Kiblind 64 - Numéro Chef

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KIBLIND Magazine NumĂŠro Chef



Le Crédit Mutuel donne le

Action Bronson Kamasi Washington Lunice Caballero & JeanJass & friends présentent High & Fines Herbes Underground Kaoz : Kerri Chandler x Jeremy Underground Bicep Live Agents of Time Fixmer/McCarthy Chloé Endless Revisions Live Lee Gamble Live A/V The Hacker

Rone Live Mr Fingers aka Larry Heard Live Antal b2b Hunee Maetrik Live

Four Tet Live Floating Points Dj set James Holden & The Animal Spirits Pearson Sound

The Black Madonna Motor City Drum Ensemble KiNK 4h Live Laurent Garnier

Paula Temple Amelie Lens Dj Stingray Rebekah Moor Mother

Daniel Avery Helena Hauff Objekt b2b Call Super Dj Nobu Lanark Artefax

Tshegue Los Wember’s de Iquitos Dengue Dengue Dengue Young Wolf Camion Bazar

Jennifer Cardini Maceo Plex Dopplereffekt D.A.F. I:Cube Live

Peggy Gou Red Axes Live Ben Frost Live A/V AZF Dj Lag

and many more...


Agathe Bruguière pour KIBLIND et Adobe


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Photo : Florent Tanet

Édito Saluons ici les hommes préhistoriques qui ont essayé de vivre sans manger. Leur sacrifice nous a appris que la nourriture nous était indispensable. Soyons redevables, également, à ceux de nos ancêtres qui tentèrent l’arsenic, l’amanite phalloïde et les petites boules rouges empoisonnées dans les buissons. Nous avons grâce à eux une idée relativement précise de ce qui va nous liquéfier ou non. Une fois cette bénédiction faite, nous pouvons passer à table et bâfrer comme des bêtes tout ce que le filtre des morts passées aura laissé passer. Des bêtes, oui, mais élégantes, parées de la distinction inhérente à la sainte gastronomie française et à son dieu le beurre. Car la bouffe, les amis, est ici une affaire sérieuse, grave même, qui relève des plus hautes autorités en place. Qu’on la bouscule, qu’on lui enlève des bouts et vous verrez la France debout comme un seul homme pour hurler « ouin ouin » ! C’est donc avec toute la délicatesse que vous nous connaissez que nous allons traiter la Chose, avec le savoir-faire de chef.fe.s et du respect pour nos aïeux.


Kiblind magazine n°64 – Chef PRINTEMPS 2018 SÉLECTION 1/2 12 INTRO PICTOS

Chef 22

INTERVIEW

Aline Zalko 24

CARNET DE VOYAGE

Pizza du chef 30

INTERLUDE

Kébab 35

CRÉATIONS ORIGINALES

Recettes dessinées 36

DISCUSSION

Notre pain quotidien 52

INTERLUDE

Food + Internet = <3 55

REPORTAGE GRAPHIQUE

Rungis, aux frontières du réel 56

RÉTROGRAPHIE

La Cuisine cannibale de Roland Topor 64

INTERLUDE

La restauration à thème 69

DISCUSSION

Recettes magiques comme chez l'oncle Walt 48

OUTRO

Playlist Chef par Puzupuzu 70

DISCUSSION

Dans l'estomac de Lil Wayne 50

SÉLECTION 2/2 72


Contributeurs

Nicolas Pellion – Quand on dit rap, il y a Nicolas Pellion qui va avec. Certainement l’un des meilleurs connaisseurs en France, il participe à l’émission « La Sauce » sur OKLM, a écrit pour l’Abcdrduson, Libération et Yard et surtout créé son propre site Purebakingsoda.

Benjamin Rondeau – Benjamin Rondeau est un professeur de français. Ce qui lui permet d’être confronté jour après jour à la gastronomie scolaire. Une chance qu’il a su transformer en livre, Self Service, immortalisant 64 plateaux-repas de la cantine. Pour notre numéro « Chef », on ne pouvait pas le laisser passer.

Matthieu Chiara – Aline Zalko – Aline est le genre d’illustratrice qu’on reconnaît au premier coup d’œil. La beauté singulière de ses œuvres la place en effet dans une zone assez particulière du cerveau appelée « zone des chouchous » où sont imprimées à vie les caractéristiques de son dessin. Et n’allez pas croire qu’il s’agit simplement d’une question d’impact visuel. Son style vif et ultra-coloré n’empêche aucunement la poésie de venir affleurer la surface de ses dessins. Il faudra se pencher sur ce que les Arts Décoratifs de Paris lui ont transmis pour parvenir à ce résultat incroyable. En attendant, on peut toujours admirer son travail chez Le Monde, Stylist, Society, Les Inrocks, Gallimard, Payot ou même LVMH.

Parisien grand et ancien de la HEAR de talent, Matthieu Chiara monopolise notre attention depuis deux ans grâce à son excellent Hors-Jeu (éd. L'Agrume) et son Dessins variés, effets divers à l'origine de sa présence ici.

Malina Cimino – Passionnée de longue date par l'illustration et les jolies choses, Malina Cimino œuvre çà (Beware) et là (nous) pour partager tout son amour. Elle fait bien.

Delphine Zehnder – Ancienne du Petit Bain parisien, Delphine est également amoureuse de la bande dessinée dont elle colporte les ébats autant qu’elle peut.


Contributeurs

Elora Quittet – Brillante diplômée lyonnaise en management de stars, Elora a également l’avantage de porter hautes les couleurs du FC Sochaux-Montbéliard dont elle conserve précieusement un gobelet effleuré par les lèvres pulpeuses de Ryad Boudebouz.

Michel Lagarde – Michel Lagarde a su associer le statut de mémoire vivante de l'illustration française avec celui de connaisseur patenté des évolutions actuelles. Un savoir qu'il distille via ses éditions Michel Lagarde, son agence Illustrissimo et la galerie Treize-Dix.

Amina Bouajila –

Co-fondatrice de la revue Matière Grasse, la fulgurante Amina Bouajila n’attend que la fin du mal et de l’inustice pour devenir une star mondiale. En attendant, elle offre ses dons à des gens aussi bien que Retard Magazine, Influencia, Paulette, Milk Magazine et autres collègues.

Manon Raupp – Férue de musique indépendante jouissive, Manon Raupp, depuis Toulouse, fabrique tout aussi indépendamment son fanzine Ductus Pop.

Basil Sedbuk – Basil Sedbuk est un passionné d'illustration qui abreuve son monde sur son excellent blog, LaBelleIllustration.blogspot.com.

Ted Supercar/Thibaut Hofer – Ce genre de type qui sait parler de tout, en tout lieu, à toute heure. À la tête de son petit business Edition, etc, Thibaut Hofer fournit la presse et les clients privés qui ont l'intelligence de faire appel à lui.

Martin Sztajman – Le cofondateur de Fidèle Éditions et ancien étudiant à Angoulême n'a pas oublié d'ajouter l'humour à l'élégance de son allure. Une drôlerie qu'il diffuse via sa propre maison mais aussi sur le site du Monde ou dans la revue franco-libanaise Salamande dont est issu le « perfect_moments.jpg » de ce numéro.

Florent Tanet – Depuis 2013 Florent se consacre exclusivement à sa passion pour la photographie et à la direction artistique, en particulier pour tout ce qui ressemble à des natures mortes. Il travaille pour Le Monde, Vogue, New Yorker, entre autres facéties.

Nico Prat – Nicolas Prat s’est apparemment rendu indispensable aux yeux des rédacteurs en chef. Journaliste pour Rockyrama, C8 ou Tsugi il est aussi passé par Le Mouv, DumDum, Technikart et Gonzaï, et s’amuse avec son copain Joe Hume pour « Joe & Nico » sur MCM.


STAFF Directeur de la publication : Jérémie Martinez Direction Kiblind : Jérémie Martinez Jean Tourette  Gabriel Viry Team Kiblind  Magazine : Maxime Gueugneau & Agathe Bruguière - Alix Hassler - Jérémie Martinez Justine Ravinet - Jean Tourette - Olivier Trias - Gabriel Viry Réviseur : Raphaël Lagier  Merci à : Matthieu Sandjivy, Alexandra Beaume Direction artistique :  KIBLIND Agence (www.kiblind.com)

INFOS Le magazine Kiblind est imprimé sur papier Fedrigoni Couverture : Arcoprint Milk 300g - Papier intérieur : Arcoprint Milk 100g Typographies : Kiblind Magazine (Benoît Bodhuin) et Orphéon (Marine Stephan) Imprimeur  : DEUX-PONTS Manufacture d'histoires www.deux-ponts.fr Édité à 40 000 exemplaires par Kiblind Édition & Klar Communication. SARL au capital de 15 000 euros - 507 472 249 RCS Lyon . 27 rue Bouteille -  69001 Lyon 69 rue Armand Carrel - 75019 Paris  04 78 27 69 82  - www.kiblind.com  Le magazine est diffusé en France. www.kiblind.com. www.kiblind-store.com Ce numéro comprend un cahier supplémentaire de 24 pages pour la région Rhône-Alpes. ISSN : 1628-4146 Les textes ainsi que l’ensemble des publications n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Tous droits strictement réservés. Selma dit : « sonne square garden !» THX CBS. Contact : redaction@kiblind.com


Capitaine futur et la supernature Exposition de 3 Ă 103 ans

Du 4 avril au 15 juillet 2018

Établissement culturel de la Ville de Paris


SĂŠlection 1/2

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INSTANT INSTA

b_virot

miguelporlan

hahajustkiddinghaha

teummmm

fayollemarion

kushkomikss

wakanayamazaki

atelier.la.casse

anujink

eloweeese

benjamincollet

s.balac


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LE BULLETIN DE L'HIVER

SCREEN SHOT Ce qu'il se passe sur internet, reste sur internet

Dans notre monde de performance, il était temps que les saisons et ceux qui les font reçoivent une juste sanction.

Le tweet qui valait 1,3 Mds

Kylie Jenner est une sœur Kardashian et, à ce titre, une superstar. Alors, quand le 21.02 elle affirme sur Twitter ne plus utiliser Snapchat, le cours de ce dernier dévisse et perd 1,3 milliards de dollars. En vrai, il y a plein d’autres raisons, mais on préfère cette version. → Les statuettes 5/10

→ Les expressions 1/10

On ne sait plus très bien la raison de ces soirées, ni ce qu’elles récompensent exactement. Bon, ça nous permet d’apprendre que le rap français est blanc à cheveux longs et que les humoristes sont des gens gênants, c’est déjà ça. Et, parfois, la lumière vient avec Arnaud Rebotini.

Avec la réforme de la SNCF entreprise et la contestation qui s’organise, l’expression « pris en otage », on le sentait, allait pouvoir gambader librement. Bruno Poncet de Sud Rail, présent au Bataclan, a calmé François de Closets et, on l’espère, un peu tout le monde sur ce fol abus de langage. → Oui, mais 2/10

→ Des fusils et des skis 10/10

Loin de nous l’idée de devenir fanatiques, mais force est de constater que ce sport réussit bien au pays qui est le nôtre. Oui, ce sport incroyable qui consiste à s’essorer sur des skis, puis shooter sur des mini-cibles hyper loin. Le biathlon, oui, Martin Fourcade, oui oui.

Non, nous ne parlerons de cet excellent film avec Gérard Jugnot, mais bien plutôt de ce torrent de « oui, mais » qui s’est abattu sur le mouvent #MeToo. Le mouvement se voit en effet mettre une bonne dose de sparadrap sur la bouche par tout un tas de gens délicieux qui n’aiment pas vraiment voir leur monde changer.

→ La neige en plastique 7/10

→ Black Panther 8/10

On croyait pourtant que les adeptes de la terre plate ou les tenants du chemtrail avaient pris la bonne échappée sur l’autoroute de la folie furieuse. Mais voilà qu’une nouvelle équipe vient les rattraper à une vitesse démentielle : les gars qui pensent que la neige tombée cet hiver en France est en plastique.

On peut penser ce qu’on veut du film. L’important est ailleurs, dans la symbolique, évidemment. Premier blockbuster avec un casting à forte prédominance afro-américaine, Black Panther a dépassé le milliard de recettes et soufflé un peu d’espoir sur des États-Unis un peu en dedans ces jours-ci sur les questions d’égalité et de droits de l’Homme.

#BalanceTonPorc TM

Comme avant lui ses aïeux #NuitDebout et #JeSuisCharlie, le mot-dièse #BalanceTonPorc a été déposé à l’INPI par un petit malin que la honte n’étouffe pas plus que ça. Il pourra donc vendre des t-shirts en échange de sa dignité. Space Cruisin

Y a pas à dire, Elon Musk sait y faire pour nous ôter de l’esprit toute critique à peu près construite. Au moins pour un temps. Les photos de la Tesla Roader dans l’espace, faisant suite au succès du lancement de sa fusée Falcon Heavy, sont en effet tout simplement merveilleuses.


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ARCHIVE DE SAISON

Expect the unexpected. Tomi Ungerer affichiste. Du 1 au 18 juillet 2018. Musée Tomi Ungerer - Centre International de l’Illustration à Strasbourg. — Michel Lagarde

Dessin pour Jean de la Lune - Lavis d’encre de Chine et d’encres de couleur sur papier blanc - © Musées de la Ville de Strasbourg / Diogenes Verlag AG Zürich

«Expect the unexpected» c’est le slogan d’une célèbre campagne pour le Village Voice dans les années 60, mais aussi une bonne formule pour présenter Tomi Ungerer, sans doute le plus surprenant des grands imagiers du XXe siècle. Né en 1931 en Alsace, il a été fêté, pour ses 85 ans, dans son musée de Strasbourg par trois générations d’illustrateurs bercés par Les Trois Brigands (1961), Jean de la Lune (1966), La grosse bête de Monsieur Racine (1971), Le géant de Zeralda (1971) et une bonne dizaine d’autres chefs d’oeuvres. Avant de devenir un classique absolu de l’édition jeunesse et d’accompagner les premiers pas de l’École des loisirs, il a commencé par conquérir New-York dès le milieu des années 50 avec son travail pour la presse et la publicité, et des affiches politiques époustouflantes regroupées dans un ouvrage fameux : The poster art of T.U. On n’oubliera pas Tomi le scandaleux, avec ses ouvrages SM vendus sous le manteau en Allemagne, mais aussi l’enfant de la guerre, le génial collectionneur de jouets, l’Européen convaincu, le provocateur. On retiendra le salutaire esprit frappeur d’Ungerer. Son musée, dont la visite à Strasbourg est hautement recommandée, aborde tous les aspects de son oeuvre. Ce n’est pas simplement un immense dessinateur mais aussi un moraliste qui n’a jamais pris les enfants pour des idiots.

Tomi Ungerer, « Expect the Unexpected », 1968. Affiche pour The Village Voice Photo : Musées de la Ville de Strasbourg / M. Bernhart © Diogenes Verlag AG Zurich / Tomi Ungere

Michel Lagarde fouille dans ses précieuses archives pour raviver un souvenir d'antan qui nous fascine toujours autant. Cette fois-ci, c’est l’ami Tomi Ungerer.


Dessins pour La Grosse Bête de Monsieur Racine - © Musées de la Ville de Strasbourg / Diogenes Verlag AG Zürich

Dessins pour Le Géant de Zéralda - © Musées de la Ville de Strasbourg / Diogenes Verlag AG Zürich

Dessins pour Les Trois Brigands - Lavis d’encre de Chine et d’encres de couleur, feutre et rehauts de crayon blanc sur papier blanc - © Musées de la Ville de Strasbourg / Diogenes Verlag AG Zürich

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PERFECT_ MOMENTS.JPG

Martin Sztajman nous fait partager ces délicieux instants où le temps semble s'arrêter. Ce visuel est tiré d’une série à retrouver dans la revue Samandal (@samandalcomics). Vous pouvez retrouver Martin chez Fidèle Éditions, sur lemonde.fr tous les dimanches pour sa série Rhétoriques et sur son tumblr : martinsztajman.tumblr.com.


