Abregé d' histoire romaine a l'usage des jeunes gens

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L'HISTOIRE ROMAINE.

TOME QUATRIEME.

L' HISTOIRE

R O MA. INE

A L'USAGE DES JEUNES GENS ;

Par M. l'Abbe

TAILHIE.

nouvelle Edition,

Revue , corrigee et augmentee.

TOME QU ATRIEME.

HISTOIRE A IN E.

LIVRE HUITIEME.

HISTOIRE EE ROME depuis la ruine de Carthage jusqu'a la bataille d'Actium, indusivement.

HUITIEME fiPOQUE,

Qui renferme Vespace de 116 ans.

I. Ambition de Rome. Differentes partes des Romains en Espagne. Cruaute et avarice des generaux Remains. Origina de Viriathe. Ses exploits. II defait le preteur Vetilius. Son questeur. Le preteur Plautius. Fabius-Maximus Emilien est envoys en Espagne. Sagesse de Fabius. $1 est releve par Servilianus. Viriathe 'Lome IV, A

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remporte sur lui une grande viclolre. iSucces de Fabius-Alaximiis Emilien. II est battu par Viriathe. Traite de paix eiitreux. Cccpien rompt la paix avec Viriathe. Viriathe lui dcmande la paix, Cccpien le fait tuer par ses propres efficiers. Eloge de Viriathe. Tantale suc'cede a Viriathe. Fin de la guerre e'e Viriathe. Guerre de Numance. Alauvaise foi de Pompee. Origine de la maiscn de Pompee. Alauvais succes des Remains en Espagne, Exemples de severite. Continuation de la guerre d'Espagne. Scipion consul. IIpart pour I'Espagne. II retablit la discipline parmi les troupes. II investit la ville de Nu¬ mance. La famine se fait sentir dans Numance. Scipion refuse la paix aux Numantins. Guerre des esclaves en Sicile. Difaite de auatre preteurs. Avantages du consul Calpurnius. Succes du consul Rupilius. Fin de cette guerre. Guerre d'Asie. Aristonic monte sur le trone de Pcrgame. Rome lui declare la guerre, 11 defait le consul Licinius. Le consul Perpenna le defait lui-meme et le fait prisonnier. Fin de cette guerre. Alort d'Aristonic. Reflexion sur I'etat de la republique.

Ambition Tÿ- 0ME etait si ent£tee do faire ties iie Rome, conquÿtes ,et si persuadee qu'elle devait devenir la maitresse de l'univers entier , qu'elle ne se donnait plus aucun repos. A peine arait-elle soumis un pays,qu'elle

R O M A IN E. Liv. Fill. 3 portait ses armes en un autre ,sans se donner aucun relac'ne. Ainsi ,d'Afrique elle appendix passa en Grece , et de Grece en Espagne,ajCrF1ÿ ou nous l'allons- voir faire les derniers efforts pour soumettre a sa domination ces Justin. L riches contrees. Ce netait pas assez pour 'yV( / ÿ elLe d'avoir chasse d'Espagne les Africain? ,c et de s'£tre mise en possession de ce que ces peuples y avaient,elle veut tout sou¬ mettre et tout subjuguer > comme si elle avait un droit acquis sur ces nations et sur leur territoire.

De tous les peuples contre qui les Romains porterent leurs armes , ii n'y cn eut aucun qui ,apres sa defaite , connut mieux ses forces ,qui en sut faire un meilleur usage ,et qui fit acheter plus cher ses pertes que les Espagnols. Une guerre de deux cents ans , et presque sans aucune interruption,ne put venir a bout de sou¬ mettre parfaitement l'Espagne. Ce ne fut que sous Auguste , qu'epuisee et entierement enervee , elle fut forcee de tendre le col k un joug qu'elle avait toujours rejete fierement ou secoue gencreusement ties la premiere occasion. Mais parmi les peuples d'Espagne qui defendirent mieux leur liberte et leurpatrie,et quidonnerent plus d'exercice aux Remains ,les Lusitaniens , les Numantins et les Celtiberiens le firent avec un eclat et un nom qui meritent d'etre connus. DUfhen* Depuis que nous avons quitte l'Espa- tes pertes gne pour donner de suite ce qui regardait les guerres.de Macedoine ,de Cartilage etEspagnej A 2

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de la Grece, il ne faut pas s'imaginer quo la paix ait regno dans ces contrees-la jusqu'a ce temps-ci. Les Rornains ,qui voulaientabsolumentsesoumettreceroyaume , et. en faire , comme rles autres empires , ime province Romaine ,n'avaient cesse d'y faire la guerre plus ou moins vivement, et avec differens succes ; tantdt victorieux , et d'autres fois battus ,et obliges de fuir devant l'ennemi. La ddfaite du preteur Calpurnius par les Lusitaniens ,et cello du consul Fulvius-Nobilior par les .Alvarciucs ,fut comme le signal de la revolte Cruautt de toute LEspagne. Mais la cruaute de Luet avarice cu11q qui,centre la foi d'un traite solennel, ra*s8tiit ÿ fcdre inainÿbasse sur laville de Cauca , mains. qui venait de se rendre a lui,fit detester par toute l'Espagne le nom et le gouvernement Romain, Le preteur Sulpicius5856 ' Galba , aussi cruel et plus avare que lo Av. J. C. consul Luculle ,acheva de rendre les Romains tout-a-fait odieux aux Espagnols , ' et de ÿes revolter tous generalemcnt. Ce preteur, qui venait de recevoir un echec considerable , voyant que la force ne lui reussissait pas ,fit usage de la ruse et de I'artifice, ajoutant ainsi a la peau du lion celle du renard. Un canton de la Lusitanie , ou il avait porte le fer et le feu ,lui ayant demande d'etre admis k l'amitie du peuple Romain ,il fit semblant d'accepter avec plaisir la proposition ,cacbant ,sous une apparence de gracieusete et de bonte,un noir et detestable dessein. 41 4*t d ces peuples3 que s'ils voulaien#

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ton&entir a quitter leur patrie, et k £tre transplants ailleurs ,illeur donnerait un rneilieur terrain;mais que n'ayant pas un espace de bonne terre assez etendu et assez vaste pour les reunir tons ensemble , ii fallait qu'ils se partageassent en trois handes. Ces peuples, pris a l'air de bonne foi et de candeur qu'il affectait dans son discours , eonsentent a cette desunion ,se laissent desarxner, et partent separement 7 chaque bande pour le lieu qui luiest assigne. Le perfide et cruel preleur, des qu'il vit ces peuples separes et desarmes , mavche a la premiere bande,les environne do retrancbemens ,et les fait egorger tous. II traita de inline la seconde et la troisieme bande. II y en eut tres-peu qui se sauverent de ce massacre general. De ce nombre fut un jeune homme , nomme Viriathe , que la divine vengeance reseryait pour punir dans les Remains , la detestable cruaute et la noire perildie de Galba leur general. Nous allons voir ce jeune homme a la tete des armeesEspagnoles,former des desseins dignes d'un vieux et tres-habile guerrier ,remporter des victoires qui auraient fait honneur aux generaux les plus fameux ,couvrir de honte les Romains , et egaler par ses exploits ceux des heros de Rome.

Viriatheetait unhomme de laplus basse Origin? t?e condition. Sa premiere occupation fut laÿ'biaiue-. chasse. Rebute d'un genre de vie dont il ne retiraitnigloiteniprofit,il1'abandonna, et se mit a latete d'une troupe de brigands.

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Dans eette derniere profession ,qui servit au jeune Espagnol comme d'apprentissage au metier de la guerre ,auquel ilse destinait ,ilvit bienlot grossir sa troupe de tous les Espagnols revoltes ou mecontens , qui formerent une armee dont il se trouva le general.Viriathe sevoyant a la place ou son ambitionnaturelieet ses talensl'appelaient, s'appliqua a soutenir le choix qu'on avait fait de lui ,et a donner des preuves de sa rare capacite et de son courage etonnant. Ses ex- Le nouveau general , qui avait appris "!S> a ruser , et qui etait fort verse dans ce genre cle manege,fit pour son coup d'essai un coup de maitre. Renferme de tous cotes par un general Romain, nornme Vetilius , il n'y avait aucune apparence qu'il put ec'napper a l'ennemi. C'est dans ces sortes d'occasions que parait 1'habilete d'un general. L'Espagnol ,pour donner le change au Romain, range son armee ct parait sur le champ de bataille. Pendant que le Romain se prepare a, accepter le deli , il donne ovdre a son infanterie de prendre la fuite ,et de se sauver a Tribola , qui n'eiait pas fort eloignee de-la , et de l'y attendre. Pour lui , il demeure sur le champ de bataille avec sa cavalerie , pour teuir l'ennemi en respect , et l'empecher de courir sur son infanterie. Viriathe, qui connaissait infiniment mieux que lcs Remains, les differentes routes des bois ,s'echappe sans aucune perte ,et va loindre son infanterie , qui l'attendait a 1rihola. Le bruit do cette heureuso

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fetraite s'etant repandu au loin dans lT.spagne , lux fit beaucoxip d'honneur , releva son autorite , et augmenta considorabloment son armee , par le nombre de ceux qui accouraient de tous cotes se ranger sous ses enseignes.

Vetilius voyanl, contre son attente, que sa proie lui avait echappe , se mit a la poursuite de •Viriathe. Mais celui-ci,qui etait plus habile et plus ruse que le Romain , lui tendit une embuscade , dans laquelle iialia donner. Les Remains , at- I! d*;"Rt taques de tous cotes , se defendirent avec ÿ c- £ beaucoup de valeurj mais il fallu ceder a la superiority du nombre et du courage. lis perdirent dans cette occasion quatre An. M. mille homines, qui fui'ent ou tues ou fails prisonniers.Vetilius fut dunombrede ceux- -*ÿJ la. Le questeur , qui avait ramasse les de- An. R . bris de la defaite du preteur , tenta de t:°3reparer ses pertes j mais ilne fit que les accroitre. Viriathe lui tomba dessus si a Son quespropos et avec tant de fureur , qu'il ne se teur. sauva presque personne de l'armee ennemie pour porter a leurs compatriote.slanouvelle de leur desastre.

A la defaite de Vetilius et de son ques¬ teur, succeda depres celle du preteur Plan- Lepreteur tius, qui, fraichement arrive de Romeavec Plaitfius. une armee de dix mille hommes de pied et de treize cents chevaux , voulut se mettre Ala poursuite de Viriathe. IIetait per¬ suade que ce vagabond , eomme i). l'appc- lait , ne tiendrait jamais un moment devant lui. Levenement ne repondit ni a

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ses idees ni k scs projets. II perdit dans unepremiere action quatre mille hommes T et presque tout le reste dans nne seconde. Par ces succes et par beaucoup d'autres , Viriathe releva extr&mement l'eclat et la reputation de ses armes. IIse trouva mai* tre de la campagne , que les ennemis avaient ete forces d'abandonner pour chercher leur surete dans les villes, mit lepays k contribution , et ravagea les ferrnes et les fruits de ceux qui refusaient de payer les taxes.

La nouvelle de toutes ces pertes en Espagne arriva a-peu-pres a Rome en meme temps que celle des mauvais succes de Manilius devant Carthage , et des desavantages en Macedoine centre le faux Philippe.

Le senat Remain en fut effrayci ; raais ii n'en fut pas abattu. La Constance etait la vertu dominante de ces fiers republicainsOn comprit qull fallait confier le soin de cette guerre a un consul dont 1'habilete et le courage pussent reduire un ennemi, qui d'abord n'avait paru digne que de mepris, mais dont les tale'ns et la capacite pou- vaient en faire le Romulus de l'Espagne.

FaWus Co choix tomba sur Fabius Emilien , file f!iTiienUS

Paul-Emile,et frere du jeune

1st envoye Scipion l'Africain. IIse rendit sans delai EsJ?a- en Espagne , avec une armee de nou¬ velle levee de quinze mille hommes d'infanterie , et de deux mille chevaux. Le nouveau general , sachant qu'il avait af¬ faire a un ennerni courageux , endurci aux trav-aux de laguerrex et exlr&iiemeat rusez

K O M A IN E. LU\ VIIt. () evita avec soin de rien donnor auhasard,et d'exposer unearmee composee de soldats da nouvelle levee, et saris aucune experience. lnstruit a la profession des amies par le Ax M. vainqueur de Persee,ilrefusa constaniment J-C> le combat que Viriathe lui presentait fro- ii2. quemment. fl se renfermait pour 1c- temps An. K. present a bien discipliner son armee , se contentaiit de hasarder quelques legers combats centre les fourrageurs et les maraudeurs des ennemis ,pour former et encourager peu a peu ses troupes. Cette sage conduite ,dont il ne se de- Sagrsse dar partit pas de toute l'annee de son con- ~ sulat , fut pour son armee d'une utilite infmie. Ses soldats, formes par ses soins ec par son exemple , devinrent tout iiutres j eri sorte qu'il fut en etat de recueillir l'an¬ nee suivante les fruits de ses peir.es. Avec ces soldats, formes de sa main ,ilattaqua et battit Viriathe en plusieurs rencontres , efra5a l'ignominie des defaites precedenics, et releva le nom et la gloire des armes Romaines. II eut pour suceesseur dans le commandement des armees d'Espagne ,le consul Fabius-Maximus-Servilianus *.

* Appien dit qu'il etait frere de Q. FabiusMaximus Emilien. 11 y a beaucoup d'apparence que cet auteur s'est tronipe , attendu que tous les liistoriens lie donnent a Fabius Emilien; d'autre frere que le ieune Seipion I'Africain. 11 est vrai que Paul-Emile leur pere eut encore deux enfans d'une secoude femme ; mais il n'est as moius vrai qu'il les perdit tous deux en baS ge j le plus jeuney sige de douze acs, cinq jour?

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Histoire

11est re- Des que Fabius-Servilianus fut arrive en *?ve parEspagne, le heros Espagnol ne tarda pas sius.1 "a a le tenter. IIfut au-devant de lui avec six

An M.mille hommes seulement. D'abord lo geSAv J C n®rJd R°main eut peine a soutenir le choc 339. ' " impetueux de Viviathe j mais ayant ele se-

An. R. couru h propos par l'arrivee de l'arriereÿl0" garde de son armee ,de quelques elephans , et de troiscentschevauxNumides,iltomba sur Viriathe avec tant de fureur , qu'il le Viviathe debt et le forga de prendre la fuite. Le semporte general Espagnol , a la vigilance de qui K»ndiunerien n'ecbappait, et dont la fuite netait .victoire. vraisemblablement qu'une feinte ,ayant remarque de laconfusion et du desordre dans I'armee victorieuse qui le poursuivait, fait tout-a-coup volte-face , tombe sur les I'omains , fatigues, hors de leurs rangs ,et en tue trois mille. Par cette manoeuvre , ilfait changer de face le combat ;de vaincu et de fugitif ,il devient assaillant et victo3'ieux ;les victorieux sont vaincus et poursuivis jusque dans leur camp. La frayeur qu'il y causa fut si grande , qu'aucun des Bomains ,si on en excepte le consul et les. officiers , n'eut le courage de so tenir sur les remparts pour defendre les portes du cgmp ;et si la nuit ne fut survenue , il y a toute apparence que Viriathe l'aurait force et s'en serait rendu maitre. Le repos de la nuit rendit les forces et le courage

avant son triomphe sur Persee ; et l'aine , qui en avait quatorze , mourut trois aus apros QCUv gloneuse cvrcmoaie,

R O M A 1 N E. Liv. VllL it aux Romains. Ainsi , le general Espagnol ne put rien entreprendre contre le camp. II se contenta de harceler jour et nuit l'armee Romaine, la fatigua beaucoup, et l'obligea enfin de decamper et d'aller k Ituca. Pour lui,ne jugeant pas a propos de la suivre, ilse retira dans la Lusitanie. La retraite de Viriathe donna la liberie a Servilianus de faire la guerre avec succes dans les contreesd'ltuca. IIlesuivit ensuite dans la Lusitanie , prit sur lui quelques villes ,et fit dix mille prisonniers ,dont il fit perir cinq mille sous la hache ,et vendit le reste. Apres ces exploits guerriers ,qui n'etaient pas fort considerables, et qui laissaieot Viriathe dans la meme position,et aussi puissant qu'auparavant , ilrepr.it la route ddtalie et retourna a Rome. Fabius-Maximus , qu'Appien continue Sutds d'appeler frere de Servilianus, a qui on*?F:bms" J- f , , ... , ' 1 , Ma*imus avait proroge , sous Je titre de proconsul,Emi'ien. le commandement de l'Espagne ulterieure,„ Aw. ivr, se rendit maitre de quelques places occu- c pees par des garnisons de Viriathe. IIprit iS8.' aussi un nomine Connabas ,chef d'une fa- AN- IL meuse troupe de voleurs. liepargna lechef61r* seulement , et fit couper les mains k tous sescompagnons.Le proconsul,voulant pro¬ filer de son avantage, alia faire le siege de la ville d'Erisane. Le general Espagnol, qui en savait plus que le general Romain, et qui etait plus ruse que lui, se glissa la nuitdans lavilleasoninsÿu.Lelendemainil IIeÿthatm fit sur eux unesortie tres-vive ettres-meur- Vix&s Iriere, IIpoussa si fort les Romains, qu'il

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los accula dans un poste dont ils no pothvaient plus se sauver. Ce succos n'entlapasyiriathc ; et ,bien loin do vouloir en proliter pour ddtruire entierement l'armee Ro~ maine , ou la forcer de sc r.endre prisonniere de guerre ,ilne se servit dc son avantageque pourprocureral'Espagne unebonne Traite de e}; solicl<3 paix avec les Romains. Le traite paix entre en £uj. conciu de concert avec les deux generaux. Dans la suite il fut ratifie a Rome paf le peuple,qui,fatigue et presque epuisepar cette guerre , donna volontiers les mains a la paix. 11faut cependant convenirque ce traite n'est ni glorieux ni honorablepour Romej c'est le premier qu'elle ait fait et: ratilie dans de pareilles conjoncturee. 11 est au contraire tres-glorieux a Viriathe? d'etre le premier guerrier quiait force l'imperieuse et here republique d'accepter des conditions de paix , et de les iui avoir prescrites. Ce traite ,dans lequel le herosEspagnoltraiteavec Rome d'egal a egal, et presque eniriaitre,est un elogc complet deses talens et de ses rares qualites

* M. Rbtlin , dans son histoire Romaine , ou bien M. Crevier son contmuateur , attribue a; Fabius Servilien tout ce qui est rapporte dans ce dernier nombre ; la prise de Connabas , fameux. •voleur , le siege de la vilie d'Frisane , le mauvais sitcces de cette expedition, et enfiu le traite de paix avec le general Espagnol; il cite Appieiu pour garant de sa bonne foi. M. Creviar me perÿ tnettra de lui reprpsenter qu'Appien , dans l'eneroit cite ,dit tout le contraire. Cet auteur donue tccpres.sem.eiit tous ess fails iFabius-Maxiinus

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' Coepion ,qui venait de suecedera Fabius Ccepiow Emilien dans le corn-mandement de l'ar- avt* mee Romairve dans l'Espagne ultcrieure ,\'iriai!.e ni(icontent du traite de paix conclu par son predecesseur , et ratxfre par le peuple ÿv .'j c. Romain , agit si puissamment aupres du r37. senat, qu'ii obtint d'abord de cette an-,. Ar!', 1 612. guste compagme la permission ae mo¬ lester Viriathe sous main et sans eclat } et bientct apres celle de lui faire ouvertement la guerre. Le nouveau general , soutenu de 1'arret du senat se mit a la poursuite de Viriathe. Celui-ci se sentant trop faible pour hasarder un combat centreles Romains , mit son armee en sureto conlre les insultes des ennemis. Coepion; s'imaginait 1'avoir reduit an point de nepouvoir plus reculer, et de le forcer d'aceepter le combat ,qu'il evitait depuis fort long-temps. Ce fut dans ce moment-la mÿrne qu'il luiechappa. Le ruseEspagnol,. faisant mine de ranger sa cavalerie en bataille ,fait cn mfime temps defiier son infanterie par ses derrieres ,k la faveur d-'une* vallee couverte et tortueuse. Lofsqu'il la erut en surefe, hors de toute atteinte et do tout peril, ilpart a toute bride ,avec un tel mepris de son ennemi , et une celerite si rapide , que Coepion , qui voulut ses mettre a ses trousses , ne put decouvrir la route qu'ii avait tenue.

F.mi'Hen. 11 n'a garde de les attribuer aServiliien,, qu'il avait deja fait pariir pour Rome avaut leur eyiaiemeiit..

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Le general Romain , qui netait pas aime de ses troupes ,eut ce sujet beaucoup cle mauvaises plaisanteries It soutenir. On le plaignait,disait-on , de ce qu'il etait echu c> uu aussi grand guerrier de n'avoir que des ombres et des lutins & combattre ,qui ,au moment de Taction ,apres lui avoir corite des peines inbnies pour lea amener la ,disparaissaient en l'air , et ne laissaient aucun vestige de leur apparition. Le consul Romain etait tout aussi pique de ces railleries que de la fuite de l'ennemi. Pour les faire cesser ,ilalia decharger sa mauvaise humeur sur d'autres peuples innocens. IIravage leur pays , et y porte par-tout la desolation , suivant en Vhlatlie cela son inclination cruelle et feroce. Vilmdeman- >d qui l'etat present de ses forces de la paix. ' 1 .. ,r . , ne permettait pas de continuer la guerre contre un ennemi qui lui etait superieur de beaucoup , et pour le nombre , et pour les forces , envoya des ambassadeurs & Coepion pour lui demander la paix. Lecon¬ sul Romain , qui ne se piquait de rien moins que de bonne foi et de probite, a force de presens et de prieres , engagea ses officiers a tuer leur general et ieur maitre. L'entreprise etait aisee a executer. Viriathe , croyant n'avoir rien a craindre d'une nation dont il ne cherchait que la gloire et les avantages , n'avait pas cru Coepion le devoir se precautionner contre un attentat proptes cette nature. Ainsi , ces perfides mi©ffisieis, nistres , abusant de la confiance de leur maitre? et de la liberte qu'ils ayaient de

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l'approcher k toute heure du jour et de ia nuit , entrent dans sa leute au moment de son premier sommeil , et l'egorgent. Apres ce parricide , ces indignes officiers se transportent sans delai , et sans £tre apergus de personne , au camp de Ccepion , les mains encore teintes--et fumantes du sang de leur general. lis lui demandent les recompenses qu'il leur avait promises. Coepion , par one infidelite sans exempla , mais dont ces traitres etaient dignes , lesrenvoya au senat ,auquelseul , disait-il,ilappartenait de statuer s'ilconvenait de recompenser des arnbassadeurs qui avaient trempe leurs mains dans le sang de leur maitre. On laisse au lecteur a decider ,lequelde ces abominables personnages , ou des arnbassadeurs de Viriathe , ou du general Romain,est le plus horrible. Onsait bien que Fabricius refusa d'acheter a ce prix la victoire contre Pyrrhus , et qu'il aurait mieux aime £tre vaincu cent fois de bonne guerre , que de vaincre par l'usage des voies indignes d'un homme d'honneur. Quel changement dans les moeurs : o tempora , o mores !La trahison de Coepion est un aveu public de sa faiblesse , et un titre glorieux pour Viriathe , qui ne pouvait &tre vaincu que par une voie qu'un brave general se fait Flor.i. : un honneur de ne jamais employer pour c' 17' vaincre *.

* Florus attribue tout ce que nous venous de rapporter de Quinlus-Servilius-C«epion ? iuu

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E!ofie de IIy aurait tic rinjustice de ne pas rendre Yirktlie. ÿ ja g]0jre cje Viviathe le tribut de leuanges qu'il merite .si justetment. L'alFiiction et les larmes quo verserent ses troupes a la premiere nouvelle de sa mort , font de ce general l'eloge le plus acheve. IIy avait long-temps qu'on n'avait vu un general d'armeeaussi accompli et si digne de com¬ mander* 11 etait sans naissance , comma nous l'avons remarque j mais un merite superienr lui tenait lieu de noblesse , et suppleait abondamment a tout ce qui lui matiquait de ce cote-la. IIetait d'un cou¬ rage intrepide , mais toujours conduit par la prudence. 11avait line connaissauce parfaite de l'art miiitaire ; personne ne l'egalait en habilete et en ruses de guerre : c'etait un second Annibal en ce genre , aussi bien qu'en fermete a faire observer la discipline miiitaire , et a contenir le soldat dans le devoir. Pendant l'espaee de plus de quinze ans de commandement ,on lie vit pt on n'entendit ni sedition , ni mmrmitre ,niplainte dans son armee ,com¬ poses de soldats de differentes nations* Enfin il etait egalement et bon soldat et . bon general , hornme de main et de tete , propre pour le conseil et pour Paction. A cos grandes qualites , et a ces rares talens qui forment les grands homines et nnmrne Pompilius. Pent-e!re que Coepion avait aussi le num. de Pompilius , et que ce uoni esf echappe aux aui.res liistorieiis, U est le seui qLU lui domic ce uoni..

R o M A iN E. Liv. Vttl. rf leg grands capitaines , Viriathe reunissait les vertus duccieur ,les vertus ,dis-je ,qui font Thonnÿte homme , l'liomme de bien. IIaimait et cultivait la justice et la bonne foi ;rigide observateur de sa parole ,iletait fdelle aux traites fusqu'au scrupule. Dur a lui-m&me ,jusqu'a oublier qu'il avait un corps , il etait plein d'humanite , de tendresse et de bonte pour les besoins desautres. IIaimaitses soldats comme un pere aime ses enfans , et il en etait aime de meine. Indcpendant de tout assujettissement , ilaurait pu s'arroger la plus rich© et la plus grande partie du butin ; il le partagea toujours egalement avec ses sol¬ dats. Son elevation a la supreme dignite de general d'armee ,ne porta aucun cbangement a sa rnaniere de vivre ordinaire , qui etait simple , frugale et uniforme. Toutes ces grandes qualites ,tant cellos de l'esprit , que celles du coeur , l'avaieut rendu extr&mement cher et precieux a son armee. Elle deplorait avec raison la perte qu'ellc faisait d'un si excellent canitaine s qu'elle n'ignorait pas de ne pouvoir etre reruplace. Le sort d'une mort si tragique et si pen meritee , etait pour les soldats un surcroit de douleur. Que Viriathe fut peri dans une bataille , ou au siege d'une place, on s'y attendait ,etc'est-Ia ce qu'am-i bitionnent les grands guerriers , comme etant le comble de lagloire milifaire. Mais qu'un aussi grand general ,cheri et aime de tous ses soldats , perit dans sa tente de la main de quelques perfides ,, eest ce

18 - Histoire quirendait l'armee inconsolable.Cos braves Espagnols auraient vonlu soulager leur juste douleur , en imvnolant aux manes de leur chef les auteurs de sa mort. Mais les traitres s'etaient echappes. Ne pouvant faive mieux , ils chercherent a moderer leur chagrin dans les funerailles ,qu'ils lui firent le plus magnifiquement qu'ils puFlor. I.2 rent. Cette auguste et lugubre ceremonie i7' fut terminee par un combat de gladiateurs. Telle est la fin de ce heros Espagnol , qui de berger se fit chef de brigands , qui de ce second etat passa & la dignite de general d'armee , ou ila figure avec autant d'eclat que les heros les plus fameux. Tantale Apres ces derniers et justes devoirs que \iria'theÿ ÿ'arm®e venait de rendre ti son general , les yeux baignes de larmes , et le coeur serre de douleur, ellesongea aluidonnerun successeur. Lechoix tomba sur un nomme Tantale. Le nouveau general , pour se donner du credit et de la reputation , voulut. signaler les commencemens de son generalat par une expedition importante. IIaliamettre le siege devant Sagonte. Ils'y conduisit si mal , et avec si pen de cou¬ rage et. de prudence , qu'il fut repousse avec perte , et oblige de lever honteusement lesiege. Le general Romain le pour* suivit et le serra de si pres qu'il le forv'a Fin tie la de se rendre , lui et son arrnee. Coepion , v'hiadie! Pour ÿes °bliger de cesser leurs briganda¬ ges , et de vivre en travaillant , les desavma tons , et les plaga dans un territoire assez vaste. C'est ainsi que finit la guerre

R O M A IN E. Liv. Fill. 19 de Viriathe , tres-peu de temps apres la mort de ce heros.

La fin de cette guerre ne retablit pas Guerro <>.9 la paix en Espagne.Les villes deTermance Numance. et de Numance , qui etaient passees dans le parti de Viriathe , soutinrent en leur propre nom la guerre contre les Romains , et ieur donnerent pendant plusieurs annees de vives et rudes alarmes. Q.Pompee , An. M. qui avait succede 1'annee derniero dans ÿ ÿ cette partie de la guerre d'Espagne a /ÿ ' ' ' Metellus , et dont ilavait re<ju une armee An R. de trente mille hommes , fort bien dis- 6,I< ciplinee et tres -aguerrie ,marcha contre Numance , et en forma le siege. L'entre,prise n'etait pas absolument au - dessusdes forces et du courage des troupes Ro¬ manies , mais elle etait beaucoup superieure aux talens de leur chef. Aussi fut-il bientot oblige de l'abandonner , et de se retirer avec perte. IIne reussit pas mieux & Termance ,contre laquelle ilavaittourne ses armes , dans l'esperance d'avoir meilleur marche de ses habitans que des Numantins. Tout le contraire arriva. Les Termantins se battirent comme des enra¬ ges , et plusieurs fois en un m£me jour. lis lui tuerent beaucoup de monde , et le chasserent de leur pa}7s. IIrevint quelque temps apres devant Numance j mais ce fut toujours avec la m£me fortune qu'auparavant , c'est - a - dire , qu'il fut toujours battu , et oblige de fuir devant l'ennemi.

Pompee , pour couvrir la honte de ses M.

Av. J.C. defaites , retablir sa reputation, et pfe,5a r venir les accusa,ions q"'11 prevoyait avoir Ci2.N X soutenir a Rome devant le tribunal du peuple,menagea adroitement un traite de Mauvalse paix avec les Numantins. Comme ce traite foi de n'c-tait ni a l'avantage ni a la gloire du Pompee. Romain , le proconsul ,des qu'il fut releve dans son commandement par le consul popilius Loenas , qui avait ordre du senat de prendre connaissance de celte paix avec les Numantins , nia hardiment qu'il eut fait un traite avec ces peuples.

Les Numantins parurent devant le nouveau general Romain , et soutinrent forternent l'existence et la validite du traite. Les transfuges qu'ils avaient rendus , les otages livres ,et une somme d'argent qu'ils avaic-nt comptee a Pompee , etaient des preuves qui ne laissaient rien a desirer. Leurs ennemis inllitte ,je veux dire toute l'armee Romaine , ofF.ciers et soldats ,ddposaient en leur faveur , et conf.rmaient la verite du traite. On ne pouvait demander plus de lumieres. Cependant le consul trouva l'affaire trop embarrassee pour la decider par lui - mdme. II renvoya les parties a Rome au. tribunal du senat. Les deputes de Numance y parurent , et mixont leur cause dans un degre d'evidence ) qui ,dans un meilleur temps de la repu- blique , aurait attire a Pompee la juste punition qu'il mcritait ,tant. pour le traite honteux qu'il avait fait sans £tre autorise5 qiie pour 1impudence avec laquelle il 1® niait. Mais ileut assez de credit , et dans

It O M A IN E. Liv. VI1T. 21 le senat , et aupres du peuple , pour obtenir de l'un et de l'autre un arret favo-f rabie , qui le declarait innocent , commo n'ayant jamais traite dans les formes avec les Numantins. C'est ainsi que l'iniquite et 1'injustice l'emporterent sur la justice et sur i'innocence. Ce Pompee qui joue iciOrigine c?e un role si indigne , est i'homme qui va donner naissance a la maisondes Pompee , que nous verrons dans la suite sipuissante, et tenir le premier rang dans Rome, La noblesse de cette maisonn'a pas plus d'anciennete , ni une origine plus noble.

Sous le consulat de Popilius , et les Mauvais annees suivantes jusqu'aScipion ,les succes des expeditions d'Espagne ne furent pas en Espaplus heureux que par le passe. Popilius ,ga® ÿ couformement aux ordres du senat, alia3353*' mottre le siege devant Numance ; mais il Av.J.C. ne reussit pas mieux que son predecesseur. ÿ IIfut oblige de le lever honteusement , et siof" ' de se retirer ,apres avoir perdu une bonne partie de son armee. Le consul Mancinus , quilui succeda , acheva de decrediter les armes Romaines en Espagne , et mit le comble a 1'ignominie du nom Romain. Les legions redoutaicnt si fort les Numantins , qu'elies ne pouvaient plus en soutenir, je ne dis pas le regard ,mais le nom m£me, Mancinus , battu plusieurs fois , mis en fuite , et enfin pousse dans un lieu d'ou il ne pouvait plus s'echapper , traite avec ces braves et genereux guerriers , et con-ÿ plut avec eux une paix a des conditions pcu houorables pour les Romains?

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HlSTOIRE

La nouvelle de ce traite , qu'on regard* a Rome corame aussi ignominieux que celui des fourches Caudines , jeta tout le rnonde dans la derniere consternation , et attira * au consul la haine et 1'indignation de tous les ordres de l'etat. Le senat le rappeia sur le champ , et fit partir ÿmiliusLepidus, son collogue , pour aller le remplacer en Espagne. II s'en faut de beaucoup que celui-ci effagat l'ignominie de son predecesseur ,et qu'il relevat la gloire des armes Romaines. IImit le comblo a ce que Mancinus avait dejrt bien availce ; il deshonora totalement le nomRoraain dans ces contrees-la. Le siege de Palence, ville voisine et alliee des Numantins , fut le tombeau de sa gloire , et de six mille do¬ mains qui y perirent. Exemples Rome irritee de ses defaites , qui de-heS.eVe" creditaierit ses armes ,et qui la couvraient de confusion , en fit porter la peine aux

ÿ An. M. deux imprudens consuls. Par arret du °Av-1 J C S®'nat ' conÿrrnd par le peuple , Mancinus x33. ' ' fut livre aux Numantins nu , pieds et an. R.mains lies , comme devant repondre seul 5r6* d'un traite honteux qu'il avait conclu de son autorite piivee , et sans etre avoue ni du senat ni du peuple Romain. Les Nu¬ mantins , plus genereux et de meilleure foi que les Romains , refuserent de le reeevoir. Ainsi Mancinus , homme consu¬ late , passa tout le jour entre la ville de Numance et le camp Romain , rebute des ennemis , et abandonne des siens. La nuit etant venue , les Romains lui permirent

RoMATNfi. Liv. Fill 23

erdin cic rentrer dans le camp. ÿEmilius , son collegue ,cut aussi part a la disgrace , mais non pas comme il meritait , atlendu qu'il etait plus coupable que inalheureux j et qu'au contraire , Mancinus dtait plus malheureux que coupable. On so contenta de lui oter le commandem'ent des troupes. A son retour a Rome , il fat condamne a une amende pecuniaire : punition bieu legere , si on la compare a ses fautes ,et au traitement de son collegue. Je place ici un second exemple de severite , qui prouvera au moins que si la licence des moeurs croissait tous les jours dans Rome,elle n'y etait pas generalement appvouvee. T. Manlius - Torquatus avait un fils nomme Decimus-Junius _ Silanus. Ce jeune patricien etant parvenu a la dignite de preteur , on lui assigna la Macedoine pour departement. IIse conduisit dans son gouvernement avec une avarice sans bornes. Ses vexations et ses concus¬ sions etaient si ordinaires et si criantes , que la province se crut obligee d'envoyer a Rome des deputes en porter ses plaintes au senat. Deja on instvuisait le proces du preteur concussionnaire ,lorsquele pero de l'accuse se presenta , et demanda par grace au senat , et aux envoyes de Macedoine , d'etre le juge de son fils. Le senat ni les accusateurs n'eurent aucune peine de lui accorder la grace qu'il demandait. IIetait connu pour un habile ju- risconsulte, pour up pore rigide et pour un juge severe ,que toutes les considerations

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Jiuraaines ne seraient pas canables de corrompre. Ce grave senateur employa deux ÿours a donner audience aux parties , et a prendreuneparfaiteconnaissance del'affaire dont la decision lui etait. remise : le troisieme , il prononca l'arr&t en ces termes : Que le coupablc Junius * soit a jamais exile de la maison paternelle , et dc toutes les terres de la republique. Le jeune Manlius conÿutune si vivo douleur de la seve¬ rity de la sentence , que la nuit suivante il se pendit de desespoir. A ce jugement on reconnait aisement le sang et l'hdritier de ce Torquatus qui tit perir sous la hache son fils ,tout victorieux qu'il etait ,parce qu'il avait combattu contre ses ordves. On ne peut improuvev la severite des Torqua¬ tus , des Brutus , des Cassius et autres peres , qui , pour maintenir les lois dans leur vigueur , ont fait pdrir leurs fils prevaricateurs , ni les accuser de cruaute et d.e manquer de naturcl ; comme si l'amour de la justice , et una tendre et raisonnable amitie pour lesenfans ,etaient incompatibles ; ou comme si on ne pouvait £tre tout-a-la-fois et bon.pere et bon juge. En effet , par l'ordre etabli par la nature meme , tout pere est le juge souverain de «afamille. Bl?imera-t-oncette police ? Dieu lui-meme n'ordonne-t-il pas dans sa loi auic parens d'un enfant vicieux , deso-

* Ce jeune patricien s'appelait Junius , parce qu'il avait ete transports dans la maison Junin par adaption. beissant

Leissant et insolent , de le presenter aux juges et d'etre ses accusateurs ? Accuscrons-nous pour celal'Etre supreme d'avoir voulu etouffer dans le coeur des parens , les sentimens de tendresse que la nature leur inspire pour leurs enfans ? Ce trait d'histoire appartient a l'annee precedente 6i2.

Ces exemples de severite avaient ete Pltom• precedes par un autre fort remarquable , et tout-a-fait necessaire pour maintenir la discipline xnilitaire. Un soldat nomine C. Marienus ayant cite accuse par les tri— buns du peuple , et convaincu de s'£tre retire sans conge de 1'armee d'Espagne , 'fut condamne par ce tribunal a £tre battu de verges spus les fourches patibulaires , reduit au riombre des esclaves ,et vendu , pour plus grande ignominie , au plus bas prix , un sesterce ( deux sous et demi. ) A ce louabie usage d'une puissance legitime , les tribuns firent succeder une entreprise des plus insolentes. Les consuls quietaient en place en l'anncie dont nous ecrivons l'histoire , faisant ces levees de soldats a l'ordinaire , ces magistrals pretendirent les arr£ter , et s'arroger le droit d'exempter du service dix citoyens a leur choix. Les consuls s'opposetent vigoureusement a une pretention aussi nouvelle qu'ellc etait injuste en elle-m6me. Ces magistrals, audacieux ,qui voulaient que rien ne s'opposat a leurs volontes , firent saisir les deux souverains magistrals de la republique, et Its firent conduire en prison. C'est pour la Tome IV B

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premiere fois que nous lisons nn exemple d'une pareilie insolence dans les magistrats plebeiens ; mais ce ne sera pas la uerniere. An surplus , je ne suis pas si surpris de l'impudente et audacieuse entreprise des tribuns ,que du silence et de la tranquillite du senat et de la noblesse. Floras , qui nous a conserve ce trait d'audace des tribuns , ne fait que le rapporter simplement , sans dire un mot de l'opposition et de la resistance des senateurs et des patriciens. Car iln'est pas possible d'imaginer que le corps de la noblesse ait vu tranquillement un procede si indigne ,qui ne tendait a rien nioins , de la part des tribuns , qu'a assujettir le corps des patri¬ ciens. Reprenons lasuite de notrebistoire. Contlnua- Le peuple Romain afilige d'une guerre gucrr-" civv' ÿ> Par ÿa faute et l'ineapacite de ses d'Espagne. generaux , l'epuisait et le deshonorait tout a la fois , songea serieusement a mettre un homme en place , dont le merite put relever dans l'Espagne lagloire des arrnes et du nom Roniain, qui avait beaucoup souffert depuis quelques annees. A Rome on ne pouvait se persuader ce qu'on voyait et ce qu'on eprouvait. Numance , une si faible cite , et. une simple bicoque en comparaison de Rome , resister a la capi- tale du monde , devenir sa rivalo ,et lui Sclpion, disputer la eupcriorite I Le choix tomba cons*i. sur Scipion 1'Africain ,le destructeur de Carthage , marque dans les destinees pour fetre aussi celui de la fiere et courageuse Numance j deux viUes qu'on peul regarded

comme lesplusgrandesennemiesde Rome , qui ont donne a son empire et a sa gloire les plus grandes secousses , et qui lui ont le plus coute a vaincre et a soumettre.

Le senat , de concert avec le peuple , ne voulut point soumettre aux caprices du sort les departemens des provinces. 11 assigns de sapleine autoritc a Scipioncelui del'Espagne. Des que notre heros fut entre R en charge, il partit pour se rendte au *:'s~ ljeu de sa destination, pour y prendre le commandement de l'armee. Mais dans quel pitoyable etat ne latrouva-t-il pas? L'oisivete et la licence y avaient introduit tons 'les vices. Pour faire quelqu'usage de cette armee enervee par la mollesse ,ilfallut y mettre la reforme , retablir l'ordre , la discipline et la subordination.Les combats qu'il eut a soutenir dans son camp a cetle occasion , furent plus vifs et plus opiniatres que ceux qu'il livra aux Numantias. II commenÿa la reforme par bannir du camp tout ce qui pouvait contribuer a eritretenir le luxe ,la paresse et ladebauche. On se plaignait , on jetait les hauls cris dans le camp ; mais comme il donnait i'exemple en tout , le soldat prit le parti de se soumettre , tant par respect pour son autorite et par estime de son merite , que vaincu par les charmes de sa vertu et de sa douceur. Aux amusemens vains ou Hrotablit yicieux ,Scipion fit succeder le travail,les exercices militaires , de frequences mar- lestroupes. dies et contre-marches ien unmot ,tout

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Veil.Max. cs qui a trait a la bonne discipline ,etqui \i i' *" 7' Peut coiitribuer a former c!e bons soldats, Par cette sage conduite , noire consul se forma une armee , et rendit aux troupes le courage que la molle et lache condescendance de ses predecesseurs leur avait ote. Une annee entiere se passa a dresser 1'armee; et ce ne fut que l'annde suivante qu'il s'approcha tout de bon de Numance , pour tenter de soumettre et d'abattre cette tiere rivale de Home. IIinvest!t La maxime de Scipion , qu'il tenait do a viiie. Paul-Emile son pure , et dont il ne se departait jamais , etait de ne rien donner au An. M. hasard. Cette sage maxime regla toujours 3-v4ÿ le plan de toules ses operations contre les j'do ' ' " Numantins. Persuade qu'il y aurait du risan. P., que d'en ver.ir d uu combat contre des 619* peupies victorieux , aussi agucrris , et qui avaient battu et mis plusieurs fois en fuite ces memes troupes qu'il commandait , il s'arrfita constamment dans la resolution de ne point offriv ni accepter de combat contr'eux. 11 se determina a investir la vills ,et a en faire le blocus ; resolu d'at-. tenure du temps ce qu'il n'osait esperer de la force de ses ariftes et du courage do ses troupes, qui montaient neanmoins au nombre de soixante rnille : celles de Numance no passaient pas huit mille. Cette reserve de Scipion est bien glorieuse pour les Numantins ,et leur fail: beaucoup dlionneur. Ces peupies investis de tons cotes , et ne pouvant plus recevoir aucun secours d'hommes ni de vines, ni par

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terre ,nipar eau,vinrent ,avec le courage qui. leur etait naturel , presenter la bataille a Scipion. lis tenterent a plusieurs reprises la rnfime chose , mais toujours inutilement. Le general Romain , insen¬ sible aux reproches de crainte et tie lachete que les ennemis lui prodiguaient , persista toujours dans sa premiere resolu¬ tion ; rien ne fut capable de l'en faire departir.

Cependant la famine , ennemie domes- £a famine tique , plus redoutable que les armees les sef?it s.?nplus determinees , commencait a se faire "r d?:,s sentir dans Numance , et taisait , parmr ces braves pennies ,un degat affreux. Pres¬ ses par unennemi qui les moissonnait sans combat , et qui les reduisait a la fatale necesssite de se tuer mutueUement ,pour prolonger ÿ3 quelques momens la vie de ceux qui . v; -aient , ils se determinent enfin a envoyer des deputes a Scipion , pour lui demancler la paix ,resolu de l'accepter a des conditions tolerables a des gens libres et courageux. Scipion , qui Scipion ne voulait pas une demi-victoire , maisrefuse 1 une victoire pleine et entiere posa pour ÿ premiereconditionde la paix ,qu'il voulait tins. leur accorcler , qu'ils se rendraient a dis¬ cretion aux Romains.

On s'imagine )>ien qu'une paix aussi dure qu'elle etait. indigne et deshonorante pour un peuple aussi brave ,ne fut point acceptee. Voyant done qu'il n'y avait rien a csperer , ils tentent de se faire un passage , les armes a la main , a travers l'armoe B 3

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ennemie. Cette voienelcur ayant pas reussi par la gcnereuse resistance des Komains , ils rentrent dans leur ville. La ,reduits au desespoir par l'alternative fatale a laquelle ils etaient reduits , ou dc- mourir de faim , ou bien , ce qui leur paraissait plus into¬ lerable que lamortm£me ,de subir le joug Remain , ils prirent un parti que la rage seule peut inspirer a des furieux. lis se firent mourir eux-m£mes par le fer , le poison et le feu. Ils reduisivent leur ville en cendres , et s'ensevelirent sous les ruines de leur patrie , dont ils defendaient la liberte depuis quatorze ans avec un cou¬ rage qui n'a point d'exemple. L'incendie fut si universel et si general , que lien n'echappa & la fureur des flammes , ni maison,nihomme ; de sorte qu'ilne resta rien au vainqueur de Numance pour donner du lustre a son triomphe. Scipion s'en consola par la ruinsentiere de cette mise¬ rable ville , et pav la distribution de son ferritoire aux peuples voisins qui etaient amis de Rome.

On ne peut lire ,sans frcmir d'horreur , et sans se sentir indigne conlre Rome , la xuine dune ville peuplce de si braves citoyens. Quel etait en effet le crime rles Numantins , pour sevir contre eux avec tant de fureur et de rage ? Cette ville voulait se conserver dans l'usage de ses lois et de sa liberte. Elle refusait de reconnaitre pour sa maitresse la fiere et imperieuse republique. Est-ce une raison bien legi¬ time pour se porter aux dernieres extre-

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mites centre unpeuple qui ,en tout genre, valait infiniment mieux que les Romains? Un peuple aussi estimable ne meritait-il pas qu'on lui accordat la paix qu'il demandait , attendu qu'il 1'avait lui-m£me accordee aux Romains dans des circonstances oil il avait la superiority sur eux ? Quelleinjustice! quellebarbarie ! Aussi un auteur decide-t-il nettement qu'il n'y eut jamais de guerre plus injuste que celle de Numance. On n'aura pas de peine a se le persuader.

Cette cruelle et barbare conduite de Rome sert a nous developper de plus en plus ses projets ambitieux sur la conqu£te qu'elle meditait du monde entier. Appien attribue la ruine de Numance au depit, a un esprit de vengeance des Romains , ou plutot k une sotte vanite qu'eut Scipion de se faire deux surnoms illustres do la ruine entiere de deux puissantes villes. Quoi qu'il en soit , Rome et son general sont tout-&-fait inexcusables , et on ne saurait leur pardonner la ruine de Numance , qui ctait la gloire et l'ornement de l'Espagne. On ne peut comparer cette ville ÿ Capoue, Carthage et Corinthe ,si on laconsidere du cote des richesses , des choses rares et precieuses ;mais si on la considere ducote de l'honneur et du courage , elle a nonseulement la preeminence sur ces villes , mais sur Rome rn£me,et sur tout ce qu'on trouve dans 1'histoire.

