Kiblind #69 - "Tour de France"

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KIBLIND Magazine NumĂŠro Tour de France



KIBLIND Store Illustrations à emporter

Retrouvez une sélection de posters de nos artistes préférés imprimés avec amour en risographie par KIBLIND Atelier. www.kiblind-store.com


Photo: Florent Tanet

Édito Décevons tout de suite. Non, il ne s’agit pas d’un numéro vélo. Pas de maillot jaune, zéro maillot à pois, on est désolé. On s’est penché sur une autre sorte de jeu : la balade sur nos petits sentiers mignons. Celle qui permet, l’allure pépère, de parcourir les territoires de ce pays qui semble être le nôtre. Attention, ce n’est pas la France en tant que telle qui nous intéresse, mais plutôt la familiarité qu’elle permet. Il faut bien admettre que c’est le pays qu’on est censé le mieux connaître. Ce que nous proposons est alors d’observer la proximité, pour s’apercevoir, en détournant le regard, que ce qui paraissait évident devient tout à fait étrange. En demandant à 16 dessinateurs d’ici et d’ailleurs de donner leur point de vue sur des paysages français ultratouristiques, on a voulu, à travers leurs yeux, voir une seconde fois ces lieux. Se pencher de nouveau sur le connu et le reconnu pour le redécouvrir. La couverture d’Annu Kilpelaïnen est le véhicule, le point de départ de ce tour de France qui n’a rien de très sportif. Pas de course ici, que des routes tranquilles pour prendre le temps de regarder.


Kiblind magazine n°69 Tour de France - Été 2019 ENTRÉE 10 INTRO PICTOS

Tour de France 24

INTERVIEW

Annu Kilpeläinen 26

ENQUÊTE

Pâté route 65

INTERLUDE

Dans la voiture 70

DISCUSSION

Géographie underground 72

CRÉATIONS ORIGINALES

Tour de France dessiné 34

REPORTAGE GRAPHIQUE

La Grande-Motte 75

DISCUSSION

Tournée générale 52

DISCUSSION

Les Valseuses : Road Slip 81

RÉTROGRAPHIE

Bison futé

PLAYLIST

INTERLUDE

84

55

Les Miscellanées du Camping 60

DISCUSSION

Demi-Tour en France 62

Tour de France par Buvette SORTIE 87


Contributeurs

ÉLODIE BOUHLAL Parce qu’elle possède un téléphone intelligent et qu’elle a donc le pouvoir traîner sur Etsy, Pinterest, Instagram et Internet en général, on lui a demandé de nous dénicher les meilleurs créateurs, les meilleures collaborations, les choses jolies.

THÉO CALMÉJANE Co-fondateur du collectif de dessinateurs angoumoisins Les Machines, Théo Calméjane a pu, grâce à celui-ci, peaufiner sa science du dessin et de la bande dessinée. Un art qu'il maîtrise aujourd'hui de façon nickel comme le prouve sa BD Jeu Décisif, sortie chez Glénat, par exemple.

ANNU KILPELAÏNEN Annu Kilpelainen est une artiste finlandaise, désormais installée à Londres, d'où jaillit un torrent de couleurs puissantes associées à des formes grossières. Une alliance qui fait de ses œuvres de véritables bombes graphiques, frappant l'esprit et ne laissant personne indifférent. Voilà de longues mois que nous nous demandons à quelle sauce nous pourrions utiliser ce style si particulier. Et puis l'envie nous est venus de partir en balade. Alors nous nous sommes souvenus de l'amour de la Finlandaise pour les vieilles tires et les paysages somptueux. Ça tombait bien.

> www.annukil.com

HARRY CATURE Harry Cature fait les meilleures caricatures du monde grâce au logiciel Paint qu'il maîtrise comme personne. Il les partage ensuite sur internet avec la mention obligatoire : « la caricature est à droite ». On l'adore, on l'adore même beaucoup et on ne s'explique toujours pas pourquoi.

LESLIE CHANEL Leslie est la cofondatrice du label AB Records, pour lequel, on l'avoue, nous avons un petit crush. En plus de ça, elle fait partie du trio punk-rock Tôle Froide. Une double expérience de la tournée musicale qui sied bien à ce numéro.


Contributeurs

MATTHIEU CHIARA

MICHEL LAGARDE

NICO PRAT

Parisien grand, talentueux ancien de la HEAR, Matthieu Chiara monopolise notre attention depuis deux ans grâce à son excellent HorsJeu (éd. L’Agrume) et son Dessins variés, effets divers à l’origine de sa présence ici.

Michel Lagarde a su associer le statut de mémoire vivante de l’illustration française avec celui de connaisseur patenté des évolutions actuelles. Un savoir qu’il distille via ses éditions Michel Lagarde, son agence Illustrissimo et la Galerie Treize-Dix.

Nicolas Prat s'est apparemment rendu indispensable aux yeux des rédacteurs en chef. Journaliste pour Rockyrama, il est aussi passé par Tsugi, C8, Le Mouv, DumDum, Technikart et Gonzaï, et s'amuse avec son copain Joe Hume pour l'émission bonbon « Joe & Nico » sur MCM.

MALINA CIMINO

ZELDA MAUGER

Passionnée de longue date par l’illustration et les jolies choses, Malina Cimino œuvre çà (Beware) et là (nous), et puis là aussi (agence Costume 3 Pièces) pour partager tout son amour. Elle fait bien.

Actuellement en poste chez Greenpeace, Zelda est également une dessinatrice. Elle a aussi pour hobby de combler chaque mètre carré de son appartement avec des piles compactes de livres, fanzines et autres bouts de papier reliés qu’elle adore.

DEMI TOUR DE FRANCE

DAVID RAIFFÉ / LIBRAIRIE MOLLAT Lors de nos passages à Bordeaux, la librairie Mollat ne manque pas de nous attirer telle Juliette son Roméo. Son expert en graphisme, David Raiffé, a l’extrême obligeance de faire du zèle et de nous donner ses conseils livresques même hors les murs.

Demi Tour de France est un duo d’artistes formé par Marie Bouthier et Anouck Lemarquis, qui s'échine à traverser notre beau pays pour y trouver matière à photographie. Aux clichés touristiques, les deux photographes préfèrent la périphérie, les marges, les anomalies, ce qui rend leur travail passionnant.

GEOFFROY MONDE

SÉBASTIEN ESCANDE

NICOLAS PELLION

FLORENT TANET

Sébastien Escande est une des pépites de l'activisme culturel lyonnais. À l'origine de l'association Barbapop qui organise projections, festivals, salons et concerts, il vient de sortir via celleci un recueil de témoignages sur la vie des collectifs underground en France : Underground Business.

Certainement l’un des meilleurs connaisseurs du rap actuel, Nicolas Pellion participe à l’émission « La Sauce » sur OKLM, écrit pour l’Abcdrduson, Libération et Yard et a surtout créé son propre site Purebakingsoda, qui vient de fêter ses dix ans...

Ce directeur artistique parisien est ce genre de photographe qui mêle goulument son art aux autres champs qui le passionnent, le graphisme et la sculpture au premier chef.

L’auteur de De rien, Serge et demi-Serge et Tout ou rien excelle dans l'humour absurde. Mais comme tous les petits génies, il est capable de tout faire, comme le prouve sa toute dernière série de science-fiction, Poussière, dont les deux premiers tomes sont sortis chez Delcourt.

MANON RAUPP Férue de musique indépendante jouissive, Manon Raupp publie tout aussi indépendamment son fanzine Ductus Pop et envoie à la face de la musique les cassettes de son label Hidden Bay Records.

DELPHINE ZEHNDER Delphine Zehnder a eu la bonne idée de changer de carrière pour devenir libraire. Grande connaisseuse de la bande dessinée, elle file ses trucs et astuces à la Librairie L'Humeur Vagabonde et à nous également.


STAFF Directeur de la publication : Jérémie Martinez Direction Kiblind : Jérémie Martinez Jean Tourette  Gabriel Viry Team Kiblind  Magazine : Maxime Gueugneau & Marie-Camille Alban - Agathe Bruguière - Alix Hassler - Jérémie Martinez Elora Quittet - Justine Ravinet - Jean Tourette - Olivier Trias - Gabriel Viry Réviseur : Raphaël Lagier  Merci à : Matthieu Sandjivy Direction artistique :  KIBLIND Agence (www.kiblind.com)

INFOS Le magazine Kiblind est imprimé sur papier Fedrigoni Couverture : Symbol Freelife E/E49 Country 250g Papier intérieur : Arcoprint Milk 100g et Symbol Freelife Gloss 200g Typographies : Kiblind Magazine (Benoît Bodhuin) et Orphéon (Marine Stephan) Imprimeur  : Musumeci S.P.A. www.musumecispa.it Édité à 40 000 exemplaires par Kiblind Édition & Klar Communication. SARL au capital de 15 000 euros - 507 472 249 RCS Lyon . 27 rue Bouteille -  69001 Lyon 69 rue Armand Carrel - 75019 Paris  04 78 27 69 82  - www.kiblind.com  Le magazine est diffusé en France. www.kiblind.com. www.kiblind-store.com Ce numéro comprend un cahier supplémentaire de 16 pages pour la région Rhône-Alpes. ISSN : 1628-4146 Les textes ainsi que l’ensemble des publications n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Tous droits strictement réservés. THX CBS. Contact : redaction@kiblind.com


14 & 15 JUIN

VEN 28 JUIN

MAR 08 OCT

LA DISPUTE + MILK TEETH + PETROL GIRLS

15 ANS NEW NOISE

JESSICA93 YEAR OF NO LIGHT J.C SATÀN HANGMAN’S CHAIR VOX LOW WHITE HEAT FLÉAU BLACK BASS FESTIVAL DJ NEW NOISE DJ

CLINTON FEARON

VEN 11 OCT

JOHNNY MAFIA

MER 28 AOÛT

FIDLAR

• Club

SAM 12 OCT

THE SELECTER

MAR 03 SEPT

DUFF MCKAGAN

MER 19 JUIN

OUR LAST NIGHT

JEU 17 OCT

LUN 30 SEPT

AVERAGE WHITE BAND

Club

VEN 21 JUIN

AUTOMATIC WRITING DYED SOUNDOROM GAB JR. SECRET GUEST

MER 23 OCT

JEU 03 OCT

JON BELLION JEU 24 OCT

DAVE

HYPERBOLE DUSTY KID ROBERT BABICZ BEN BÖHMER

W

W

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THOMAS AZIER

Club

SAM 22 JUIN

W

PUPPETMASTAZ

L

PARC DE LA VILLETTE

SAM 05 OCT

DEAFHEAVEN + TOUCHÉ AMORÉ

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T

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A

B

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MER 06 NOV

LYSISTRATA

N

PARIS 19E

W29 W WEL VY . PARC L DE E LA T VILLETTE R A B E| N D O19E. N E| T PARIS

01 42 06 05 52

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Entrée

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IN THE MOOD Pochettes d'albums, couvertures, posters, etc. Voici tout ce qu’on a croisé de graphique et d'illustré ces trois derniers mois et qu'on mettrait bien dans notre salon. Disque

Small Mercies de Pixx (4AD) Artwork par Mikey Burey

Disque

Affiche

Soirée Temporisation à La Java Affiche par Ystn Orn

Rock Français par Décibelles (Deaf Rock Records) Artwork par Amina Bouajila

Affiche

Detonation Festival Artwork par Parade Studio

Roman

Un métro pour Samarra de Isabelle de Lassence Artwork par Léa Morichon


Affiche

Comics Festival Tioumen (Russie) Artwork par Lale Westvind

Disque

J.E. Sunde de J.E. Sunde (Vietnam label) Artwork par Raphaelle Macaron

Affiche

International Day Against Homophobia Helem x Samandal Comics Artwork par Joseph Kai

Disque

Seulaison de Accou (October Tone + AB Records) Artwork par Victoria Pachecho

Disque

Daily Ever Dawning de Bill Baird Artwork par Jaime Zuverza

Roman

Le Garçon Sauvage de Paolo Cognetti Artwork par Studio Frédéric Tacer

K7

The Ballroom Tape de Haunted Days Artwork par Anna Wanda Gogusey

Disque

Venganza de Caniche Macho Artwork par Mercedes Bellido


Entrée

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À L'ANCIENNE Pour remédier à notre ignorance, le galeriste, agent et éditeur Michel Lagarde nous plonge dans l'œuvre d'une légende des arts dessinés.

Imprimerie Draeger 1886, Charles Draeger pose la première pierre d’un édifice qui deviendra la plus belle imprimerie de l’édition publicitaire des années folles. En janvier 1920, l’imprimerie s’associe avec un publicitaire américain : l’agence Wallace et Draeger est née et donnera à l’édition publicitaire ses lettres de noblesses. Le « Procédé Draeger 301 » révolutionne l’imprimerie et permet de reproduire avec la plus grande fidélité les œuvres des meilleurs illustrateurs de l’époque. La collaboration avec la marque Nicolas donnera lieu à l’édition de merveilleuses publicités conçues par les graphistes Cassandre, Loupot, Charles Martin ou Iribe puis une série de catalogues réalisés par les peintres les plus fameux. L’imprimerie travaille aussi avec Matisse pour Jazz, un chef-d’œuvre absolu, devenu le livre le plus cher du XXe siècle. Sans oublier le catalogue fait avec Dali en mai 68 et qui donna lieu à une fête mémorable dans les locaux de l’imprimerie de Montrouge. Toutes ces histoires et bien d’autres sont répertoriées dans Les Pages d’or de l’édition, ouvrage magnifiquement imprimé et publié à compte d’auteur par Alain Draeger, l’un des descendants de la dynastie. Cette merveille et bien d’autres sont visibles régulièrement à la librairie-galerie Chrétien de Jean Izarn, au 178 rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris.


Le communiquĂŠ de Natacha Paschal

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Entrée

14

ARTISTE PAINT Harry Cature La caricature est à droite.

PULP MIXTIONS

Matthieu Chiara

Parfois, on aime se marrer des mésaventures de ceux qu’on appelle les vrais gens. On dirait que Matthieu Chiara aussi.


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EntrĂŠe

INSTANT INSTA

hellohellotheo

ivanlepays

helcovell

gameoffuckingthrones

coldcubepress

leoniboss

jonkoko

alicemeteignier

samharkham

Hey pssstt... ça se passe aussi par ici

_feii

chacknishi

@kiblind_magazine


Entrée

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LE KIKI BLUFF Un slogan publicitaire est une formule concise et accrocheuse qui a pour but d’être retenue (à tout jamais) par celui qui l’entend et susciter en lui de méchantes envies de consommation. Slogans cultes : « quand juvabien c'est juvamine », « mercurochrome, le pansement des héros », « c’est fort en chocolat », « on va fluncher ». Mais quelle est l’origine de ce terme ? 1 - Contraction progressive de « slow » et « have a gander » (= jeter un oeil), l’expression est née en Angleterre dans les années 30 : dans les vitrines, les commerçants affichaient un titre accrocheur pour inciter les passants à s’attarder sur leurs produits.

2 - La formule est un dérivé du celte, plus précisément du gaélique écossais, « sluagh-ghairm » signifiant littéralement « cri de foule », « cri de clan ».

3 - Jacques Séguéla, publicitaire connu de tous (souvenez vous de la Rolex), a inventé ce mot en souvenir de sa carrière de pharmacien, en référence au Sloganol, un médicament qui booste la mémoire.

(Bonne réponse : Réponse 2)

POINTS À RELIER

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Agathe Bruguière

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Entrée

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Geoffroy Monde

TUTO

JEU DES 7 ERREURS Théo Calméjan

JEU DES 7 ERREURS Théo Calméjan


Photo : Florent Tanet


Tour de France Tour de France Tour de France


intro pictos

Prenons la

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, le

,

ou la chaussure et partons. Partons à point, sans courir, car nous savons bien que cela ne sert à rien. Partons sereins, à la découverte de la familière étrangeté de ces paysages qui nous sont proches et lointains à la fois. On jette la on chausse ses

,

et on n'oublie

pas de bien observer ce qui se présente devant nous. C'est ce que nous avons demandé en tout cas aux illustrateurs : redécouvrir ces emblématiques des vacances


Tour de France

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françaises, leur redonner d'un coup de

, toute leur magie.