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FOOD & MAGAZINE

Couvertures En préambule à notre dossier spécial consacré à la thématique "Chef", on n’a pas pu résister à sélectionner ces quelques luxuriantes couvertures. Parues ces trois derniers mois, elles démontrent la diversité et la créativité des magazines culinaires à travers le monde.

Pour commencer ce casse-croûte, rien de mieux que le nouveau numéro de Food & consacré à la guerre nucléaire, tout simplement. En reprenant les codes graphiques de l’édition parue en 2001 de Nuclear War Survival Skills, le biannuel berlinois affiche la couleur et imagine, explore, s’amuse des liens existants entre nourriture et attaque nucléaire : publicité annonçant des prix atomiques, page entière consacrée aux champignons, recettes à base de spiruline (les fameuses pilules conseillées pour lutter contre la radioactivité) ou photographies de tables de restaurant laissées à l’abandon lors de la fameuse attaque, tout y passe. On notera la délicieuse entrée en

matière par la lecture d’une fiction répondant au doux nom de Duck and Caviar, où l’on suit la fabuleuse histoire d’un garçon qui ne se nourrit que de canard et de caviar lorsqu’il a faim. À la fin seulement, ces petits malins nous renvoient à YouTube et vers un cartoon de 1951, Duck and Cover, qui offre de vrais conseils de la Federal Civil Defense Administration des États-Unis. Étonnant et généreux ! Si vous n’êtes pas encore rassasiés, il vous reste ces quelques menues distractions qui sauront ravir votre appétit de lecteur : Put a Egg on it (US), Brutal (US), The Gourmand (UK), Fricote (FR), Pit (UK), Mold (US) ou Tapas (ES).


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CLIP Le plan-séquence Parce que nous n’avons aucune culture et qu’on aime beaucoup Nicolas Cage, on citerait bien Snake Eyes pour parler de plan-séquence (rho si, la première scène, il fait une blague direct là). Mais on nous dit dans l’oreillette qu’il vaudrait mieux parler de la scène d’entrée de La Soif du Mal d’Orson Welles. Relou. Tout ça pour dire que ce geste de cinéma, qui tient à la fois de la performance et de la mise en scène de la vérité, est une chose que les clips adorent, parfois, surtout quand ils sont réalisés par Michel Gondry. L’homme est en effet un spécialiste comme on a pu le voir avec Chemical Brothers, Massive Attack et Daft Punk, mais aussi et surtout avec le merveilleux « Come into my world » de Kylie Minogue, dans lequel il s’amuse avec la soi-disant authenticité du plan-séquence. Mais, prenons garde, le plan-séquence est avant tout du cinéma et n’est aucunement synonyme de qualité musicale, comme le prouvent le clip de Christine and The Queens et Booba réalisé par Arthur King ou les (pourtant super) vidéos de Ok Go. Il peut même être le signe d’un certain désespoir artistique, comme le souligne le clip de « Say Something » du pauvre Justin Timberlake, signé Arturo Perez Jr.

FAITS DIVERS

— Dessins variés, effets divers, Matthieu Chiara


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JEU DES 7 ERREURS Amina Bouajila

JEU DES 7 ERREURS Amina Bouajila FRENCH RISO CONNECTION Riso  est un fabricant japonais de copieurs comme celui juste là, juste à côté. C’est désormais aussi le nom d’usage de la technologie numérique qui permet, à l’aide des tambours de couleurs, de superposer plusieurs couches d’encre, un peu comme en sérigraphie. Bref, c’est absolument parfait pour imprimer des quantités moyennes de flyers, affiches et autres supports d’édition, le tout au format maximum d’un A3. Si Kiblind et son atelier se sont récemment équipés de ladite bestiole, c’est que les studios français en raffolent. Ils excellent dans l’art de jouer des décalages, de superposer les couleurs et de maitriser les effets de trame. Petit tour d’horizon des talentueux activistes imprimeurs avec une mention spéciale à Riso Presto qui, après de nombreux coups d’éclat, vient de tirer sa révérence. RIP.

PAPIER MACHINE

476

MAISON RISO

SUPER TERRAIN

FIDELE

QUINTAL EDITIONS

RISO PRESTO


1ER JUIN 28 JUILLET

2018

www.nuitsdefourviere.com

Photographie Painted Elephants, 2013 © Charles Fréger I Conception graphique www.fabricehaes.com I RCS 488 056 235 000 10 I Siret 488 056 235 000 10


Photo : Florent Tanet


Chef Chef Chef Chef Chef


intro pictos

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D'une, on ne met pas les coudes sur la

.

De deux, on évite les bruits un peu dégueu avec la

. On pourra alors être copains.

Parce que manger n'est pas une mince affaire. Il y a toute une histoire à raconter, un décorum à installer, une attitude à adopter. On n'est pas des

.

On a de la classe et de la distinction. Prenez exemple. Le bout de

sur la joue ?

Pure précaution en attendant la fin de l'hiver. La tâche de gras sur le C'est pour nourrir le textile, c'est bon, c'est plein d'oligo-éléments.

?


Chef

La

23

sur la table ? On se donne un genre,

pour faire croire qu'on fait de la moto. Et puis, oh, ca va maintenant ! C'est notre quand même ! Dans les pages qui suivent, y a du cannibalisme et de l'entrepôt plein de

, c'est pas Nadine de Rotschild non plus ! blanches et lavage sous les bras,

okay, une

sur la tête, oui, mais c'est tout

ce qu'on peut faire. Et encore c'est bien parce qu'il y a Aline Zalko dans le coin et qu'on est allés faire un tour à l'École Française de Pizzaiolo. On va pas non plus devenir tout propres, ce serait changer notre nature.



Interview

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Un oeil humain normalement constitué remarquera invariablement le travail d'Aline Zalko au milieu du banquet illustré de nos talentueux contemporains. D'abord parce que l'artiste parisienne, ancienne des Arts Décoratifs de Paris, maîtrise à la perfection la recette de la mise en couleur.

Aline Zalko, le goût des couleurs & le parfum du kitsch Mais aussi, sans doute, parce qu'elle met ses expérimentations impressionnistes au service de sujets qui flirtent avec le mauvais goût ou l'accident esthétique. Un festin aux saveurs paradoxales et inoubliables, un peu à la façon d'un hot-dog terre et mer, cabillaud et jambon Bellota, douce vanille et crème de Wasabi.


Interview

Quels sont les ustensiles pour réaliser un dessin, une illustration d’Aline Zalko ? Je suis une psychopathe du crayon de couleur, je peux me prendre la tête des heures sur une teinte de bleu. À une époque où j’avais un peu plus de temps, je me suis lancée dans un nuancier que je n’ai évidemment jamais terminé... Avec le nom de chaque couleur, en les classant par famille de teinte et tout… Je finissais par les perdre en cours de route, ce qui me donnait un prétexte pour tout recommencer ! Aujourd’hui j’en utilise encore plus, des gras, des secs, peu ou très pigmentés… Sans parler des feutres, de la peinture, etc. que je réintroduis petit à petit. Je reviens à mes premières amours, au temps où j’allais dès que possible à New York. J’étais alors très influencée par Saul Steinberg et je mélangeais du marqueur, du crayon, du Bic. Au départ mes dessins étaient très bleus, très ocres, très gris mais tout ça a évolué depuis. Parfois je travaille aussi à partir de photos trouvées, pour faire des dessins dans lesquels je vais réintroduire des couleurs. Les Kodachrome m’inspirent beaucoup car les couleurs y sont vraiment saturées, irréelles, il y a aussi pas mal de flous. Et j’adore jouer entre les éléments flous et des choses très précises : les variations de lumière dans les différents plans, la réinterprétation des couleurs... C’est obsessionnel ! Ces images évoquent aussi une forme de nostalgie, une retranscription d’un passé révolu. Je réinterprète un monde qui a disparu, il devient un univers fantasmé.

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échange avec la School of Visual Arts à New York et ça c’était une grande chance. Et après j’ai fait pas mal d’allers-retours entre mes études et des petits boulots là-bas. J’aimais bien dire à l’époque que j’habitais entre Paris et New York, c’était cool :-) Philippe Caron, qui était un super prof que j’ai eu en première année, m’a donné deux contacts là-bas : Philippe Weisbecker, dont j’ai alors découvert le travail et j’ai été scotchée, et Guy Billout, super illustrateur installé aux États-Unis. Guy m’a dit : « Tu sais, New York c’est les États-Unis : tu appelles le New York Times, c’est même pas la peine de prendre rendez-vous de ma part ; les gens

te reçoivent, tout simplement. Plus simple qu’en France… » J’ai donc appelé le New York Times. J’ai rencontré un mec qui s’appelait Steven Heller, le directeur artistique du Book Review. Je suis arrivée 2 minutes en retard, il m’a dit : « OK, vous avez 2 minutes de retard. Il vous reste donc 3 minutes de rendez-vous. Est-ce que vous les prenez ? Ou alors vous prenez vos 5 minutes la semaine prochaine. » J’étais en panique... Mais j’ai quand même demandé si je pouvais additionner les deux. Bon, j’ai eu le « non » le plus froid de la terre. Je suis donc revenue la semaine suivante avec mon book. C’est comme s’il avait tout scanné dans sa tête en

" [Le Directeur Artistique du New York Times], C’est comme s’il avait tout scanné dans sa tête en tournant les pages [de son book], et il m’a dit un truc du style : « your work is about contrast... » C’est tout. "

Quel est ton parcours ? Après le bac (et une année d’errance) je suis entrée aux Arts Déco de Paris, mais je n’étais pas très présente en cours. Je ne suis pas très scolaire en vérité. Mais j’ai fait un Coney Island Arcade, 2009.


Aline Zalko

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serveuse catastrophique… Un jour, je venais de faire une couverture pour Fayard, et le mec de Fayard justement se pointe pour acheter son pain... dans la boulangerie où je travaillais... J’ai dû me planquer pour éviter qu’il me voit en train de sortir les baguettes du four. J’essayais de vendre mes dessins en parallèle mais j’arrivais avec un book constitué que de paysages new-yorkais. Les gens ne voyaient pas trop l’aspect applicable de la chose. Donc j’ai décidé de contacter un agent qu’on m’avait conseillé. Sans succès. Je n’avais plus beaucoup d’alternatives. En réalité, pour moi, je n’en avais qu’une : me remettre au travail pour trouver la clé.

J’ai commencé un dessin qui n’avait aucun rapport avec mon travail précédent. Il y avait vachement de couleurs. J’étais captivée à l’époque par cette actrice Dakota Fanning, qui a joué notamment à partir de ses 2-3 ans pour des pubs américaines et puis chez Spielberg, et d’autres. Je trouvais ça vraiment magique de voir une petite fille grandir à l’écran dans un univers américain formaté avec ses codes. J’ai fait ensuite toute une série sur elle. Et ce premier dessin, qui traitait aussi de la condition féminine dans le cinéma, l’enfant qui devient femme, etc. Ce premier portrait de cette actrice, je ne peux pas expliquer pourquoi, mais c’était différent... Et je me suis dit qu’il se passait un truc. C’était en 2013. Ça a été un électrochoc. Depuis toute petite, on me disait que je savais bien dessiner, ma mère, mes amis, etc. J’avais sans doute juste besoin d’un énorme coup de pied aux fesses. Dans la foulée, j’ai eu le salon de Montrouge, ou j’avais fait, entre autres, trois grands autoportraits ; puis une expo dans la galerie de Derouillon. À ma grande surprise, le même agent que j’étais allée voir est venu à l’expo, et depuis nous travaillons ensemble. J’ai enchaîné rapidement, tout en gardant un pied dans le dessin contemporain et l’illustration, notamment avec la revue Feuilleton : 20 dessins à faire en très peu de temps. Une super formation ! Et c’était parti.

Glove (présenté au Salon de Montrouge), 2013.

Bunnies, Pour la revue Feuilleton, 2015.

Dakota, 2013.

tournant les pages, et il m’a dit un truc du style : « your work is about contrast... » C’est tout. Et puis il m’a donné ma première chance en me confiant un article à illustrer. Bon restait le stress à gérer de retour à Paris... Mais voilà, on pouvait gagner sa vie en faisant du dessin. C’était extraordinaire pour moi ! Même si ça n’a pas toujours été simple. Il n’y a pas de recette miracle ? Non, c’est un long chemin ! Pendant un petit moment, je faisais des petits boulots pour gagner un peu de $$$, mais je me faisais souvent virer. Vendre des chocolats 3 jours, la boulangerie 2 semaines, être une

Autoportrait 1 (présenté au Salon de Montrouge), 2013.


Interview

Comment en es-tu arrivée à ce style si reconnaissable ? À mixer dessin et illustration ? Au début je n’avais pas vraiment de style défini (sauf peut-être l’o mniprésence du crayon de couleur), et puis j’ai fait le salon de dessin contemporain de Montrouge. Et je me suis mise à tester les deux pratiques en parallèle, l’illustration et dessin contemporain. Je fais beaucoup de dessins qui n’o nt pas vocation à être illustratifs mais j’adore aussi les commandes.

Elisa Forest, 2017.

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Quand tu vois des mecs comme Saul Steinberg, il n’y a plus de limites entre ce qu’ils vont faire pour un journal, pour un livre ou pour eux-mêmes. C’e st le but ultime. Et puis, plus ça va, et plus j’ai des commandes intéressantes. Ce sont de véritables terrains de jeux. En fait, le côté « appliqué » d’une illustration est assez jouissif, même par rapport à la préparation d’une expo par exemple, où dans ce cas, c’e st la page blanche complète : t’e s livrée à toi-même. J’adore les

contraintes, cette excitation de répondre à des attentes. Quels sont tes ingrédients préférés ? J’aime bien le kitsch, ce qui flirte avec le mauvais goût. Par exemple, je suis fascinée par l’esthétique du roman de gare, du livre jetable avec des femmes nues mais pas trop ! Notamment pour la (fausse) couverture du Moravia que j’ai adoré faire, où on se dit pourquoi ils nous collent une meuf qui est train de se déshabiller, quel est le rapport avec le roman. Je regarde aussi beaucoup de films pour m’inspirer, des films d’horreur italiens, où il y a des trucs bricolés avec du sang sauce tomate. J’adore cette thématique de l’horreur carton-pâte où la figure féminine est très importante. Mais mon boulot tourne aussi beaucoup autour de l’adolescence, de l’enfance, de la femme dans cette période de transition, de transformation. Des jeux de pouvoir qui s’installent : le dominé, le dominant, comment sortir d’un rôle qu’on te donne. D’où mon travail sur les yearbooks. J’aime tous les films des années 1980-90 qui se passent au collège, au lycée, ou les séries comme Beverly Hills, Dawson, Angela, etc. Ça a eu pas mal d’impact sur ma jeunesse, et celle de ma génération. Alors que nous, on n’avait pas de casier, pas de yearbook, pas de jeté de chapeaux... Ça m’a toujours fascinée. S’approprier une mythologie qui n’est pas vraiment la tienne mais qui résonne mystérieusement. Les USA, ça reste exotique, fantasmagorique. L’exagération permanente, la culture dominante. C’est intéressant de traiter en dessin une culture qui se met déjà en scène. Et puis on baigne toujours dedans.