Sur la fin de la guerre de Numance , il Guerre s'en alJurna une en Sicile de la part des 4CS esc*a"

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vps en Si- esclaves , qui dcvint tres-pernicieuse k cile. ÿ cette Ue ,qui,h l'ombre de la puissance ties lior.i.Z. Roiriains ,jouissait depuis plus de soixanle Epitom.1. arft d'une profonde paix. Cette guerre no fut ni exlremement longue , ni fort dangereuse ; mais elle fut tres-meurtriere et

An. M. tres-sanglante. Ces rebelles , aussi cvuels 3?75' r clue ÿes kÿes feroces clui 8ont echappees j3rv' ' de leurs prisons , tuaient ,massacraient ,

An. R. faisaient main-basse sur tout ce qu'ils 6i8. rencontraient. Eunus ,esclave-ne ,et Syrien de nation , qui etait a la tote , prit le nom de roi, et les marques de la royaute. 11 fallut envoyer ties armees conlre ces rebelles, dorit le nombre s'etait accru , par Defaite l'impunite, jusqu'a soixante mille. La deiÿteuts'0 f'e quatre pretcurs , arrivee coup sur coup , enfla considerablement le courage et l'ambiticn dunouveau roi et de ses sujets. Le bruit de ses victoire alarma toute la Sicile ,fit craindre a Home laperte de l'ile, et attira a ce nouveau conqueiant de nouveaux sujets ,qui vinrent en foule ,de tous cotes ,reconnaitre sa souverainete , grossir ses armees , et se ranger sous son pbeissanco. Dans peu il se vit maitre de plu- sieurs places fortes ,et a la tdte d'une armee de 200 mille homines.

guerre devenant tous les jours ~Av"j. C. Pÿu8 serieuse , Rome y envova le consul i3o. C. Fulvius , collegue de Scipion L'Afri6jo "V" R' cain> *-es auteurs ne disent rien ties avantages ni ties desavantages de ce general en Sicile. IIy a toute apparence que sous son commandement ilne se passa rien qui

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ait merite l'attention fles ccrivains et des lecteurs. IIfut releve clans le communde¬ rlient de 1'armee de Sicile , par le consul L. Calpurnius Piso , qui , le premier de sa maison , porta le nom de Frugi , c'esta-dire ,d'homme abstinent et frugal ,et qui le transmit a sa branche. Le nouveau gci- Avantages neral , aussi homrae de t£te qu'il etait homnie de bien , ne fut pas long-temps nj,lS. a s'apercevoir que la defaite , ou le peu M. de succes de ses predeeesseurs , venait du j c. peu de discipline qui regnait parmi les I29. troupes. IIcommenÿa par la retablir , en an. R. employaut la rigueur des chatimens con- 620, tre les infracteurs de la police militaire. Deg qu'il eut, par cette juste et nccessaire severite , ranime le courage de ses trou¬ pes , il les mena avec confiance centre I'ennemi. Ce fut sous les rernparts de Messine , que les rebelles assiegeaient ,quo se livra la bataille. L'effroyable et nombreuse armee d'Eunus fut enfoncee et mise en fuite. Huit mille de cos vils esclaves resterent morts sur le champ de bataille j et on fit sur eux un grand nombre de prisonniers ,que le severe consul fit: tous expirer sur la croix.

Ce premier echec etonna beaucoup les esclaves et leur roi. Celui-ci comprit des ce moment ce qu'il avait a esperer c|e son entreprise , si Rome lui opposait des generaux tels que Calpurnius. Mais ce brave Romain n'eut pas la gloire de porter le dernier coup a la revolte. Cet honneur etait reserve k Rupilius , qui lui succeda

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Succes et dans le consulat , et dans le commafiRu dement de l'armee. Celui-ci marchant sur les traces de son predecesseur , donna d'abord tous ses soins a maintenir le bon

An. M. ordre parmi les troupes. Conime les reÿ76't c voltes , depuis leur dernier echec , ne 228. ' tenaient plus la campagne , s'etant renfer-

An. R,mes dans leurs places fortes , il fallut ÿzl' aller les attaquer dans ces asiles. Le consul commenÿa son expedition par le siege de Taurominium , ville maritime tres-forte par sa situation sur la pointe d'un rocher , et par les fortifications que 1'art y avait ajoutees. Conime l'escalade etait impraticable , il se determina a la bloquer , et a la prendre par famine. Cette voie ne tarda pas a luireussir. IIrest-ait encore a prendre la ville d'Enna , ou Eunus , roi des seditieux , s'etait renferme avec une 110mbreuse garnison. Le general Remain y conduisit son armee , et l'atlaqua de la m6me maniere qu'il avait fail de Tauromi¬ nium. Quelques-uns de ses perfides esclaves , pour sauver quelques restes d'une malhoureuse vie ,livrerent laville aux Romains. Eunus ,ce roi de theatre ,echappa au vainqueur avec cinq ou six cents bomFin de mes de sa garde. IIse retira dans un lieu eettc escarpe , determine , a ce qu'ilparaissait, £l an!' M. a vendre cherement sa vie. Mais quand il S877. en fut aux prises , ilse montra tel qu'il Av. J. C.etait , e'est-a-dire , un vil esclave , sans An. R, coeur nisentiment. Ses gardes perirent tous £22. bonorablement ;luiseul ,au fort du com¬ bat j alia se cachex dans n»e caverne ,oil

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51 fut pris en vie , et mene au consul ,qui le fit charger cle chaines , et jeter dans line obscure prison , ou ilperit cle misere pen cle temps apres.

Telle fut la fin cle ce vil et miserable esclave , qui ne meritait surement pas un meilieursort.Par ses supercheries ,clu sein cle la misere et de la bassesse , iletait griinpe au faite ties honneurs et des richesses. Avec ce roi imaginaire clisparurent aussi ses projets. Tous les revokes et tous ceux qui s'etaient attaches a sa fortune , ou furent punis , ou rentrerent de bonne grace dans le devoir. C'est ainsi que la Sicile recouvra la paix , la tranquillite et ses richesses , qu'un esclave etranger lui avait enlevees.

A la guerre des esclaves de Sicile,sue- Guerre ceda celle d'Asie contre Aristonic ; car d'Asie. telle etait la destinee de Rome , de voir naitre une guerre d'une autre. La mort An M d'Attale , fils d'Eumene ,roi de Pergame ,ÿ876. attira en Asie les armes de la republique. cCe prince venait de mourir sans enfans , an. R. et par son testament il avait institue le 6~ipeuple Romain son heritier : populus Ro- 'l' 2* manus bonorum ineorum litres esto. En Ep'it'c.Sg yertu de ce testament , Rome crut devoir ÿust- b SS. se porter pour herkiere. Elle envoya en"' Asie des deputes pour recueillir cette belle et riche succession , en prendre posses¬ sion en son nom , regler les affaires cle ce royaume , et le reduire en province Romaine. Les deputes partirent;mais ils trouverent sur les lieux un pretendant

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H r s t o ir e legitime , qui etait deja en possession df; Ailstonic royaume. Ce prince etait Aristonic , tils monte sui d'Eumene , et irere d'Attale. li est vrai le trone de . , ' -, . . . . . Peigame, quil netait pas his legitime ; mais la cache de son origine lui donnait-elle l'cxclusion au trone I Y avait-il une loi dans le royaume de Pergame , qui rendit les enfans non- legitimes inhahiles a succeder k leurs parens I Aristonic n'aurait pas ete le premier enfant iiiegitime qui , au defaut d'enfant legitime , aurait succede a une couronne. Persee , dernier roi de Macedoine , n'etait-ilpas dans ce cas-la ? Cependant , ni la Macedoine ,ni Rome , ne trouverent point que le vice de la naissance fut pour ce prince nne raison d'exclusion. Mais les temps etaient hien changes :Romeest iciinteressee.Quoiqu'il en soil: du droit des contendans, Aristonic , partie par force , partie par la bonne volonte des Pergameniens , accoutumes de longue main a l'autorite royale ,et au gouvernenient de la maison d'Eumene , fut place sur le trone de ses peres.

ÿRome lai Romo, plus attentive que jamais a ses oeclaie la jnteret s , et qui saisissait avec avidite les sueire. occasions d'etendre les bornes de son em¬ pire , envc.ya une armee en Asie contra Aristonic , sous le commandement du consul Licinius-Crassus , qui etait grand pontife.Le general,plusoccupe des moyens de recueillir et de conserver les tresors des rois de Pergame , que de ceux de bien. conduire la guerre , fut dcifait par Aristo¬ nic , et lui-meme fait prisonniey, Pour

R O M A IN E. Llv. (III. 37 eviter la honte de tomber vivant entre los IIdÿfair mains clu vainqueur , et pour s'epargner le supplice d'une mort cruelle el ignominieuse , il poussa expres dans l-'eeil d'.un de ses gardes , une baguette qu'il avait a la main , et lui creva un ceil. Celui-ci , irrite du coup , le perce de son epee , # l'etencl mort sur la place , et le delivre de ses craintes.

La dcfaite et la mort d'unsiillustre con¬ sul causerent quelque affliction a Rome,mais on ne se laissa pas abattre, Aux pre¬ mierscornices ,lepeupleRomain lui donnapour successeur M. Perpenna. C'etait un soldat de fortune ,et que quelques auteurs clisent n'avoir pas etc citoyen Romain. Les succes qu'il aura en Asie justifieront le cboix des tribuns. Des que tout fut regie pour son depart , Perpenna fit voile pour i'Asie , et ne s'occupa qu'a soutenir la bonne opinion qu'on avait conpue de lui. L'arrivee soudaine du consul Remain etonna leroi, qui ne songeait qu'a jouir ,dans le sein de lavolupte ,des fruits de ses precedentes victoires , sans songer a la guerre. Cette celerite du consul lui donna sur le roi de Pergarne un avanfago qu'il ne percSit jamais , et qu'il conserva jusqu'a la fin de la guerre. IIne chereha ni a piller , ni a s'enrichir ,comme son pvedecesseur ; mais iltourna ses soins a har~ celer , a attaquer son ennemi , et a l'obliger d'en venir a une action decisive , qu'il gagna avec une telle superiorite , que le joi vaincu ,ne pouyanl plus tenir la cam-

38 Histoire pagne , fut force de chercher un asile dans Le con- Stratonie, unede sesplaces fortes. LevainsulPerpen-quÿr py poursuivit , et le forÿa enfin de Ei'mlme"se remettre entre ses mains. Le general et le fait Romain,quivoulait reserver Aristonicpour prison- servir d'ornement Zi son triomphe , l'enM. voya a Rome sur la flotte qui etait char3877. gee de tous les tresors des rois de PerAv. J. C. game lin'eutpas laconsolation qu'il s'etait I"an. It. proposee. Ce general mourut peu de 622. temps apres de maladie a Pergame , dans le cours de ses prosperites. Findecet- ÿe consul Aquilius eut l'honneur de te guerre, terminer une guerre que son predecesseur 38r8N" M avait portee si pres de sa fin , et de Av. J. C. recueillir lefruit de ses lauriers. Cependant l26' la reduction du royaume de Pergame ne fas."' R' la*3Sa Pas CR10 de lui couter beaucoup de peines. II fallut que le nouveau general fit le siege de presque toutes les places , et qu'il les soumit l'une apres l'autre. Irrite de cette resistance , et impatient de terminer une guerre quiretardait son triom¬ phe , il usa d'un stratageme que Rome elle-m&me , dans de meilleurs temps , aurait condamnd ; mais pour vouloir accelerer sa victoire , il la deshonora par un crime deteste de toutes les nations. II s'avisa d'empoisonner les sources qui fournissaient l'eau aux yilles assiegees. Ce trait monlre a quel point etait dans Rome la depravationda cceur.Ce general ,qui ,dans les beaux jours de la republique , n'aurait du s'attendre qu'au juste chatiment que iagritait son crime , obtint a son retour

d'Asic , les honneurs clu triomphe , qu'il decora d'Aristonic. Ce malheureux et Mortd'Ainfortune prince fut ensuite etrangle dans rirtonic. sa prison. Ainsi fmit un roi, dont le cou¬ rage et les autres bonnes qualites , soutenues du bon droit de la justice , auraient du , ce semble , lui meriter un meilleur sort. Avec ce princepritfin aussile royaume de Pergame. II fut reuni au doxnaine de la republique , et devint une pro¬ vince Roniaine , sous le nom de province d'Asie.

Un auteur ancien , qui a ete suivi en Flor.i.i, cela de tous les modernes , remarque fort c iJ$exj0 judicieusement que e'est ici le terme fatal sur des beaux jours de la republique. Les de la i<SPusiecles qui ortt precede ceux dont nous bii'lue. avons encore a ecrire l'histoire , ont ete les siecles d'or de l'exnpire Romain. La Sicile ,l'Afrique ,la Macedoine et l'Espagne domptees et reduites en provinces Romanies , sont ce qu'il y a de moins admirable dans le peuple Romain durant ces heureux siecles. Ces conqu£tes nous presentent un peuple plein de courage , et digne des lauriers qu'il acquerait au prix de son sang ;mais e'est la partie la moins essentielle de sa gloire, Ce qui fait la veritableet solidegloire dupeuple Romain, e'est sa probite , sa religion , l'amour de la justice ,sa moderation, sa temperance , le mcpris des richesses , sa frugalite ,et une fidelite inviolable a observer luLmeme et a faire observer la saintete des traites , et a rcgarder coixixne un attentat enorme ,

tout cc qui tendait a donner la plus legere atteinte a ces promesses sacrees dont on avait rendu les dieux tenioins , depositaires el vengeurs. Ce sont ces vertus-ia , plus que ses conqu£tes , qui out rendu le peuple Romain veritablement. grand et eigne d'admiration ; qui l'ont fait respecter et aimer de tous les peuples et de tons les. rois ; et qui out eniin rendu son empire doux ,aimable et precieux a toutes les nations.

Les siecles suivans peuvenf s'appeler des siecles de fer , la lie de l'empire Ro¬ main , et leur donner meme un nom phi3 odieux ,s'il y en a. lis en sont bien dignes. Ce n'est pas que ie veuille dire par-la que dans ces derniers temps , Rome ait etc dans unesterilite entiere de grands homines en tout genre ; que la corruption ait etc si generale , que la probite et l'aniour de lavertu aient enlierement disparus ,non ftiais je veux dire que la multitude des hommes vicieux surpassa alors infiniment lepaombre des hommes vertueux , que la vertu tomba dans le mepris , que le a ice .fut lionore et recompense ; en un mot 7 que lacorruption devint generale , et passa dans tous les etats sans ncanrnoins affecter tous et chacun des particuliers. En effet , la corruption est telle , et le changoment qui arrire dans les mceurs des Romains,est si grand ,qu'ilsemble que ce soit une autre nation qui va maintenant paraitre sur la scene.

On trouvera plus de science et d'habi-

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lete ,une politique plus rannee , des systemes mieux conceives et executes avec plus d'adresse : mais on verr'a disparaitre lasimplicite et la frugalite dans lesmceurs, la bonne foi et la justice dans les traites. Laruse , l'artifice , le inensonge , le parjure , I'axnbition , l'injustice , le luxe , i'amour desrichesses ,lacruauteet lesvices de tous les genres , vont prendre la place de ces vertus que les ennemis n:ernes des Roroains ont tant: estimees ,respeetees et eheries dans leurs anc£tres. L'amour de la patrie se tourne en attachement pour des chefs de parti ; le sang du citcyen 7 autrefois si precieux, est rnaintenantverse par le coneitoyen m&me , et l'amour pour la liberie se change insensiblement en ve¬ ritable esclavage. Ce furent les Gracques, qui les premiers semerent les etincelies des guerres civiles , dont nous ne verrons la fin qu'avec celle de la republique.

II. Histoire des Gracques , leur arigine. Soins que prend de leur dducation Cornclic leur mere. Taleiis et qualitds des Gracques. Alariage de Tibere. II est fait questeur , et sert en Espagne. II abaridonrie la faction deS nobles , et epouse celle du peuple. IIest fait tribun. II entrepre/id de f,'aire revivre la loi agraire. Alodfration de la loi de Ti¬ bere. Soulevement des grands et des riches. Retenue admirable de Tibere. IIparle au peuple. Succes de son dis¬ course Artifice des patriciens* Tibere

Histoire

se prete aux voies dyaccommodement. Le senat met un tribun dans ses in¬ tents. Octavius forme opposition a la loi de Gracchus. Gracchus tente de ramener Octavius. 11 propose au peuple de le deposer. Deposition d Octavius. Commission pour le partage des terres. Animosite des grands et des riches contre Tibere. Nouvelles lois de Tibere. Troubles a ce sujet et d celui de I'election des tribuns. Conspiration contre Gracchus , dent il est averti. II ÿ est tue. Reflexion sur la conduite des Gracques.

Histolres X-xES Gracques etaieixt deux freres , dont tiues r|eurÿa"mÿ s'appelait Tiberius Gracchus , et le engine. second Caius Gracchus. lis etaient fils de Gracchus Sempronius ,et de CorP 35ÿ566". ndlie,fille du grand Scipion ,le vainqueur JFlor. lib. d'Annibal. Leur pere etait plebeien d'oriet gine ? et de ia famillo Sempronia , une Pint, in des plus honorables parxni l'ordre du peuGracch. pie , et une des plus illustrees dans la reVal.Max. publique. IIavait ete honore de deux consulats et de deux triomphes , que d'eclatantes victoires lui avaient meriies. La dignite de censeur , quietait parnu les Romains le comble des honneurs , couronna aussi son merite. Toutes ces dignites donnaient a la famille Searxpi-onia , et sur-tout & sa branche,un eclat et unlustrepeucommun. De plus, la dignite et la superioi'ite avec lesquelles il avait rempli ces pre¬ mieres charges de l'etat , lui avaiexxt doiute

Romaine. Liv. VIII. 43

un si grand reliefdanslarepublique,qu'on etait persuade qu'il n'y avail rienau-dessus deson merite et de sonhabilete. D'ailleurs, c'etait un personnage infiniment recommandable par ses verlus domestiques ,sa probiteet sonintegrite. Ilfut digne, et c'est achever son eloge , d'epouser la fameuse et vertueuse Cornelie. De cette illustre Romaine , le modele des femmes et le prodige de son siecle ,Sempronius eut un grand nombre d'enfans ,dont il lie lui en resta que trois,une fille appeleeSempronia, qui fut mariee au jeune Scipion , le destructeur de Carthage et de Numance , et les deux Gracques qui font le sujet de ce paragraphe. Cornelie etant demeuree veuve , fut toujours elle-m£me , et ne se dementit jamais. Dans ce nouvel et douloureux etat , elle se condamna k une austere retraite , qui la fit et plus connaitre et plus admirer qu'auparavant. Occupee de l'education de ses enfans , Soins que elle s'etudia a leur former le coeur et fjfcn|.>u/!e l'esprit ,par la sagesse de ses discours ettion Cor¬ ds sa COnduite. nelie Uu« On raconte de cette vertueuse dame mere> un trait qui lui fait beaucoup d'honneur , et qui en ferait beaucoup a nos dames les plus chretiermes.Une dame Campanienne, dans une visite qu'elle rendit a noire he¬ roine ,lui etala tous ses bijous , ses diamans,ses perles.EnsuiteelleprieCornelie, et lui demande avec instance de lui faire voir les siens.Cornelie ,quietaitd'unevertu male et superieure a toutes ces puerilites

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rl Is t o i H £ dont les femmes s'amusent ordinairernent, changea adroitement de propos pour colder le temps , jusqu'au retour de ses enfans des ecoles publiques ou ils etaient actuellement. Quand ce moment fut arrive , et quo ses enfans entraient dans sa chambre; Voila , dit Cornelie a son liotesse , en lei lui montrant de la main , voila mes bijous et mes diamans. Cette parole fait leloge de la sage moderation de Cornelie ,et cle l'attention qu'elle portait & l'education de ses enfans. Aussi etait-ce le bruit public et la commune opinion dans Rome ,que ses enfans etaient moins redevables a li nature qu'a l'education que leur avail aonnee Cornelie.

Talenset A tous ces avantages extefieurs que les quabtesdes Gracques tiraient de la naissance et de la bonne education ,etaient reunies toutes les belles qualites de la nature ;le naturelle plus heureux,les sentimens lesplusnobles ' et les plus desinteresses ;grandeur d'ame et de courage , sagesse ,moderation, fp1" galite, douceur de mceurs ;en un mot, possedaient toutes les vertus et toutes les connaissances qu'on peut desirer , et que peutdonnerlameilleureeducation.DepHi?, tous ces talens ( car ilsemble que la nar ture avail prodigue ses faveurs aux enfans de Cornelie ) etaient soutcnus en eux pat un air de noblesse ,line physionomiepre* venante, une eloquence douce , touchante et persuasive,et par toutes ces graces naturelles qui annoncent le merite , et q® lui servcnt comme de recommandation.

De si grands talens ,el: cultives avec tant de soin , formerent du jeune Tibero iia homme d'un merite si rare ct: si celebre , qu'il fut eleve ,presque au sortir de Fenfance ,a la charge d'augure ,el associe au sacre college de l'augurat. Unjeune homme si accompli devint le parti ie plus souhaitable ,et iln'y avail dans Rome aucun pere ni aucune mere qui lie souhaitat Pavoir pour son geridre. Appius ,prince du Manage senat, personnage egalement respectable de par sa naissance et par son merite person¬ nel , et qui avail rempli avec honneur et distinction les premieres charges du senat , eut ce bonheur. IIsut si bien tourner l'esprit et ie coeur du jeune Tibere , qu'il lo deterxnina a s'unir a sa famille par lesliens du mariage. II epousa sa fille nominee Claudia ,dont toutes les jeunes personnes a marier enviaient le sort.

Feu de temps apres son mariage , ilfut IIest frit eleve a la charge de questeur. Destine parquestei:fr.et le sort pour alter en Espagney exercer lespagne! ' " fonctions de sa charge ,illes remplit avec _ an. M. toute la superiority et lafidelitc qu'on pou-3ÿ°- c vail attentive de ses rares talens et de sa fjp probite. 11cut ieraalheurdeservir sous l'in- An. R, iortune Mancinus, et peu s'en fallut qu'il610, nefdtenveloppedans sa disgrace,sans avoir participea ses fautes. IIne tint pasau senat qu'il ne fut livre aux Numantins , comme auteur et negociateur de la paix honteuse avec Numance;maislequesteur ayantporta sa cause au tribunal du peupie , il ia piaida avec tant de noblesse et cj'eloquence?

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qu'il entraina presque tous les suffrages. Cet arr£t du peuple le gagna entiorement aupartiplubeien,ctl'engagea a abandonner celui des nobles.

IIaban- Justement irrite contre lesenat ,quiavait donne porte un arret lletrissant conlre son genejudjles" et ral et contre lui, pour avoir negocie un epouseeel- traite qui avait sauve a la republique plus le ciu peu- c|e yjHgt jniHc citoyens , il se declare contre le parti des patriciens ,dont ilavait jusqu'alors ,a l'exemple de son pore ,pris avec chaleur les intents , et soulenu de Il est fait meme les droits et les pretentions.Des ce uibun. moment il devient tout plebcien , ct zele partisan des prerogatives et de la faction

An. M. du peuple. Deveriu tvibun du peuple , oil 3874. ÿ son ambition,le desir de se venger ,etles i5<>V' * C suffrages du peuple le portaientegalement,

An, R. ilse trcuva place sur un theatre rropre a *>*9- dormer une ample carriere a sa douce et insinuante eloquence , et a en faire usage pour se venger de la noblesse et du corps du senat. 11 ne negligea pas l'occasion. Il fallut un pretexte honnete pour couvrir sa marche , et paraitre agir en bon et vvai citoyen, en magistrat qui aime sa patrie, qui defend et protege les faibles contre les entreprises et la violence des grands. Le partage des terres conquises sur les ennejuis va lui fournir ce pretexte.

Ce partage avait ete de tout temps une source de brouillerie et de division entre le peuple et la noblesse. Les tribuns avaient entrepris en differens temps de faire donner satisfaction au peuple sur ce

R O M A IN E. Liv. Fill. 47 sujet, mais ils n'avaient jamais pu y parvenir. Les grands ,ies nobles, et les riches d'entre les plebeiens , qui etaient en pos¬ session de ces biens , y avaient toujours forme une opposition invincible. 11est vrai que le tribun Licinius , par sa fermete et par son zele pour les interets des pauvres citoyens ,avait. enfin , apres bien des cornbats , fait passer une loi pour arreter le cours des usurpations des biens conquis. Celte loi fixait a cinq cents arpens au plus le terrain que pourrait posseder chaque particulier. Rien de plus sage que le dispositif de ce reglement. 11 ne s'agissait plus que des'yconformer dans lapi'atiquej mais l'avarice et la cupidite , industrieuses en expediens , eludcrent toujours l'execution de la loi , et franchirent les barrieres qu'elle ieur avait opposees. Ce desordre avait depeuple les campagnes de citoyens , qui fournissaient une milice utile a la republique. 11 n'y restait plus que des esclaves , dont les riches se servaient pour faire cultiver leurs terres , qui etaient aussi etendues que des pro¬ vinces. Dans un voyage que fit Tibere en Italic ,avant son tribunat ,ilvit avec sur¬ prise un changement si prejudiciable a la republique. II en fut louche , et forma n entresur lo champ le hardi projet d'y remedier, prend da en faisant revivre la loi Licinia , de rappeler le peuple au pariage des terres ,aim agiaite. de soulager par ce moyen la rnisere d'un nombre infini de citoyens , a qui il ne restait autre chose des services important

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qu'ils avaient rendu.? a la patrie , que les cicatrices des blessures ,et un denueraent de toutes choses , pire que la niort mtime. Tels furent les motifs apparens ,et peut£tre les veritables , qui engagerent notre tribun a proposer le partage des terres , eonquises , et & faire revivre la loi Licinia.Le desir de se venger de ifffront du senat , pouvait bien etre Tame , le mo- ?• bile et le motif secret de son entreprise, • aussi bien que l'envie de se distinguer et . de se faire un nom fameux j .a quoi , dit-on, Cornelie , qui n'etait pas exerapte u'ambition ,ne cessait de 1'exhorterjmais 4 il est certain qu'ils n'etaient pas les seuls. Quoi qu'il en soit du mobile qui determina Tibere a proposer un nouveau partage des terres , on ne saurait disconvenir qu'il ne s'y engagea pas de lui-meme , et sans y etre invite par le peupie ,qui ne cessait de 1'exhorter a prendre la defense des pauvres t citoyens , contre l'avarice insatiable des 5 riches. IIvoulut encore , pour n'avoir rien ' a se reprocher , prendre conseil de lout ce qu'il y avait dans Rome de plus sage et de plus vertueux, et avoir lour attache. t'cn dÿla ÿ'eS Pÿeautions prises , il monte a la l,'ÿune aux harangues , parle a l'assern- ! i.eia, blee , et lui propose de rappeler en vigueur la loi Licinia. fl faut rendre jus¬ tice a Tibere ; le projet de sa loi n'avait rien qui dut revolter.Kile etait pleine de mdnagemens, d'adoucissemons et de mo¬ deration. Les injustes poSsesseurs de ccs terres auraient du se croire trop heureux

ROM'A IKE. Liv. VIIJ. 49 d'un traitement si doux et si modere. En vertu de ia loi Licinia ,confirmee par ser¬ vient , il aurait pu chasser de lenrs terres ces injustes et avides detenteurs ,iesrendre comptables des fruits ,et les condamner k l'amende portee par la loi. Notre tribun , qui etait sage et qui ne voul§it rien outrer, se contenta , et crut meme gagner beaucoup , s'il parvenait a remettre en vigueur la loi Licinia ,avec des modifications clont les interesses auraient lieu de se louer. II propose done sa loi avec une remise entiere des fruits pergus jusqu'alors , et de l'amende.portee par la loi. 11 y ajouta encore un nouvel adoucissement en fa¬ vour des enfans de fami-lle , qui pourraient retenir pour eux , et en leur propre et prive noin ,deux cent cinquante arpens de terra , au-dessus des cinq cents qu'oia laisserait & leurs peres. L'excedent de ces fonds enleves aux usurpateurs , devait &tre reparti entre les pluspauvres citojens de Rome.

Une loi proposee avec tant de menagement , de moderation et d'adoucissement ,devait ,ce semble ,etre regue avec empressement par les parties interessees. Mais 1'avarice des grands et des riches, qui craignaient de se voir dessaisis de biens qu'iis n'avaient pas env-ie de restituer , n'en put seulement pas soutenir la simple proposition. lis s'eleverent tous Soutev<£ unanirnement contre une loi dont leur avi- me,lt fles dite se trouvait lesee ,et qui leur persua- dait aiscfinent qu'elle etait injuste ,prosTomc IV. C

ba

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crite , eteinte par le laps du temps et le non-usage. lis se dechainerent hautement contre le tribun; les senateurs eux-memes , sortant de la gravitc convenable k Ieur magistrature , s'emporterent cn pleine as6emblee comre Tibere ,le traitant de seditieux, de perturbateur du repos public : quelqucs-uns m&me, pour le rendre odieux au peuple, oserent 1'accuser d'aspirer a la royaute, et de vouloir prendre le diademe, Beter.ue Tibere ,sans sortir de son caractere mo* ' et sans s'anruser a rcpondre a des invectiveset a des accusations qui n'avaient aucun fondement ,qui auraient donne le change ,et fait perdre de vue son objet , poursuivit sa pointe saris se demonter le moms du monde. IIfaut l'avouer, la cause qu'il soutenait , dans le fond9 juste et pleine d'equite , 3ui donnait une grande superiorite sur ses adversaires. " Quoi „ ieur demandait-il,avec sa moderation or¬ dinaire n'£tes-vous pas touches de la mis, sere des pauvres citovens, couverts de cicatrices ,precieux xestes des blessures s, qu'ils ont recues pour conquerir ces terr ,, res ,dont vous Ieur refusez impitoyablement un demi-arpent I Les campa,, gnes desertes de citoyens, dont la inul„ implication a fait jusqu'ici notre surete et notre bonheur, peuple.es d'esclaves dont. nous avons tout k craindre ,ne doi,, vent-elles pas vous alarmer , et pour la 5, republique ,et pour vous-m6mes ;vous attcndrir sur le sort malheureux d'utl st peuple d brave et si genepeux ,ot vou3

O M A IN E. Liv. VIII. 61

ramener enfin au but que nous vous pro-

5, posons ? „ Puis , adressant la parole ail parleau, la pauvre multitude des citoyens , il lfeur peupie. remettait sous les yeux leurs propres inaux ,et cela d'une maniere si pathetique c-t si vive ,qu'il ne pouvait manquer d'exciter son indignation contre les riches , auteurs de leur mylheur. " La condition

5, des betes sauvages ,leur disait-il ,est s, infiniment preferable a la voire ;quand

veulent se reposer ,elles ont dans j, les xnontagnes et dans les forets des ta9, nieres et des cavernes pour s'y retirer. ,, Mais vous, braves Romains ,vainqueurs de l'univers ,plus malheureux que ces ,, b£tes feroces , vous n'avez ni toit , ni 5, chaurnieres pour vous mettre a couvert 9, de l'injure de Pair. Sans sejour fixe , s, nihabitationcertaine,vous errezcomme s, de malheureux proscrits ,dans le sein 5, m6me de votre patrie. Ces riches im19,pitoyables ne vous laissent jouir d'aus, tre bien que de celui de la lumiere et s,, de Pair, qu'ils ne peuvent vous ravir.

9, Dans cette misere universelle de toutes s, choses , vos generaux cependant , 1a. 99 veille d'mie bataille, ne rougissent pas ,, de vous appeler les maitres du monde ; 99 ils vous exhortent a combattre pour vos ,, autels ,vos dieux , vos maisons et vos 5, sepulcres. N'est-ce pas se moquer de 99 vous ,et insulter a votre malheur ,puis-

#, qu'ils n'ignorent pas que ceux qu'ils de59 corent de ce beau nora de maitres de l'univers t n'ont maison , ni autel , C 2

52 H I S T O IR E

,, ni sepulcre , ni merne un seul pouce „ do terrc qui ieur appartienne I,, Succes de Un discours si eloquent , et prononce son dis- avec toutes les graces dont la nature avait cnnrs' favorise notre illustre tribun , lui gagna l'affection de toute la multitude, qui se felicitait , et rendait graces aux dieux de lui avoir donne un magistrat si habile et si zele pour ses interets. Ses adversaires en furent si frappes ,que ne pouvant opposer rien de solide a la force de ses raisonnemens,ils prirent le parti du silence ,et v semblaient , pour ainsi dire , acquiescer et consentir aux plaintes de l'eloquent tribun. Tibere n'eut pas de peine a s'apercevoir du succes de son discours. IIcorvvoque l'assemblee pour proceder aux suf¬ frages ,et en fixe le jour.

Le jour marque etant arrive ,notre tri¬ bun monte & la tribune aux harangues , propose sa loi , en demontre la justice et la necessite avec une eloquence frappante et vive ; en mfime temps ildeclarne avec tant de force et de solidite contre l'injuste usurpation des riches , que le peuple , amorce par l'esperance d'une situation plus avantageuse, et dans une espece d'enthousiasme de la belle et riche eloquence de son tribun ,demande avec empressement les bulletins ,pour aller sur le champ ,et Artifice sans differer, aux suffrages. La noblesse ciens!atli" eÿray®e » et ne voyant point dans le mo¬ ment present d'autre expedient pour eloi¬ gner la publication de la loi proposee , fait eniever les urnes oil etaient enfermes

R O M A IN E. Liv. VIII. 53 les bulletins. Cette fraucle des patricieng causa dans l'assemblee une telle rumeur , qu'il etait visible qu'elle allait ddgenerer en une sedition ouverte. Le senat ,qui voulait detourner le coup , et gagner du temps pour deliberer sur les moyens efficaces pour faire echouer les projets du tribun ,luidep£che deux hommes consulaires , pour le prior d'apaiser le tumulte , de calmer le peuple ,et de rendre la paix et la tranquillite dans la ville ,l'assurant que le senat. aviserait aux moyens de concilier les differens partis.Tibere ,comptant TiEere o sur la condescendance ordinaire de ce pr:te ,'r'UK , , vo;es .. accorps ,so renait a ses prieres ,et conge- comnioandia l'assemblee. mem:,

Le lendemain, le senat s'assembie en grand nombre : on y ouvre differens avis. La plus grande partie de ceux qui etaient riches et opulens en possession de terres , auraient voulu se defaire du tribun ,dont le nom seul les faisait fremir d'horreur et d'indignation. D'autres,mais en petit nom¬ bre,touches de la misere du peuple ,agissant par principe de justice et d'equite, etaient d'avis qu'on eut egard aux plaintes du tribun, et a la misere des pauvres citoyens. Le 'senat , qui voulait egalemerft eviter I'eflusion du sang des citoyens ,et eluder en entier la loi,ne goula aucun de ces deux avis. Cette sage et politique com- Leseliait pagnie ,eut recours a un expedient dont met un tiielle avait fait usage avec succes dans plus ÿ"Sn-I|tÿns d'une occasion ,c'est la voie d'opposition rets. formee par un des membres du tribunat, C 3

5.4

*H Is T o IR E

Onjefa les yeux sur Octavius,jeune hoffimG sageetmodere;mais d'ailleursami do Grac¬ chus ,approbateur do sa loi,et sonpartisan declare. Ces derniers traits ne devaient pas donner au senat unc forte esperance de reussir dans lcur tentative. Cependant , contre toute apparence de succes ,ils le firent pressentir. Ce premier essai fut rejete. Les raisons d'honneur et d'amitie l'emporterent sur toute autre consideration. On revint k la charge , et le faible tribun. ne put soutenir ce second assaut. 11 se livre aux adversaires de son ami et de son collegue , sans autre raison que les tracasseries et l-'espece de violence que lui faisait la no¬ blesse ; peut-6tre mdme que dans ce changement d'Octavius , il y entra un peu d'interet ; car il etait fort riche , et possedait de grands fonds de terro , et beaucoup au-dela de ce qu'il etait permis par la loi. II ne fut peut-dtre pas fache | de se trouver ainsi engage par lanoblesse , a uns demarche qu'il n'ignorait pas n'etre point d'un ami.

Quoi qu'il en soit des motifs du change¬ ment d'Octavius , le jour que Tibere avait marque pour prendre une resolution finale au sujet de la loi qu'il proposait , etant arrive 7 il monte a la tribune , et Octavius ordonne au grefiier de lire la loi. Ce fut fosTcfon°Pi fÿans ce moment qu'Octavius se demasqua. rloi d; II defend au grefiier de faire la lecture <Gia«chus. de la loi, et s'oppose, dans les formes, a sa publication ,en pronon9ant ces deux-

R O M A IN E, Liv. Vlli, hb paroles , si efficaces et si respectees dans )a bouche cl'undes tribuns ,je viy oppose , veto. Gracchus fut etonne du coup inattendu ; mais il n'en fut ni abattu ni rebute. II se plaignit moderement de l'opposition de son collegue , et remit l'assemblee au lendemain. Les deux tribuiis parlerent long-temps , 1'un pour la loi et 1'autre contre ; chacun y soutint sou sen¬ timent avec vivacite ,mais sans sortir ja¬ mais des bornes de la decence et de l'honnetete , se sentant tous les deux de la bonne education qu:ils avaient resue. Alors Grarchns Tibore prenant a part son collegue i luiten'ÿ cie offrit une indemnite entiere en argent ,OctavTus, pour tout ce que la loi pourrait lui fairc perdre en fonds de terre : Octavius fut inflexible , et persista toujours dans son opposition.

Le senat et les riches triomphaient deja. lis regardaient l'opposition du tribun , leur partisan , comme une barriere que Gracchus ne pourrait surmonter , et qui rarrdterait tout court dans la carriers de ses succes. lis auraient eu raison de penser ainsi, s'ils avaient eu affaire a un tribun moins entreprenant. Mais Gracchus en savait plus que le senat , et que tous ccux qui l'avaient precede dans le tribunal'. Dans la prochaine assemblee ,ilproposa IIpropel de deposer Octavius de sa charge ,comme ÿ en faisant usage contre les interns du pen- poser. ' pie. L'entreprise parut nouvelle et extra¬ ordinaire. On n'avait jamais vu pareil Replacement, Mais Tibere appuya son C 4

56 H IS T O IR E

procedc tic raisons si specicuses ,et prdsentees avcc tant d'art ,qu'il s'attira degrandcs louanges de presque toute la multitude. Toutefois ,pour faire voir qu iln'agissait, dans toute cette affaire , que par zele pour le bien public , il oflrit a Octavius de presider lui-mdme a l'assemblee du lendemain , et de mettre en deliberation lequel des deux , ou de lui Tibere ,ou de lui Octavius , devait dtre exclu du tribunal |

Octavius n'eut garde d'accepter la pro¬ position ;sur son refus , Tibere y presida, 1 Jamais on n'avait vu h Rome une assem" blee aussi nombreuse ; les riches et les t pauvres ,les grands et les petits , le senat j et le people ,en un mot ,tous les citoyens J s'y trouverent. II faut convenir qu'il nc s'etait jamais tenu k Rome d'assemblee plus interessante , et plus capable de piquer lacuriosite de ses citoyens. Tibere, qui aurait. voulu ne pas faire de la peine a Octavius son ami , et ne pas se charger de l'odicux de sa deposition , exhorta de nouveau son coll gue h sc desister de son opposition. II lui demanda son desistement , au nom des dieux , du bien comxnun de la patrie ,et pour les intbrets d'un pcuple dont il devait etre le protocteur par sa charge. Octavius ne fut point sensible au discours pathetique de son collegue ; ils'opposa toujours foxtemcnt a la publi¬ cation de la loi , et dit & Tibere qu'il pouvait consommer son ouvrage. Grac¬ chus sentant qu'il n'etait pas possible de

IR O M A IN E, Liv. VIII. 57

faire revenir Octavius , et que c'etait un partipris , envoya les fribus auxsuffrages. Les dix-sept premieres ayant decide pour la deposition d'Octavius ,Tibere suspendit l'ardeur des suffrages. II lit encore un nouvel effort pour arracher son collegue a la faction cle la noblesse. IIle supplie et le conjure de s'epargner la honte cl'une deposition infamante , et a lui le reproche et le chagrin d'avoir ete rcduit a, deshonorer son collegue et son ami. Mais cette clerniere tentative fut aussi inutile

que les precedentes. La honte de manquer a sa parole , rendit Octavius insensible k toutesorte de remontrances. Tibere acheva son ouvrage. La deposition d'Octavius fut arretee a la pluralite des suffrages. IIfut arrache de son tribunal ,et il eut bien de la peine a se sauver des mains du peuple. Les patriciens et les riches , dont iletait devenu lavictime ,luifaciliterent son eva¬ sion; etplus encore les ordres etlapresence de Gracchus , qui accourut au bruit , apaisa le tumulte , et sauva la vie a son. ancien ami.

La destitution d'Octaviuslaissa le champ libre a Tibere. La loi Licinia ne souffrit plus aucun obstacle , et passa tout d'une voix. Gracchus eut encore assez d'autorite Commhpour faire nommer trois commissaires ,|ÿ0!1 £°nc sous le nom de triumvirs , pour faire lad% twes? recherche de ces terres , et en faire la repartition aux pauvres cifoyeiis. Le peu¬ ple , qui ne youlait confier una comraissiois si importante ? et qui i'interessait C ,

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si fort , qu'ft tics personnagcs dont iihit assure ,defera a Tibere la premiere r.lace de ce triumvirat , la seconcle ft Claudius , son beau-pere ,et la troisieme a C. Grac¬ chus , son frere.

Animosite Un empire aussi absolu dans un etat ties grands republicain , devint extremement odieux tr des ri- a §enat et ft la noblesse. On ne pouvait «hes con - ,, . • i • . i Ss«Tibeze. soutenir les eloges que lui aonnait le peuple , qui lui prodiguait les noms de res¬ taurateur de Rome , le vengeur ct le protecteur de I'ltalie. L03 riches sur-tout ,< quietaient transportcs de fureur de se von? depouilles de leurs fonds , lui suscitaient tout.es les mortifications imaginable.?. Ses ennemis , qui s'apc-rÿurent de cet etat tie fermentation oil on etait dans Home , en profitcrent pour semer et insinuer adroitement dans le public que le tribun visait ft detruire la liberte cle la republique , pour elever sur ses debris la puissance royale , et so mettre la couronne sur la t§te. Quelque depourvus de fondement que fussent ces discours , ils ne laisserent pas de donner quelqu'atteinte ft son enorme puissance et ft son credit. La mort subite et precipitee cl'un de ses parti¬ sans les plus zeles , lui fit comprendre ce qu'il avait ft craindre pour lui-mcine. Cependant Tibere meprisa ces Bruits , et se mit en marche avec ses deux collo¬ gues, pour aller parcourir I'ltalie ,et fairc executer la commission dont il etait charge.

A son xetour ,iltrouva un cliangement

IR O M A IN E. Liv. VIII. bt) bien grand dans la ville. La niort do son confident avait ete comme un signal do revolte entre ses amis et ses ennexnis. Notre tribun sentait alors k quoi il etait expose. Pour mettre sa vie en surete , il no lui restait plus d'autre ressource que do faire de ses interns ceux du peuple , et de lui persuader quo les grands et les riches ne lui en voulaient que parce qu'il etait son protecteur et son defenseur j cela

etait vrai en effet. IIfallait done fomenter et entretenir la division entre les deux ordres de l'etat : e'est a quoi l'habile tri¬ bunreussit fort bien. Letestament d'Attale , roi de Pergame , dont nous avons deja parle , lui en fournit une ricbe et ample matiere. Ce prince , en mourant , avait etabli le peuple Romain son heritier. La lecture de ce testament faite , Tibere , toujours anime du merae esprit , propose une nouvelle loi con£ue en ces termes : Que les sommes provenues de la succession NouVelfes d'Attale , et arrivees de Pergame , soient [°'s dc distributes aux pauvres citoyens , a qui on SIC' a , selon la loi , donne des terres ; afin qu'ils aient de quoi s'emmtnager dans leur nouvel etablissement. A I'egarddes villes et du territoire , ajouta Tibere , j'en ferai tnoii rapport au peuple , quand j'en serai tnieux instruit, et ilen decidera dans ses assemblies,comme d'unbienquiluiappartierit,

Une proposition si avantageuse et si flatteuse tout a la fois , ne pouvait manquer d'etre tres-agreable au peuple. Les Pdtriciens et tout le corps du senat ,furent € 6

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sensiblement offenses de celte nouvelleentreprise de Gracchus , qui ne tendait a rien moins qu'k priver cette auguste compagnic do l'autorite du gouvcmement, pour la transporter en entier au peuple. L'avarice des grands, qui se proposaient de tirer des profits immenses de la disposition des tresors d'Attale ,se trouva blessee par cette loi ,aussi-bien que leur ambition. Ainsi , ne pouvant plus retenir leur vif ressentiment , iIs le firent eclater publiquement par mille invectives et mille reproches dont ils le chargerent. Mais do tous les coups que porta le tribun a l'au¬ torite du senat ,il n'y en eut point auquel cette compagnie fut plus sensible que la loi qu'il proposa , et que le peuple ratifia, d'egaler le nombre des chevaliers a celui des senateurs ,dans tous les differens tribunaux de Pome. Cette nouvelle entre¬ prise donna occasion a une pui3sante brigue centre Gracchus , pour lu.i aonner I'exchision du tribunat pour l'annee suivante , ou m6me pour se defaire de lui, si on ne pouvait autremont parvenir a l'en exclure.

Troubles Le jour des cornices pour la nomination etCt ÿceki'i cÿeS trÿuns etant arrive , lc peuple qui son¬ de l'e!ec- tait lp besoin qu'il avait d'un n,.. istrat *'?? des ferme et eclaire , pour achever l'ouvrago inbunsw que Tibere avait commence, crut qu'il ne pouvait faire rien de mieux que de le continuer dans le tribunat , puisque personne ne serait si interesse a soutenir ses lois , et aeonsommcj; sonoeuvi'c ,quo lui iraius.

Les deux premieres tribus luiavaiont deja donne leurs suffrages , et iin'est pas douteux que ie plus grand nombre de cellos qui restaient , ou meme toutes , auraient suivi 1'exemple des deux premieres. Les senateurs et les riches voyant c|ue Tibere allait etre continue tout dune voix ,reclament vivement , troublent les suffrages , disant que e'etait un abus enorme ,intole¬ rable , et tout-a-fait contraire a la dispo¬ sition des lois , que la meme personne rut continuee deux ans de suite dans lam6me magistrature. Cette opposition que notre tribun avait prevue sans pouvoir la detourner , ne le deconcerta pas. Des qu'il s'apergut qu'elle faisait impression sur le; peuple , que son parti s'affaiblissait , et que celui de ses ennemis devenait le plus fort , il consuma expres , et dans le dessein de-gagner du temps , toute 1'assemblee en disputes avec ses collegues : la nuit etant survenue ÿ ilcongedia l'assemblde , et remit l'eleotion au lendemain. II profita de l'interv'alle pour gagner des suf¬ frages , et s'assurer de lapluralitc. A quoi ilreussit fort bien.

Dans la crainte que les grands et les riches n'entreprissent cette nuit-la meme contre la vie du tribun ,le peuple voultit faire sentinelle a sa porte , et le garder a vue jusqu'au lendemain.Au point du jour lamultitude,qui ,selon ses ordres ,s'etait rendue en foule , et de grand matin h la place publique, lui deputa plusieurspersonnes pour I'engager k se xendre proxnp-

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tement l'assemblee,et luiannoncer qu'il trouverait la plus grande partie des suf¬ frages riiunis en sa laveur. A son arrivee , le peuple poussa dos cris de joie ,et luiapplaudit par des demonstrations d'alegresse. IImonte & la tribune aux harangues ,et Conspira- sc place sur son tribunal. A peine v est-il C°accTus*assÿs ÿ> senateur de ses amis , Fulvius dontCCil eit Flaccus ,perqant a grand peine a travers aveiti. la foule , arrive jusqu'k lui , et lui donne avis qu'il y a une conjuration contre sat vie , et que les riches et les nobles avaienf resolu de venir l'attaquer jusque sur son tribunal.

L'avisn'etaitpassans fondement ,comme nous l'allons voir. Car dans le temps que' le peuple etait assemble au capitole , le senat deliberait dans le temple de la foi sur les moyens dc s'opposer efficacement , et avec succes , aux desseins du tribun, II est tout-a-fait etonnant qu'il ne vint pas dans l'esprit d'aucun membre de cette respectable compagnie ,si sage ,et d'une politique si rafinee , de faire usage dans ce moment d'un remade qu'elle avait en inain, et dont elle s'etait toujours bien trouvee toutes les fois qu'elle y avait cu recours ; je parle de la dictature ,dont le Souverain pouvoir suspendait l'exercice del toutes les magistratures , rendait le calmc «i la republique , et par le droit attache a cette charge , le dictateur presidait an* Elections,tout s'y passait sansbrigueetsans trouble. Mais dans ce moment l'ordre , Id tranquillity et la moderation ne regnaicnt

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P&9plus dans leurs deliberations ,et pentetre m'oins que dans cellos da peuple.