Mais comme trop de lyrisme tue le lyrisme, on n'a pas oublié de revenir sur le bitume et de reprendre par le menu, ce qui fait la baroude au jour le jour. Des cartes routières à la fourchette, des

de La Grande-Motte

aux bars-karaoké de nos campagnes, du

aux pompes à essence,

le tour de la

est aussi fait de ça.

La magie du voyage possède elle aussi ses trucs.



Interview

23

Née en 1985 dans la campagne finlandaise, et désormais installée à Londres où elle s’apprête à prendre un nouvel atelier avec ses amis fidèles, Annu s’est fait connaître en Angleterre lors du festival Pick Me Up et sur ce bon vieil lnstagram. Il faut dire que ses illus-

Annu Kilpeläinen, on the road again trations de voitures aux couleurs, cadrages et motifs incroyables transmettent une émotion comparable à cette vidéo de son compatriote Ari Vatanen domptant, l’année même de sa naissance, le fameux Pikes Peak au volant de sa Peugeot 405 T16. Frissons garantis.


Tu as l’habitude de voyager ? Ayant grandi à la campagne et mené une vie plutôt tranquille, j’ai principalement voyagé à l’intérieur de la Finlande, visité des parcs aquatiques, skié et visité d’autres petites villes avec mes parents. En famille, nous avons fait quelques voyages en Espagne dont je me souviens encore. C’était assez fou à l’é poque au niveau de l’ambiance. Puis, au milieu de mes études, j’ai compris que je voulais découvrir un peu plus que la Finlande et je suis parti à Londres pour étudier. J’ai vécu en Australie un an également et j’ai fait quelques pérégrinations à Portland, Los Angeles et Séoul où j’ai exposé mon travail. En général, j’e ssaie de voyager dans plusieurs endroits à la fois et de passer un peu plus de temps

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au même endroit pour pouvoir m’immerger dans la culture du pays et minimiser les déplacements en avion. Je suis super contente de pouvoir profiter de cette liberté de travailler n’importe où. J’adore les road trips avec des arrêts impromptus dans de petites villes prises au hasard. C’é tait le cas pour Portland-San Francisco-Los Angeles, où, sans aucun projet, nous nous sommes arrêtés dans des motels, observant des pêcheurs et prenant des bières avec des vieilles dames qui vivaient là. J’en profite à ce sujet pour évoquer la nécessité de changer notre façon de voyager pour lutter contre le changement climatique. Trains, bus, trajets en covoiturage… toutes les idées sont bonnes à prendre pour envisager le voyage de façon différente.

"J’adore les road trips avec des arrêts impromptus dans de petites villes prises au hasard. C’était le cas pour Portland-San Francisco-Los Angeles, où, sans aucun projet, nous nous sommes arrêtés dans des motels, observant des pêcheurs et prenant des bières avec des vieilles dames qui vivaient là."

Rally - Carpool

Interview


Fresh Air Untitle (Grey mirror)

Quel est ton parcours ? Je suis diplômée de UAL-LCC (Université des arts de Londres, London College of Communication) depuis 2010 et j’ai d’abord passé quelques années à enchaîner quelques emplois de freelance. J’ai ensuite accepté un travail d’illustrateur à temps plein dans la création de patterns pour différentes marques connues. Il m’a fallu plusieurs années pour construire réellement mon travail et développer mon style, et j’ai finalement opté pour la solution d’illustrateur freelance. J’ai été ensuite sélectionnée pour exposer mon travail au Festival Pick Me Up, à Londres. Depuis, ma vie professionnelle ressemble à des véritables montagnes russes faites de moments sans travail et d’autres où 24 heures ne suffisent pas dans une journée. J’ai travaillé assez longtemps chez moi, juste pour des raisons financières. Puis j’ai eu mon premier studio en Australie, car je pensais que c’était un bon moyen de rencontrer des gens (je ne connaissais qu’une personne lorsque j’ai déménagé à Melbourne). Et ça a fonctionné comme un rêve, j’ai adoré l’ambiance dans ce studio et tous les gens qui bossaient là-bas. Du coup, en arrivant à Londres, mes amis ayant un espace de bureau disponible, j’ai déménagé en studio avec eux. Nous sommes toujours ensemble avec cette super équipe : Hattie Steward, Lynnie Z, Sara Andreasson et Alice Hartley. C’est hyper important d’avoir un petit réseau de personnes proches pour échanger des idées, discuter des honoraires et aussi parfois parler de sa vie personnelle… Et puis travailler avec des clients par mail peut parfois devenir un peu ennuyeux.

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Ocean on the right

Annu Kilpeläinen


Daylight


Et ta passion pour les documentaires, c’est une autre façon de voyager ? Oui, je suis une grande fan des documentaires. Au début je mettais de la musique en fond pour bosser, mais je me suis rendu compte que ça m’isolait un peu trop et en plus, il était parfois difficile pour moi de ne pas perdre

la notion du temps. J’ai donc découvert que je pouvais mettre des documentaires en fond, et acquérir en même temps que je travaillais des connaissances sur des choses incroyables. Et puis quand tu lèves les yeux de temps en temps, ça peut devenir facilement une source d’inspiration. Je les regarde quand même souvent une seconde fois pour profiter vraiment des images et de la réalisation. Bombay Beach d’Alma Har’el est par exemple magnifique (j’y suis d’ailleurs passée lors de mon voyage). J’aime aussi beaucoup les documentaires ennuyeux sur des

personnes qui ont consacré leur vie à une passion singulière. Je pense par exemple à Un homme nommé Pearl qui parle d’un homme et de son jardin topiaire. Et à quelques documentaires sur Leonard Knight et la Salvation Mountain. Il existe également un documentaire cool sur le Dull Men’s Club (« club des gens sans intérêt »), intitulé Born To Be Mild, présentant des gens qui aiment les ronds-points ou les boîtes aux lettres… Il y a quelque chose de plaisant à voir que des personnes trouvent de la joie dans l’aspect banal des choses alors que le monde va à une vitesse folle.

Car2 - Fieldrally

Pourquoi cet amour des voitures ? Elles sont omniprésentes dans de nombreux travaux que tu as réalisés. Je me le demande moi-même… Je ne sais pas vraiment d’où ça vient… J’ai fait un fanzine sur le rallye quand j’ai commencé en tant que free, car j’avais une folle envie de dessiner des bolides dans des paysages désertiques. Il y avait beaucoup de rallyes à la télévision quand j’étais enfant, c’était la mode en Finlande (et je suppose que c’est toujours le cas) – bien que je n’en aie jamais vu en vrai. Le frère de mon copain passait tout son temps à réparer sa voiture et à installer des néons et des systèmes de sono puissants, et je me suis dit que ce serait très amusant si toutes les voitures avaient un peu plus de personnalité. Et puis, quand on vient de la campagne, l’idée de la voiture, c’est l’idée de la liberté et de la mobilité – le monde s’ouvre un peu plus à vous. À l’adolescence, il y avait trois bus par jour pour m’emmener en ville et quand j’ai eu mon permis de conduire, j’étais libre d’aller et venir (enfin, chaque fois que je pouvais emprunter la voiture de mes parents…). En tout cas, j’adore qu’on me contacte pour dessiner des voitures – pour n’importe quel type de travail d’ailleurs ! Si vous voulez un dessin de voiture, je suis la personne qu’il vous faut !

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In Tokyo

Annu Kilpeläinen


Interview

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Ton travail est aussi un voyage à travers différentes techniques, différents supports. Tu travailles beaucoup de Posca, mais tu aimes essayer de nouvelles choses, non ? Oui, j’adore voir mes dessins s’exprimer sur plein de supports différents. J’aimerais faire beaucoup plus de collaborations et voir mes imprimés sur des textiles, des assiettes, des chaussures ou des tableaux, n’importe quoi en fait.… Ça donne une nouvelle vie aux dessins, ça les rend accessibles à plein des gens, c’est assez génial. Mais évidemment, dans le calme de mon studio, la plupart du temps, je m’assieds à mon bureau et dessine avec mes Posca, mes Molotow ou mes pinceaux acryliques, parfois avec un iPad. Mais c’est excitant de tester de nouvelles techniques et de nouveaux matériaux. Je suis en ce moment en train de faire des tests de céramique et je travaille également sur des collaborations vestimentaires, j’ai hâte de voir ce qui va se passer.

Project0 Surfboard

Quels sont les projets qui t’ont marquée ? C’est vraiment difficile de dire lesquels sont les plus importants… Les expositions ont toujours une saveur particulière. Après avoir travaillé seule pendant quelques mois, c’est assez surréaliste d’ouvrir les portes à la vue de tous. J’ai

Sunrise

" Il y a quelque chose de plaisant à voir que des personnes trouvent de la joie dans l’aspect banal des choses alors que le monde va à une vitesse folle.."


Annu Kilpeläinen

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Et une prochaine aventure excitante ? Je viens de terminer un nouveau fanzine (qui devrait sortir dans quelques jours !). C’est une suite du fanzine Rallye que j’avais édité à mes débuts. J’avais la sensation qu’il était temps de revenir à quelque chose comme ça ! Maintenant, je travaille sur des collaborations (en textile) et sur de la céramique. J’ai également activement recherché des personnes avec lesquelles tester des idées. Je suis super ouverte à l’application de mes illustrations à divers supports, alors ma grande envie pour les temps prochains, c’est de développer et de multiplier les collaborations.

Rally 2U

peint une voiture en Finlande il y a quelques années, c’était super. Et les travaux de commande pour des clients, c’est souvent excitant : pour moi qui viens d’un petit village de campagne, voir mes créations sur les emballages HäagenDazs dans les magasins, c’est assez dingue.

Interview :   Jérémie Martinez Photogaphie : Kris Small (Annu & Micke Lindeberg au Japon) Illustrations : Annu Kilpeläinen

You'll Dream

Quel serait l’album du parfait road trip ? Le lecteur CD de la voiture de mes amis avec laquelle nous avons voyagé était bloqué avec un CD coincé à l’intérieur, c’était Tame Impala, Currents. Nous avons pas mal écouté cet album, du coup… Ça me ramène à la sensation du soleil qui te frappe le visage depuis une fenêtre ouverte. C’est un album tellement parfait que je dois admettre que je conserve un souvenir ému de cette VW Polo.


Créations originales Créations originales Créations originales Créations originales


ClĂŠment Vuillier | Pic du midi


Ana Popescu | Le Havre


Caroline Laguerre | Strasbourg


Clémence Pollet | Guéthary


Alexandre ClĂŠrisse | Viaduc de Millau


Elise Enjalbert | La Dune du Pilat


Grace Helmer | Paris


Julia Spiers | ÃŽle d'Yeu


Maaike Canne | La Grande-Motte


MickaĂŤl Jourdan | Les Baux de Provence


Morgane Fadanelli | Vignes bourguignonnes


Popy Matigot | Marseille


Sally Deng | Mont-Saint-Michel


Sergiy Maidukov | Les Jardins de Villandry


Thomas Hayman | Nice


Tom Vaillant | Calais


Créations originales Créations originales Créations originales Créations originales


Discussion

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Tournée générale

Partir tous les trois mois avec tes meilleures potes pendant 15 jours, écouter Alizée ou Taulard en chantant à tue-tête, rencontrer mille personnes, rire, pleurer et même t’engueuler avec elles, c’est la meilleure cure.


Leslie Chanel

Partir en tournée est un des trucs que je préfère, parce que je n’ai pas le rôle relou, celui de les organiser. C’est Morgane qui s’en occupe, merci Morgane. Vivre une tournée c’est merveilleux, l’organiser c’est autre chose, ça demande d’envoyer tellement de mails, qui restent parfois sans réponses, de croiser les doigts pour que l’itinéraire que tu t’es imaginé marche et que tu ne te retrouves pas avec des 8 heures de voiture par jour, rien que de l’écrire ça me fatigue. La première que j’ai faite, je n’étais pas encore dans un groupe. C’était une tournée Abrecords, le petit label que nous avons avec Antoine (Sierra Manhattan, Bermudaa, Bravo Tounky). Il y avait Mont Analogue, Popertelli, Bermudaa, Maramé et moi. J’avais une caméra mini-DV et j’ai filmé, on en a fait un film avec Antoine qui s’appelle Adventour Time, que tu peux trouver sur YouTube. À l’époque ça ne m’était même pas venu à l’idée que je puisse moi aussi faire de la musique, j’étais l’accompagnatrice, la meuf au merch, ou encore la manageuse pour les lieux parisiens où tu es obligée d’avoir une étiquette pour pouvoir manger, et surtout la plupart des gens pensaient que j’étais la petite amie de l’un ou l’autre des gars. En gros à cette époque, je pensais que la musique c’était pour les garçons, d’autant plus la musique électronique (maintenant j’ai compris vos trucs de carrés de couleurs et de milliers de samples, bande de chenapans). C’est beaucoup plus tard que je suis vraiment partie en tournée avec MON groupe, Tôle Froide. (Merci Pauline de nous avoir motivées et

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de nous avoir montré qu’on pouvait monter un groupe nous aussi.) Comme Morgane organise depuis longtemps des concerts, on avait déjà pas mal de contacts. Celleux que tu as fait jouer un jour, te feront jouer à leur tour. Tu en profites pour passer faire un bisou à la famille Indian Redhead éparpillée un peu partout, tu rencontres les ami.e.s d’ami.e.s qui deviennent tes ami.e.s pour la vie, comme Michelle de Belmont Witch et Rose Mercie, ou encore les copines de Tibia. Tu t’embrouilles avec Charles du Turc Mécanique à la sortie d’un concert, et un an plus tard ça devient un de tes labels. Tu te rends compte qu’au bout de 3 ans tu t’es formé un crew de meufs superbeau partout en France, qui vivent les mêmes remarques sexistes, les mêmes compliments pourris du genre : « Pas mal, je m’attendais pas à ça pour un groupe de filles » ou autres réflexions sur le physique et conseils avisés sur les manières de jouer. On en fera un autre article dans le fanzine Fond de Caisse, je pense. À chaque fois le premier jour, on est hyper-consciencieuses, on se fait un Tetris parfait dans le coffre, un petit panier de courses mignon pour les pique-niques. Mais au bout de trois jours tu fermes la porte du coffre en tapant dessus et en rageant « pourquoi ça rentraaaaait et plus maintenant ». L’habitacle de la voiture pue le fromage perdu quelque part entre deux sièges sous des chaussettes sales. Cette voiture pendant 15 jours c’est ta maison, et elle te ressemble, elle fatigue et pue de plus en plus, elle a un peu la gueule de bois aussi, quand elle ne tombe pas en panne parce que tu n’as pas mis la bonne essence.

"Cette voiture pendant 15 jours c’est ta maison, et elle te ressemble, elle fatigue et pue de plus en plus"


Leslie Chanel

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Les moments préférés Le jeu de la vie En tournée, on a un jeu. Vingt minutes avant d’arriver à la salle quelqu’un.e doit raconter sa vie de sa naissance à aujourd’hui. C’est assez drôle parce que ça force la personne à sélectionner ses souvenirs. On a donc appris qu’Amédée de Balladur est l’enfant de Lucifer et Avventur une vraie fleur bleue. Ok il suffit d’écouter leur musique pour le savoir.

QLF

Ce véhicule sera ta maison, les aires d’autoroute, les snacks et les PMU seront tes jardins. Au bout de 3 heures de route tu n’as qu’une hâte : pouvoir aller batifoler au milieu des Flunch et autres enseignes, boire l’excellent café des machines et faire tes besoins dans des box alignés à quelques centimètres des autres usager.e.s. J’ai d’ailleurs développé une fascination pour l’architecture des toilettes publiques des aires, j’ai trouvé quelques blogs à ce sujet, mais jamais de livre. Qui en sont les architectes ? Je me dis que comme j’ai la chance d’en visiter souvent, c’est peut-être à moi de faire ce livre ? En vrai, dès que c’e st possible on prend la nationale, c’est moins cher et c’est plus joli. J’ai pas spécialement la mémoire des lieux, c’est dommage parce qu’on en a parcouru des kilomètres en trois ans, on a une super empreinte carbone... Thibaut (Tg Gondard, Colombey), lui, retient tout ce qu’il voit, il a toujours une histoire sur un patelin où il y aurait le plus de dos-d’âne de France.

