ÉQUIPAGE DE L’ÉTOILE

Matthieu Alluin

Jean Horel

Arnaud Goron

Geremy Le Squer

L’ancienne cale de vrac a été transformée en un grand espace entouré des couchettes superposées. Au centre, une lourde table en bois et un poële pour l’hiver.

Habituellement, sur l’Étoile de France, ils sont trois. Cette fois, un autre skipper professionnel et ami de la bande, Jean Horel, s’était invité. Il y avait donc le capitaine, Matthieu Alluin, 34 ans, dont le “jardin” d’enfance est le bassin de Granville ; Geremy Le Squer, 25 ans, Quimperois ancien du lycée maritime de Bastia, fils de marin de la Royale, il navigue sur des vieux gréements depuis ses 19 ans ; Arnaud Goron, Malouin de 27 ans, matelot aussi bien mécano qu’électricien ou menuisier, il vit dans l’Étoile de France. Tous des passionnés de belle marine que se partagent les quarts et les tâches du bord.

Le contrechamp de la photo de gauche : le “salon” et la table de lecture près du poële. Derrière, le bar et, sous la descente, la cuisine.

Au matin de la première nuit, l’équipe du dernier quart sèche ses cirés en dormant au poste de barre.

L’ÉTOILE DE FRANCE

L’équipe du premier quart du matin prend son poste, mais l’électronique - bien cachée - veille sur l’Étoile.

Étoile de France est un authentique vieux gréement. Cette goélette à huniers du type devenu rare de Baltic Trader – qui avait autrefois trois mâts – a été construit en 1938 au Danemark pour faire du cabotage commercial entre l’Europe du Nord et de Portugal. Avec ses 30 m de coque (40 m hors-tout) et ses 220 tonnes à vide, il est propulsé par 480 m2 de voile ou un moteur de 100 cv des années trente, une merveille. Armé à la plaisance, il peut accueillir 30 personnes en croisière (calme !), 100 à quai pour des événements. C’est le navire-amiral de la flotte.


C

Convoyage...

de l’ Étoile de France

’était le dernier jour de fête. Lorient venait de laisser repartir les coursiers pour la dernière étape de la Volvo Ocean Race. Trois des bateaux de la flotte d’Étoile Marine avaient participé à l’événement et repartaient pour la Fête du Nautisme qui allait se tenir à Saint-Malo, siège de la société. Ensuite, l’armada dans son entier partirait au Sables d’Olonne pour le départ du Vendée Globe, etc... Il y a aussi des convoyages plus lointains, aux Antilles, dans les fjords de Norvège, sur des yachts classiques ou des catamarans de course. Bref, pour tous les goûts.

Ni “Costa” ni les Glénans Le principe est simple : ces bateaux ont leur équipage professionnel capable de les mener n’importe où sans l’aide de personne, mais, comme il y a des places libres à bord lors des convoyages, n’importe qui - avec un certificat médical d’aptitude à la voile - peut partager la vie des marins. Selon ses compétences et toujours sous la surveillance d’un “pro”, chacun est invité à participer aux quarts, à la navigation, à la manoeuvre des voiles, à la cuisine, au ménage. Sans obligation, mais voyager comme un sac à voile n’est pas l’objectif. Ceux qui n’aiment pas les croisières lecturepiscine-casino seront servis. Au fil des heures et des jours, on trouve ses marques, on s’intègre, on apprend énormément sans être à l’école de croisière. Donc, nous quittons Lorient aux derniers flonsflons de la Volvo alors que la soirée s’annonce lumineuse. L’Étoile du Roy, la vraie-fausse frégate à trois mâts vedette de cinéma, et le Renard, réplique du corsaire de Surcouf, nous précèdent. Joli départ au son du moteur de Bête Humaine aux cent chevaux qui poussent les deux centvingt tonnes du baltic trader le long des anciens bunkers de la base des sous-marins, puis des fortifications. Le large s’ouvre sur un ciel contrasté et un vent de sud-ouest force trois.

La nuit va être agitée...

Cabotages magazine - 41

Croisière

Nous sommes trois passagers. Pas de trop pour hisser la grand-voile sur ce genre de navire dont chaque espar est un tronc d’arbre. À se demander comment ils font à trois quand nous ne sommes pas là... Les focs sur le beaupré sont envoyés par l’équipage aguerri et harnaché. Nous doublons Groix, le soir tombe, le ciel se grise, le vent forcit et la houle monte sur notre trois-quarts avant. S’annonce une nuit armoricaine pendant que nous est servi un apéro fruits de mer au Muscadet avant le dîner qui se prépare dans la cambuse : des lasagnes à la mesure de ce volumineux bateau de charge et de l’appétit d’ogres de ses marins. Il fait nuit noire quand nous doublons les Glénans. Avec une route qui s’arrondit peu à peu vers le nord-ouest, la houle nous prend de plus en plus sur le flanc et fait rouler ce vieux cargo sans cargaison stabilisatrice.


L’Étoile du Roy, frégate 3 mâts de 36/47 mètres, réplique d’un navire corsaire de 1745, autrefois armé de vingt canons.

Le Renard, une autré réplique, cette fois du bateau de Surcouf le corsaire. Il mesure seulement 19 mètres mais son immense bout dehors le fait passer à 30 mètres ! Il avait 10 canons.


La nuit a dépassé nos prévisions. La pluie arrive, le vent forcit, la mer finit par venir pile sur notre travers. Pas besoin d’une très haute houle pour faire rouler un bateau rond. C’est une question de rythme, de phase comme disent les physiciens qui n’ont bas besoin d’avoir le pied marin. Les couchettes de skai sans filet et les sacs de couchage en nylon transformaient les matelas en toboggans. Il fallait une bonne expérience du sommeil en mer pour fermer l’oeil en pointillé. D’autant que les passavants, d’époque, laissaient passer tout ce qui ruisselait à flot sur le pont, venu de la mer ou des nuages crevés. Pendant le quart de nuit que nous prenons - deux heures - nous abritons notre tablette électronique dans la niche des instruments pour suivre avec le capitaine l’évolution de Franck Cammas dans les derniers milles de la Volvo. Situation incongrue, comme ce navire-câblier qui surgit dans la pluie, éclairé comme une plateforme pétrolière. Puis retour dans la machine à laver.

Au petit matin, on commence à brasser la toile en prévision de l’arrivée à Saint-Malo.