Tibere voulut profiler de 1'avis qu'il venait de recevoir , et faire connaitre au peuple le danger evident dont iletait me¬ nace ,pour 1'engager a prendre sa defense : mais le tumulte qui regnait dans 1'assemblee ne lui permettant pas de se faire en¬ tendre au loin , il lui parla par signes. II porta ses mains a la tete , pour lui faire comprendre par ce geste innocent , qu'on en voulait a sa vie. Ses ennemis donnerent une signification odieuse k ce signe , et 1'interpreterent malicieusement. lis se mirent a crier qu'il dernandait le diademe , et coururent au Senat lui annoncer que le peuple aliait rnettre la couronne sur latetc de Tibere , et la luiceindre du diademe, Ceux des senateurs ennemis du tribun 0 qui ne cherchaient qu'un pretexte pour passer par-dessus toutes les formalites des procedures,saisissent avec avidite cette oc¬ casion pour engager lesenat a leproscrire, et a rendre un arr&t qui permette a qui-* conque de courir sua, et de le tuer. Scipion Nazica ,un des plus violens ennemis de Gracchus , a cause qu'il devait perdre heaucoup par l'exetution de la loi Licinia a ce senateur ,sans attendre la deliberation du senat , adre'sse la parole au consul Scevola , le somme de secourir la patrie 7et de faire perir le tyran , dont les lois lui servaient corame autant de aegres pour monter sur le tr6ne , et elever sa puissance sur les debris de celie de la

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Histoire patrie. Lc magistrat, qui etait d'un earactere sage et modere , lui repondit qu'il etait egaloment incapable cl'approuvcr les lois du tribun , et d'user des voies de fait contre lui , sans lui avoir fait son proces dans les formes de la justice. ' Une reponse si sage et si modere'e , aurait du ,ce semble ,rnoderer l'animosite de Nazica , et lui faire chercher dans les deliberations du senat , une voie plus le¬ gitime d'arrÿter les projets du tribun,que telle de la violence. IIarriva tout le contraire. Ce senateur , comme s'il eut eu sujet d'etre pique d'une reponse si moderee , qui etait une censure tacite de sa violente condnite ,se leve brusquement de son siege , et S'ecrie avec emportement : Puisque le consul refuse de secourir la patrie dans unperil eminent de sa ruine , que ceux a qui la liberte est plus chere que la vie meme , me suivent. IIest tae. A cette invitation sanguinaire, tous ceux des senateurs dont le coeur etait ulcere contre Tibere ,et qui etaient intercssesct 1'inexecutioix de la loi Licinia , s'ebranlent ,se mottent & lasuite de Nazica,pre¬ cedes d'une troupe de cliens , de valets et cVesclaves , armes de batons et de leviers , et marchent droit au capitole. lis font main- basso sur tout ce qu'ils rencontrent , et qui veulent s'opposcr a lour inarche.L'assemblee effrayee se dissine, et chacun songe a se sauver.Tibere abandonndde ses meilleurs amis et de ses partisans , que la crainte avait mis en fuite y veuE

R O M A IN E. Liv. VIII. <55 aussi se sauver. Saisi deja par le bout de sa robe , il la laisse entre les mains de celui qui la lenait , et s'enfuit v£lu seulement de sa tunique. En courant avec tant de precipitation a travers tant de debris de sieges et de bancs qu'on avait rompus , il toiube. A l'instant meme il se releve , * et dans ce moment meme ilse sent frappe a la t£te d'un coup qui le renverse a terre ademi-mort. 11fut bientot environne d'une foule d'ennemis qui acheverent et consommerent l'ouvrage du tribun P. Satureius son collegue ,qui , par envie de sa gloire , etait son ennemi secret, ct lui avait porte le premier coup. C'cst ainsi que perit .Tibere a l'age de trente ansr Son corps , avec celui de ses amis et de ses partisans , qui,au nombre de plus de trois cents ,eiirent part a son malheur , fut jete dans le Tibre. La mort de Gracchus no mit pas fin au ressentiment des riches et des grands de Rome, lis 1'etendirent jusqu'apres sa mort ; peu de ses amis dchapperezit a leur animosite : les uns furent banliis , les autres tues et massacres , sans aucuno forme de proces. Le but du senat etait d'inspirer de la terreur & tous eeux qui auraient envie de soutenir , ou de renouvcler les projets de Tibere. C'est ici la premiere guerre civile que Reflexion Rome voit allurnee dans son sein. C'est y;;a cfn" pour la premiere fois qu'elle voit ses rues gÿcÿu'ÿs! arrosees du sang de ses citoyens. FJle avait vu naitre plusieurs dissentions parmi ses habitans. Le peuplo ,divise cl'avec lc senat

H IS T 6 IR E

et ,les nobles , s'etait retire sur le moot' sacre ,etune autre fois sur le mont Aventin. L'abolition ties dettes ,l'etablissement du tribunat , et la promulgation des differentes lois,avaient occasione plusieurS Seditions entre les deux orclres de 1'etat : tnais l'amour et le respect mutuels qui regnaient entr'eux ,les avaient toujours terminees a l'amiable ,etparvoie d'accommodemerit. Jamais on n'avait vu verser lo sang des citoyer.s : c'est pour la premiere fois que les llomains franchissent les bsrrieres de cette noble et sage moderation de leurs anc£tres , qu'ils vident leurs querelles domestiques par la violence et l'effusion du sang dans leurs murailles. On ne pent refuser la justice aux Grae¬ mes ( car il ne faut pas les separer ) d'avoir entrepris et defendu une cause juste et bonne en elle-mdme i de l'avoir defendue rapine par les voies les plus honorables, et dignes dubon droit qu'ils avaient de lour cote. Le senat n'en est pas au m£rnc terme. La cause qu'il defend centre les Gracques est tout - a - fait injuste et illegitime ; et ce qui est deshonorant pour cette compagnie , c'est qu'elle la defend par des voies sanguinaires , cruelles ,et d'un exemple pernicieux a la republique ; en un mot , par des voies dignes de la jnauvaiso cause qu'elle defendant , et capables enfin de deshonorer la m°illeure. L>ans cette occasion on voit , a la honte du senat , eta la gloire du tribunat , on voit , dis - je , cette auguste compagnie

I, N R O M A IN E. Liv. VIII iy

ddgenerer d'une fagcn etrange de la doa-ceur etde la moderationde leurs anc£trcs , pour so revetir de la violence et de la fureur des tribuns ; tout au conlraire , les tribuns , par une metamorphose qui est inhniment honorable pour le tribtinat , font ici un personnage qui aurait convenu au senat ; et ce qui acheve de mettre' ce corps pleinement dans son tort , c'est N qu'il n'a jamais voulu so prater a aueun accommodement , qu'il a refuse constamment toutes voies de negociation que les Gracques leur offraient ,et auxquelles ils se pretaient eux-memes de bonne grace. Ainsi ilme parait que le senat est tout-a-fait inexcusable ,et que tout l'odieux dumeurtre des Gracques , et de cette pre¬ miere guerre civile , retombe sur lui.

Til. Suite de Vhistoire des Gracques, Mouvemens du peuple en faveur de Grac¬ chus. Le senat consent a {'execution de la loi Licinia. Naqica est exile. Retraite de Cuius Gracchus. IIsort de sa retraite. 11 est fait questeur. Services important qu'il rend a I'armee. Ilrevient d Rome. 11 est accuse devant les censeurs. 11est absous. IIdemande le tribunal et Vobtient. Son debut dans le tribunal. Lois de Cuius. Ilest continue dans sa charge. II ote au senat Vadministration de la justice' Le senat cherche des moyens pov bonier la puissance du tribun. Tl met dans sev interits le tribun Livius-Drusus, Scipion

Hi s t o IRE

s'opposff a I'execution des lois des Graci ques. Haine clu peuple contre Scipion. II est trouve mort dans son lit. Soupqons sur cette mort. Eloge de Scipion. Etablissement d'une colonie Romaine a Car¬ thage. Cams est charge de cette commis¬ sion. 11 revient a Rcrne. IIest exclu da tribunat. Entreprise inouie du nouveait consul. Meurtre du licteur Antyllius. Caius en est fache. Ccnduite du senat au sujet d'Antyllius. Le consul se resout it, decider la querelle par la voie des armes. IIrefuse d'ecouter les propositions de paix. 11marche contre Fulviiis et Caius. Mort de Fulvius et de Caius. Cruaule du consul* Honneurs rendus aux Gracques. Lois des Gracques abrogees. Usurpations des grands. Eloge des Gracques. Ex!Id'Opimius. Retraite de Cornclie. Cruelle peste en Afrique. Cohauete de la Dalmatie et des lies Baleares. Conquete des Romains dans la Gaule Transalpine. Corruption des manirs a Rome. Trente-deux senateurs degrades. Punition de trois vestates.

Suite de X_iA

mort de Tibere ne termina pas les rfe'sÿGrac- disputes. Elle devint , au contraire , une que?, source de divisions cntve les deux ordres Mouve- c|e I'dtat. Le peuple revenu de sa frayeiu* '"c"iI''1 se reprocha la mort de son tribun , et peuple en r , . . 7 , faveur de on voyait quil cherchait une occasion clo Gracchus. la venger. Cependant il tourna tout son ressentiment contre INfazica, Ce senateur

R O M A IN E. Liv. Jill. 69 ne pouvait paraitre en public sans se voir insulte. Les uns l'&ppelaient assassin , sacrilege ,impie , tyran, qui avait eu l'auIdace de trernper ses mains sanguinairea dans le sang d'un magistrat sacre et invio¬ lable ; d'autres menaÿaient de le tuer sur le champ , sans autre forme de proces. Enfin il y en avait qui proposaient de le citer devant l'assemblee du peuple , pour y rendre compte d'avoir de lui-meme , et sansl'aveude l'autorite publique ,souleve , arme la plupart des senateurs , et porte les mains sur un magistrat qui etait , par sa charge ,sacre et inviolable.

Le senat sentant qu'il fallait donner , Le sÿnat du moins en anparence , quelaue satisfac- consent a .• 1 , I • L 1 1execution lion au peuple , dans la crarate qu u ne ÿ ja i0i se la fit a lui-m£me,consentit a l'execu- Llcinia. tion de la loi Licinia. 11 permit que l'on substituat a Tibere un commissaire qui put le remplacer pour l'execution de la repartition des terres. Cette satisfaction An. M. apparente ne fut pas capable de calmer les 0875 esprits irrites. La presence de Nazica lesÿ' ' aigrissait de nouveau , et les irrettait dans an. r. "ne espece de fureur qu'on avait lieu de 6-°craindre de voir bientot eclater en urie se- e$t dition ouverte. Le senat , pour prevenir cc malheur , se determina eloigner Nazicade Rome et de l'ltalie.On luidonna, sans necessity , une legation pour 1'Asie. Le senateur sentit bien qu'on couvrait d'un nom honorable un exil honteux , inaisxnecessaire pour lui et pour le repos de la republique. IIn'y languit pas long-

fo !t I5 T O 1 R E temps. li mourut pea de temps apre* a Pergame , consume d'ennui et de chagrin. L'eloignement do Nazica calma un jeu les esprits sur son sujot ; rnais ilne (limb jiua cn ricn l'ardeur ct le zele du peupl® pour 1'execution des lois de son tribun. Le senat de son cote , a qui ces lois .etaient toujour® aussi odieuses qu'ellos etaient agreables et utiles an people , cherchait de nouveaux pretextes pour en surseoir , ou pour en eluder tout-a-fait 1'execution. Cela lui etait d'autant plus facile ,que le peuple n'avait point en place de tribun , ni assez habile , ni assez zele

Iletraite pour sc-s interets. C. Gracchus etait le seul c]f Chik s personnage dont le peuule aurait pu atten¬ dee us. dre qUeiqUe secours/ Mais sa grand® jeunesse l'excluait dcs charges ; et lun m£me , soit crainte veritable des enn«-mis de sa maison , soit feinte pour les rendre encore plus odieux au peuple par cettecrainte aflectde ,se lenait cache dans son logis , et ne se montrait plus en pu¬ blic. Ilemploya le temps de sa retraina l'etude de i'eloquence , et a se perfec- IIsort dc tionner dans le talent de la parole. H)' saietraUe. un §i granÿ pr0gres , que deuX ÿ apres ,etant sorti de sa retraite pour dre la defense d'un des amis de son her®

An- M.norame Vectius , il plaida sa cause ayee

Av J C ÿ eloquence , que le peuple , ravi e 126'. comme transports hors de lui-mSme , ett

An. R. temoigna sa joie par des acclamations d des applaudissemens reiteres. Par ce pre* nuer coup d'essai ? il arracha dcs

R O M A IN E. Liv. VIII. 71 des ennemis tie sa maison , son client qui fat renvove absous par tous les suffrages. Un debut si heureux le rendit redoutable aux nobles , et les alarnia extremenieut. Des-lors ils se liguerent , et formerent entre eux l'indigne complot do 1'eloigner des charges , et sur-tout do tri¬ bunal Caius entra dans le dsssein de ses ennernis , mais par des vues bien difterentes , no se presenta pas pour le demander. Persuade que la reputation ties amies H e?i fait donnerait un nouvel eclat a son habiletequcÿtcm. a manier les affaires , ildemanda d'aller servir : on lui accorda la charge de questeur , et en cette qualite ilsuivit le con¬ sulAurclius en Sardaigne,oille sort l'avait fixe.

Caius revfitu de Pemploi cle questeur , Av M. fit paraitre autant de valeur contre les en-3F8i. nemis, qu'il avait montre d'eloquence dans ' " la tribune aux harangues. II n'etait pas As. R. nioins brave soldat qu'il etait beau Par~ vlce leur. La vertu guerriere ne fut pas la seule irnpeJÿ!1cnest que Tarmee de Sardaigne eut occasiond'atl- qu'il lend mirer en lui. Son amour pour la disci- a pline militaire le fit respecter et du soldat et des officiers ; sa douceur et sa bonte iui gagnerent le cceur des uns et des autres. Ou admirait sa temperance , sa simplicite Qans ses habits et dans sa table , et sur*out un fonds tie probite et de desinteÿessement k toute epreuve. Son eloquence s Aoutenue du respect et de la veneration que toute l'ile avait pour ses vertus ,lui fa U'ouyer dans la liberality de. ces in.su-.

72 Histoire laires , des habits pour defendro les Roniains contre la violence d'un rude hiver ; secours que cette nialheureusc armee n'avait pu trouver , ni dans la bonte du senat , ni dans les ressources du consul. Un -service si important aurait du lui attirer des remcrcimcns de la part du senat ,et lui meriter l'estime et l'affection de cette compagnie. 11 fit un effet tout contraire sur l'esprit des patriciens. Rs furent alarmes de cet essai du savoir faire du questeur , et se coniirmerent de nouveau dans le complot qu'ils avaient ddjÿt forme , de faire tous leurs efforts pour l'emp£cher de monter jamais a la charge de tribun.

Ce ne fut pas la la seule occasion ou le senat temoigna sa mauvaise volontc pour Caius. Dans une disette de ble , 1® questeur y pourvut avec la mcme facilite qu'il avait deja fait a l'habillement. 11 envoya jusqu'en Numidie en chercher ; et les magasins de son armee furent remplis avec tant de diligence , qu'on n'eut presque pas lo temps de s'aporcevoir que 1® bled manquait. Micipsa , roi de Numidie, charme de la vertu et des belles qualiteS do Caius , dont la reputation avait passe la mer , se fit un plaisir d'entoyer gratuilement , a la recomnvandation de Caius , une grande provision de ble au camp des Romains en Sardaigne. En nidme temps il donna ordre aux ambassadeurs quil avait a Rome , de declarer en pleb1 senat que le xoi ,leur maitre , ne s'etait poRQ

R O M A IN E. Liv. mi. 73

porte a cette liberalite envers les Romains , que par consideration pour Caius , dont ilreveraitsincerement la vertuet le merite. Unedeclarationsi honorable et si glorieuse pour le questeur , reveilla la jalousie de tout le senat et de tous les en11cmi* de sa maison. Une vertu si brillanto et un merite si superieur leur devint susect :pour humilier Caius , ils chasserent onteusement du senat les ambassadeurs du roi. Le lscteur n'est pas , je pense , embarrasse pour decider sur qui retombc rhumiliation de cet affront.

La nouvelle d'un traitement si indigne , qui retombait propremcnt sur le questeur , etant parvenu en Sardaigne , Caius crut que son honneur y etait interesse. Sa presence a Rome lui parut necessaire pour ilrevient souteniv la reputation naissante qu'il s'y * Rome etait deja faite ,et pour clissiper les impres- 38ÿ' ÿ sions defavorables que cet outrage aurait Av. J. C. pu donner de lui , et en Italie , sa riÿ- ÿ patrie,et chcz les nations etrangeres. Sans g2g 'u •conge du proconsul,et avant que le temps de son ministere (selon que le preten- daient ses ennemis) marque par les lois fiit expire ,ils'embarque ,arrive a Rome, et parait dans la place publique , dans le temps qu'on le crovait en Sardaigne , ou les patriciens s'etaient flattes de le vetenir sous l'appat de la charge de pro¬ filesteur dont on l'avait revfitu.

La presence de Caius , si peu attendue IIestareaet si redoutde des grands, les etonna fes dce«"r extrfmement : mais ils ne tarderent pas Se«r Tome IT. ' ' D

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do revenir do leur alarmc. lis crurcnt trouver dans la conduite.irreguliere dn proquesteur de quoi le perdro. lis lui fircnt un crime d'avoir duserte l'.irmee sans conge , et avant le temps. Us le citent an tribunal des censturs , a qui ils le depeignent comme un jeunc hommc liardi , entreprenant , et qui , par un orgueil sans exemple , se met au-dessus des low. C'etait une calomnie visible , et d.>nt la malignitesautait aux yeux des moin> clairvoyans. Caius ,h qui la bontu de sa cause donnait. une pleine confiancc , dciraontra qu'il y avait pros de trois an< qu'il servait en Sardaigne en quality de questeur ou de proquesteur . et que les lois n'exiII est at- geaient qu'un an de servicn Lno raison iOUS* si evidente , mise dans tout son jour ,et avec cette fecondite d'eloquenca qui lui etait naturelle ,demontra ('injustice dc pes ennemis , convainquit ses juges de son innocence , et le fit triompher de la mali¬ gnite de ses accusateurs , qui se retirerent tout couverts de honte et de con¬ fusion. lis n'en Invent pas pour eels moins acharnes contre lui. lis tenterent de mot¬ ive suv son compte la rebellion de la ville de Fregelles. L.Opimius ,ennemi declare de la maiscn des Gracques , honuue cruel et severe , dans lo corr.ptc qu'il rendit en plein senat de sa conduite an sujet de la vide de Fregelles qu'il avait ruinee ,insinua adroitement dans son disccmrs que Caius avait ete le mobile et Uusirument secret du soulevemenl de Frg-

R O M A IN E. Liv. nil. 7b gelles. Cette accusation ctant destituce dc preuvcs , ne trouva aucunecroyance. Caius n'eutpasde peineadissiper unsoupÿonaussi odieux , de mime qu'un nombre d'autres que ses ennemis ne cessaient de faire naiIre sur sa conduite , pour etouffer dans sa naissance une reputation eclatante dont ils croyaient avoir tout icraindre. Ainsi tous les effortsdes ennemisde Caius ne servirent qu'a denner unnouveau lustre a l'accuse. Le jeune Gracchus , apres s'Ctre lave de IIdemantous les soupÿons odieux dont les ennemis de sa maison avaient pris a tache de noircir sa conduite , ne crut pas pouvoir se venger d'eux d*une manicre qui leur fit plus de peine que de demander le tribunat, Oetait en effet l'endroit le plus sensible du senat et de ses ennemis. Le seul nom de Gracchus les mettaient dans une espece de fureur. Ils ne pouvaient enten¬ dre sans fremir de rage , que Caius serait eleve a la charge de trrbun. Le mouvementfut grand,l'oppositionforte;maistoutes leurs brigues et tous lours efforts tournÿrent a leur confusion. Le joune Grac¬ chus fut eleve au tribunat d'un consentement unanime du peuple, qui,de la ville et de la campagne , etait accouru en foule au champ de Mars pour lui donner son suf¬ frage. La place ne pouvant contenir cetle multitude innombrable , ily en eut quan¬ tity qui monterent sur les toits des maisons , d'ou par des voeux publics , des acclamations et des louanges , ils donneleur suffrage a Caius.

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Des que le nouveau tribun se vit en place ,marchant sur les traces de son fare , ii forma tout comme lui des desseins aussi bardis. Anime comme T ibere du m£me amour pour la justice , du mfeme zele pour lesinterns du peuple ,il parut k

Son di- latribune aux harangues. D'abord ildebuta 'ÿi.tdunsle par inspirer au peuple, a qui sa charge tubuhdt. poÿijaeait de parler souvont , de la haino et de rindignation contre le senat et les

An. M. patriciens. 11 n'eut pas beaucoup de peine S8|Vj C ® y r®ussÿ'- Car outre l'antipathie natureile ji-v ' ' qui subsistait de tous les temps entre le9

An. R. deux ordres , le peuple ne pouvait pardonner a la noblesse la mort de Tibere, son tribun , son protecteur et son idole. Son frere ,qui connaissait cette disposition dans la multitude , sut en profiter pour lamettre dans ses h.'lerets. Tantot ildeplorait la mort de son frere avec des traits si vifs et si touchans , qu'il tirait souvent les larmes des yeux de toute l'assemblee et de ses ennemis meme ; d'autres fois il peignait. la cruaute et la fureur des nobles qui avaient fait perir Tibere avec tant d'injustice et d'inhumanite ,qu'on ne pou- ÿvait s'emp£cher de s'attendrir sur le sort xnalheureux de ce tribun , et de se sentir indigne contre les auteurs d'un pareil attentat.

Lorsque nctre habile tribun se fut apergu du succes de ses discours , et l'impressionqu'ilsavaient faite sur lamultitude, ilsongea tout de bon a venger la mort do son frere. Car ilest a propos de vemarquor

11 O M A IN E. Liv. VIII. 77

Que Caius etait anime d'un violent desir Lois c!e de vengeance. Pour son coup d'essai ,ilfit Caius. passer deux lois, qui, pardifferentes voies, tendaienttoutesles deuxaattaquerlesennemis de Tibere. Par la premiere ,il decl*rait infame tout magistrat qui amait ete depose par jugement du peuple ,et ill'excluait a jamais de toute charge. Le tri¬ ben Octavius , que Tibere avait fait depoSer , etait le but et l'objet de cette loi. Cornelie ,qui s'interessait pour Octavius , obtint de son fils de ne point insister sur lapromulgationde cette premiereloi.Ainsi elle resta sans effet.

11n'en fut pas de mSme de la derniere , qui porlait que tout magistrat qui.aurait exile un citoyen , sans observer les formalites prescrites par les lois , serait cite et poursuivi devant le peuple , et oblige de luirenclre compte de sa conduite. Popilius , que ce reglement regardait directement ,pour avoir exile les partisans de Tibere sans avoir observe les formalites necessaires , ne crut pas devoir attendre le jtigement du peuple. 11 se cbndamna a un exil volontaire ,dans la crainte d'un traitement plus rigoureux.

Le succes cle cette premiere entreprise enhardit beaucoup notre tribun. Des ce snoment ilcongoit le dessein de depouiller le senat de son autorite , de transmettre au peuple toute lapuissance du gouvernement , et de faire de 1'empire Romain unetat purement democratique. Dans cette vue ,et pour gagner de plus en olus 1'affecD 3

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tion du peuplc ,il porta diffcrcntcs lois , toutesplusfavorables lesunesquelesautres. II ordonna des distributions gratuites de ble au pauvre peuple , et le fixa pour les autres a un prix tres-modique. Par un autre edit , il Tut ordonnc qu'on tournirait auxsoldatsdcs habits , sans rienretran*cher de leur solde ordinaire. Ii rendit plusieurs autres ordonnances , dont les unes regavdaient retabiissement des colo¬ nies,et les autres laconstructiondes grands chemins et des greniors publics. Caius ne voulut point qu'un autre que lui Tut charge de ces grandes entrepriscs. IIles tit laire avec une magnificence digne de lagrandeur des Romains , et les executa avec la mthne facility et la m£me promptitude que s'il n'eut ete charge que do cola seul. Tout le naonde ,et scs ennemis mÿnie , etaierit forces de xendre hommage a l'etendue de son genie , et de reconnaitre la superiority de .son merite.

11est con- Unhcmme aussi unvversel,et si occupe sa'chafg=S bien public et des interns du peuple , ne pouvait manqucr d'etre extreinement 38gf' M> agreable, Aussi la ville et la campagne , Av! J. C. ÿes placeset les rues de Rome ,les champs u.9. et les grands chemins retentissaient dcs £3aN' louanges de Caius. Mais c'etait cette faveur du peuple , et cette superiority de talens , qui le rendirent de plus en plus odieux au seriat et aux grands dc Rome. lis soupiraient apres'la fin de son trihunat , qui sexait aussi la fin de son autorite. Lcui altente fut vaine. Le jour des cornices

R 0 M A IN E. Liv. I'M. 79 etant arrive ,tous les suffrages se reunirent pour contiuuer Caius dans le tribunal ; et ce qui lui fait beaucoup d'honneur , c'est qu'il n'y avail influe en aucune faÿon. Son merite seul fit toute sa recommandation. IIa la gloire d'etre le premier citoven qui soit parvenu a cette charge sans I'avoir recherchee ni briguee. Pendant la tenue des cornices ,ilse souvint pour son malheur jie L. Opimius ,qui avait voulu faire tomber sur lui le soup$on de la sedition de la ville de Fregelles. II lui fit donner 1'exclusion pour le consulat ,et fit elire en sa place C. Fannius son ami. Le senat ne put voir sans fremir de rage Caius continue dans la charge de vribun. Cette compagnie s'assemble j on tient differens conseils , et on y delibere des moyens de s'opposer avec succes aux entreprises des tribuns. Cependant Gracchus de son cote minute une loi , et rend une ©rdonnance , par laquelle ilotait an senat rjJ l'administration de la justice , et la trans- muTistra ~ ferait a l'ordre des chevaliers. Par ce nou- tion tie la veau reglement,l'autorite du senat se trou- instice* vait entierement sapee, et ce corps,autre¬ fois si respecte ,tout-a-fait avili. Ce droit souverain , qui le l-endait arbitre de la vie el de la fortune de tous les particuliers , tenait tout le monde dans le respect et dans la soumission due a ce premier oi'dre de Petal. II faut convenir que c'est la faute des senateurs , si ce beau privilege est enleve a leur corps. CaiUs demontra d'une maniere si evidente la collusion des D 4

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H I S T o IR £ stinateurs dans les jugemens qu'ils r-eiw daient , et que leur tribunal , loin detre l'asile de la justice et cle l'innocence,etait devenu une protection assuree pour les criminels les plus coupables, qui,a force dar¬ gent ,de presens et de soliicitations ,parvenaient enfin a se faire absoudrc ,que le senat , quelque interct qu'il eut .i s'opposer vivement a la promulgation de ce ple¬ biscite , persuade et confus tout-a-la-tois de la malversation de plusieursde sesmembres dans l'administration de la justice , se tut , et n'osa s'y opposer. Ainsi la lot passa tout d'une voix , et l'ordre des che¬ valiers se trouva revetu du droit le plus flatteur et le plus auguste qu'il y ait dans tin etat.

Par ces sortes de changemens que notre tribun faisait avec une autorite presque despotique ,ilse rendait egalemcnt absolu dans Rome et clans toule i'ltalie. On lui doit neanmoins la justice , qu'il ne faisait usage de cette grande puissance,siodieuse au senat , que pour la gloire de sa patrie el pour le bien de ses cpncitoyens. Pour soutenivl.es nouvelles loisqu'il a'vait faites, il entreprit , a l'oxemple de son feere , de faire accorder le droit de bourgeoisie cefu* c'e suffrages a tous les peuples de 1Italie,et d'etendre cette favour jusqu'auX Alpes. Le succes de cette nouvelle entrepnse l'aurait rendu anaitre de toutes les elections et de toutes les deliberations , d\i ant. on sa disposition les suffrages de ous ces nouve&ux citoyens ,qui n'auraieat-

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pas manque de suivre aveugldment Hinpression de leur bienfaiteur.

Le senat voyant letendue du pouvoir Lc <rnat exorbitant que s'arrogeait tous les jours Cains, en fut veritablement alarme. lis p0'.r'°boretaient d'autant plus inquiets , qu'il ne se ner la Fuispresentait aucun moyen etficace pour en sa.' e da 1 , . - Jt . 1,/t t . tnoun. arreter lc progres. Ladeposition cl Uctavius par Tibere ,ne leur permett.ait plus d'avoir recours a la voie d'opposition ,qui etait tournee a leur honte et a celle du tribun opposant. Agir par des voies de fait , traiter Cains comme on avait traite Tibere, 5'eut ete un chemin plus etficace , plus abrege ,et du gout de plusieurs senateurs mais on avait a craindre une sedition qui n'aurait pas manque d'eclater dans cette occasion. Ces ruses et habiles politique© eurent besoin de toute leur adresse pour se tirer de cet. embarras. lis imaginercnt un moyen tout neuf ,et dont leurs predecesseurs ne s'etaient jamais avises ,parce que leur politique etait plus simple , et u'elle ne s'accordait point avec ces tours e finesse (pi sont incompatibles avec la probite ; mais le senat de ce temps- ci n'est plus si delicat. Tout ce qui est utile est honnete : voila quelle est aujourd'hui sa politique et sa morale.

Ce corps habile , partant de cette umet <Ln* maxime , engage adroitement le tribun scsinteret-j Livius-Drusus dans ses interets. IIle flatte Livins"™ de la gloire de rendre la paix & l'etat , et Drusus» par cette amorce il le fait donner dans le piege. Pouy couvrir sa manoeuvre , et ne D 6

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kisser au tribun aucun soupgon de ife regarder lui-ruerne,illui dit qu il nexigc point cle lui de se declarer contre les interets du peupie ni contre les iois de Ca'ius ; pretei - nous seulement votre ministere , lui dirent les senateurs ntigo- ) eiateurs ,et proposez dqs lois plus favorables encore que celles de Caius, le senat approuvera tout. On ne vous demande que de declarer publiquement que ces lois et ces edits que vous proposez vous viennent du senat , et que vous ajoutiez que ce corps auguste n'a pour objet que le bien et l'utilite de ses concitoyc-ns. Drusus , qui avait de bonnes intentions , mais dont l'esprit assez borne ne lui permit pas de penetrer le rafinement de la poli¬ tique du senat, entre dans ses vues , et se livre sans reserve k tout ce qu'il cxige de lui. Tel est le projet qv'on imagina pour decrediter Ca'ius , et qu'on executa avec succes.

On vit alors ,pour la premiere fois , sur la tribune aux harangues , deux tribuns se disputer k l'envi 1'honneur de minuter des lois plus favorables les unes que les autres a 1'agrandissement de l'autorite du peupie et & l'avilissement du senat. Caius proposait - il d'envoyer deux colonies , Drusus ,encherissant sur lui , proposait letablissement de douze colonies. Celm-li adjugeait-il quelques terres incultes a de gauvres plebeiens,.avec une modique redevanc.e enver,s. la. r.epublique celui-ci leuraanuait ce&m&mss.texres.franc.lies etquitt.es>

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tie toute censive. II encherissait cle vn6me sur toutes les propositions fie CaiMS , et avait grand soin d'ajouter que c'etait par l'impression et a l'instigation du senat qu'il agissait de la sorte.

Un projet si habilement imagine eut tout le succds espere. Drusus gagna l'amitie du peuple , et commen9a a partager le credit de Caius. Le peuple se radoucit, se rapprocha du senat, et l'animositd des deux partis parut tomber d'elle - mdme. Caius , plus penetrant que son collegue , vit du premier coup-d'oeil la politique des senateurs. 11 traita son collegue de bas et vil esclave du senat. Mais celui-ci re¬ gardant le discours de Caius comme des suites de sa jalousie et de sa manvaise humeur , continua toujours a se conduire par les avis du senat et a luiservir d'interprete aupres du peuple.

On sent: bien que la puissance et la faveur de Drusus ne s'etablissaient que sur les debris du credit de Caius. La mctrt inopinee de Scipion l'Emilien , son beaufrere ,qu'on trouva etrangle dans son lit , et dont on soupÿonnait Caius d'y avoir contribue ,ne laissa pas de donner atteinte & sa reputation. Ce soupcon tit douter si sa vertu etait aussi pure qu'on l'avait cru jusqu'alors. La loi Licinia , dont Caius , par honneur et par amour pour Tiber© son frere , poursuivait avec ardour l'execution , occasiona encore cette annee de nouveaux troubles. Scipion ,qui etait aussi ? Sclpfoÿ bon citoyen qu'il etait brave guerrier , s °i,pose k D 6

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l'execution crut devoir y prendre part. II opposa dcs lolsdes ÿele entreprenant de Onus, de Iulvius Glacises. et de carbon , ( les trois commissaires nommes par le peuple- pour le partage ties terres ) son autorite et sa reputation. IIsy porta d'autant plus volontiers , que Rome ( et toute l'ltalie le regardaient corume le soutien et 1'appuide la repuhliquc ,qu'ellps s'adressaient a lui avec confiance ,et iui portaient leurs plaintes contre les recherches severes des triumvirs. Cependant , tout grand , respecte et puissant que Scipion ,il n'osa attaquer directenient la loi Licinia. II crut qu'il reussirait plus facilement a en eluder l'execution , s'il parvenait a faire donner un plebiscite , qui ordonnerait de fixer les bornes de chaque heritage , avant que de procecler a l'execution des lois des Gracques. Ce tour d'adresse eut le succes qu'il en avait espere.

Le peuple , soit par respect pour Scipion ,soit (ce qui est plus vraisemblable ) qu'il ne s'aperijut pas du piege que ce grand homme lui avai't tendu , approuva sa proposition ,et nomma sur le champ une commission. Scipion eut encore le credit de faire tomber la commission sur le consul Truditanus ,homme entieromcnt devoue au senat. D'abord ce magisfrat affecta une grande neutrality pour l'un et 1autre parti. II fit semblant de s'occuper" serieusement de l'objet de sa commission;; mais dans la verite ilne pensait qu'a amuser 1© peuple e.t a eluder l'execuliva do

la loiagraire :cola paruf clairement bientot apres,Ce eommissaire disparut tout-a-coup tie Rome , sans avoir rien termine. Sous le frivole pretexte quo la guerre l'appelait en Illyrie,ilabandonna cette affaire ,laissa tout indecis , et arreta par-la toutes les procedures des triumvirs , qui avaient les mairrs liees , no pouvant exercer leur func¬ tion qu'il iTeut prealablement fixe luimeme ,par unarrejt, les limites de chaque heritage.

Le peuple voyant qu'il avait e'te la dupe Hiin:/a de sa simplicite et de sa confiance en Sci- pe"~<l?<;cnpion , s'en prit a ce grand personnage, et treScÿionv s'emporta avec violence centre lui. IIlui reproclia que , devant toute sa gloire au peuple Rornain,qui,malgre la disposition ties lois , I'opposition du Senat et des grands , l'avait eleve par deux fois d la dignite de consul , ilavait cependant l'ingratitude tie s'opposer a l'execution des lois agraires , dont ce m£me peuple avait besoin pour pourvoir a sa subsistance , et de soutenir lachement les interdts des ennemisde sapropre gloire. Carbon ,tribuw du peuple , -/eld partisan des Gracques ,, saisit ce moment ponr lui demander ce qu'il pensait de Ta mort de Tibere. Ce magistral' plebeien esperait de rendre Scipion odxeux au peuple,en quoi ilne reussit que trop bion. Le vainqueur de Carthage, qui ignorait l'art pernicieux tie flatter , se declara ouvertement ,et dit qu'il eroyait qtte Tibere avait bien merite le traitement qu'il avait subi. Une declaration siprecise

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HlSTO! RE et si contraire aux intdr£tsde lamultitude, qui reverait la mtimoire de Tibere comme sonidole,luiattira l'indignationdepresque tous les plebeiens. Des ce moment , sa favour tomba totalement ,mais iin'cut pas le temps de s'en apercevoir. Au sortir de l'assemblce , il fut reconduit chez lui comme en triomphe par une foule de senateurs ,de nobles ct He riches , tous detenteurs dcs terres conquises ,et interesses a eluder la loi Licinia. Ilesttrou- Le lendemain on le trou\a mort dans son ve moit pit ÿ avec Pes niavques autour du col ,a ce dans sonqu'on dit , de la violence qu'on lui avait faite. La nouvelle d'une mort si pcu attendue , repandit la consternation dans les coeurs de tous les gens de bien ;mais ils no composaient pas alors le plus gVand nombre. La corruption ctait de,venue ge¬ nerate a Rome ; elle s'etait glissee dans tous les ordres cle l'utat , et la probite y Sonpfons etait extr&mement rare.Lesprcmiers soup- n"ort CCtte (*ons xnort d'un homme qu'on aurait du souhaiter £tre immortel,tomberent sur Fulvius,personnage consulaire ,zele par¬ tisan des lois agraires , attache au parti des Gracques, et un des triumvirs dans le partage des terres. II etait tout naturel de soupÿonner un tel personnage de cet attentat , vu que la veille ,publiquement, et dans l'assemblce du peuple,ilavait eU l'audace et la temerite de faire Scipion des menaces avec beaucoup de violence' et demportement. D'autres plus curicux et plus penetrans , vouLuent que ce coup

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lui eut dte portb par une main qu'il n'aurait point da redouter. Sempronia , sa femme ,laide et sterile , et pour qui Scipion n'avait tout an plus qu'une indiffe¬ rence bien marquee , fut accusee de s'dtre defaite d'un mari qu'elle n'aimait pas , et dont elle n'elait point aimee. On croit que Sempronia ne se porta & cette extremife , qu'aux instantes soliicitations de Cornelie, sa mere ,qui voulait se defaire do rennemi eternel de la maison des Gracques. Les assassins ,ajoute-t-on, furent introduitsde nuit par Sempronia elle-meme , dans la cliambre de son mari. Cette accusation est bien grave: et je ne sais s'il ne faudrait pas , pour y ajouter foi , des preuves plus fortes que des conjectures et de simples soup$ons. Quoi qu'il en soit du procede de Sempronia , on ne peut guero revoquer en doute qu'un coup aussi fatal ne soit parti d'une main attaclnie aux intents de3 Gracques , qui voulurent eteindre dans le sang de Scipion , l'animosite qui regnait entre les deux maisons , et venger la mort de l'aine des Gracques , dont on accusait, et avec assez de fondement , tous les Scipions en general , d'etre les principaux moteurs.

Par la mort de Scipion , la republique Elogeda se trouva privee d'un des plus grands Scipion.. liomines qui eut jamais paru dans Rome. Laperte que faisait I'etatetait d'autant plus grande ,que les grands hommes etaient extrememeat rares dans le siecle dont nousseasons i'lastoirciLarepublique se sentait

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deja de sa vioillesse. tile etait corome une mere epuisoe , ne produisant plus que des avortons et des demi-homines. Scipion , destructeur de Carthage et de Numance,etait fvls de Paul-tmiie ,va'mqueur de Persee. 11 avait etc adople par le ids du grand Scipion. £e hiiros reunissait datis sa personne le nom et los vertus des deux plusillustresmaisons de Rome. Sa jeunesse fut brillaute , et jeia beaucoup d'eclat. Dans un age on l'on econte rarement le langage de la raison , et ou l'on est rr.oins porte & se conduire par ses impressions, ilse distingua cigalementpar sa sagesse, sa moderation , son amour pour les belleslettres, par son courage et par se9 brillans succes. Dans un age plus avance , et dans le temps qu'il etait la fbudre des ennemis de Rome , qu'il faisait la gloire et I'honneur de sa patrie , et l'admiration de toutes lcs nations,iletait ,pour ainsi dire, le seul qui ne s'en apercevait pas , tant VelL Va~ sa modestie etait grande. II etoit ne si Vr™» ''t vertueux , et avec des inclinations si henreuses , qu ileut grand soin de cultiver et de perfectionnex par son travail , qu'un bistorien lui rend le glorieux lemoignage, qu'on ne vit jamais rien en lui que de louable , actions , discours , sentimens. IIest le seul heros de l'antiquite sur qui Is censure la plus severe n'a trouve aucune prise ,et dont elle ait respecte lacondnite. En effet , le tableau de sa vie ne presents rien que de louable , et rien qui ait besoin d'apoiogie. C'est le heros le plus accompli

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en tout genre de vertu et de merite. II reunissait en sa personne , et dans 1111 degre eminent , tous les talens qui font les grands conquerans, les grands hornmes d'etat, et les plus grands philosophes. Quelle perte pour un etat , que la mort d'un si grand homme ! Quels supplices lie meritent pas ceux qui out trernpe leurs mains homicides dans le sang d'un homme si universellement grand ! Revenons a noire histoire.

Caius , pour eloigner le souvenir d'un Etablhsecrime si odieux , essaya d'occuper les es- colonic""5 prits d'autres choses , et de les amuser Romsinc a de nouveaux projets. II fit proposer par Carthage. O. Rubrius , un de ses collegues dans le tribunal , de rebAtir Cartilage ,et d'y envoyer une color.ie Romaine. La proposi¬ tion souffrit d'abord quelque difficulte ; mais enlin elle passa k la plurality des suffrages. Gracchus obtint pour luiet pour Cains est Fulvius ,son ami ,cette commission. IIes- A0 perait que leur eloignement pourrait dissi- mission!" per , et faire tomber les soupÿons qu'on avait formes contr'eux au sujet de la mort de Scipion. Caius se trompa ; 011 peut dire que dans cette occasion,ilne se conJ"' " en habile politique.

cons odieux de la mort de Scipion , par son absence qui laissait le champ de bataille libre a ses ennemis ,ilne fit que les accroitre. Drusus , son rival ,cjni n'agissait que par rimpression du senat , ne cessait , dans loutes les assemblies , de bruits et les soup-

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rappeler toutes les indices qui pouvaient faire soupconner Fulvius ,son ami et son partisan , du meurtre de Scipion , et do faireretomber ,par contre-coup ,ces soup90ns sur Caius. La multitude qui ne se conduit que par lcs impressions qu'on lui donne , et quioublie facilement ceux qui lui sont les plus devoues , comnienÿa a s'accoutumer a Drusus , a lui donner sa aÿrome6"' conÿance » et a Per(dre de vue Caius. Celuia \ 1 , ÿ ÿ inform,e par ses amis , des progres de son rival , de l'accroissement de son pouvoir , et de la diminution de son eredit , accourut promptement a Rome. Mais quelque diligence qu'il fit ,ily arriva toujourstrop tard.Gracchustrouvaa sonarrivee un grand changement j et quelque habile qu'il fut , il ne lui fut pas possible de ranimer sa faction , et de la mettre dans ses inter£ts ,an point qu'il l'avait laissee. Opimius , qu'il avait eloigne du consulat l'annee derniere , fut4 eleve m«ilgre lul CGÿe supreme dignttd. Pour lui il se tribunat. V1ÿ exclu de celie de tribun , a laquelle il esperait d'etre nommdpour la troisieWe fois. On pretend qu'il avait pour lui la plurality des suffrages ; mais que les tribuns , ses collogues , par un esprit de vengeance et de jalousie , supprimerent injustement une partie des bulletins, que par cette prevarication , ils donnerent "Entrc t* ÿ aiuS lexclusion du tribunat. inouiePdue , nouveau consul , de concert avec nouv«att \e senat , ne vit pas plutot Caius reduit consul, «(, la condition de simple particulier j quÿ

R 0 M A IN E. Liv. Pill. 91 forma le projet de faire casser les lois des Ay. M.Gracques. II faut remarquer que ce 5ÿ6- ÿ consul etait l'ennemi declare de la famille /jg Sempronia , et qui avait voulu rejcter sur An. R. Caius la revolte de la ville de Fregelles. 651• Par toutes ces considerations , plulot que par zcle pour les inter&ts de la patrie , le consul paraissait tout determine a finir le differend qui etait entre le peuple et les nobles par le massacre de Caius. Opimius , qui etait d'un caractere fier et hautain , par une entreprise sans exemple dans la republique , de lui-meme , et sans etre avoue ni du peuple ni du senat , effaÿa le decret qui ordonnait le retablissement de Carthage. IIfit proposer par un tribun la suppression des autres lois des Gracques. ÿL'assemblee fut indiquee j et pour faire passer sa proposition de vive force , si 011 refusait de le faire de bon gre , il introduisit dans Rome un corps de troupes de Candiots , qui etaient a la solde de letat. Ce corps de troupes etrangeres lui servait d'escorte. Soutenude cette troupe ,ilinsultait publiquement d Caius , le chargeait d'injures et d'invectives pour l'irriter el lui donner lieu do le faire tuer. Que ce magistral fit paraitre en toute oc¬ casion sa passion et le desir de so venger, cela n'est pas si etonnant : mais que le Senat , une compagnie si sage , autorise un tel personnage , et lui donne une autorite sans borne pour venger ses querelles particulieres ,cela est tout-a-fait surprenant et inconcevable.

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Le jour de l'assemblee ,dans laquelleoii devait decider si les lois des GracqueS auraient vigueur , ou si on les supprinieÿ rait ,elant venu , le consul, accompagne de tous les nobles ,et Caius ,suivi detoute la multitude , s'emparerent du capitole. Le consul , Suivant l'usage , fit son sacrij Menrtw foe. Un de ses licteurs , nomme QuintusAntyilius f Antyllius ,portant en ses mains les entrailles de la victime ,se mit a crier ,et adressant la parole a Fulvius et a ses partisans, qui etaient autour de lui en grand nombre: Faites place,mauvais citoyens que vous etes; rangej-vous , et laissej passer les gens de luen.Un discours si injuricux,accompagne, dit - on , d'un geste de main insolent ex rneprisant, irrita ceux qu'il attaquait d'une manicre si indecente , quo les offenses se jettent sur lui , et le tuent k coups de poin90ns de tablettes. r.-'jus en Gracchus parut tres-fache de ce mcuresi L>che. tve . cn qe vjfg rCpr0Cfos a ses pa1'' tisans , et leur fit remarquer qu'ils avaient donne a lours ennemis le pretexte quds cberchaient depuis long-temps de repandr® le sang de leurs concitoyens. Le senat., as' semble par ordre du consul ,ordonne poÿ la mort d'un simple lictcur , comme il aurait fait dans les plus grandes calamity de. la republique , que les consuls eussent a pourvoir qu'il n'arrivat aucun donvmagÿ Comluite a Ietat. On voit clairement. que c'ost 1ÿ a" Pa8S*on 1 la vengeance et l'avarice qtii tCintyi. donnent le branle a ce corps , d'aillexn'S bus. si respectable. Le silence qu'il avait garde

8ur la mort de Tibere , qu'on avail si indignement massacre dans le caj'itole , e-t dont on avait jete le corps nans la Tibre , manifesto les intentions du senat, et montre que ce n'est pas le bien de la republique qu'il cherche dans ses demar¬ ches d'aujourd'hui , mais ses propres interets. IIpleure ,ilse lamente , ilescorts en pompe le convoi d'un miserable huissier , ot charge le consul de pourvoir a la surete de l'etat , comme s'il s'agissait dn plus grand des malheurs , tandis qu'il se tait sur la mort de Tibeve et sur celle de Scipion. Indigne comedie , et peu seante a un corps aussi venerable. Opimius ,en vertu du decret du senat , fait prendre les amies aux patriciens et aux chevaliers ; en memo temps il fait Le consul citer Ca'ius et Fulvius a venir en personne U\'r rendre compte au senat de leur conduite. ia que rile Ceux-ci n'euient garde de repondre a une par la voie pareille sommation qui les livrait. entre ÿes auups' les mains de leurs ennemis , leurs parties et leurs juges. Fulvius , persuade que lo consul voulait pousser les choses a bout , et qu'il avait clessein de terminer la que- velle par la perte de sa tete et de cello l'e Ca'ius , se donna beaucoup de mouveÿens tout le reste de la journee , pour i'amasser du monde ,leur faire prendre les armes , et se mettre en etat de repousser force par la force. Pour Ca'ius , il no parut pas penser du tout a se defcndre. " aurait souhaite venir a un accommodeÿ0l}t5 et finir cctte grande affaire par voio

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de negotiation. IIrcnt'ra chez lui accornpagne dune asseÿ grande tjuaiititti de pouple , dont la plupart passereirt la nuit a sa porte , afin de lui marquer leur zele et leur r.ttachement.