Aline Zalko

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" Quand on voit les dessins de Gauguin quand il était encore en Bretagne, par exemple. Quand il fait une ombre et qu’il y a du rose et du turquoise dedans, ça me rend hystérique. Avoir une sensation de lumière du soleil en mettant une couleur qu’on n’attendrait pas comme le turquoise, c’est assez dingue." Et là, sur quoi tu travailles ? En ce moment, je suis très paysage. Je vais souvent en Auvergne et je dessine des arbres. Hockney j’adore, Richter, et les impressionnistes évidemment. Ma mère m’emmenait souvent au musée d’Orsay quand j’étais gamine et je pense que ça m’a forcément marquée, même inconsciemment au départ. Quand on voit les dessins de Gauguin quand il était encore en Bretagne, par exemple. Quand il fait une ombre et qu’il y a du rose et du turquoise dedans, ça me rend hystérique. Avoir une sensation de lumière du soleil en mettant une couleur qu’on n’attendrait pas comme le turquoise, c’est assez dingue. Alors qu’en vérité, on l’a tous déjà capté dans un coin de notre œil un jour ce turquoise. Je trouve ça fou... D’ailleurs mes parents m’ont appelé Aline en référence à la fille de Gauguin, donc ça me poursuit encore.

Bref, en ce moment je suis beaucoup dans des compositions de nature et de paysage. J’aimerais bien aussi me lancer dans la réalisation d’un livre pour enfant. Et pour adulte ! Et puis des assiettes et une fresque pour Kiblind ! Et pour l’année prochaine je réalise une collection capsule pour la marque de sapes Commune de Paris. Mais en vérité tout ce que je n’ai jamais fait m’attire. Ah et pour septembre un nouveau solo show en galerie se prépare… Les thématiques de l’enfance, de la jeune fille et de l’adolescence risquent fort d’y être présentes.

Dessin réalisé pour Le Monde (M Magazine) - 2017 - À retrouver chaque semaine.

Jericho, pour le label Enfance - Pochette du vinyle Jericho / Thierry Caens, 2016.

> www.alinezalko.com

Candy - Issue de la série Yearbook, 2018.

Interview : Jérémie Martinez Portrait : Aline Zalko


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Pizza du chef Quand le carnet de tickets resto est épuisé, quoi de mieux qu’une virée à l’École française de pizzaïolos afin de manger pour trois jours en bonne compagnie ? Cet endroit, pas tout à fait imaginaire, est complément logique dans un pays qui enfourne deux fois plus de pizzas que l’Italie.


Pizza du chef

Rue Sauffroy. Au cœur du 17e arrondissement de Paris, un quartier à pâte molle, parfois croustillante, un coin de rue est longtemps resté une énigme. Il accueille l’École française de pizzaïolo, dont les vitraux étonnants fonctionnent bien avec la légende urbaine autour de l’adresse : celle d’un ancien club libertin devenu centre de formation en 2004. Sylvain, « plus de dix ans dans la pizza », en assure la gestion quotidienne et raconte son histoire comme une chanson italienne, avec cinq ingrédients sur base blanche. 1. Éric Riem, surnommé Zio (« Tonton »), a fondé la chaîne Taxi Pizza à partir de son port d’attache du Cap d’Ail, près de Monaco. 2. Mais une fois passé l’Italie, il constate que son niveau de pizzaïolo n’est pas suffisant pour faire de la compétition (traduction : « il s’est ramassé sur tous les concours »). 3. Heureusement, la même péninsule a inventé la pizza (en 1600), la simulation de faute au football et les écoles spécialisées pour faire un sans-faute lorsque tout tient sur une pâte. 4. Éric Riem développe alors un palmarès long comme celui de la Juventus, jusqu’à devenir vicechampion du monde de la pizza créative puis champion du « World Pizza Tour », catégories classique et acrobatique. 5. En 2004, il fonde la première École française de pizzaïolo qui dispose désormais de six antennes sur le territoire, dont la

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vitrine parisienne qui nous ouvre les portes, un peu « comme si c’était TF1 ». Non, c’est juste Kiblind, mais ce n’est pas pour déplaire à Edgar, l’un des apprenants au sous-sol qui nous a découverts à la galerie Arts Factory, à Paris, lorsque son camion à pizza roulait encore des mécaniques du côté de Charenton. Il a désormais ouvert un restaurant en Bretagne, en plus du véhicule, et continue de

se former aux règles et au savoirfaire du métier. « Nous accueillons plus de 300 élèves chaque année avec des profils très différents, la plupart professionnels, mais également quelques amateurs passionnés. Récemment, par exemple, nous avons eu une retraitée de 70 ans et des touristes japonaises, même si nos stages restent quand même très techniques. » L’École propose ainsi plusieurs formules d’apprentissage et de perfectionnement, dont une préparation à un diplôme de pizzaïolo, reconnu par l’État. Ils sont

trois élèves aujourd’hui, encadrés par Sylvain et Jérémie, en cours de reconversion après plusieurs années de métier « al taglio » (à la part) : « C’est pas du tout la même chose, il faut tout reprendre. » Ce matin, la petite troupe d’hommessandwichs, remplis de logos des partenaires de l’École, prépare les pâtes et les bases de recettes, dont cette merveilleuse émulsion de mascarpone et d’oignons rouge. « La pâte, c’est un fondamental. Il en existe de nombreuses et c’est une sorte d’ADN pour chaque pizzaïolo, quelle que soit la technique qu’il pratique. » À ceux qui la voyaient se morfondre dans une querelle entre les Anciens et les Modernes, entre la pâte fine et la pan américaine, on peut désormais complexifier bien les choses, comme l’ont fait ces foutus anchois, en parlant de fermentation, de macération, de densité d’air, de la technique Poolish, originaire d’Autriche ou de la pâte Biga avec son brin d’amertume. « La pizza, c’est pas simple, confirme Sylvain, qui baigne dedans depuis qu’il a du sang italien. Fin 2017, l’art du pizzaïolo napolitain est entré au patrimoine immatériel de l’Unesco, ce qui est une consécration pour ce savoir-faire culinaire transmis de génération en génération. » La marinara et la margherita sont ainsi devenues labellisées avec un ensemble de produits, originaires de Campanie (tomates, Mozzarella di Bufala), de procédés et d’équi


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pements qui les rendent uniques, et désormais protégées. « Le patrimoine mondial recouvre toutes les étapes, de l’étalage de la pâte aux techniques de cuisson en passant par la forme et l’épaisseur. » La véritable pizza napolitaine doit être cuite au four à bois, à 485 degrés et moins d’une minute, ce qui la rend aussi perpétuelle qu’une accroche matrimoniale toujours en appétit : croquante à l’extérieur, fondante à l’intérieur.

Royale Les Français sont parmi les plus gros mangeurs de pizza au monde, derrière les États-Unis et loin devant l’Italie. Ils en avalent dix kilos en moyenne chaque année, deux fois plus que les voisins transalpins qui ne sont pas vengés pour autant, c’est sympa, sur les plats en sauce. Et maintenant qu’elle s’est érigée en objet culturel, la pizza en France pèse autant que le secteur du livre, pour toute comparaison inutile : plus de 5 milliards d’euros de chiffre d’affaire annuel, répartis entre une myriade de pizzerias, de camions fumants, de livreurs, de surgelés et de distributeurs du futur. Au total, il s’en consomme 29, en moyenne, chaque seconde, une cadence trois fois plus rapide que celle d’un ke-

" Fin 2017, l’art du pizzaïolo napolitain est entré au patrimoine immatériel de l’Unesco, ce qui est une consécration pour ce savoir-faire culinaire transmis de génération en génération. "


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bab et vingt fois supérieure à celle d’un sushi un peu limaçon. Avec cette puissance de feu, la pizza française a généré un écosystème complet, doté d’organisations professionnelles, de salons et d’écoles dédiés, de compétitions culinaires et de cabinets de conseil qui font ce type de mesures ou s’amusent à compter le nombre d’unités englouties à l’année : 750 millions en 2017, mais 500 millions de moins qu’il y a 5 ans ! La compétition junk est en effet très féroce. « Nous avons été pionniers dans la formation et dans la promotion de

des pizzas au programme du jour. « Vous avez de la chance : ça va être très créatif ! » Avec son bandana sur la tête, il ouvre le bal devant le grand four flamboyant, une des fiertés de la maison. « C’est le principal investissement quand tu ouvres un restaurant mais il reste quand même assez relatif puisque tu peux te lancer avec 15 000 à 20 000 euros d’équipements tout compris. » L’autre petit bijou de l’école repose dans sa nouvelle annexe, destinée notamment aux formations d’hygiène et de gastronomie italienne. On s’y faufile avec Sylvain pour

de tailler la bavette sur le marché de l’immobilier parisien (« c’est dingue ! »), les cauchemars en cuisine et les pizzas absolument food porn en train de se préparer sous nos yeux, gros comme le ventre. Jean-Louis a le smartphone et le verbe faciles. « Mon métier, c’est de préparer les gens pour éviter la fermeture et, si elle arrive, à réparer les dégâts. Dans certaines situations, ça peut être terrible ! » Pour conjurer la grisaille, qui ne sent pas vraiment bon l’Italie, Jérémie s’est lancé dans une série de créations bien au-delà des quatre

certaines pratiques comme la pizza acrobatique », sorte de mariage forcé entre un derviche tourneur et la Chandeleur. Pendant que l’atelier se termine au sous-sol, Sylvain se lance alors avec une fausse pâte en silicone qu’il fait tournoyer à toute vitesse autour de sa tête et le long de ses bras. Plusieurs spécialistes sont passés par ici, dans le sillage du fondateur de l’école : c’est le cas de Nabil Berrahmane, quatre fois champion de France et deux fois champion du monde de freestyle. C’est la pause de midi. Jérémie remonte les pâtes et les préparations du matin, en consultant la liste

admirer l’outillage en silence, car le Food Japan Institute a privatisé la journée pour des cours particuliers de… ramen. « Eux, ce sont des bons ! », mais il n’est pas question de changer de camp, pas plus que le formateur n’a choisi entre son imposante vapoteuse et son paquet de cigarettes, jamais très loin du cœur.

banales saisons. On y retrouve notamment de la crème de courgette, du fenouil frais, du speck aromatisé à l’anis et une sorte de méthode Coué ou d’équilibriste assumé. « Ça fait dix ans que je mange de la pizza quasiment tous les jours et regardezmoi... J’ai même tendance à maigrir. » Sylvain n’a pas non plus la corpulence qu’on pourrait attendre en le regardant étaler une burrata entière sur une seule pièce. « Bon c’est vrai, normalement on ne met que la moitié… Mais la pizza, ça peut être équilibré et je suis convaincu qu’elle améliore aussi le transit, du moins je l’ai constaté. » Le détail restera off.

Food porn Jean-Louis est le formateur hygiène, bien propre sur lui, ce qui va peut-être de soi. Il n’officie pas aujourd’hui mais passe une tête, au bon moment, ce qui est l’occasion


Carnet de voyage

Évidemment, la burrata est un régal, notamment grâce à cette manière de faire cuire la pâte puis d’y apposer méticuleusement les ingrédients dans un deuxième rideau de tiédeur. « Le mélange du chaud et du froid, c’est parfait avec de bons produits frais, mais c’est compliqué à reproduire dans un restaurant, car ça prend plus de temps. » Cela étant, dans un marché actuellement au ralenti, la pizza créative se taille plutôt la part du lion avec des combinaisons astucieuses et des innovations, à ne pas confondre avec les mélanges pas très sympathiques des grandes chaînes à base de kebab, de raclette ou de foie gras. « On peut tout faire avec une pizza mais c’est parfois n’importe quoi : ça ne m’étonnerait pas qu’on en voit un jour aux sushis ! » Les deux fours culminent toujours à 330 degrés. Les élèves enfournent et défournent leurs recettes à grands coups de pelle, quasiment chaque minute. Nous sommes au bout de la chaîne, pas loin de la rupture, avec un petit rôle de Tortues Ninja dans un remake de La Grande Bouffe. La pizza à la truffe devrait nous assassiner, comme la base oignons rouges qui arrive bientôt. C’est finalement le verre de blanc, à 13h30, qui se chargera du reste de la journée : une petite sieste de-rien-du-tout. Pendant quatre heures encore, la sympathique équipe continuera à s’exercer dans la bonne humeur et à se bonifier le colon. Nous fermons, avec regret, cette excellente parenthèse, à tous les sens du terme. Et pour la fin du mois prochain, il faudra peut-être songer à prendre la route de SaintLô, en Normandie, où France Kebab vient d’ouvrir la première Academy française de « maîtres kebabistes ». Texte : Gabriel Viry Photos : @yohann.borel

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Pizza du chef


Illustration et pictos : Agathe Bruguière Texte : Alix Hassler

Interlude : kébab

REPÈRES HISTORIQUES - L’origine du kebab remonte au Moyen-Âge. La légende raconte que les soldats ottomans utilisaient leur épée pour griller des morceaux de viandes sur le feu. - En 1971, Mehmet Aygün, immigré turc travaillant dans un snack de Berlin, a l’idée de glisser les lamelles de mouton dans un pain pita. Détente, il invente ainsi le kebab moderne et permet à ses clients de commander « à emporter ». Plus tard, il crée aussi la célèbre sauce blanche. Un homme bon ! - En 1972, Kadir Nurman, autre père du kebab (officiellement reconnu par l’Association des fabricants turcs de kebabs), vend ses sandwichs dans Berlin Ouest.

KÉBAB OU GREC? Le « grec » est une star des années 80. À cette époque, les vendeurs de gyros (spécialité grecque, proche du kebab) étaient les pionniers du commerce de sandwichs pita dans Paris. À l’apparition des kebabs germano-turcs dans les années 90, le terme est resté dans le langage courant. De manière logique, l’appellation « grec », erronée pour désigner un kebab, est principalement utilisée en région parisienne. Au niveau national, une étude menée par le site kebab-frites.com indique que seuls 18% des consommateurs utilisent le mot « grec » contre 53% pour « kebab ». Kebab 1 - Grec 0.

POINT CONSO En France, 310 millions de kebabs sont consommés chaque année, soit 10 par seconde. Ils représentent 14% des sandwichs vendus. 10 000 points de vente sont recensés, faisant de la France le 2nd parc en Europe. L’Allemagne est n°1 ; on y consomme 4 fois plus de kebabs que de hamburgers !

KEBAB ACADEMY Depuis 2012, une école du kebab s’est installée à Saint-Lô en Normandie. Chaque année, 90 stagiaires y sont formés pour devenir maitreskebabistes. Au-delà du célèbre sandwich, la formation ouvre sur les multiples utilisations de la viande grillée « pizzas, galettes, ragoûts et même risottos ». Miam chef !

INFO-KEBAB Nombre de calories : 1 200 en moyenne par kebab (contre 503 pour un Big Mac). Outch. La plus grande concentration de restaurants : Metz avec 0,42 kebabs pour 1 000 habitants. Le meilleur kebab : selon plusieurs sources, il s’agirait de « Unik Kebab » à Lille. Le plus gros kebab : 413 kg (record Australien, détenu depuis 2004).

RAP GAME Grosse street cred pour le kebab, évoqué dans les paroles de plusieurs rappeurs, comme Booba ("Je représente la banlieue comme un grec-frites", Le Duc de Boulogne, 2006, ou encore le son « Salade, tomates, oignons », 0.9, 2008), Rohff ("Lève ton YZ et ton grec, nigga", 94 Mentale, 2007) et Nekfeu (« Les pochoirs, les poches, chiche kebabs sauce pois chiche », Comme ça, 2014). Malgré tout, notre hit chouchou reste quand même « Mange du kebab » de Lill Maaz.