Nuit en machine à laver Au matin, après avoir ramassé la batterie de cuisine répandue dans la cambuse et la grande table en chêne renversée avec les bancs au milieu du carré, nous prenons notre quart, finalement satisfaits de retrouver la station verticale qui permet plus d’ajustements. Et du café chaud avec d’énormes tartines de pâte à tartiner sur du pain beurré. Soixante-dix milles ont été parcourus et nous frôlons le Raz de Sein. Combien de fois l’Étoile de France, du temps où elle s’appelait Julia af Fäborg, a passé ce mortel tas de cailloux ? Il faudra attendre midi pour que Ouessant puis un cap nord-est et une accalmie atténuent puis arrêtent la balançoire. La goélette se stabilise, on peut retirer les cirés, piquer un somme dans les aussières lovées en tas. Arnaud et Geremy, harnachés, font les singes dans le hunier pour envoyer les phares carrés. Moment inoubliable. D’un rapport voilure-poids plus favorable, les deux faux vieux bateaux que sont l’Étoile du Roy et le Renard nous rattrapent et nous dépassent. C’est vexant mais quel spectacle ! C’est là qu’on s’aperçoit qu’on reste des enfants.

L’arrivée à Saint-Malo

Cabotages magazine - 43

Croisière

La seconde nuit sera sèche et plate. Au matin, nous nous réveillons juste à temps pour préparer le bateau à l’atterrissage. Nous marchons au ralenti, attendant l’heure d’ouverture de l’écluse de Saint-Malo. Voiles soigneusement ferlées, énormes parebattages jetés par-dessus bord, nous nous engageons en premier dans l’écluse, suivis des deux autres navires de la flotte. Un tour dans le port et chacun trouve sa place à quai. Nous quittons à regret ce grand shaker dont il aura fallu bien peu d’heures pour qu’on s’y attache fort. Pour 180 € Lorient – Saint-Malo ou 1 500 € pour 30 jours sur un monocoque de course vers Saint-Martin, c’est vraiment à tenter.

L’arrivée dans le bassin du port Vauban de la cité malouine.


COURTIER ET CONSEIL EN BATEAUX D’OCCASION “Le plus beau voyage, c’est celui que l’on n’a pas encore fait” Loïc Peyron 132 000€

425 000€

135 000€ CHASSIRON TM - 1975

OCEANIS 40 / 3 cabines - 2010

Chantier Aegan Yacht

Chantier Richard / M. Joubert

13.05 m X 3.85 m T.E 1.70 m Polyester / pont bois 55CV Volvo D255 de 2006/300h

Chantier Beneteau

11.82m x 3.91m T.E 1.90m Polyester 40CV Yanmar 80h

Goelette version luxe, coque acier, acajou et teck de birmanie. Celle ci privilegie les grands espaces avec 4 cabines de charme /4 salles d’eau. Pouliage de qualite et hublots bronze. En 2011 la goelette s’habille en beige, invitation au voyage.

Ce grand voyageur allie robustesse et séduction. Son univers de navigation est raffiné et chaleureux. Ambiance vieux gréement lié à son pont bois, omniprésence de l’acajou en intérieur, 3 cabines et moteur neuf. Bateau rénové 2011.

Version 3 cabines tres reussie, en pack élégance, avec propulseur d’etrave, pack electronique qualifie, gv sur chariot a billes, 4 winches self tailing dont un electrique. Survie of course! Reprise leasing possible / mai 2022 !

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Architectes : Langelotti & St. Blanca

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Cet oceanis allie confort et performance! Grande facilite de manœuvre, esthetique remarquable, leitmotiv : le plaisir de naviguer! Plan de pont et systeme de barre ergonomiques! Carre lumineux (12 panneaux + hublots), 2eme main quasi neuve !

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Sept escales de Fécamp à Cannes Flânerie...

au fil les enquêtes du commissaire Maigret

Idée de lecture pour la prochaine croisière ou rêver de mer pendant l’hiver : le recueil des enquêtes du commissaire Maigret* dont l’intrigue se déroule au bord de la mer. Fécamp, Étretat, Les Sables d’Olonne, La Rochelle, Porquerolles, Antibes, Cannes, sont les sept escales de cette croisière imaginaire en compagnie du commissaire qui aimait les quais, des Orfèvres ou d’ailleurs. Une vie où les bateaux et l’eau ont tenu une place importante, de sa naissance dans les brumes du Nord aux îles lumineuses de la Méditerranée. Pierre Assouline, journaliste, écrivain, biographe “simenologue” et auteur de l’Autodictionnaire Simenon*, nous raconte la permanente relation de SimenonMaigret avec l’eau, douce et salée, les ports et les stations balnéaires où les “petites gens” - qu’il affectionne - côtoient les petits bourgeois - qu’il porte moins dans son coeur - et les riches - bons et mauvais - dans les palaces et les yachts. * Maigret à la Mer, et l’ Autodictionnaire Simenon sont édités par Omnibus

Dossier réalisé par Christophe Naigeon


p m a c é F

A

ux antipodes de la France, capitales du poisson conservé au sel, Collioure est à Engraulis encrasicolus ce que Fécamp est à la Gadus morhua. Mais l’anchois s’est fait voler la vedette par la morue et la légende de la pêche au “bacalao” a fait celle de Fécamp. Au Rendez-Vous des Terre-Neuvas n’existe plus – ou pas – mais le sombre estaminet que décrit Simenon est à lui seul le concentré de l’épopée de la morue à laquelle participèrent plus de deux mille cinq cents marins fécampois jusqu’en 1970. Sur les quais de Fécamp, il faut fermer les yeux et, si l’odeur écœurante de la morue salée ne se répand plus dans la ville ni celle, plus épicée, du hareng fumé qui lui a succédé, on peut se figurer ces bateaux et ces marins taillés pour la haute mer.

46 - Cabotages magazine

1931 Au Rendez-Vous des Terre-Neuvas

« Et maintenant Maigret, tout seul, poussait la vitre à porte dépolie d’un café du port : Au Rendez-Vous des Terre-Neuvas. C’était juste en face du chalutier Océan, amarré à quai, près d’une file de wagons. Des lampes à acétylène pendaient aux agrès et des gens s’agitaient dans la lumière crue, déchargeant la morue qui passait de main en main et qu’on entassait dans les wagons après l’avoir pesée. (...) Une odeur rance, écœurante, qui ne s’atténuait pas quand on s’éloignait, s’infiltrait, rendue plus sourde encore par la chaleur, dans le bistrot. »

En quelques mots, Simenon fait apparaître les tôles et les agrès rouillés, les filets humides, les moteurs haletants et les quartiers des hommes qui, selon qu’ils étaient au commandement du navire ou à la manoeuvre des filets de pêche, ne se côtoyaient pas pendant les mois de campagne. Mais son talent est surtout de nous laisser imaginer ce qui est hors-champ : le froid, le labeur, la peur, là-bas... cette île de France glacée qui ferme l’embouchure du Saint-Laurent, ces grands bancs où les eaux glacées et tempérées du Labrador et du Gulf stream, celles, douces et salées, du fleuve et de la mer s’entrechoquent pour faire exploser la vie, ces poissons qui valaient de l’or et ont fait la fortune des armateurs et des négociants, créé une société humaine que Zola ne renierait pas.