Fulvius , qui etait venu a bout de faire ÿ prendre les armes a un asscz grand nombre de gens du simple peuple , se love de grand matin , et va s'emparer avec sa troupe du mont Aventin. Caius se disposa a le suivre. Licinia sa femme fit de tondrcs et inutiles efforts pour s'y opposer. U s'arracha doucement d'cntre ses bras,et alia ,accompagne de ses amis , se joindre ÿa Fulvius. IIetait si cloigne d'en venir a une action , qu'il se rendit sur 1c mont Aventin avec sa robe ordinaire , et sans armes , a l'exception d'un poignard qrin mit sous sa robe. Des qu'il eut joint Ful¬ vius,c6mme ildesirait sincerement la pa1*' et qu'il avail une veritable envie de tout terminer & l'amiable sans effusion de sangi ne voulant avoir rien a se reproclrer ,11 fit agreer ik Fulvius d'envoyer au consu un depute pour lui demander la paix ,e} lo'prier d'epargner le sang de ses concitoyens. Le plus jeune des enfans de F»y vius,age d'envtrondix-huit ans ,fut cbarg0 de cette perilleuse ambassade. Ce jeune 1 homme , qui etait d'une rare bcaute > £0 presente au consul ,un caducee a la et lui fait part de sa commission. La plupart des senateurs qui etaicr) bien intentionnes , trouvaient la proposi¬ tion raisonnable , et ne s'eloignaient paS

R O M A IN E. Liv. VIII. 95 d'entrer en ndgociation avec les chefs du peuples. Mais le consul , qui etait cruel IIrefuse par caractere , et qui choreliait a venger sa cause personnelle ,en feignant cle veil- sjÿons de ger celle du public , s'y opposa. IIrepon- paix. dit au fils cle Fulvius , qu'il n'y avait point de paix a attencire : qu'il fallait que les revoltes vinssent d'eux-memes se sournettre & ce qu'il plairait au senat de statuer sur leur sort. II renvoie avec cette here reponse , le jeune ambassdfÿHv ,et lui fait des defenses tres-expresses „ et sous de grieves menaces , de comparaitre davantage devant lui , sinon pour lui apporter la soumission de Caius , et celle de son pere. Caius , pour prevenir l'effusion du sang qu'il prevoyait £tre inevitable , etait tout rdsolu d'obcir , et de venir se pre¬ senter ausenat pour justifier sa conduite au tribunal de cette compagnie. Mais , par malheur pour lui , et pour tous ceux qui lui etaient devoues , ses amis s'y opposerent. lis l*emp£cherent de faire une de¬ marche qui les aurait sauves tous en rendant la paix a la republique. On renvoya II iViar«une seconcle fois le jeune Fulvius. Le con<-..1 : • ÿ . 1 tulvius et sui mquiet , et ne respirant que le sang ,caius. sans mettre l'affairo en deliberation , fait arr£ter le jeune ambassadour , et marche en bon ordre de bataille contre Fulvius et Caius. [I les fait charger par ses Candiots qui a coups de traits eurent bientot dissipe la petite armee cle Fulvius. Les senateurs et les chevaliers prirent part & ce combat. lis se jeterent, l'epee a la main 9

cS Histoids dans la foule , faisant main-basse , tuant et massacrant tout ce qu'ils rencontraient. II perit dans ce combat trois mille hom¬ ines. Fulvius , voyant la deroute de son armee, essaya de se sauver par la fuite. II alia se cacher dans an bain public , dont on ne faisait plus aucun usage. II n'y fut pas long-temps sans etre decouvert. IIfut tue dans ce faible asile avec son bis aine. Pour Caius , que personne ne vit ni combattre , ni tfeÿ - i'epee , tant il etait pe¬ lletre de doÿeur de voir couler le sang de ses concitoyens , (car cen'etaitniman¬ que de courage , ni ignorance de la pro¬ fession des armes ,ayant en plusieursren¬ contres fait preuve de l'un et de l'autre ), Moitde il se retira dans le temple de Diane. La, d"Caius6' Pour ne Pas tomÿer cntre les mains de ses ennemis ,ilvoulut se tuer , et faire usage du poignard qu'il avait porte avee lui.Pomponius et Licinius,ses plus fidelles amis le lui arracherent , et l'engagerent k prendre lafuite. Arrive a un pont ,ses deux amis, qui ne l'avaient jamais abandonne , qui voulaient partager avec lui sa malheur reuse destinee ,et lui procurer m£me ,s'il etait possible , la facilite de se sauver , tinrent ferme a la t6te du pont , et arr&terentparleurcourage pendantquelque temps ceux qui etaient k la poursuite de Caius , qui ne purent passer outre qu'apres avoir tue ces deux braves Remains.

Cependant Caius etait parvenu a un petit ÿbois consacre aux furies. Ce bois fut bienÿot bloque , et entoure d'une multitude d'enriemis ;

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d'ennemis, qui, a l'envides uns des autres, ambitionnaient de tremper leurs mains dans ie sang de cet illustre Romain , et d'en porter Ja tete au sanguinaire consul, qui avait promis de Ja payer au poids de l'or.Cams vovant qu'il ne pouvaiteehapper a ses emiemis , se fit tuer par un nomme Philocrates , son esclave , qui lui etait extremeinent attache. Co pauvre malheureux n'ayarit pas le courage de survivre a un maitre qu'il aimait si tendrement , se tua lui-ncv&me sur le corps de celui dont il deplorait la mort. Le cadavre de cet illustre et genereux defenseur de laliberie Romaine eut ie meme sort que celui de Tibere son frere. IIfut jete dans le Tibre , k 1'exception de sa tete qui fut pertec au consul par un certain Septin, less y son ami et sa creature. Ce barbare eut la lacbete et la cruaute d'en oter la ceryelle , et d'y coaler en la place du pioinb fondu pour la rendre plus pesante. Le consul s conformement a la promesse qu'il avait faite , lui fit peser , sur le champ , dixsept livres et demie d'or , qui etait juste* ment le poids que se trouva peser la t£te de Caius.

Le consul, dont la haine implacable ne Cruaute put &tre assouvie par le sang de ces illus- du consuh tres victimes ,qui perirent dans Ie combat ou dans la fuite , etendit sort injuste ressentiment sur tout ce qu'il put decouvrir d'amis ou de partisans des Gracques. Le jeune Fuivius ,qui lui etait venu apporter des propositions de paix , et qui etait Tome IF. E

93 Hist- oi re pleinement innocent des pretendus crimes de son pere , ne fut pas m£me epargne. Opimius le fit etrangler dans la prison. Lo consul ajoutant l'insulte a l'jnhumanite , pour eterniser la memoire d'un cvenement si tragique ,n'eut pas honte de faire batir un temple k la Concorde. Ce sacre monu¬ ment fut regarde par tous les gens senses , comme le monument , nou pas des soins pacifiques qu'Opimius se fut donne pour venir k bout d'amener ses concitoyens k uneparfaite union,mais comme le monu¬ ment de ses fureurs , de sa vengeance et de sa cruaute. C'est ce que portait un vers qu'on trouva grave au-dessous de l'inscription qui etait sur le frontispice du temple. Le peuple , de son cote , se reprochant d'avoir abandonne les Gracques k la fureur de leurs ennemis , leur rendit apref) Honneurs ieur mort de grands honneurs , leur fit Grac- ÿ"Ser des statues en public , et consacra les lieux ou ils avaient ete immoles , par les sacrifices et les pridres qu'ils y faisaient presque continuellement.

Opimius , sort qu'il ne put arrdter ces demonstrations de reconnaissance ,d'honneur et de respect ,soit qu'il comprit bien que tous ces honneurs etaient steriles ,et ne tendaient &rien d'etfectif , s'en mit peu G-*ac1S en Pe*ne » n'y ÿ aucune opposition. II s'attacha k aneantir les lois agraires ,k eteindre jusqu'au souvenir des Gracques. De concert avec un tribun ,ilfit premierement cesser toute perquisition et toute recherche au sujet du partage des terres»

11 a!la plus loin;ilparvint 4 faire declarer que ces mSmes terres resteraierit en toute propriete aux possesseurs , sans qu'on ptit jamais leg troubler dans leur possession , moyennant une redevancc ou un cens proportionne que payerait annuellement chaque proprietaire ;et que le produit de ces rentesserait distribue auxpauvres citoyens. Ilne fallut point d'autre appat pour seduire le peuple. IIre$ut cette loi,et, par lapu¬ blication qui en fut faite ,celle des Gracques tomba absolument : puis il fit lever ladefense portee par laloiLicinia de vendre ou d'aliener ces sortes de terres. Enfir* peu de temps apres on ne parla plus do cens et redevance : et un infidelle tribun , sous pretexte que les nobles payaient uu assez grand tribut 4 la republique par les services qu'ils lui rendaient dans les differentes dignites dont ilsetaient rev£tus,delivra ces terres de toute redevance ,et les declara franches et libres de toute censive. La revocation des lois agraires mit les UinrpiJ grands et lesriches fort k leur aise. Comme ÿon ,des ils ne craignaient plus d'etre troubles dans eran s" leurs possessions ,chacun chercha k etendre les bornes de son domaine le plusqu'il put. Ce fut a qui acheterait ,ouk qui s'emparerait le premier de l'heritagedeson voisin. Ainsi', par un enchainemerit d'artifices et de violences , ces terres, dont la conqu£te avait coute 4 la republique le sang leplus pur ,la vie 4 une infinitede braves Romains , et dont la revendication avait 4oun<S dans tous les siecles tant de peines

a

HlSTOIRE

et de soins a tous les tribuns zeles pour les interets du peuple , ct avait fait massacrer en dernier lieu les deux Gracques; ces terres ,dis-je , resterent enfin en propriete aux grands et aux riches de Rome ,qui en avaient fait leur proie et leur conquete particuliere.

Eloge dcs Jo n'ai rien a ajouter ici pour la justi- Giacqies. £cati0I1 cje Caius. Ce que j'ai dit pour Tibere son frere fait egalement l'apologie de Caius. A qui pourra-t-on persuader que deux hommes contre qui le senat , do l'aveu meme de ceux quiles blamenf et les accusent de seditieux , n'a employe que 1'artifice , l'iiqustice , la violence et la cruaute ,sor.t des revokes ÿ. Si ce sont des revokes , pourquoi leur elever en public des statues , et leur eriger des trophees d'honneur , comme aux defenseurs et k des victimes de la liberte ? Si ce sont des factieux , pourquoi blamer le consul et le senat d'avoir mis leur tele a prix , et de les avoir fait pcrir ? IIn'y a point de mi¬ lieu. Oules Gracques etaient des seditieux et cles chefs de parti , et en ce cas on no saurait assez prodiguer les lonanges au consul et au sdnat quidefendaient la republique : ou bien les Gracques soutenaient les internes publics , et alors le senat est digne de toute la haine et de 1'indignation de tous les gens de bien ;et la memoire des Gracques dignes des eloges et de l'adaniration de la posterite la plus rdculde j e'est ce qui est arrive en effet. Opimhis, ce sauguinaire etvindicatif consul ,fut a peine

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sorti deson consulat * ,qu'il fut traduit en justice (levant le peuple. II est vrai qu'il fut renvoye absous ; mais ce fut moins par (conviction do son innocence que par la frayeur de lamultitude ,qui n'utait pas en¬ core revenue de l'etourdisseinent que lui avaient cause les coups eclatans de la ven¬ geance des senateurs. Ce consulaire ne Exild'Oporta pasloin lajuste peine quo meritait sapnmttS* cjuaute. Comme iletait aussi avide de richesses qu'iletAit horarae de sang, ilno put tenir contre lesliberalites de Jugurtha ,roi de Numidie. II lui vendit sa protection , son suffrage et son honneur , et laissa le prince Numide en possession de son usur¬ pation. A sonretour d'Afrique ,ilfutaccuse juridiquement. Sa cause ayant eteinstruite, on le condamna a un exil perpetuel ;traitement bien leger pour unhomme qui avait fait regorger Rome du sang de ses concitoyens , et qui par son avidite avait deshonore chez les nations etrangeres le nom Romain. II passa son exil dans une honteuse et ennuyeuse vieillesse , detoste de tout le peuple et meprise des grands. En vain on opposerait contre lesGracquesl'autorite legitime du senat et du consul :par* la constitution de la republique , ni l'un ni l'autre n'avait aucun droit sur un tribun

*L'annee du consulatd'Opimius fut abdndante en toutes sortes d'excellens vins , qui parvinrent tous cette annee-la au plus parfait degre de xnaturitc et de bonte. Its se conserverent des siecles ,et on en buvait encore du temps de Pline t deux cents ans apres qu'ils avaieat efd fails,

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cn place , dont la personne etait regarded comme sacree , et encore moins sur le3 lois qu'il avait fait passer et autoriser du sceau de l'approbation du peuple Romain. Ainsi on ne peut regarder que comme un attentat enorme l'atteinte que le senat et le consul y donnent aujourdTiui,et l'usage qu'ils font de leur autorite , que comme line tyranniecruelle ,inouie,et sans exemple jusqu'alors. Ce qui trompe la plupart des auteurs au sujet aes Gracques , et qui fait qu'on les regarde comme des factieux qui ont bien merite lamort qu'ils ont soufferte , c'est que le conimun des honmies juge de l'equite d'une cause par le succes. Si les Gracques eussent triomphe des grands et des riches , qu'ils fussent enfin parvenus a conduire k une heureuse fin les lois agraires ,tous les historicns leur rodigueraient les eloges ; ce seraien* des ommes immortels , incomparables , et dignes des applaudissemens de tons les sidcles. Telle est la judicieuse reflexion que fait un auteur qui avoue ingenument App. de que les lois agraires des Gracques auraient *eLl$cfvl1' dte tres-utiles k la republique , si leur p' ' entreprise exit eu le succes qu'ils s'etaient propose.

Retraite Pour ce qui est de Cornelie leur mdre , ne Common Croit qu'aussitot apres le massacre de Tibere elle se retira k Misene. Ce fut d6ns cette solitude qu'elle apprit la mort de Caius son second fils , et qu'elle y recut son corps que quelqu'ami zele et fideiie prit soin de retirer du Tibre, Son merite

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dtait si connu et si celebre , qu'il attirait dans sa retraite tout ce qu'il y avait dans la republique de personnages distingucs , soit dans les lettres , soit dans le gouvernement, qui se faisaient un vrai plaisir de venir s'entretenir avec une femme si vertueuse et si eclairee. Elle soutint avcc une fermete heroique le sort malheureux de ses deux fils. On ne la vit ni pleurer ni gemir. Cette heroine aurait cru deshonorer leur mortpar ses larmes. Les lieux sacres ou ces deux victimes de la liberie et de l'amour de la patrie avaient ete immolees , etaient , disait-elle , des tombeaux dignes des Gracques.C'est ainsi que l'heureux naturel de Cornelie , cultivd par une excellente education , l'elevait au-dessus d'elle-mÿme et la faisait triompher de ses disgraces. Le peuple Romain etait si charme et si pleind'admiration des vertus de Cornelie , qu'il lui eleva , tant par consideration pour elle-irÿnae ,et pour ses deux fils ,que par estime pour Scipion son pere , une statue de bronze sur laquelle elait gravee cette inscription : Cor¬ nelie ,mere des Gracques. Le peuple Ro¬ main,parces deux mots,voulaient immortaliser le merite de la mere et celui des enfans.

L'histoire des Gracques , que la liaison des faits et la commodite du lecteur nous ont force de donner de suite , nous a oblige de laisser en arriere plusieurs traits d'histoire que nous reprenons maintenant. Ces faits ne sont ni en grand nombre, E.4

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ni fort importans , et assez souvent depourvus do bons garans ;aussi ne ferai-je , Cmelle pour ainsi dire ,que les indiquer. La peste pcste en ravagea l'Afrique d'une maniere tout-a-fait nque. desolante. On pretend que ce flciau de la vengeance divine fit perir un million Am. M. d'hommes. L'occasion de ce malheur lut

ÿ un nombreinfini desauterelles ,qui ,apres jCjV ' avoir gate tons les grains et tons les fruits ,

An. R. furent emportees par un vent violent , et submergees dans la mer. Mais les flots ayant rejete sur les cotes les cadavres de ces animaux , il s'en forma des monceaux si prodigieux et si puans , que l'air en fut infecte et corrompu , au point que la peste se mit. et parmi les hommes ,et parmi les animaux.

Conquete Get espace de temps nous presente la tie la Dai- Dalmatic vaincue et subjuguee , de m&me des1lies' clue les habitans des iles de Majorque et Baleaies. de Minorque domptes par les armes victoM,rieuses des deux Metellus. Ces avantages aV.J. C. meritsrent aux generaux Komains les honiio. ncurs du triomphe.D'eux-memes,a l'exem(.5An' r pie de Metellus Ma.cedon.icus , iIs prirent '5 id.ibid. *es sumoms fastueux ,1'un de Dalmaticus , Fior. i. 5. et l'autre de Balearicus , sans les avoir

bell. Va faille 1ransalpine fournit aux KoIilyr. p.mains une source presque intarissable de 7Conqu6tes victoires et cle triomphes. Les peuples que de$Ro- nous appelons aujoufd'hui Savoyards , dan'ÿla L)auphinois et Provengaux , compris sous

Uanl« a nom Salluviens Salluvii , ennemis pternels des Marseillais , ne cessaient d&

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vexer et do harceler celto colonie etran- Transitgure,dont l'accroissement leur faisait beau-P'j!*ÿ { , coup d'ombrage. Les Marscillais ,qui de- c 2[ ' puis long-temps etaient sous la protection ties Romains , implorerent le secours de leurs armes contre les insultes de leurs ennemis. La republiquo , qui ne songeait Aw. M. qu'a etendre les bornes de son empire , 388s. saisit avec empressement l'occasionde pas- ,\LV' J' " ser les Alpes ,dans l'esperance d'y etablir An. R, un jour solideinent sa domination. Elle y envoya le consul Fulvius , l'ami de lPu- ÿ °' C. Gracchus. Les exploits de Fulvius en Gaule ne furent ni rapides , ni conside¬ rables. Cependant ils ne laisserent pas de lui valoir l'honneur du triomphe , par la facilite du senat a accorder ces honneurs presque indiffdremment , et sans distinctionde merite. C.Sextius succedai Fulvius An. M. dans le commandement des armees en Gau- 3885. le. Ce nouveau general se distingua beau- Av- J C, couppar sa sagesse et par les victoires qu'il ~an R. remporta sur les Salluviens. •Comme ilen- 6ÿ8. trait dans les vues do sa republique, iltravaillaaretirer le fiuit de ses victoires d'une maniere durable , utile aux projets ambitieux de ses maltres , et glorieuse k sa mexnoire. IIjeta les premiers fondemens d'un etablissement dans les Gaules. 11batitune ville,nui,a cause dessources d'eaux chaudes et froides dont le pays abondait ,et a cause du nom du fondateuv , fut appelee Aqu& Sextia , aujourd'hui Aix , capitalo de la Provence. SJn service aussi important fut xecompense de rhonneur du triomphe. F, 5

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La conqu£tc du pays des Salluvien? f que venait de faire Sextius , general Romain , ne fut pas la fin de la guerre. Teutomalius leur roi, se retira chez les Allobroges , peuples qui habitaient le pays qui est entre l'lsere et le Rhone ,qui le re9urent avec beaucoup d'humanite. Cos peuples jaloux des rapides progres que faisaient les Romains dans les Gaules ,entreprirent hautement sa defense. Pour s'as¬ surer du succes de leur entreprise , ils mirent les Auvergnats dans leurs inter£ts, nation tres-puissante et tres-belliqueuse. Ces deux peuples conclurent entre eux une ligue offensive et defensive. Ils ne voulurentpas attaquer directement les Romains. Les Eduens ,qui habitaient entre la Loire et la Saone , et dont les villes principals etaient celles que nous connaissons aujourd'hui , et que nous appelon9 Autun , Chalons , Macon ,Nevers ,furent 1'objet contre qui les nations confederees tournerent l'effort de leurs armes. lis allerent fondre sur leur pays ; et y porterent la desolation. Les Eduens , qui etaient ,de tous les peuples de la Gaule Transalpine, les premiers qui avaient recherche Tamitie des Romains ,eurent recours & eux. lis leur demanderent le secours et la protec¬ tion qu'ils etaient en droit d'attendre de M. fidelles amis. Sur le champ Rome donna Av5 J C 0rÿre ÿ Domitius Ahenobardus de mar319.' ' cÿer > sans differer ,ausecours des Ecluens.

Ah. R. Les puissances liguees ne lui donnerent ÿ5o4 pas la peine de venir les cheicher. Jilles .

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se mirent en campagne , et vinrent audevant des Romains jusque dans leur nouvelle province aupres d'Avignon. Lorsque les deux armees furent en presence l'une de l'autre ,elles netarderent pas a se tater. La bataille se donna en ce lieu-la m6me. Lavictoire balanÿapendantquelquetemps ; maisenfin ellese declara pour les Romains, qui tuerent vingt mille hommes des ennemis , et en brent trois mille prisonniers. Quelques auteurs ont voulu attribuer la defaite des Allobroges et des Auvergnats aucouragedeselephansplutotqu'alavaleur des legions.

Un si rude coup ne fut pas capable av. Mi d'abattrele courage des deux peuplesligues. 3S -6. lis assemblerent de nouvelles troupes au y.T" J nombre de deux cent mille hommes. Avec a>\ K. cette nombreuse et formidable armee , ils S5i. marcherent contre le consul Q. FabiusMaximus,dont l'armeenepassait.pastrente millehommes. Bituitus,roidesAuvergnats, qui commandait l'armee des allies , se croyait si assure de la defaite entiere des Romains ,vu leur petit nombre,qu'il.osait presqueleur insulter.Sa defaite precedente aurait du luiapprendre & 6tre plus modeste et plus retenu. Le succes ne repondit pas a l'esperance dont il s'etait flatte. Lecom¬ bat s'engagea vers le confluent de l'lsere et duRhone ,ou se rencontrerent les deux armees. LesGaulois furent defaits et tallies en pieces. Ils perdirent dans cette action six vingt mille hommes.

Cettevictoire aurait fait beaucoup d'honE 5

lofl

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neur au 110111 Remain ,si un de leurs gene-raux , Domitius , n'en eut souille l'eclat par une perfidie dont les nations los plus barbares auraient rougi. Ce general , sous pretexte de traiter de paix et d'accommodement avec le roi Bituitus , qui depuis sa derniere defaite , avait fait les premieres avances pour en venir a une ntigociation , engagea ce prince a venir. le trouver dans son camp. Bituitus , sans rien soup9onner , et se confiant sur les droits des gens , so rend dans le camp de Domitius. Mais k peine y est-il arrive qu'ii se trouve charge de chaines, et force de faire le chemin de Rome en ce triste et humiliant equipage. Le senat improuva la perfidie de son gene¬ ral , mais il n'en voulut pas perdre le fruit. Dans les beaux jours de la republique .l'honiietete l'aurait emporte sur toule autre consideration ; mais les temps ne sont plus les m6mes.

Les deux generaux Romains, Fabius et Domitius , par une nouveaute inconnue jusqu'alors ,dresserent l'un et l'autre,chacun sur le champ de bataille , des trophees de leurs victoires , qu'ils ornerent des depouilles et des amies des ennemis.. Ensuite ils prirent la route de Rome , oil ilsrentrerent entriomphe.Le plus belornement de cette ponqieuse ceremonie , fut le roi Bituitus , dont l'injuste detention. eouvrait de honte les Romains , et l'hor.oraitlui-mdme.Depuisce temps-la les Allobroges et les Salluviens. demeurerenfc soumis a.la regublique, Ces conquetes lui1

R 0 M A IN E. L'lV. VI1T. 161) procurerent les occasions d'etendre peu k peu sa domination dans les Gaules ,et de s'y etablir solidement.

Cependant la depravation faisait k Rome Corrupt des progres immenses ,et gagnait tous les ÿ etats. Llle se glissa merne dans l'ordre de Rome. la republique qui aurait du en etre moins susceptible ,et &tre, par la gravite de ses mceurs ,le model-e de tous les ordres de l'etat ,comme il en etait le chef par la grandeur de son autorite et de sa puis¬ sance. Trente-deux senateurs ,chose dont Trenteon n'avait jamais vu d'exemple ,furent de- t<ÿ"rjdsÿna" grades de leur dignite , et retranches du egra" corps senatorial. Trois vestales ,atteintes An. M. et convaincues d'avoir viole leurs engage- c mens , furent condarnnees et punies du II2. supplice ordinaire porte par les lois. Ces An. R. exemples, etun grand nombre d'autres que • • 1 ? ° ' runition ]e pourrais rapporter, mais que je passe de nois sous silence pour abreger ,nous font voir vestales. a quel point etait montee a Rome la cor- iÿlWm' ruption dans les mceurs. La depravation se an. m. glissant de proche en proche , avait gagne et infecte tous les ordres de Ja repu' ' blique et pi-esque tous les particuliers. Le An, R, senat ,pour en arrÿter le cours ,et donner un frein , s'il etait possible ,a ce deluge de vices ,eut recours aux dieux. On fit batir un temple a la deesse Venus , sous lenomde Verticordia ,pour marquer qu'elle avait le pouvoir de changer les coeurs. II Lit arrete que la statue de cette deesse serait placee et dediee dans ce nouveau sanctuaire ,par la femme la plus vertueuse;

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de Rome. La difficulty iut de la trouvef. On parvint a la decouverte de ce phenix. par le choix de cent d'entre elles que firent les dames Romaines. Ces cent en elurent dix , au choix et au jugement desquelles on s'en rapporta pour nominer celle qu'elles croiraient la plus vertueuse et la plus digne de consacrer la Statue de la decsse. Enfin,ces dix dernieres elurent unanimement ,par voie de suf¬ frage, Sulpicia, fille de Sulpicius-Paterculus. Ce choix ,qui declarait Sulpicia la femme la plus sage et la plus vertueuse de Rome, etait extr£mement gloriev.x pour elle. A ce sujet on se rappelle que Scipion Nasica fut declare, par un arrdt du senat , le plus homme de bien de la republique, Ct depute en cette glorieuse qualite pour aller recevoir la mere des dieux qui ,de la ville de Pessinonte en Phrigie ,arrivait a Rome.

§. IV. Guerre de Numidie. Origine de Jugurtha. Ancetres de Jugurtha. Gain et Masinissa sen fils. Jeunesse de Ma¬ sinissa. Variete de lafortune. Succes de Masinissa. Ses disgraces. 11 va joindre Scipion au sidge d'Utique. II recouvre son royaume. Ses prosperites. Scipion console et recompense Masinissa. Sci¬ pion partage la succession de Alasinissa. Micipsa. Jeunesse de Jugurtha. 11sert en Espagne au siege de Numance. 11 se fait vne grande reputation. II retourne en Afrique. Micipsa I'adopte pour son fils-

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Mort de Micipsa. Jugurtha se defait de Iiiempsal. 11 bat Adherbal et le detrone. 11met le senat dans ses interets. Decret du senat. Collusion d'Opimiuet de ses collegues. Jugurtha fait de nouveau la guerre a Adherbal. 11 le defait dans une bataille. 11 tassicge dans Cyrtha. 11 corrompt les deputes du senat. II presse le siege de Cyrtha. Adherbal emploie le secours de Rome. Deputation du senat en Afrique. Jugur¬ tha corrompt les deputes. II reduit la ville de Cyrtha. Mort cruelle d'Adherbal.

Laguerre de Jugurtha est une des par- o,I(,rT<.ÿe ties de l'histoire Romaine des plus inte- Numiais, ressantes ,soit & cause des evenemens qui furent extr&mement varies , soit a cause desinquietudes et des alarmes qu'elle causa c Rome ,soit enhn par la lachete,l'avaiice et 1'incapacite de plusieurs generaux Re¬ mains,qui exposerent souvent les armees, se laisserent battre ,et subirent honteusement le joug des Numides. Mais ce qui rend l'histoire de cette guerre tres-consi¬ derable, et fort propre a piquer la curiosite du lecteur ,e'est la main et la plume du celebre Salluste qui nous l'a decrite, Bans un style serre et concis ,cet incom¬ parable auteur trouve le moyen de dire tout et de ne rien omettre. Ses paroles sont presqu'autant de pensees,et ses pensees renferment souvent un nombre dc beautes de differens genres. Avant que de

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commencer l'lristoire de cette guerre ,il est & propos de reprendi'e les choses de plus haut , et de connottre Jugurtha ,sa niaison et ses anc£tres. Une histoire abregeo des rois de Numidie ,va nous mettre au fait de tout cela ,et nous en donner une idee juste et precise. Origine de Jugurtha descendait des anciens rois de Numidie , dont les peuples s'appelaient c. 29-39.' Massvliens Orientaux, pour les distinguer Fior. i. Jes Massyliens Oceidentaux , qui obeisC- 11 saient k un autre souverain. Mais les uns et les autres sont plus connus par le nom de Numides ,nom qui etait comraun aux Ancetres deux nations. Ceux des ancetres de Jude Jugur- gurtha qui se sont rendus rccommanda- tha* bles par leurs actions et par lours belles quaiites, sont Gala et Masinissa son his. Gala et Gala , jaloux des progres que faisait Sy- Masinis- phax son voisin, roi des Numides (appoles sa.sonh i.Mazcesuluns,dont la domination s'etendait au couchant du cote de la Mauritanie) ht Epit l.6i- alliance avec les Carthaginois. Ce prince, (>1-66-67. apres une precaution si sage , mit Masi¬ nissa a la t&le dune puissante armee,et l'envoya contre Syphax son rival. Masi¬ nissa , qui n'etait alors age que de dixsept ans ,se distingua b'eaucoup dans cette guerre par son courage et par sa prudence. Son coup d'essai fut un coup d'un general consomme dans l'art militaire. Sypl'aÿ fut vaincu , chasse de ses etats , et: oblige de chereher un asile dans la Mauritanie, chez les vois ses voisins. Gala etaut mort,les affaires prirent une'

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tournure toute autre. Son rovaume , conformement a un usage qui etait en vigueur parmi les Numides ,passa k son frere, et non pas a son fils. Le nouveau roi ne Jeunesia survecut pas long-temps a son frere. IIeul de 1 pi «. « . nissa. pour successeur Capuca son his ainc , qui etait alors dans un age fort peu avance. Ce jeune prince , force de prendre les armes pour etouffer une sedition de rebelles , perit dans un combat. Le chef des revokes ,appele Mezetulus ,de la famille royale ,mit sur le trone Lacumace , frere du jeune roi qui venait d'etre tue dans la bataille. IIlui donna le nom et la qualite de roi , se reservant pour lui toute l'autorite , sous le nom modeste de tuteur du prince.

Masinissa , qui servait alors en Espagne Vsriae <!ÿ pour les Carthaginois contre les Romains ,la tonune. informe de la mort de son pei*e , de son oncle , de son cousin , et de 1'usurpation de Tautorite royale qu'avait fait Mezetu¬ lus ,a 1'ombre du jeune prince qu'il avait place sur le trone , forme le noble et gcnereux dessein d'aller detroner l'usurpateur , et de revendiquer la couronne de ses pcres. IIquitte l'Espagne , passe sans differer en Afrique ,et se met en etat d'attaquer l'usurpateur. Comme il avait eu soin de donner avis a ses amis et a ceux qui l'avaieut ete de son pere , de son arrivee prochaine sur les conlins de la Nu- Succhs de widie, cinq cents Numides se rassemblent Masiuisaa» et vont se reunir aux troupes qu'il avait deja sur pied. Avec cede armee ,dont 1«

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< I nombre no devait et ne pouvait lui inspirer une juste confiance de reussir dans une entreprisc aussi difficile ,ilse met en snarche. IIva au-devant du jeune monarque , qui venait a lui avec une bonne et nombreuse armee , commandee par le tyran. Les deux armees se rencontrerent aupres de la ville de Thapse. La crainte et l'effroi ayant saisi celle du roi usurpateur, elle se retira avec precipitation dans la ville. Masinissa, dont lasagesse egalait le courage , s'etant arpergu de l'alarme qui rcgnait dans l'armee ennemie , attaque dans le moment mfeme la ville de Thapse , et la prend dupremier assaut. II regut dans son armee ceux des troupes du roi qui voulurent se rendre a luide bonne foi , et fit massacrer tous coux qui se snirent en etat de defense. Le bruit de ce succes par ofi notreheros debutait , lui attira un grand nombre de Numides. Les vieux soldats qui avaient servi sous Gala son pere ,vinrent en foule de toutes les campagnes et de toutes les villes grossirson armee, pour1'aider & fan'3 sans aucun delai la conqu6te du royaume de ses peres. Avec ce renfort qui composait une bonne et juste armee de sol¬ dats aguerris , Masinissa va chercher son ennemi , qui etait a la t&te d'une armee bien plus nombreuse que la sienne. La bataille se livre , Taction est vive ,et T°n se bat des deux cotes avec beaucoup d'acharnement. Mais la fortune et Thabifate tie Masinissa , dresse a la profession des

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armes sous les etendards de Carthage et de Rome , et plus encore le courage de ses vieux soldats , triomphÿrent du nombre et de laresistance des ennemis. Apres cettr victoire , Masinissa ne trouva plus aucun obstacle a monter sur le trone. Tout, le monde le reconnut pour roi legitime. Masinissa, quietait d'un caracterc doux , plein d'humanite et bon parent , ne put voir sans dtre attendri la chute humiliantr et la decadence de la fortune du jeune prince son cousin. II lui envoya des gens pour lui faire des offres tres-avantageuses , et luipromettre son amitie. IIle fit assurer de tous les honneurs et de toutes les pre¬ rogatives qu'il pourrait desircr ; eta Mezetulus , illuiaccordait l'impunite de son crime , et la restitution de tous ses biens et honneurs , et cela de la meilleure foi du monde. Ces deux illustres proscrits pro- fiterent de la bonne volonte de Masinissa. Us aimerent mieux vivre dans le second tang , que d'errer dans une terre etrangere , et £tre k charge a des princes voisins qui se lassent bientot d'exercer l'hosPitalite ,et sacrifient souvent k leurs inte¬ nts l'hote et les sentimens de generosite. Us vinrent faire leur soumission. Les Carthaginois , qui connaissaient et $es <jjg„ redoutaient en meme-temps 1'ambition etS'&ces. Is courage de Masinissa , dont ils avaient l'epreuve en Espagne dans la guerre contre les Roxnains , ne voyaient qu'avee secret depit les progres et les accroissdnens du |eune princeNumide,Asdrubai,

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general de Carthage , qui etait alors h la cour de Svphax , roi des Numides Mezetuliens,fit & ce prince une peinture si vive du caractere ambitieux et remuant deMasinissa ,lecorrmarantnunfeu naissant dont lui et les Cavthaginois se tvouveraient dans peu embrases , s'ils ne l'etouffaient dans sa naissance , qu'il determina eufin ce prince a envover une avmee sur le territoire des Numides ,sujefs de Masinissa. Ici la fortune va se jouer encore une fois de ce jeune prince , et lui faire eprouver ses caprices et ses vicissitudes. Batta et mis en fuite par Svphax , ilest. oblige d'abandonner son rovaume , dont ilse volt depouille avec la meme rapidite qu'il en avait fait la conquete. Cet illustre fugitif se retira avec quelque peu de cavalerie , sa famille et leurs troupeaux , sur une montagne qui abondait en paturages et en sources d'eau. Dela il infestait le gras* et riche territoire de Carthage , le brulait et le saccageait. Les Carthaginois , dont les forces alors occu¬ pies en Italie et en Espagne ,etaient hors d'etat de pouvoir s'opposer avec succes au* incursions du roi detrone , ces hers r®publicains implorerent une seconde fois le sccours de Syphax contre Masinissa , I0 conjurant d'eteindre entierement les mal* heureux restes de cette guerre qui les i'1* commodait beaucoup. Syphax , croyaÿ qu'il n'etait pas de la decence d'un roi d® se mettre a la poursuite d'un vagabond > errant de montagne en montagne , donaa

R 0 M A IH E. Liv. Fill. 117 cctte commission a un do ses gdneraux nomme Bocchar, homme d un genie actif , courageux efc intrepide. II lui ordonna de prendre Masinissa, et de le lui amencr mort ou vif. Cot officier part ,se met en marche ,et va se poster assez pros du fort de Masinissa. Vigilant et attentif k toutes lesdemarches de l'ennemi ,s'etant un jour aperÿu qu'une grande partie des gens de Masinissa etait dispersee dans la campagne negligemment et loinde la forteresse , ilsaisit cette occasion pour aller attaquer le prince fugitif jusque dans son fort. Celui-ci surpris , et sentant bien qu'il ne pouvait register a Bocchar ,abandonne.son poste , et descend de la montagne accompagne de cinq cents fantassins et de deux cents cavaliers. Le general de Svphax, qui Retail pas de caractere a abandonner facilement s& proie , le suit de pros et i'ertferxne dans un delile. Masinissa, force de se battre , lit tout ce qu'on pouvait esperer d'un grand courage conduit par la pru¬ dence et soutenu du dcsespoir. Mais la iortune ne lui fut pas favorable, II fut battu stses troupes taillees enpieces. IIechappa Reanmoins du carnage avec cinquante ca¬ valiers des plus determines. Le vainqueur le suivit d la piste , et l'avant joint aunreS de la ville de Clupea , il tomba si rudeJRent sur sa petite cavalerie ,qu'il la massacra entierement, a la reserve de quatre cavaliers qui se sauverent avec leur roi. ™ans lour fuite ils se trouverent grrete's P'dl' un fleuve rapide. Comme ils etalent

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H IS T O IR E pressesparl'ennemiqu'ils avaient enqueue, ils se jettent a l'eau ,et tentent de passer le fleuve a la nage. De ces quatre cava¬ liers deux sont engloutis sous les eaux a la vue des ennemis , qui etaient deja arrives au fleuve ; et les deux autre* so sauvent avec Masinissa ,et vont se cachet dans les broussailles du rivage. *

Bocchar ,soit qu'il n'osat tenter le pas¬ sage d'un fleuve sirapide, soit qu'il desesperat de pouvoir prendre celui qu'il poitf- suivait inutilement depuis long-temps,soit enfin qu'il meprisat un ennemi si faible > et qu'il voyait ne pouvoir jamais se releyef de l'etat d'infortune oil il l'avait reduit » mit fin h ses poursuites. Ce fut presque f fcerme des malheurs de ce prince. PeS ce moment la fortune commenÿa h ÿtre pour lui moins cruelle. II fut pendan* quelques jours cache dans une cavetne s pansant se plaies , et se nourrissant de ce que ses deux cavaliers pouvaient volcr et piller. Cependant Bocchar avait fan courir le bruit que Masinissa etait per1 dans les eaux au passage du fleuve. n envoya aussi des deputes a Carthage ,P°ur leur annoncer une nouvelle si agreable, et qui devait leur causer beaucoup de joie. Le bruit de la mort de Masinissa s'etant repandu dans toute l'Afrique , differentes impressions sur les esprits deS peuples Numides.

La resurrection,pour parler ainsi , de Masinissa ,dissipa ce faux bruit ,et caus® parmiles Numides, ses sujets ,un£l-a11

R 0 M A IN E. Liv. VUl. 119 jnouvement. L'ancien attachement qu'ils avaient pour lui , et la joie inattendue do voir sain et sauf celui qu'ils croyaient peri au passage du fleuve, rassembla aupres do lui,et en tres-peu de jours ,six mille homEies de pied et quatre mille de cavalerie. Avec ce corps d'armee , ilrentra bientot en possession de son royaume. Mais son caractere ambitieux et inquiet ne lui per¬ mit pas de demeurer tranquille sur le tr6ne de ses peres. IIvoulut etendre les bornes de sa domination aux depens du territoire de Carthage et de 1,1 houveau dans un deluge de malheurs , dont il ne se retirera que par le secours et l'amitie des Romains.

Syphax , indigne des entreprises de Masinissa , marche contre lui en personne a la t£te d'une puissante armee , qu'il partagea en deux corps. II donna k Yermina son fils , qui etait encore fort jeune , le commandement d'un de ces corps ,et so reserva le commandement de l'autre. Sy¬ phax se conduisit avec tant d'habilete et d'adresse ,qu'il parvint k surprendre MaSinissa.Celui-ci, campe sur une montagno, se croyait superieur a toutes les attaques k tous les efforts de son ennemi. Mais d apprit bientot,par une fataleexperience,, qu'il s'etait trompe. Un jour qu'il en etait aux mains avec Syphax , et tout occupe de repousser ses efforts , ilse voit assailli ses derrieres , et charge en queue par Venruna, Oblige de partager ses troupes phax. Cette ambition

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your faire face de tous cotes ,il ne lui fut pas possible de tenir contre des troupes infmiment plus nombreuses que les siennes. L'actiou fut neanmoins vive et longtemps douteuse. Le courage de Masinissa ne ceda qu'a la superiority du nombre. Syphax remporta une victoire pleine et entiere. Touie 1'infanterie et loute la cavaleriede Masinissafurent taillees en pieces. IIeut lui-mdme bien de la peine a se sauver. Enfin ,escorte de soixante cavaliers , animes du meme courage que leur roi , ils'ouvrit un cherrdn a tvavers les bataillons ennemis. Avee cett.e petite troupe , Masinissa se retira dans la petite Syrte, ou il demeura jusqu'a l'arrivee de la flotte Romaine en Afrique , commandee par le celebre Lcelius. Cette nouvelle infortune aurait ete capable d'abattre un cceur moins grand que ceiui de notre hciros ;mais ,par une grandeur d'ame peu comrnune , il se trouvait superieur a toutes ces tristes re¬ volutions. II en soutenait la rigueur avec une coristance telle que nous aurions de la peine a trouver rien de semblable dans toute l'antiquitepaienne. D'ailleurs le glorieux et agreable souvenir d'avoir recouvre plusieurs fois la couronne de ses peres , le soutenait dans son malheur , de m£me que l'esperance de quelque secours prochain de la part des Romains ,qui etaient alors en Afrique.

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ÿUt ÿans cet,e triste. et facbeuse conpion ausie- joncture que Lcelius arriva fort a propos ee d'Uti- avec sa flotte pour le dclivrer. II suivit <ue' 1'amiral

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R 0 M A IN F.. Liv. Fill. 12T 3/arairal Rornain avec ses cavaliers, et alia joindre Scipion an siege d'Uticjue'. Masinissa se distingua beaucoup, par son cou¬ rage , son activite et par sa prudence , dans la guerre que les Romains faisaient aiors a Carthage. Ces belles qualites lui raeriterent l'arnitie du general Remain , qui lui preta une partie de ses troupes commandee par Lcelius , pour recouvrer son royaume. Avec de si bonnes troupes ,flrceotwr® et conduites par deux excellens generaux , son royauilen eut bientot fait la conqu&te. 11 battitme* Syphax en differentes bataiilc-s , et le lit prisonnier. Quel spectacle plus agreable Tie. Liv, pour Masinissa de voir son vainqueur pri-I5osonnier ,etde rentrer si glorieusementdans le royaume de ses anedtres, dont il se voyait chasse depuis si long-temps ! Masinissa, profitant de ses victoires , Ses prosallamettre lesiege devant Cvrtha,capitale rerites. du royaume de Syphax. La presence de ce prince,qu'on exposa en vue aux habitans , lie et charge de chaines , leur lit abandonner la defense de leur ville. liseji ouvrirent sur le champ les portes au vainqueur , et le repurent avec applaudiss -mens. Le premier objet qui se presenta a lui, fut Sophonisbe , femrne de Syphax. Cetteprincesse,quietait d'une rarebeaute, dans la fleur de son age ,et dont leslarmes qui coulaient de ses yeux relevaient i'eclat ,se fette a ses genoux ,et lesupplie par tout ce qu'il y avait de plus saint et do plus sacve , de no la point livrer aux Romains. Ce prince victorieux ,qu'aucuri Torne JF. F

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roverscle fortune n'avait niabattu ni vaincu, se laissa vaincre par les charmes de sa captive, l'our la mettre a couvert de toute insulte de la part des Romains , il lui donne sa foi et l'epouse. Ce mariage ne subsista pas long-temps;le general Romain luien ayant temoignesonmecontentement, cle faÿon a lui inspirer de la crainte pour son royaume et pour lui-meme , ilse determina a envoyer du poison & sa nouvelie Tit. lir.epouse. Le commissionnaire eut ordre de I. 5o cap. d\re fje sa parj} qUe n'etant pas en son '' J' pouvoir de lui garder la iidelite qu'il lui avait iuree en l'epousant , il lui gardait celle de ne la pas livrer en vie aux Ro¬ mains ;qu'illa priait de se souvenir qu'ello etait femme de deux rois de Numidie, file d'un general Carthaginois, hai et cleteste des Romains ;qu'enfin illa conjurait de se mettre a couvert des insultes dont elle etait menacee. Laprincesse req;utavec plaisir ce present nuptial,avala le poison avec intrepidile , et sans donner aucune marque de faiblesse.

Sclpion Scipion ayant ete informe de ce que console ct veuait de faire le prince Numide, et crai-C0ÿ;gnant que ce jeune heros, qu'il avait innissa. tqret de menager , ne se portat a quelque extremite facheuse ,lefit venir sur lechamp dans sa tente , lui parla avec douceur , et le consola clans son affliction. Ensuite, pour lui marquer combien il l'estimait, et combien iletait satisfait cle ses services, ileonvoqua le lendemain l'assemblee : la , en presence de toute l'araaee3 illui donne

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le nom auguste de roi , le comble de louanges les plus flatteuses , lui fait pre¬ sent d'une couronne , d'une coupe d'or , dune chaire et d'un sceptre dlvoire , et d'autres dons dignes d'un roi. Scipion sut assaisonner ces presens de gra musetes et de poliiesses qui iirent plus de plaisir k Masinissa que les presens memos. Ces temoignages eclatans et non equivoques d'estime et d'amitie,contribuexent heaucoup a dissiper le chagrin dont le roi Numide etait penetre , rendirent le calme a son esprit, et lui firent concevoir l'esperance d'etre un jour roi de laNumidie entiere. Le senat, instruit par legeneral Romain des services que le prince Numide lui rendait dans la guerre d'Afrique , confirma tout ce que le premier avait fait en favour de Masinissa. IIluienvoya meme de beaux et riches presens dans la suite. Apres que Scipion eut termine la seconde guerre punique , cette auguste compagnie voulut donner a Masinissa de nouvelles marques desonamitie.Elleluifitpresentduroyaume de Syphax et de tout ce qu'il avait conquis en Afrique. Le roi de Numidio, touche de «ette liberalite des Romains, demeura inviolablement attache d leur parti. 11cultiva toujours leur alliance et lenr amitie avec fcne ardour et une fidelite qui ne sc- dementirent jamais. Son zele pour les Romains et pour les Scipion etait si connu dans toute 1'Afrique et chez toutes les nations , quec'etaitune chosepubliqueet averee,que Masinissa etait plus attache aux intcrets F 2

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dms Roniains qu'il ne l'ctait aox sicns pro* pres. Les Remains, de leur cote, le protegerent toujours et le favoriserenl dans les guerres qu'il entreprit ou qu'il eut a soutenir contre Carthage ,sur qui il remporta plusieurs victoires et de grands avantages. Ce prince vecut toujours depuis ce temps-la dans une florissante fortune, et toujours les amies a la main. 11 mourut age de quatre-vingt-dix ans. IIavait tou¬ jours joui d'unc sante parfaitc , qui etait sans doute le fruit de sa grande sobriete dans le boire ,le manger et les autres plaisirs , et du soin qu'il avait pris de s'endurcir sans relache au travail et a la fa¬ tigue *. Dans une extreme vieillesse ,il faisait aussi lestement qu'un jeune homrae tous les exercices militaires. Onpeut regarder Masinissa coitime un des plus grands xois et comme un heros des plus accomplis de I'antiquite. La nature avait reuni cn lui tous les talens qui font les grands guerriers et les grands politiques, A la tete des armees , ilmontrait un cou¬ rage , une intrepidite et une etendue de t App. de vues singuliere. Dans un temps de paix , 'e'V il gouvernait ses peuples avec une dou'if'Td. 4':x. ceur,une sagesse et une moderationincoxnI'.b. S.c.s. parables. Par cette conduite , il parvint a faire de ses Numides , nation auparavant

* Polybe remarque que le lendemain d'une bataille que ce priuce avait remportee sur les Cavthaginois , on l'avait trouve devaut sa tenia* faisaut sou repas d'uu uierceau de pain bis.