LE KÉBAB —

PODIUM Le kebab est procédurier. Après le choix de la viande et l’étape du « salade, tomate, oignons » vient la sélection cruciale de la sauce. Point trop d’originalité, près d’un consommateur sur deux accompagne son kebab de sauce blanche (étude Topito, jan. 2017). La sauce Samouraï est sur la deuxième marche suivie, pour la médaille de bronze, de l’algérienne. Aux confins du classement, la béarnaise fait grise mine (en même temps, qui ose choisir ça ?).

Issu du mot arabe kabãb, le kebab signifie « grillade » ou « viande grillée ». Dans son utilisation francophone, le terme se rapporte plus spécifiquement au sandwich chaud fourré de lamelles de viande grillée à la broche, servies dans un pain garni de crudités. Par métonymie, le kebab désigne aussi le restaurant qui le sert.


CrĂŠations originales

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AglaĂŠ Rochette | Sans nom aglaerochette.tumblr.com


CrĂŠations originales

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Berenice Milon | Balade aux champs berenicemilon.com


Créations originales

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Clémence Dupont | Le meilleur petit déjeuner clemence-dupont.tumblr.com


Créations originales

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Hélène Jeudy | Sans nom helene-jeudy.tumblr.com


CrĂŠations originales

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Hugo Moreno | Gaspacho hugomoreno.fr


Créations originales

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Lisa Mouchet | Pièce montée lisamouchet.com


CrĂŠations originales

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Phileas Dog | Champignons Ă la grecque phileasdogcorporation.com


CrĂŠations originales

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Romain Bernard | Mille-feuille tight.fr


Créations originales

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Simon Lahure | Americain bouchon gratiné aooooos.tumblr.com


CrĂŠations originales

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Yi Seula | Salad w w w.behance.net/lllllllllsa


Créations originales

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AGLAÉ ROCHETTE

PHILEAS DOG

Membre éminente du crew Zuper, Aglaé est évidemment copine avec Lisa Mouchet dont on reparlera plus bas. Comme beaucoup de gens admirables, elle est diplômée de la HEAR de Strasbourg et on a pu voir son boulot sur les affiches du Château Sonic Festival ou dans Laurence 666. aglaerochette.tumblr.com

Fraichement installée en Ardèche, elle y a investi une ancienne menuiserie pour y mettre son atelier de sérigraphie et y réaliser ses estampes et éditions. De là, elle prépare ses cours qu'elle donne à Grenoble, fomente des ateliers pédagogiques, part pour des festivals de microéditions et fait parmi les plus beaux dessins qu'on connaisse. phileasdogcorporation.com

LISA MOUCHET Oh bah tiens, on reparle déjà de Lisa Mouchet. Membre éminente du crew Zuper, Lisa est évidemment copine avec Aglaé Rochette. La HEAR, oui, elle aussi, mais on remarquera que son style crayonné tranche avec celui de sa besta. On a pu le remarquer d'ailleurs dans le Papier Magazine #2. lisamouchet.com

SIMON LAHURE

YI SEULA

HUGO MORENO

Yi Seula fait partie de nos amours absolus croisées grâce au Dieu internet. Fanatiques depuis une bonne paire d'année nous avons franchi le pas de la demande à la native de Séoul qui vit aujourd'hui à Busan et qui balance depuis là des illustrations toujours magnifiques. instagram.com/lllllllllsa

La liste de clients est impressionnante. Disney, Dreamworks, Gaumont, Major Lazer, Cartoon Netwrok, ça fiche une claque. Mais la plus grosse claque vient de son travail, animé ou non, d'une clarté remarquable et d'une efficacité redoutable. hugomoreno.fr

CLÉMENCE DUPONT Comme elle est obsédée par les dinosaures et les animaux mignons en général, la diplômée des beaux-arts d'Épinal nous a tout de suite plu. Et puis elle a sorti son La Grande Expédition chez Agrume, et alors là, on s'est mis à genou. clemence-dupont.tumblr.com

HÉLÈNE JEUDY En allant piocher les influences du côté du manga, de la pop, mais aussi des comics ou de la bande dessinée underground, Hélène Jeudy fait un travail unique et fort rafraichissant. On ne pourra que conseiller d'aller jeter un œil, aussi, au travail d'animation qu'elle fait avec Antoine Caëcke sous le nom de Gericko. cargocollective.com/helenejeudy

Un DMA Illustration au LTAA Auguste Renoir et hop, le Parisien a filé vers les verts pâturages alsaciens pour suivre actuellement un cursus à la HEAR de Strasourg. Nous l'avons repéré en espionnant la revue L'Ennui #3, et hop, le voilà dans le numéro. aooooos.tumblr.com

ROMAIN BERNARD AKA TIGHT Quelle bonne idée a eu le toulousain Romain Bernard de nous envoyer un mail pour nous présenter quelques-unes de ses illustrations. Qu'il est bel et bon son travail à la gouache, raffiné et délectable à souhait. Qu'est-ce qu'on est content de l'avoir dans notre numéro. tight.fr

BÉRÉNICE MILON La graphiste et illustratrice française a eu l'avantage de combiner les formations de la HEAR de Strasbourg et de la HEAD de Genève. Ce qui fait d'elle une dessinatrice qui maîtrise ses sujets poétiques avec un talent fou. berenicemilon.com


Discussion

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Recettes magiques comme chez l’Oncle Walt

Réussir son film, ou réussir sa recette, le combat est bien souvent le même. Tout est question d’alchimie. Et mieux vaut, dès le départ, avoir en sa possession les bons produits : un bon scénario, de bons personnages, de belles tomates… Pour vous, et pourquoi pas pour vos bambins, voici trois recettes inspirées de trois classiques Disney de trois époques différentes. Bon appétit.


Discussion

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Réussir sa ratatouille comme dans Ratatouille Rémi est un jeune rat, Alfredo un jeune cuistot timide et maladroit. Le premier vient en aide au second pour réaliser une super-ratatouille. On vous la fait courte, mais tel est le pitch de Ratatouille, sorti en 2007. Pour réussir, comme dans le film, votre recette, comptez trente minutes de préparation, le double si vous êtes nul(le), et environ 45 minutes de temps de cuisson. Il vous faudra deux aubergines de taille moyenne, une courgette verte, une courgette jaune, deux poivrons rouges, deux tomates, une gousse d’ail, un oignon, de l’huile d’olive et de la noix de muscade. Cette recette ne comporte que quelques étapes, alors soyez vigilants : découpez de fines tranches de cour-

gette, d’aubergine et de poivron rouge. Aidez-vous d’une mandoline si vous le souhaitez. Attention, c’est là que ça se corse : ouvrez les poivrons pour retirer les graines, puis faites bouillir deux tomates durant une dizaine de minutes afin d’en retirer la peau puis les pépins. Dans un mixeur, mettez le poivron rouge en cube, les tomates, l’ail épluché, l’huile d’olive, l’oignon, ainsi que du sel et du poivre. Puis, dans un plat à gratin, versez la sauce, puis mettez par-dessus les rondelles de légumes (en alternant chaque légume, c’est plus joli). Recouvrez d’une feuille de papier sulfurisée, puis mettez le tout au four. 45 minutes plus tard, normalement, c’est prêt, et c’est bon.

Et pour faire comme Rémi (ou comme Thomas Keller, chef étoilé à l’origine de la recette), n’hésitez pas à disposer la ratatouille au centre de votre plat, afin de former un dôme sur lequel vous ferez ruisseler de l’huile d’olive. Ajoutez du thym et une branche de ciboulette tout en haut, et bim ! Vous êtes un chef comme chez Pixar. Notez cependant qu’il ne s’agit pas d’une ratatouille traditionnelle mais bien davantage d’un mélange de trois plats : le tian (avec ses rondelles fines), le Byaldi turc (pour le côté confit), et la ratatouille, un peu quand même.


Nico Prat

Ne pas rater ses spaghettis aux boulettes de viande comme dans La Belle et le clochard Une histoire d’amour entre un chien et une chienne. Le 19e long-métrage d’animation des studios Disney est un immense classique, et une scène en particulier contribua à son succès, et à son aura. LA scène des pâtes. Simple en apparence, mais ne pas foirer ses spaghettis aux boulettes nécessite malgré tout un peu de concentration, mais aussi : deux feuilles de laurier, 400 grammes de tomates concassées en boîte, des feuilles de basilic pour faire joli, des spaghettis, évidemment, du vin blanc sec, du lait, des oignons (au moins six), du parmesan, 750 grammes de bœuf maigre haché, et deux tranches de pain rassis sans la croûte. Mettez le pain dans un grand saladier. Mouillez avec le lait et laissez imbiber. Puis faites chauffer la moitié de l’huile d’olive dans une poêle. Faites-y revenir les oignons et l’ail pendant cinq petites minutes. Ensuite, mélangez le bœuf avec le pain imbibé, ajoutez-y oignon, ail cuit et parmesan, puis noix de muscade, sel et poivre. Fabriquez des boulettes avec vos petites mains (combien ? C’est à vous de voir). Faites ensuite dorer ces boulettes dans l’huile, avant de verser le vin dans la poêle, et de porter à ébullition. Ajoutez feuilles de laurier, sel, poivre de nouveau, faites bouillir pendant cinq minutes, et versez cette magnifique sauce sur vos boulettes, que vous pouvez ensuite faire cuire durant une heure au four, enveloppée dans du papier d’aluminium. Préparez des pâtes. C’est prêt. Également disponible en version surgelée. Plus simple. Moins cher.

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“ Préparez donc une mixture, dans une marmite, à base de cyanure "

Pomme correctement empoisonnée comme dans Blanche-Neige Le tout premier long-métrage d’animation de l’histoire. Signé Disney, évidemment. Nous sommes en 1937, et étonnamment, aucun bon livre de recette n’osa proposer jusqu’ici la recette de la pomme empoisonnée. Erreur que nous rattrapons donc ici. Choisir une belle pomme, bien rouge, comme dans le film. Privilégiez donc une Red Delicious, une pomme toute rouge, comme son nom l’indique, et très sucrée (indispensable pour masquer le goût du poison). Comme il est écrit dans le grimoire de la sorcière : « Une seule tranchée de ce fruit et la victime sera plongée dans le Sommeil de Mort. » Préparez donc une mixture, dans une marmite, à base de cyanure, un poison

particulièrement efficace pour donner la mort. En effet, seulement 200 milligrammes de cyanure de potassium versés dans un verre suffisent pour tuer en moins d’une minute. Il est possible d’acheter des composés de cyanure sur Internet sans grande difficulté. Trempez la pomme dans la mixture. Puis déguisez-vous afin de vous faire passer pour un marchand ou une marchande de pommes, servez tel quel à la victime en lui faisant croire que cette pomme exauce les vœux. Attendez. Riez. Texte : Nico Prat Images : Kiblind


Discussion

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Dans l’estomac de Lil Wayne « Nous ne sommes pas les mêmes, je suis un Martien », répète-t-il de sa voix de Gremlins. Que Lil Wayne puisse venir d’une autre planète, on n’a aucune peine à le croire. Surtout quand il racle les grumeaux de sa gorge sèche ou utilise des machines pour faire fondre son rap dans le chant. Pleine d’excentricités et d’inventions, sa carrière a des airs de conquête spatiale. Son écriture automatique mélange le réel aux fantasmes ésotériques, assaisonne le matérialisme avec du surréalisme. Dans sa bouche, la tristesse laissée par l’ouragan Katrina côtoie la joie que procure un plongeon depuis les étoiles, et les billets de banque prennent vie en tombant du ciel. Lil Wayne modèle le rap à son image en sculptant comme une pâte la matière qui remonte le long de son tube digestif. Des textes qui ne viennent pas d’en haut mais des entrailles. Alors pour savoir d’où vient le rap du chef Wayne, il faut descendre dans son estomac puis remonter jusque dans son assiette, espionner ses cuisines et le réfrigérateur de son vaisseau spatial. Nous sommes ce que nous mangeons et grâce à Dieu, Lil Wayne avale n’importe quoi. Dans le rap terrien, la nourriture et les cuisines sont souvent utilisées comme code pour parler de trafic de drogues. Chez l’extra-terrestre Lil Wayne, pas

du tout. Et alors qu’il a plusieurs fois confié qu’il n’était pas fin gourmet, la bouffe est omniprésente dans sa musique, source d’inspirations et d’images les plus farfelues. Fasciné par la mafia, Lil Wayne développe un faible pour la nourriture italienne aperçue dans les films de Coppola. Dans le clip de 6’ Foot 7’ Foot, on le voit renifler des couches alternées de pâtes, de fromage, de viande et de sauce tomate. Il est alors en train de littéralement courir après l’argent, mais précise « real G’z move in silence, like lasagna ». Tout le monde a déjà mangé des lasagnes, mais la première écoute de ce vers fait l’effet d’une rencontre avec un plat aussi étrange qu’inconnu. Est-ce que les lasagnes se déplacent en silence ? C’est vrai qu’en les observant attentivement, on voit les étages lentement s’affaisser, en même temps que la chaleur remonte jusqu’à nos narines. Mais ce n’est pas ça. Les « G’z » se sont les « gangters », et les meilleurs d’entre eux ne se font pas attraper parce qu’ils agissent discrètement, comme le « G » de « lasagna » qui, pour Lil Wayne, est silencieux. Comme avec ces lasagnes, Lil Wayne choisit donc les plats qu’il cuisine en fonction de leurs voyelles et de leurs consonnes. Il mange des noms rigolos et à rallonge, prépare les recettes


Nicolas Pellion

les plus exotiques, sélectionne les produits aux couleurs les plus improbables et aux goûts inconnus des palais les plus rustres. Il colorie l’intérieur de ses voitures avec le son que font certains fruits quand on les prononce, ou décrit la manière dont elles se décapotent en épluchant lentement une pomme de terre. C’est pour toutes ces raisons qu’il a fait du filet mignon son mets de choix. D’abord, il se prononce à la française, même en anglais, avec un accent qui étire la note finale et permet de la faire rimer avec n’importe quel mot. On le retrouve à la carte des chansons Love Me ou Every Girl, et est parfois utilisé comme un verbe quand Wayne savoure l’origine du monde. Parce que le filet mignon est d’abord connu pour être un morceau tendre, Lil Wayne le propose dans ses couplets comme une métaphore du sexe féminin. Dévoreur de « tartes à la culotte », celui qui se fait appeler le Pussy Monster déguste ces filets pour témoigner de son amour sincère et démesuré pour le cunnilingus. Et donner du plaisir aux femmes avec sa langue est un des sujets les plus abordés dans ses textes. Il se fait d’ailleurs rendre la pareille sur le plus gros hit de sa carrière, Lollipop, où son sexe devient sucrerie, à la manière des sucettes de France Gall.

En 2017 apparaît sur Internet Dinnertime, un titre écrit dix ans auparavant non retenu pour son magnum opus Tha Carter III. Une chanson qui remet les choses à plat, ou « dans » le plat. Wayne est descendu sur Terre pour dévorer les rappeurs médiocres. Tel un ogre d’outre-monde, il les mange râpés comme les carottes ou accompagnés d’une salade, s’imagine parfois en requin poursuivant de petites sardines. Certes il y a les lasagnes, les bananes, les pommes de terre, les filets mignons et les culottes, mais avant tout, Lil Wayne le « rapper eater » gobe la compétition. La gueule grande ouverte sur son remix de We Takin’ Over, il hurle « feed me, feed me, feed me ! ». Il est alors à l’apogée de sa carrière et ne fait que manger, des rappeurs, de la musique, des astres et quelques planètes. Aujourd’hui, de Drake à Young Thug, en passant par les jeunes Kodak Black et Lil Uzi Vert, la plupart des têtes d’affiches sont des fils illégitimes de Lil Wayne, incubés dans son estomac. Ce ne sont plus seulement ses textes mais tout le rap, ou presque, qui vient des entrailles de Lil Wayne. Bon appétit !