Photo Olivier Monge

Flânerie...

dans le sillage du commissaire Maigret

PIERRE ASSOULINE : L’eau est très tôt en relation étroite avec la vie d e  G eo rg es   S imen o n . D’abord, il y a les eaux intérieures. Les fleuves et les canaux. Simenon est né à Liège en 1903 dans le quartier d’Outremeuse, la rive populaire du fleuve. Il n’y est pas très heureux. Ni avec sa mère qui lui préfère son cadet plus docile, ni avec ses maîtres qui trouvent l’adolescent doué mais trop indépendant. Toute son enfance, il se dit «quand j’aurai passé le pont sur le fleuve, j’aurai rompu avec quelque chose». Le moyen de “passer le pont” – aller vers d’autres mondes que l’Outremeuse – est d’abord

d’avoir un métier qui ouvre à la découverte. À la fin de la guerre, en 1918, il a seize ans. Il se pointe à La Gazette de Liège et, au culot, sollicite un emploi de reporter. Ça marche ! Pendant quatre ans, il arpente la ville à la recherche des faits divers. C’est une double école : il y acquiert une riche expérience de la société des humains et la rapidité d’écriture, si grande chez lui que cela lui attirera plus tard quelque mépris de la part des “écrivains” parisiens. C’est à l’âge de 20 ans qu’il passe enfin – symboliquement – le pont qui mène de l’autre côté, à la ville bourgeoise et à la gare où il peut prendre un train pour aller plus loin. Ce fleuve, puis son franchissement, auront une importance considérable dans la vie de Simenon. C’était une rupture, en effet, mais c’était surtout la liberté.

Atmosphère simenonienne dans le port de Dieppe dans les années trente. Photographie tirée du film du Hongrois Bela Tarr L’Homme de Londres (2008), d’après le roman éponyme de Georges Simenon, tirée de La République des Livres, le blog de Pierre Assouline

« Un moment où chacun se trouve devant la nécessité de fixer sa destinée, de faire le geste qui comptera et sur lequel il ne pourra plus revenir »

Flânerie

Le fils, 1957


1932 Liberty Bar

Antibes

« Quand Maigret descendit du train, la moitié de la gare d’Antibes était baignée d’un soleil si lumineux qu’on n’y voyait les gens s’agiter que comme des ombres. Des ombres portant chapeau de paille, pantalon blanc, raquette de tennis. L’air bourdonnait. Il y avait des palmiers, des cactus en bordure du quai, un pan de mer bleue au-delà de la lampisterie. (...) Maintenant, il avait à peu près compris la Côte d’Azur : un long boulevard partant de Cannes et finissant à Menton, un boulevard de soixante kilomètres, avec des villas et parci par-là un casino, quelques palaces. (...) Il contourna un angle, puis un autre. Et soudain ce ne fut plus Cannes, avec ses grands immeubles blancs dans le soleil, mais un monde nouveau, des ruelles larges d’un mètre, du linge pendu sur des fils de fer, d’une maison à l’autre. »

A

vec sa machine à écrire, Simenon ne décrit pas les rues d’Antibes comme Bechet les racontait avec sa clarinette. Dans les Rues d’Antibes il se passe des choses bien diffférentes, côté soleil ou côté ombre. Le lumineux jazz de Sidney n’est pas un blues et le blues de Georges est un roman bien noir. Il n’y a plus de Liberty Bar dans l’arrière-cour de la ville des riches et des villas du “cap”. Les ruelles d’Antibes sont retapées, pomponnées. La vieille ville a pourtant gardé son caractère, même en pleine saison touristique. Le quartier de la halle où l’inspecteur Maigret allait boire un de ses multiples petits blancs sur le chemin du rade sordide de Jaja et Sylvie abrite

48 - Cabotages magazine

quelques bonnes tables qui ont su rester simples et bon marché. Si vous avez trouvé une place pour votre modeste bateau au Port Vauban où se pavanent les mega-yachts, marchez au-delà front de mer. Pas ­seulement pour le patrimoine historique, mais aussi pour le musée Picasso, le musée archéologique, le Marineland, etc. Difficile ici de faire un choix lors d’une courte escale ! Si vous aimez marcher un peu, le Cap Antibes est un promontoire rocheux couvert de pins et de villas de luxe, certes, mais cela vaut la peine de monter pour la vue au phare et à la chapelle de la Garoupe et, pourquoi pas, suivre le chemin du littoral sur 25 kilomètres de côtes !


Flânerie...

dans le sillage du commissaire Maigret

CABOTAGES : Mais traverser un fleuve à pied n’est pas encore naviguer, ni sur les canaux, ni sur la mer… PIERRE ASSOULINE : Cela ne va pas tarder. Quand le train le dépose à Paris, très vite il se distingue des autres écrivains du moment par sa liberté de ton, sa rapidité d’écriture, le foisonnement de sa production. Avant d’être un écrivain, c’est un professionnel de l’écriture qui a déjà écrit – sous dix-sept pseudonymes ! – des feuilletons et des contes galants dans des journaux : Le Matin, Frou-Frou, Paris-Flirt… mais aussi des romans populaires faits à la va-vite, pour apprendre le métier, pour “gâcher du plâtre” comme il dit. Mais, peu à peu, on y voit sourdre, se construire par petites touches un personnage qui pourrait bien devenir un personnage récurrent de policier, qui fume déjà la pipe… La vraie naissance de l’inspecteur aura lieu sur l’eau, pas à Paris. Car, cinq ans après avoir enjambé la Meuse, il décide d’embarquer. Sans aucune expérience de la navigation, il achète le Ginette, un canot à moteur d’à peine plus de cinq mètres. Il y entasse sa femme Tigy, la cuisinière “Boule”, le chien Olaf, le matériel de camping dans l’annexe et, pendant six mois, il parcourt la France par les canaux, écrivant en plein air, sur le pont. Cette expérience où il renoue avec la liberté à la découverte de la vie de la batellerie inspirera de nombreux romans sur la vie des mariniers.