R O M A IN E. Liv. Fill. 126 feroce ,sauvage ,et vivant de rapines ,des homines et des soldats qu'il sut humaniser et discipliner. L'agriculture, inconnue chez les Numides , de meme que le com¬ merce ,fleurirent sous son regno , par ses soins et son application. Ainsi la Numidie , qui avait etc jusqu'alors une terro ' ingrate , sterile et pauvre , devint par ses attentions un royaumeaussi riche en fruits, en grains et en argent , qu'aucun autre du inonde. Mais , ce qui est plus adn irable dans ce prince , et qui sercble le caracteriser , e'etait une grandeur d'arne superieure a tout evenement , incapable d'etre ebranlee par aucune disgrace et par aucun rovers de fortune. Detrone , chasse plusieurs fois de son royaume , et retabli autant de fois , il est toujours lc meme, toujours inebranlable et toujours superieur aux coups accablarts de la fortune qui le poursuit.

Masinissa laissa en mourant un grand Scipron nombre d'enfans *, dont trois settlement pnita5C". ,! ... • ,, succession etaient nes de legitime manage. Far son de Masitestament , iletablit Scipion Emilien son nissa. oxecuteur testamentaire ,avec un pouvoir supreme de disposer de ses biens , et de 'partager son royaume a ses enfans comme ill'entendrait. Dans le partage que celuici fit de la succession de Masinissa , il donna aux enfans illegitimes des revenus _ * Quelques autcurs font monter ce nombre a cinquante-quatre , et non pas a quarante-quatrte, comnie dit M.Crevier. Val. Max.lib. 6. cup. 2. JF 3

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considerables ,et conserva aux trois enfans legitimes lo royaume avec le nom et l'auSall. c. 5. torile do roi. Micipsa ,Gulussa et Manastanabal etaientles nomsde cestrois princes. La mort prematuree des deux derniers , qui decederent sans enfans, laissa Micipsa seul maitre de toute la Numidie. * Micipsa. Ce prince, qui etait d'un caractere pacifique, regna trente ans clans line profonde paix. II eut deux fils , dont l'aine s'appelait Adherbal ,et le cadet Hiempsal. II les fit elever sous ses yeux, clans son palais , et avec eux Jugurtha son neveu , fils de Manastanabal son frere ,inort avant Masinissa leur pere commun , qui ne fit aucune mention de Jugurtha dans ses dis¬ positionstestamentaires.Commeilnel'avait jamais reconnu pendant sa vie pour prince de son sang , a sa mort il l'oublia et le condamna a une vie privee. Jennesse Micipsa, plus tendre et plus compatis- ÿ"eur" sant que son pere, tira Jugurtha de cet etat d'obscurite ,le fit venir a sa cour, et lui donna la meme education qu'a ses en¬ fans. Ce jeune prince repondit parfaitement aux louables intentions du roi son oncle. Personne ne profitait mieux des instructions de ses maitres. Plein d'esprit et de bons sens ,ilevita lecueil ordinaire cles jeunes gens. II ne donna point dans le plaisir et dans la debauche. IIse renclit extremement habile a ti:er de Pare ,a monter k cheval, a courir dans la lice , et a lancer le javelot. Dans tous ces exercices du corps ,comrae dans ceux cle 1'esprit,

ft O M A IN E. lav. VIII. I27 ce prince prit une graiule superiorite sur les princes legitimes ses cousins. Tous les jeunes seigneurs de son age reconnaissaient sa superiorite, mais sans envie ct sans jalousie, parce qu'il avait eu l'adresse de se faire estimer et aimer de tous. La chasse des bdtes feroces faisait son unique amusement ; il etait toujours le premier a frapper la bete ; et s"il arrivait qu'on lui donnat des louanges , illes rejetait , disant que ces sortes de victoires etaient fort au-dessous de ce qu'on devait attendre du courage et de la vaieur d'un prince. Plus occupe de meriterde solides louanges que de courir apres une vaine fumee d'eucens , ilagissait beaucoup et pariait pen de lui-mdme. Ces grandes et belles qua- lites etaient relevees par la beaute du visage et par une heureu9e physionomie : avantages qui , a la verite , ne sont point un merite reel , et qui ne le donneuE point , mais qui lui servent de recornmandation , et comme d'une espece do passeport et d'introducteur pour se frayev le chemin et l'entree dans le coeur de ceux avec qui on a affaire. Le roi de Numidie fut d'abord charmd des rares talens qu'il remarquait en son neveu. IIse felicitait d'avoir contribue <\ les developper par l'education qu'il lui avait donnee. IIesperait que le merite du jeune Jugurtha ferait un jour la gloire et l'ornement de la Numidie et la terreur de ses ennemis. Ces dispositions de Micipsa ne subsisterent pas long-temps. La

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jalousie prit la place de l'amitie : le rare roerite de ce jeune prince , qui d'abord avait fait sa joie, devint son tourment. Sou Sge avance ,la jeunesse de ses enfans , l'amour des Numides pour JuguTtha , et l'ambition qu'il crovait avoir remarquee dans ce prince , lui firent crainclre d'avoir eleve dans son palais un serpent qui devorerait un jour ses enfans ,et qui detruirait sa maison. La suile nous fera voir que ce prince augurait juste.

IIsorten Micipsa ,'ronge de ces inquietudes, Espaÿne , forme le detestable dessein de se defaire Kumance! Jugurtha. II l'envoie au sioge de Numance , comptant que les hasards des combats et sa valeur en delivreraient ia Id. c. 7-9. famille i-oyale. L'evenement ne repondit pas a ses voeux ;le ciel en disposa autreII se fait ment. Jugurtha , qui ne savait rien des imputation6 desseins funestes de son oncle sur lui, se conduisit pendant tout le cours de cette guerre avec tant do prudence et de cou¬ rage tout-a-la-fois , qu'il merita l'estime et l'amitie de Scipion Emilien , qui commandait a ce siege. Sa valeur le fit ega- lement estimer des Romairis et redouter It retoume des enneinis. Centre l'attente du roi,il cnAfiique. revqnt en Numidie en tres-bonne sante , charge de gloire , et avec des lettres treshonorables que Scipion ecrivil au roi cn sa faveur. En voici la tencur. On ne pent rien ajouter au courage et a la prudence que Jugurtha votre neVeu a fait paraitre dans la guerre de Numance. Je suis per¬ suade que cette nou.velh voius comblera

R O M A IN E. Liv. VIII. 129 de jo'ie. Les services importans qu'il nous a rendus pendant le cours de cette guerre nous le rendent tres-cher. Je darnnerai tous vies soins et toutes mes attentions pour lui meriter I'amitie du scnat et du people Remain. Le devoir de I'amitie qui nous unit , m'impose la douce et agreable ne¬ cessity de vous faire men compliment , et de vous feliciter d'avoir dans la persenne de ce jeune prince un nevcu digue de vous , et de Alasinissa son aieul. Micipsa louche de tout le hien qu'ilavait appris de Jugurtha , et qu'il voyait con- l'a<topufirme d'une maniere si honorable par les jÿ11 scn louanges que lui donnait dans sa lettre le general Romain , abamkuma 1'execrable dessein de le perdre. 11 pril des sentimens d'humanite a son egard , et resolut de gagner ,a force de bienfaits,celuiqu'iln'avait Id. c. itpu faire perir. C'est ainsi qu'un funesfe l2projet, forme d'abord pour la ruine de Ju¬ gurtha , tourna par l'evenement a son avantage. Le roi commensa par l'adoptor pour son his , et le nomma heritier cle la couronne avec ses deux fils. Mais Micipsa fut trompe encore une fuis. Tous les bienfaits dont ilcomblait Jugurtha ne servirentqu'a le rendre plus fier. Soutenu de I'amitie des Romains , de l'eclat de la reputation qu'il s'etait acquise a Numance , et de la faveur des Numides , il songea a jeter les fondemens de son elevation. Comme iletait persuade que tout ce que son oncle disail et faisait en sa faveur , ne partait point de queique amitie qu'il eut pour lui ,mais

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que ce n'ctait qu'une pure dissimulation, qui avait sa source dans la crainte , il lui rendit feinte pour feinte , bien resolu de tourner contre sa niaison les bienfaits et la puissance dont il l'honorait , des qu'il

AToit de serait mort. Eneffet ,ce prince eut & peine Micipsa. ferme les yeux ,que Jugurtha ,dont l'ambition ne pouvait s'accommoder de rivaux, xnit tout en ceuvre pour dominer seul dans la Numidie , et pour eloigner du trone les deux jeunes princes ses cousins , auxquels

An. M. ii etait associe. IIresolut de se ddfaire de sy-j c tous les deux. Comme son ambition ne 3i5V pouvait soutenir la lenteur des yoies sour-

An. R. des et obliques ,ilemploya la violence et la force ouverte : encore son impatience de regner soul, luifaisait trouver le temps Juguitha fort long. L'annee suivante il fit poignap- Hiei'i-sal'6 c'cr Hiempsal. II lui donna la preference * '* sur son frere , tant pour se venger d'une pique personnelle, que pared qu'il c-1ait le plus propre a traverser ses desseins ambitieux. Tel fut Le premier essai de l'ambi" tion de Jugurtha , et la premiere victime qu'il immola a sa passion favorite.

Le bruit d'un attentat si er.orme se re* pandit dans toute l'Afrique. La Numidie se partage ,et prendparti pour i'un ou pour l'autre des deux freres , scion que chacun se trouve porte d'inclination ou d'interdt. Les amateurs de la paix , du bon ordre et de la justice s'attacherent & Adherbal ;mais les meilleurs soldats et les principaux officiers suiyirent les etendards de Jugurtha. Adherbal, soit pour sa defense? soil pour

R o M A IN E. Liv. VIIT. 13r venger la mort de son frere contre l'usurpateurcommun,lovedestroupes, et,quoriquo peu guerrier par son caractere , il so determine a risquer levenernent d'nno bataille.Jugurthaquietaitbelliqueux,et qui savait parfaitement la guerre , prit bientot tout l'avantage sur lui. IIle defait dans un I' bat combat , puis ilassiege ses villes , prend c\'!' les unes a composition , force et ruine eel- tro.e. les qui avaient assez de fidelite et de cou- • c• rage pour lui resister. Ainsi Adherbal vain- 22 .v cu , fugitif et oblige de se deguiser pour 3890. eviter de tomber entre les mains du vain- Av queur ,serefugiedanslaprovinceRomaino, 11 d'ou il se rend a Rome pour faire au 635. senat ses justes plaintes contre un fra¬ tricide , usurpateur de sa couronne. C'etait l'uniqueressource qui restait a ce prince infortune. A son arrivee il trouva touslesespritsfortbiendisposesensafaveur. Son detronemcnt et l'assassinat de son frere avaient souleves tous les ordres de la republique contre Jugurtha. Le senat et le peuple , les nobles et les plebeiens , lespauvresetlesriches, tous generalement temoignaient publiquement leur indigna¬ tion contre ce prince ambitieux et cruel. Celui-ci , seul maitre et possesseur de la Numidie , sans partage et sans rival. , ne voyait d'obstacle a semaintenir dans saconqulte que du cote de Rome. Mais comme iln'ignorait pas qu'on n'dtait puissant clans eette ville , et qu'on nTy avait du credit qu'autant qu'on etait en etat d'y acheter des suffrages ,ilse rassura. IIfit partir dps

HlSTOrRE

IImerle ambassadcurs charges dc grosses soromos senat ans rparjrcnf , avec ordre de ne rien menager ses lntc- 1? 1 1 rr i i 7 xcti. ' et dacneter les suitrages des grands et ties senateurs. Avec cette clef d'or t ses depu¬ tes trouverent les entrees libres par-tout. lis reconnurent ,par Inexperience qu'ils en firent , la verite de ce que leur maitrc leur avait assure , que tout etait venal a Home. Les deputes de Jugurtha arriverent fort a propos k Rome pour calmer 1'indignation publique , et arreter les resolutions que le senat etait sur le point de prendre contre leur maitre. lis s'acquitterent de leur commission avec succes. II y cut peu de senateurs incorruptibles. L'honneur,lajus¬ tice et l'interet publics furent sacrihes aux interns particuliers.

Le jour marque pour l'audience publi¬ que etant arrive , Adherbal et les depu¬ tes de Jugurtha furent introduits dans le senat. Le roi detrone y plaida sa cause avec toute l'eloquence que donne le bon droit : mais comme iln'avait pour lni que 2a justice et la verite , son discours fit peu compression sur des juges deja corrompus par les presens de l'usurpateur. L'apologie que firent les deputes rut courte et per¬ suasive , parce qu'ils avaient employe ensecret l'eloquence efficace de 1"argent. La deliberation du senat. fut longue;ce n'etait pas qu'on fut indecis sur le parti qu'on voulait prendre ,mais on cherchait des pretextes pour couvrir un deni de justice si Decrctdu errant. II fut done arrfte qu'on enverrait scuht. en Psuinidlc dix comniissaires pour y fairs

R O M A IN E. Liv. VIIT. r 33

nn nouveau partage et y reglor les borncs de l'heritage des deux freres. L. Opiinius , magistralaussi avarc que cruel,fameux par son zele contre le parti des Gracques ,fut mis & ia teEe cle la commission. On s'ima- Collusion* gine bien qu'un tei person1;age ne fut pas ".'"'{J"'1'1/ invincible aux attraits cle l'argent". Jugur- col'eguei. tha ne I'epargna pas ; et , k la honte clu noni Romain , on vit un magistrat revCtu de l'autorite publique , vendre la gl'oire du peuple Romain. Les autres membres de la commission ne furentpas plus delimits que lenr chef. lis se laisserent tous gagner aux largesses immenses de Jugurtha. L'arret de lacommission fut tout en faveur et a l'avantage du prince usurpateur , au prejudice clu seul roi legitime.On adjugea a celui-ci la partie orientale de la Numidio , qui avait plus d'apparence k cause des ornesnens et des maisons de plaisance ,mais sterile et deserte. Dans le lot de Jugurtha entrerenf les provinces occidentales cle la Numidie . qui etaient riches , ferliles et peuplees. Telle fut lapremierevictoireque Jugurtha remporta sur les Romains. Mais ce ne fut pas la derniere.

Ce prince voyant son crime recompense , Jogimfia loin d'etre puni , s'enhardit , ne menage ta'f <!e , l.l' ' ÿ nouvcnii la- plus nen , et tenfe tout pour consom- gl,errc a roer son entrc-prise. A peine les com- Adheila!» missaires furent-ils sortis de la Numidie , cqu'il leve des troupes , entre , k main armee , dans le rovaume cle son frere ,le pille et le ravage. Adherbal , d'un caractere doux et pacifique , et plus propre a

H IS T O I R E

souffrir los insultes qu'a les rcpousser ,se contenta de lui en faire des plaintes par An. M. ses ambassadeurs. Mais comine il n'eut ÿAv J C PHS ÿeu satisfait de la reponse , il jot) envoya des deputes a Rome poui- deman-

An. R. der justice au senat , sur lequite duquel 6ÿ°' il comptait plus que sur la valeur de ses / arxnes. Ce prince n'avait pas une idee 1 juste du senat Romain; Jugurtha s'en etait forme une plus vraie.

II le dc- Cependant ,commc aucune hostilife ne fait dans Adherbal de sa lenteur , et ne pou- une oatail- .7 _ ie. vait 1engager a prendre les armes , Jugur¬ tha voulut eniin l'y contraindre. A la t£te d'une puissante armee , il entre dans ses etats , et va camper assez pres de sa ville capitale. A la vue d'un danger si pro- 1 chain , le timide prince vit bien qu'il fallait se resoudre a abandonner de nouveau son royaume , ou se determiner a le defendre par la voie des armes , malgre l'inegaiite de force et de capacite ; alter¬ native facheuse pour un roi pacitique. Encourageparsesministres,ilse determine a tenter une seconde fois le sort d'une bataille , qui ne lui reussit pas rnieux que la premiere. Dans la deroute de son armee , ce roi malheureux se refugia avec les debris de ses troupes dans Cvrtha , capitale de ses etats. Le vainqueur l'y pour- suivit ; et ily serait entre pele-meie avec les vaincus , s'i.1 n'eut ete arrtHc dans sa marche par quelques cohortes Romaines qui etaient au service d'Adherbal. SUasshge Jugurtha, qui youlait se rciidre

R 0 M A IN E. Liv. VIII. T?>5 de la personne du princemÿme ,et l'avoir dans Cyren son pouvoir mort ou vif , fait , sans tÿia* dirftirer d'un moment , le siege de laplace, 1'attaque avec toutes ses forces , et proteste qu'il ne so retirera pas qu'jl ne se soit rendu maitre et de la place et de la personne d'Adherbal. Ce prince infortune , qui n'avait d'autre ressource que Rome , y depeche courrier sur courrier ,mais sans autre succes que celui d'une deputation de trois jeunes senateurs , qui furent charges de declarer aux deux princes , de la part du senat , de mettre les armes bas , et de terminer leurs differends par la voie de la justice et de l'amitie ,plutot que par celle des armes j que l'honneur de la republique et le leur propre y etait interesse et le demandait ainsi. Jugurtha repondit aux deputes que le senat Romain etaittrop equitable pour desapprouver sa conduite ; qu'il ne faisait usage que d'une juste defense conforme & toutes les lois : que la seule necessite cle mettre sa vie en surete eontre les embuches de son frere , qui ne cessait d'attenter a ses jours ,l'avait force ,malgre lui ,de pren¬ dre les armes.

Les cominissaires do Rome ,qui etaient n corjeunes , n'approfondirentrien , soit par le yu'1 ,es pcu d'usage de traiter les affaires , soilÿpsljÿ*t> ( ce qui est plus vraisemblable ) que , gagnes par les presens du prince oppresseur , ds voulurent croire sans examiner serupu- leusement que Jugurtha n'avait pas tort , P': Que Unjustice pouvait bien dire du cote

l36 II I S T 0 IR E

d'Adherbal. Les deputes dc Rome partirent pours'en retourner, sans avoir bte d'auenne utilite au prince opprime , et ruenie sans l'avoir vu.

I' presse Le depart des commissaires laissa a Ju'' ÿ'.ÿac rie gurtha la liberie de pousser le siege avec v)l iatoute l'ardeur dont un prince ambitieux ) et cruel a l'exces est capable. La crainte meme ou il etait que Rome ne fit eniin quelque mouvcrnent en favour du prince assiege , fut pour lui un nouveau motif do le pressor , et lui inspira one nouvelle ardeur de terminer promptement cette guerre par la prise de la capitale et par la mort de son frere. Ce malheureux roi, re~ duit a 1'extremtte ,et horsd'etat de pouvoir sontenir plus long-temps le siege d'une' ville affamee , jette de nouveau les yeux sur Rome , rnais toujours avec aussi peu AdterKal de succes que par le passe. II ecrivit au secoursde sc'nat une io}h'e des plus pathetiques et des plus pressantes ,dans lacjuelle ce faible prince se reduit a demander au senat ,non pas de pimir Jugurlha , et cle lui procurer a lui-meme un regne tranquille et paisible comrne il etait en droit de le demander,mais a lui sauver la vie : Disposeicounne il vous plaira , dit-il , du royaume de Nil' rnidie ; mais ne permettei pas que je tombe dans les mains d'un tyran et du meurtrier de ma maison.

Cette lettre fit impression sur tons 1®* gens cle bien du senat. Mais ils ne Li' saient pas le plus grand nombre. Ils etaieri d'ayis de faire passer, sans differer , un®

Ft O M A IN E. Liv. vm. 137 puissant.e armee en Afrique pour reduirece prince remuant et ambiteux , et le for¬ cer d'oheir aux ordres du senat. C'elait sans eontredit le seul et unique parti qu'il y cut aprendre. Mais les partisansde Jugurtha , ou plutdt les pensionnaircs qu i! avait , pour ainsi dire , a gages dans le senat , firent echouor ce projet. La delibe¬ ration se determina a envoyer en Afriquenne nouvelle deputation composee de personnages les plus respectables par leur naissance , leurs dignites , et par la repu¬ tation de probite qu'ils s'etaient faite. C'est ainsi que , contre l'honneur et la gloire de la republiquc , le bien public ceda aux interns particuliers,comme ilarrive assez ordinairement dans la plupart des affaires ou des particuliers puissans et en autorite sont interesses.

A la t£te de la commission etait Scan% Depnrarus , prince du senat. Ce grave senateur tl0i) ou SL' j A . . ® . rut en oont on avait jusqu alors respecte la pro- Afrique. bite , parce qu'il avait eu l'adresse de cacher ses defauts sous l'enveloppe de la vertu la plus rigide , se demasqua dans cette occasion-ci. Arrive a Utique il cite Jugurtha a son tribunal , et lui ordonne de lever sur le champ le siege de Cyrtlia. Celui-cieludapendantquelque temps, sous differens pretextes , les ordres du chef de -a deputation • mals enfm la crainte de l'irriter et d'en faire un ennemi qu'il ne pourrait peut-6tre plus flechir , le deterKiinaa bomparaitre autribunal descommis¬ saries liomaius. Scaurus , qui represen-

138 H IS T O T R s

tait le senat , lui fit tic sanglans reproclieS do sa dcisobeissanco , qu'il accompagiia do terribles menaces , s'il n'obeissait sur le champ. Co debut do Scaurus repondait assez bien a l'idee qu'on s'etait formee do sa probife • mais ii no la soutint pas. Co prelude ne laissa pas que d'intimider, | et do donner do 1'inquietude au prince TuRUTtha usurpateur. II no savait pas encore a c.ui ]cTd°pT ÿ avait affaire. Jngurtha tata le terrain, tes. et s etant apercu que la vertu de ce prince du senat n'etuit pas incorruptible , U repandit sous main de grandes sommes d'argent. Des-lors les deputes de la com¬ mission sc radoucirent , et devinrent plus traitablesi On ecouta la justification de Jugurtha : son or fit trouver ses raisonS bonnes et justificatives. Les commissairos I de Rome s'embarquent sans avoir rien ordonne , et abandonnent Adherbal a la discretion de Jugurtha. Troisieme victofie que l'argent de ce prince remporte siif le senat. Cette impunite releva extreme" ment 1'audace tlu tyran , et lui inspire une nouveile ardeur pour consomnier son crime.

En effet , se voyant debarrasse des commissaires Romains ,ilretourne au siege de Cyrtha ,le presse , ot reduit enfin Adberbal a capituler et a se remettre entre scs ( ÿar 1°trailede capitulation le prince Cyrtha. ' ° assiegc s'etait renferme & demander la v*0 sauve ,se remettant pour le reste au jugement de la republique. C'etait le meilleur parti qu'il eut a prendre dans

R O M A IN E. Liv. VIII. 139 conjoncture pareille , s'il avait eu affaire a tout autre qu'a son frere. Ceiui-ci promit tout ,et netint rien. Dels qu'il fut introduit dans ia ville , contre le droit des gens et de la nature , il fit main-basse sur tous les Numides. II n'epargna du carnage que les Romains auxquels le nom et la niajeste de l'empire servait de protection et c!e sauvegarde. II finit cette scene tragique Mori par la mort d'Adherbal,qu'il fit tourmenter cfÿc;,;e par differens supplices avant que de le baÿuner" faire mourir. Ainsi perit d la fleur de son id. c. 2.7age un prince qui aurait fait le bonheur -9de ses sujets par son amour pour la paix , mais qui n'eut pas assez de resolutionpour defendre ses etats , sa perso«nne et ses sujets contre les violences d'un frere arabitieux , cruel et guerrier.

J- V. On declare la guerre a Jugurtha. Calpurnius en est charge. Ses exploits. II se laisse corrompre. Indignation publique contre Calpurnius. Discours du tribun Memmius. Succes de ce discours. Cassius est charge dialler en Afrique. II amene Jugurtha d Rome. Ce prince gagne un tribun. Celui-ci sauve Jugurtha. Jugur¬ tha fait assassiner Massiva. IIregoit ordre de sortir de Rome. La guerre recommence. Albinus est charge de cette expedition. Aulus son frere lui succede. Ses entreprises. Sa defaite. Paix ignominieuse. Lc ÿsenat casse le traite d'Aulus. Metellus , charge de la guerre de Numidie. Jugurtha ÿ

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propose de se t'endre. Artifice du consul. Joie d Rome. Bomilcar persuade au roi de se livrer au general Roniain. Jugurtha livre soil argent. 11 refuse de se livrer lui-mcme. IIrecommence la guerre. Massacre de la garnison Romaine a Vacca. Turpilius , commandant , sauvl du carnage. Alarius se rend son accusateur. 11 est condamne a mort. lues de Alarius. Scs belles qualites. Intri* gue de Alarius. Succes de ses intrigues. Aletellus iui refuse un conge. II le hi cccorde. Afarius est fait consul. Conspiration de Bomilcar punie. Metelks recommence la guerre. II bat Jugurtba. Ii fait le siege de Tkala , et U prend d'assaut. Jugurtha forme aux amies Getules. Mctel/us apprend son rappel. Sen chagrin. Discours de Alarius. Succes du discours de Alarius. Trioinphe de Aletellus. Exploits de Alarius en Numidie. II regoit un echec. IIprend sn revanche avec avantage. 11bat une seconde fois les deux rois. Bocclius abandonne Jugurtha. 11 demands la paix aux R°~ mains. Conditions auxquclles Rome h accorde. Bocchus livre Jugurtha. Alarms est nomme consul pour la seconde j0,s11 retournc a Rome , ou. ilentre en trioin¬ phe. Fin de Jugurtha.

*

A L A nouvelle tie la mort cTAdliei'bal , tous les ordres de l'etat criaient et

K O M A f N E. Liv. VlJl 141 demandaient vengeance cle l'aitentat comnus centre le droit cles gens et cle la nature ,et centre la prevarication cles eonimissaires. L'ordre du senat etait le seul on I'argent cle Jugurtha trouvat cles partis sans et des defenseurs. lis esperaient raeme qu'en gagnant du temps , et en eloignant l'arret du senat , ils parviendraient a faire toraber ces premiers mouvomens de zelo , et a assurer au eoupablc non-seulenient i'impunite de ses crimes , mais memo les fruits : ils. se trouverent arrdtcis par les oris redoubles du peupie , scutenus par¬ ies vivos representations d'un zele tribun nomme Memmius ,qui ne cessait. de faire entendre sa voix contre l'atrocite el la itoireeur du crime dont le trone de Nxunidie venait d'etre souille , et contre hmpile indulgence du scinat , qui n'avait d'autre principe,disait il,que dans la col¬ lusion des membres de cette compagr.ie avec Jugurtha. 11lit' sentir que I'argent du tyran etait la cause de la prevarication des senateurs ; et que la prevarication de ceux-ci etait la cause des crimes du prince Nuniide; Le senat s'apercevant que cette On Jects ÿ affaire prenait une tournure peu favora- re 'a suerbie , dressa un cle,tret par lequel on de- g®£tÿa.Ju' clarait la guerre a l'usurpateur. Le consul Bestia Calpurnius fut charge de cette expedition.

Ce general avail de fort belles qualites , M* fuais ilen ternissait l'eclat par la noirceur j q dune sordide avarice. Son amour pour 108. 1urgent lui faisait eavisager la noble AN* B 34 I.

H IS T O IR E

Calpur- profession des armcs comme un metier rius en est pvopre & s'enrichir. Co fut dams cette vue c aii*e' qu'il accepta l'expedition d'Afrique , ia regardant comme une riche moisson pour lui. II n'y a guere de general , qui ne ÿ blame une faÿon de penser si basse , et il y en a peu qui dans l'occasion n'agissent comme lui.Mais comme ilavait a craindre a son retour les poursuites et les recherches du peuple et de ses tribuns ,ilvoulut s'associer dans cette expedition Scaurus et quelques autres senateurs des plus con¬ siders dans la compagnie ; il les prit

Ses ex- pour ses lieutenans - generaux. Ce n'est ploits. pas qu'ileutbesoin d'eux dans cetteguerre; mais ils'en servit pour se mettre, a l'abn de leur 110m , a couvert de tout soupÿon , et se procurer par leur credit l'impunite des malversations qu'il meditait de fair© en Numidie. Arrive en Afrique , d ÿ d'abord la guerre avec vigueur , et avec tout le succes qu'on pouvait esperer. 11 prit des villes, fit quantite de prisonniers; ravagea la campagne et mit tout a feu et a sang. Un debut si violent semblait n'annoncer la fin de la guerre que par la ruine entiere du prince Numide.Cependant Jugurtha n'y fut pas trompe , il fut paediocreinent effraye de ces violentes h°s" tilites. Comme ilavait l'esprit penetrant » il crut entrevoir que le consul n'agissait avec tant de vivacite que pour lui faii'e Tlor.I.3. acheter plus cherement la paix qu'il avait c• I* dessein de luivendre. IIeut done recourS a ses artifices ordinaires. IIsayait C

ROM AIN E. Liv. Till. 143

l'cxperience le lniavait appris ) que Rome etait bien plus facile & vaincre par Tor que par Je for. 11 envoie des deputes auconsul, qui ,sous pretexte do lui representor les difficultes de la guerre qu'il entreprenait , etaient charges de le sonder adroitement. lis n'eurent pas beaucoup de peine a penetrer Calpumius. La passion des richesses etait trop vive en lui pour ne pas le deceler. Aux premieres tentatives , les de¬ putes comprirent que le consul etait & eux , et qu'il ferait ce qu'on desirerait de lui. IIvit entrer avec plaisir dans sa tente des sommes considerables d'argent , qui etaient le prix de la paix qu'il vendait a Jugurtha. Scaurus , qui s'etait deja deshonore unepremiere fois ,fut de part de cette indigne negociation , qui , a ses yeux , n'avait rien de deshonorant , parce qu'elle. etait lucrative pour lui.

Jugurtha, instruit par ses emissaires que Scaurus etait demoitie, espera tout alors , et regarda sa paix comme une affaire conclue. 11 demanda une conference qui lui q se lafese fut accordee sans differer ; ilse rendit au corroinpie. camp Romain dans la tente du general , soul et sans suite , tant il etait assure du succes dupourparler. Dans l'assemblee pu- blique ou le prince fut admis , il y parla peu pour sa "justification. IIcoula legerement sur les motifs qui avaient engage les Romains dans cette expedition. Pour sauver les apparences ,il se remit a ladis¬ cretion du senat et du peuple Romain , Ct s'abaudonna lui et son royaume au

lr( H I :> T O I R E , jugcmcnt de la republique. Tout le resfe so traita secreteinent avec Calpuruius et Scaurus d'un cote , et le roi de Numidie de 1'autre. IIest a presumer que l'honncur ,de Rome y fut vendu a prix d'argent. Dans une assemblee generate , le consul 1 lit part k toute 1'armee des offres du roi , -et conclut a les accepter. Pour la forme , Jugurtha livra trente elephans , une certaine quantite de bestiaux , de chevaux , et dessorniiies d'argent assez considerables qui furent remises au tresor du questeur , cum non parvo argcnti pondere *. On voit claireraent qu'uu traite de paix par lequel l'assassin c!e deux rois , un fratricide et un usurpateur est traite si favorableroent , Be peut etre que l'effet d'uue trahison bien marquee. Indigna- La nouvelle de cette cximinelle collu-* tl0!! sion etant venue a Rome , y excita l'indignation publique. Les plaintes et les xiius. muriuures eclataient de tous cotes contra les auteurs d'une paix si indigne en ellememe , et qui deshonorait la inajcste du nora Romain. Le senat etait fort embarrasse. D'un cote ilcraignait de se deshonorer s'il ratiliait une paix si odieuse, de 1'autre il ne pouvait se determiner a casser un traite conclu par un consul cber au parti des nobles , et qui avait eu pourconseil et pour adjoint Scaurus,prince

* 11 est etonnant quo M. Crevier ait tra ces paroles latiues par.celles-ci: une asse{ Winnie d'argent. Cast une meprise de l'histon®ÿ

R O M A I N F.. Liv. Fill. 14& du senat, dont l'autoritc etait tres-grandc dans l'ordre senatorial.

Pendant ces incertitudes et ces irreso- DIscobu lutions du senat, le tribun Memmius , ennemi de tout temps de la noblesse, et1 eu,mms* tres-bien intentionne pour le bien public , fait entendre sa voix ,se dechaine contra le premier ordre de l'etat, et eÿhorte le peuple a ne point abandonner la gloire de la republique ni sa liberte. Pour l'cncourager et l'aigrir de plus en plus contre le corps des patriciens ,il lui remit sous les yeux un grand nombre d'exemples de leur .cruaute et do leur orgueil. " L'in-

,, tegrite ,dit-il,a disparu dans cet ordre ; on n'y trouve plus de justice. L'argent

„ est le tyran cle Rome ; et le peuple ,, n'a que trop eprouve que les grands ,, et la nobles.se n'ont point d'autre di-

„ vinite. Sans foi , sans probite, sans

„ honneur , ils font tranc de tout , et ,, des devoirs mdme les plus,sacres. Les

„ uns ont tue vos tribuns , les autres

„ vous ont persecutes par d'injustes et ,, impitoyables recherches. La plupart ont

„ les mains souillees de votre sang ,et

„ ils corisiderent leurs crimes comme leur ,, rempart et leur sauvegarde. La gloire ,, et les interets de l'etat sont: devenus ,, la matiere du commerce des' grands.

„ lis ont vendu a prix d'argent , dans

„ votre armee , et dans Rome m&ine ,

„ l'honneur et les interdts du peuple Ro-

„ main; ils ont prostitue a un ennemi 5, audacieux , 1'autorite du senat et du Tome IF. G

Ii/i

H I S T O IR E

„ peuple , ct la majestd du nom Romain. ,, L'impunite les a rendus encore plus har» ,, dis et plus entreprenans. En un mot,

„ les lois , la majeste de l'empire , le ,, sacre et le profane ,tout a* ele sacrifie „ et livre aux ennemis. Et ce qui revolte ,, et indigne,c'est que les auteurs de tous ,, ces exces n'en ont ni nonte ni repentir. ,, lis marchent devant vous la tete levee,

„ avec un train pompeux et magnifique, ,, faisant parade de leurs sacerdoces ,de ,, leurs consulats ,et quelques-uns deleurs ,, triomphes , corame si tout cola mar-

„ quait un vrai ct solide merite , et non ,, pas plutot une insatiableambitionet une ,, avarice cruelle et enorme. Opimius , ,, l'assassin de Cains Gracchus ,le rneur,, trier de trois mille de ses concitoyens, ,, ce tyran de sa patrie,les mains encore ,, teintes et fumantes du sang du peuple ,, et de ses tribuns ,les a pleines de l'or „ et de I'argent de Jugurtha. Calpurnius ,, et Scaurus ne sont pas plus innocens. „ On nous dit que le Numide s'est rendu ,, k la republique , qu'il a livre ses pla,, ces , ses troupes et ses elephans. Ro~ ,, mains ,eclaircissez ce fait. Faites venir ,, a Rome Jugurtha. S'il est vrai qu'il so ,, soit rendu de bonne foi ,iiobeira a vos ,, ordres ; et s'il n'obeit pas ,vous juge,, rez ai.sement que ce qu'on appelle un ,, traite,n'est qu'une collusionde on prince ,, artificieux avec nos generaux tvaitd ,, dont le fruit sera l'impunite de ses cri-r sti mes ,qui aura eurichi ceux qui etaieiR

„ charges des ordres du senat ,et cou„ vert la republique d'un deshonneur „ eternel. ,,

Un discours si vif et soutenu de si bon- Succks <!e nes raisons,ne pouvait manquer de piquer ce ÿiscoais et de rdveiller l'animosite du peuple , deja assez aigvi par lui-m&me. Opimius , cite a son tribunal, et condamne a un exil perpetuel, fut le premier fruit dc l'dioqnent discours du tribun. Le souvenir des Vdl. F.icruautes d'Opimius , dit un auleur , Ht-Ure- 1\'°qu'il ne se trouva aucun pldbdicn qui cut pitie de sa disgrace , et qui s'interessat & son retour. lifut oblige de passer sa vieillesse deshonore ,et avec la honte que lui avaient merite son avarice et ses cruautes. Envertu de la meme ordonnance du peu¬ ple, L. Casslus, actuellemcnt preteur, eut Casslu* ordre de passer en Numidie ,et d'amener est ciiaiy.e Jngurtha a Rome ,sous ia garantie du peu- cl'a!ler tu pie Romain. Am<iue*

Le preteur , charge de cette honorable commission , part sans differer ,arrive en Numidie , et communique a Jugurtha ses ordres. Le prince en fut effrayd et alarme. Par la demarche qu'exigeait de lui la hererepublique,ilvoyait larnajeste royale avilie, ses artifices ddvoilds, le fruit de ses largesses perdu , et lui-meme en grand danger d'etre severement puni des crimes qu'il savait bien avoir commis. Ces re¬ flexions firent sur le prince Numide des impressions de crainte,que Cassius eut bien de la peine a detruire. Enfin, le prince vainquit sa repugnance j il defera aux

Histoire ordres du peuple Romain,plus par la confiance qu'il eut en la foi du preteur,qu'en Hamere celle tie la republique. Mais iicomplait enJuguitha k Core plus sur son argent que sur tous les ivome. sauf-conduits et toutes les suretes qu'on pouvait lui donner. Plain de confiance en son or ,ilso livre k Cassius,part ,arrive a Rome , et y parait avec la meme assu¬ rance que s iIavait ete innocent des crimes dont on le chargeait. Cetait pour Rome un evenement tout nouveau, qu'un roi vint reconnaitre son tribunal , et s'avouer le jus¬ ticiable des cornices. Jugurtha , arrive k Rome,ne perdit pas le temps a considerer et admirer les beaules de cette capitale du monde. II travailla a mettre dans ses inter£ts un des tribuns. 11 en gagna un , Ce princo nomme Bebius. Pleinement rassure ,par g-:g -c mii cette victoire,de quelque legere inquietude t»ioan, qu'il avait eue sur le succes de son affaire , ilparut dans l'assemblee avec unair assure et une contenance intrepide,que tous les reprochcs sanglans du tribun Memmius ne purent lui faive perdre. Somme de repondre aux chefs d'accusation que ce zele tribun avait dresses , moins contre lui que contre les commissaires Romains et les generaux d'armee qui s'etaient: laisses seduire par son argent , il ne daigna pas Celui-ci ouvrir la bouche pour sa justification. Besauvc Ju- bius , co tribun mercenaire , vint a son gurtha. secours , or lui defendit de repondre. A cette opposition de l'indigne Bebius, il s'elevaunfremissement general, dans l'assem¬ blee, Tout le monde en general,et chacun

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en parliculier ,lui en marque son etonnement par des oris ,des gestes ,des regards menagans , et tous les autres signes dont la colere sait faire usage. Le perfide tribun , peu touche des menaces du peuple , persiste opiniatrement dans son irnpudente opposition ,et ne vent point s'en departir. Ainsi le peuple,trahipar un de ses magistrats et devenu le jouet de son avarice , eut le desagrement de voir rompre son assemblee , sans avoir tire aucun eclaircissement sur des faits qu'il lui importait si fort de connaitre.

Ce succes releva le courage de Jugurtha et celui des senateurs-commissaires ,qui avaient inter£t que cette affaire ne fut pas eclaircie , et qu'elle demeurat ensevelie dans l'obscurite des tenebres. Le peuple ,de son cdte , irrite de cette nouvelle collusion , veut absolument faire justice , et tirer une juste vengeance de crimes aussi enormes. Onpropose d'arr£ter Jugurtha , et de donner sa couronne a un prince Numide , nomme Massiva , fils de Gulussa , et petit-fils de Masinissa,mais ne d'une concubine. Ce prince , qui etait danslesinterdtsd'AdherbalcontreJugurtha, JugurtLa avait sagement pris le pavti de so retirer a.sJas" v n 1 1 . . sincr JYiasa Kome apres le meurtre de son roi , pour s;va. s'y mettre en surete contre la cruaute de An. M. l'usurpateur. Mais cette sage precaution c lui devint inutile. Le tyran , devenu plus 107. audacieux par le dernier succes de son or f.AN* R* et de son argent , informe et alarme tout a la fois du projet qui se tramait contre G 3

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Histoir.e lui , fait assassiner ct egorger ,au milieu de Rome meme ,cet innocent rival. L'assassin, quin'avait paspris desmesuresassez justes pour s'evader apres le coup , fut arr£td et mis entre les mains de la justice. Par l'aveu et par la deposition du meurtrier ,on connut ceux qui l'avaient mis en eeuvre; le perf.de et cruel roi des Numides II regoit demeura convaincu de ce noir attentat. Le sortU de sÿna* ' quelqu'envie qu'il eut d'obliger Home. Jngurtha , ne pouvant plus se dissimuler la noirceur de ses crimes , et la nouvelle insulte que ce prince venait de faire a son autorite et a la majeste de l'empire Roroain , an milieu de Rome m&me , lui ft signifier unordre d'avoir a sortir incessamment de Rome et de 1'Italie. Le Numide , qui , peut-etre n'avait plus d'argent pour acheter son absolution et son innocence , n'attendit pas un second oi'dre. IIpartit sur le champ. Lorsqu'ilfut hors des portes de la ville ,on dit que, pdein d'indignation et de meprispourcettecapitale dumonde , jCpit.l.6ÿ. so tourna vers elle , et s'ccria : O ville vehale ! tu subirais bie'ntot le joug de la servitude , s'il se treuvait un nwrchand assei tiche pour Vacheter. O Urbem venalem , et cita perituram , si emptorem invenerit ! recommen- ce moment la guerre recommeiÿa ? ce. et le consul Albinus en fut:charge. IIpassa Sail. c. sans differer en Afrique dans le clessein de OO . 09. . 1 • Albinus tern"ner cette guerre , et de revemr en est chargo Italie pour presidcr a Selection prochaine plditioa*" *LS nouvcaux consuls. 11eut d'abord quel-

R O M A I N F. Liv. Fill. ibl qucs succes. Mais l'artificieux Numide , qui attendait tout du benefice du temps , et qui ne desesperait pas do mettre le consul dans ses interSts , traina adroitejnent la guerre en longueur. Tantot ilpromettait de se renare de bonne foi ; tantot, t«inaoignant de la defiance , il paraissait resolu de- ne vouloir quitter la couronne qu'avec la vie. Ainsi, par ses ruses et par ses artifices , il arreta tout court les progres du consul , sc-.joua de lui , et eluda tois ses efforts. Le temps des cornices erant arrive , Albinus quitia l'Afrique pour v ailer presider , et ne reporta de Numidie d'autre fruit de ses armes contreJugurtha , que celui de s'dtre enrichi de l'or et de l'argent de ce prince, a qui , disait-on assez publiquement , il avait vendu les avantages et les victoircs qu'il aurait pu remporter sur lui.

En partant d'Afrique , il laissa le com- Auins son mandement de l'armee a Aulus son frere frerc jui et son lieutenant. Le nouveau general etait suci-cc'e' sans science et sans experience militaires , saris courage et sans valeur. Ces defauts auraient pu 6tre converts on queique sorte s'i] avait su les reconnaitre. Mais une aveugle presomption qui lui tenait lieu de tout mcrite , les lui cachait , ct lui donnait fort bonne opinion de sa capacity.

A ces defauts il reunissait uue sordid© <"navarice ,dontJugurtha sut. bien profiler de ,ePrljes' rtr&me que deson incapacity dans la guerre.

La passion de s'enrichir lui inspira le dessein de faire , quoiqu'en hiver ,le siege

lf>2 H Is t o Ir e do la ville de Suthvil. II etait informe qu'une partie des tresors du roi etaient enfermes dans cette place , qui etait tresforte , situee sur la croupe d'une montagne escarpee et environnee d'un marais. Les tresors du roi etaient l'aimant qui attirait le general Remain. Mais il n'avait ni assez de resolution , ni assez de capa¬ city pour conduire avec succes une entreprise aussi importante.

Le roi des Numides feignit de redouter les armes du faible et incapable general. Jlavait desseind'entretenirpar cette crainte simulee la presomption et l'aveuglement d'Aulus ,afin qu'il ne s'apeÿut pas de ses fautes , et qu'il n'abandonnat point une entreprise dont il esperait lui-mÿme tirer de grands avantages. II lui envoie des deputes qui lui demandaient , tantot un accommodement , une autrefois unearmis¬ tice ,et enfin la paix , avec des instances les plus vives et les termes les plus soumis , qui marquaient une mefiance entiere de pouvoir se defenclre contre la valeur de ses armes.

Cependant le siege allait fort, lentemont. L'artificieux Numide xnit ce temps-la a profit. Ilparvint a corrompre, a force d'argent , une partie des troupes auxiliaires , et des officiers Romains m6me qui promircnt de le servir dans l'occasion. Cette victoire lui en procurera bientot une seconde et dans un autre genre , qui sera aussi deshonoraiite que funeste au nom liomain, Aulus , plein de lui-ineme , et

R 0 M A IN E. Liv. T'TIl. Ii>3

arcugle par sa presomption , voyant le Numide se retircr d'aupres fie Suthul ,et

Srendre la fuite avec precipitation ,abanonne le siege , et se met a le poursuivre avec ardeur. Son inquietude n'est pas de vaincre , sa seule crainte est que Jugurtha lui ecbappe , et qu'il n'en puisse pas faire le principal ornement de son triomphe.

L'habileNumideavance toujour.? ,et attire Sadefÿite; les Remains elans un defile oil ils se trouverent vaincus sans combattre. Attaqubs et presses par devant et par derriere , trains par une partie des troupes qui passerent chez l'ennemi, et par d'autres qui livrerent le camp , ils prennent la fuite et gagnent avec leur general et les principaux officiers , le sommet d'une montagne. Cenendant le camp est pris et pille ; on tue et on massacre tous ceux qui y etaient restes , ou qui n'avaient pu s'echapper.

La nuit qui survint, et l'aprete du soldat a piller le camp des Remains , arreterent le vainqueur ,et 1'empecherent de tirer de sa victoire tout l'avantage qu'il aurait fait. Le jour etant venu ,le generalRemain vi't son malheur dans toute son etendue. 11 fallut jouer un role bien different de celui qu'il avait joue jusqu'alors. Jugurtha peu content d'avoir pris et pille le camp Romain , d'avoir taille en pieces une partie de l'armee Romaine , et de tenir l'autre assiegee , voulut ajouter 1'insulte au mal¬ heur. Dans une entrevue qu'il eut avec le propreteur , il feignit de ne vouloir pas frouter de tous ses avantages , mais de G 5

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Histoire

vouloir user avec moderation de sa vio PÿixigBO- toire. « Je puis , dit-il , vous faire perir mmieuse. & vous vos troupes par la faim et par » ie fer. Cependant ,sensible a votre maly> heur , et considerant la vicissitude des armes et de la fortune , si vous voulez » faire une paix solide avec moi , el vous s> resoudre a passer sous le joug , je vous » renverrai tous sains et saufs , et en U» berte ;a condition neaninoins que vous » evacuerez la Numidie dans l'espace de » dix jours. » Aulus , qui craignait plus tie mourir que de se deshonorer , consentit a tout. Son armee , luia la tete ,passa sous le joug ignominieux des Numides j et, conformement au traite, il sortit des terresdu roi,et prit sa route pour se retirer dans la province Romaine.

ÿ Le senat La nouvelle d'un affront aussi. deshol, 0 norant au nom Romain , souleva tous les d'Aums, ordres en general ,et chaque particulier , contre le lache et avare propreteur. I.<? senat cassa un traite si humiliant ,et vevoqua Aulus , qui , les armes a la main , avait prefere son salut a son honneur et a celui de la republique. Metellus ,designe consul ,fut charge de cetteguerre.Lechoix d'un aussi excellent capitaine , egalement brave et incorruptible , ranima l'esperance des Romains ; et on ne douta plus de la defaite de Jugurtha , des qu'on le vit k la tete des armees. Ses vertus militaires ,politiques et morales repondaient k la gran¬ deur de sa naissance ; il ne lui manquait rien de tout ce qui forme les heros, II

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efait egalement aime el esiimc du peuple et de la noblesse m£me , dont il etait 1'ornement et le plus ferme appui. Tel est le personnage que Rome oppose au prince Kumide.