Il essaie d’acheter tous les blasons autocollants qu’il trouve beaux, il a une belle collection et c’est un bon moyen de garder une trace. Quel malinou ce Tg ! La chose assez belle avec les tournées, c’est que ça te redonne espoir. Parce que malgré tout, c’est un peu de l’entre-soi, ça arrive de débarquer dans des lieux où tu te demandes ce que tu fous là, soit parce que c’est une salle hyper pro où tu te sens un peu hors sol, soit parce que c’est un lieu de gros gars virils que tu as envie d’emplâtrer. Mais la plupart du temps tu te retrouves dans des lieux magiques, des habitats collectifs, des bars militants, des lieux occupés. Tu rencontres de la bienveillance, tu reviens avec des réflexions nouvelles, des tisanes de sorcières, des débats toute la nuit. Ton cœur se brise quand tu t’en vas, les larmes montent dans la voiture et tu te dis « on n’est pas folles, on n’est pas seules, on existe partout, tout le temps » et ça fait du bien de savoir qu’on est nombreux.ses, qu’il y a de la famille en tout lieu, qu’on est lié.e, qu’on ne se lâche pas et qu’on a raison. Texte : Leslie Chanel Images : Kiblind

Cette année, on s’est tou.te.s retrouvé.e.s au milieu de nos tournées avec Sierra Manhattan, Balladur, Colombey et Rivière de Corps. Organisé par les copains du label Fougère. C’était beau, le son était bon, la bière était bonne, la salle était si grande que tout le monde est parti en transe sur la musique de Balladur et on a pu faire une photo de famille.

Les decks Au début, on se faisait toujours arrêter. Un jour, où on tournait avec l’ami Tg Gondard, il nous a dit que si on arrêtait de les regarder à chaque fois qu’on passait à côté d’eux, peutêtre qu’ils arrêteraient de nous contrôler. Eh oui tout simplement, en toute simplicité.

La belle vie En Suisse, on avait des jours off, les potes de Chien Mon Ami nous ont logées, on les connaissait à peine et ielles nous ont laissé entrer dans leur intimité (merci à l’infini). Au bout de 48 heures, en plein repas, le fils de Tenko nous dit : « Mais votre métier à vous c’est quoi ? C’est de squatter chez les gens ? » Eh ouais mon p’tit pote !

BFF Dès qu’on le peut, on va jouer à Villefranchede-Rouergue, c’est Igor de Tomaturj qui nous accueille, il a toujours de nouvelles VHS, des housses de couette à motifs de moto, il parle aux gens dans la rue et invente des histoires. La tradition, c’est d’aller acheter un aligot, d’enfiler une casquette Walibi et de se raconter des blagues.

OK Karaoké Lors d’une tournée, on voulait absolument faire des karaokés. Quel que soit le lieu, l’ambiance, tout le monde déteste la police mais tout le monde adore le karaoké. On s’est même fait virer, avec les copines de Areva et Saintes, d’un bar karaoké. On est désolées d’avoir cassé les verres et trop crié en vrai.


Rétrographie

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BISON FUTÉ

ou l’itinéraire Bis de la mascotte des routes de France

1 - Première affiche de Bison Futé (été 1976)


On raconte souvent avec beaucoup de sagesse que le plus important ce n’est pas l’arrivée, mais le chemin. Une image pleine de symbolisme, qui enseigne que la Vérité ne se trouve pas comme on le pense au terme du voyage, mais qu’elle se dévoile et se manifeste au contraire à travers les expériences du parcours. L’importance du présent, la densité du vécu, la chaine des actions et de leurs conséquences qui constitueront finalement, une fois arrivé au bout, l’histoire entière d’une vie passée… Mais admettons-le quand même : quand on se retrouve coincé pendant des plombes dans les embouteillages, sans possibilité de s’échapper ni devant ni derrière et avec la clim en panne, le chemin, la route, la Vérité et la philosophie, on n’y pense plus des masses. À la rigueur pour apprécier le paysage dans une mise en rapport avec l’esthétique kantienne. Mais c’est quand même très rare. Surtout sur l’autoroute. C’est pourquoi la sagesse populaire passablement irritée a décidé de faire un pas de côté vers le chamanisme amérindien, en plaçant tous ses espoirs entre les mains d’un chef qui lui apporterait la sérénité dans ses déplacements routiers : Bison Futé (1).

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Tout cela parait très loin, mais en réalité pas tant que ça. Car si les premières voitures ont vu le jour à la fin du XIXe, c’est seulement dans les années 50 que la voiture personnelle se démocratise. Beaucoup de Français s'équipent d'une automobile, notamment dans la capitale, et les familles prennent l'habitude de quitter Paris en voiture le week-end. D’où des retours difficiles le dimanche soir, marqués par l'apparition des premiers encombrements récurrents. Et quelques années plus tard, on ne compte plus les véhicules mais les milliers d’heures perdues dans les embouteillages. Bref, gérer le trafic devient de plus en plus difficile.

C’est pourquoi un partenariat assez malin s’installe entre la Gendarmerie Nationale et France Inter, à travers la mise en place de « points routes » réguliers, diffusés les soirs de weekends, pour avertir les conducteurs des difficultés routières sur la région parisienne. Et ça fonctionne tellement bien que le dispositif s’étend rapidement à l’ensemble du territoire, avec l’instauration du « PC de Rosny » piloté par la Gendarmerie, qui prendra vite une dimension interministérielle en mutualisant les moyens en matière de sécurité et de prévention routière, et deviendra le CNIR, véritable vigie qui veille sur la situation des routes du pays.

2 - Totem de bord de route (1976)

Rétrographie

« Bison Futé », c’est le nom plus sympathique et imagé du CNIR (Centre National d’Information Routière), créé en 1968 à Rosny-sous-Bois, dont la mission principale était d’informer les automobilistes en continu sur la circulation et d’établir des prévisions, notamment aux périodes de vacances et de grands weekends.

3 - Film publicitaire (1976)

La Préhistoire


Bison futé

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5- Campagne Bison Futé 1977 (Archives AFP)

4- Carte de France Bison Futé (1979)

Mais ces beaux efforts ne seront pas suffisants. Le 2 août 1975, jour de canicule, des milliers de vacanciers ont la bonne idée de prendre en même temps la route du Sud de la France. Résultat : 60 000 véhicules se retrouvent bloqués simultanément et on enregistre un record de 600 kms de bouchons cumulés. La RN 10, qui relie Paris à la frontière espagnole près de Bayonne, est saturée sur un quart de sa longueur. C’e st l’e nfer : il y a des accidents et surtout de gros pétages de plombs. Le lendemain, l’é pisode fait la Une des principaux titres de presse, avec des mots comme « insupportable », « kafkaïen », « absurde ». Si bien que la pression remonte au sommet de l’État, pour qu’il prenne les mesures drastiques d’un « plus jamais ça ». Quelques semaines plus tard, Jean Poulit, ingénieur des Ponts et Chaussées, est désigné pour prendre la direction du service de l’Exploitation routière et de la Sécurité, avec une mission très simple : trouver une solution et la mettre en place avant le 31 juillet 1976. Et il n’y en a pas 36, il faut simplement éviter que tout le monde soit au même moment au même endroit… Pour réussir, il constitue une petite équipe qu’il organise autour de trois axes : d’abord, sonder les usagers et les inciter à décaler leur départ pour étaler la masse des déplacements dans le temps ; puis développer le nombre d’itinéraires Bis, pour diluer le trafic routier dans l’e space ; et enfin, informer convenablement et en continu les automobilistes de la situation. C’e st ici que Bison Futé entre en jeu.

Maria, la mythique femme-robot de Metropolis, imaginée par Fritz Lang en 1927.

Les nerfs à vif

« Dans quelques jours, entre Tours et l’Espagne, il y aura beaucoup de visages pâles et beaucoup de crises de nerf. Mais moi, Bison Futé, je serai là ! Je partirai en éclaireur et – astuce ! – je vous indiquerai au bon moment les pistes les moins encombrées. Alors ouvrez l’œil et suivez mes flèches vertes dès que vous les voyez. Suivez les flèches de Bison Futé et préservez vos nerfs ! » (message radio, 1976).


Animal-Totem La tâche est rude. Car parvenir à convaincre les usagers de prendre des itinéraires Bis ou de changer leurs habitudes au moment des départs tant attendus relève de l’exploit. Et surtout, d’une bonne communication ! L’équipe de Jean Poulit va alors se tourner du côté des publicitaires pour concevoir le bon message et imaginer une figure sympathique, souriante et rassurante pour le véhiculer : une mascotte. Le premier tour de table créatif s’oriente clairement du côté d’un animal. On propose « Thimotée », un oiseau qui peut survoler le trafic et voir très loin grâce à de grosses jumelles, puis « Ginette », la girafe au long cou qui domine la situation, ou encore un dauphin pour son intelligence ou un lapin pour sa vélocité (et aussi parce que c’est mignon un lapin quand même). « Super-Gertrude » a également été évoqué, en référence à l’ordinateur du centre routier de Bordeaux. Mais c’est finalement « Bison Futé » qui va être retenu, grâce à l’imagination du publiciste Daniel Robert (à qui l’on doit également les célèbres campagnes de prévention « Un verre ça va, trois verres, bonjour les dégâts ! » ou encore « Tu t’es vu quand t’as bu ? »). Pourquoi pas ? Après tout, l’image d’Épinal de l’Indien d’Amérique le présente comme un pisteur hors pair, rusé, un vrai débrouillard doté d’un excellent sens de l’orientation. C’est aussi un grand communicant : il peut prévenir et informer à distance les membres de sa tribu, en envoyant des signaux de fumée par exemple, ou grâce à son tam-tam en peau de bison. De plus, l’Indien est une figure positive qui plaît aux enfants ; et quand on sait le pouvoir

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de persuasion à l’usure et les capacités anxiogènes dont regorgent ces petits êtres dans une voiture, le choix est vraiment malin. Restait à lui trouver un nomen sur le modèle chamanique ancestral, qui consiste à associer un animal et une qualité. La figure du bison, vénérée par les Indiens pour sa nature pacifique, déterminée et sociale, qui se déplace sur de longues distances en troupeau, semblait couler de source ; quand à sa qualité, disons que ça aurait bien moins marché avec une compétence opposée…

Icône des vacances Lorsque le soleil se lève enfin sur la journée autant attendue que redoutée du 31 juillet 1976, les automobilistes font la rencontre d’une nouvelle icône, qui les accompagne à présent depuis plus de quarante ans. Bison Futé est sur toutes les routes : en taille réelle (2), à la radio et à la télé (3) qui relaient ses fameux conseils, et surtout entre les mains des vacanciers : 600 000 cartes routières (4) ont été imprimées par le Ministère des Transports, pour décrire de façon claire 3 500 kms d’itinéraire Bis en service et donner

6 - Calendriers

Rétrographie


Texte : Jean Tourette Images : Bison Futé

9 - Mascotte 2006

Bison Futé devint ainsi l’emblème de l’Information routière en temps réel (5). On écoute ses prévisions et on regarde les couleurs : vert, orange, rouge et noir, qui teintent les jours sur un calendrier devenu annuel (6). Tout le monde l’aime bien et on le voit partout (7), ce qui lui permet d’entrer rapidement et durablement au panthéon des mascottes françaises les plus populaires. En 1990, son apparence change. Le style BD franco-belge laisse la place à un personnage simplifié par l’air du temps (8), mais qui n’en est pas moins agréable. Davantage en tout cas que son succédané de 2006, qui prit malgré lui et comme tant d’autres mascottes de plein fouet le virage « 3D » du millénaire, soidisant pour incarner la modernité et la diversité d’un monde qui se numérise (9). Entre temps, le monde s’est tellement numérisé, justement, que le partenariat interministériel à l'origine du CNIR prend fin. Depuis 2016 en effet, Bison Futé n’évolue plus que sur l’internet et sur appli,

aux côtés des Coyotte ou des Waze, qui ont sacrément tendance à lui voler la vedette. Mais c’est pourtant certain : l’esprit du Bison planera toujours, et plus que tout autre, sur nos belles routes nationales.

7 - Code Bison Futé

la position de 18 aires d’accueil spécialement aménagées à proximité des points sensibles estimés. Les quotidiens nationaux et régionaux sont également sur le pied de guerre avec l’opération « L’Heure H » : des graphiques ont été publiés dans les colonnes, identifiant les heures de départ déconseillées variant d’une région à l’autre. Ce jour-là, rien n’a été laissé au hasard et les chiffres parlent d’euxmêmes : une réduction de 73% du nombre d’heures perdues, 50% d’encombrement en moins, un automobiliste sur quatre qui suit les conseils de Bison Futé. C’est un succès complet, qui rejaillit intégralement et publiquement sur le chef indien.

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8 - Mascotte 1990

Bison futé


Interlude

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Les Miscellanées du Camping Comme tout le monde connaît la définition du camping, voici celle des miscellanées : c'est un recueil d'informations diverses de science et de littérature sur un sujet plus ou moins donné. Ici, on vous le donne : l'univers merveilleux du camping dont les Français sont les rois. Du municipal aux étoilés, il y en aura toujours un sur le chemin.

LANGUEDOCROUSSILLON

LA VENDÉE 1er département pour le nombre d’emplacements de campings (355 en 2018)

Première région d’accueil des campeurs, avec 19,3 millions de nuitées/an

2,5 MILLIARDS D’EUROS

7 937 campings aménagés en France en 2019 Soit 893 305 emplacements

chiffre d’affaires du secteur de l’hôtellerie de plein air en 2016

POINT HISTOIRE Dans la bataille d’ego qui oppose François Ier et le roi d’Angleterre Henri VIII, le Français sort vainqueur en érigeant le « camp du drap d’or », une tente culminant à plusieurs dizaines de mètres de haut.

XVIE SIÈCLE EMPIRE ROMAIN

DÉBUT XXE

Les soldats vivent sur des « campus » dans des tentes latines aussi appelées « pagans ». Oui, les mêmes que dans Astérix.

Le camping est réservé aux hommes de la bourgeoisie qui pratiquent des sports dans la nature (rando, canoë).

* Source : Fédération des campeurs

Abderrahman El Elaammari, chef prototypiste chez Decathlon, invente la tente « 2 secondes ».

Le scoutisme se développe, formant la jeunesse en plein air.

ENTREDEUXGUERRES

1997 1936 Les congés payés marquent la démocratisation du camping en famille.


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Illustration : Agathe Bruguière Texte : Marie-Camille Alban & Alix Hassler

LE CAMPING ET VOUS QUAND ON VOUS DIT

VOUS PENSEZ À... (ENTOUREZ VOTRE RÉPONSE)

Quechua

Une langue parlée au Pérou

Votre marque préférée

Sardine

Une boîte, de l’huile, et un bon moment à passer

Un indispensable sur lequel il ne faut pas buter

Gourde

Une personne niaise et maladroite

Le salut sous le cagnard

2 secondes

Un laps de temps très court

Une révolution

Les boules

L’expression de la peur ou du dégoût

Une tradition qui devrait être inscrite à l’Unesco

Gamelle

Le fait de se casser la binette

Un récipient en métal

Sac à viande

Quoi ?

La version summer du sac de couchage

Maillot

De foot

De bain

Serpentin

L’accessoire des meilleures fêtes de famille

L’alternative à la tapette à mouches

Sauvage

Une bête féroce

Une pratique controversée

Le duvet

Un mauvais souvenir d’adolescence

Une nuit douillette

La bâche

Une remarque désagréable

Une protection entre vous et le sol

RESULTATS On ne vous demande pas où on vous trouvera cet été, rendez-vous, comme tous les ans, à l’emplacement D12.

Vous n’êtes pas un campeur-né, mais si le cœur vous en dit, apéro à 18h à l’emplacement D12.

Avez-vous plus de BLEU ou plus de ROUGE ?


Discussion

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Demi-Tour de France x Kiblind Spécial Tour de France - juin 2019

Demi-Tour de France est un duo d’artistes formé par Marie Bouthier et Anouck Lemarquis. Toutes deux héritières de la Mission photographique de la Datar, fascinées par les paysages de routes nationales, elles arpentent les irrégularités du territoire français depuis 2013 et tentent de donner un regard romantique au territoire qu’elles parcourent. Naît alors le projet Demi-Tour de France, une traversée dans le quotidien des périphéries urbaines, des marges de la ville, à la recherche des anomalies auxquelles plus personne ne prête attention.