« J’ai acheté le Ginette, un bateau de cinq mètres cinquante, une espèce de grand youyou qui avait du appartenir à un yacht, je lui ai fait faire un toit et, pendant l’été 1928, j’ai commencé mon tour de france par les rivières et les canaux : à ce moment là, c’était encore possible ». Préface à Simenon journaliste, édition de 1975 in « À la découverte de la France » Dans le port de Fécamp, l’une des rares photos de l’Ostrogoth (ci-contre). Collection particulière.

Flânerie


Cannes

1938

mondains qui s’y déroulent : le festival du cinéma, le salon nautique, le Grand prix de Monaco, etc. Le reste du temps, cela vaut la peine d’y faire escale pour profiter de l’indéniable charme de cette ville quand elle vit normalement. La Croisette mérite la promenade et la vieille ville invite à la flânerie. De sa fenêtre de l’hôtel imaginaire Excelsior (qui n’existe qu’à Nice et à Fréjus) l’inspecteur pouvait effectivement voir les îles de « Des quantités de choses merveilleuses étaient rassemblées comme par miracle Lérins, presque désertes dans les à cette minute. D’abord le paysage, que Maigret ne voyait pas, puisqu’il avait années d’après-guerre, devenues les yeux clos, mais qu’il savait là, à portée de son regard : la surface unie de la depuis l’un des mouillages les plus Méditerranée telle qu’on la découvre des grands hôtels de Cannes, avec à droite fréquentés, concurrent dans la catéle fourmillement des mâts de bois vernis du port le plus luxueux du monde et au gorie “embouteillages nautiques de l’été” de la baie de Pampelone. loin, tout au loin, dans l’embrasement de la lumière, les îles de Lérins. Et, pourtant, l’île-abbaye cisterLes bruits mêmes, qui montaient jusqu’à Maigret, étaient en quelque sorte des cienne de Saint-Honorat est, horsbruits de luxe. Les klaxons des autos n’étaient pas les klaxons ordinaires mais, saison, un havre de paix et un pour la plupart, des appels de limousines longues et scintillantes, conduites par bonheur pour les yeux. L’île Saintedes chauffeurs en livrée. » Marguerite est la plus grande. Le fort Royal édifié par Richelieu et annes revendique avec Port-Camargue la renforcé par Vauban fut une prison. On visite les place de premier port de plaisance d’Eu- casernements et les cellules dont celle supposée rope. Maigret qui le qualifiait de “plus du Masque de fer. De cela, Simenon ne dit rien luxueux du monde” ne pouvait admirer les voi- dans cette courte nouvelle. Son sujet est la vie liers “classiques” qu’au Vieux-Port. Ni la Marina d’un palace où les riches clients choyés vivent ni La Bocca n’accueillaient la plaisance des mil- dans une bulle de champagne. Autour d’eux, ils liardaires. Mais ce port est presque inaccessible sont des centaines à les servir mais aussi à les l’été et totalement lors des grands événements voir, les entendre. Alors, quand un cadavre...

L’Improbable Monsieur Owen

C

50 - Cabotages magazine


Flânerie...

dans le sillage du commissaire Maigret

« Toute ma vie, j’ai aimé le brouillard pour le mystère qui entoure la ville ou la campagne, les rivières ou la mer (…) j’aime quand même le brouillard, probablement parce qu’il déforme assez la réalité pour lui donner une autre dimension et une autre poésie. » Le Prix d’un Homme, dictée du 5 décembre 1977 CABOTAGES : Pour la navigation, Georges Simenon ne semble pas avoir la vocation d’Henry de Monfreid.

Les exergues sont tirés de l’Autodictionnaire Simenon, de Pierre Assouline, Omnibus Ed. 2009

Flânerie

PIERRE ASSOULINE : C’est vrai. Après cette première expérience fluviale, il passe son brevet de capitaine et Tigy devient la mécanicienne du nouveau bateau qu’ils achètent, l’Ostrogoth, un cotre de 10 mètres. Le projet est d’aller naviguer dans le grand Nord. Mais il ne sera en effet ni Monfreid ni Conrad. Pour lui, l’eau, c’est la liberté, mais ce n’était pas un homme au pied marin et à la vocation hauturière. Contrairement aux romans que vous avez choisis, cet homme qui aimait la brume, la pluie, les ambiances grises, n’avait pas la fibre méditerranéenne ou atlantique. C’est véritablement un urbain d’Europe du Nord, pas l’homme des grandes traversées, sauf en paquebot, plus tard, pour aller en Amérique.

Les projets hauturiers avorteront, mais, sur les canaux de Flandre qui menaient l’Ostrogoth vers les mers froides, il y aura une naissance soudaine, celle de Maigret, en 1929. Il raconte : « comme tous les matins, je me suis levé avant six heures. Tout le monde dormait. J’ai pris ma machine et j’ai commencé à écrire. Il y avait de la brume. Et de cette brume, j’ai vu surgir mon personnage avec son chapeau, sa pipe, son pardessus, un peu enveloppé, parlant peu…». Voilà. Ce fut une intuition d’écrivain que je peux bien comprendre. Rien de construit consciemment. Le personnage s’impose tout seul. Une fois rentré à Paris, Simenon trouve un nom pour son commissaire, Jules Maigret. Il en précise les contours et écrit ses premiers Maigret. Il connaît tout de suite le succès. Trois Maigret sortent d’un coup et sont adaptés au cinéma dans la foulée. Cela n’arrive jamais à personne ! Et ce succès n’a jamais cessé depuis.


1948 Les Vacances de Maigret « La rue était étroite, comme toutes les rues du vieux quartier des Sables-d’Olonne, avec des pavés inégaux, des trottoirs dont il fallait descendre chaque fois qu’on croisait un passant. (...) Il marchait le long du Remblai, en s’arrêtant de temps en temps. Il regardait la mer, les silhouettes multicolores qui devenaient de plus en plus nombreuses dans les vagues du bord. Puis, arrivé à hauteur du centre de la ville, il tournait à droite, par une rue étroite, et atteignait le marché couvert. Il faisait le tour des étals aussi lentement, aussi sérieusement que s’il avait quarante personnes à nourrir. Il s’arrêtait surtout devant les poissons qui frétillaient encore, devant les crustacés, tendait un bout d’allumette à un homard qui le saisissait de sa pince... (...) »

Les Sables d’Olonne S

candale ! La série télévisée “Maigret” la plus récente, avec Bruno Kremer et réalisée par Pierre Joassin, a choisi un triste bourg de Wallonie pour décor aux Vacances de Maigret ! En réalité, l’histoire se passe aux Sables d’Olonne, dans ses ruelles populaires et ses périphéries bourgeoises, mais surtout sur le Remblai qui signe la géographie de la station de Vendée. Il n’y avait pas les bateaux de course du Globe, mais les successeurs des Trains de plaisir qui amenaient la bourgeoisie du Second empire vers

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« la plus belle plage d’Europe », déversaient les congés payés aux Sables. Le soir, on se promène toujours sur le Remblai (ramblas de Barcelone...) construit vers 1515 pour protéger la ville des fureurs de l’Océan et refait sur 550 mètres en 1760 avec les graviers qui lestaient les navires. Rallongé au XIXe siècle, il permettra de créer le quartier du Grand casino. Quand Maigret y enquête sur la mort d’une petite vendeuse de billets de tombola, la municipalité prépare la dernière opération : son élargissement et la construction de trois rotondes pour en faire, avec la plage, le lieu touristique le plus fréquenté de la station.