Metollus fit tons les preparatifs de la , ÿP-teUrij guerre avec un soin et line diligence in- ja ÿÿerre croyables. 11 partit pour l'Afrique,non pas oe Numicomme les gdneraux qui l'avaient precede, dans I'intention de s'enrichir , mais 58,-3. " bien determine de vaincre et de reduire Av. J. C. un ennemi qni s'etait soutenu jusqu'alors ,10:ÿ R rooins par le fer et par la voie de l'hon-gÿ.* ueur , que par ses ruses , et par l'argent dont il avait fait usage pour corromnre les generaux qu'on lui avait opposes. Ar¬ rive au camp ,un de ses premiers soiris fut de retablir la discipline militaire ,et de la metlre en vigueur parmi les troupes, qui etaient , a tous egards , dans un cii.at deplorable. Persuade que le bon ordre est comme le nerf d'uno armee , et qu'elle ne saurait: vaincre si elle n'estparfaitement disciplinee ,il ne voulut rien entreprendre qu'il n'eftt reforme ses troupes. Quand il cut mis son armee dans letal qu'il souhaitait , il marcbe a l'ennemi ,lui livre deux bataill.es consccutives et les gagne. Jugurtha ne pouvant plus tenir la campagne, se renferme dans les villes ;mais il n'y est pas plus en surete. Le general les assiege ,les attaque et les prend de vive force. Le roi ne trouvant aucun asile assure ,fuit de province en province, aj'ant toujours a ses trousses le general Romain?

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H I S T O T R E qui s'acliarnait contre lui comme une buld feroce sur sa proie.

Jugurtha Jugurtha n'ayant aucune esperance do se*entire.0 se s:iuver c'cs mains de Metellus ,ni pa? scs artifices , ni par son argent, ni par lcs armcs , commcnga a entrer dans unegrande inquietude. Apros bien des reflexions, il se determine se livrer de bonne foi a la merci du consul. IL lui envoie des arabassadeurs pour lui on faire la proposition, ne demandant que la vie et la liberiepour lui et pour ses e'nfans. Metellus soupgonna de la duplicite dans cetle demarche du roi, et. croyant qu'avec un prince perfide , il lui etait permis d'user d'artifice, ilseduit les deputes du roi , et les engage a lui Artifice du livrer leur maitre mort on vif. Co precede consul. est vme )acj1G considerable a la gloire de Metellus,et une preuve du deperissement des mceurs a Rome, puisque les plus gens de bien font ceder l'honndte a l'utile. Pour couvrir son indigne procede ,et ne donner aucune mefiance au prince dont il avait. achete la vie, illui fait une reponse favo¬ rable ,et luiaccorde tout ce qu'il demande. Cependant il continue la guerre avec la m£me vivacite qu'auparavant , comme si on ne lui avait fait aucune proposition , et qu'il n'eutrienpromis lui-meme ,atten¬ dant de jour a autre l'effet de son indigne negociation;mais le projet ne reussit pas, par la penetration de Jugurtha. Ce prince remarquant que ricn n'arr£tait le consul , etque, sous des piomesses et des esperances de paix,ilne cessait da

Romain F.. Liv. Till. I5?

luifaire une cruelleguerre,ouvrit les veux. Ii reconnut. que le general Romain employait contre lui les memes armes dont ils'etait servi lui-m£me jusqu'alors, la vtise et l'artifice. IIse determine a defendre par la voie des armes ce qui lui restait ,et a. reprendre, s'il le pouvait ,les places et 1c pays dont on l'avait depouille. Le succ'es ne repondit nia ses voeux ni a soncourage. La fortune fut toujours la meme; constamirient favorable a Metellus,et constamment contraire aux desseins de Jugurlha. Ce n'est pas que le merite guerrier du roides

Numides n'egalat aumoins celui dugeneral Romain ; mais il n'etait pas seconcle , comme Metellus , par le courage de ses troupes ,qui etaient. bien inferieures en ce genre aux legions Romaines.

La nouvelle des heureux succes de Me- Joie i tellus passabientot la mer et arriva jusqu'ik Rome. Rome. On y rendit aux dieux,par ordre du senat , des actions de graces solennelles. Toute la vilie ,nobles et plebeiens ,pauvres et riches , voulurent y prendre part. Chacun louait a l'envi le merite de Me¬ tellus, et s'efforqait de relever la gloire do ses expeditions. Notre general ne se laissa pas eblouir par ses succes. IIen devint plus attentif et plus vigilant pour soutenir le cours de ses victoires , voulant terminer promptement,et a sa gloire, une guerrequi dmait depuis long-temps, pendant le cours de laquelle la gloire du nom Romain avait beaucoup souffert.Cependant,commeiln'y toyait point d'issue par la vole des axnres«

II I S T 0 IR E

vu la superiority du courage du roiNumide, et les ressources incpuisables que songenie lui fournissait , il dressa une nouvelle 1 atterie , et employa une seconde fois l'artiiice. 11 gagne Bomilcar , le confident intime du roi , et l'engage a lui livrer son maitre , son ami et son roi. Quelle indignite dans le consul !

Bcmtlcar LeperfideBomilcarepial'occasiond'exe?u'Sroie<lo cuter sa proraesse et de remplir ses engase livrer gemens. Comme il etait le depositaire de su tous les secrets du roi ,et la personne en oniain. qUj je pVince avait plus de confiance , il ne lui fut pas difficile de lui persuader de se rendre a la discretion du general Ro¬ main , vu la triste situation ou etaient ses affaires , la mine entiere de l'empire de Numidie , et l'impossibilite de pouvoif tenir plus long-temps contre les Remains. Sur ces remontrances ,Jugurtha* qui etait persuade que Bomilcar , son parent , son ami et son confident , lui parlait par amitie et par l'interdt qu'il prenait a ce qui le touchait , se determine a s.uivre son avis ; ce prince envoie sur le champ ties anibassadeurs a Metellus ,pour lui declarer qu'il se remettait sans reserve , lui ,son royaume et ses enfans , a sa noble et genereuse discretion.

Jugnrtlia Metellus , ravi de loie du succes de ses argent* S0" artifices ,tient conseil avec ceux des senab teurs qui etaient dans le camp , pcur de¬ terminer les conditions auxquellfes on recevrait ce prince. 11 fut arrete que le roi de INumidie payerait comp.tant deux cent

R O M A T N F. Liv. VIIJ. Ir"9

rrille livres d'argent * ;qu'il livrerait tous ses elepharis et une cerfaine quantitd d'armes et de chevaux. Le roi execute tout cola sur le champ ,et livre , selou l'ordre de Metellus , tous les transfuges qu'il put faire arr£ter ; mais quand il s'agit de se livrer lui-m&me et ses enfans, de se rendre au lieu marque pour y recevoir les ordres du general Roinain ,alors le souvenir de ses forfaits , dont il craignait la juste punition , Ds charmes du pouvoir souverain ,et 1'horreur de descendre du tronc clans la servitude , le firent revenir sur ses pas. IIvoulut tenter de nouveau le sort des armes. Le depouillement universel U refuse d'argent, d'armes et d'hommes ou se trou- ,e-se ÿ' /rer . ® . r . i , lui-meme. vait ce prince , ne tut point un obstacle a ce nouveau projet. Ce genie superieur trouva dans son courage et dans sa fecondite en expediens,tout ce qui luimanquait. Unnoble desespoir lui inspira de nouvelies forces ,et lui fournit des secours de toute espece. Dans tres-peu de temps ileut sur pied une belle et nombreuse armee , et tres-bien fournie de tout.

L'annee du consulat de Metellus etant IIre-o-nexpiree ,le senat lui prorogea le comman- mfnre ia 1 • SU6 IT(? clement de l'armee d'Afrique , avec le titre sÿu. c„ do proconsul. Ce general avait: mis au 66-69. commencement de la guerreune forte gar- 3gÿ0N- Ivrÿ nison dans la ville de Vacca, une des plus av. j q grandes ,des plus riches et des plus marchandes de la Numidie. Les habitans deg3N-

* Dix millions de notre monnaie.

i6o

Histoire

eelte ville,en cliangeantclema'itre,n'avaienf point change cle dispositions pour leurroi. lis conserverent pour Jugurtha l'amour, le respect et la fidelite qu'ils avaient toujours eus pour lui. Le roi , instruit des favorables dispositions ties Vacceens ,les sollicite et les engage enhn a massacrer la ÿMassacre garnison Romaine. Pour executer leur denison Ro- |°stable projet ,ils prennent occasion d'ua maine a jour cle fete, lis invitent a souper le comVacca. mandant cle la place , nomme Turpilius Silanus ,et tous les officiers subalternes. Chacun poignarde son bote ,puis on ouvre les portes a Jugurtha, qui entre dans la ÿ ville ,et taille en pieces ia garnison Iioiuipillus,maine. Le massacre fut general. IIn'y eut comman- ÿ t i- , , to J riant,sauve 9 , 1urPlllus R111 echappa au carnage. tlucarnage II fut redevable de son salut a la dou¬ ceur de son gouvernement: , qui lui avait concilie l'estime et l'amitie de tous les habitans,qui,par reconnaissance des bons services qu'il leur avait rendus ,le demanderent au roi.

Ce bon office des habitans de Vacca devint funeste a Turpilius. U ne fut sauve' dans cette occasion que pour perir peu de temps apres d'une maniere cruelle et ignominieuse.Mbtellus,animed'un vifdesir de venger le massacre de la garnison cle Vacca, s'avancesecretement aupres cle cette place , la surprend ,et met tout a feu et a sang. Turpilius, plus malheureux que criminel ,est. pris et cite au tribunal du pro¬ consul , pour y rendre compte de sa conduite. jftlytÿllus ,cjui etait persuade de son

R 0 M A IN E. Liv. Fill. 161 innocence , aurait bien voulu le sauver ; mais Marius ,un de ses lieutenans-generaux , qui penetra ses vues , se rendit la partie de Turpilius, plus par haine contre son general , et par envie de lui faire I de la peine , que par auixnosite Contre le commandant de Vacca ,et par conviction de ses crimes. Marius accuse done Tur- Maiius pilius de haute trahison, et s'acharne a sasc icrc! ÿ . ...son accuconclamnation.Laccusation paraissait vrai- sateur. semblahle , elle avait tous les dehors de verite. Tout parlait contre Turpilius ;et, pourcomblode malheur ,ilse defenditxual.

Ainsi Met.ellus se vit force, xnalgre lui- IIest co». mdme ,a condamner son ami et son bote.IIaan'"e a lefit battrode verges et perir sous la hache. On ne tarda pas a reconnaitre l'innocence dun si bon et si brave officier. Tout le monde regrettaitTurpilius ;chacuns'atten- drissaitsur son malheur,et s'affiigeait avec so» general du supplice d'un homme qu'il avait juge digne cle sa confiance et de son amide. Marius fut le seul qui soutint son premierrole ,et qui se fit un plaisir malin de se rejouir publiquement de la mort de mmpilius, pour insulter au proconsul. IIse rantait insolemrnent d'avoir cause k Me, Melius un remords vengeur du sang innoI Ccnt de son bote et. de son ami. i Marius avait plus el'une vue dans la con- v?es de ! ÿite qu'il tenait a l'egarcl de son gene- Marlus« ral. IIvoulait non-seulemen* venger quelnues sujets de plainte anciens et nou,0aux, et les mepris dedaigneux et hauau's que Metellus lui avait fait essuyer

H 1 S T O IR E

pendant le cours de la caropagnc do Numidie • ilvoulait en outre se venger dans ]a personne de Metellus ,de toute la no¬ blesse ,et s'acquerirdelaconsiderationdans le parli des plebeiens. II esperait se frayer nne voie aux honneurs el anx premieres dignites de 1'etat,ou son ambition et son mdrife l'appelaient. Devenu lieutenant de Metellus , il ne cacha plus ses desseins Scs Wiles ambitieux. Ilaspira publiquementauxpre- ÿujntes. jnicres places. II faut dire a sa louange qu'il se conduisit dans la charge de lieu¬ tenant-general , de la maniere la plus propre a les meriter. 11 avait su se concilier l'amitie et la confiance des troupes. H etait lo plus sur instrument des victoires de Metellus , par son travail infatigable, par son courage que rien ne rehutait , et par la superiorite des vues, que personne ne fit voir ni plus justes niplus etendues. Ennemi declare du luxe et de la mollesse, ilvivait aussi frugalement et plus durement que lessimples soldats. V£tu,nourri, couche comme eux , il etait pour eux un modele qui les remplissait tout-Ma-f°1!> d'admiration et de confiance en lui.

Intrigue

Dans tout: cela , iln'y aurait rien qlie 1 ('igne de louanges. Lacarriere de 64-65.' ' neur et de la gloire etait o'uverte p°m' lui comme pour les autres ;mais il ne sen \ tint pas la. II crut pouvoir s'elever sur > les ruine.s de son general , dont il sapa1 la reputation par- de sourdes menees. ( 0 procede ,indigne de tout honn£te homme? le deshonore d'autant plus , que Mdtelius

Roma t n e. Lh>. VIII. ic'3 etait un general plein de merite et de vertu , son bienfaitour , el a qui il etait redevable du poste de lieutenant-gene¬ ral qu'il occupait. actuellement dans l'armee. Marius qui etait ne avec un mauvais coeur , ne fut retenu par aucune con¬ sideration ; ties ce moment il rait en oeuvre toute sorte tie movens pour supplanter le proconsul et se faire nommer en sa place. A Rome , corrnne a l'armee , il faiÿsait semer des bruits calomnieux contre lui : a l'en croire , le proconsul etait un ambitieux , qui trainait la guerre en lon¬ gueur pour prolonger son empire et sa do¬ mination j il avail plus de faste et de ferte que de veritable merite ; sa lenteur naturelle , augmentee par l'Age , donnait lieu a I'ennemi actif et vigilant d'eiuder tous ses projets , et de s'echapper a toutos ses poursuites ; il ajoutait que, pour lui , avec la moitie moins de troupes qui composait l'armee , il se faisait fort de termi¬ nercette importante guerre ,et d'emmener a Rome Jugurtha mort ou vif.

Ces bruits,aussi deshonorans pour Me- Succes de tellus qu'ils etaient. honorables a Marius,ses tepandus avec affectation , eurent tout le 72, succes que leur auteur s'en etait propose. jÿetellus de/int l'objet de la haine et de lenvie clu peuple a cause de sa haute naissance. La bassesse de 1'extraction de Manps lui fut au contraire tres-favorable. Les bibuns du peuple, charmes de trouverdans leur ordre un homme de ce merite pour ÿ°pposer a la noblesse - faisaient des bri-

i64 Histoire gues en sa favour. lis ne parlaient jamais en public sans combler Marius tie louanges , et accabler Metellus de reproches. Marius informe de ces favorables dispo¬ sitions , demande son conge a son gene- , ral pour retourner a Rome soliiciter le consulat , et se mettre au rang des canMetellus didats. Le proconsul , etonne et memeinlui refuse cligne d'une ambition qui lui paraissait si B.r congv.. (ÿc;pjaC(je qans un persormage de si basse naissance , crut devoir l'avertir en ami de ne pas former des pretentions si hautes et si fort au-dessus de son etat : qu'ii lui conseillait de laisser murir les dispositions du peuple en sa favour , et de ne lui pas fairc des demarides qui lui attireraient la honte d'un juste refus. Le proconsulignorait sans doute la puissante faction que i Marius avait k Rome.

La reponse du proconsul ne fut point un remede efRcace & l'ambition de Ma¬ rius. IIrevint a la charge , et pressa extremement son general de lui accorder son conge. Celui-ci , fatigue de ses importunites , lui repondit avec aigreur et rtiepns» qn'il lui conseillait d'attendre pour bnguer le consulat que le jeune Metellus son fils fut assez age pour pouvoir etre Ibid. ou son competiteur , ou son collegue. Co I his de Metellus n'avait pas encore vingt ans ; et l'on sail: que pour etre eleve a la dignite de consul , il en fallait avoir an moins quarante. Marius fut extremement pique d'une reponse si insultante , ntiais il eut assez de politique pour dissimnlet

R O M A IN F. Liv, JUL 16h

son chagrin. IIne cessa de demanrler ct II lc Iu* de solliciler son conge ,qu'il obtint enfin accoldepar ses importunites. Corame il restait tres-peu de temps du jour de son conge aux grands cornices , Marius ne perdit pas un moment : porte sur les ailes de l'ambition , ii fit une di¬ ligence qui etonna tout le monde. II se fit voir a Rome six jours avant la tenue de l'assemblee. Sa presence rappela le sou¬ venir de tout ce qu'on avait ecrit de Numidie d'odieux contre Metellus et de favorable pour lui. IIne manqua pas de io confirmer par ses discours ,y ajoutant des traits nouveaux pleins de malignite contre son general. Les tribuns se reunirent a lui, et le donnerent au peuple commo le personnage destine par les dieux a ter¬ miner avec honneur et promptement la guerre de Numidie. Le peuple deja degoute de la noblesse , et charme de l'audace de Marius , le comble de louanges , que celui-ci regarda cornme des gages as¬ sures de saprochaine elevation. En effet ,Marius est lejour des cornices etant arrive ,le peuple ulut Marias d'une voix unanime , et lui associe au consulat Cassius - Longinus. Le senat pique de l'election d'un hommo d'une naissance si obscure , voulut se venger de cette espece d'insulte. IIrendit uu arrgt par lequel ilprorogeaita Metellus le conimandement de l'armee de Numidie. Mais sur la requisition d'un tribun , le peuple cassa 1'arret du senat , et donna a Marius ,sonconsul, le soin de la guerre

H IS TO 1 R E

d'Afrique. C'est ainsi que les deux ordres tie larepublique ,contrepointes l'un contre l'autre , epiaient et saisissaient l'occasiou do se mortiner muluellement. Revenons a Jugurtha.

r.onspira- Ce princeayant fait reflexion sur 1cper- , *l°iicar 01°* n*c*eux conseil que Bomilcar lui avait | jÿn carpu- ÿonn(ÿ ÿ SR renc[re aux Romains, entraen Sail. 70- mefiance sur sa personne. II n'en fallait | 7-* pas tant pour un prince d'un caractere aussi soupgonneux que Jugurtha. Bomilcar s'en apergqt , et craignar.t la juste punition que meritait sa perlidie , il resolut de preventr la vengeance du roi , et de sauver sa vie en immolant celle de sort maitre. II forme une conspiration : mais malheureusement pour lui , et heureuseinent pour le roi , elle fut decouverte. Le roi lui fit subir ie supplice qu'il me¬ ritait. La mort de ce traitre , et celle de ses complices , no mit pas Jugurtha en repos. Depuis ce temps-Id , ce princen'eut aucun moment de tranquillite. IIne trouvait nulle part de suretc. Le jour, la nuit, le citoyen , i'etranger, tout lui etait sus¬ pect et ie raisait trembler.

liletcllus Metellus voyant que Lartifice qu'il avait

Inence h emPio)'« contr'e Jugurtha ne lui avait pas euene. ' reussi;que Bomilcar,avec quiilavait ourdi Liy. 73. cette indigne manoeuvre , avait ete decern et mis a mort , se prepare a recommencer la guerre sur de nouveaux frais , et la pousse avec toute la Vigueur imagina¬ ble. II se presente au roi des Numides dans le temps qu'il s'y attend lit le moins»

R o m a in n. Liv. rill. 167 et le force d'accepter le combat. L'action ne dura pas long-temps ; elle ne fut pas un instant douteuse. Les Numides furent llbatJuenronces des la premiere attaque , et mis gmtha. en deroute. Le nombre des morts ni des 5qÿ' prisonniers ne fut pas considerable , les Av. J. C. Numides des le commencement de l'ac- I0>tion ayant cherche leur salut dans lafuite. 6- 5 K*

Cette nouvelle clefaite fit desesperer a Jugurtha de pouvoir jamais retablir ses af¬ faires. 11 gagna les deserts avec les transluges et une partie de sa cavalerie. Enfin , apres une longue et penible marche , il arrive a Thala. Cette ville etait grande , richc ,depositaire d'une partie des tresors du roi, et de ses enfans qu'il y faisait elever. Le proconsul , qui brulait d'envie II fair la de terminer cette guerre ,l'ysuivit do pres. l!e Jugurtha etonrie de la diligence du ge- ja "pre'nd* feral Remain , se sauva de nuit avec ses d'assam. enfans , et une grande partie de ses tre¬ mors qu'il emporta avec lui. La ville ,rnalfe l'abandon du roi , ne laissa pas que de se defendre :comme elle etait tres-bic-n forrifiee par la nature et par l'art , il en faHut faire Is siege dans les formes. 11 dnra quafante jours ,au bout desquels les domains ,apres avoir essuye bien des fa¬ tigues et des dangers ,prirent la ville d'as®ant ,et s'en rendirent maltres. Le butinne j Jut pas capable de les dedommager de feurs peines. Les transfuges voyant la breehe ouverte sans aucun espoir de saint pour "Ux ,porterent au palais du roi tout For nilargent, avec tous les meubles precieipi

t68

H is t o is e cle la ville : la, apres s'etre remplis devin et de viandes, ils mirent lo feu au palais , et perirent dans les flammes avec leurs richesses. Ils voulurent prevenir par cette mort volontaire le juste supplice que meritait leur perfidie , et que ie general Romain n'aurait pas manque de leur faire souffrir.

Le roi Numide ,informe de la prise de Thala ,se retira dans le fond de la Getulie.

Jugurtha II forme ces peuples feroces et barbares, forme aux qUi n'avaient jamais entendu parler du armes les i r> ÿ ' •, i i K Getulcs. pcuple Komam ; U les dresse a manier les armes , a s'en servir et a faire toutes les evolutions milifaires. De plus , ilso fovtiiie de l'alliance de Bocchus, roi des Maures ,son voisin et son beau-pore. Les deux rois rassemblerent leurs troupes aupres de Cyrthe , et les reunirent en line seule armee. Le dessein du 4"oi des Numides etait de surprendre cette place , oil les Romains avaient leur butin, leurs bagages et leurs prisonniers , ce qui aurait ete pour lui u»i coup decisif ;ou bien d'engager une bataille au cas qu'ils s'avisasserit de venir au secours de la ville , et de metlre Bocchus , par ce coup d'eclaL dans la necessity de se tenir attache a son parti. Mais il eut le deplaisir de voir echouer un projet si bien concerte sans aucun succes , par l'activite de Metoliu? qui vola au secours de Cyrthe et la delivra du peril dont elle etait: menacee, sans t]ue les deux rois pussent le forcer d'accepfcr ia bataille. ra

R 0 M A IN E. Liv. Fill. 169

Ce fut dans le cours de ces glomuses Metclluj expeditions , que Metellus reÿut coup sur -TPft-d coup les facheuses nouvelies de l'eleva- pCc". ' V tion de Marius a Ja dignite de consul ,et celle de sa revocation de la Numidie ou ce raÿrae consul devait aller le remplacer. Des ce moment la guerre ne fit que languir en Numidie. Metellus ne crut point devoir former a ses risques de nouvelies entreprises , dont son rival et son ennemi recueillerait la gloire et le fruit. Cette conduite du proconsul n'est pas d'un vrai patriote. On voit qu'il eherche sa propre gloire ,et non pas celle de sa patrie. Quelque grand homme que fut d'ailleurs Me¬ tellus ,ilne put apprendre sans un violent cfiagriri qu'on lui eut donne Marius pour successeur. II fut si abattu de ce coup im- Son et?prevu et inattendu , qu'il n'observa ni les s»ia. bienseances de sa dignite , ni celles qu'un homme un peu constant doit montrer dans I'adversite. IIdonna a sa douleur des larmes cqrnme aurait fait une fernme a qui on aurait enleve ses bijous. Pour excuser une si grande faiblesse , il disait qu'il aurait ete moins sensible a celte insulte , si on lei eut donne ,pour recueiilir ses iauriers, un succcsseur tout autre que Marius , qui dtait sa creature , et un ingrat qui n'avait decrie sa conduite que pour s'elever sur les ruines de sa reputation , langage de la jalousie. Metellus voulant eviter la rencontre desagreable d'un homme qui lui etait aussi odieux que Marius ,laissa a Rutilius, son lieutenant,lecommandement Tome IK H

170

H Is T O IS E

tie l'armee , et lc soin tic la remoHre a son successeur. Enfin ilpartit pour Rome , ou ilso rendit en diligence.

Cependant Is nouveau consul enivre de sa nouvelle dignite , donnait l'essor a sa haine centre le corps de la noblesse. II saisissait touteslesoccasions pour l'attaquer 1Discernis ot la decider. Dans tons ses discours ilse vant;ait que le consulat auquel il venait

S3. d'etre . eleve , etait le fruit de la victoire que lepeuple Remainvenait de remporter , par savaleur,sur la naollesse et la faiblesse des patriciens. « lis meprisent ma nais» sauce , clisait-il , et moi je meprise » leur orgueil et lour lachete. lis me re¬ s' prochent raon peu de fortune , et moi » je leur reproclie line conduite crimi» nelle , honteuse ct tout-a-fait desnono» rante. lis portent envie a la dignite a » laquelle vous venez de melever ; que » n'envient-ils aussi l'innocence de ma

» vie , mes travaux guerriers , rues perils

» et mes biessures ,qui m'ont ssrvi comme » de degres pour parveuiv aux charges if

» Mais ces homines , corrompus par l'or-

» gueil , vivent comme s'ils meprisaient

» vos dignites ct vos honneurs , et ils no » laissent pas de vous les demander avec » etnpressemeut et conhance ,comme s'ils

» les avaient merites par une conduite

» sage et vertueuse. Quelle crreur gros-

». siere , de preteqdre reunir en leur per-

» Sonne des clioses si opposees , le,s cldli-

» ces de la mollesse et les recompenses

» de ia vertu ! Faut-il s'etonner quo quand

R O M A-1 N E. Liv. VIII. lyi

v ils parlent en public , soit devant vous ,

» soit dans le seriat , tous leurs discours

» roulent sur leur puissance ,et soient uu

» tissu d'eloges des giorieux exploits de

» leurs anc£tres I

» Pour moi je suis prive de tous cos

*/> avantages etrangers , et i'avouc que je

» manque de tous ces secours. Je ne sau-

» rais vous representer et vous donner

» pour garans de ce que vous devez at-

» tendre de moi , les images , les con-

» sulats et les triomphes de xnes ancetres :

» je n'ai de ressource qu'en moi- inerne.

» Mais au defaut de ces appuis etrangers ,

» qui sont aujourd'hui la seule ressource

» et 1'unique recommandation des grands ,

» je puis vous produive des recompenses

» militaires de toute espece , des jave-

» lots , des etendards , des piques et des

» couronnes , avec des cicatrices glorieu-

» ses , restes precieux et honorables des

» blessures que j'ai revues par-devant. Ce

» sont-la mes images , mes tableaux et

» mes titres de noblesse. Je ne les ai.

» pas , coinme eux , par droit de succcs-

» sion et par le bienfait de la naissance ,

» mais je les ai merites par mes travaux

»ÿ et par mes dangers. Je conviens merue

*> tie bonne foi que je ne possede pas le

» talent de la parole , et que je manque

» de cet art dangereux dont les nobles

v> font usage , avec tant d'artifice , pour

» couvrir la honte de leurs actions sous

» I'eclatpompeux de belles et magnifiques

v> paroles. Eleve des ma tendre jeunosse

II 2

172 H IS T O IR E

» dans un camp et au milieu du bruit

» des armes , j'ai appris a me servir uti-

» lement de mon epee , & garder exacle-

» ment mon poste , a attaquer et a defen-

» dre avec succes une place , a ne rien

» craindre que la mauvaise reputation ,

» a souffrir egalemeut lefroid el le chaud,

» a dormir sur la terre , a supporter la'

» faim et le travail. Voiia l'etude a la-

» quelle je me suis applique : ce sont la

» les instructions et les exemples que je

» donnerai a mes soldats. C'est en tenant

*> une pareille conduite que nous peuvons

» esperer de terminer promptement la

» guerre de Numidie. Et ce qui doit vous

» inspirer une espece d'assurance du suc-

» ces , c'est que vous avez ecarte sage-

» ment le principal obstacle qui s'oppo-

» salt a la victoire , en otant aux grands

» le commandement de l'armee de Numi-

» die , qui n'a requ d'echec , ct n'a cite

» ignorninieusementvaincue que par1'ignov> ranee , la presomption et l'avarice de

» ses generaux. »

Snccesdu Un pareil discours fut applaudi de tout ilcMa'ins *e PeuPÿe > el augmenta extremement la Sail.c.84- confiance qu'il avait deja en son consul.

92. Tout le monde courut avec empressement donner son nom pour servir sous un si grand general. Les veterans , ceux qui avaient quelques annees de service et ceux qui n'avaient jamais servi , tous se presentent et veulent le suivre dans la fermo persuasion qu'il les mene a une victoire certaine ,dont ils reviendront charges de

R O M A I N E. Liv. VllJ. 173

butin et combles do gloire. Apres que Marius out fait tous les prepavatifs necessaires et toutes les levees de troupes qu'il jugea a propos , il s'embarqua , et arriva en trÿs-peu de jours en Afrique , ou il reipit j, de la main de Rutilius ,l'armee de Numidie. Laissons-le pour un moment aux prises avec Jugurtha , et revenons k Metellus.

Lorsque celui-ci fut arrive a Rome , oil Triompfce il croyait trouver to,us les coenrs aigris et (!e Meteiindisposes contre lui , ilfut agreablement us" surpris de l'accueil favorable qu'on lui fit.

Le feu de l'envie etait amorti et eteint par ledepart de Marias ,ilfut regua Rome avec de grandes demonstrations de joie.

Le recit qu'il fit en public de ses exploits , de sesvictoires et de ses conqu£tes ,acheva de faire tomber tous les bruits injurieux que Marius avait repandus contre lui , et de dissiper toutes les mauvaises impres¬ sions qu'il avait donnees de sa conduite.

Le sc-nat et le peuple s'empresserent de lui donner des marques du respect et de l'estime qu'on avait toujovfrs eus pour sa vertu et pour son merite. On lui decerna les honneurs du triompbe d'un commun consentement. La ceremonie repondit a la grandeur et a l'eclat de ses expeditions.

Le cas que l'on faisait de ses talens et de son courage ,luifit donner le glorieux surnom de Numidicus : titre qui perpetuait k jamais le souvenir de ses victoires dans la Numidie. II n'est pas hors de propos do remarquer ici en passant les avantages H 3

Hist o ir e et le bonheur singulier de la maison des Metellus. Au temps ou nous ecrivons , on y voit plus de douze consulats , censures ou triomphes. L'an 639 , nous avons vu deux Metellus freres , tous deux fils de Metellus Macedonicus , triompher en uu m£me jour ,l'un de laMacedoine,et l'auVell Pa- tre de la Sardcigne. L'auteur qui nous a trrcuLhb. conserve une anecdote si honorable a la maison des Metellus , rernarque judicieusement qu'il en est des families comme das empires ,dont la fortune s'elev.e et fleurit , vieillit et s'abaisse , s'eteint et deperit enfierement.

Fxploits Des que Marius fut arrive en Afrique , de Marius mena ses troupes dans uri pays riche en JNuilU- r • 1 i ÿ . r J 1 die, et fertile , dont il ne rranqua pas de leur abandonner le butin. Cela etait necessaire pour le succes de ses entreprises et pour celui de ses vues particulieres. II ouvrit

la campagne par le siege de la ville de Capsa. C'ctait une place extr£mement for¬ te , riche , opulente et d'un tres-difficile acces.Marius usa d'artifice,surprit la ville, la brula , et mit tout a feu et a sang. Peu do temps apros il se rendit maitre d'un chateau que l'art et: la nature avaier.t a l'envi pris plaisir de fortifier ,et devant lequel Aulus-Albinus avait honteusement ecnoue.

Sail,c.ÿ5- Laperte de ccs importantes places qu'oo St. regardait comme imprenables, fit comprendre h Jugurtha plus que jamais la neces¬ sity indispensable ou iletait de vaincre ou dc mourir , ou de se voir depouiile piece

Jl O M A IN E. Liv. Vlll. 17b

a piece de tout son royaume. insi , do concert avec Eocchus ,qu'il avail ,cornme nous avons dit , engage par ses belles promesses dans son parti ,il inarcha droit aux ennemis. A la favour cl'une marche forcee et derobee ,its surprennent les do¬ mains et leur tombent sur les bras. Cette 11 re?eit attaque imprevue et & laquelle Marius u" ÿclcc* n'avait pas lieu de s'attendre , jeta la terreur et le aesordre parmi ses troupes dont ilpent un grand nonrbre dans cette pre¬ miere action. Cependant les Romains , par leur propre courage , par la valour et par 1'habilete de leur general , se batlent en retraite , gagnent pcu-a-peu la' hauteur de deux coilines voisines , s'y fortifient , ct s'assurent par-la un asile centre les armes victorieuses desdeux rois ,qui auraient pu rendre leur victoire complete , et chasser pour toujours les Romains do la Numidie , si les tenebres de la nuit qui survint fort a propos pour ceux-ci , leur avait permis de connaii.ro tout leur avantage ;mais l'obscurite des tenebres les ernpecha do suivre les Romains sur la hauteur ou ils s'etaient retranches. Ainsi finit cette pre¬ miere action.

Ce succes devint funeste aux Numides. 11 pren.-t Cos barbares, enivres de leurs prosneritds , se livrent a la bonne chore ,et passent une avantage. bonne partie de la nuit dans la joie et les plaisirs , ne soupÿonnant pas que 1'ennemi osat m£me faire mine de les attaquer : tout le contraire arriva. Marins,qui brulait cl'ardeur de reparer avec avantage II 4

H IS T O I R E

Pechec qu'il venait de recevoir ,tomhe sux euxalapointe du jour, et lesattaquedetous cotes au moment qu'ils cominenÿaient & se livrer au sommeil. Les Numicles eveilles par le bruit effrayant d'une attaque soudaine , et par les coups meurtriers qu'ils reÿoivent , cherchent les uns a prendre leurs amies pour se defendre , d'autres a s'enfuir eta se sauver. Mais, etourdis par la surprise , le tumulte et la crainte inseparables d'une attaque imprevue ,la plupart ne savent faire aucun usage de leurs armes pour repousser l'ennemi, ni de leurs pieds pour s'enfuir. La deroute clevint generate et le carnage horrible. Cost ainsi que Marius repara avec avanlage sa faute. La nouvelle de sa revanche etde ladefaite des deux rois, fut sue a Rome tout aussitot que celle de l'echec qu'il avait re911.

II bat une Laperte considerable que venaient d'esSuyer les deux princes ligues , ne les dedcux xois. couvagca pas. Avec les debris de leur armde et quelcjues autres troupes qu'ils y avaient jointes , ils vinvent de nouveau attaquer Marius aupres de Cyrthe ,ou il passait pour aller prendre ses quartiers d'hiver dans les places niaritirnes. 11-s fondent sur les Remains par quatre differens endroits. L'attaque fut rude et meurtriere; mais la defense ne le fut pas moins. L'action dura long-temps , la victoire balanÿa plus d'une fois , semblant se declarer tantot pour les Numides , et tantot pour les Remains. Lnliu elle se determina et se fixa

R O M A IN E. Li'v. VIII. 177 du c6te de ceux-ci. Lcs Numides et les Maures furent tailles en pieces. Jugurtha se distingua beaucoup dans cette bataille par ses ralens guerriers. Ayant tue de sa main nn enneini , il courut montrer son epee teinte de sang a un corps d'infanterie Romaine ; il leur crie qu'ils font des efforts inutiles , que le consul est mort , qu'il vient lui-m&me de le percer. Celte ruse jeta d'abord la consternation parmi les Romains , et releva le courage des Numides , qui se battirent avoc plus de fermete et plus d'acharnement qu'auparavant. Les Romains etonnes et presque decourages par ce mensonge artincieux , etaient sur le point de prendre la fuite : et si Sylla et Marius lui m£me ne fussent venus en personne les ranimer ,cette ruse aurait eu tout le succes desire , les Romains auraient perdu la bataille. Jugurtha ne laissa pas que de s'opiniatrer au combat. Mais voyant que les ressources de son adresse et de son courage etaient inutiles , que rien ne lui reussissait , il songea a sa retraite , et se sanva presque seul k travers les traits des ennemis.

Cette derniere defaite ouvrit les yeux Bocclut* &u roi de Mauritanie. Elle le fit penseraLindonne a separer ses interets de ceux de Jugurtha *Ta'ÿaac sen gendre ,et a ne pas courir les risques do perdre sa couronne pour defendre celle de son allie. De concert avec le general Romain , et par les conseils de Sylla , il envoya des ambassacleurs a Rome pour y demander la pais. Dans 1'audience que H 6

i~8

Histojre

]e senat donna aux deputes du roi Maure ceux-ci , conformement aux instructions qu'on leur avait donnees a la cour cle Manrilanie avant leur depart , rejeterent la faute do leur maitre sur les artifices et Ics IIoerr.an- sollicitations de Jugurtha : ils ajouterent c'e la paix que le roi leur maitre s'en repentait , et inains qu'il demandait a fairs alliance et amitie avec les Remains. On leur repondit en ces termes : « Le senat et le people » Romain sont dans le louable usage de » n'oublier ni les services ,ni les injures : puisque Bocchus so repent de sa faute , » nous lui en accordons le pardon. Mais » pour ce qui est de notre amitie et cle » notre alliance , il les obtiendra quand » il les aura meritees. » A ce ton , ne semble-t-il pas que e'est un maitre cpui parle a son sujet T

Condi- Le Maure , cmbarrasse d'une reponse r:'uePesHX~aussi fiore , ne savait ce qu'il devait faire Rome la pour obliger 1'orgueilleuse ct vindicative Jui accor- republique ,et pour meritex l'alliancequ'il "%vN M desirait. IIpria Marius de lui envoyer S> 11a Sooi. pour conferer avec lui , et se concerter Av. J, c. sur les moyens de parvenir a un accommo' an.r dement. Bocchus ,dans la conference qu'il £46', cut avec ce Romain , se bornait d'ahord a abaadonner entierement Jugurtha. Mais le questeur lui dit nettement : « Qu'il fallait » l'acheter par des services effectifs, sans » quoi , il devait y renoncer ; qu'il en >> en avait le pouvoir en main. Jugurtha » que vcus livrerez , vous servira tout-' * a - la ~ fois de "yi.ctime pour reparer

R G M A IN E. Liv. T'JIT. 179

» 1'imprudence et le malheur do vol10 » premier engagement , et de prix pour ( » meriter notre alliance et notre amitie. » Le roi de son cote refusa d'afcord aussi tout net et sans detour de se preter a une pareille perfidie. IIallegua la roi qu'il avait donnee a ce prince , les droits d'alliance et de parcntd qui etaient entre eux deux , la honte eternelle dont il couvrirait son nom et sa memoire , et enfin le risque qu'il courait d'aliener ses propres sujets , qui ha'issaient les Romains, et quiaimaient le roi de Numidie.

Syila qui , quoique jeune , etait deja fin politique , et habile negociateur , no se rebuta pas de ce premier refus. J1 donna an roi le temps de la reflexion. II usa de taut d'adresse , et revint si souverit a Ja charge , qu'il determina enfin ce faible prince de violer en la personne de son gendrc •, le droit des gens , les liens les plus sacres de la parente , de la religion Bocrti-j et de 1'hospitalite. Ce prince timide et bvie Juperfide , livra Jugurtha charge de chainesgll t"a a Sylla, qui le conduisit en cet etat au camp Romain , oil il le remit entre les mains de Marius son general.

La perfidie du roi Manre mit fin a une guerre qui durait depuis six ans , et que toutes les forces Romaines ,conduites par tout ce qu'elle avait de plus1braves et de plus habiles generaux ,n'avait pu terminer jusqu'ici. Sylla, qui etait tout aussi avide de gloire que Marius ,s'arrogea , au pre¬ judice de celui-ci , et contre son devoir , li6

IoO H I S T O I R E

l'honneur de cet evcnement ,et la consoirrnation de cette guerre. IIfit faire un anneau , qu'il portait toujours , ou il etait , represents recevant Jugurtha des mains de Rocchus. Marius , pique jusqu'au vif , ne lui pardonna jamais cette espece de vol et f d'injustice. Co fut-la l'origineet laseraence de cette haine implacable qui eclata 1 depuis entre ces deux rivaux, et qui couta taut de sang a la republique. Au reste, Marius n'avait que ce qu'il meritait bien.. C'etait un juste retour , et une juste punition que la Providenceluiavait menagee pour le punir lui-meme d'avoir commeÿ arrache des mains de Metelhis une victoire presque complete , et d'avoir y par ses noires calomnies , prive ce grand homme dela gloire d'avoir acheve une guerre qu'il p avait amende presqu'a sa fin. f. Marius La nouvelle de la fin de la guerre de est noinme ]\Iumidie arriva fort a propos a Rome pour pourÿla se- consoler de celle qu'elle venait d'apcondefois prendre de la sangiante defaite de Cepiou

An. M.ef Manlius dans la Gaule ,par les Cim0901. , , . r , ' r

Av. J. C bres5 clUI s avangaient fierement vers 1lta102. lie, et la menaÿaient d'une ruine totale.

ÿ

An. E.Dans cette alarme on crut ne pouvoir faire rien de mieux et de plus utile pour la republique , que d'opposer a cet essaim de barbares , Marius le vainqueur de la Nuvnidie ,qui jouissait actuellement de la faveur et des applaudissemens que merits une victoire toute recente ; en un mot le heros du temps ,qui etait devenu la ressource et le SQUtien de I'dtat. Onle npmipa

R O M A IN E. Liv. VIII. ISi consul pour la seconde fois , conIre la disposition formelle des lois , qui ne permettaient pas d'elire un absent a la dignite de consul ,et qui exigeaient niÿme dix ans d'intervalle entre deux consulats. La necessity et le besoin d'un bon general, obligea de passer par-dessus toutes les regies. On les laissa dorniir cette annee-ci pour le bien de l'etat.

Marius , ayant regu la nouvelle d'une II retonrfaveur aussidistinguee,revintpromptement ne * Ro~ a Rome , ou ilentra en triomphe. Jugur- "ÿ,'e °"n! tha , charge de chaines ,et attache au char triomphe. triomphal avec ses deux his , en faisait le plus bel ornement. Les Romains avaient peine a croire ce qu'ils voyaient de leurs yeux :le roi de INumidie vaincu et captif ! i Apres cettehumilianteceremonie, ceprince infortune fut conduit en prison , et jete dans un noir et tenebreux cachot. Le bourreau luidechira sa roberoyale,ledepouilla de tons ses habits ,et lui arracha les deux bouts des oreilles pour avoir ses pendans. Ce prince passa six jours entiers dans cette Fin de Juprison a lutter contre la faim qu'on lui fai-§urtlia* sait souffrir. Le desir inutile de prolonger sa vie servit de supplice a un roi qui avait toujours compte pour rien la mort de ses proches et des premiers de sa cour , qu'il avait immoles a sa fortune, a son ambition eta sonressentiment. Dignehn,ajoutePlutarque , digne recompense de ses forfaits-

j- VI. Guerre contre les Cimbres. Pre» viiere victoire des Cimbres sur le$

Htstoire

Romains. Scconde victoire. Troisieme vieUire. Quatrilme victoire. Origine de Marius. Idee du caract'ere de Alarins. Ses mauvaises qualites. Scs talens. Alarius , consul pour la troisieme et qua¬ trilme fois. II est charge d.e la guerre j centre les Cimbres. Alarius revapcrte deux grandes victeires sur les ennemis. Alarius , consul pour la cinquieme fois, J ictoire de Alarius sur leÿ CimbreS. Courage et vertu des fen.mes Cimbres. Joie a Rome. Triomphe de Alarius. Titre glorieux dont le peuple deccre Alarius. Parricide de Publius - Alalhclus. Sa puniticn. Guerre des esclaves en Sicile. Pregres des revoltes. Luculle rernperte sur cux une victoire sisnake. 1 3 t 1' ÿ» 11 neglige cette guerre. Servilius son successeur est battu. Le consul aw: i livs temiine cette guerre. Suites des brigues et aventures de Alarius. Saturnin , son caract'ere. Sedition de Saturnin. Alarms , Saturnin et Glaucia font exiler Aletellus. Alarius abandonee Saturmi. On soflicite le rappel de Aletel¬ lus. Son retcur a Roane. Alarius fait un voyage en Asie. Entrevue de ce Rovrain avec le roi de Pont. Decadence des• tnmirs des Remains. Vertu condamnee• Vice protege.

Game La ]~oie quo causait Rome la nouc°ntif jes velle des conqutjfes que Marius faisait en Piuti'in Numidie , fut balancee , et ne se fit pa® Mar. it seulir mutant qu'eile await fait en d'autres toyll.

r o iA a in r.. Liv. mi. temps,acausedelaconsternaiionqu'avaient FC*ÿ I • 5 ietees dans la ville trois defaites consccu- • J. , , , h-pit. r tives et sanglantes par ies Cur.ores ot par <55 •; les Teutons. Ces peoples etaient original- FT Pures de Gaule. Leurs ancetres, scion 1'usage : ' *' de la nation , etaient sortis de leurs pays pour se transplanter ailleurs ,et chercher dans un bon terroir un etablissement solide. lis se fixerent aux environs de la nier Baltique. Leurs descendans ne purent s'accommoder d'un climat aussi froid et si desagreable. lis abandonnerent leurs pays et s'avancerent vers le midi , clont le climat est plus doux , les contrees plus fertiles , et par consequent plus agreables et plus commodes pour la vie. L'ambassa.de que ces barbares deputerent au senat, ne tendait qu'a demarider un espace de bon pays ou ils pussent se fixer avec leurs femmes et leurs enfans. II parait qu'ils n'avaient aucune idee de guerre. Mais le refus net et precis qu'on leur fit a Rome d'un territoire en Italie , pour An. M. s'y etablir , les piqua au vif ,leur fit venir r la pensee de la guerre , ct enfin les l0J-' ' ° fletermina a conquerir , par la voie des An. R, arrnes , ce qu'ils ne pouvoient obtenir par celle des prieres. lis vont aftaquer le con- vicei'r' 'C Stil Silanus que Rome leur avail oppose ,<ics Cimtombent sur jui avec tant de fureur , qu'ils 1S,MJ1SCS le defont , le metlent en fuite , et remportent sur lui line pleine vicloire. Ce premier succes des Cimbres fut le prelude d'un autre que les Tigurins , peuples Suisses Ru canton de Zurich , rem-

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porterent peu do temps apres sur le conSeconde sul L. Cassius. Ces peuples attires parl'ap- ÿvictone. p«t (ju putjn ÿ yenaient joindre leurs for¬ ces & celles des Cimbres dans la Gaule I\Tar-

An. M. bonnaise. Le consul ,informe de leur marche , passe le Rhone, et va a lenr renI0J; ' ' contre pour leur disputer le passage. Le

An. R. projet etait beau , s'il avait ete heureuse646". ment execute ; mais le general Romain n'avait pas assez dc t£te pour conduire une entreprise aussi bardie. IIdonna ctourdiment dans une embuscade que le com¬ mandant des Tigurins lui avait dressee. II y perit avec une bonne partie de son armee. Ce qui echappa au Cdrnage ne put m£me se sauver qu'aux depens de l'honneur et de l'interlt. Ces malheureux Tes¬ tes , pour redimer leur vie , euront la lachete de coder aux ennemis la moitio de leurs bagages , et de passer sous le joug des Cimbres.