Demi-Tour en France

Depuis 2013, nous sillonnons l’Hexagone à bord d’une Opel Zafira que nous avons rebaptisé « Le Zafiro », troisième élément à part entière de notre collectif. Toutes nos aventures se déroulent au sein de son habitacle et avec lui nous avons parcouru plus de 50 000 kilomètres depuis toutes ces années : de haut en bas, de gauche à droite, en diagonale, longeant aussi bien la côte méditerranéenne que la côte atlantique, la plupart du temps sur les routes départementales ou nationales – l’autoroute ne laissant que peu de temps au temps. Demi-Tour de France est une forme d’errance au sein du paysage, des paysages, où la photographie n’est pas forcément la finalité, mais plutôt un prétexte. Un prétexte à partir, à découvrir dans une forme d’espace-temps bien particulière. Nous pourrions presque parler de « photographie performative », en ce sens que chaque voyage devient une performance où le résultat final importe peu.

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Sans jamais vouloir être dans une forme d’inventaire – ou alors un inventaire à la Prévert – ou de relevé précis du territoire, nous guidons notre voyage au fil des rencontres et des récits. Sans but défini, nous partons avec nos guides et nos cartes routières. Ici point de trajet sur le GPS ou de destination finale, un premier départ en entraîne toujours un autre. Les routes nationales défilent ainsi au son de l’autoradio, entrecoupées de pauses dans des restaurants routiers ou autres cafés de bord de routes où les langues se délient pour raconter leurs histoires. La France que beaucoup diraient « d’à côté » – mais à côté de quoi, me direzvous – commence à se livrer. Des zones périphériques des grandes villes aux zones rurales en passant par des vides s’étendant à perte de vue, il n’y a jamais à proprement parler d’« à côté » car chaque territoire aura son mot à dire.

Petit à petit un travail de séries photographiques a commencé à se constituer dont voici quelques exemples : Les ruines modernes, la Mythologie des pavillons, La topologie du vernaculaire, Un Samedi soir sur la terre, Carnet de campagne, Romance, L’Île mystérieuse, Americana, La Fête en plus... Chaque série raconte à sa manière tous ces paysages traversés. Il est ainsi toujours quelque part question de paysage non pas grandiose mais banal, d’architecture passée ou atypique, de typicité et de spécialités régionales, de fêtes oubliées, de folklore et de légende, de lumière, le tout avec un brin de nostalgie et d’absurde, évoquant des temporalités bien loin de la frénésie de la ville. Les vestiges de boîte de nuit en bord de route évoquant des nuits sans fin croisent ainsi les salles des fêtes municipales aux abords des villages ou de vieilles bâtisses oubliées tombant en ruines. Toutefois, il n’est pas ici question de pleurer et de sublimer cette France d’avant, comme le ferait peutêtre Raymond Depardon, non il est juste question de la mettre en évidence avec notre propre regard un poil plus romantique.


Demi-Tour en France

Ainsi, quand notre regard croise quelque chose que nous voulons prendre en photo, tout simplement nous faisons « demi-tour ». À cette dérive sur les routes de France se mêlent les histoires de voyage, celles de ce « road trip » sans début ni fin : les pannes de voiture en pleine nuit au milieu des départementales, les belles (et moins belles) rencontres, le soulagement de trouver un hôtel au milieu de la nuit, les églises où nous allons brûler un cierge pour demander à la vierge Marie de nous guider sur les routes, les fêtes votives et autres bals l’été, le rituel de l’Amigo au PMU, les sandwichs triangles des stationsservice… Tout ceci constitue ce qui semble être un voyage pouvant durer toute une vie. Certaines régions ont ainsi marqué nos mémoires, certains voyages seront gravés à jamais en nous ou encore certaines villes comme Le Mans, première ville où nous nous sommes rendues en 2013, aujourd’hui lieu de pèlerinage où nous nous rendons chaque année comme un hommage à nos débuts sur les routes. Mais aussi la RN20, la RN10 ou encore la RN7 si souvent empruntées, ce premier voyage reliant Paris aux Vosges jusqu’à Marseille finissant par les Pyrénées, ou encore la traversée de la diagonale du vide en plein hiver. Chaque voyage pourrait se refaire à l’infini car chaque voyage offrira toujours son lot de rencontres, d’histoires et de photographies, comme le Tour de France donnant chaque année sa chance aux Alpes ou aux Pyrénées. La diversité des paysages traversés permet de ne jamais finir ce périple un jour entrepris.

Texte et images : Demi-Tour de France

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Les ruines modernes Les « Ruines modernes » sont souvent des architectures oubliées, vieillissantes, délaissées, croisées sur le territoire mais qui possèdent en elles une dimension quelque peu mélancolique et romantique. Des lieux où l’on imagine ce qui a été mais qui n’est plus. Bien souvent la nature a commencé à reprendre ses droits, comme ici, où la végétation s’est emparée de cet ancien centre de vacances à Oléron (17).

Salle défaite La série « Salle défaite » explore une forme d’esthétique qui puise son imaginaire dans les architectures vernaculaires de salles des fêtes, maisons pour tous et discothèques de bord de route. Celle-ci – prise à Longny-au-Perche (61), non loin de « Bizou » – est un hommage à ces « lieux associatifs pour les jeunes » comme le chantait Cobra... un certain spleen de la jeunesse ensemble.

La mythologie des pavillons Une plongée dans l’architecture standardisée des pavillons, une réflexion sur la notion de périurbain, un hommage au parpaing, aux piscines hors sol, aux paraboles et aux trampolines. Avec le temps, ces pavillons ont dévoilé leur propre langage entre mythologie et promesse d’un monde « meilleur » comme le nom de ce nouveau lotissement à venir, « Fraternité », proche de Rochefort en Charente-Maritime (17).

Le Turfu Le futur est une vision du présent qui n’existe pas. Le Turfu est le fruit d’une allégorie de l’obsolescence programmée. La série Turfu accueille dans son corpus d’images des fragments de ce futur devenu caduc, à l’image de toutes ces cabines téléphoniques aujourd’hui devenues obsolètes, en voie de disparition et laissées pour compte sur le bord de la route, souvenir d’une époque où la communication était peutêtre plus aisée.

Un samedi soir sur la Terre Un jour, un samedi soir sur la Terre, après une longue route sinueuse, un bal populaire dans un petit village du Lot-et-Garonne : Tournon-d’Agenais (47). Il s’agit du « Bal de la Rose », fête traditionnelle qui élit chaque année la « plus belle fille du village ». Celle-ci devra alors se marier dans l’année, comme un rituel de passage à l’âge adulte. Cette tradition perdure mais les jeunes filles de 16 ans ne se marieront probablement pas dans l’année.

Le Zafiro Le « Zafiro » est le troisième membre de DemiTour de France : une Opel Zafira de 1998 qui nous accompagne depuis les débuts du projet. Véritable compagnon de galère et d’aventures, il aura tout vu : les pneus à changer au milieu des champs, les pannes sur l’autoroute, etc., mais il est toujours là et nous le remercions chaleureusement de continuer à nous suivre pour le pire et le meilleur.

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Enquête

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Pâté route

Dans le ventre de la France, Châteauroux a créé deux fameux intestins en trois dimensions : Gérard Depardieu et L’Escale Village, le plus grand routier du territoire au bord de l’A20. Visite guidée avec le maître des lieux qui a autant les mains dans le beurre que la tête un peu ailleurs...


Enquête

Parfois, c’est vrai, la vie est mal faite. Pour rejoindre L’Escale Village en bordure de l’autoroute A20, près de Châteauroux, nous comptions bien sur WeTruck, le service de covoiturage en camion. Mais la start-up française a récemment cessé son activité, ce qui implique de prendre le train, un Ouibus puis ses pieds pour traverser un bout de la France et échouer dans une sorte de no man’s land plein d’asphalte où trônent les Buffalo, McDonald’s, La Pataterie et consorts. Pour atteindre notre point de chute, il suffit de suivre les poids-lourds qui rôdent, en masse, dans le secteur. L’Escale flotte à l’horizon avec ses larges enseignes en hauteur, visibles de loin, comme dans un décor de film américain au milieu de nulle part. Fondé en 1952, le petit restaurant routier s’est longtemps nourri des États-Unis qui y avaient installé, après-guerre, leur plus grande base aérienne française de l’autre côté de la route. Plus de 7 000 ressortissants ont vécu autour, convoyant une certaine culture étoilée à base de hamburgers, de beurre de cacahuète, de

bowlings ou de cigarettes blondes dont les rejetons du coin, comme le petit Depardieu, assuraient le trafic. Les Américains ont filé en 1967 mais L’Escale a grandi sans s’arrêter pour devenir un véritable « village » et le plus grand routier de France parmi le millier d’établissements accueillant, encore aujourd’hui, les chauffeurs de poids lourds. Depuis 2006, Dominique Thomas et sa femme Isabelle en sont les charmants propriétaires. Avec sa cravate impeccable et ses petits airs de Benoît Poelvoorde, lui donnerait le tournis à quiconque tenterait de le suivre, à cette heure de pointe, entre les cuisines en folie et les différentes salles de l’établissement. « Le bar correspond à l’espace historique, réservé aux routiers. Nous avons aussi un côté brasserie, un restaurant plus spacieux et plusieurs salles de réception à l’étage pour les entreprises, les fêtes de famille ou les mariages. On est ouvert 24/24, sauf 3 heures de fermeture de nuit, le lundi et le mardi. Au total, ça fait entre 500 et 800 couverts chaque jour, dont 250 pour les chauffeurs. »

"Le parking est payant car on n’est pas non plus une aire de camions. C’est aussi le cynisme de la profession : certains chauffeurs y stationnent mais ne mangent pas à L’Escale, car ils se font rembourser le parking, où la marchandise est en sécurité, mais pas le restaurant ! "


Pâté route

Certes, nous ne sommes pas Paris Match, qui prépare également un tour de France et fera escale demain, mais le patron a prévenu toute son équipe pour nous guider avec une des spécialités maison : la gentillesse. Tony, l’un des deux responsables de l’approvisionnement, nous attend dans l’arrière-cour où s’agglomèrent les chambres froides, les uniformes de poissonniers et « son » épicerie, grande comme un magasin de quartier, où le stock gargantuesque sera épuisé en moins de deux semaines. « On écoule plus de 700 kilos de bœuf chaque semaine, 3 600 œufs en moyenne et aussi beaucoup de poisson ; L’Escale est notamment réputée pour ses fruits de mer qu’on fait venir directement des ports de l’Ouest, comme celui de La Rochelle. » Quoi qu’il fasse, l’établissement garantit une bonne cuisine française, entièrement maison, qui a toujours mis tout le monde d’accord, des clients à Tripadvisor en passant par les critiques gastronomiques de passage. « Je suis maître-restaurateur, rappelle simplement Dominique Thomas. C’est le seul titre reconnu par l’État, contrôlé tous les 4 ans, nous devons donc être à la hauteur ! Quand on a repris l’établissement, en parallèle de notre enseigne précédente, il fallait tout revoir : on a commencé par la carte pour gagner en qualité et en variété. Le véritable challenge, ce n’est pas de servir plusieurs centaines de repas chaque jour : c’est de tout faire ici, de la charcuterie jusqu’à la pâtisserie (une trentaine de desserts au choix). On produit même nos propres saucissons... ».

Poids lourd Attenante au bar où il est encore temps de choisir entre boire (2 euros le demi) et conduire (1 euro le café), la caisse laisse peu de mystère sur la

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clientèle historique de L’Escale. C’est un défilé de gros bras, généreusement tatoués, qui transforme l’employée de service en embrayage verbal semiautomatique : « Je vous fais une fiche ? Sans contact ? Vous avez besoin de la TVA ? Bonne route ! ». Une trentaine de routiers occupe l’espace, quasiment en permanence, les yeux rivés sur leur plat du jour (sauté de porc au gingembre) ou les deux grands écrans, branchés sur BFM TV

et... Arte. On y mange en silence ou on y parle fort, des radars, de la politique, des femmes ou de l’actualité. L’euthanasie est à la carte ce midi, sur la 51, avec un pot de rouge et une saillie culinaire qui raisonne dans toute la salle : « Mais laissons-le tranquille, ce pauvre garçon : c’est un légume ! ». Dominique Thomas enchaîne les poignées de main, les petits gestes d’affection, les ordres en salle, le renfort à la caisse ou la gestion du par-


Enquête

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L’Escale, c’est comme un restaurant de quartier. Mais notre quartier, c’est la France !

king. Nous le retrouvons derrière le bar, à côté des douches, où les chauffeurs peuvent aussi acheter du dentifrice, de l’aftershave, des cotons-tiges ou des journaux. Le Nouveau Détective est cette fois en tête de gondole mais le New York Times ou Le Monde Diplomatique font également partie du point presse. « L’Escale, c’est comme un restaurant de quartier. Mais notre quartier, c’est la France ! Il n’y a pas de classes sociales ici, tout le monde est logé à la même enseigne et chacun a ses habitudes, souvent depuis des années : les chauffeurs qui débarquent à 2 heures du matin sur la route de Rungis, ceux qui en reviennent, les gens qui sortent de discothèque le week-end, les touristes de passage, les curieux, les fidèles, originaires de toute la région... » En quelques minutes, on serre autant de paluches que le propriétaire qui les enchaîne entre son avocat, un groupe d’ouvriers, un aviateur du dimanche plongé dans le dernier numéro d’Info Pilote et tout cet échantillon de la France qui ressemble à une synthèse de l’Insee. « Voyez, on accueille tout le monde, vraiment tout le monde, même si on reste avant tout un restaurant pour les routiers. On leur offre un moment de détente, ce qui n’est pas du luxe pour ces métiers aussi difficiles qui nécessitent aussi de bien manger, même si les nouvelles générations privilégient plutôt les fast-food... » Quoi qu’il en soit, Dominique Thomas est aux petits soins, comme toute son équipe, auprès des chauffeurs. « La responsable de nuit connaît tous les prénoms et on essaie de faire des choses, à notre petit niveau, pour améliorer leur quotidien. Par exemple, on a installé un défibrillateur dans le cadre de l’opération “Les routiers ont du cœur”. Et on va bientôt accueillir des nutritionnistes pour travailler sur des menus diététiques, car c’est une population souvent exposée à la malbouffe... sauf à L’Escale ! » Avant de


Pâté route

reprendre la route, certains digèrent sous la nouvelle pergola qui fait le bonheur du patron ou directement dans leur camion. L’établissement dispose en effet d’un immense parking fermé de 4 000 mètres carrés, où les poids-lourds semblent s’éparpiller au maximum, comme des serviettes de bain qui peuvent encore un peu respirer sur une plage d’été. Une laverie automatique est même accrochée au restaurant. « Le parking est payant car on n’est pas non plus une aire de camions. C’est aussi le cynisme de la profession : certains chauffeurs y stationnent mais ne mangent pas à L’Escale, car ils se font rembourser le parking, où la marchandise est en sécurité, mais pas le restaurant ! Chez Norbert Dentressangle, je sais qu’ils avaient environ 500 euros par mois pour les repas. Pour les transporteurs de l’Est, notamment les Lituaniens qui commencent à faire main basse sur le marché, les conditions sont encore beaucoup plus difficiles... »

Café-crème À 14 h 30, le service se calme progressivement, mais ce sera pour mieux repartir et surtout ne plus s’arrêter jusqu’au lundi d’après, vers 2 heures du matin. Dominique Thomas prend une sorte de pause, toujours relative, à l’image des vacances qu’il n’a pas eu depuis... « longtemps ». « Je lève un peu le pied ces temps-ci, histoire d’être en forme cet été pour les Championnats du monde de voltige aérienne à l’aéroport de Châteauroux. » Pour la précédente édition, en 2015, L’Escale avait déjà accompli une performance de haut vol, avec plus de 2 200 repas chaque jour servis dans des hangars aménagés, pendant que le restaurant faisait aussi salle comble de l’autre côté. « Tout le monde a été bluffé », lâche-t-il sobrement sans se reposer pour autant sur un bouquet garni de laurier. Rien ne semble véritablement