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CABOTAGES : Jules va donc pouvoir voyager au gré des assassinats, ou plutôt les assassins, au gré des voyages de Georges. La Méditerranée ou l’Atlantique en premier ? PIERRE ASSOULINE : L’Atlantique. Dans les années trente, Simenon choisit de vivre en Charente Maritime. La Rochelle occupe une place très importante dans sa vie. C’est une ville qu’il a adorée. Pourtant, il ne s’est pas installé là, mais dans une gentilhommière du XVIe siècle à environ huit kilomètres de là, La Richardière, entre Nieul-sur-Mer et Marsilly.

Il venait tous les jours à cheval en ville et s’arrêtait au Grand Café. Il était un si bon et si célèbre client que le propriétaire fit sceller un anneau entre deux pavés de la place d’Armes pour attacher son cheval. C’était “l’anneau de monsieur Simenon”, personne d’autre ne pouvait s’en servir. La fille du propriétaire, héritière du café, lorsqu’elle a vendu l’affaire, a fait desceller l’anneau qu’elle garde encore chez elle.

dans le sillage du commissaire Maigret

La Rochelle a notamment inspiré Les Fantômes du Chapelier, qui révèle vraiment l’esprit de La Rochelle. C’est une ville particulière. C’est, entre autres choses, la seule ville de France dont on peut traverser le centre quand il pleut sans se mouiller, en restant sous les arcades qui courent dans toutes les rues. Il y a aussi la couleur des pierres blanches, la lumière du ciel, et ce phare dans la ville… (Ndlr : voir Maigret à l’École qui se passe dans le village imaginaire de Saint-André-surMer, sans doute pseudonyme ou bien transposition romanesque de Nieul-sur-Mer). Mais l’envie du journalisme et des voyages le reprend et, comme grand reporter, il part en Afrique, puis revient en Europe et écrit pour Paris-Soir, des articles qui reçoivent un accueil mitigé en raison de ses investigations et de ses analyses contestables, notamment sur l’Allemagne, l’affaire Stavisky… Alors, pour se mettre à distance, il prend la mer – sur des paquebots – pour traverser les océans vers New-York, l’Amérique latine, les îles du Pacifique, la mer Rouge.

L’affiche de l’adaptation par Claude Chabrol des Fantômes du Chapelier, Une des rues à arcades de La Rochelle, la propriété de Simenon près de Nieul-surMer, La Richardière

« J’ai acheté presque par hasard à Nieul-sur-Mer, près de La Rochelle, une maison (…) où j’aurais aimé, enfant, aller passer des vacances avec une de mes grand-mères. Elles n’avaient, hélas, pas de maison de campagne, et c’est probablement à cause de ce désir refoulé que, bien que n’ayant pas d’enfants, j’aménageai Nieul en “maison de grand-mère” ». La Femme endormie, Dictée du 22 février 1979

Flânerie


D

Porquerolles

1949

Mon Ami Maigret « L’auto, après une demi-heure, s’arrêtait sur une pointe rocheuse où on ne voyait qu’une auberge de style provençal et quelques maisonnettes de pêcheurs peintes en rose et en bleu pâle. (...) À mesure qu’on avançait sur l’eau soyeuse, les contours de l’île se précisaient, avec ses caps, ses baies, ses anciens forts dans la verdure et juste au milieu, un petit groupe de maisons claires, le clocher blanc d’une église sortie d’un jeu de construction. (...) Le port était minuscule, avec une jetée à gauche, une pointe rocheuse, couverte de pins maritimes, à droite. Dans le fond, des toits rouges, des maisons blanches et roses parmi les palmiers, les mimosas et les tamaris. (...) La place était vaste et nue, encadrée d’eucalyptus, de maisons en couleur, avec, au sommet, la petite église jaune à clocher blanc. On voyait plusieurs cafés aux terrasses ombragées. (...) La terrasse de l’Arche, sur la place, était plus large que les autres, limitée par une murette et par des plantes vertes. À l’intérieur, il faisait frais, un peu sombre, ce qui n’avait rien de désagréable, et on était saisi tout de suite par l’odeur pointue de la cuisine et du vin blanc. »

ix mille visiteurs par jour ! La navette que prirent Maigret et son acolyte de Scotland Yard Mr. Pyke, aborde à Porquerolles toutes les demi-heures et les plaisanciers font la queue dès sept heures du matin pour espérer y avoir une place. Quant aux mouillages de la plage d’Argent ou de la Courtade... Une fois le bateau amarré, il faut prendre son sac, de bonne chaussures ou un vélo (après onze heures, il n’y en a plus !). Porquerolles offre une arborescence de chemins qui permettent de découvrir les sentiers escarpés et les paysages tourmentés de la face sud, les quatre plaines et les nombreux forts. Le plaisancier, tour à tour caboteur, cycliste ou randonneur a ainsi le privilège de saisir les reflets de cette perle du patrimoine naturel. L’île a été acquise pour sa plus grande partie par l’État en 1971 et placée sous la protection du Parc National de Port-Cros et du Conservatoire Botanique National Méditerranéen de Porquerolles. Grâce à cela, la préservation n’est pas un vain mot, malgré l’afflux de visiteurs. En découvrant ces merveilles on se prend à regretter l’époque où il était possible d’acheter un tel bijou pour un million et cent francs, comme François Joseph Fournier, après enchère à la bougie, et d’en faire cadeau à l’amour de sa vie…


Flânerie...

dans le sillage du commissaire Maigret

CABOTAGES : Il abandonne définitivement le journalisme et la côte Atlantique ? PIERRE ASSOULINE : Non. Pas totalement. Il revient à La Richardière juste un peu avant la guerre. Quand elle éclate, il se trouve coupé de son pays envahi par l’armée allemande. Il s’occupera des réfugiés belges en France, mais restera retiré, non plus en Charente mais en Vendée, à Fontenay-le-Comte, essentiellement préoccupé de littérature. C’est là qu’il écrit La Veuve Couderc. Mais la presse de l’époque, bien évidemment collaborationniste, publie les bonnes feuilles de quelques-uns de ses romans et, surtout pas moins de neuf de ses œuvres seront adaptées au cinéma pendant l’occupation ! Cela lui vaudra quelques ennuis à la Libération. Il sera assigné à résidence pendant six mois dans un hôtel des Sables d’Olonne, ville également choisie parce qu’il souffrait d’une pleurésie. Sans cesse surveillé par le commissaire local, il se baladait sur le remblai et s’ennuyait à mourir (Ndlr : voir Les Vacances de Maigret).