Troisieme Ces deux defaites arrivees coup sur virtQue. C0Up ? et suivies de pros de celle de M. Au-

An. M relius Scaurus , lieutenant general , qu* 5SO, c fut fait prisonnier dans l'action , n'annon102. ' qaient rien qui fut de bon augure. EHeS

An. R.etaient au contraire comme un malheuC47. reux pronostic d'une defaite plus sanglante et plus horrible , qui arriva peu de temps

Quatriÿ- apres celle de Scaurus. Depuis l'effroyan,e victoi- ble boucherie de Cannes , les Remains n'avaient eprouve rien de semblable. Reux armees , l'une comrnandee par le consul Cn. Mallius-Maximus ,et 1'autreparlepro¬ consul Cepion , furent taillees en pieces#

It O M A IN E. Liv. Fill. lC5 IIresta sur le champ de bataille qualrevingt milie hommes tant Romains qu'allies. Les deux camps furcnt pris et pilliis , et l'ennemi s'enrichit de depouilles Ro¬ maines. *

Les Cimbves et leurs allies furent redevables de cette grande et importante victoire , & la mesintelligence qui regnait entre les deux generaux Romains. Cepion , homme tier et arrogant , qui ne* vouloit partager avec personne l'honneur de la defaite des Cimbres ,et bienmoins encore ayec le consul Mallius , pour qui iln'avait que du mepris , refusa opiniatrement de reunir son armee a cclle du consul. IIne voulut jamais avoir aucune communication avec lui. Regardant la victoirc comme assuree , il se poste de fa£on & pouvoir attaquer l'ennemi le premier , et sans la secours du consul. Le general des ennemis plus habile qu'eux deux , sut profiter de leur desunion. II les tit attaquer separement , et les defit entierement. Rome informee de ce desastre , en punit l'auteur. Cepion fut revoque et depose du generalat : ses biens furent contisques , et lui condaxnne un exil perpdtuel , ou il alia, cacher la honte et 1'ignominie d'une de¬ faite qu'il avait occasionee par son indigne et pertide conduite.

* Oa ne sail: pas au juste le lieu ou les Re¬ mains reqnrent un echec si funeste. On conjec¬ ture que le champ de bataille n'etait pas bieu eloignQ do la ville d'Orauge en Provence.

La nouvelle d'unc pcrte si terrible, qui menaÿait l'ltalie d'une invasion prochaine et d'une desolation entierc , jeta i'alarme dans loute la vilie ; la consternation fut gem-rale ct universello. Mais conune a Rome on n'etait janiais plus sage ,mieux avise et plus forme que clans l'adversite , ces premiers momens d'effroi otdecrainte etant passes , on soligca serieusement aux moyens efncaccs de s'opposer aux progres rapides de cos barbares , et a leur fermer I'entree de l'ltalie. Commc latemerite.et 1'incapacite des generaux avaient etc la principale cause des precedentes defaites , Rome voulut s'en donner un ,dont la sagesse , la valeur et l'habilete pussent lui faire honneur ,et reparer les pertes qu'elle avait faites. On jeta les yeux sur Marius qui etait alors en Afrique ,occupe de recueillir les fruits et les lauriers desvictoires qu'il avait remportees sur Jugurtha'et sur Bocchus. Rome le nomma consul , qooiqu'absent , et voulut que, sans tirer les provinces au sort , Marius cut le commandement de l'armee qui agirait en Gaule contre les Cimbres. Cette precaution etait sage et necessaire. Le senat ,quoiquenliemi declare de Marius sentit le besom que la republique avait d'un tel hommCi clans des conjonctures si critiques ; et 1 n'eut garde de s'y opposer. Le vainqueur de la Numidie etait regarde de tous les orclres de l'etat , corame son unique ressourpe » et le seul Homme capable de le defends contre l'invasion des barbares dont ilotaimenace.

R o M A IN E. Liv. Till. Iof

Un horame aussi celebre quo Marius , ÿ Onjgnc qui joue dans la repiiblique un si grand 0 p'.

Tole , qui fait un personnage si illustre . dans Vhistoire ,merite bien que nous don- cÿ 6 nions ici au lecteur une idee do son caractere , de ses talcns , de ses bonnes et do ses mauvaises qualitds. Marius prit naissance dans un village aupres de la ville d'Arpinura , de parens pauvres , et qui gagnaient leur vie dutravaildeleurs mams, Le jeune Marius eut une education convenable a I'dtat de sa fortune et de sa naissance. fl fat occupe a travailler a la terre , et a gagner , comme son pore ,sa vie en labourant. IIne derneura pas longtemps dans celte humiliante profession, Une ambition secrete , qui iui disait interieurement qu'il etaii ne pour les dignites les plus clevees ,et les entreprises les plus nobles , l'arracha a la charrue pour Iui faire cmbrasser la profession des armes. C'etait-la en effet sa destinee. Les armes etaient son element :tout annongait en lui un guerrier du premier ordre ; sa grande taille , sa force de corps extraordi¬ naire , une contenance fiere , un air fa¬ rouche et un regard affreux.

11fit son apprentissage a Numance,sous les yeux du grand Scipion Emilien. Accoutume dcs son enfance a une vie frugale et dure , rien ne lui coutait. Les travaux militaires etaient pour lui un amu¬ sement : 1'ambition ,dont ilse sentait deVOl'e , lui faisait mepriser les perils et les dangers. Dans la guerre de Numance ,il

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se distingua d'une maniere si marquee,que Scipion son general , et surement bon connaisseur , se l'attacha,et le destinadeslors a le remplacer un jour. IIpassa par tous les degres militaires. Ces differens grades n'etaient pas un effet de lafaveur, mais la recompense d'autant d'actions ou ils'etait signale , et qui sollicitaient pour lui. Eleve a la charge de tribun du peuple , ils'y conduisit avec tant d'elevation, de noblesse et de ferrnete , qu'il montra qu'il etait ne pour occuper les premieres places de l'btat. C'est le glorieux temoignage que Salluste lui rend. Cet historien rapporte de Marius qu'il se conduisit dans les charges inferieures de maniere a se montrer digne des plus relevees. IIremplit dans la suite la charge depreteur avec ! sa dignite ordinaire. Apres sa preture,son 1 ambition leportait a demander le consulat auquel il aspirait depuis long-temps. Mais iln'avait ni richesse , ni noblesse , ni eloquence ,qui etaient dans ces malheureux temps presque les seuls degres pour s'elever a cette supreme dignite. Ses ex¬ ploits militaires , sa seule ressource , n'etaient pas assez brillans pour le tirer de la foule , et ne parlaicnt pas assez haut pour lui permettre d'aspirer a une telle dignite. IIse vit done arr£td , bien malgre lui , dans la carriere de la fortune. IIu® fit plus aucun pas pour son elevation dans la route des honneurs, jusqu'au temps que le peuple ,touche des vertusdii vieux temps qui brUiaieat en lui , une ame haute 5 ua

Roma in e. Liv. VIII. 189 courage intrepicle, un amour parfait pour la temperance et pour la frugality , une grande simplicity dans sa fa9on de vivre , des moeurs austeres , et un eloignement extreme de tout dereglement et. de toute volupte •, le peuple , dis-je ,admirateur da tant de vertus ,le nomma pour aller servir en Afrique , et l'accorda a Metellus qui le desirait pour lieutenant - general. Cette nouvelie dignite, qu'il n'avait point briguee , reveilla son ambition assoupie ,et l'enhardit a rentrer de nouveau dans la carriere des honneurs. Nous avons vu com¬ ment de ce nouveau poste il sut s clever an consulat ,ct de quelle maniere ilremplit cette supreme dignite.

Depuis que Marius fut eleve a cette Ic?<?« Ju premiere charge de l'etat ,ilne parut sen- raracrtrc sible a aucune autre passion qu'a l'ambition deMarniset a la vengeance. Uniquement avide do Ses maugloire ,il ne se fit jamais un scrupule cie aua" sacrifier tout a cette passion favorite :pro- bite,sincerite , justice , reconnaissance , amitie , droits sacres et profanes , droits du sang et de la nature;en un mot,tout fut meconnu , oublie et sacrifie des qu'il se bouvait ou oppose ,ou en concurrence a sa fortune ,a son elevation ,ou a son ressen[ bment. L'envie de s'agrandir ,la passion de L gloire et ceile de se venger, etaient le sm.il autel sur lequel il sacrifiait, la seule tdole qu'il adorait , et le seul objet de Ses vceux et de ses entreprises.

La passion de la gloire ne contribua pas Sestale«s, a faire de lui un grand capitaipe, Me

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H IS T O IR ft guerrier ,courageux et soldat, il n'v eut ni peine ,ni fatigue, ni danger, que 1'envie de s'dlever ne lui fit surmonter et cle¬ verer merae avec plaisir. iivoulait etre eta toutes les entreprises , mener tous les partis ,et monter le premier a l'assaut. II ne negligeait,ou plutot il cherchait etsaisisaait avec empressement toutes les occa¬ sions de se signaler par quelque action d'uclat et d'une rare valour. Elles ne lui manquerent pas ,et il s'y conduisit avec tant de courage et de prudence qu'il se lit one reputation gcneralement reconnue. Avec ces belles qialites ,et une envie si domesuree de bieu faire , il ne pouvait manquer de reussir et de devenir un grand capltaine, un grand general ct un grand guerrier. IIpossedait en effet, en un degre eminent ,toutes lesparties qui fonnent ies grands homines de guerre et les heros de Mars : valour, courage, intrepidite, pru" ounce , etendue de vue ,soldat et general scion les occasions. Tel est I'hommequiva figurer dans la republique , et qui va J jouer un des plus grands roles. Au reste, son caractere se ressentit toujours de ÿ iiaissance et de son education rustique. •conserve clans ses mceurs et dans ses naameres. une certaine fdvocite qu'il ne suranonta jamais ,et qui fut comme la soin'ce de taut de sang qu'il rdpandit dans lasuite, et de tant de barbaries ,clont le rccit bi horreur.

Maries, Rome consternee et presque accablc0 coiisul par les partes immenses qu'efle vciiud 00

R O M A IN E. Liv. Till, igi recevoir dans les Gaules , de la par! dcs pourlatroiCimbres et des Teutons, jeta les yeux sur Sl6ni/ 1 o Marius pour l'opposer a la fureur de ces ÿV3 barbares. La guerre de Numidie qu'il venait de terminer si heureusement et a l'honneur rlu nom Rornajn, (itait un beureux presage et repondait, pour ainsi dire ,des succes futurs de Marius contre ces nouvcaux ennemis. Marius , en grand et habile general , n'oublia ri.cn pour repondre a i'idee flatteuse que la republique avait de son bonheur et de sa capacitd. Per-IIestcharsuade que le succes d'une batailie est leÿ ia fruit d'une discipline exacte et severe ,f"eYe7cim11commen9a par 1'etablir dans son armee ,bres. et en eloigner tout ce qui ressentait la mollesse et le plaisir. La marche des ".°YJ C„ Cimbres vers l'Espagne lui donna tout le ior. temps de former des soldats braves et,-,ÿ' n' capables de vaincre. Cos barbares ravagerent tout le pays depuis le Rhone jusqu'aux Pyrenees, et quantite de yilles d'Espagne. Le sejour qa'ils y brent ne fut pas long. Les Celtiberiens leur ayant livrc batailie, les detirent , et les mirent en fuite, les chasserent de leur pays et les obligerent de repasser les Pyrenees et do reprendre la route des Gaules. Les Cimbres chasses I d'Espagne revinrent joindre les Teutons et les Suisses Tigurins ,Ambrons el autres. Apres la reunion de lous ces peuples ennemis tie Rome , on ne delibera plus daps leur camp sur le partiqu'ils devaient prendre, lis se mettent en marche pom; exeputer leur grand dessein de passes

Hist on e en Italic , de la saccagcr et de ruiner Rome. Pour obliger les Romains do partagor leurs forces et faire une puissante diversion , ils partagerent eux-m£>mes les leurs et rnarcherent vers l'ltaiie par differentes routes. Les Cimbres prirent la leur par ie Tyrol et le Trentin; Les Teutons et les Ambrons par la Provence et le Dauphine.

An. M. Depuis la marche des Cimbres en Es-

J C Pa8ne ' ÿ s'etait ecoule deux ans ,pendant Iooÿ' ' lesquels les Romains n'avaient fait qu'at-

An. R. tendre 1'ennemiet se tenir pr£ts a le bien recevoir. Cependant Marias avait ete con¬ tinue dans le consulat pour la troisieme et quatrieme fois. Toute l'esperance des Romains etait en ce consul. Son expe¬ rience, sa capacite et sa reputation ne leur permettaient pas de jeter les yeux sur un autre general. Ils ne voulaient s'exposer a combattre un ennemi tant de fois victorieux et si formidable , que sous les ordres de Marius. L'ayant a lour t£tc,ils se croyaient invincibles , ils regardaient 1'ennemi comme vaincu. Cette idee qu'avaient les Romains de Marius,n'etait pas

Marius sar,s fondement. remporte A la premiere nouvelle de la marche des ennemis, Catulus , collogue de Ma' res sur les rius , homme d'un vrai merite , alia auenneniis.ÿ devant des Cimbres dans le Trentin;d 390ÿ M' Marius de son cote alia camper an conAv. J.c. fluent de l'Isere et du Rhone ,pour fermel' ÿ ie passage aux Teutons et: aux Ambronsk' Ceux - ci , se trouvant en presence des Romans,

R 0 M A IN E. Liv. VIII. iqS

Remains , vinrent leur offrir le combat , ajoutant au defi qu'ils leur faisaient d'accepter labataille,l'insulte et des railleries piquantes.Marius,sans s'emouvoir,se tenait retranche et renferme dans son camp , occupe a reprimer l'ardeur et la vivacite de ses troupes ,qui ne soutenaient qu'impatiemment les insultes de ces barbares , et qui auraient bien voulu s'en venger. Un officier Teuton lui ayant donne ua cartel pour un combat singulier ,ille refifsa. II repondit que si le Teuton avait si grande envie de mourir ,iln'avait qu'a se pendre.

Les Teutons impatiens et ne pouvant soutenir de se voir arretes dans leur marche , tentent de forcer le camp des Romains et l'attaquent avec vigueur. Une grele de traits dont ils furent accueillis , les eloigna du camp ,et les fit renoncer a leur entreprise. Cette tentative n'ayant pas reussi , ils se determinent a continuer leur marche. Ils levent le camp , et passent comme en revue sous celui des Romains ,a qui,par moquerie et pour les braver ,ils demandent s'ils ne veulent rien naander a leurs femmes ; qu'incessamment ils seront en etat de leur donner des nouvelles de leurs maris.

Marius les suivit en queue , cherchant une occasion et le moment favorable do leur livrer bataille. Elle ne tarda pas a se presenter. La petite riviere d'Arcq , oil les deux partis allaient faire de 1'eau pour les besoins des deux armees , la leur fournit j ÿ Tome IV. I

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ie combat s'engagea la avec lcs Ambrons, L'action fut longue et sanglante. Mais enfin la victoire so declara pour les Romains. lis pousserent les ennemis jusque dans leur camp ,et les forcerent d'y cherclier un asile conIre la valeur de leurs armes. Cette premiere victoire de Marius etait considerable , mais elle n'avait ni detruit l'ennemi,ni termine la guerre.Car outre l'armce entiere des Teutons ,qui ne s'etait pas trouvee a cette action , ilrestait encore la plus grande et la meilleure partie de celle des Ambrons , qui brulait d'envie de venger sa diifaite. En effet , apres un jour de repos ,soutenus des Teu¬ tons ,ils se presentent en ordre de balaille, ct vont fierement attaquor l'infanterie Roinaine que Marius avait mise en ordre de bataille sur le penchant de la colline oil il etait campe. L'av&ntage du lieu et du bon ordre etait du cote des Romains. lisen profiterent avec succes pour repousser les ennemis ,les mettre en desordre, ot repandre la confusion et la terreur dans Jeurs rangs. Dans le moment que lcs Teu¬ tons se virent obliges de reculer et de gagner la plaine , un corps de troupes que Marius avait mis en embuscade, vient fondre sur leurs derniers bataillons , bs charge en queue avec tant de fureur qu'u les force de se replier sur les rangs qeu sitaient devant. Cette manoeuvre mit eniierement le desordre dans l'armee ennemie. Les Teutons attaques en queuQ et en tete ne purent soutenjr ce douMÿ

R O M A I N E. Liv. VIII. 19S choc. lis prirent la fuito et so debanderent do cote et d'autre. Mais la fuite ne les sauva pas.

Les Romains voulant rendre lour victoire complete , et terminer sans retour cette guerre , se mirent a les poursuivre. lis -en tuerent un nombre prodigieux. II y eut dans ces deux batailles deux cent milie homines de tues ,et quatre-vingt-dix miile prisonniers. Le butin fut immense : car ces barbares etaient charges des depouilles de quantite de peuples dont ils avaient ravage les pays et les villes. Marius se reserva ce qu'il y avait parmi les armes et les depouilles de plus riche et do plus entier pour en decorer son triomphe. Ce fut aupres de la ville d'Aix en Provence que se livrerent ces deux ba¬ tailles.

Dans lo moment que Marius etait oc- Maiiu2 cupe a dresser un tropheo des armes des consul ennemis , et a les ramasser pour en faire un sacrilice aux dieux , il regut un cour- fois. rier de Rome qui lui apprit qu'il venait„ An. d'etre nomine consul pour la cinquieme0 ÿv*j.c„ fois. Cette nouvelle fut un surcroit de 98. joie ,et pour lui et pour son armee , qui s'empressa de la lui teinoigner par des cris J *' xeiteres d'acclamation ,et par des couronncs dont elle orna sa tete. La "ceremonie etant finie , il leve le camp ,et marche a la poursuite des Cimbres , qui,malgrs la xigueur de l'hiver ,des nciges ,et les ef¬ forts duproconsulCatulus ,avaient franchi l<i defile des jnontagnes , passe l'Adige , I2

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et etaient entres en Italie. Ces barbares , charities de la douceur du climat de Veronne , s'y arreterent. Ce sejour leur fut aussi funeste , que l'avait ete autrefois a Annibal celui de Capoue. Une armee dorit le courage n'avait pu £tre abattu par aucun travail , aucune diificulte , aucun danger, fut vaincue par les delices de Veronne. Son courage s'amollit ,ses forces s'enerverent ; et la merae armee qui avait vaincu la nature , ne fut plus propre qu'a etre ÿvaincue & son tour. Tel est le funeste effet des plaisirs. Ce sejour des barbares a Ve¬ ronne , fut le salut de Rome ,qui ne pouvait manquer de perir sous leurs efforts, s'ils avaient continue leur route. "Victoire Ce fut dans ces belles et riches plaines 5° ÿ!es,iuS Cÿe Veronne el Verceil , que Marius Cimbres. tr0l1va ces barbares. 11 reunit ses troupes victorieuses a celles de Catulus , et posa son camp en presence de celui des ennemis. Le roi des Cimbres lui donna a peine le temps de se reconnaitre. 11 vint autour du camp de Marius accompagne d'un escadron de cavalerie pour iui offrir la bataille , et lui demander son jour pour le combat. Le general Romain , qui n'etait pas rnoins fier que ce roi barbare , lui dit que ce serait le troisieme jour apres celui oil ils parlaient. On se tint pr6t de part et d'autre , et on se rendit au jour mar¬ que sur le champ de bataille. Marius , je* tant les yeux sur les entrailles de la victime , s'ecria : La victoire est a moi.Cette parole prononcee avec un ton d'assurance ,

et par un general accoutume a vaincre, inspira aux soldats tout le courage clont ils avaient besom pour vaincre des ennemis si nombreux et si terribles. L'action dura une grande partie du Jour sans savoir de quel cote tournerait la victoire. Le courage perseverant des Romains la fixa pour eux. Les Cimbres furent enfonces de toutes parts , et tailles en pieces. Le norubre des morts fut tres-grand. Les uns le font mon- . ter a soixante mille , d'autres a cent quarante mille. Pour celui des prisonniers on convient assez qu'il fut de soixante mille. Du nombre des morts etait Belee , ou Bojorix , roi des Cimbres , qui perit les armes a la main , en combattant genereusement , et qui vendit cherement sa vie. Les debris de cette malheureuse armee , qui avaient echappe au fer des Romains , se dissiperent de cote et d'autre. L'ltalie en fut delivree pour toujours.

Dans ce dernier combat les Romains Courage n'eurent pas moins de peine a vaincre les ti1 vf1,u j s cIgs rent- femmes des Cimbres qu'ils en avaient en mes cimpour vaincre leurs maris. Aussi furieuses bres que leurs epoux , ces femmes ne trouvant d'autre ressource pour se sauver que dans lour courage , se retranchent derriere leurs chariots et leurs bagages. De dessus ces nouveaux retranchemens elles lancent des traits et des javelots pour repousser 1'ennemi ,et se defendent long-temps centre les assauts des vainqueurs. Lorsqu'elles virent qu'elles ne pouvaient plus tenir , et que la partie n'etait pas egale , elles depÿche-

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rent une ambassade au general Romain pour lui demander la vie, la liberie, et la grace de meltre leur honneur en surete: mais clles ne purent rien obtenir. Alois entrant dans une espece de fureur , el semblables k des forcenees , elles etouffent ouecrasent leurs enfans j puis elles s'entretuent les unes les autres a coups d'epces ; ou bien,faisant de leurs cheveux des cordes , elles se pendent a des arbres ou a leurs chariots. Des femmes aussi courageuses et aussi vertueuses meritaient-elles d'attirer sur elles et sur leurs enfans , tout 1'effort des armes Romaines 1 Ne meritaient-elles pas plutot leur protection et leurs eloges ?

Ce fut principalement a l'habilete et a 1'adrcsse de Marius que les Romains fujent redevables de cette graride vietoire. IIse piqua d'imiter ,en cette occasion ,la ruse dont Annibal avait fait usage k la bataille de Cannes. IIchoisit pour le com¬ bat un jour nebuleux , afin d'attaquer l'eniiemi lorsqu'il y penserait le moins. IIse posta de maniere qu'il avail le vent au dos ;et les ennetnis l'ayant au visage , en etaient fort incommodes a cause de la poussiere qui les aveuglait. bnfin le ge¬ neral Romain rangea son armde en bataille, de maniere que ses troupes avaient levisage tourneau soleii levant. Les rayons du soleil qui dardaient sur leurs armures, formaient un horizon qui paraissait tout de feu , dont 1eclat et la reverberation offusquait la vue des ennemis. Toutes ce&

ft 0 M A IN E. Llv. Fill, i99 eirconstances contribuerent beaucoup au gain de la bataille. Un general habile fait usage de tout et ne neglige rien. C'est une preuve de sa capacite et de 1'etendue rie son genie que le soin et l'attention qu'il a de raettre tout a profit.

La nouvelle d'une victoire aussi impor- Joie a R?= tante et si complete causa a Rome une ine" joie inexprimable. Le peuple sur-tout se livra a tous les transports d'alegresse. II temoigna a Marius,qu'il regardait commS sa creature et comme la seule epee de la irepublique $ tous les sentimens possibles d'attachement , de reconnaissance et de veneration. Lorsqu'il fut de retour a Rome le peuple voulait qu'il triomphat seul. II lui offrit deux triomphes 4 l'un pour ses victoires sur les Teutons , et l'autre pour avoir vaincu les Cimbres. Marius , contre son ordinairej affecta dans cette occasion une moderation qu'on n'avait jamais remarquee en lui. IIse contenta d'un seul triomphe , auquelilvoulut associer Catulus. 11 se fit un devoir de partager avec Tiiompfce luila gloire d'une action a laquelle le pro- de Maiius* consul avait eu autant de part que lui. Teutobocus, roi des Teutons , qui avait ete fait prisonniera labataille d'Aix,precedait le char triomphal ,faisant leplus beau et le plus glorieux ornement du triomphe.

Le peuple Romainiqui cherchaita mar- Titregloquer a Marius sa vive reconnaissance pour les grands services qu'il venait de rendre a /ecore'1 ° la republique par ses victoires ,lui donna JVIaiius. les glorieux titres de conservateur , de I4

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liberateur de la patric,etde troisieme fon~ daleur de Rome : honneur qu'il n'avait fait qu'a Romulus et a l'illustro Camille. Le senat et la noblesse , qui lui portaiont une envie mortelle , ne desapprouverent point ces honneurs extraordinaires. Euxm&mes avouaient ingenument que la republique lui devait sa conservation. Cot eloge est bien vrai et bien fonde, puisqu'il sort de la bouche des ennemis de MilillST

11y avanr que la force supreme de la verite qui puisse arracher d'un ennemi un aveu glorieux pour son rival.

Parricide L'epitome de Tite-Live rapporte k cctte df annee-ci le parricide de Publicius-Malleoa *us ciuÿ trempa ses mains dans le sang de Epit. I.sa mere , et le supplice horrible dont on 6V le punit. Le meme auteur raconte l'histoire de ce parricide , comme le premier crime de ce genre qui ait ete commis dans

Sa punl-la ville de Rome. C'est une erreur. Un u°n. nomrae Hostius , meurtrier de son pere , en avait donne long - temps auparavant l'exemple a Malleolus. Les lois s'etaient toujours tues , et avaient garde un profond silence sur le supplice des parricides. Apparemment que le legislateur Romain (comme celui des Atiieniens ) regardait ce crime enorme comme impossible ,et jugeait inutile de statuer des peines contre un exces auquel personne ne se porterait jamais. L'evenement n'a que trop montre que le coeur de l'homme est plus mechant qu'on ne pourrait Timaginer ; qu'il n'y & point de crime dont il ne soit capable ,

ROMAIN E. Liv. VIII. 2oI et point d'exces si horrible auquel ilne se livre. Le premier exemple en ce genre de crime donna sans doute occasion au ministere public de faire dcs reglemens rigoureux,et de statuer le supplice extraor¬ dinaire dont on le punissait. On enfermait le criminel dans un sac decuir bien cousu , avec un chien , un coq , une vipere et un singe , et en cet etat on le jetait dans la riviere. II parait que l'intention de ceux qui ont etabli ce genre de sup¬ plice pour punir cet attentat , a ete , non pas de faire mourir precisement ce monstre de la nature , mais de le rettancher du milieu de la nature, et de le priver du ciel , du soleil , de l'eau , de la terre et du feu. C'est la raison qu'en apporte Cicer.pro Ciceron. Car il est tout-a-fait juste qu'un "c. Rosmalheureux qui a tue celui dont ila re9u °10' la naissance ,soit puni par la privation de tous les elemens qui contribuent a l'existence et a la conservation de tous les £tres crees et animes.

Pendant que la guerre des Cimbres et GUerr« des Teutons attirait l'attention de tout des esclal'univers , et occupait les armes des Ro-ÿe" mains , ily eut en Sicile un soulevement a'n. M. qui exposa cette lie a un danger eminent 3s°3. de se voir enlierement ruinee et desoiee. I0ÿv' * Des esclaves maltraites par leurs maitres , As, R. et a qui tout acces aux tribunaux de la ÿ _ justice etait ferme par la mechancete de Cm ceux qui auraient du les proteger , reso- Epii.i.G<). lurent de se la faire eux-mÿmes par la vole des armes. lis s'attroupent et s'assemblent 1 5

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au liombre tic plus tie deux mille. Pout1 donner une forme de gouvernement et one espece de consistance a leur corps r dans une assemblee , et d'une deliberation commune et unanime , ils se nomment un roi , et rev£tent tie cet au°uste caractere un d'entr'eux qui s'appelait Salvius. Celuÿ-ci prit le nom de Tryphon.

Progtes L'election d'un roi fut comme le signal des revol-ÿ'une njvolte generale. De tous les cotes de 1'ile accouraient en foule des esclaves se ranger sous les etendards tlu nouveau monarque. En tres-peu de temps il se trouva a la t§te d'une armee de vingt mille homines de pied , et de plus de deux mille chevaux. Avec cette armee , quil avait pris soin de discipliner et de former a tous les exercices et evolutionsmilitaire.i, il battit et mit en fuite Licinius-JNerva , qui commandait dans la province. Ce succiis augmenta son courage, et grossit extr£mement son armee. IIse rendit maitre de Triocales, place extr£mement forte. Ea prise d'un poste aussi avantageux lur valut la soumission d'Athenion, autre chef des revoltes , qui vint se soumettre a lui avec une armee de dix mille homines , reconnut son autorite ,et rendit hommage a sa royaute.

Liicnlle Luculle , pere du grand Luculle , fut 'e envoye en Sicile. II mena avec lui une 514.1 C UA f-' , . •Ill A one vie- armee de seize mille homines. A son aptoire si- proche ,Tryphon delibera sur leparti quil 6 e jj. avait a prendre. 11 fut resolu dans 1® 3304. conseiidehasarder lecombat ,et d'en yenil

ÿ une action generale contre les troupes Av. J. C. de la nouvelle levee , et harassees des 100• fatigues du voyage. Lecombat fut sanglant,q ÿn' et dura assez long-temps. Mais Athonion ayant etc mis hors de combat , par plusieurs blessures qu'il avait regues , on Je crut mort. Alors les esclaves commencerent plier et a avoir du dessoils ; bientot ils perdirent tout - a - fait courage , et prirent ouvertement la fuite ,laissant vingt mille hommes des leurs sur le champ de bataille. Tryphon , ce x-oi de theatre , se retira avec les debris de son axunee dans Triocales , ou Athenion , couvert de bles¬ sures , et qui etait x-este parmi les xxiorls , se sauva a la favour de la nuit. Le general Romain , soit mepris pour n negllr.o Un tel ennemi ,soit negligence , soit enfin cette suetenvie de s'enrichir , ne pi-ofita pas de Ie* l'avantage que lui donnait sur les revoltes ce premier succes. II aurait pu les accabler dans le decouragement ou leur defaite venait de les jeter , terminer cette guerre , et rendre la paix a sa province. Par ses delais , il leur donna le temps do tevenir ci eux-mdmes , de se reconnaitre et de reprendre courage. IIfit d'inutileS efforts pour prendreTriocales. IIfut oblige d'en lever le siege , et de se retirer honteusement , avec perte de beaucoup de irionde* Ce ixe fut pas la seule perte qu'il fit ; les revokes le forcerent d'abandonnor Son camp qu'ils pillerent , et de s'enfuir avec precipitation. Luculle fut releve par S-rviilns, Servilius, qui reussit encore plus nxal que so.»suesesI6

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senr , est son predecesseur. Athenion qui avait sucJ a*' M. c * Tryphon dans le commandement Sr.oi. de l'armee et clans ladignite royale, battit j v. J. C. le nouveau general , tailla ses troupes en ' An. R. Pÿces > prit et pilla son camp. Le nou65o. veau roi , dont le courage s etait accru par sa nouvelle dignite , et par le nouveau succes sur le general Romain , parcourut toute la Sicile , la ravagea et la desola entierement.

Lp con- Rome voyant que cette guerre devenait JUs ten'I!i"- iour en iour Pÿus imPortante > par la re cette negligence des generaux Romains a qui guyre. elle en avait confie le soin jusqu'alors, y 3oo6. envoya un consul. Manius-Aquilius,colAv.J.C. legue de Marius dans son cinquieme con?8An R 8 ' ÿut charge de cette expedition. Le $5in' ' consul , qui etait d'une bravoure reconnue , s'en acquilta avec tout le succes qu'on attenclait de son habilcte et de sa valeur. A peine eut-il vu l'ennemi qu'il le vainquit. II tua de sa propre main le chef des revoltes , obligea le reste d'abandonner la campagne , et de se renfermer dans des places fortes. IIne s'amusa p<lS a les forcer dans leurs retranchemens. H se contenta en homme habile a les tenir bloques , et a leur couper toutes sortcs de oonvois. Cette .conduite lui rcussit selon ses desirs. Ainsi , sans repandre le sang de ses soldats , il vint a bout de reduire par la famine des troupes J»icn armees , et retranchees dans des villeS ÿ» tres - fortifiees. Cos malheurcux auraicid 'Lion voulu se iendre j mais la crainle des

R 0 M A T N E. Liv. V1U. 2o5 supplices, encore plus terribles et plus affreux qu'une mort volontaire,lesdetormina a prendre ce dernier parti. lis perirent tons par le fer, s'entre-tuant les uns les autres , a la reserve d'un millier qui se rendirent, avec Satyrus leur chef, a Aquilius. Celuici les fit conduire a Rome , pour les donner en spectacle au peuple , dans un combat contre les betes ; mais ni lui ni le peuple n'eurent point le cruel plaisir qu'ils s'ctaient propose. Ces malheureux ne pouvant soutenir l'idee qu'on leur eut conserve la vie pour servir de jouet et de di\mrtissement , tournerent contre euxm£mes les armes qu'on leur avait donnees , et s'entre-tuerent les uns les autres. Ainsi finit cette revolte des esclaves ,apres avoir dure quatre ans-, et coute , dit-on , aux Romains unmillion d'esclaves. Marius, accoutume au commandement , Suitede< et apprivoise avec l'autorite supreme du luigues et consulat , ne pouvait se reduire a des- je'iviVr'ius cendre de cette espece de trone pour vivre en simple particulier. Eleve cinq fois a la An. ji dignit© de consul , la vie privee lui pa- ÿ raissait une mort. Pour ne pas tomber dans c>7 cette situation , que son ambition lui re- An. R. presentait comme affreuse, ilrechercha et . poursuivit un sixieme consulat. L'argent Son caraCqu'il repandit a pleines mains aux chef- iei-e. ties tribuns , lui merita la pluralite des yjcf~u>ei' suffrages. II fut nomme consul pour la Fior. i. 5. sixieme fois. L'envie qu'ii avait de se <?• 16• perpdtuer dans le consulat , le lia avec L. Appuleius - Saturnin , l'homme de laMar.

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H I S T O I ft E republique le plus mechant et le plus scelerat. Lo meurtre, le parjure , la vio¬ lence ne lui coutaient rien, et etaient un jeu pour lui. Marius , qui n'etait pas plus scrupuleux ,ou, pour parler plus juste ,qui etait aussi scelerat, ne fut pas rebute desa iioirceur. Ce Saturnin etait l'homnie du peuple ,et presque son idole,et c'est ce quiatfachaitMarius & Saturnin. Par Ventremise de celui-ci,ils'attachaencoreunautre scelerat , du ministere duqucl il avait besoin pour Je seconder dans ses vues ambitieuses et factieuses. Co nouvel ami s'appelait Servilius-Glaucia ,hornme d'un caractere violent , emporfe et seditieux , et digne d'etre associe a Marius et a Satur¬ nin. On aurait bien de la peine a decider lequel des trois membres qui composaient ce detestable triumvirat , etait le plu3 scelerat et d'une malice plus profonde et plus noire. Continuous. Sedition de Marius, dont l'execution des desseirii Saturnin. demandait que Saturnin fut continue dans la charge de tribun du peuple , entreprit de le faire nommer une seconde fois a cette dignite ;mais iltrouva dans le peuple une opposition que tous ses soins ct toute son autorite ne purcnt surmonter. De dix places du tribunal ,nouf etaient deja donnoes sans qu'on eut fait mention de Satur¬ nin, et Aulus-Nonius ,hommesage, accre¬ dits , et d'une naissance iliustre , etait son concurrent pour la dixicme. Tous les suffrages se feunirent en faveur de celui-ci* sans avoir egard , ni aux solicitations de

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Saturnin ,nia la puissante recomm'andatioK du consul. Un crime nc coute rien a ur* ambitieux. Saturnin , furieux de se voir exclu du tribunat , sontenu de quelques gens de la lie du peuple ,et de quelques soldats de Marius , fait assassiner Nonius au sortir des cornices ; et le lendemain, dans une assemblee tumnltueuse ,ou regnait la violence , le crime de Saturnin fut recompense de la charge de tribun, en la place de celui qu'il avait la veille fait publiquement massacrer dans les rues de Rome.

Marius , devena maitre de toutes les affaires de l'etat , de celles de la guerre par sa qualite de consul , des iois et des arrets par son union avec le violent tri¬ bun, et des afflires civiles par 1'attache* Blent de Glaucia ,preteur de la ville, qu'sl avait habilemertt mis dans ses intorets ,ne songea qu'a humidor le senat f et & relever l'autctrite du peuple au prejudice de celle des senateurs ; ou , pour parler vrai , a se perpetuer lui-meme dans la magistrature. Des que Saturnin fut en place, Ma¬ rius l'erigagea a agir con're cette auguste compagnie. Saturnin, qui nourrissait dans son cceur une haine implacable contre le Senat, entre dans ses vues , et signale son entree au tribunat par de nouvelles lois agraires. 11 savait que c'etait-la la pierre de touche du senat , et que ÿopposition que la noblesse ne manquerait pas de faire a ses lois , serait une source de division entre ce premier ordre de l'etat et celui

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du peuplo , qui lui procurerait l'occasion et les mo\ ens de se venger des senateurs et de tout le corps ties patriciens. IMarius , Le tout arriva comme il l'avait prevu. Saturninet Ses nouvelles lois trouverent de l'oppo- ÿlu'cx'iler sÿÿon Pai,: ÿa noblesse et dans le ÿItiellus. corps meme du tribunat. Quelques-tins de scs collegues s'y opposerent en forme, Mais l'impetueux et violent tribun n'etait pas de caractere a etre arrete par une simple formalite. 11 chasse de la place publique les tribuns opposans , se rend maitre de l'assemblee , et envoie les citoyens aux suffrages. Les patriciens ,interesses a faire rompre les cornices , se mettent a crier que l'on a entendu le tonnerre *. Le tribun, qui penetrait l'artifice des nobles, repond en fureur : il grMera dans peu, si vous ne vous tenez en repos : Jtim ,inquit, nisi quiescitis , grandinabit. Ces menaces ne furent pas vaines. A l'instant mfime ses emissaires ,etlui a leurtÿte ,tornbent rudement sur lepartide la noblesse, l'ecartent et le dissipent. Le tribun,maitre duchamp de bataille , fait passer sa loi a la faveur de la violence.

Le but de la nouvelle loi agraire , et sur-tout la clause qu'on y avait ajoutee, que le senat jurerait l'observation d'tine loi acceptee par le peuple, etait: un piege que les triumvirs tendaient a. la probife de Metellus. Marius , pour satisfaire s»

* L.e tonnerrerompaitl'assemblee de pleii)drillt' On neterniiaait aucune affaire iorstjiie Jupil(T tounait,

R O M A IN E. Liv. Fill. 509 haine personnelle ; Saturnin et Glaucia , pour venger l'affront que ce m£me Me¬ tellus leur avait fait a tous les deux durant sa censure , en les excluant l'un et l'autre du senat , comme des mauvais sujets et des citoyens pernicieux. lis etaient per¬ suades qu'il ne se prdterait jamais a Faire ce serment , et que son opposition leur fournirait les moyens de le chasser tic Rome ,par la peine de l'exil qu'ils clecerneraient contre lui. L'evenement justifia leurs conjectures. Metellus refusa constamment de se prater a une pareille in¬ justice. Tous les senateurs firent le ser¬ ment qu'on exigeait d'eux. Metellus persista seul dans son refus , et rien no fut capable ni de l'abattre ni de l'ebranler dans ses principes. IIetait intimement per¬ suade que rien ne pouvait couvrir la honte dont on se charge en preferant l'utile a l'honnete. Le triumvirat ne tarda pas a consommer son injustice. lis firent interdire 1c feu et l'eau a Metellus,et defense fut faite a tous les sujets de la republique de le recevoir chez eux. Tous les gens de bien s'interessaient au malheur de Metellus ,et compatissaient a sa disgrace. lis luioffrirent.leurs services contre le tur¬ bulent tribun. Metellus etait trop sage , et ilaimait trop sa patrie pour les accep¬ ter. II n'avait garde de deshonorer la jus¬ tice de la cause qu'il defendait, par une sedition et par aucun procede violent. J1 sortit done de la ville , dans l'esperance que si la face des choses venait a changer ,

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it a prendre une tournure plus favorable , il serait rappele avec honneur. II choisit Rhodes pour lieude sa retraite.IIfut honarablement re9U clans cetteville,etaccueilli avec toutes les demonstrations d'amitie et d'honneur. II y passa tout le temps que dura son exil, occupe de la lecture des livres des philosophes,ou a converger avec des gens de probite et de lettres.

Marius Marius, qui avait fait de SaturninI'usagC sbandonne qu'il en voulait faire , ne se montra plus Satumin. g- arc{ent ÿ goutenir dans ses fougueuses entreprises. Le tribun ne laissa pas de se soutenir par lui-m&me. II demanda un troisieme tribunat , et il 1'obtint. La noblesse, atterree par 1'exil de Metellusj et chacun d'eux craignant pour soi un pareii sort , n'osa s'opposer a la demands du violent tribun. Le peuple j aveugle sur ses veritables inter£ts , le maintint dans sa charge , et illui associa un averiturier * qu'il affectionnait. Enhardi par ce succes , ilosa demamler le consldat pom1 Glaucia son ami, et digne de l'etre par sa noire malice et autres mauvaises qualites, qui faisaient de cet horame un fort mauvais compose,et c'etait precisementÿcause! de cela m£me que Saturnin voulait l'elever a la premiere dignite de l'etat ,p0!lf en faire l'instrument de ses violences, et pour se passer de Marius* dont il s'apetcevail que le zele etait refroidi pour luiÿ * Nonime Equitius ,dont le nom n'etait P3S anscrit parmi les cltoyens Piomainsi

R (TWAIN E. Liv. Viii. 2ti

Glaucia avait un puissant rival en la perSonne cle C. Memmius, qui , comme lui, demandait le consulat. Ce competiteur allait i'emporter : tous les suffrages se reunissaient eri sa faveur. Saturnin , qui ne pouvait souffrir qu'on s'opposat a ses vo lontes, detache a 1'heure meme quelquesuns des assassins qu'il avait a ses gages ,et fait assommer Memmius sur la place , en presence de tout le peuple. Ce nouveau meurtre mit le trouble ,et devint la pre¬ miere cause de la perte du furieux tri— bun. Le norn auguste de roi , deteste des Romains , que quelques-uns de ses parti¬ sans firent entendre dans ce tumulte , et que 1'ambitieux tribun accepta avec plaisir , acheva de le perdre, Tous les ordres de 1'etat parurent irrites de 1'audace et do l'ambition de Saturnin. Le peuple l'abaudon-na au ressentiment de la noblesse. Le Senat ordonna aux consuls de defendre la republique par toutes les voies qu'ils jugeraient convenables. Marius aurait biers voulu par reconnaissance sauver Saturnin, mais il ne lui fut pas possible d'effectuer sa bonne voiontd. D'ailleurs , comme il n'avait plus besoin d'un homme qui ne pouvait lui dtre bon a rien dans la suite pour l'execution de ses projets ,il l'abarvdorma. De plus ,voulant se faire un me¬ rits aupres du senat et du peuple de la juort du perturbateur du repos public 5 R se met a la tÿte dune bonne troupe de citoyons , de senateurs et de chevaliers 9 marche contre le seditieux tribun.

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La partie n'etait surement pas e'gale* Tout 1'avantage en tout genre etait du cote de Marius. Le nombre des troupes, la qualite, la dignite et la capacite des combattans , la justice de la cause , tout parlait. en faveur du consul : aussi la victoire ne fuf-elle pas douteusc et incertaine. Saturnin plia des le premier choc. IIfut oblige de so rctirer, ct de chercher promptement un asile dans le capitole. Marius l'y poursuivit. IIfit le siege de la citadelle engrand capitaine , en bon et fidelle citoyen , ct en general qui veut le bien de la patrie. Par ses soins ,les assieges sentirent bientot les incommodites de la faim et de la soif. Ces deux ennemis domestiques, plus teri-ibles que Tennemi le plus furieuxet le plus redoutable , determinerent Saturniu et Glaucia son ami, a envoyer des deputes a Marius , pour lui jurer un repertir sin¬ cere , et. lui demander la vie sauve. lis etaient persuades que le consul leur avait trop d'obligation , et qu'il etait trop leur ami , pour pousser les choses aux dc"nieresextremites. Ilsse trompaient. Marius n'ayant plus besoin d'eux , les sacrifia sans peine. Comme l'interet avait cite le Ik" de leur union , celle-ci cessa des p cclui-l& ne subsista plus. CependantMarius leur promit tout; et, sur sa parole, lcsi" voltes descendirent du capitole , et se vj- ipirent entre ses mains. A peine furent-i'S arrives ,que le peuple fondit sur eux. 's eurent beau protester qu'ils n'araierit iÿn fait que de l'avis et sous l'autorite 11

R o M A IN E. Liv. Fill. 2x3 consul , le peuple en fureur n'ecouta aucune raison , et les massacra sous les yeux de Marius ,qui ne fit aucune mine ni aucun mouvement pour sauver ties gens qui voulaierit l'irnpliquer dans leur crime.

Apres la mort du seditieux tribun , le CUj s0,hmoment parut favorable a la famille de Metellus , pour demander et solliciter le tellus. rappel de cet illustre exile. Tons les Me¬ tellus se donnerent de grands mouvemens. lis furent soutenus et secondes par deux tribuns , qui presenterent a cette fin leur requite aux cornices. La demande n'aurait souffert aucune diffieulte ; mais par malheur ,un tribun noitime Furius,pousse par les instigations de Marius , et plus encore par le desir de venger une injure personnelle ,s'cpposa en forme au retour deMetellus. Celui-ci ,pendant sa censure, l'avait raye du rang des chevaliers , et retranche de cet ordre. L'opposition de ce tribun au voeu general de tons les gens de bien , qui tous souhaitaient et demandaient. le retour de Metellus , fit connaitre que l'exil de ce grand personnage avait une autre cause que l'animosite de Saturriin.

La famille de Metellus ne se decouragea point de tous ces obstacles. Elle ne perdit pas l'esperance de pouvoir les vaincre. Furius ,le tribun qui leur etait oppose , et qui avait rendu inutile la premiere tenta¬ tive , ayant fini son annee de tribunat , sortit de charge. C'etait un si mauvais sujet qua peine 1'annee de son tribunat fut

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expiree , qu'on le traduisit au tribunaldu peuple. Le recit oil l'expose que fit dans i'assemblee Canuleius , des crimes et des exces oil cet horr.me s'etait porte ,indigna si fort la populace centre lui , qu'ii fut mis en pieces avant que cle pouvoir parler I pour sa justification. Restart encore Ma- ' rius , qui s'opposait fortement au retablissement de celui qu'il avait fait bannir. Mais ses efforts et scs brigues ne parent rien contre les instances et les mouvemens d'une famiile puissante , nombreuse, et generalement respectee et cherie a Rome. SonTrtour Metellus fut rappele.IIrentra dans Rome, J An!'m. comme il en otait sorti , en triomphe. 3f)o8. Le senat et le peuple , les pauvres et av. J. C, ics ricjies ? on un mot fOU{e la villc sortit an. fi. au-devant de lui ; tous s'empressaient 653. d'honorer son retour , comme pour lui faire satisfaction , et reparer l'injustica que chacim croyait avoir commise ,en conMarius tribuant a son exil. Le retour triomphant voyage en de Metellus aurait fait secher Marius de A:,ie° jalousie. IIleprevint , et sous pretextede Ur"*' s'acquitter d'un voeu, ilsortit de Rome r fit voile pour l'Asie mineure ou il alia ronger son depit , et cherchcr dans ces regions orientales quelque nouvello pature a sa turbulente ambition. Lesprojets de guerre qu'il n'ignoraitpas que Mithridateroulaitdans sa penseecontre les Romains , le conduisirent en Cappadoce ,clans la vue d'accelerer et de fan'0 colore cette guerre. IIesperait , ei " y avait merne apparence que Rome 1aura1

R O M A, IN E. Liv. Till. 21b charge de la conduite de cette importanto expedition. Ces projets flattaient egalernent son ambition et son amour pour les richesses , parce qu'il voyait dans le maniement des armes en Asie , Jes moyens dJacquerir une nouvelle gloire et de nouyelles richesses (car le rainqueur des Cimbres etait passionne pour l'un et pour l'autre. ) Marius aimait la gloire pour iramortaliser son nom , et lcs richesses pour en soutenir leclat et le brillant. Dans l'entre- Entrevue vue qu'il eut avec le roi de Pont , iln'y de re Ro~ eut nihonneur ni deference que ce prince {ÿai"0jVÿ ne prit a tache de lui rendre , pour le pont, mettre dans ses interets. Mais Marius ne se laissa point eblouir ni toucher ; et ce fat en pure perte que ce prince luiprodigua les hornmages. 11faut , roi de Pont , lui dit Marius avec sa herte accoutumee , on devenir plus puissant que les Remains, ou vous soumettre a leurs ordres. Une reponse si here et si haute , laissa le roi dans le dernier etonnement , et lui apprit ce que e'etait que les Romains, qu'il ne connaissait que de reputation et sur le rapport des autrcs.