Texte : Nicolas Pellion Images : Kiblind

“ Dévoreur de « tartes à la culotte », celui qui se fait appeler le Pussy Monster déguste ces filets [mignons] pour témoigner de son amour sincère et démesuré pour le cunnilingus "


Discussion

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Notre pain quotidien En choisissant la forme de l’abécédaire pour accompagner les photos des 64 plateaux-repas de mon livre consacré à la cantine scolaire, je savais qu’il me faudrait affronter des situations délicates qui m’obligeraient à faire des choix.


Benjamin Rondeau

Si certaines lettres s’étaient en effet depuis longtemps imposées à mon esprit – rien ne viendrait déloger l’applaudissement inaugural et l’enchaînement Demi-pensionnaire/Externe semblait, quant à lui, constituer une évidence – d’autres, cela ne faisait aucun doute, allaient poser problème. La rédaction me le confirma, apportant par ailleurs une précision quant à la nature de ce problème : il y avait deux écueils principaux, qui s’avéraient aussi complémentaires que contradictoires, comme s’ils constituaient l’endroit et l’envers d’une même médaille. D’un côté, donc, je rencontrais le désert lexical : les lettres étaient rares, pour lesquelles le défi était de trouver, bêtement, un mot correspondant, mais elles existaient. Quelle entrée auraisje pu concevoir pour la lettre Z, si ma collègue Zoé n’était pas venue, un jour de saucisses-frites, manger au réfectoire ? De l’autre côté, je me retrouvais devant l’antithèse absolue : la surabondance de mots. Les lettres pour lesquelles trop d’idées me venaient en tête existaient également et il me fallait choisir, arbitrer, quitte à laisser sur le bord du chemin certains mots qui auraient pu donner à l’ensemble un relief différent. Ce fut le cas pour la lettre M. Des raisons de cohérence intellectuelle – c’est un thème qui hante mes écrits depuis dix ans et il me semblait logique d’en faire, ici, l’éloge paradoxal – m’ont poussé à choisir la notion de médiocrité qui avait, en outre, le mérite de correspondre parfaitement au sujet traité : la bouffe de cantine incarne non seulement à merveille la médiocrité telle que nous la concevons aujourd’hui, mais elle l’institue, en ce qu’elle fabrique le goût des élèves, comme un système clos et absolu, un modèle causa sui. Elle en est à la fois la cause et la conséquence. D’autres mots, pour autant, auraient parfaitement pu

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“ Et tout commence, à la cantine, par une prière. Pourvu que le menu corresponde à ce que j’ai envie de manger. " prétendre à la lettre M de cet abécédaire. Parmi eux, celui de monotonie a failli s’imposer. Car c’est une chose qui saute aux yeux quand on regarde l’univers de la demi-pension. Il s’organise, à tous les niveaux, à toutes les échelles, selon un protocole stable, une série de rituels répétitifs qui n’offrent à ses usagers aucune échappatoire – les demi-pensionnaires sont inscrits à l’année dans mon collège. L’heure, d’abord, est toujours la même. Peu importe qu’il existe deux services dans certains établissements scolaires. Mettez la même phrase au pluriel – les heures, d’abord, sont toujours les mêmes – et l’idée de répétition ne disparaît pas pour autant. Entre midi et 13h30, tout le monde doit avoir mangé. Pire, cette répétition a lieu tous les jours de la semaine.

La cantine, c’est, littéralement, le pain quotidien. La monotonie commence là : dans un rite journalier qu’on effectue à des heures imposées. Dans la répétition des gestes. Dans des pratiques qu’on effectue mécaniquement. Ces pratiques, vous l’aurez compris, rapprochent l’univers de la cantine de celui des religions. Dans l’un comme dans l’autre, une liturgie est en œuvre, avec ses règles et ses superstitions. La liturgie, c’est la monotonie, le sacré en plus. Et tout commence, à la cantine, par une prière. Pourvu que le menu corresponde à ce que j’ai envie de manger. Vient ensuite la procession. Quand la voix d’un surveillant lance un appel micro, les élèves appelés se rangent. L’ordre des classes appelées, par souci d’équité, change tous les jours – le lundi, les 6e passent les premiers, le mardi ce sont les 5e, le jeudi les 4e, le ven-


Clément Arbrun

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dredi les 3e. Cependant, la monotonie ne s’évanouit pas ; ces changements sont, eux aussi, ritualisés et restent les mêmes d’une semaine à l’autre, tout au long de l’année scolaire. Le cortège avance alors. Chacun passe sa carte, chacun prend son plateau, choisit son entrée, puis son fromage, puis son dessert. Le plat principal, enfin, est servi par le chef, comme l’hostie est donnée par le curé. À table, ce sont des superstitions immémoriales qui jalonnent le déjeuner : l’âge qu’on s’attribue en regardant le fond de son verre Duralex en est la représentation

la plus évidente. Ce n’est, je crois, pas pour rien que le mot service convient aux deux univers. La monotonie est également visuelle. Les photos que j’ai prises en témoignent d’ailleurs : les plateaux, les couverts, les verres, les serviettes, la combinaison entrée-plat-fromagedessert/fruit, il y a peu de choses qui changent. Les aliments servis varient d’un jour à l’autre, bien sûr, mais sur une année entière, certains reviennent souvent, qu’il s’agisse de la blanquette de veau, des saucisses-lentilles ou du pamplemousse. La variété des plateaux

repose davantage sur la combinaison savante des produits que sur leur variété. C’est peut-être cette dimension mythologique qui m’a poussé à prendre ces photos, dans une affirmation joyeusement morale de la monotonie. Que disait Zarathoustra déjà ? Ah oui : Comment ? Était-ce là la vie ? Allons ! Recommençons encore une fois. La cantine, comme l’éternel retour du même. Texte : Notre pain quotidien Images : Kiblind

Top 6 - Rituels de la cantine

un

deux

trois

Le menu :

Le contenant :

Affiché au cours de la matinée du lundi, le menu agit, selon son contenu, comme une promesse ou comme une menace. Il laisse malgré tout la porte ouverte à la surprise. Il se peut, en effet, que le chef ne respecte pas scrupuleusement le programme qu’il a lui-même fixé. Après tout, c’est lui le chef.

Le repas peut subir un nombre de variations inépuisable, il sera toujours servi dans les mêmes récipients. Ramequins, barquettes, assiettes, verres Duralex, le programme est immuable. Les plus maniaques s’inventeront donc un rituel intime, secret : la disposition méticuleuse des éléments sur le plateau.

quatre

L’appel :

L’accident :

Tous les matins, à l’école primaire, une personne passe s’enquérir du nombre de demi-pensionnaires présents. Temps béni où le rituel et l’habitude sont externalisés. Parce qu’il est dépendant, l’écolier est insouciant. Qu’il en profite : les responsabilités arrivent toujours plus vite qu’on ne le pense.

Une assiette – ou un verre – tombe du plateau et se brise. La salle applaudit. C’est une tradition gratuite, un patrimoine mimétique. On ne peut prévoir quand il aura lieu mais l’accident provoque toujours les mêmes effets. Le cérémonial est omnipotent et absolu parce qu’il a tout prévu : il absorbe même le hasard.

cinq

La carte :

La fin :

Dans le secondaire, les commensaux sont responsables de leurs cartes. Malheur à ceux qui l’oublient ! Ils patienteront jusqu’à la fin du service avant de manger. Bannis, les sans-cartes seront obligés de déjeuner avec d’autres sans-cartes, qu’ils ne connaissent peut-être pas. La cantine est un lieu de rencontres.

Une fois le repas fini, il ne faut pas traîner sous peine d’être rappelé à l’ordre : les autres doivent avoir le temps de manger, il faut partir. Le commensal se lève alors et rapporte son plateau à la plonge. Il regarde parfois le plateau des autres : comme le sien, il est rarement vide. Gâcher est aussi une habitude.

sis


Interlude : Food + Internet = <3

INDIGESTION 2.0 Pour unir net et nourriture, Instagram est une bonne marieuse. Au milieu des photos de chats mignons et des selfies de blogueurs, les assiettes ne désemplissent pas. Le hashtag #food représente à lui seul 263 millions de publications et, en moyenne, 33 #foodporn sont postés par minute, un véritable festin digital. Côté plats populaires sur le réseau, la #pizza déchaine les passions avec près de 31 millions de mentions, suivie du #sushi (20 millions) et du #chicken (18 millions).

PASSION GRANDE BOUFFE Qu’on se rassure, l’homme était féru de nourriture bien avant Instagram. Des chercheurs américains ont étudié 500 ans de peinture, de la Renaissance à nos jours, et démontré une fascination historique pour l’appétissant. Seuls 19 % des tableaux montrent ainsi des légumes alors que 54 % exhibent pain et pâtisseries. Aussi, les oeuvres ne reflètent pas plus la réalité de l’alimentation de l’époque que les plats instagramés d’aujourd’hui. Dans les tableaux, les artichauts et les fruits de mer étaient sur-représentés, alors qu’ils ne correspondaient ni aux habitudes conso ni au niveau de vie des populations.

Illustration et pictos : Agathe Bruguière Texte : Alix Hassler

INSTAGRAMIAM Selon une étude publiée dans la revue Psychological Science, le rituel de la photo Insta rendrait notre nourriture « meilleure », en engageant davantage le consommateur et sa satisfaction. À voir si ça marche avec de la macédoine en boîte ou de la cervelle d’agneau... En outre, Instagram influe sur notre manière même de manger. Le réseau a fait émerger des produits photogéniques, peu consommés il y a quelques années encore. À ce petit jeu, les avocados toasts et autres cupcackes/buddha bowls/cronuts sont les stars du game.

CINQ ÉTOILES Autre enfant chéri des internets : la notation par les particuliers. De la crème contre les hémorroïdes à l’hôtel Ibis de Bar-le-Duc, on note tout et bien évidemment, les restaurants. En la matière, la bible des voyageurs s’appelle Tripadvisor. 5 millions de restaurants y sont référencés dans le monde entier, accompagnés de 500 millions d’avis. Les classements sont parfois improbables. À Paris par exemple, le Cook’n Saj, libanais bon marché, est n°1, devançant l’Aspic, restaurant gastro, et 14 000 autres établissements.

E-CANULAR On peut douter encore davantage de la pertinence de Tripadvisor quand on constate avec quelle facilité le journaliste de VICE, Oobah Butler, a fait grimper en première position du classement londonien son restaurant factice, « The Shed ». Méthode du loubard : fake avis 5 étoiles rédigés par ses copains et restau affiché toujours complet. Il n’en fallait pas plus pour titiller la curiosité des célébrités (coucou Beyonce) et blogueurs. Les plats alléchants sur les photos étaient quant à eux réalisés avec des produits ménagers type mousse à raser et tablettes javellisées pour toilettes.

FOOD + INTERNET = <3 — Depuis la nuit des temps, manger est vital. En 2018, force est de constater qu’Internet l’est aussi. Vissé à notre téléphone, on commande un burger sur Deliveroo, liké auparavant sur l’Instagram d’un influenceur, contrechecké sur Tripadvisor et, clou du spectacle, validé par le sacro-saint Fooding. Amen. Le temps d’un petit shooting rapido (1h20 à l’iPhone 15), notre bout de gras est déjà froid ! Et manger dans tout ça ?


Reportage graphique

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Illustration : Simon Bournel-Bosson Texte : Maxime Gueugneau

Rungis, aux frontières du réel


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Tout cela est-il bien vrai ? Est-ce que, il y a de ça quelques minutes, nous n'étions pas en train de nous offrir une lente déconfiture cérébrale à coup de Fifa 18 ? Où est passé le confort du canapé, la chaleur du radiateur et la douceur de vivre, enfin, du XXe arrondissement de Paris ? Il est 3h du matin et jamais nous n'avons erré comme nous errons à présent. Le bonheur qui était le nôtre en manipulant la PlayStation rend d'autant plus insensée notre présence au marché international de Rungis. Sans compter qu'il fait -5°C. Mais qu'est-ce que tu veux, c'est le turbin mon vieux. Reprenons depuis le début. Paraît-il donc que le numéro de Kiblind aura trait à la bouffe, à son importance vitale pour le corps humain comme pour la société tout entière entre gras, nutriments et sauce algérienne.

notre console de jeu. Merci et bravo les gars. Grâce à des chiffres tape-à-l'œil et une prétention surdimensionnée, nous nous caillons actuellement les miches à 7km au sud de Paris. Et puis, bonjour

Très bien, enfin un sujet d'importance capitale. Conscients de la finesse de notre jugement et de la qualité de notre regard, nous voulions que ces talents uniques aillent ferrailler contre la bête agro-alimentaire. Qu'elle tremble celle-la qui nous tient d'habitude entre ses mains ! Qu'elle nous craigne avant notre venue et s'agenouille à notre départ ! Nous voulions taper fort et net, et l'ogre monstrueux du Val-de-Marne semblait être un adversaire à notre taille. Le marché d'intérêt national de Rungis – c'est son nom officiel – est, en effet, le plus grand marché de produits frais au monde. Inaugurée en 1969, la zone d'activité gérée par la Semmaris compte 12 000 salariés sur 234 hectares (une surface plus vaste que Monaco) pour un chiffre d'affaire de 8,8 milliards d'euros. Assez important pour nous, donc, pensions-nous tels d'indéfendables crétins devant

l'ambiance. Tout autour de nous se déploient immenses hangars entourés de routes droites dans un plan découpé au laser. Malins comme on est, la plupart sont encore vides à cette heure de la...

journée ? soirée ? Tout cela a très peu d'importance. D'ailleurs, globalement tout est à peu près désert. Seuls s'agitent à cette heure-là les gens qui travaillent en boucherie. C'est-à-dire le


Reportage graphique

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plus joli paysage, celui qui vient câliner l'œil et la narine, celui qu'il nous fallait absolument éviter à cette heure-ci. Simon, s'il te plaît, je sais que je te déçois, mais je préfèrerais prendre un petit café avant de rentrer dans tout ce lard. Les gens, la chaleur, la lumière. Voilà quelques ingrédients indispensables à la vie comme nous le fait immédiatement remarquer le bistrot Le Saint-Hubert dès notre entrée. C'est quand même nettement mieux que dehors. Ok, oui, bien sûr, on ressemble à deux grosses tâches au milieu de ces travailleurs de la nuit mais au moins le café est chaud. Et puis, c'est pas parce que ça se voit gros comme un camion que nous n'avons rien à faire ici qu'on n'a pas le droit nous aussi à ce moment de paix. Alors on le prend, ce moment, dans l'atmosphère encore feutrée de ce très matinal mercredi. Il n'y a pas foule et c'est normal, comme nous le confirme le barman. Le gros du bataillon viendra plus tard, avec l'ouverture des halles de la mer, des légumes puis des fleurs. Enfin, les cars de touristes viendront clore la nuitée et changer définitivement la saveur des lieux. Pour l'instant, il y a seulement quelques types en blouse blanche qui discutent par petits groupes de trois ou quatre. Quelques ricanements se font entendre ci ou là mais on est globalement dans du léger. C'est pas pour nous déplaire d'ailleurs. Ça nous permet de nous mettre un peu à l'aise, calme, détente. Et puis la confiance monte, comme ça nous arrive parfois. Alors on tente d'entamer une discussion avec un homme qui, par miracle - pour nous, pour lui ça a l'air relou – se retrouve seul au comptoir. La confiance redescend scandaleusement après le seau d'eau qui nous arrive dans la tronche au bout de la deuxième question. Le contraste, sans doute, entre notre sourire forcé et nos questions ingénues et sa journée qui a démarré y a un moment et qui est loin d'être finie. Le fait est qu'il part sans nous répondre, sans nous regarder, nous laissant à notre condition d'extra-terrestres en ces lieux. Cette impression d'appartenir à un autre monde est d'ailleurs assez tenace. Au moment où nous avons passé le péage d'entrée, nous ne nous sommes pas seulement introduits sur une zone de travail, nous avons franchi une frontière. Et effectivement, nous sommes des étrangers. Nous ne comprenons ni les gestes, ni les discussions. Nous ne possédons ni le rythme, ni les codes. Nos vêtements ne sont pas les bons et notre attitude sent la


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" On ne sait pas trop par quel bonheur une voiture joue à ce moment là « Eye of the Tiger », mais ça nous permet de sourire. "


Reportage graphique

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candeur à dix mille mètres. En sortant du bar, il suffit de regarder autour de nous pour voir que quelque chose fonctionne sans nous, en dehors de nous. Il ne s'agit

pas là de jouer les anthropologues de comptoir avec les yeux en saucisson et la raison flinguée par trop de parties de Fifa. Mais ce sentiment d'étrangeté

est tout de même particulièrement saisissant à la vue de cette voirie singulière qui commence à s'agiter. Les panneaux indicateurs, le code de la route

et même tout simplement la jungle de véhicules industriels qui s'étale devant nous, tout dans les signes nous indiquent que Rungis fonctionne avec ses propres

règles. Et c'est pas notre entrée dans la première des halles de viande qui va nous faire nous sentir à la maison.