Son dossier “collaboration” sera classé sans suite, mais pour tirer un trait sur ces années sombres, il part en Amérique, en Arizona, dans le Connecticut, en Nouvelle Angleterre, et en Floride où il peut mener la vie sauvage qu’il aime tant et qu’il retrouvera plus tard à Porquerolles...

Le Queen Mary entrant dans le port de New York où Simenon écrivit plusieurs romans,

Porquerolles, île “caraïbe” de la Méditerranée

« Je vis ici à peu près nu, au bord de l’eau, dans un décor assez semblable à Tahiti. Je nage et je pêche. Je travaille beaucoup. Je ne vois à peu près personne et il y a des semaines que j’ai oublié comment on porte un veston et une cravate. » Lettre à Frédéric Dard, Bradenton Beach, Floride, 5 novembre 1946.

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1950

Étretat

Maigret et la vieille Dame « Il leva la tête et regarda avec un certain respect les nuages gris qui devaient venir du large. Car la mer, pour lui qui était né et avait passé son enfance loin dans les terres,

D

ans l’Aiguille Creuse, Maurice Leblanc avait, cinquante ans avant Simenon, fait d’Étretat le centre d’une des aventures d’Arsène Lupin. Le trésor des rois de France se trouvait dans l’une des aiguilles taillées par l’érosion dans les falaises crayeuses du pays de Caux. Peut-être avait-il été inspiré par les nombreux souterrains qui ont été creusés dans cette roche tendre par la main de l’homme, aidée par les rivières qui s’y sont, depuis les temps géologiques, frayé un chemin vers l’aval. On raconte qu’Étretat, grâce à ses nombreux boyaux secrets, permit à certains personnages importants – voire des monarques déchus – de s’échapper discrètement vers l’Angleterre alors que l’endroit n’est pas le plus proche de la côte britannique. Les Allemands, qui cherchaient tous les moyens de truffer la côte de canons et autres pièges contre le débarquement, firent un inventaire de ces laby-

c’était resté ça : des filets à crevettes, un train-jouet, des hommes en pantalon de flanelle, des parasols sur la plage, des marchands de coquillages et de souvenirs, des bistrots où l’on boit du vin blanc en dégustant des huîtres et des pensions de famille qui ont toutes la même odeur, une odeur que l’on ne trouve nulle par ailleurs (...) Il savait bien que ce n’était pas vrai, évidemment, mais cela lui revenait malgré lui chaque fois qu’il approchait de la mer, l’impression d’un monde artificiel, pas sérieux, où rien de grave ne pouvait advenir (...) Il alla regarder la mer, les falaises blanches des deux côtés de la plage de galets ; il y avait des adolescents, des jeunes filles qui dansaient dans les vagues, et d’autres, derrière l’hôtel, qui jouaient au tennis (...) Étretat apparaissait, candide, innocent, avec ses maisons trop petites, trop jolies, trop fraîchement peintes pour un drame, et les falaises émergeaient de la brume exactement comme sur les cartes postales exposées à la porte du bazar. ».

rinthes souterrains. Tout ces documents ont disparu mais, malgré les éboulements et les colmatages des promoteurs immobiliers, bon nombre de ces passages existent encore, trop dangereux pour être ouverts aux visites. Étretat n’est pas un port. Ni un échouage facile. Sa plage n’est pas de sable et les galets ne sont pas plus agréables aux coques de nos bateaux qu’à nos fesses de petits baigneurs. C’est d’ailleurs une des raisons du relatif retard dans son développement touristique. Mais la proximité de Paris par le train y a apporté beaucoup de monde à une époque où la serviette sur le sable n’était pas le but des vacances à la mer. L’histoire de Maigret et la Vieille Dame se passe en fin de saison quand, bientôt « la plage déserte serait rendue à la mer et aux mouettes ». On n’est pas loin de Fécamp et on y parle beaucoup de pêcheurs. Le dernier a cessé son activité dans les années 1990. Dommage.


Flânerie...

CABOTAGES : L’inspecteur va enfin découvrir les lumières de la Méditerranée ! PIERRE ASSOULINE : Il s’éloigne de la mer, il y revient… mais elle ne quitte jamais son imaginaire. Car en permanence son œuvre est faire de réminiscences. Chez lui, la décantation c’est environ trois ans avant d’écrire sur un endroit où il est resté. Michel Lemoine a fait le tableau : la ville où se déroulent le plus grand nombre de romans est Paris, ensuite Cannes et la Côte d’Azur.

dans le sillage du commissaire Maigret

tout. Il loue, puis achète une maison. Marc Simenon, son premier enfant, en a hérité et l’actrice Mylène Demongeot, son épouse, y habite encore. Ce qui lui plait, c’est la vie animale qu’il peut avoir sur l’île. C’est un homme extrêmement simple. Vivre pieds nus, en short, sur des plages désertes, c’est le paradis. Il y achète un “pointu” avec lequel il navigue et pêche aux alentours. (Ndlr : voir Mon Ami Maigret). Un certain nombre de livres sont situés à Porquerolles, notamment Le Cercle des Mahé dans

« Ensuite, j’ai pêché au filet. Comme on dit dans le midi, j’étais mordu. J’ai pêché des jours entiers, des nuits entières dans le “pointu” que je m’étais fait construire. (…) Et le jour est venu où la vue d’un poisson mort, le geste de le tuer, me sont devenus insupportables. »

©GSFP Ltd, collection John Simenon, tous droits réservés

De la cave au grenier, dictée du 19 novembre 1975

lequel des signes curieux sont dessinés sur le sable… Porquerolles a joué un vrai rôle dans sa vie et dans son imaginaire littéraire. Et puis, ce sera fini avec la mer. Dans les années soixante et jusqu’à sa mort, Georges Simenon habitera en Suisse, mais au bord de la mer helvétique, le lac Léman. Encore des bateaux, de l’eau, alors que ni lui ni son héros Maigret n’en buvaient vraiment beaucoup…