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impossible pour cette figure de l’A20 qui a déjà connu quelques vies, du haut de sa soixantaine, dont un épisode de misère durant sa jeunesse et un saut en chute libre pour emprunter les 3 millions d’euros nécessaires à la reprise du restaurant. Avec plus de 200 000 clients chaque année et 7 millions de CA, il en vaut au moins deux fois plus, ce qui ne changera définitivement rien au personnage, écolo convaincu, qui semble désormais mixer l’argent du beurre avec un zeste de décroissance. Sous le pseudonyme de Tommy Blasphème, il vient d’ailleurs de publier un essai, Anthropocène ou la mise à mort, dont il fait actuellement « la promo » en commençant sur son zinc. « C’est la transcription de mon projet écologique sur lequel je travaille depuis l’âge de 20 ans. » On y parle d’IBED (indice de bienêtre durable), de TRE (taux de retour énergétique) et surtout du TRECI (transport en commun individualisé), dont on a aperçu les maquettes dans son bureau au-dessus des cuisines. « L’idée m’est venue lors d’un voyage en Inde, en observant le rapport aux transports des habitants. Je me suis dit que le véhicule de demain devait être à la fois individuel et collectif, car les gens veulent se sentir comme dans une voiture... » Le TRECI, c’est un bus compartimenté qui combine les deux, telle une grande roue de secours visionnaire dans le prisme de l’autoroute. Dominique Thomas a tout prévu, dessiné, modélisé avec au moins autant d’énergie que la tonne de protéines qu’il dispatche chaque semaine dans ses assiettes. Sa préface parle alors pour lui : « On peut penser qu’il y a du mégalo, du mytho, du névro, du populo, du Groucho, du marxo, du philo, du dingo... quelle importance ! Il n’y a que de l’écolo. » L’escale est déjà finie pour aujourd’hui, sans que nous ayons goûté au sauté de veau ni au homard breton dont l’enseigne a même fait un emblème :

le crustacé y est partout présent, depuis le paillasson de bienvenue jusqu’aux tabliers illustrés, en passant par les murs où ses répliques en résine se mélangent aux portraits N&B de personnalités passées ou non par ici (oui pour Bernard Lavilliers, non pour Naomi Campbell). Dominique Thomas nous raccompagne dans son utilitaire jusqu’à la gare de Châteauroux, où le train pour Paris remplacera, encore quelque temps, le TRECI. En « bon père de famille » comme il se revendique avec ses 5 enfants, ses 85 employés, ses milliers de chauffeurs et sa petite planète, il attendra le départ devant le wagon, après nous avoir fait préparer un sandwich maison et une délicieuse part de gâteau à l’orange. Un paternel ordinaire n’aurait pas été plus loin que le parking...

Texte : Gabriel Viry Photos : Kiblind & l'Escale Village


Interlude

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Dans la voiture LA RADIO Écouter la radio est l’activité favorite de 73 % des Français sur les routes estivales*1. Petite sélection du caviar des radios régionales made in Kiblind :

1 RADIO ZINZINE Radio associative non commerciale autogérée et anarchiste, radio Zinzine se définit comme libertaire et bucolique. Slogan : Radio Zinzine, une radio libre Péché mignon : Gente Feliz - Vanessa Da Mata Zone de diffusion : principalement le 04 et le 05. Sa fréquence change en fonction du relief, une vraie radio des montagnes.

CHANTE FRANCE Michel Sardou, Chimène Badi, Mylène Farmer... Chante France mettra tous vos passagers d’accord. Slogan : Chante France, les plus belles chansons françaises Péché mignon : Tu m’oublieras - Larusso Zone de diffusion : région parisienne, Lyon, Strasbourg et Lille

ALOUETTE Des jeux, des tubes, de l’info locale, la première radio régionale de France ne faillit pas à sa mission. Notre coup de cœur : l’Alphatop tous les jours entre 16h et 20h <3 Slogan : Toujours plus de hits ! Péché mignon : Lovefool – the Cardigans Zone d’écoute : le Grand Ouest

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LES JEUX

84 % des Français partent en vacances en voiture1. Fatras, tracas et petites joies, retour sur le meilleur et le pire de nos trajets d’été.

DANS L’HABITACLE C’est fou comme, coincés entre 4 roues et 3 bouts de tôle, on devient imaginatifs. D’un côté, les affres de l’ennui, de l’autre, l’Éden du fun et de la convivialité. L’astuce pour pencher du côté paradis : un simple jeu d’automobile.

SI VOUS ÊTES D’HUMEUR À CHANTONNER, une foule (sentimentale) de distractions s’offre à vous. Par ordre de difficulté : meuh-meuhmer un tube, interpréter une chanson par les seuls claquements de votre langue ou encore fredonner un refrain sur l’air d’une autre musique.

SI VOUS VOULEZ VOUS LA PÉTER (UN PEU) DANS VOTRE PROCHAIN BLABLACAR, proposez un bon vieux jeu des départements ou exposez votre vocabulaire avec une partie autour de l’alphabet : « comment ça, tu ne connais déjà plus de mots commençant par Y ?! »

SI VOUS ÊTES EN VEINE NIVEAU MÉMOIRE, tentez un « dans ma valise ». En plus de faire travailler leurs méninges, les passagers se rendront peutêtre compte qu’ils ont oublié leurs slips.

SI VOUS N’ÊTES PAS D’HUMEUR et que vous êtes un.e daron.ne = pouvoir, imposez le roi du silence.


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LA PAUSE

« C’est quan

Illustration : Agathe Bruguière Texte : Marie-Camille Alban & Alix Hassler

a n ’o u dq

? ». e v i rr La pause pipi

Les enfants mettent en moyenne 49 minutes à demander une pause-pipi à leurs parents2. Et les adultes ne sont pas en reste. Après évaluation de l’urgence de la situation s’offriront plusieurs options aux petites vessies :

La pause « je suis ankylosé.e » Pas fastoche de déménager son intérieur direction le camping de Palavas-les-Flots. Coffre blindé jusqu’au plafond, vous vous retrouvez sur la plage arrière entre une imposante glacière et un matelas gonflable « au cas où ». Au bout de 4 heures, vous ne sentez plus votre jambe droite. La libération : un instant à gambader hors de la voiture pendant lequel vous vous écriez « punaise, je suis ankylosé.e ».

pour les plus chanceux, des toilettes ultra-modernes avec brumisateurs intégrés

pour ceux qui ne « veulent pas attendre la prochaine aire à 20 km », un détour dans un préfabriqué qui sent mauvais l’été ou enfin, pour les adeptes des serpentins de campagne, la joie d’aérer ses fesses en bord de forêt.

La pause casse-croûte La pause café / clope La pause qui détend certains et qui en tend d’autres. Qui fait qu’on s’endort pas trop trop au volant. Qui fait aussi qu’on s’arrête toutes les deux heures comme le préconise la sécurité routière. Rendez-vous à la machine.

Moment crucial de tout trajet sur les routes de l’Hexagone : la bouffe. On déconne pas avec ça. D’aucuns diraient que ça a maintenu l’unité de certaines familles. Sur la table de pique-nique, c’est toute la France qui est là, celle des paniers en osier et des nappes à carreaux, celle qui mange du brie dans une baguette avec du beurre, celle qui achète un paquet de chips à 12,50 € à la station avec un sandwich triangle, parce que oui, c’est aussi ça la France.

1 : Selon une enquête Ipsos pour Norauto / 2018 2 : Selon une étude de l’institut Optimum pour Rent a Car / 2017


Discussion

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Géographie underground Durant un peu plus d’une année, je suis allé rencontrer des collectifs d’artistes qui se positionnent en marge de la culture institutionnelle. Lieux underground, subculture, contre-culture, culture alternative ou radicale : partout en France, dans les villes, mais aussi dans les campagnes, des artistes ouvrent des lieux, publient, organisent des concerts, des spectacles, dessinent un autre imaginaire, proposent un récit du monde qui s’oppose à celui qui nous débecte ou bien plus simplement s’inscrit à côté, dans « les noues ». Les noues, ce sont ces lieux dont Marielle Macé fait l’éloge dans son magnifique livre Nos Cabanes publié chez Verdier cette année : apparemment délaissés, fossés herbeux, zones humides, abris végétaux, les noues recueillent les eaux, permettent d’en maîtriser le ruissellement ou l’évaporation, de reconstituer les nappes


Sébastien Escande

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Sélection de collectifs Gran Lux

BATT

Disparate

Salle de projection souterraine, usine pour fabriquer des films, espaces modulables pour des expériences cinématographiques, expositions, cinémathèque, imprimerie, le Gran Lux est à St-Étienne un lieu d’échanges aux décors changeants, un lieu de recherche, pour une cinéphilie vivante et en perpétuel questionnement. La pellicule est au cœur de ses programmations. > granlux.org

BATT est une coopérative de diffusion et d’édition de livres, zines et autopublications et une librairie à Paris, une association à but non lucratif. 17 artistes, artisans, éditeurs, graphistes, historiens, journalistes forment le cœur du projet. > battcoop.org

Le collectif DISPARATE rassemble dans un lieu dédié, dans le quartier Saint-Michel à Bordeaux, des publications, microéditions, fanzines, affiches venant de partout, diffuse des productions confidentielles, underground, expérimentales, Do It Yourself, et organise le festival Zinefest. > facebook.com/association.disparate

Le Dernier Cri Atelier de sérigraphie né en 1993 et installé aujourd’hui à Marseille, structure éditoriale associative indépendante, polymorphe, mutante, protéiforme et intrusive, Le Dernier Cri défriche le champ de l’image sauvage, publie des artistes internationaux inclassables, hétéroclites dans leurs styles, leurs pensées, des artistes marginaux, ingérables et irrécupérables. > lederniercri.org

Le 102

souterraines et de ménager les terres. Marielle Macé évoque dans son livre ces lieux où s’inscrivent des luttes, les zones à défendre, où se construisent des cabanes d’idées : « de véritables lacs d’impatience, des territoires où s’énoncent des idées de vie, de pratiques, de liens, des idées qui sont elles aussi des zones à défendre ».

tané, de faire ensemble, de mener un projet-objet d’une expérimentation, d’être vivants, les collectifs, par leurs différences, amènent de la pensée, de la complexité, ils portent chacun une utopie, presque un mode de vie, et cherchent les moyens d’action de les réaliser, les confrontent au réel, dans leur cuisine quotidienne.

Le livre Underground business rapporte la parole et l’expérience d’une vingtaine de collectifs d’artistes en France. Qu’ils soient autogérés, refusant toute relation à l’État, ou au contraire qu’ils entrent en dialogue avec les instances du pouvoir démocratique, qu’ils bénéficient ou non d’aides publiques, ces collectifs font chacun une proposition, une tentative, souvent à contrecourant, se frottent à l’institution et, en ce sens, par leurs regards, leur relation au monde, font bouger quelque chose. Souvent portés par un désir spon-

Je n’ai bien sûr pas fait le tour de la France mais, dans les quelques villes où je suis allé (Lyon, Saint-Étienne, Grenoble, Marseille, Bordeaux, Paris), les réseaux d’artistes constituent une nébuleuse, une famille rhizomique qui se relie partout d’un côté à l’autre de la France, mais surtout sans considération de frontières. Parce que lorsque tu organises des concerts, tu invites des groupes en tournée qui te relient à d’autres salles de concerts, à d’autres organisateurs, tu te connectes à ceux qui partagent ta démarche, tes goûts,

"je veux parler de concerts punks clandestins organisés dans des garages là où il fait - 40 degrés l’hiver, ou de projections de films organisées dans des arrière-salles de bâtiments soviétiques"

Grrrnd Zero Depuis près de quinze ans, l’ambition de Grrrnd Zero est d’aménager un espace autogéré dédié aux cultures underground/hors-normes/DIY/ alternatives, exigeant et accessible, à travers des concerts, des repas, des expos, des projections, etc. Le collectif termine actuellement la construction d’une salle de concerts de 500 places à Vaulxen-Velin. > grrrndzero.org

Le 102 est un espace autogéré fonctionnant sans subvention, occupant des locaux appartenant à la Ville de Grenoble. Depuis 1983, des associations y organisent concerts, séances de cinéma expérimental, expositions, théâtre, danse, rencontres, débats… Avec pour but de faire découvrir autre chose, autrement. > le102.net


Sébastien Escande

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une esthétique, une éthique peut être, une attention à certains principes anti-autoritaires, antiracistes, antisexistes, où la puissance de l’argent est déjouée par l’entraide, la mutualisation, l’échange, la participation collective. On pourrait citer l’incroyable réseau de cinémas underground que constituent par exemple le Gran Lux avec le 102, Videodrome, Météorites, le Sputnik, l’Oblo, le Nova (…). Ces cinémas ont des organisations à géométrie variable : certains bénéficient de quelques aides publiques (dérisoires), d’autres sont complètement autogérés, autofinancés, assument de fonctionner sans argent (ou presque), un autre se finance par l’activité de son bar qui coule à flots, certains ont investi une ancienne friche industrielle, ont ouvert un squat ou récupéré un ancien cinéma, d’autres n’ont même pas de lieu à eux. À regarder de près, ces collectifs sont tous très différents les uns des autres, ils existent dans des contextes et des histoires tout à fait singuliers, pourtant quelque chose de fort les relie. C’est ce que je cherche. Quand je voyage, ici ou ailleurs, très loin, au fin fond de la Russie par exemple, je suis toujours surpris par des rencontres merveilleuses, celles-ci qui te transforment et te touchent profondément. Je veux parler d’un collectif qui de l’autre côté du monde, à Yakoutsk, transforme une église en lieu de création pour des photographes avec un lieu d’expo, un cinéma, un labo, etc., je veux parler de concerts punks clandestins organisés dans des garages là où il fait - 40 degrés l’hiver, ou de projections de films organisées dans des arrièresalles de bâtiments soviétiques dans l’ex-ville des goulags, à Magadan.

Partout et quels que soient les contextes, il est rare de ne pas trouver des communautés d’artistes qui se bougent, fédèrent et nourrissent un réseau de gens curieux beaucoup plus nombreux qu’on pourrait le croire. Mais encore une fois : qu’est-ce qui nous relie, qu’est-ce qui rassemble cette scène underground et constitue un imaginaire commun ? Édouard Glissant parle d’Une nouvelle région du monde (éditions Gallimard). Les médias alternatifs tels que Ville Morte (Lyon), Concert ou pizza (Toulouse), le Cortex (Marseille), Paris Kiwi et de nombreux autres racontent cette effervescence. Pourquoi ici et là, dans des contextes parfois particulièrement répressifs à l’encontre de ces élans de liberté d’expression (là-bas), ou tout du moins malgré les contraintes et difficultés qu’imposent les lois, les villes, les autorités (ici) – limitations du son, plaintes pour nuisances sonores, obsession de la sécurité, procès pour affichage libre, surenchères de licences obligatoires, législation du droit du travail ultracontraignante, etc. – qu’est-ce qui suscite autant de motivation à organiser ici et partout en France et ailleurs ces propositions exigeantes, radicales, riches, multiples et variées ? En fait je vais vous dire : je n’en sais rien mais c’est génial d’en faire partie et vous êtes les bienvenu.e.s. Il suffit d’être attentif. Texte & images : Sébastien Escande

> Underground business, cahier d’enquêtes sur les cultures en marges, recueils de témoignage par Sébastien Escandes, disponible aux éditions Barbapop, 210 pages, 15 euros > barbapop.com


Reportage graphique

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Illustration : Simon Bournel-Bosson Texte : Maxime Gueugneau

La Grande-Motte 34280 — Hérault Latitude : 43.5666700°

Nous étions venus voir des pyramides et en face de O’Barbeuk, le spécialiste tacos du bord de mer, nous doutons. Nous venons à peine de poser les pieds sur le quai Georges Pompidou que déjà notre âme est déchirée. D’un côté, une œuvre urbaine époustouflante, planifiée dans ses moindres recoins par un architecte rêveur, Jean Balladur.

Longitude : 4.0833300°

De l’autre, une station balnéaire en manque de subtilité, emportée par la chasse permanente de touristes frais. Ce n’est là qu’un des paradoxes inscrits dans l’ADN de cette ville nouvelle située à quelques encablures de Montpellier. Elle était, dès le départ, vouée à la schizophrénie.