Qui n'en veut de la bidoche? On n'a que ça. Des rayons infinis de barbaque, des corps découpés d'animaux morts, tenus par des esses sur une surface

impensable. Tellement de viande que ça en devient irréel, impossible. Et c'est seulement les arrivages du jour pour nourrir l'Île-de-France (beaucoup) et les

autres régions (un peu). Tous les jours rebelote. Évidemment, pour les gens qui sont ici, ça doit plutôt sentir l'habitude et le manque de vacances. Pour nous,

hommes si fragiles qui travaillons de jour et avec très peu de rognons de veau sur nos bureaux, l'odeur est âcre et la vue de toute cette chair fait quand même


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" Toute la beauté du monde est présente ici dans ce qui ressemble aux plus moches bâtiments possibles. "


Reportage graphique

un petit truc dans le bide. Alors, on sort, vite. On ne sait pas trop par quel bonheur une voiture joue à ce moment là « Eye of the Tiger », mais ça nous permet de sourire. Alors, on entre dans

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un nouvel hangar de viande, puis on enchaîne par celui des volailles pour le même topo, avec quelques cordons bleus en plus. Le moment n'est pas si chic. On n'est plutôt loin des jolis

Simon ! Hourra ! À quatre heure et demi du matin, dans le Marché d'intérêt national, le bar de L'Étoile brille comme celle du berger. Pour ceux qui n'auraient pas suivi ou qui ne se souviendraient pas du début de notre intervention, nous n'avons toujours pas dormi. On est, tels que vous nous voyez, quasi en soirée. Et puis le voyage en barbaquie nous a un peu remués, il ne s'agirait pas de chuter dès maintenant. D'autant que lorsque nous entrons dans le bar qui vient d'ouvrir, nous ne sommes pas seuls. Un groupe de trois bosseurs s'est installé au comptoir et semble déguster une petite coupette pour fêter la

fermes filmés dans les publicités. On ressort un peu en dedans. Mais, Simon, qu'est-ce que tu fixes comme ça ? Oui, c'est vrai, tu as raison, on dirait comme un phare... Attends, mais, c'est un bar,

fin de leur journée. Et ben vous nous mettrez la même, patron. En moins cher. Plutôt dans des chopines d'ailleurs. Voilà, de la bière. Nous restons un moment à la déguster, cette bière, portés par la gouaille du tenancier, par un deuxième verre et surtout par la programmation sans faille de Chante France qui crie dans les speakers de l'établissement. Nous sortons de L'Étoile, nous sommes des hommes neufs prêts à affronter les framboises de chez les primeurs et les jonquilles des fleuristes. Le contraste est proche de l'absurde chez les fleuristes comme chez les primeurs. Toute la beauté du monde est présente ici dans ce qui ressemble aux plus moches bâtiments possibles.


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Imaginez un peu le combo esthétique subi par le marché : béton, années 70/80, économique, hangar, de-toute-façontout-le-monde-s'en-fout. Pour le coup, la présence d'un peu de couleurs et de senteurs fait du bien. D'autant que la place s'est réveillée. Les acheteurs sont présents, ça cause, ça négocie même. Le ballet des transpalettes se fait plus technique, plus nerveux. Et est-ce que c'est pas un bout de soleil qui se profile au loin ? Est-ce que c'est pas un vilain bus « Visit Rungis » qui vient de le cacher ? Viens Simon, sors un peu voir ça. La foule est là, les trois-huit sont en train de tourner. Regarde le SaintHubert, il est plein de gens qui ont fini, ceux aux blouses pleines de sang comme ceux qui ne les tacheront jamais. Le brouhaha des conversations, le tumulte des commandes et le vacarme de la machine à café qui tourne à plein régime forme une musique toute nouvelle. Une musique tout court, d'ailleurs, qui tranche avec le silence des premières heures. Le coin devient vivable en fait. Allez viens mon petit, on va au restaurant, il paraît que c'est l'anniversaire de Gilbert. Il est 7h du matin, c'est l'heure du restaurant, l'heure du feu d'artifice, l'heure du bouquet final. On laisse les ouvriers au comptoir, au café ou au vin blanc. On va manger du côté des gens de la haute, les gros messieurs tout rouge au fond de la salle. Ils ont l'air de beaucoup s'amuser. Ils ont des vêtements de travail, eux aussi, mais c'est pour la forme. Ils commandent du Ruinart, pour fêter Gilbert, qui jure n'être pas né en février mais le 1er mai. On a même droit à deux coupes de champagne, alors qu'on ne leur a pas décoché un mot. On sait pas bien pourquoi, un truc comme le destin qui nous félicite d'avoir tenu jusqu'à cette heure indue. Finalement, c'est pas plus irrationnel que tout ce que nous avons vu jusque-là. Le ventre de Paris est un autre monde, une histoire surnaturelle qui se raconte toutes les nuits au sud de la capitale.


RĂŠtrographie

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La Cuisine cannibale de Roland Topor


La Cuisine cannibale

La première rencontre avec Topor est toujours fortuite. Parfois même totalement inconsciente. Il y a quelque chose de bizarre ; mais de beau. Une beauté baudelairienne, rugueuse, anguleuse, dérangeante, décadente. Vénéneuse. Puis à chaque fois ce couperet tranchant qui tombe d’un seul coup. Et pour cause : topor signifie « hâche » en polonais. Les amoureux de la première heure ont fait sa connaissance dans la revue Bizarre, en 1958, dans Fiction en 1960, et dans les pages de Hara-Kiri, aux côtés de Choron et Cavanna en 1961. Roland Topor dessine très bien – il a fait les Beaux-Arts de Paris – et manie tout aussi habillement les mots, entre autres : il participe à la création du mouvement Panique, en référence au dieu Pan, avec Fernando Arrabal, Alejandro Jodorowsky et Jacques Sternberg ; il donne corps à La Planète sauvage, avec René Laloux ; il invente les personnages flippants de Téléchat, comme Léguman, Mic-Mac, et les Gluons… Humour noir, fantastique, onirique, absurde, kafkaïen, symbolique, pataphysique, etc., Topor est génial et tout le monde doit le savoir. Et pour y contribuer, la BNF lui a offert l’année dernière une exposition sublime, riche et savoureuse : Le Monde selon Topor. Le catalogue qui en est ressorti l’est tout autant, et saura combler l’amateur éclairé comme le néophyte curieux. Alors inutile d’abonder. Ici, on va surtout parler de cuisine.

LIVRE-PIÈGE La Cuisine cannibale, fait partie de ces bouquins sur lesquels on tombe par

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nourri, est, à l’âge d’un an, un alihasard, dans une librairie d’occament délicieux, très nourrissant et sion ou sur les quais. Un titre et un très sain, bouilli, rôti, à l’étuvée ou dessin, un texte et une image, qui au four, et je ne mets pas en doute s’amourachent dans une simplicité qu’il ne puisse également servir en troublante. À l’ancienne. Bizarre, défricassée ou en ragoût. » (Modeste rangeant, aussi attirant que repousproposition pour empêcher les enfants sant mais diablement efficace, au des pauvres en Irlande d’être à charge à premier coup d’œil on percute que leurs parents et à leur pays et pour les ce n’est pas un livre ordinaire. Alors rendre utiles au public). on y va mollo, comme avec un aniOn est bien devant un livre-concept. mal qu’on ne connaît pas, dont on 43 recettes de « cuisine cannibale », se méfie mais qu’on a très envie de entrecoupées d’illustrations et de caresser, sans trop savoir pourquoi (fausses) coupures de presse, où et bien conscient du risque. Et ça ne chacun passe littéralement au harate pas : on se fait bouffer la main. choir sans discrimination : homme En 4e de couverture, une addition ou femme, vieux ou jeune, riche, de 1986 encore en francs, qui vient pauvre, gros, curé, boxeur, veuve, du Salon particulier « Chez Topor ». bambin, myope, campagnard, barbu, Elle détaille les plats successifs d’un patron, garde-chasse, alpiniste, mafestin exclusivement carnivore, à jorette, agent d’a14:47 ssurance, fous, mobase de chair humaine, préparé pour MP Cuisine cannibale def.qxp_Mise en page 1 22/07/2016 Page81 mie, instituteur, Basque, obsédé, au10 à 14 convives. C’est dégueulasse, tomobiliste, nain, pêcheur, grooms, mais irrésistible : on l’ouvre. Une militaire, Suisse, technicien… sans épigraphe, empruntée à Jonathan ordre ni autre forme de procès. Un Swift, confirme la saveur amère : régal. « … Un jeune enfant bien sain, bien

LES JOUES DU CHEF SUR CANAPÉ MP Cuisine cannibaleune def.qxp_Mise en page 1 22/07/2016 14:47 jaunes Page33 Préparez bonne purée d’oseille liée de trois

d’œufs, d’un morceau de beurre manié de farine et d’un peu de crème. Passez les joues à la poêle en compagnie de petits lardons grossièrement hachés. Posez les joues sur la farce d’oseille disposée en canapé et servez chaud.

LE MYOPE AU GRATIN Le myope ressemble au presbyte, seulement il a les yeux plus grands et une raie au milieu. Ses lunettes doivent être enlevées afin qu’il tombe dans le gratin. Il se prépare comme le cabillaud.


Rétrographie

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EAT ART La question qui se pose après la « lecture » est assez définitive : pourquoi (ou pour quoi) fait-on un livre comme ça ? L’ouvrage sort initialement chez Balland, en 1970. Alexandre Deveaux, spécialiste de Topor, nous en dit un peu plus sur cette exégèse : « Topor et Balland étaient très copains. Avec Le Jeu des Seins (un livre avec des photos de seins dispersées dans les pages dont il s'agit de reconstituer les paires...) qui sort la même année, La Cuisine cannibale est la première collaboration entre Topor et cet éditeur, autour de “ livres-blagues ”. D’autres suivront en effet : Le Bébé de Monsieur Laurent et Un Monsieur tout esquinté, en 1972, (livres de dessins faits par Roland Topor et son fils Nicolas, qui a alors 9 ans) ; Les Mémoires d'un vieux con, en 1975, puis Toporland, en 1977 ; En 1978, le roman Portrait en pied de Suzanne ; Merci Bernard (Les

textes de l'émission par Topor, Gébé, Ribes, et les autres) en 1984 ; et 1988, L'Équation du bonheur, un essai sur la paranoïa co-écrit avec le neurologue Henri Rubinstein). « La Cuisine cannibale, poursuit Alexandre Deveaux, est donc le premier-né d'une série de livres-gags, ou livres conceptuels et humoristiques, initiée avec Balland. » Autre détonateur potentiel et complémentaire dans la genèse de La Cuisine cannibale, l’artiste suisse Daniel Spoerri. « Topor était également très ami avec Daniel Spoerri, l’initiateur du “ Eat Art ” au début des années 60 ». Comme son nom l’indique, ce courant artistique se fonde sur l’utilisation de nourriture dans la création d’œuvres d’art, œuvres forcément éphémères – car naturellement périssables – ce qui désacralise quelque peu le côté immuable de l’art avec un grand A…


La Cuisine cannibale

Le point de départ de la démarche critique de Spoerri est le « tableau-piège », qui consiste à coller des objets de tous les jours sur une surface tout aussi banale, puis d’accrocher le tout au mur. Décliné à l’ « Art du manger », l’exercice fournit des scènes de fin de repas plus ou moins alcoolisés, durant lesquelles les restes vont être fixés directement à la table où ils ont été consommés, puis la table accrochée telle quelle au mur. De quoi donner l’idée bien légitime à l’artiste de monter un restaurant, débouché festif de son appétit créatif ! Le cap est franchi en 1963 à la Galerie J (Paris 6e), transformée pendant dix jours en restaurant éphémère où les convives purent créer eux-mêmes leur tableau-piège après avoir dîner, puis l’accrocher au mur et recevoir un certificat d’authentification de la part de l’artiste.

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Le succès est au rendez-vous et le Eat Art se fait connaître de plus en plus. Si bien qu’en 1968 le Restaurant Spoerri ouvre ses portes à Dusseldörf, et devient le musée vivant de ce mouvement alimentaire. Morceau de chef, l’intervention de Claude et François-Xavier Lalanne : Le Dîner Cannibale. La performance consistait à proposer un menu entièrement concocté à base de chair humaine ; en apparence évidemment. Claude avait réalisé des moules reproduisant le corps entier de François-Xavier, découpé en plusieurs parties et servi dans des plats avec un réalisme morbide. « Topor connaissait bien le couple Lalanne, conclut Alexandre Deveaux. La Cuisine cannibale pourrait être un clin d’œil à leurs menus artistiques et plus largement aux différentes créations autour de la nourriture que réalisait Spoerri à la même époque. »


Rétrographie

RENAISSANCE VORACE

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La Cuisine cannibale

En conclusion de sa Cuisine cannibale, « Je suis convaincu depuis longTopor écrit : « Quand un homme est temps de la puissance de Topor, arrivé à mon âge, il a le droit de s’aset qu’il va entrer dans les  “classeoir dans la marmite et de cuire ». siques". Mais pour ça il faut que Après toutes ses pages noires, n’estses œuvres soient en librairie. Les ce pas là une belle preuve d’Humaauteurs comme lui, comme Choron nisme ? Et c’est sacrément domou d’autres de l’époque Hara-Kiri, mage qu’il nous ait quittés ; on lui ont été ringardisés par les années MP90. Cuisine cannibale 1 22/07/2016 14:47 quel Page23 bien demandé était son Et toute une def.qxp_Mise génération en estpageaurait plat préféré. passée au travers. Aujourd’hui, de nouveaux lecteurs découvre Topor, notamment les illustrateurs et les Texte : Jean Tourette graphistes. » On est convaincus Images : © Nicolas Topor aussi. Surtout avec le beau boulot © Nouvelles Éditions Wombat, 2016 de Wombat et des Cahiers dessinés.