Le Potam, le pointu de Simenon à Porquerolles

Flânerie

Dans les années cinquante, il revient en France. Après avoir été reçu avec les honneurs à Paris au 36 Quai des Orfèvres, il s’installe à Mougins, puis à Cannes (Ndlr : voir L’improbable Monsieur Owen). Mais sa grande passion méditerranéenne sera l’île de Porquerolles. Il faut imaginer Porquerolles à l’époque : c’est deux familles qui en sont propriétaires, quelques bicoques, un bar, un hôtel et c’est


1954

La Rochelle L Maigret à l’École « Cela rappela à Maigret la plage de Fourras, dans le soleil, des huîtres qu’il avait mangées, à cette heure-ci, vers dix heures et demie du matin, à la terrasse d’un petit bistrot, arrosées d’une bouteille de vin blanc du pays dans le fond de laquelle il y avait un peu de sable. - Nous sommes dans le pays des bouchots et des parcs à huîtres. Tout le monde en possède au moins un bout. Cela rapporte gros. Ils sont riches. (...) Maigret le suivit dans la maison de pierre grise. Toutes les autres maisons du village étaient peintes à la chaux, les unes d’un blanc cru, les

autres d’un ton plus crémeux, et les toits roses donnaient à l’ensemble un air guilleret. (...) À quelques kilomètres de La Rochelle, un léger brouillard, qui n’était pas le brouillard de la campagne mais celui de la mer, se mêla à l’obscurité et un phare apparut un moment dans le lointain. (...) La portière à peine ouverte, on sentait une haleine forte et fraîche qui venait du trou noir où les voies avaient l’air de finir et, en regardant avec plus d’attention, on distinguait des mâts de bateaux, des cheminées qui se balançaient doucement, on entendait des cris de mouettes, on reconnaissait l’odeur de la marée et du goudron. »

e roman Maigret à l’École est situé dans un village au toponyme imaginaire. C’est assez rare chez Simenon qui, la plupart du temps, a situé les enquêtes de son commissaire dans des endroits identifiables. Cherchez SaintAndré-sur-Mer, dans le département de Charente-Maritime ou ailleurs en France, il n’existe pas. En revanche, Nieul-sur-Mer où l’écrivain avait acquis une gentilhommière (la Richardière, sur la route de Marsilly, voir l’interview de Pierre Assouline) correspond en grande partie aux quelques descriptions et indications topographiques qui sont faites de “Saint-André” : « à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de La Rochelle, pas loin de la pointe de l’Aiguillon ». On est dans le pays des bouchots et des exploitations ostréicoles, entre sable et vase épaisse, parmi des centaines de cours d’eaux qui se vident à marée basse, au bord de cette mer qui prend des couleurs café-crème, dans cette lumière particulière, pastel lavé. En fait, l’histoire a lieu dans un espace sans rapport avec cet univers marin. C’est un huis-clos rural entre une école et quelques maisons de village où il n’est question que de l’instituteur, du postier, du bistrotier et des gens aux aguets derrière les fenêtres. Comme souvent dans les histoires que raconte Simenon, cette parcimonie incite à imaginer en dehors de la marge des pages et, là, c’est La Rochelle, qui en fait l’arrière-plan invisible. Il suffit que l’inspecteur soit arrivé en train, via Poitiers et Saintes, qu’il décrive en quelques mots (voir l’encadré) la présence de l’océan et des bateaux, pour que cette image persiste tout au long du récit où la mer est effacée au profit des personnages qui occupent tout l’espace. Peut-être parce que dans ces villages la mer n’est présente que lorsqu’elle remonte deux fois par jour, chargée de vase, dans les étiers - ou les achenaux, selon les parlers locaux - ou bien parce que les ostréiculteurs ne sont pas des marins mais des paysans de la mer, ou encore parce qu’il n’y a là ni plages, ni cabines de bain, ni hôtels à touristes, ni vue imprenable sur l’horizon bleu, c’est le moins maritime des sept romans de Maigret à la Mer.

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Flânerie...

dans le sillage du commissaire Maigret

Les pipes et... « Je n’ai jamais été fumeur de cigarettes ou de cigares. La cigarette ne fait pas partie de nous. Nous la prenons dans une boîte en carton, nous l’allumons et nous en jetons négligemment le bout. Il en est de même pour les cigares. La pipe est un véritable objet, un objet personnel, qui finit par faire corps avec vous. J’ose à peine dire que j’en possède à peu près trois cents, bien qu’il n’y en ait qu’une vingtaine dans ma petite maison rose. Eh bien, malgré le nombre, je les connais toutes, comme des amies ». De la Cave au Grenier, Dictée du 24 septembre 1975

... les verres de Jules et Georges

À cette époque on fumait dans les bureaux et on buvait pendant le service... Simenon et Maigret avaient toujours la pipe à la bouche et souvent le verre à la main. Tabagiques, alcooliques ? Pas plus que les détectives de Chandler et Chase...

« À bord du Ginette, lorsque j’ai fait le tour de France par les canaux et les rivières, j’avais l’habitude, dans le midi, de remplir une bombonne de dix litres à des pompes qui ressemblaient à des pompes à essence. Je buvais lorsque j’avais soif, sans jamais être ivre. À bord de l’Ostrogoth, en Hollande, rarement du vin, trop cher dans le pays (j’en ai fait venir une barrique de France à Stavoren), mais, de temps en temps, un verre de genièvre. C’est vers cette époque, (...) qu’écrivant les premiers Maigret j’ai pris l’habitude de travailler au vin. Et, oui ! Dès six heures du matin. » Quand j’étais vieux, 10 janvier 1961