Reportage graphique

La Grande-Motte est la fille de la toute-puissance étatique qui donna au monde Le Capd’Agde et Port-Barcarès et d’un bâtisseur philosophe qui puise ses inspirations dans les constructions aztèques. Alliage chelou comme seules pouvaient en forger les années soixante, celles où le LSD côtoyait les Compagnons de la chanson. Les Français d’alors étaient à peu près heureux et, voyant leurs revenus s’améliorer et leurs bagnoles accélérer, profitaient de congés payés ravivés pour s’éparpiller sur les routes. Il fallait capter cette manne et offrir à ces gens de quoi consommer le soleil en France. Notre père à tous, Charles de Gaulle, confie en 1963 une mission commando à 30 personnes dirigées

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par Pierre Racine : « Foutez-moi du parasol plein les plages du Languedoc. » Le Languedoc, vu d’en haut, est une terre malaimée, pleine de mauvais vins et de bois à cagettes. S’invente ainsi une sorte conquête de l’Ouest à la française, mais dans le Sud. Les pionniers d’alors n’ont pas forcément l’allure stylée d’un cow-boy Marlboro, mais leurs DS rutilantes et leurs costumes-cravates révèlent une autre forme de puissance, celle d’un État planificateur à son climax. C’est Richard Felices qui nous raconte tout ça, lui qui a eu le toupet de tomber amoureux de La Grande-Motte à l’époque où, nous dit-il, « on l’appelait Sarcelles-sur-Mer. De

toute façon, c’est simple, on est passé de La Grande-Motte à La Grande Moche et maintenant c’est La Grande Mode. » Ancien directeur du Palais des Congrès aujourd’hui reconverti en guide habité, il raconte entre deux lampées d’eau l’impensable cohérence de la ville. En 200 mètres et en 2 heures, il nous décrit une ville en lien avec le cosmos et les quatre éléments, bâtie par un type qui se soucie aussi bien de capter la lumière du solstice que de dessiner des plots en béton. La station balnéaire n’est pas qu’un tas de logements utiles seulement 2 mois par an. C’est un fantasme, « un rêve d’architecte », une œuvre totale. La légende de Jean Balladur, être omniscient aux manettes d’un vaisseau du futur, s’installe petit à petit dans notre esprit. Jérôme Arnaud, directeur de l’Office du tourisme, acquiesce : « La Grande-Motte, c’est une soucoupe volante qui s’est posée au milieu de rien. »

« On est passé de La Grande-Motte, à La Grande-Moche et maintenant c’est La Grande Mode. »


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De tout ça, les Verwilghen n’en avaient rien à foutre quand ils se sont installés à La Grande-Motte. Couple franco-belge rincé par 20 ans au Nigeria, ils voulaient simplement passer leurs vieux jours au calme, là où il fait beau de préférence. Bingo, ce sera un appartement-terrasse à la Résidence du Soleil, chef-d’œuvre du quartier du Couchant.

« Tous les reportages, ils nous les envoient de toute façon. » Il faut dire qu’ils collent parfaitement avec la vue. M. et Mme Verwilghen sont les prototypes des 5 000 habitants annuels de La Grande-Motte, à savoir des gens aisés, venus d’ailleurs pour vieillir paisiblement, et plus si affinités : « Ils font une extension au cimetière. Bah, il faut bien que ça meure les vieux. » Comme 47 % de la population, ils ont plus de 60 ans et comme la plupart des gens ici, ils ne sont

pas d’ici. La ville leur offre le menu complet, des randonnées pédestres aux cours de tai chi, des caméras de surveillance aux plages accessibles à pied. Seul problème, l’été et le reste du monde qui débarque. « Il y a trop de gens, un flot quotidien jusqu’à minuit ; une faune pas très civilisée qui salit tout. » Le beurre et l’argent du beurre reste une notion compliquée quand on habite une station balnéaire.



Christine, tenancière du fameux King’s Pub, est d’une autre trempe. Nous avons fini notre première soirée à son bar, laissant quelques plumes de vie au fond de ses gin-tonic bien tassés. À 72 ans, elle est plutôt pour la faune estivale – civilisée ou non – car elle est son moyen de survie. D’ailleurs, à son grand regret on ne retrouve ce soir que des habitués. Et c’est à grand notre regret à nous que parmi eux se trouve un gros dégueulasse enchaînant les blagues très sales. Il nous permettra ainsi de noter que, Mon Dieu, Christine a oublié de mettre une culotte. Mais Christine n’est pas qu’une tête en l’air. Elle est aussi touchante quand elle évoque sa jeunesse parisienne, les clubs de jazz,

les caves de Saint-Germain-desPrés, elle qui a suivi la mélodie de l’amour jusque sur le béton de La Grande-Motte. Elle verse dans la mélancolie en nous servant un pastis marron, cadeau d’adieu sans doute un peu trop fort pour nos âmes attendries. Des âmes et des gueules un peu plus en peine, du coup, le lendemain, au moment de voir cette Grande-Motte en plein

jour et en plein week-end. On se faufile dans ces rues aux bâtiments qui peignent les vents, où les symboles et les références cosmiques croisent les matelas fluo et les agences immobilières. Que reste-t-il des élans humanistes de Jean Balladur ? Si les bâtiments monumentaux sont évidemment toujours là et que la patte esthétique survie au temps, la philosophie même

de la ville est plus difficile à percevoir. Les codes et les digiphones cassent aujourd’hui les déambulations voulues par l’architecte et le bord de mer n’est plus qu’une succession de cafés lounge. À passer dans les rues, comme ça, on se prend à oublier la ville pour ne garder que le superficiel. Il faut écarter les paires de tongs, allée du Maréchal Juin, pour découvrir

les arches magnifiques qui ornaient les boutiques. Il faut pousser les rangées de sudoku, au Point Zéro, pour en percevoir le charme ondulé. Il faut voir au travers des terrasses plastifiées pour profiter de l’emblématique Éden. La Grande-Motte nous veut-elle toujours du bien ?


Reportage graphique

« J’ai effectué un premier remplacement en 1980 à La Grande-Motte. Puis quand mon fils est né en 1993, j’ai absolument voulu y retourner. » C’est Pascal Doumercq, instituteur à la retraite et apiculteur qui nous parle. « Le réseau piétonnier, le confort des infrastructures, des activités partout... Jean Balladur, on lui a demandé de faire une station, il a fait bien plus. Ici c’est une utopie réalisée. » Il y a élevé ses deux enfants, en toute liberté et en toute sécurité. Une ville qu’il n’a toujours pas quittée et à laquelle il voue un amour farouche. Restent les deux mois d’été où il part se réfugier en Ariège, parce que « l’été, c’est plus La Grande-Motte. » La schizophrénie, toujours, d’une ville à qui on a donné l’ordre d’être une station balnéaire et qui n’a cessé de vouloir s’émanciper. Il nous montre un album photo réalisé par son fils pour lui : que des photos de La Grande-Motte,

« Ce sera la première génération qui sera née ici. Ce sera la première à s’en revendiquer, à se l’approprier. nue, sans les touristes. Des vues d’immeubles, des détails, des paysages sauvages, tout y est capté avec un attendrissement certain. « Ce sera la première génération qui sera née ici. Ce sera la première à s’en revendiquer, à se l’approprier. Il y a déjà un attachement fort. » La vision du futur voulue par Jean Balladur touche-t-elle justement les générations postérieures qu’il n’aura fait qu’imaginer ? L’urbanisme social mis en place par une bande de jeunes artistes et architectes dans les années 1960 peut-il porter ses fruits au XXIe siècle ? Alors que la commune a gagné son label de Patrimoine du XXe siècle, seraitil possible qu’elle devienne plus qu’un objet d’étude à la mode ? Elle est en tout cas déjà le témoignage d’une époque qui façonné la nôtre, lui offrant à la fois ses folies libératrices et ses manies dévastatrices. Avec la Brasilia d’Oscar Niemeyer et la Chandigarh de Le Corbusier,

elle est un témoignage unique de ce monde en reconstruction que furent les années soixante. Aujourd’hui, la voilà coincée entre les plans célestes d’un architecte révolutionnaire et une activité balnéaire au ras du bitume. Une dissonance qui s’accorde pas mal au bordel qu’il y a dans nos têtes de trentenaires. On est faits pour s’entendre.


Discussion

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Nico Prat

Les Valseuses : Road Slip En 1974, Gérard Depardieu, Patrick Dewaere et Miou-Miou parcourent les routes de France, baisant, criant, pleurant, riant. Choquant aussi. Les Valseuses, c’est une comédie de mœurs devenue monolithe, un scandale de son temps, et une empreinte indélébile sur le cinéma français, celui des villages et des paumés, des tendancieux et des naïfs.


Discussion

Nous sommes dans la France des années 1970. Jean-Claude et Pierrot, deux voyous vivant de petits larcins et de grosses conneries, tuent le temps, comme ils le peuvent mais surtout comme ils le veulent, car ils sont libres, et bien mal avisés sont ceux qui osent prétendre le contraire. Un soir, Jean-Claude et Pierrot, Depardieu et Dewaere, harcèlent une dame, lui volent son sac, empruntent une voiture, se font braquer par le patron d’un salon de coiffure, puis prennent la fuite avec Marie-Ange, l’employée et maîtresse du patron du salon de coiffure. Commence alors une fuite en avant pour le trio. Les Valseuses, c’est cela. Un road movie made in notre chère campagne française, ses vaches, ses platanes, et ses obsédés du cul en plein kidnapping. Au départ était le roman, celui de Bertrand Blier qui en signe lui-même l’adaptation. Puis vint le scandale, le vrai, le sale, celui qui laisse des traces. Un an après La Grande Bouffe de Marco Ferreri, Les Valseuses est un uppercut, vulgaire pour ses détracteurs (une « décharge publique » selon le critique

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Jean Rochereau du journal La Croix, un « film authentiquement nazi » d’après le critique Jean Domarchi dans la revue Écran), révélateur pour ses adeptes. Car ici, on baise, on séduit une adolescente (Isabelle Huppert à ses débuts), on harcèle une mère donnant le sein à son bébé (Brigitte Fossey)... Pour son deuxième long derrière la caméra (après Si j’étais un espion et juste avant l’immense Calmos, autre film d’obsédé de la fesse), Bertrand Blier abat ses cartes en même temps que la bien-pensance de son temps, et le fait dans un éclat de rire gras. Que reste-t-il des Valseuses en 2019, au-delà d’une référence, d’une VHS usée, et d’un Blier lassé de se remémorer, à longueur d’entretiens, les mêmes anecdotes, les mêmes souvenirs, si drôles soient-ils ? 5 726 031 entrées en France, troisième plus grand succès de l’année 1974 derrière Emmanuelle et Robin des Bois… L’acte de naissance de trois grandes stars… Qui sont donc ses héritiers, ses enfants de cinéma ? Tales From The Click est vidéaste (nous vous recommandons d’ailleurs sa chaîne YouTube), et selon lui, Les

Valseuses a « permis au cinéma français de se décomplexer. Nous évoluons aujourd’hui dans une autre époque. Je ne suis pas certain que ce film aurait pu exister en 2019. Il aurait en tout cas, c’est certain, été démoli sur les réseaux sociaux. Ce qui est assez paradoxal car en 1974, Les Valseuses était considéré comme un film progressiste ». Autre temps, autres mœurs comme l’indique l’adage, et pourtant JeanBaptiste de son vrai prénom, quand on lui demande de citer des héritiers potentiels du film de Blier, voit juste : « Je ne sais pas si le film a été copié, mais je sais que pour moi l’héritage n’existe pas au cinéma. Cependant, j’imagine aisément des réalisateurs comme Gaspar Noé et Romain Gavras séduits par le film. » Grégory Marouzé, journaliste pour le magazine Revus & Corrigés (toute l’actualité des films de patrimoine), lui, cite « les Nuls sûrement (même si leur référence est davantage à voir du côté du Saturday Night Live) pour l’irrévérence, la grossièreté assumée, le regard affûté sur la société. Des cinéastes comme Benoît Forgeard, Quentin Dupieux… Les types essaient, tentent des trucs en décalage


Nico Prat

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avec notre société bien formatée. Ils mettent à leur façon un coup de pied dans la fourmilière du bon goût ». Il en va de même pour Benoît Delépine et Gustave Kervern, Grolandais adeptes de l’asphalte, dont le premier long, Aaltra (un road movie en chaise roulante) et le quatrième, Mammuth (Depardieu parcourant la France à la recherche de ses employeurs au guidon d’une moto mythique), citent, sans pastiche, le classique de Blier. Mais cette « bourrasque à laquelle on ne résiste pas » selon Jean de Baroncelli dans les pages du Monde ne saurait être un simple objet de désir filmique. En fait, son influence, la plus grande, la plus belle aussi, serait à chercher ailleurs. Au cœur du quotidien. Grégory Marouzé : « Les Valseuses, c’est au départ un bouquin. Les Valseuses (le film) est très littéraire à sa façon. Et quoi que

certains en pensent ou en disent, on aime toujours les lettres, les textes en France. Je crois qu’on regarde toujours le film aussi pour ça. Les mecs qui font du rap ou slamment, regardent ou ont sûrement regardé Les Valseuses. Par ailleurs, je suis persuadé que des petits mecs comme Jean-Claude et Pierrot, lunaires et un peu baroques, existent aujourd’hui peut-être à cause ou grâce au film. Le film a irrigué la société française. Ce fut une telle détonation dans la France giscardienne, il a tellement choqué, en bien ou en mal, qu’il a continué de vivre et d’influencer. Les gars ne parlent pas de la même façon. Mais des types comme Dewaere ou Depardieu, je suis persuadé qu’on en croise dans les quartiers ou ailleurs. »

Texte : Nico Prat Images : Kiblind

Pour quelques routes de plus… Une route, des personnages, des situations improbables… Road trip français par excellence, Les Valseuses n’est pas un cas unique, loin de là. Petit top 6.

Saint Amour (2016)

Trafic (1971)

Jean est éleveur bovin, et aimerait que son fils Bruno reprenne l’exploitation familiale. Mais ce dernier préfère noyer son mal-être dans l’alcool au travers d’une route des vins improvisée dans son salon. Jean lui propose de tailler la route. Depardieu, Delépine et Kervern mais aussi Poelvoorde livrent ici un drame poignant et drôle. Forcément.

Monsieur Hulot est chargé d’assurer le convoyage d’une voiture de camping révolutionnaire de son invention. Tati ayant été ruiné par l’échec de Playtime, ce long-métrage ne vit le jour que grâce au soutien d’un financier qui demanda en échange à ce que sa compagne obtienne le premier rôle.

Mobile Home (2012) Simon, de retour dans son village natal, retrouve Julien, son ami d’enfance. Tous deux décident sur un coup de tête de louer un mobile home et de partir sur la route. Mais une panne les bloque sur place, et le road trip prend une tournure absurde. Un film qui détourne les codes du genre, avec un Guillaume Gouix exceptionnel.

Le Corniaud (1965) Vous connaissez l’histoire, les héros, les acteurs, le succès (11 739 783 entrées tout de même), la 2CV… De Paris à Naples en passant par Rome, Pise et Bordeaux, Le Corniaud est un blockbuster de son temps, mené sans temps mort par les deux plus grandes stars du moment. On aurait pu mentionner La Grande Vadrouille, mais celui-ci a notre préférence.

Papa (2005) La Chèvre (1981) Depardieu, décidément un habitué du genre, aux côtés de Pierre Richard. Pourtant, les rôles de Campana et de Perrin devaient à l’origine être tenus par Lino Ventura et Jacques Villeret. Un classique de la comédie française, et de loin le meilleur volet de la trilogie complétée par Les Compères et Les Fugitifs.

Un père rejoint la Provence en voiture avec son fils, Louis. Ce voyage, empreint d’un souvenir douloureux, les rapproche très fortement… Alain Chabat devant la caméra d’un Robin des Bois ? Bien loin de leurs gags passés, ici, la tendresse la plus sincère est de mise. Un film injustement oublié aujourd’hui.


Playlist

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t s i l y a l P e c n a r F e d r u To e tt e v u B . . . r a p À écouter sur notre Spotify.