En 1986, le livre est réédité au Seuil, dans la collection « Point Virgule ». Et point barre. Plus rien. À partir de la mort de Topor, au tournant du siècle, son œuvre devient moins visible et semble échapper à toute une génération. La Cuisine cannibale est alors difficilement trouvable, comme de nombreux titres, à moins d’écumer les bouquinistes avec ferveur. Et malgré une grande expo au Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg en 2004, Topor – Dessins paniques, cette période de creux s’installe durablement. Jusqu’en 2010. Frédéric Brument a HOMME GROS SEL la bonne idée de fonder les éditions Wombat et de rééditer tout un MP tasCuisine cannibale L’homme, fois cuit dans la Page121 marmite, après avoir def.qxp_Miseune en page 1 22/07/2016 14:48 d’auteurs qu’on ne trouve plus en été débarrassé des liens qui le retenaient, doit être posé librairie, et qui se distinguent sousur un plat et entouré de quelques branches de persil ou vent par un humour très très sombre. de légumes ayant servi à la cuisson. On le saupoudre au Topor en fait logiquement partie : dernier moment de gros sel de cuisine, qui relève sa « J’avais envie de rééditer ses textes, saveur de plaisante façon. romans, nouvelles, livres-concepts, que l’on ne trouvait plus depuis quinze ans dans les rayons. Aux CaChez Topor hiers dessinés, Alexandre Deveaux et Frédéric Pajak travaillent à faire Salon particulier 10 à 14 couverts revivre ses dessins et ses illustra6/01/1986 tions ; À Wombat, on se focalise sur Apéritifs offerts l’œuvre écrite. On se complète très 2 membres mayonnaise 300 bien. Et grâce à Nicolas Topor, qui 1 champion du podium 150 souhaite que l’œuvre de son père soit 1 ex æquo sauté aux légumes 115 largement diffusée, on a même réus2 joues du chef sur canapé 30 1 fillette en serviette 50 si à faire sortir des textes complète1 pisse-vieille 380 ment inédits. » Depuis Les Mémoires ½ eau minérale-animale 10 d’un vieux con, en 2011, une dizaine de 1 qu’a fait 24 La Cuisine cannibale bouquins de Topor a en effet paru 1 tube digestif 70 Nouvelles Éditions Wombat chez Frédéric Brument, parmi lesSorti le 6 octobre 2016 105x150 mm avec rabats Total 1129 quels Vaches noires, La Plus belle paire 128 pages – 6,50 € Service 15 % 169 de seins du monde, Strips Panique, Joko 23 Cig. 50 fête son anniversaire, Théâtre Panique, et évidemment La Cuisine cannibale, en TOTAL 1348 2016.


Interlude : La restauration à thème

BUFFALO GRILL Un saloon sorti de l’ouest américain en plein PoitouCharentes, c'est l'idée audacieuse du frenchie Christian Picard, désireux d’importer en métropole le concept de family steak house. Emblématique maisonnette au toit rouge, enseigne en néon, intérieur mi-cheap mi-cosy et beaucoup de barbaque, voici les ingrédients du succès. Sans oublier bien sûr la salade de bienvenue. Depuis la première pierre posée en 1980 sur la route nationale 20, l'empire n'a cessé de croître : 335 restaurants dans 4 pays, 30 millions de couverts en 2015, n°1 de la restauration assise en France. Long live the American dream!

Illustration et pictos : Agathe Bruguière Texte : Alix Hassler

HIPPOPOTAMUS Autre transposition de l’american way of life, Hippopotamus est né du pari d’un jeune étudiant en médecine, Christian Guinard, de tout plaquer pour se lancer dans la viande grillée. Ce qui aurait pu rester une blague, au même titre que l’élevage des chèvres dans le Larzac, est devenu réalité. L’enseigne est aujourd’hui présente dans 127 villes françaises mais aussi en Côte d’Ivoire, au Maroc, en Algérie, en Tunisie, au Portugal, à Dubaï, au Qatar, en Russie, en Thaïlande et en NouvelleZélande (si quelqu’un comprend la logique de ce développement international, écrivez à redaction@kiblind.com).

LÉON DE BRUXELLES Dénotant des chaînes carnassières, Léon de Bruxelles a fait de la moule sa reine. Dans ses 78 restaurants, un rituel est immuable : déguster chaque matin les moules du jour, qui se doivent d’être fraiches ! Pour assurer l'approvisionnement (plus de 3 500 tonnes chaque année), la manoeuvre est mondiale : en hiver, les moules viennent de Yerseke, un village hollandais ; en mars, elles arrivent d'Italie et, à partir de juillet, place à la moule normande de bouchot.

FLUNCH Contraction des mots « fast » (vite) et « lunch » (déjeuner), le concept Flunch, c’est le repas en self-service, rapide et bon-marché, à déguster en famille le samedi dans la galerie marchande de Mammouth (RIP). Qui n'a pas rêvé des accompagnements à volonté ? Qui n'a pas pris une photo avec Flunchy ? Qui n’a pas flunché sur l’air de Gilbert Montagné ?

MORCEAUX CHOISIS Vu chez Flunch : « Aujourd'hui, j'ai regardé une dame nettoyer ses écouteurs intra-auriculaires avec la pointe de son couteau, puis couper la viande de son fils avec le même couteau. » Entendu chez Buffalo grill : « C'est quand elle a commencé à pêcher dans les premières feuilles de salade qu'elle a trouvé la grenouille. C'est étonnant que personne ne l'ait vue car c'était une grenouille plutôt imposante. »

TOUJOURS DANS LE COUP (DE FOURCHETTE) Aujourd’hui encore, les restos à thème sont IN. Au rang des bonnes occasions d’y faire un tour, on note : - la sortie du weekend en zone périurbaine : une virée chez Action et un déjeuner sur le pouce chez Courtepaille - L’anniversaire d’un être cher, avec toute la salle pour chanter en coeur - Le stop rituel sur la route des vacances - Le premier date au Buffalo grill : humour et amour <3 - Le shooting Instagram #hipster #normcore

LA RESTAURATION À THÈME — Dans les années 70-80, les restaurants à thème ont fleuri le long des nationales, aires d’autoroute et autres zones commerciales. Avec leurs concepts reconnaissables du nord au sud et leurs slogans accrocheurs, ils se sont glissés sereinement dans les usages et les souvenirs de tous les français. Coupez le moteur, c'est l'heure de la pause déj’ !


Outro

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f e h C t s i l y a Pl u z u p u z u P . . par.

On a demandé à Puzupuzu, maître dans les techniques de l’art de vous enjailler, de nous sortir une playlist spéciale chef. Recette exclusive.

Das Racist – Combination Pizza Hut and Taco Bell Animal Collective – Fireworks Kelis – Milkshake 食品まつり a.k.a foodman - mori he go(森へGO) Karen Gwyer – Free Food/One Men Striper J-Zbel – Nem de Porc Dj Ketchup – Obabo Safarel Obiang – Manger Chier 112 – Peaches And Cream Detroit Grand Pubahs – Sandwiches Mad Rey ft. Jim Irie - Teknik de Poulet The B-52’s – Rock Lobster Wehrwolf – Go Vegan

Puzupuzu a inauguré le mois dernier la discographie du label Magic Dancer avec l’excellent Red Ring EP.

1’18’’ 2’30’’ 3’26’’ 4’30’’ 3’23’’ 5’35’’ 3’18’’ 1’48’’ 3’50’’ 3’37’’ 4’53’’ 2’25’’ 4'13''


• CLUB •

JEU 05 AVRIL

MAR 03 AVRIL

PANDA BEAR

WALK THE MOON

• CLUB •

SAM 07 AVRIL

DUB STATION

IRATION STEPPAS FEAT ECHO RANKS + SINAI SOUND SYSTEM SAM 14 AVRIL

PRIMORDIAL + MOONSORROW + DER WEG EINER

SAM 07 AVRIL

KNOWER

JEU 19 AVRIL

OF MICE AND MEN

COMPLET

• CLUB •

VEN 20 AVRIL

SAM 21 AVRIL

IGORRR + NIVEAU ZERO

VEN 20 AVRIL

IDLES + LICE

THE GLITCH MOB DJ SET

• CLUB •

SAM 28 AVRIL

JEU 26 AVRIL

POLYCHROME X MANIFESTO XXI

A PLACE TO BURY STRANGERS

SAFIA BAHMED-SCHWARTZ + CIENFUEGOS + SUCCHIAMO

MAR 1ER MAI

MATIÈRE NOIRE #01

EN DIAGONALE

VENETIAN SNARES + DANILE LANOIS

THE DEAD DAISIES + THE NEW ROSES

NF

VEN 11 MAI & SAM 12 MAI

KIBLIND ÉDITIONS

LE BEAU FESTIVAL

DEERHOOF + AND ALSO THE TREES + ULRIKA SPACEK + AND ALSO THE TREES + TROPIC OF CANCER + BETTER PERSON+ FIRST HATE & MORE.

-

N’écoutant que leur courage, Simon Bournel-Bosson et Maxime Gueugneau, les compères de KIBLIND sont partis à la découverte d’un humus exceptionnel : la « Diagonale du vide », nom peu reluisant pour désigner un quart du territoire français.

DIM 06 MAI

MER 02 MAI

MER 16 MAI

MAR 15 MAI

DIM 13 MAI

BØRNS

SLEEP

GOD IS AN ASTRONAUT

SAM 26 MAI

JEU 17 MAI

VILLETTE SONIQUE

FEMI KUTI

CAR SEAT HEADREST

VEN 08 JUIN

MER 30 MAI

JEU 12 JUILLET

ASKING ALEXANDRIA

VILLETTE SONIQUE

JOHN MAUS

CHELSEA WOLFE

VEN 14, SAM 15, DIM 16 SEPTEMBRE

Disponible sur kiblind-store.com

SMMMILE VEGAN POP FESTIVAL

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PARC DE LA VILLETTE

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PARIS 19E

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Sélection 2/2

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magazine

Revue Carbone

PLIS ET REPLIS En voilà une singulière manière de s’amener dans le monde des revues : tout péter. Carbone ourdissait son coup depuis plus d’un an, alors qu’il lançait le site Carbone.ink sur les traces que peuvent laisser la culture pop dans le cœur des gens. Déjà, à cette époque, l’équipe lyonnaise ne s’occupait guère de ce qui pourtant soudait tous ses congénères. La distinction des genres et des styles passait tout simplement à la trappe pour n’être qu’un souvenir de ce bon vieux temps où l’on se cognait aux barrières. Cheval de Troie médiatique, le site n’était qu’une façon de se faufiler à l’intérieur de notre esprit pour que l’évidence de son achat en kiosque éclate, à l’heure dite, au moment nous souhaitions simplement gratter un Numéro Fétiche. C’est malin, et on ne le regrette pas. Carbone a donc sorti son Carbone #1, se présentant comme le prototype parfait de ce que l’équipe cherche à nous démontrer, à savoir que du mélange naît la richesse. Utilisant le thème de « La Carte aux Trésors » pour prouver de quoi la revue est capable, il en utilise les plis et les replis pour y cacher ses plus précieux trésors, là, précisément où les genres, les styles et les mediums se croisent. Nouvelles,

bandes dessinées, illustrations, articles, réalité augmentée, science, comics, cinéma, littérature, jeu vidéo : la revue fait le boulot de maçon à merveille, construisant – à l’aide des graphistes Superscript2 – un écheveau de passerelles au milieu desquelles Jack Kirby claque une bise à Zelda, Warren Ellis serre la pince d’Osamu Tezuka et Tristan Garcia discute avec Alex Chauvel. Cette Carte aux Trésors, nous devons l’admettre, nous n’en avons pas encore perçu tous les secrets. Entre histoires cachées, liens transmédia et jeu de façonnage, Carbone nous promet encore quelques piécettes dorées. Peut-être que nous avons un peu peur de le finir vraiment ; que, comme toutes les vraies aventures, on a envie qu’elle ne se termine jamais. M. Gueugneau

Carbone #01 disponible depuis le 16.02, 276 pages, 20€ carbone.ink


Sélection 2/2

73

Print

Travel Book Route 66 ROADTRIP C’est une Amérique profonde loin des grandes villes et de l’agitation urbaine que nous présente Thomas Ott dans son Travel Book Route 66. Enseignes d’un autre temps aux néons usés, motels, dinners, quelques baraques en ruine et des paysages de désert. La route mythique n’est plus qu’un parcours nostalgique jonché de caravanes délabrées et de boutiques peu fréquentées. Le dessinateur suisse la sublime avec ses dessins à la carte à gratter, dont il est l’expert, pour retranscrire en noir et blanc ce journal de bord de son périple. L’ambiance est très roots. On s’y imagine rouler en décapotable, zappant entre les stations radio de Rock FM. C’est noir, mystérieusement fantomatique, juste sublime. Basil Sedbuk

Travel Book Route 66 sortie le 19.04 chez les Éditions Louis Vuitton, 45€ trinity.ch

Baie Vitrine

J’apprends Magazine

COLLAB Graphiste de formation, peintre et dessinateur, Alexis Jamet est un jeune artiste prometteur. Ses projets allient aussi bien sa pratique sportive (il est passionné de skate) que la photographie, le graphisme, le dessin ou encore l’animation. Baie Vitrine, c’est un petit imprimé de 24 pages qui signe les premiers pas d’une belle collaboration entre Alexis Jamet et Manon Cezaro. Un échange transnational puisque Manon est à Paris tandis qu’Alexis est à Sheffield. Fenêtres, vérandas, baies vitrées, il y en a pour tous les goûts et jamais vous ne les verrez sous un aussi beau jour, baignées dans leurs couleurs pastels !

LE SAVOIR EST UNE ARME Voyant la France s’embourber dans l’ignorance et personne pour lui tendre une main ferme, Sophie Gendron et Daphné Geisler ont choisi de s’atteler elles-mêmes à la tâche. Avec J’apprends Magazine, la revue de sciences approximatives, les deux illustratrices donnent tout au monde, tout ce qu’elles savent, tout ce que leur expérience colossale leur a appris. Évidemment, tout n’est pas exact – ça va, c’est pas des machines hein –, mais ça reste plus ou moins vrai. En gros. En tout cas, ça tient debout. Bien assez pour pouvoir se diriger dans la vie d’un pas serein. Et de toute façon, les vraies revues scientifiques, c’est triste et moche, alors que celle-là est belle et drôle. Du coup, il préfère quoi le binoclard ?

Malina Cimino

M. Gueugneau

Baie Vitrine d’Alexis Jamet et Manon Cezaro, autoédité, disponible, 24 pages, 8€ alecsi.com

J’apprends Magazine #1, disponible, 60 pages, 12€ japprendsmagazine.bigcartel.com


Sélection 2/2

74

Print

Le Vol nocturne Pépée ALBUM  Martine et Rogée sont deux sorcières qui doivent cacher leurs écailles et peuvent regarder sous les maillots de bain. Ce sont aussi des êtres qui doivent obtenir leur carte mauve pour aller à la piscine (Rogée) ou qui peuvent mourir dans l’incendie de leur maison (Martine). Mais une sorcière peut-elle vraiment mourir ? Dans ce recueil d’histoires, qui sont autant de souvenirs que Rogée se remémore, on retrouvera Martine à la plage, Martine en sanglier ou en lapin. Dans ce quatrième album, poétique et loufoque, Delphine Panique donne à voir que les sorcières connaissent aussi le temps qui passe et le deuil.