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oUVERT ToUS LES joURS 61

Destination

MUSEE PAUL VALÉRY SÈTE 29 jUin > 27 ocTobRE 2013


Doublé le Capo dell’Arma, toujours le compas bloqué sur les 70°, nous glissons devant Arma di Taggia, minuscule port d’estuaire inaccessible en cas de vent marin un peu fort. Puis, Riva Ligure dont le port fréquentable par les unités de taille moyenne se trouve loin en dehors de la ville. Un parking à bateaux moderne avec héliport, pas un port d’escale, sauf urgence. La même chose pour San Lorenzo Al Mare, un peu plus loin. Le mouillage est interdit dans toute cette zone, mais on n’en a pas de regret car on voit déjà s’approcher Imperia, autrement plus intéressante. En faisant attention à quelques cailloux un peu trop près de la surface, on peut tout de même longer la côte de très près et cela en vaut la peine tant l’approche de la ville sur son promontoire est belle de tous les côtés. PORTO MAURIZIO ET PORTO ONEGLIA Venant de l’Ouest, pas possible de confondre Porto Maurizio et Porto Oneglia. Ce dernier est presque exclusivement un port de commerce et de pêche et, depuis que le premier s’est totalement rénové, il n’y a plus de raison d’y aller. Avant 1923, il y avait là deux villes distinctes, séparées par le fleuve Impero. Alors que Mussolini – pas encore autoproclamé Duce – installe sa toute nouvelle dictature en chemise noire, Imperia est créée, née de leur fusion. Mais la ville fait vite oublier que de si mauvaises fées se sont penchées sur son berceau. Elle n’a d’impérial que le nom et, si elle est imposante, elle n’intimide pas l’étranger qui va y aborder. Avant même d’avoir en vue le môle qui s’avance loin en mer, le caboteur est charmé par ce promontoire d’où descendent en cascade des maisons colorées, des églises baroques, des pans de forteresse, des hauts murs de cloîtres, des palmiers, des pins parasols et des glycines qui poussent sur les places et les balcons. Arriver, vite ! Un coup de radio dans n’importe quelle langue européenne et la capitainerie de Porto Maurizio vous envoie une escorte pour vous guider jusqu’à votre place à travers les larges bassins. Ici, tout est grand car ce port très bien abrité et entièrement en “dur” est fait pour les grands, très grands superyachts. Mais, en pleine saison, l’accueil est le même pour les bateaux “normaux”. On vous aidera pour l’amarrage, on vous conduira en voiture électrique jusqu’à la lointaine capitainerie pour les formalités. Et, au bout de chaque ponton, un bloc sanitaire de rêve dessalera le navigateur.

Imperia la belle Ligure

TROIS VILLES EN FUNICULAIRE Un peu cher, certes (50 € pour 35 pieds), mais dès la première facture de restaurant ou de courses d’avitaillement vous aurez compris que l’escale est une bonne affaire. De ville, il y en a trois. On passe facilement de l’une à l’autre grâce à un funiculaire en trois tronçons qui transporte gratuitement toute la journée les autochtones en passant sous les balcons, au ras des fenêtres, au-dessus des cours. La ville du bas accueille les touristes et les plaisanciers avec des bars, des restaurants, des marchands de glace et des boutiques faites pour eux. Rien de bien différent des autres cités balnéaires, à part la qualité des huiles d’olive qu’on y propose.

L

’étape du jour sera d’à peine douze milles. Pas de quoi se lever à l’aube ni faire des provisions de route. D’autant que les plus beaux produits nous attendent à l’escale à venir. Nous avons donc traîné un peu à Sanremo, devant un espresso-doppio accompagné de ces croissants fourrés de crème comme on en fait ici pour donner sans doute envie de se recoucher... La totale pétole ne nous donne ensuite guère l’occasion de faire un quelconque exercice à part appuyer sur le bouton de démarrage du moteur.

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Celle du milieu est une cité italienne du XXe siècle, avec ses rues encombrées et bruyantes, ses marchés avec des légumes parfaits comme on les exige ici, ses ferramente, bazars comme on n’en fait plus chez nous, avec des milliers d’articles empilés dans des étagères en surcharge, accrochés au plafond, rangés dans des dizaines de tiroirs en bois, des marchands de vin où l’on ne sait plus où donner de la tête, des fromageries et des charcuteries dont on essaie de déchiffrer les appellations et… une librairie capharnaüm où on vous offre le café dans des sofas à même le trottoir. LES COULEURS ET LES LUMIÈRES La ville du haut est la cité ancienne. Tous les styles se mélangent pourvu qu’ils soient au moins – pour les plus modernes – du XVIIIe siècle. Un musée désorganisé, habité, qu’on dirait authentique si ce mot n’avait pas été galvaudé. Il faut pousser les lourdes portes en bois, entrer dans les cours, monter les escaliers de pierre et prendre le temps de s’habituer à la pénombre en venant de la lumière et regarder les détails, les traces, les vestiges des générations d’artistes qui ont construit cet amoncellement urbain. Dehors, il faut admirer les pigments des façades patinés par le soleil, délavés par la pluie d’automne et le linge qui se balance au vent, il faut se perdre dans les ruelles et les escaliers tortueux qui finissent toujours par une vue sur un coin de mer. Et il faut dîner dans les restaurants où – encore Fellini ! – des patriarches en marcel blanc, bretelles et Panama trônent au bout d’une tablée familiale. Il faut aussi déjeuner dans l’un de ces petits restaurants appelés tavolacalda où, si on a la chance de pouvoir échanger quelques mots dans la langue de Paolo Conte, on ne quitte pas sa table avant d’avoir partagé avec un inconnu qui ne l’est plus le bianco della casa.

Destination

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IMPERIA

Nous repassons toujours à Imperia. Imperia est impérative. Dès la première visite, on y prend ses habitudes, à la seconde on est chez soi. Après, on risque de ne plus repartir. Sauf si on se dit que peut-être, un peu plus loin, en faisant route vers l’Est, il y a encore quelque part quelque port dont tomber en amour. C’est comme ça, les marins. Une passion dans chaque port. Et même si cela n’est pas vrai, on ne parle ici que des beaux souvenirs. Déjà Gènes nous fait de l’oeil et nous promet de se rendre inoubliable. Alors...

GROCK CLOWN SUISSE TOMBÉ SOUS L’EMPIRE D’IMPÉRIA Le clown suisse Grock, alias Adrien Wettach, né le 10 janvier 1880, demeure encore aujourd’hui celui qui fut l’un des mieux payés au monde. Tous les grands directeurs s’arrachaient ce grand clown, qui faisait le show à lui seul. En 1920, en vacances en Italie, il découvre la ville d’Imperia et tombe sous son charme. Il décide de s’y installer. C’est Grock lui-même qui dessine les plans de la maison de ses rêves avec l’aide de l’architecte Armando Brignole. La maison, sur les hauteurs d’Imperia, est achevée en 1930. Elle est baptisée la Villa Bianca (le nom de sa fille). En 1944, la propriété est occupée par les Allemands. Après la guerre Grock reprendra sa maison où il vivra jusqu’à la fin de ses jours, en 1959. Sa fille finira par là en 1975, mais la maison finira par tomber à l’abandon. The Grock Foundation est créée en 1999 pour tenter de sauver ce curieux monument vandalisé et délabré. La ville d’Imperia rachète l’ensemble en 2002 et la restauration commence.

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du 17 au 2

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Saint-Louis du Rhône

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