Faire le tour de France sans marquer un arrêt par la buvette nous semblait inconcevable. Et voilà, c’était notre amorce craignos pour dire qu’on est très contents que ce soit Buvette qui fasse notre playlist car on adore son nom et surtout sa musique.

Douce France - Carte de Séjour Jusqu’à Ce Que la Force de t’aimer Me Manque - Catherine Ribeiro + Alpes Messin plutôt que Français - Noir Boy George Dans ma rue - Doc Gyneco France - FRANCE Marseille envahit - Fonky Family ft. 3ème oeil La tramontane - Collectif Sin Banlieue Rouge - Renaud Bolero - Maurice Ravel Bienvenue à la Banane - Moha la Squale Nantes - Barbara An eur-se ken tost d'ar peurbad - Alan Stivell Where do you go to (my lovey) - Peter Sarstedt

3’40’’ 3’01’’ 3’52’’ 4’01’’ 22’38’’ 6’44’’ 10’33’’ 4’00’’ 15’19’’ 2’31’’ 4’06’’ 5’13’’ 4’48’’

Débarqué de sa Suisse natale, Cédric Streuli alias Buvette est venu s’aventurer à Paris et y a vite trouvé un beau compagnon de jeu : le label Pan European (Flavien Berger, Judah Warsky). Puis ça a été au tour de la France de tomber amoureuse de son electro pop frénétique. Son dernier EP « Life » produit par Apollo Noir, vient de sortir et c’est très beau.


THE CHAINSMOKERS • THE SMASHING PUMPKINS • SLASH FEAT. MYLES KENNEDY AND THE CONSPIRATORS • SUPREME NTM CHRISTINE AND THE QUEENS • JAIN • STRAY CATS • WEEZER • NEKFEU • INTERPOL • ANGELE THE ROOTS • ALPHA BLONDY • ROMEO ELVIS • PETIT BISCUIT • NINHO • TCHAMI & MALAA • IDLES PARKWAY DRIVE • JOHN BUTLER TRIO • JEANNE ADDED • MASS HYSTERIA & GUESTS • COLUMBINE $UICIDEBOY$ • FRANK CARTER & THE RATTLESNAKES • RICH THE KID • GEORGIO • SHECK WES • RIVAL SONS TRIPPIE REDD • ARNAUD REBOTINI JOUE 120 BPM • FARAI • MNNQNS • KATE TEMPEST • BAKAR • HUBERT LENOIR DTSQ • THYLACINE • FONTAINES D.C. • ALOÏSE SAUVAGE • MANTAR • LES SOEURS DOGA • KOMPROMAT • JAMBINAI & LA SUPERFOLIA ARMAADA SAM FENDER • 13 BLOCK • STARCRAWLER • TURNSTILE • THE HU • ISHA • JULIA JACKLIN • 88KASYO JUNREI BIGGER • SAY SUE ME • UNDERGROUND SYSTEM • SALUT C’EST COOL • CLOZEE • THE PSYCHOTIC MONKS AVEC : MALIK BENTALHA • LE COMTE DE BOUDERBALA... EUROCKEENNES.FR #EUROCKS2019



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Magazine

Take Care, i.l.y HOME La mode souffre de sa réputation. Le discours qui l’enrobe dans les médias spécialisés, sur les réseaux sociaux ou même dans les discussions quotidiennes fait d’elle une discipline artificielle plus obsédée par la forme que le fond. Si l’on veut bien admettre que l’objet même de son entreprise – parer l’individu – permet ce glissement facile, il reste que la cantonner à un objet de consommation superficielle est une insulte. Mais le monde n’est pas aussi pourri qu’il en a l’air. Car derrière les cascades de « spécialistes » traîtres à leur cause, des amoureux d’une mode qui réfléchit sans cesse à son objet, à sa signification, à son évolution, il en existe, Dieu merci, quelques-uns. La designer vêtement Aurore Mercadé est de ceux-là. En avril 2018, elle prolonge naturellement sa pratique professionnelle par l’ambition de créer un espace de réflexion autour de la mode en train de se faire. Elle fonde ainsi le magazine Take Care, parution qui se débarrasse avec joie des oripeaux consuméristes et bas de plafond qui caractérisent une grande partie de la presse spécialisée. Ici, la mode est objet d’étude, centre d’attention d’une sélection fine de

contributeurs venus de tous horizons. Des créateurs aussi bien que des journalistes, des sociologues, des photographes et des chercheurs viennent rendre compte de leur rapport au vêtement. L’équipe qui entoure la rédactrice en chef se veut volontairement jeune. Parce que le monde est un champ en perpétuel mouvement, il faut savoir écouter ceux qui participent, à la base, à sa force motrice. Visuelles ou écrites, ces fraîches propositions ouvrent le regard sur de nouvelles façons d’aborder le vêtement, de travailler cet espace qui lie notre intimité et le monde extérieur. La mise en page, signée du studio PanamA5, parvient finement à reprendre ce principe de dialogue que la mode inspire. Entre la photo et l’écrit, le mat et le brillant, le blanc et le noir, le tape-à-l’œil et l’intime, la tradition et la modernité, le manuscrit et le numérique, le magazine se balade en zig-zag mais réussit toujours à garder l’équilibre nécessaire pour ne pas s’égarer. La mode trouve avec Take Care, dans la forme comme sur le fond, une maison respectable pour se poser et penser un peu à elle. M. Gueugneau

Take Care i.l.y, semestriel bilingue, n° 2 disponible, n° 3 prévu pour la rentrée, 116 pages, 18 € takecare-ily.com


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Seoul

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PALETTE Le duo Icinori est composé de Raphaël Urweiller et Mayumi Otero. Ensemble, ils sont à la tête d’une œuvre sans véritable équivalent. Leur style, immédiatement reconnaissable, est un amoncellement de techniques et d’inspirations diverses, du dessin industriel à la gravure, de Hockney à Hiroshige. Une palette élargie dont ils maîtrisent chacun des pans et qui fait de leurs livres des mines de jouissance. Seoul est de ceux-là. Nouveau Travel Book édité par la marque de luxe Louis Vuitton, il passe en revue les quartiers, l’architecture, l’histoire et le présent d’un pays souvent cité mais mal connu. Les multiples qualités du dessin à quatre mains d’Icinori sont ici au service d’une ville mouvante, traversée par mille faisceaux qui se croisent, entre tradition et modernité, Orient et Occident. Le résultat est affolant de beauté, mais va bien plus loin. Il ne s’agit pas seulement d’un exercice de virtuosité mais bien d’un véritable reportage qui dresse un portrait neuf de la capitale coréenne. Le duo ajoute ainsi une nouvelle corde à son arc. M. Gueugneau

Seoul d’Icinori, disponible chez Louis Vuitton Travel Book, 160 pages, 45 € louisvuitton.com

Le Rêve de Gaëtan Talpa Faire pousser un arbre à limaçons sucrés ? Cet arbre dont les graines n’existent pas ? Rien de plus facile, il suffit d’y croire très fort ! L’histoire d’une petite taupe avec de grands rêves qui nous rappelle qu’ensemble et avec beaucoup de volonté on peut tout faire – mais aussi, et c’est salutaire, que la gourmandise n’est pas un vilain défaut ! Le Rêve de Gaëtan Talpa est un album magique de Stéphanie Demasse-Pottier avec les illustrations ô combien merveilleuses d’Adèle Verlinden. On retrouve ici son coup de pinceau virtuose dans de grandes doubles pages éclatantes, fourmillant de détails et de clins d’œil. Un album haut en douceur et en couleurs ! Julia Mahler & Alice Schneider / Librairie La Régulière

Le Rêve de Gaëtan Talpa, de Stéphanie Demasse-Pottier et Adèle Verlinden disponible aux éditions Les Fourmis Rouges, 32 pages, 17,90€

Chuck JOUJOU Nouvelle publication aux éditions 476, qu'on affectionne pour leurs sélections affutées et cette incessante recherche de nouveaux auteurs, formats et supports. Cette fois donc, on découvre un fanzine qui prend la forme d’une bande dessinée signée Marion Chapuis, dont le style ne cesse d’évoluer en gagnant en précision et en intensité. Chuck, ou les aventures d’un fantôme et d’un canard entre lesquels s’installe un lien filial autour de crayolas. Point de départ de cette histoire aux rebondissements inattendus : la collection de Playmobil de l’illustratrice dans laquelle on retrouve les deux protagonistes. Également à paraître prochainement aux éditions 476, Lisa Zordan et Daniel Zender. Affaires à suivre de très près. Malina Cimino

Chuck de Marion Chapuis, disponible aux éditions 476, 24 pages, 18 € 476.fr


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APOCALYPSE NOW À tous les larmoyants, nous disons que la fin du monde n’est pas une si terrible chose. La mise à sac de la planète peut même être la source de plaisirs puissants : la vue de cette table enfin rasée par le chaos pur offre une jouissance peu commune. L’Année de la comète de Clément Vuillier narre ce moment précieux en décrivant, paysage après paysage, les turpitudes de notre bonne vieille Terre au moment où une comète la frôle. Le fracas qui en résulte offre au trait ultra-minutieux du Parisien une orgie à sa mesure. En résulte des images grandioses, des motifs de l’apocalypse où l’œil sadique trouve pleine et entière satisfaction. Avec L’Année de la comète, l’ancien étudiant de la HEAR et cofondateur des éditions 3 fois par jour continue de développer une œuvre paradoxale où l’amoncellement de détails est poussé jusqu’à l’abstraction, où ses mondes faussement reconnaissables se révèlent être des territoires sauvages dont l’exploration semble infinie.

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L’Année de la comète

M. Gueugneau

L’Année de la comète de Clément Vuillier, disponible aux éditions 2024, 48 pages, 28€ editions2024.com

Goliath FORCE Celui qui néglige les livres jeunesse ne voit pas de quel terrain de jeu il s’agit. En termes esthétiques, c’est l’adulte et ses classes, ses règles, ses préjugés qu’il faut jeter à la poubelle. La différence ne se déguste jamais mieux que dans le plus jeune âge. L’auteur et illustrateur Ximo Abadia fait de son histoire d’un enfant trop grand, trop gros une ode à la différence bienvenue. Avec le texte, bien sûr, mais aussi par l’image où dansent les couleurs vives, les formes simples, les motifs basiques pour composer des images à la puissance peu commune. Un jeu de textures plus tard et nous voilà devant une œuvre dont la singularité fait la force. M. Gueugneau

Goliath, the boy who was different, de Ximo Abadia, disponible chez Little Gestalten, 40 pages, 14,90 € gestalten.com/collections/little-gestalten

Reprise Le coup de bol de l’année 2019 est certainement d’avoir vu le traditionnel dialogue de dessin du festival Central Vapeur convoquer Anne-Margot Ramstein et Blutch. La manifestation strasbourgeoise qui fêtait cette année l’enfant du pays, Blutch, a eu la brillante idée de coller en face de son trait flamboyant la douce géométrie de l’auteure du récent Otto. Le livre qui en résulte et les 20 tableaux (10 par auteur) qui en tissent la trame sont d’une beauté époustouflante. > Reprise, dialogue de dessins , de Blutch & Anne-Margot Ramstein, disponible chez Central Vapeur & 2024, 48 pages, 23 € > editions2024.com / centralvapeur.org

Panorama Un beau jour, Lisa Mouchet a pris l’aventure par le colbac et lui a jeté au visage : « maintenant c’est toi et moi. » Et la voilà partie seule de par le Canada pour s’égarer exprès dans ses méandres. Quelques mois plus tard sort ce Panorama, carnet de voyage dessiné, photographié et écrit, sur lequel l’impression en risographie vient passer un vernis de fantastique, troublant la frontière entre réel et imaginaire. N’estce pas ça, l’aventure ? > Panorama, de Lisa Mouchet, disponible chez Quintal éditions, 152 pages, 35 € > quintaleditions.com


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Guerre (L)ARME Toutes les épopées ne se conjuguent pas au passé. Le combat de sa copine Pauline atteinte d’un cancer est celle à laquelle Marion Jdanoff a assisté. À l’origine de Guerre était une correspondance dessinée, établie entre elles pour dialoguer quand les mots n’ont plus de sens. Ces dessins, compilés par Super Loto éditions et Grante Ègle, forment un long poème où se croisent l’amour, l’amitié, la colère, l’espoir et son contraire. En résulte un ouvrage, magnifique, où le trait fin de Marion Jdanoff contraste avec la densité du propos. Le langage dessiné y use de symboles et d’allégories pour aller chercher une vérité qui nous échappe. Ces détours ne sont pas des pertes de temps : ils viennent aborder ce sujet trop énorme avec la justesse qu’il convient. Marion Jdanoff parvient alors à capter petit à petit, étape par étape, les différentes essences de ce combat titanesque et donne à la place frustrante du spectateur son importance capitale. M. Gueugneau

Guerre de Marion Jdanoff, disponible aux éditions Super Loto & Grante Ègle, 636 pages, 30 €

Unindentified Paper Object 3

superlotoeditions.fr / grante-egle.com

Le Promeneur du Morvan CHAUSSE-PIED Parti en résidence pour trois semaines dans le parc naturel régional du Morvan, Vincent Vanoli raconte ses promenades, ses rencontres et ses impressions tel un observateur scientifique. Ce troisième ouvrage de la collection Transhumance offre un panorama sensible, de portraits en paysages, tout en noir et blanc, de cette illustre terre d’accueil attachée à son patrimoine oral, ses habitants et ses fêtes de village. Mise en garde : il est fort probable qu’après la lecture du Promeneur du Morvan, vous chaussiez vos souliers de randonnée pour découvrir ce petit pays de Bourgogne-Franche-Comté.

JEU D'ENFANT Comme on est en droit de l’attendre de la part d’une maison d’édition qui se qualifie elle-même de hors-normes, le dernier-né sorti de ses presses s’affranchit des catégories – à moins, peut-être, de se les arroger toutes : Unidentified Paper Object 3 tient autant de l’amalgame typographique que d’un livre-jeu pédago-graphique, et s’étoffe de surcroît d’une analyse poussée sur la notion de ductus et d’images d’archives léchées. Pensé comme une prolongation de l’abécédaire AOZ de Marion Bataille, UPO 3 dévoile les caractères étonnants réalisés par des enfants à l’aide de son set d’outils bichromiques, lors de son exposition « Écrire son nom ». Une démonstration magistrale de l’audace à l’œuvre chez les têtes blondes quand il s’agit de laisser sa marque.

Delphine Zehnder

Zelda Mauger

Le Promeneur du Morvan de Vincent Vanoli, disponible aux Éditions Ouïe/Dire & Les Requins Marteaux, 96 pages, 16 € oui-dire-editions.fr / lesrequinsmarteaux.com

Unindentified Paper Object 3 : No One Can Fail, de Marion Bataille, Marie-Thérèse Zerbato Poudou et Sébastien Morlighem, disponible aux Éditions Non-Standard, 204 pages,32 € editions-non-standard.com


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Vazistdas WAS IST LOS L'amour de la langue germanique n'est pas la seul moteur de ce nouvel ouvrage aux éditions FC&PF. Il y a aussi la passion de la lucarne, de l'ouverture vers l'ailleurs. Ce fanzine d'Antoine Eckart répond en effet au besoin de son auteur de humer de l'air frais sans cesse. Ses dessins lui permettent de s'échapper vers des univers nouveaux où tout peut arriver. Alors il en use et en abuse, persuadé de déceler quelques-uns des grands mystères de la vie grâce à la puissance de son trait. Cette activité frénétique lui permet d'oser, de pousser toujours plus loin les caractéristiques de son œuvre, entre hyper naïveté de façade et composition maîtrisée. Les dessins du graphiste lyonnais prennent, dans ce livre tout en monochrome rouge, une nouvelle dimension immersive. Le spectateur, regardant par cette fenêtre, aperçoit un monde dont il n'avait pas idée. M. Gueugneau

Vazistdas d'Antoine Eckart, disponible aux éditions FP&CF, 32 pages, 14 euros editionsfpcf.com

Art by Floc’h En basket-ball comme en dessin, le beau se construit d’abord sur les fondamentaux. Il ne fait pas de doute que Floch les maîtrise à la perfection. Grand prêtre de la ligne claire, il nous régale depuis 1977 de son trait reconnaissable entre tous. Des couvertures iconiques de Monsieur à sa Trilogie Anglaise, en passant par ses affiches pour le cinéma (Resnais, Allen, Kurys, etc.), il a fiché quelques magistrales images dans nos esprits. Art by Floc’h réunit ainsi 80 dessins réalisés ces 30 dernières années, pour tous les supports. C’est un indispensable. Les albums de bande dessinée Le rendez-vous de Sevenoaks et Blitz ont immédiatement érigé Floc’h en maître de la ligne claire internationale. L’illustration est, cependant, depuis le début de sa carrière, son domaine de prédilection, celui où il excelle. Le cinéma – Woody Allen, Alain Resnais – et la presse de qualité – The New Yorker, Monsieur – l’ont : Cartier, Château Angélus. En combinant l’onctuosité du trait, le sens de la composition et l’élégance authentique, il participe au bonheur du monde et, à l’image d’Hergé dans Tintin au Tibet, il est fasciné par le blanc, une couleur qui renforce la sérénité que prodigue son dessin.