SINGERIE Adrien Demont ne fait pas souvent le barbot lorsqu’il dessine et ses tripes laissent ici ou là les marques de son engagement. Mais rarement on l’aura vu autant possédé par son histoire, celle de Pépée, la guenon de Léo Ferré. Son amour viscéral du poète et chanteur vient buter sur le surréalisme de cette histoire vraie où la sauvagerie change de camp sans sommation. Le trait suit sans frein ces émotions fulgurantes et contradictoires quand la narration tente tant bien que mal de le rattraper. Une lecture vibrante qui vient taper fort ici, là, dans le thorax. M. Gueugneau

Delphine Zehnder

Le Vol nocturne de Delphine Panique, disponible aux Éditions Cornelius, 208 pages, 18,5€

cornelius.fr

Les Ombres Pour notre plus grande honte, nous allons vous conseiller un ouvrage que nous n'avons pas vu. Mais la confiance est très haute dans la revue Les Ombres déjà responsable de trois numéros d'une qualité folle. Et comme nous savons que dans le prochain numéro il y a au moins Guillaume Chauchat, Antoine Marchalot, Roxane Lumeret, Orane Sigal, Melek Zertal, Lorène Gaydon, Lousie Vendel et Saehan Park, la honte, elle fait pschitt. > Revue Les Ombres #4 , disponible en pré-commande chez Les Ombres > revuelesombres.com

Pépée d’Adrien Demont, disponible chez Fidèle Éditions, 122 pages, 19€

fideleeditions.com

La Bagarre Comment a-t-on pu être assez sots pour ne pas évoquer, à un seul instant, la petite merveille venue de Bordeaux et de ces garnements de Mondo Zero : La Bagarre. Autour de ce si sympathique thème, la crème, pas moins, nous livre son travail avec, parmi les invités, Hélène Jeudy, Adrien Demont, Lisa Mouchet, Freak City, Simon Landrein, Nicolas Oulès et Thibault Gleize. > La Bagarre disponible chez Mondo Zero > mondozero.bigcartel.org

La Bilbe

L’auteur américain Benjamin Marra est entré au panthéon des gens qu’on aimerait voir rentrer au panthéon. C’est impossible, okay, mais ses histoires, qui marchent sur la corde raide du kitsch 80’s, du comics underground et du plaisir gluant, sont une des pures jouissances de la BD US actuelle.

Antoine Marchalot n'est pas le dernier pour rigoler un bon coup. Et donc, oui, devant sa nouvelle petite chose La Bilbe, on rit, surtout parce qu'il parle d'Ève Angeli à un moment. Mais ce n'est pas tout, le Parisien montre aussi qu'il est un incroyable dessinateur. Un pouvoir auquel se rajoute une maîtrise de la couleur étourdissante et peu à peu, le voilà qui se transforme en super héro.

> Night Business, de Benjamin Marra, disponible chez Les Requins Marteaux > 256 pages, 28 €

> La Bilbe d'Antoine Marchalot, disponible aux éditions Arbitraire. > arbitraire.fr

Night Business


Sélection 2/2

75

Musique

Egyptology VITESSE DE CROISIÈRE Après un premier album qui lançait de timides écholocations vers les galaxies connues de l’électronique analogique, le duo français Egyptology calibre avec ce nouveau quatre titres une trajectoire intersidérale mathématique et intrépide, constituée de paysages musicaux connotés, ancrés dans un contexte bien défini par l’imaginaire collectif et les premiers thèmes de films de SF aux ondes Martenot, assis sur les collages sonores d’un Pierre Henry avant-gardiste et les plages kosmische de Klaus Schulze. Exit la boîte à rythme, en six ans Olamm et Domotic ont mûri une symphonie cosmique sans tempo réducteur, guidés par une astronomie créatrice qui doit beaucoup au rétrofuturisme, et qui s’écoute comme on devrait voyager : en prenant son temps. Ted Supercar

Sur les Autres Mondes de Egyptology, sortie le 23.03 chez Hands in the Dark Records handsinthedarkrecords.com

T/O Ominous Signs trace le chemin vers une forêt enchantée, propriété de T/O – aka Théo – et de ses trois disciples, s’appliquant à nous servir une potion lo-fi aux effluves lysergiques. Se faufilant entre les genres, l’artiste strasbourgeois signé sur October Tone débarque avec un premier album libéré de toutes conventions, s’autorisant des mélopées contemplatives et quasi lynchiennes comme « Sshhee », des morceaux vaporeux furieusement analogiques comme « Halfway to Go » tout autant que des propositions plus incisives et psychotiques à l’image de « Gozilla ». Un style aussi marqué phoniquement que visuellement, rappelant sans mal les grands mages que sont DIIV, Beach Fossils ou Connan Mockasin. Elora Quittet

Ominous Signs de T/O, disponible chez October Tone souterraine.biz

Colin Johnco Le Parisiano-Berlinois s’active depuis bien une dizaine d’années dans les couloirs de la musique recherchée, montant ses labels (LEEP/CJC Records et Johnkôôl Records), ses groupes (Dr(Dr)one, Dem Leedz) et ses bons plans (collab avec NSDOS, King Rythm, Frederic D. Oberland). Tant mieux, ça donne la merveille de subtilité électronique However Far Away, son nouvel album. > However Far Away de Colin Johnco, sortie le 06.04 chez Johnkôôl Records > johnkoolrecords.com

Délage C’est bien souvent que nous jetons un œil, alors que la faim tiraille, au catalogue Field Mates Records pour voir de quel plat fou ils peuvent nous rassasier. Pour cette fois, nous aurons droit à un jeune et fatigué crooner allemand, Délage, qui semble traîner sa pop-folk (pourtant poignante) comme un poids mort. Ce qui lui donne encore plus de beauté. > Loverboy Beatface de Délage, disponible chez Field Mates Records > fieldmatesrecords.bandcamp.com


Sélection 2/2

76

Shopping

Musique

Valee

DANSE, PUNK ! En décembre sortait le troisième album des Londoniens Shopping, enregistré et produit par Edwyn Collins (Orange Juice). The Official Body est un petit paquet de braises post-punk, sans cesse ravivées par un minimalisme nerveux et dansant. De la dance-punk en quelque sorte, connectée à la scène queer/DIY de Londres et qui entend bien trancher quelques œillères. Le tout, avec une juste pincée d’humour. Comme quoi, le traditionnel trio guitare-batterie-basse a encore de beaux jours devant lui.

SAUVÉS Valee vient de rejoindre le label de Kanye West. Amateur de marques de luxe, il en relativise sans cesse la valeur, oublie où sont rangées ses chaussettes hors de prix ou laisse sa Ferrari en panne prendre la poussière, donnant une absurdité poétique à son matérialisme. Ses murmures lâchés d’un seul souffle et son utilisation des silences forcent à être attentif à son jeu minutieux, celui d’un horloger qui s’amuse avec les mécaniques de la trap pour la rendre élégante. Nicolas Pellion

Manon Raupp

The Official Body, disponible chez Fatcat Records

GOOD Job, You Found Me de Valee, disponible chez Good Music

fat-cat.co.uk

good-music.com

Fléau

Franky goes to Pointe-à-Pitre

À l’entendre, on a envie de crier Dieu, Goblin et Arnold Schwarzenegger d’un seul tenant. On pense aux livres dont vous êtes le héros, à François de Roubaix, aux orgues cataclysmiques des grandes cathédrales. Mais la confondante confiance en soi que dégage la musique du Fléau emporte tout et submerge jusqu’à la moindre critique que l’on pourrait émettre.

Le trio Franky goes to Pointe-à-Pitre sait qu’à la simple évocation de son nom, nous succombons. Encore fallait-il que la musique suive. Mais avec leurs expériences chez Pneu ou Mr Protector, les pirates ont déjà démystifié le noise rock depuis longtemps. Leur amour du zouk fait le reste et permet de créer ce terrain de jeu inespéré. Et ce Plaisir Coupable est une belle partie.

> II, Fléau, sortie le 23.03 chez Anywave et Atelier Ciseaux > anywaverecords.com atelierciseaux.bandcamp.com

> Plaisir Coupable de Franky goes to Pointe-à-Pitre, sortie le 03.04 chez À Tant Rêver du Roi > franckygoestopointeapitre.bandcamp.com

Drinks

Sentiments

On sait jamais trop à quel point les dossiers de presse nous biaisent dans l'écoute des disques. Mais cette histoire de mois estival passé par le duo folk Drinks (Cate Le Bon et Tim Prestley) dans un moulin du sud de la France colle nickel. Si ce n'était cette manie qu'ils ont d'être ultra-inventifs, on se laisserait bien bercer par ce Hippo Lite.

Il est toujours étonnant de voir la musique électronique de Sentiments pousser les murs tout en gardant son élégance intacte. Le lignage est complexe, multiple et épars, captant ici les percussions du breakbeat, là quelques notes d’exotica, mais le résultat est limpide, lumineux et ouvre sans forcer de nouvelles fenêtres. Purple Days nous joue ce tour une nouvelle fois, avec encore plus d’éclat.

> Hippo Lite de Drinks, sortie le 20.04 chez Drag City > dragcity.com

> Purple Days de Sentiments, sortie le 13.04 chez Light on Earth > inverted-audio.com


Sélection 2/2

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Shopping

Coucou Suzette PIN VOISIN 13 € Petit accessoire chic et voyeur à l'effet Kiss Cool créé par Juliette Mallet.

Animaux

POLO Une édition limitée pour la marque au croco qui apporte malignement son soutien à la cause en remplaçant son logo par des animaux en voie d’extinction. Aux dernières nouvelles, les polos ont aussi disparu.

> coucousuzette.com

Lennard Kok

T-SHIRT 22.75 € Edition limitée Forest Fire designé par l' illustrateur Utrecht Lennard Kok. > everpress.com

Cristina Daura Simon Landrein

PLANCHE 50 € Groskateboards présente une planche de la série Karaté Cul signé de l'excellent Simon Landrein. > grosskateboards.com

Tim Lahan

PAIRE DE BASKET N.C. Tim l'américain s'est fendu d'une jolie paire de Air Force 1 Vandals pour le programme de customisation 90/10 de la marque au swoosh. > timlahan.tumblr.com

WARM SHOTGUN PIN 10 € Édition limitée à 100 exemplaires inspirée d'une illustration de la talentueuse Cristina Daura. > retroaestetica.com


Sélection 2/2

L’illu a la frite GARDE LA PÊCHE

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Easter Sounds Festival PÂQUES AU BALCON

Fanzines! Festival LES PETITS PAPIERS

Dessiner, c’est joli. Fort de ce constat, le Point Éphémère, jamais avare de gentillesse, consacre un week-end à l’illustration dans tous ses états pour donner du joli aux Parisiens. Avec Roca Balboa, Anna Uru, Victoria Roussel, Samuel Eckert ou Laho, il y en aura sûr.

On ne va pas se mentir, il en fallait un. Un festival qui mêle le jazz, le funk, la disco et affiliés sans sentir le rance. Voilà heureusement l’Easter Sounds Festival qui vient inviter Sean P, Kamaal Williams, Discomatin, Atmosfear, Echoes Of et Shuya Okino.

Fanatique de l’autoédition, le Fanzines Festival pousse chaque année plus haut le hit « DIY or die ». Au programme de cette année, plus d’une centaine d’exposants et fabricants de belles choses ainsi que six expositions, des projections, des conférences, des concerts, etc.

Les 31.03 & 01.04 à Paris

Du 28.03 au 01.04 à Paris

Du 19.05 & 20.05 à Montreuil

Marché de l’illustration impertinente

Chemin Papier au Signe

Une Saison graphique

FÉFESSE

DESSIN/DESIGN

LA SAISON DES AMOURS

Le temps d’un week-end, Le Hasard Ludique se fait lubrique et fait son marché de la fesse en conviant des illustrateurs aimant la caresser. Antoine Duruflé, Amina Bouajila, Safia Bahmed-Schwarz ou encore Bleu Tendresse sont de ceuxlà pour animer un marché donc, qui se tune d’ateliers, de DJ sets, de tattoo et d’un bingo pour que la fête soit complète

Le Signe, Centre national du graphisme de Chaumont, invite nos amoureux – la Galerie Fotokino et Cucufa – à venir pincer la corde délicate qui relie l’illustration au graphisme et à l’édition. Évidemment, la sélection est incroyable avec Bettina Henni, Cristina Daura, Blexbolex, Paul Cox, Hannah Waldron, Simon Roussin, Alexis Beauclair, Kitty Crowther, etc

Le Sonic Protest est ce genre de festival auquel on peut aller les yeux bandés. Il est rare qu’on connaisse toute la programmation, mais il est encore plus rare que celle-ci déçoive. Nouvelle illustration avec la version 2018 où l’on pourra se raccrocher à ces noms délicieux que sont Morton Subotnick, Arto Linsay, Satan, Kevin Drumm et Mohamed Lamouri.

Les 14.04 & 15.04 à Paris

Du 30.03 au 16.09 à Chaumont

Du 11.05 au 29.06 au Havre


Événements

Macki Music Festival NUIT DE NOCE

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Magic Barbès LAPIN, CHAPEAU, ETC

Nuits sonores LA GRANDE BOUCLE

On a beau dire, un mariage ça fait toujours son petit effet. Celui que revivent tous les ans Cracki Records et La Mamie’s n’est d’ailleurs pas le moins sensationnel. MCDE, Tin Man, Antal, Sentiments, Le Camion Bazar, Zaltan ou encore le Ceephax Acid Crew y joueront en 2018 les DJ de mariage, ce qui est quand même plutôt costaud.

L’erreur est certes courante, mais il ne faut pas moins répéter sans cesse qu’elle est une erreur. Ce n’est pas Paris qui est magique, mais bien Barbès. Pour le prouver, le FGO-Barbara organise tous les ans son festival brassé avec artistes venant de partout. Boukan Records, Batuk, Nadia Valentine, Mohamed Lamouri, entre autres, seront là pour vous servir.

Cette année Nuits sonores s’est dit qu’il allait tout embarquer. Les nuits, les jours, nos points de vie : le festival va durer une semaine. Il fallait bien ça pour caser tout ce joli monde que sont les Larry Heard, Kamasi Washington, Four Tet, Karen Gwyer, Floating Points, DJ Lag, Ben Frost, Peggy Gou et autres Dengue Dengue Dengue.

Du 29.06 au 01.07 à Carrières-sur-Seine

Du 03.04 au 08.04 à Paris

Du 06.05 au 13.05 à Lyon

Festival Treize À LA DOUZAINE

Puces Typo MA PUCE

Le Bon Air RESPIRE

Apparemment, Les Disques Anonymes n’avaient pas assez d’un festival dégommant par an. Après Visions, le deuxième se nomme Treize et garde toujours ce même leitmotiv d’une programmation impeccable avec Abschaum, OKO DJ, Rezzett, Sister Iodine, Beau Wanzer, Parrish Smith, Samuel Kerridge, Jardin, etc.

On demande la qualité, là-bas, du côté de Paris. Sans râler, le Campus Fonderie de l’Image s’en charge tous les ans avec les sacro-saintes Puces Typo qui rassemblent éditeurs, fanzineurs, graphistes et compagnies pour montrer au monde à quel point la chose visuelle peut être inspirée et inspirante.

Que demande le peuple ? Un sacré bon festival de musiques électroniques qui mélange allégrement petites pousses et grands arbres, jolies fleurs et plantes carnivores. C’est dans ce jardin merveilleux qu’évolueront les Bambounou, Soichi Terada, DJ Stingray, Paula Temple, Kiddy Smile et autres Joy Orbison.

Du 12.04 au 15.04 à Rennes

Le 26.05 à Paris

Du 01.06 au 03.06


DÉMON D’OR

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