Art by Floc’h

45 € · ISBN 978-2-3904-1005-8

Andata-Ritorno FRONTIÈRE Designer graphique et membre fondatrice du groupe Memphis, Nathalie du Pasquier se consacre depuis la fin des années 1980 à la peinture. Son œuvre mêle formes minimalistes et compositions abstraites, en interrogeant leur rapport à l’espace. Verre, transistor, ciseaux, ficelles, presse-agrumes, dans Andata-Ritorno l’artiste reproduit d’un trait simple et précis ces objets du quotidien. La mise en page du livre les fait dialoguer avec un autre type d’objets quant à eux imaginaires. Cet aller-retour entre réel et abstrait constitue la poésie de l’ouvrage où l’étrange dans le familier confronté au familier dans l’étrange questionne l’ordre des choses. David Raiffé / Librairie Mollat

Andata-Ritorno, de Nathalie du Pasquier, disponible chez Chose Commune, 25 € chosecommune.com

> Art by Floc’h , disponible chez Champaka Bruxelles, 120 pages, 45 € > dupuis.com

Le Monde existe même quand je dors Hector de la Vallée va souvent plonger dans les eaux marécageuses de l’esprit humain. C’est de ces bains à l’hygiène déplorable que viennent ses dessins où traînent des morts, des pervers, des cyniques, des idiots et quelques membres arrachés. Une fascination du pire, traitée avec une justesse rare et un trait lorgnant vers les gravures d’antan. Le Monde existe même quand je dors compile dix années d’images éparpillées chez Les Inrocks, Society et Article 11, et remplit du même coup un vide qui devenait inacceptable. > Le Monde existe même quand je dors , de Hector de la Vallée, disponible aux éditions FP&CF, 372 pages, 26,90 € > editionsfpcf.com

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Elvis in Wonderland

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black midi SCHLAG MAÎTRISÉ Si vous aimez les choses bien droites et les vidéos de rangement de Marie Kondo, alors il est encore temps de tracer votre chemin car chez black midi, on aime que les choses ne rentrent pas dans les cases. Enchaînement d’envolées délirantes déstructurées et de moments d’accalmie relevés par la voix agitée du chanteur, Schlagenheim trace une route mouvante et imprévisible. Un premier album dont on ressort bousculé et ça tombe bien, c’est bien tout ce qu’on demande. Assumant leurs influences situées du côté des Talking Heads, Deerhoof et de Death Grips, les quatre Londoniens ont cette impertinence libératrice qui fait du bien et qui ne donne envie que d’une chose : d’aller les voir en live. Elora Quittet

Musique

It's Sunday ENNUI BIENFAISANT « Le dimanche, on s’emmerde », voici le constat aussi basique que véridique qu’ont fait Lucas Lecacheur (Bad Pelicans / Lemo Swell) et Dawnie Perry. Pour remédier à ce fléau national, le duo a décidé de se retrouver ce même jour et de composer. Quelle charmante idée puisque ça leur a tout naturellement permis de féconder leur premier album. Avec des productions lo-fi à la sauce Slowdive et un enregistrement 100 % maison, Tissue Issues transpire le shoegaze des 90’s et les longues aprèms d’expérimentations. Si on ajoute à ça des paroles chantées aussi bien en anglais qu’en français, alors nous aussi, on commence à beaucoup aimer le dimanche. Elora Quittet

Schlagenheim de black midi sortie le 21.06 via Rough Trade

Tissue Issues de It’s Sunday sortie le 14.06 chez Howlin’ Banna et Crybaby

roughtrade.com

howlinbananarecords.com

V/A Projet polymorphe, Self Discovery for Social Survival est avant tout une expérience spirituelle. Initié par le label Mexican Summer, le film a invité Connan Mockasin, Allah Las, Andrew VanWyngarden (MGMT) et Peaking Lights à se joindre aux surfeurs pour pouvoir ressentir l’état de bien-être lié à la pratique du surf. Il ne restait ensuite qu’à retranscrire leurs émotions via la musique, et c’est là que l’expression « paysage sonore » prend tout son sens. . EQ > Self Discovery for Social Survival, sortie le 14.06 via Mexican Summer et Modulor > mexicansummer.com

Young Like Old Men Les 90’s encore. Celles qu’on a chéries et qu’on est si heureux de voir réapparaître. Voilà ce que nous servent ces dignes héritiers de l’indie rock. Ayant roulé leur bosse du côté d’En Attendant Ana, d’EggS et de Montagne Sacrée, le duo revient avec un deuxième album qui s’offre autant d’échappées slacker et noise que pop, tout ça avec un flegme et un style nous rappelant toujours autant ces bons vieux Pavement. EQ > Between Us de Young Like Old Men disponible via Gravity music > gravitymusicrecords.bandcamp.com

Tyler, The Creator SERVICE Caché dans le brouillard du mix ou derrière des filtres, le rap de Tyler est relégué aux marges pour souligner l’essentiel : les structures peu orthodoxes de ses chansons lorgnant vers le funk ou la soul, et leurs arrangements qui promènent on ne sait jamais où. Ses histoires de ruptures sont aussi le deuil de son envie d’être un immense rappeur. Tyler sait qu’il n’est jamais meilleur que quand il devient IGOR, l’assistant difforme des savants fous, qui se met au service de choses plus grandes que sa propre personne. Nicolas Pellion

IGOR de Tyler, The Creator, disponible chez Columbia columbiarecords.com


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Chevance – Outremusique pour enfants – 1974/1985

Musique

Porridge Radio EUPHORIE Porridge Radio est un groupe basé à Brighton et Londres, auteur de deux magnifiques singles parus en avril et mai derniers. « Give/ Take » contient la meilleure ligne de basse entendue cette année et « Don’t Ask Me Twice » est tout bonnement renversant, entre pop minimaliste et déchaînement punk. Dana Margolin y chante avec une rare intensité les amours contradictoires et l’ennui (quelque part entre PJ Harvey et Molly Nilson), sans renoncer à la simplicité : « I woke up / Dog was gone / I walked around / I felt alone ».

Si tout n’était pas mieux avant, loin s’en faut, il faut bien admettre que le label Chevance n’a toujours pas trouvé d’équivalent. Expérience aboutie d’une musique pour enfant intelligente, déviante et chercheuse, le label français a bénéficié de l’apport de musiciens d’exception (Jean-Louis Méchali, Steve Waring, Anne et Gilles, etc.) venus du (free) jazz, de la folk, du cabaret et de la musique psychédélique. En résulte une discographie fascinante dont les 19 titres compilés par Radio Minus représentent toute la folie créatrice. Vu d’ici, Chevance fut un miracle pour les oreilles des enfants. - M. Gueugneau Chevance – Outremusique pour enfants – 1974/1985, compilation disponible chez Born Bad bornbadrecords.net

V/A

Manon Raupp

« Give/Take » et « Don’t ask me twice », disponible en autoproduction memorialsofdistinction.bandcamp.com

Jambú LE QUÉBEC DU FUTUR Située quelque part entre Montréal et la grande nébuleuse, le label ou plutôt l’« étiquette » Jeunesse Cosmique s’est implantée dans l’univers avec une mission bien précise : celle de gentiment conquérir le cœur des humains en quête de vrai. Elle s’est fait accompagner pour ça d’artistes passés maîtres dans l’art de nous faire planer comme YlangYlang, Tapeheads et Avventur. Ainsi, les douces incantations cosmiques nous parviennent sous les médiums K7 et vinyles. La dernière en date finit de nous ensorceler avec les morceaux mystiques de 32 artistes (Telephone Maison, Hazy Montagne Sacrée…) et la promesse d’un futur limpide et spatial. Elora Quittet

La compilation « le futur nous appartient 2k19 » disponible via Jeunesse Cosmique jeunessecosmique.com

Un jour, Analog Africa a décidé d’exister et nous, on a adoré l’idée. Voilà dix ans qu’il déterre des trésors ensevelis sous des tas de poussière. Cette fois, c’est une compilation de morceaux créés à Belém qu’il offre au monde : du lundum, du carimbó, des styles chargés d’histoire qui forment un témoignage de la ville portuaire brésilienne telle qu’elle était dans les années 60 : en pleine effervescence artistique et révolution culturelle. EQ > Jambú e Os Míticos Sons Da Amazônia sortie le 14.06 via Analog Africa / Modulor

J-Zbel Le trio J-Zbel, figure emblématique – bien que masquée – du label BFDM, sort enfin son premier album. Sous le voile potache des morceaux, on trouve une musique plus complexe et raffinée qu’il n’y paraît, où se côtoient break, hardcore, trap, ambiant et trance. L’humour affiché cache en fait un amour sincère des musiques électroniques qui poussent de la fonte. On n’est pas dupe. MG > S/T de J-Zbel, disponible chez BFDM > bfdm.bandcamp.com


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Jolies choses

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RAQUETTE Kelly Anna x Art of Ping Pong

CASQUETTE Rixe

T-SHIRT Mark Conlan gooddayclub.com

theartofpingpong.co.uk

rixe-club.com

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PIN'S Laurence Bentz x Cercle Magazine

SWEAT-SHIRT Marylou Faure

MAILLOT DE BAIN Camille de Cussac x Blune

cerclemagazine.com

everpress.com maryloufaure.com/shop

blune.fr


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Sélection par Elodie Bouhlal

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COUVERTURE James Daw

PLATEAU Depeapa

slowdownstudios.com 08

depaeapa.com 10

CARTES Ana Popescu x Wrap Magazine wrapmagazineshop.com

TAPIS Idir Davaine x Paris Berbère parisberbere.com 12

BROCHES Hello Marine hellomarine.com

BOUCLES D'OREILLES Roca Balboa x Les Néréides lesnereides.com


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Astropolis INCANTATIONS BRESTOISES

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Baleapop MILESKER, ADIO

Au beau milieu du bois de Keroual à Brest pourront être observées en juillet des créatures célestes ayant le pouvoir de transformer la musique en expérience. Parmi eux, X-102 alias Jeff Mills & Mad Mike, Apparat, Kap Bambino et Arnaud Rebotini devraient rendre à la Bretagne sa place dans la liste des terres ensorcelées.

On fera semblant de ne pas avoir compris que c’est la dernière. On y sera, la larme à l’œil, et on profitera de chaque artiste historique du festival (Connan Mockasin, Bernadino Feminielli, Étienne Jaumet…) tout en continuant de se goinfrer de sandwichs au lomo. Comme si de rien n’était. Pour la postérité.

03.07 au 07.07 - Brest

14.08 au 18.08 - Saint-Jean-de-Luz

Binic Folk Blues Festival BEATNIKS CELTIQUES

Binic : pour tout amateur de rock indé, ce charmant nom de bourgade bretonne est plein de sens. Chaque été pendant trois jours, le petit port de Binic se transforme en effet en un flamboyant temple de la musique qui tabasse. Cette année, Sleaford Mods, Cannibale et Go!Zilla y donneront leurs plus belles processions. Et tout ça, pour pas un rond.

Blandine Pannequin

26.07 au 28.07 - Binic (Bretagne)

L’expo à colorier COUPS DE CRAYON

Festival Bruisme FUREUR ET AMOUR

Foisonnant d’idées remarquables depuis son ouverture, le Floréal Belleville récidive cet été en invitant 17 jeunes illustrateurs à venir exposer et colorier en ses murs. Marie Mohanna, Salucafarte, Amina Bouajila, Groduk&Boukar, Toto le Voyou et tous les autres s’en donneront à cœur joie pour montrer qu’une expo, ça peut aussi être beaucoup de fun.

Ah Poitiers, comme tu nous donnes envie de venir t’arpenter à la fin du mois. Car oui, on sait : tu accueilleras pour la neuvième fois Bruisme, le festival qui programme des artistes qui ne se contentent pas de passer du son, mais qui le transforment et le sculptent. Héron Cendré, Mariachi, Jean-Philippe Gross, A_R_C_C, c’est bien de vous qu’on parle.

11.07 au 08.09 - Floréal Belleville, Paris

27.06 au 30.06 - Poitiers

Festival du Film de Fesses PILE OU FESSE

On l’oublie presque tellement on a l’habitude de la voir. Et pourtant, dieu sait qu’on aime la fesse. Mais attention, pas n’importe laquelle, l’érotique, la coquine, la subtile. Elle sera célébrée au Festival du Film de Fesses à travers une rétrospective Pleine Lune dédiée aux créatures fantastiques et une carte blanche donnée à Bertrand Mandico. 27.06 au 30.06 - Reflet Médicis et Filmothèque, Paris


Agenda

Hello Birds HELLO LE PARADIS

93

La Douve Blanche EN ROUTE DAMOISEAUX

Oh Plateau DOUCE FRANCE

Festival – gratuit – vacances : voilà trois mots qu’on aime par-dessus tout employer. Satisfaction ultime, on peut utiliser les trois dans la même phrase grâce au festival Hello Birds à Étretat. Pour le plaisir, on y ajoute aussi : bonne bouffe, paysages incroyables et programmation de feu (coucou Pépite, Zaltan, Master Phil).

Pour la cinquième fois, Animal Records & Kitchen réinvestit le château d’Égreville, pour faire profiter les troubadours environnants non seulement d’une programmation musicale de haute volée avec P.Moore B2B Sheitan Brothers, Ed Mount, Corps ou T/O, mais aussi de mets à se taper le cul par terre. Merci les gars.

Dans la vie, la musique ne s’apprécie que si elle est balancée par le juste dosage de silence. Ça marche pareil avec Oh Plateau. Situé entre l’Ardèche et la Haute-Loire, ce festival permet autant de profiter d’une programmation indé de niche (Brace Brace, Enchantée Julia, Tropicold) que d’un paysage et d’une nature à couper le souffle.

05.07 au 07.07 - Étretat

05.07 au 07.07 - Château d’Égreville

19.07 au 21.07 - Lac de Devesset

(Seine-et-Marne)

Originel (Ardèche)

Sismo

Visions

Pete the Monkey SINGERIES

TABLÉE ROYALE

DIVINATOIRE

C’est l’histoire de la vidéo d’un singe devenue virale, puis de la création d’une association et d’un festival qui contribueront à récolter des fonds pour sauver son espèce. Depuis, le rendez-vous est devenu annuel, immanquable et nous aguiche cette année encore avec des artistes comme Kirin J Callinan, Otzeki, Kokoko! et The Mauskovic Dance Band.

Si on enlève ses œillères et qu’on ose s’aventurer en dehors de Lyon, on y découvrira, à tout juste 30 minutes, le fantastique festival Sismo qui squatte tranquillement le château d’Avauges avec des invités de premier rang comme Epsilove, Christian Coiffure, Stakhan, Dr Rubinstein et Airod. Chouette alors.

Une fois remis du choc cérébral causé par la vue de la sublime affiche du festival, on s’est concentrés sur sa programmation. Et là, le verdict était sans appel : Visions est parfait. Parce que oui, convier la crème des artistes indé (Borja Flames, Capelo, J-Zbel…) sur un fort au milieu de l’océan et tout ça en toute intimité, c’est très très fort.

21.06 au 23.06 - Château d’Avauges -

02.08 au 05.08 - Fort de Bertheaume,

11.07 au 14.07 - Saint-Aubin-sur-Mer

Saint-Romain-de-Popey (Rhône)

Plougonvelin (Bretagne)

(Haute-Normandie)


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