Les mceurs etaient a Rome dans une Decadence telle decadence ,et si fort changees , que jj?* Jes lois n'etaient plus ecoutees , la pro- main?* bite et la justice y etaient meconnues et souventopprimees. Rome,autrefoislesanctuaire de la vertu ,l'asile de la justice ,la protectrice et le soutien de l'innocence , est aujourd'hui le sejour et la retraite de tous les vices et de tous les gens vicieux,

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La vertu nose plus se montrer ; et les g :ns de bien , loin d'y trouver la protec¬ tion et la surete que mdrite leur vertu, y soiit foules et opprimes. La licence et le luxeetaient portesaun tel exces ,qu'Athenes n'avait rien de plus sornptueux pour le bon gout ; Antioche et Alexandria, rien de plus delicieux pour la inollesse et la delicatesse. Des lois sagement elablies contre la somptuosite des repas , leluxe des habits , et la magnificence dans les ameublemens etaient tombees dans untei discredit , que le pen d'honnetes gens qui restaient dans la republique , n'avaient ni assez d'autorite , ni assez de faveur pour en rappeler le souvenir et les faire reviVertu con- vre. L'fiistoire de ce dernier siecie de la damnee. republique nous fournit un grand nombre d'exemples de gens vertueux , condamnes ,exiles et chasses du senat ,dont tout le crime consistait k vivre confonnement a l'ancienne frugalite , et aux regies Epit. I.de la vertu antique. Je ne repete point le 7°- mauvais traitement qu'on fit essuyer a

ÿ

An. M Metellus Numidicus, a cause de sa gd'ie3Av*J C reuse et constante probite. Aujourd'hui ' ' l'histoire nous met sous les yeux la conAs. R. damnation de Ilutilius , 1'homme le p*uS sage, le plus modeste et: le plus vertueux de la republique ; en un mot , un models de vertu et cl'equite , comme l'appele Ciceron dans son livre de I'Orateur. Et ce qui met le comblea 1'injustice,et quicouvrira k jamais Rome et ses magistrals dune honte eternelle , c'est que ce vertueupersonnage,

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personnage ,l'homme le plus simple et le plus frugal, eut pour accusateur unnomme Apicius ,le module cle tons les voluptueux et le chef des gloutons et des debauches. Marius,ne pour &tre le persecuteur de tout bien,aurait cxu manquer a sa destination, s'il n'avait agi contre un homme si vertueux , dont la probite et l'innocence etaient une condamnation tacite et perseverante de ses precedes injustes et iniques. On ne se contentait pas de condarnner ceux des Romains qui vivaient dans leurs families dans la frugalite de l'ancien temps;un tribun,nomme Duronius,porta la licence ,et eut le credit de faire casser la loi qui moderait la de'pense de la table, corarae un lien , disait-il , contraire a la liberte publique ,et comme un tyran in¬ supportable.

Par une suite necessaire de cette perse- Vice cution des gens vertucux,les vicieux en Pr.ou'se. tout genre de vice trouvaient une protect-ion assurae aupres des magistrats ,et jusque dans le sanctuaire m£me de la justice. Envoici un trait :Aquilius ,quise piquait moins do probite que de bravoure , qui avait ruiae la Sieile par son avidite et par des vexations eriantes ,fut accuse de con¬ cussion.Les faits etaient certains et averes, les temoins en grand nombre et les preuves sans replique. Qui le croirait ? Aquilius echappe a la severite des lois ;et les ma¬ gistrats ,par une honteuse et crimineile prevarication , le renvoient absous. Norbanus ,coupable de leze-majeste , trouva Tome IV* K

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Av. M. ÿans scs iuSes prelection. Et, si Soil j'ose Jo dire ,ses exces furent la cause de Av. J. C. gon absolution ,et le deroberent a la juste V,. R. pebio qu'.l meritait. Ces exernples nous 658. montrenl" quel prodigieux changement etait 'survenu dans les moeurs ,et combien Rome cle ce temps est differenle de l'ancienne Home.

§. VII. Guerre scciale. Origine de cetle guerre. Tribunal de Livius - Drusus. Ses lois. So. mart. Seulevcment des allies. Alassacre du proconsul Servilius a Ascoli. Les peuples eatrent en campagne. Succes des allies. Consternation a Rome. Exploits de Sylla dans celte guerre. Affaiblissement de la ligue. Alort et eloge de Pompedius , general de la ligue. Assassinat du preteur Asellio, Sylla demands le consulat. Origine de Sylla. Idee de son caractere, de ses bonnes et mauvaises qvalites. Son service militaire. Source des dissentions entre lui el Alarius. Sylla est charge du scin de la guerre contra Mitnridate. Alarius entreprend de In faire revoquer. 11 engage Sulpicius dans ses interets. Sedition de Sulpicius. Sylla (rbandonne le siege de Nole , et court au secours de sa patrie. Sulpicius force de sortir de Rome. II le depouill0 du commandement de I'armee en Orient' Sylla retourne a Pome , a la tete de son armee. II y entre a main annfSylla vainqueur de .Alarius, Moderation

Pi 0 M A Ift E. Liv. Fill. 219 de Sylla. Lois d.e Sylla. Vengeance de Sylla. Proserinturn de ALirius. Tristes {Lventures de Marius. Gouvernement sage e'e modere de Sylla. Cinna consul. Sedi¬ tion de Cinna. II est chasse de Rome. Degrade du consulat. 11 met dans ses interets line armee Romaine et les allies. II rappelle Marius. Cinna et ALirius marchent centre Rome et en font le siege. Mort de Pompee. Le senat entre en.ne¬ gotiation avec Cinna et Marius. Entree de Cinna et de Marius dans Rome. Leurs cruautes. Septieme consulat de ALirius. Inquietudes de Marius. Sa mort. Idee qu'on doit se former d« Alarms. Ressentiment de Sylla.

Les historiens de Rome ont donne a. Guerre 1 cette guerre un nora honorable. Us L'ont socia'e* decoree du norn giorieux de guerre des allies ,de guerre Italique. IIest visible que le dessein de ces ecrivains a ete de <leguiser par un nom plus gracieux ce qu'elle renfernie d'odieux , de revoltant en ellem£me,et deshonorant pour Rome. Dans la verite , e'est line veritable guerre civile. Elle en a tons les caracteres ,toutes les liorreurs ct toutes les suites tristes ct facheuses. L'ltalie en est le theatre; Les Italiens , memhres et sujets d'un meme etat, s'arment les uns eonire les autres , portent las amies contre Rome , leur capitale et leur maitresse : quel autre nom donner k cette malheureuse guerre , que celui de guerre civileI K 2

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Oiigint de , Passion juste et legitime des peuples cctic g..ci- dltalie, de parvenir a Ja qualite glorieuse re. de citoyen Romain , fut la premiere oribcUPPdvfi. §ine fÿe cette sanglante guerre. II y avait I.5. p 71- (ÿja long-temps que ces peuples aspiraient 3 _ a cette prerogative qu'ils croyaient leur ÿ/ etre due a plus d'un titre ,mais sur-tout JEpit c.-i- pour les services importans qu'ils avaient 76, rendus en tout temps ,et qu'ils rendaient Victÿin tous ÿes jours & la republique. lis avaient liv. Dms. souvent demande d'etre admis -a un droit V cii P.i- qU'ils pretendaient avoir mcrite par leurs 15-17. ~'C' Iravaux et par le sang qu'ils avaient repaudu au service de leur Here maitresse. Le senat et les cornices avaient souvent retenti de leurs justes et inutiles plaintes. Rome,Here de sa preeminence avait constamment persevere dans son refus. Les allies avaient beau faire sonner haut qu'ils etaient le soutien et le plus ferme appui de la republique ;que Rome devait a leur valeur ses immenses conquelcs, et ce haut degre de puissance et de grandeur ou elle etait parvenue; Rome, toujours ferme dans ses principes , avait ferme les oreilles a leurs plaintes toutes justes qu'elles fussenl. Les Gracques , soit par justice, soit par des motifs secrets ,etaient entres dans la vue des allies j mais la mort les provint avant l'execution d'un si louable projet. Les peuples d'ltalie ,rebutes d'un refus si injusto et si opiniatre, et ennuyes dfjtre les esclaves , ou tout au plus deS a, * tres-soumis d'un peuple dont ils faisaien toute la force , la puissance ,la gloire £

1'ornement ,se determinent d'cmporter par la force des armes ce que Rome refusaw si injustement de leur accorder de bonne grace. Comme l'entreprise etait de la derniere importance,et que du succes dependait leur ruine entiere ou celle des Romains ,ils differerent a faire eclorre leur dessein. lis esperaient que le temps pourrait leur fournir quelque occasion pour obtenir amicalement et sans eclat la justice qu'ils demandaient. En effet, Livius-Dru- Tribunal sus ,tribu'n du peuple , leur -fit r.aitre une

forte esperance de parvenir au but de leurs an. M. desirs , et d'etre enfin citoyens Romains. 3.916'.

Ce Drusus etait un jeune homme d'une c* maison illustre ,dont il relevait 1'eclat par ~An. R. le talent de la parole ,le brillant de l'elo-616. quence , la severite d'une probite sans reproche , et l'assemblage de mille autres qualites excellentes. IIetait plein de bon¬ nes intentions pour la republique. II en connaissait les maux , et il ne manquait ni de zele ni d'habilete pour y remedier. Plein de ce beau et louable projet, le nouveau reformateur commen$a 1'execulion de son vaste projet par se rendre agreable a tous les ordres de I'dtat , et » a se les attacher ,en quoi il reussit tresbien.

Ce premier pas fait ,les autres ne lui couterent presque plus rien. IIreforma la justice , et en abolit les abus j il en ota l'administration a l'ordre des chevaliers et la transfera au senat , a qui ce droit avait loujours ete attache. IIrendit a cette K 3

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Ses lois. auguste compagnie son ancienne splerr- deur ,et la retablit dans toutes ses prero¬ gatives. L'ordre des chevaliers fut amorce par l'esperance d'etre associes et incor,pores au corps du senat ,et par le droit qu'i] leur. laissa rle juger avec les senateurs. Les lois agraires ,les partages des terres ,les etablissemens de colonies , les largesses de tcute espece lni gagnerent la populace. Drusus vovait avec satisfaction sonouvrage avancer et se perfectionner ,lorsque touta-coup il se vit arrdte au milieu de l'execution de son plan. Le tribun s'etait bieft attendu a trouver de l'opposition a ses lois ; mais il n'aurait jamais soupÿoime que le coup fat parli du senat qu'iIavait tant oblige. Ce fut cepcndant de cetle au¬ guste compagnie que sortirent ses plus redoutables adversaires , Philippe ,actuellement consul, et Servilius-Ccpion , jeune patricien. Le jour fixe; pour la publication des lois etant arrive ,le tribun en tit, selon l*usage , la proposition au peuple. Alors les deux senateurs s'y opposerent avec force. Drusus ,qui etait d'un caractcre in¬ flexible ,tint bon centre leur opposition. La dispute s'echauffe ,la contestation devient longne , et allait degdnerer en sedi¬ tion. Le tribun y mit fin. 11 menace Cepion,d'un ton ficr et haut ,de lo faire precipiter du roc Tarpeien ,et fait conduira le consul en prison.

IIest facheux pour la gloire du tribun lui-mdme et pour l'houneur du tribunat , quxl ait deshonore par ces violences - pout-

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§fre ndcessaires , une cause aussi juste et aussi legitime que celle qu'il defendait. A la faveur de cette violence ,seslois passerent sans contradiction , et lout fut ordonne conformement a sa requisition. II en fit passer encore une nouvelle et tresndcessaire , quiportait ,qu'il serait permis de poursuivre tout juge qui aurait malverse dansl'exercicedesonministere. Cette loi est d'une necessile absolue dans tout gouvernement sage et bien police. Elle apprend aux juges qu'ils sont ies esclaves , et non les maitres et les arbitres des lois j et les force, par la crainte de lapunition, a ne pas prevariquer , mais a rendre de justes jugemens.

Tout avait jusqu'a a moment reussi a Drusus. IIne lui manquait plus , pour le parfait accomplissement de son beau projet, que de tenir la parole qu'il avait donnee aux allies. Tous les ordres de l'etat paraissaient satisfaits de son tribunat , et lis avaient lieu de l'dtre. Par son minis¬ tere le senat avait recouvre son ancienne dignite , les membres de cette augusto compagnie etaient rentres en possession de l'administration de la justice ;le pauvre peuple etait content , et profitsit des largesses et des terres que l'habile tribun leur avait fait distribuer ; enfn l'ordre des chevaliers , quoique depouille , du moins pour la plus grande partie , du droit d'administrer la justice , se consolait de cetfo perte par la voie que le tribun leur avait fravee a l'entree du senat. II ne restait K 4

HlSTOIRE

done plus quo les allies qu'il s'agissait de contenter. Drusus qui sentait l'impossibilite de les satisfaire , se trouva dans nn cruel embarras. Cependant les Italiens le sommaient de sa parole et le pressaient vivement de l'executer ; mais le senat , de qui seul ilpouvait attendre l'effet des promesses qu'il avait faites en son nom , ne l'appuyait que bien faiblement. Le tribun ne pouvant faire mieux , chercha a amuser les allies ,et a temporiser , atten¬ dant du benefice du temps quelque moment favorable pour se tirer avec honneur de la presse ou il se trouvait. Ce moment ne tarda pas d'arriver , mais ce fut pour son malheur. Ses ennemis, acharnes a le perdre , conspirerent centre sa vie , et parvinrent a se defaire de lui. Sa mort. jjn soir qu'il rentrait dans sa maison environne d'un cortege tres - nombreux , un assassin l'aborde et le perce d'un coup de couteau , dont il mourut peu d'henres apres. Ainsi pcrit cet illustre tribun a la fleur de 1'ago. IIne lui manqua pour 6tre un heros du premier ordre , qu'un pen plus de bonheur dans l'execution de son magnifique projet ; ses intentions etaient droites ,ses mqeurs irreprehensibles,etses vues nobles et grandes. S'il a succombe sous le poids de sa glorieuse entreprise , ce n'est ni faute d'habilete pour la conduire a sa fm , ni manque d'adresse pour parer a tout ; mais e'est la noire envie , et la basse jalousie de ses ennemis , qui , en lui oiant la vie , lui ont ravi 1?-

gloire de la terminer au bien et a l'honneur de la republique. On vit bien d'ou partait le coup. Tons les soupcÿons tomberent sur le consul Philippe , sur Cepion, et sur Varius son collegue dans le tribu¬ nal,tous troissesmortels ennemis. Comrae ils etaient puissans , et en etat d'arreter par leur credit les poursuites , le senafc ni le peuple ne firent aucune recherche sur la niort du tribun. Ainsi les auteurs d'un attentat aussi enorme , et l'assassin lui-m£me , demeurerent impunis et inconnus.

Les allies dechus, par la mort de Drusus leur protecteur, des justes esperances , qu'iis avaient conÿues de devenir citoyens Romains , rompirent toute voie de riegociation. Ils se confirment dans la resolu- ;yrc_ tion de se faire donner , par la voie des to- . t'es armes , ce qu'on refusait de leur accorder aUlÿs* amicalement. Ils se liguent entr'eux ,se donnent de mutuels otages , et jurent de ne point mettre bas les armes qu'ils n'aient force les Romains a leur faire part de gre ou de force d'un droit , qu'eux et leurs anc&tres avaient cent fois achete au prix de leur sang. Cette ligue , composee de tous les peuples d'ltalie , alarma les Ro¬ mains. lis tournerent en haine 1'amitie qu'ils avaient eue pour Drusus. L'indignation devint generale contre le tribun : tous les ordres de i'etat oubliant les ser¬ vices qu'il leur avait rendus , ne voyaient plus en lui un bienfaiteur , mais un tylan et l'auteur de la revolte des allies. Ii5

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Ce soulcvement general des peuples dTfalie contre Rome , no eontribua pas peu , je pense , a limpuniui des meurtriers de Drusus et au trioraphe de ses ennemis.. Ceux-ci profitercnt de ce refroidissement du peuple et du senat pour faire casser toutes ses iois , pour faire des informa¬ tions contre ses amis et contre tons cenx qui avaient eu des liaisons etroites avec lui. Par ce nouveau plebiscite les choses revinrent au meme point qu'elles (itaient availt le tribunat de Drusus. Les senateurs furent depouilles de nouveau du droit d'administrer la justice , et l'ordre des chevaliers en resta seul en possession. Pendant ces dissentions intestines de Rome , les allies firent a loisir tons les preparatifsnecessairespour faire unebonne guerre. La ville de Corfinium , dans le pays des Peligniens , \ille tres-forte et tres-grande , fut choisie par preference a toutes les autres pour etre le siege du gouvernement , le sejour d'un senat qii'ds avaient compose , la capitale de fous les peoples ligue's , et l'emule de Route.Cette ville fut la place d'arrnes des peuples confederes , et le magasin principal des pro¬ visions en argent , en vivres et en muni¬ tions de guerre, lis appelerent la nouvelie metropole , Italique , du nom du nonvel empire qu'ils meditaient d'clever en Italie Massncre sur les debris de celui de Rome. La ville ,sul '' SeTv| f d'Asculum , aujourd'hui ÿscoli , fat Is ii'« a. As- premiere a lever l'etendard de la revoliev Life, sceila. sou sefincnt. dans le.

11 O M A IU E. Liv, VIIL 227 du proconsul Q. Servilius , qui , au pre- An. M. mier bruit clo la rebellion tie la vilie , y5ÿI7'T ,, accourut avec Fonteieus , son lieutenant. 3--v' J L" Par la plus grande de toutes les impru- An. R»: deuces , il prend le ton de raaitre , il gronde, ilmenace. LesAsculans deja aigris de longus main , et irrites d'un ton si tier et de menaces si deplacees et si frivoles , se jettent sur lui , le massacrent avec son lieutenant , et font main-basse sur tous les Romains qui se trouverent et dans ieuc ville et clans toute 1'etendue de leur territoire.

Aores un coup d'eclat si marque , il n'etait plus possible aux peoples eonfederes de reculer , ni aux Romains de dissimuler. On acme des deux cotes , on leve de puissantes armees , et on se met en campagne. Avant que de commencer les Las'pea-* hosti!ites , les Italiens envoyerent des de- !'es Cn~" pules a Rome pour exposer au senat la justice de leurs pretentions, avec promesse de quitter les armes , si-tot qu'on leur aurait accorde de ne faire plus qu'un corps de republiqtie avec Rome , dont la gran¬ deur, la puissance et lagloire etaient ,pour la meilleure partie , leur ouvrage et le fruit de leurs travaux et tie leur valeur. Le senat Remain , qui n'etait jamais plus grand que lorsqu'on voulait lui extorquer quelque grace de vive force , ecouta k peine les deputes. li les renvoya en leur disant , qu'on n'obtenait point de graces les armes a la main j qu'apres qu'il's auindent bas les armes et reconnu leu?

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fanto , on pourrait les ecouter. Uno res¬ ponse si fiere , si pou attenclue , et si a contre-temps ,fit evanouir toute espersnce de conciliation ; des deux cotes on coramcnÿa les hostilites. Los consuls voulurent commander en personne les arraees Romaines. Le Samnium ecliut pour departement a L. Julius-Cesar, et. le pays des Marses a P. Rutilius-Lupus.

Les commencemens de la guerre refiondirent a la justice de la cause des alies. Cette premiere campagne fut tresfuneste aux Romains ; les Italiens eurent S'jccos presque par-tout l'avantage. Le consul des allies, Rutilius hit batlu , son armee defaite et mise en fuite par les Marses, peuples tresbelliqueux, qui avaient a leur t£te tin ha¬ bile general , norniiie \ ettius. Le con¬ sul atteint d'un coup a la tete demeura sur la place avec plusieurs autres iJlustres porsonnages. Cette premiere defaite fut suivle de pros de celle de Cepion,sonlieu¬ tenant , qui alia donner imprudemment dans une embuscade que Pompedius , ge¬ neral Italien, lui avait tendue. IIpaya son imprudence de sa vie. II perit dans fac¬ tion avec la plus grande partie de son ar¬ mee qui fut taillee en pieces. Julius-Ce¬ sar ne reussissait pas mieux dans le Sam¬ nium. II fut battu et son armee echarpee, Apres le combat on porta le consul a Rome couvert du sang des blessures qun Consier- avait revues dans Paction. On lui fit tranation a verser la ville dans ce triste et alFtigeant cme? equipage. Ce lugubre spectacle, de menÿ

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'que caliii clu corps du consul Rutilius et aurres personnages qu'on avait portes a Rome pour £tre deposes dans les tombeaux de leurs ancdtres,causa aux citoyens un grand effroi. Ceite affligeante ceremonie rappelant au peuple le souvenir des deux fraiches defaites des armees, , il s'abandonna aux cris et aux lamentations, Le deuil fut general et la consternation universelle.

Ces victoires des allies sur les Romains confirmerent ce que les Italiens ne cessaient de repeter , que Rome leur etait redevable de ses victoires et de ses conqu&tes. Les Rosnains eux-m&mes le sentaient , mais ils n'en voulaient point convenir , et encore moins agir en conse¬ quence. Cependant quand il fallut lever de nouvelles troupes , et completer les legions , on s'aperyut alors qu'on manquait d'hommes. Ceite disette de soldats libres mit Rome dans la necessity , vu la grandeur du peril dont on etait menace , d'armer ses affranchis , et de leur confier la defense de la patrie. Une nouvelle de¬ fection d'une partie des allies qui leur etaient restes Hdeles , engagea le senat a accorder a ceux quiavaient persevere constamment dans l'alliance avec Rome , le droit de bourgeoisie Romaine. Fallait-il done repandre tant de sang commettre tant d'horreurs , et donner occasion a ravager toute l'ltalie , pour offrir avec ignonunie ce qu'on avait refuse opiniatrement avec tant de hauteur et d'injustice IPour-

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quoi no pas etendre aujourd'hui ce.be'notice a teus les peuples d'ltalie I Un pre¬ cede aussi juste en lui-m£me et aussi no¬ ble , aurait fait un honneur infini a la republique , fait tomber les armes des mains des peuples ligues , et aurait epargne beaucoup de sang et de carnage. Maisla republique etait trop fiere et trop vin¬ dicative pour prendre ce parti. Elle ne se relache aujourd'hui de sa premiere fermelo que par contrainte , se reservant cle fairs tomber sa vengeance sur ceux cles peuples confederes qui avaient arbore les premiers le signal de la revolte.

Jusqu'icilesaffairesdes Romainsavaient pris une fort mauvaise tournure , et cel¬ los des allies avaient eu tout le succes desire. Maintenant la fortune va changer, L'annee suivante sera aussi favorable aux Romains , que la precedence leur avait ttd d 'favorable. Le consul Cn. Pompeius Strabo remporta sur les Marses une pleme c t entiere victoire. IIsoumit les Peligniens, et prit , apres un long et penible siege , la ville d'Ascoli. Le consul crut qu'iletait de la grandeur Ptomaine de faire un exenv ple de severite sur cette malheureuse vills, qui , la premiere , avait donne le branle' a la rebellion cles Italians. 11 la traits commeFnlvius avaitautrefoistraite Capoue qui etait dans un cas semblable qu'Ascoli, IIsurpassa rnbne son modele en cruaute, .( ous les ofEcic-rs et les principaux bour¬ geois de la ville perirent sous la hache, /-pros cette cruelie et sanglante expedition,?

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illivre la ville au pillage ,la fait detruire et raser jusque dans ses fondemeus ; traitemens que Capoue n'avait pas eprouvti de la colore de Fulvius.

Sylla fut un des generaux Romains qui . Exploits se lit plus de reputation dans cette guerre- ÿnÿcctse ci. L'annee precedente, ilavaif renducom- gueiie. plete une victoire sur les Marses , que Marius avait laissee imparfaite. Get avantage fit beaucoup d'honneur a Sylla, parce que rennemi qu'il avait vaincu etait de toute la ligue le plus belliqueux ,et que l'on disait communement dans Rome ,que l'on n'avait jamais triomphe des Marses , ni sans les Marses. Cette victoire fut pour lui un heureux presage des exploits glorieux qu'il ferait dans le cours de cette guerre. 11 fit cette annee le siege de Stabies , la prit et 1a. rasa. De la ilmarche centre la ville de Pompdii , en forme le siege et s'en rend maitre en tres-peu de temps. Pendant, le cours du siege de cette place, il eut occasion de battre en deux differentes fois une nornbreuse avmeo de Samnit.es, commandee par Clicentius ,qui etait venu au secours des assieges. 11leur tua cibquante mille homines avec leur chef qui perit dans l'une des actions. Des avantages si considerables ,rempon¬ tes coup sur coup par Sylla , commence¬ ment a deconcerter un peu le parti de la ligue Italienne. Le general Romain s'en aperÿut, et en profitspour pousser sa for¬ tune. IIentre dans le pays des Hirpiniens ,, ravage , preltd Escuiaxvum ,leur ville

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capitale , et la livre au pillage. Ces nou-' veaux succes du general Romain , et la scverite avec laquelle il avait: traite Esculanum , inlimida toute la nation, et l'engagea , par la crainte d'un traitement plus rigoureux , a faire sa soumission. De la, Sylla passe dans le Samnium ou ils'engage nialheureusement dans un defile qui aurait pu devenir le terme fatal de sa vie et le tombeau de sa gloire ; mais son bonheur et son adresse l'en retirerent avec avantage. Lorsqu'ilse vitpris sans aucun moyen d'echapper anx ennernis , il menage avec Aponius , general des Samnites , une entrevue , et convicnt avec luid'une suspen¬ sion d'hostilites. Cependant il songe a se tirer du mauvais pas ou il s'etait engage, qui lui retragait vivement le souvenir humiliant des fourches Caudines dontilpourrait faire le second exemplc. Le general ennemi lui en facilita le moj'en par sa ne¬ gligence. Sylla s'en aperqut , et en habile general il en profita. Dans le silence et i'obscurite de la nuit , il fail defiler ses troupes , abandorine son camp , n'y laisse qu'un trompette pour aimoncer a 1'ordi¬ naire les veilles de la nuit , et pour tromper plus surement son ennemi. Ce nest pas tout ;apres £tre sorti du defile, ilvleÿ tornber en queue sur les ennernis oecupes a piller son camp. L'attaque fut vive et brusque. Les Samnites "ne trouverent de salut que dans une fuite prompte et legeieLe general termina tous ces glorieuX exploits par la prise de Boviane , place

R 0 M A IN E. Liv. V11L 233 tres-knportante et tres-bien fortifiee. IIlui fit donner l'assaut par plusieurs endroits en m£me-temps , et en moins de trois heures de combat ilforce ce boulevart du parti a so rendre a discretion.

Toutes ces pertes avaient extrernement Affaiblfsaffaibii la ligue Italique. La plupart dcs serpent peuples domptes par leurs defaites ,ou at- d -ie';C* tires par l'esperance dudroit de bourgeoisie que Rome offrait et accordait a tous ceux des peuples liguesqui posaient les armes , s'etaient detaches de la ligue , et. etaient rentres dans la soumission. IIne restait plus que les Samnites et les Lucanians fidelles a leur engagement. Pompedius-Silo, leur general , qui etait un homme d'un vrai merite ,rassemble una armee de cinquante mille homines. Avec ces nouvellos forces ,il se met en campagne , va faire le siege de Boviane , la reprend et y rentve en triomphe. Co general ne jouit pas long-temps de la gloire de ses exploits. II Mort et Perit pen do temps apres , dans une ba- r,*r,gc''e i•!! r v,r ,r , . . Pompe- taille quil perdit , et avec lui s evanoui- f;jus t ÿ rent la gloire et les esperances du parti neral de la Italique , qui / depuis la mort de songe- il8ueneral , ne fit que languir et se deiruirc. Pompedius,1'auteuret. le chef de la ligue , indigne de la hauteur et de la fierle Romaine , ne pouvait souffrir que des aventuriers , tels qu'etaient les Romains dans leur origine , traitassent comme des esclaves et des etrangers tant de braves peu¬ ples d'ltalie , qui tous , a l'envi les uns des autres , avaient contribue ÿ la gran-

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de r et a la gloire de Rome , autant et puis que les Romains eux-m£mes. C'est ce qui le detenuina a allumer le flambeau de la revolte , et a soulever toute 1'ltalie centre la fidre republique. Per.Sonne ne meritait mieux one lui d'etre a la tdte du parti. Cetle preference lui etait due par son habilete , par son courage, par sa feconrii'e en expediens et en ressources , et enfin par sa constants perseverance dans la revolte. Ainsi finit la guerre sociale , apres avoir dure deux ans avec un acharuement desdeux cotes , qui tenait pre?que de la fureur. Pyrrhus,ni apresluiAjinibal, ne furent pas pour l'ltalic un flean si ter¬ rible et si funeste. L'avantage de cette guerre fut pour Rome ,quoiqu'elle fut dans son tort; ce qui nous fait voir qu'ilne faut pas jnger par 1'iivenement de la justice ou de l'injust ice cl'une guerre. Le Dieu ties armees , par des raisons superieures eta lui connues , donne la victoire aux injustes comme aux justes , fait luire sur eux son soleil ,et les corahle dgalement deses faveurs temporelles. Les Samnites ,ennemis de tout temps de Rome, resterent en¬ core en arooes conjointement avec les Lucaniens ; mais lis ne feront plus seuls un parti , et nous les verrons se confoncu3 dans celui de Marius ou de Sylla.

thiS*pi$"eur Cette annee-ci la place publique fa Aseiiio U souillee du sang d'un preteur dans l'exercice aclucl d'un sacrifice qu'il faisait en l'honneur de Castor et de Pollux. Ascliÿ> t'etait le nom du preteur , s'etait rendu

R O M A IN E. Liv. Fill. 235 odieux aux riches et aux usuriers de Rome , pour avoir pr6td son ministere , et ouvert son tribunal aux pauvres debiteurs contre la cruaute impitoyable des creanciers , qui les vexaient: et les devoraient par de gros interdts qu'ils exigeaienf avec rigueur. L'assassinat d'un magistrat dans les fonctions sacrees de sonministere et revetu des habits sacerdotaux , etait un crime inoui,et dont on n'avait pas vu jusqu'alors d'exemple dans Rome. Le comhle du scandaie fut qu'un si grand attentat ne fut point venge , et qu'il demeura impunipar les largesses des usuriers , qui iermetent la bouche aux temoins et a ceux qui auraient pu les accuser. Ces mas¬ sacres , dont la grande place de Rome se trouve assez souvent ensanglantee , sont une triste annonce et un funeste presage de ces ruisseaux ,ou. plutot de ces fleuves de sang dont nous allons voir la republique inoudee dans les differends de Marius et de Sylla.

Celui-cicouronne des lauriersqu'il avait svl!a Jegagnes par les differentes victoires qu'ilm.mde It avaitremporteessur lesallies dans le cours cc-oulat. de la guerre sociale , vinl a Rome pour demander le consulat.Rarement , ou peut®be jamais on n'avait vu de candidat se presenter avec une reputation si bien etamie. Ses beaux exploits ,anciens et nouveaux , ne laissaient aucun doute sur son Jiabilete dans laprofession des armes. Tout ÿ mqnde , amis et ennemis , nobles et pldbdiens se reunissaient pour lui dormer

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le titre de premier generalde Rome. L'envie meme la plus maligne ne pouvait lui refuser au moins la qualite d'henreux capitaine. II semblait que des services qui parlaient si haut en sa faveur , devaient lui promettre tous les suffrages , et lelever , d'une voix unanime et sans opposi- tion ,a ladignite supreme qu'il demandait. Les choses ne prirent pas une tournure si favorable. IItrouva , dans la personnede C. Cesar , un puissant concurrent qu'il fallut eloigner. La difbculte netait pas petite. IIen vint enfin a bout : apres beaucoup de debats et de contentions , il1'emporta sur son rival. Cesar se desista , et Svlla fut nomine consul avec Qnintus- Pompeius-Rufus.Ainsi le consulat de Sylla fut moins la recompense de ses glorieux et importans succes , que 1c fruit des discours eloquens de l'orateur Sulpicius , -qui , en qualite de tribun , se declara centre la demande irrdguliere de Cesar *, etle forya, par la vehemence de soneloquence ,a ceder la place ÿ Sylla. Avant que d'entrer dans les differends du nouveau consul avec Marius ,il est naturel de le faire ccnnaitre un peu plus particulierement. Orlgine tie Sylla etait homme de condition ct de in race Palricienno. II descendait de l'illustre Mar]\T maison Cornelia , mais d'une branche q«e Sylla. la pauvrete , et plus encore le manque de Pater!', i talcns c'e ses anedtres , avait fait tomber 2. C. 17. -------

* Cesar n'avait pas passe par la charge do preteur.

R O M A IN E. Liv. VIII. 23/ dans l'obscurite et dans un oubli presque total. La situation facheuse des parens de Sylla, du cote des facultes ,ne les erapecha pas de lui donner l'education convenable a sa naissance. Us le brent instruire dans les lettres grecques et latinos , ou il reussit fort bien , possedant par- faitement les unes et les autres. II vint Ideedeson au monde avec un cceur grand et une ame <jaraCl®re » clevee. Les plaisirs eurent pour lui desnesetmaucharmes dont ilne put se defendre. IIcon- yaisesquasacra ses plus belles annees a la volupte , iites" et passa le printemps de sa vie,plonge dans la crapule , la dissolution et les sales voluptes. Mais lorsque 1'age eut muri son esprit ,il devint aussi passionne pour la gloire et pour les honneurs qu'il l'avait ete pour les plaisirs. Aussi un ancien a dit fort sensement de lui , que Sylla dans 'sa jeuriesse , et Sylla a la force de I'dge , parurent deux hommes tout differens. Dans ce dernier age nearimoins , et au temps mime de sa plus grande elevation , iln'avait pas perdu le gout pour les plai¬ sirs. Natur'ellement voluptueux , il se livrait a son penchant pour les delices ,mais de faÿon que son ambition n'en souffrait rien. Conduit par cette passion favorite , il faisait touiours passer le devoir devant. Ne liberal,ilpretait volontiers a tons ceux qui avaient vecours a lui. Souverit inerne il prevenait ceux qui par bonte ou au¬ tres motifs n'osaient s'adre'sser a lui. Ses prets etaient des dons ; il ne voulait ja¬ mais entendre parler de reprendre ce qu'il

23ÿ H I S T O IR E avait obligeamment pr£te. La reconnais¬ sance etait pour lui une dette qui lui etait; a charge , et dont il s'acquittait le plus promptement qu'il lui etait possible. Son ambition le portait a vouloir plaire a tout le monde , pour parvenir a clominer sur tous. 11 etait modeste dans ses discours , mais fastueux dans sa conduite et dans scs procedes;reserve dans leslouanges qu ilse donnait , il les prodiguait aux autres. II detestait ceux qui, par une am¬ bition mal entandue, decrient la reputalion de leurs rivaux, et obscurcissent leur gloire. Pour lui,ilne songeait a se ftire valoir que par des voies digues d'un honnete liomme ;l'eloquence et la persuasion semblaient dtresur ses levres. IIetaitd'uneamitie facile et commode , mais d'un secret impenetrable et d'une dissimulationsi profonde , qu'il cachait egalement ses vices et ses vertus dans le besoin. C'elait un vrai Prothcie , a qui des personnages differens et souvent contraires ne coutaient rian. Fier et haut pour ceux dont ilne tie* pendait pas,mais souple et sounds jusqu'a ramper devant ceux a qui il voulait faire sa cour. Quelquefois il etait d'une dou¬ ceur, d'un acces et d'une facilite inconcevabies ; dans d'autres occasions, et pour les sujets les plus minces ,il etait cruel et inexorable. Toujours en contradiction avec lu.i-m6me ,ildesapprouvait le soir ce qu'ilavait trouve bon le matin. IIetait dun caractere d'espritinegal, vindicatif,superb*? etarrogant.Favorise de lafortune ,ilreussit

ft 0 M A IN E. Liv, VIII. 2ÿ9 toujours dans toutes ses entroprises ; son bonheur etait si connu et si public , ju'on ne savait iequel des deux litres lui convenait le mieux , de celui de brave ou d'heureux capitaine. Du reste,il etait bien fait de sa personne et de tres-bonne mine. IIavait l'air noble et grand , les manieres aisees et graciouses ;en un mot , tout repondait en lui a la grandeur de sa naissance. II possedait parfaitement tous les talens exterieurs qui annoricent le merite, et qui lui servent de recommandation pour percer a travers la foule , se faire une re¬ putation ,et s'elever aux honneurs.

IIlit ses premieres amies en Numidio, ,Son ser•sous les yeux de Marius , en qualite de questeur de l'armee. Comme iletait touta-fait novice dans le metier de la guerre, ils'y appliqua tout entier. Le succes repondit a son travail. Dans peu il fut aussi habile que son general , a l'experience pres , qu'on n'acquiert que par l'exercice. Pour se donner cette partie , une noble emulation lui faisait demancler d'etre de toutes les parties , de toutes les attaques et de toutes les actions. Son courage le Portait a tous les endroits ou il y avait le plus de danger. Un merite si eminent lui gagna bienlot i'estime et I'amitie des soldats et de son general. Marius , qui connaissait mieux qu'un autre ce qu'il valait , se 1'attacha , et en fit son homme <le confiance pendant le cours de la guerre do Nurnidie. Cette union ne dura pas plus que I'expeditiond'Afrique. Unanneau

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que Sylla portait au doigt , sur lequelil avait fait graver le portrait du roi Bocchus lui livrant Jugurtha , rompit cette bonne intelligence qui regnait entre ces deux grands personnages , et fut la premiere origine des dissenlions cpae nous allons voir eclater entre eux.

Sources S\lla se distingua encore beaucoup dans §uerre c!ue Rome eut a soutenir centre lui et Ma- les Cimbres et les Teutons. Marius,a qui rius. on I'avait donne pour lieutenant-general, jaloux de tout merite qui pouvait faire App. de quc-lque ombrage au sien , l'obligea de se belÿsc~'ÿ rÿfiror.Syllaalia chercher de l'emploidans V~Ptut.ln I'armee que commandait Catulus. Celui-ci Alar. 11le recÿut avec plaisir; et comme il le conS£ior l 3 naLssait d'un caractere actif , vigilant, c. i.' plein de feu et de courage ,il se reposa Veil. Pa- sur lui du soin de toute I'armee. Les i8-5S vlvrPS etaut devenus fortrares, lecamp de Catulus , par les soin.s de Sylla ,en avait en si grande abondance , que les soldats en donnaient a ceux du camp de Marius qui manquaient de provisions. Tout autre que le vainqueur de Jugurtha aurait ete charme d'une libcralite qui etait si ne* cessaire et si a propos ; mais Marius1envisagea bien differemment. II la regarca eomme un moyen dont Sylla se servai pour seduire ses soldats. 11 conput contre lui une furieuse jalousie. Nouvelle source de haine entre ces deux ambiticux , qul devint si funeste a la repubiique. Lutmi un troisieme sujet de haineirrecondliaÿlC> fut une statue de ia victoire dont

R O M A IN E. Liv. VIII. 241 fit present au peuple Remain. Cette victoire etait omee de trophees et accompagnee d'un groupe en or , qui representait Jugurtha livre a Sylla par le prince Maure. Ce magnifique present fut place, par ordre du senat ,dans le temple de Ju¬ piter Capitolin. Le vainqueur de Jugurtha se trouva vivement insulte de cette espece d'affront, II ne put soutenir que l'honneur d'une guerre qu'il avait glorieusement terminee , lui fut enleve et transfere a sou questeur. Sa jalousie se reveille , sa fureur se l'anime. IIentreprend d'enlever du capitole , de vive force , uxi monument qui lui derobait une gloire si legitimement due. Sylla de son cote s'oppose aux efforts de Marius pour conserver dans le capitole le present du roi Bocclius , auquel sa gloire etait attachee. A cette occasion , Rome se partage et se divise en deux factions. Chaque particulier prend parti seion ses interdts , ses engagemens et son inclination. On arme des deux cotes ,et on etait a la veille de voir eclore une guerre civile des plus cruelles ; mais la guerre sociale suspendit l'animosite des deux factions. L'amour et l'inter£t de la commune patrie reunit en apparence tous les esprits , tous les cceurs et toutes les forces contre l'ennemi coramun. La guerre sociale , dont nous venons de rapporter l'origine , le px'ogres et la fin ,mit le comble & la gloire de Sylla. Et e'est en effet a son courage et d sa ca¬ pacity que Rome est redeyable du succes Tome IV* L

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rle celte guerre , et do ce qu'ello est tournee a son honueur et a son avantage. Rome ne gouta pas long-temps la dou¬ ceur de la paix. Elle avait & peine quitte ies arines , force les allies de rentier clans le devoir , que la haine implacable de Marius et de Sylla lit succeder a la guerre sociale une guerre civile ties plus funestes d la repubiique. La conduite de la guerre que Rome venait de declarer a Milhridate , roi de Pont , en fut I'occasion. Ces deux ambitieux aspiraient tous les deux a ret honneur. Mais ils n'avaient pas tous les deux un droit egal pour y preteiidre. Syila est Tout parlait en faveur de Svlla ; services f-f.t" recens et importans , gloire naissante, vi" gueur de l'age , la dignite de consul qui o:p:e Mi-iui donnait un droit acquis au commandement ; aussi le soin de ccite guerrelui on: . '" fut decerne d'un cominun consentement,

Av. J. C.Au contraire tout etait contre Marius.11 8jAir R n'avaÿ P°tir lui que son ambition qui no 66/,.* ' ' vieillissait pas. Use de travail ,charge d'annees , accable d'infirmites , il passait sa vieillesse dans l'oisivete et dans l'oubli. Depuis la guerre sociaie , pendant le cours de laquelle il n'avait pas soutenu sa haute reputation , on le regardait dans la repu¬ biique connne ces vieilles armes couvertes de rouille , et dont on ne fait plus de cas , parce qu'on ne voit pas qn'on en puisse tirer de service. Cet oubli faisait son depit. II donna un nouveau degre cle force a son ambition, qui s'irrita et se choqua de la preference que le peuple Roman)

R O M A IN E. Liv. VIII. 24-i donnait surluia son rivalet k son ennemi. IIregarda co choix de Syila pour le cornmandement de l'armee qui devait agir en Asie centre Mithridate,comme une insulte et une injustice qu'on faisait a son merite. Descemomentilforme ledesseindelefaire Mariusen revoquer ,et cle lui enlever cette giorieuse t'-epiend commission. L'entreprise etait difficile. !er'ilre ** • 1 ÿ 1 * 1 1 • levoÿuer. Mais de quoi ne vient pas a bout un ambitieux riche et puissant I

IIcommence par mettre dans ses interets un tribup du peuple ,nomine Sulpicius. Ce magistrat s'etait fait , par la su¬ blimits et par la superiorite de ses talens , une reputationadmirable clans toute l'etendue de la ropublique. Son eloquence vive i!engage et hrillante , son amour pour le bien pu-Sulpicius blic ,la purete et la droiture de ses inten- fÿets2 tions lui avaient acquis une estime generale parmi tous les ordres de l'etat. Sulpi¬ cius degoute de marcher dans la carribre de lavertu,pr&temalheureusementl'oreille aux cliscours seditieux de Marius , s'unit a lui et lui promet d'employer ses talens , ses biens et son autorite , pour faire revo¬ quer Syila , et le faire subsfcitupr en sa place. Le tribun respecte et aime jusqu'ici par sa bonne conduite , et par la douceur de son gouvernement , change tout d'un coup. Et comme s'il etait fatigu<? de I'amitie et de I'estime des Remains , autourd'hui il veut se faire crainclre et se faire redouter. Le credit immense de sa charge ,qui lui clonnait la liberie de tout ectreprendre impunement , luiouvrait uno

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lit)re carriere pour devenir le tribun le plus furieux que Home eut vu assis sur le tribunat , et le plus mechant homme que la terre eut porte. Superieur a tons par l'eminencede ses talens ,il etait aussi plus mechant qu'eux tous ; personue ne pouvait lui etre compare en quelque genre de vice que ce put 6tre.

Ces deux amis ( Marius et Sulpicius ) qu'une haine commune reunissait contre Sylla, et plus encore contre les veritables inlerets de la patrie , travaillent de com cert a se faireune puissantefaction. lis trouverent dans le mecontentement des huit nouvelles tribus ( qu'on avait composees de tous les peuples d'ltalie , a qui Rome avait cite foreee d'etendre le droit de citoyen Romain) unebelleoccasion ,et telle qu'ils pouvaient la souhaiter pour se rendre maitres des deliberations des asseim bices ,et y faire passer a la pluralitedessuf¬ frages toutes les lois qu'ils jugeraient se* conder leurs vues et leurs desseins. Les nouvelles tribus , par l'arrangement qu'on avait pris , n'avaient pas plus de part an gouvernement de la rcipublique qu'aupaSedition ravant. De la les murmures , les plaintes ciusUlpi" ÿes nouveaux citoyens , et les demandes vives et pressantes d'etre incorpores aux trente-cinq anciennes tribus. Sulpicius parait touche de la justice de leur demande , et promet de l'appuyer de toute son autorite. II propose aux cornices une loi qul tendait k supprimer les huit tribus de nou* vellc creation , et a les incorporer dans

K O MAINE. Liv. VIII. Ikb lesanciennes. Cenouveauplebiscitefit ieter les hauts cris anx anciens citoyens , et mit toute la ville en combustion. Mais letribun, qui n'etait pasde caractere a mollir et a revenir sur ses pas , s'opiniatre a faire passer sa loi, et veut la faire recevoir par les voies de la violence. Les deux partis s'echauffent ;on en vient aux mains , tous bien determines de cote et d'autre a ne rien ceder qu'a la derniere extremite. La nuit , qui survint fort a propos , dissipa les combattans : on se retira de part et d'autre sans avoir rien decide que du sort d'un grand nombre de citoyens des deux partis , qui perirent dans ce tumultc seditieux.

Sylla, informe de ce qui se passait a SvlTa Rome , abondonne le siege de Nole, ou iletait alors occupe ; il revient prompts- ÿ merit a la capitale dans le desseind'y reta- et court a'j blir , par sa presence et par son autorite ,secouvs. [)e la paix. et le boh ordre. Arrive a Rome, ilSd s'abouche et confere avec Rufus , son collegue dans le consulat , sur les moyens d'arrÿter les desseins du furieux tribun. lis conviennent de faire publier une ordonnance , qui suspend et interdit pen¬ dant un certain nombre de jours toute deliberation et toute assemblee. L'habile tribun,penetra leurs vues, et ne leur donna pas le temps de recueillir le fruit de leur ordonnance. Accompagne de six cents sa¬ tellites , qui etaient armcis de poignards qu'ils tenaient caches sous leurs robes , il 6e transporte au lieu oil les consuls haranL 3

246 Hist O' ire guaient 1c peuple pour l'encourager a sottenir ses droits. IIles somme de revoquer leur ordonnance et de rendre la liberte au peuple pour proceder aux suffrages. Les consuls tiennent ferme et refusent net de se preter a la demande injuste du tribun. La resistance des consuls irrite le tribun. Ses partisans font briller lefer , frappent et tuent indistinctement tous ceux qu'ils rcncontrcnt. Du nombre des tues , fut le fils du consul Pompeius-Rufu-s qui Sulpiclcsetait gendre de Sylia. Les consuls se le toice He yoyant dans un peril eminent de leur vie, soitir de . J , , . n Reme. cherchent a se mettre en surete. rompeius se sauva parmi la foule. Pour Sy11a , dans sa fuite , avant trouvc la porte de la maison de Marias ouverte , ily entre. La fureur du tribun et de ses partisans etait telle , que la maison de son implacable ennemi lui parut dans cette extremite un asile. II ne se trompa pas. Marius, tout cruel ot vindicatif qu'il etait par caractere , -fit ceder sa passion a la contiance de son ennemi. II ne voulut point que sa maison fut le tombeau de celui qui y avait cherche sa surete. J1 se contents cie l'obliger de retotirner sur la place , et de revoquer l'ordonnance consnlaire. Sylja ccda au temps , il fit ce qu'on desirait de lui. Ce qui venait de se passer luifit eomprendre qu'il n'y avait point de surete pour lui dans Rome ; ilen sortit promptement et alia rejoinure son arxnee devant Nole.

I!le de- La revocation de l'arret consulate et

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la fuite des deux consuls , laisserent Sui- pouille du picius maitre du champ de bataille ei de r,01uÿiatnÿ„ Rome. 11 en profita pour faire passer sa jÿn-ut'e c-n loi ; et pour nepas y revenir a deux fois .Orient. il fit revoquer Sylla par le raÿrne plebis¬ cite , et le depouiila du commandement de1'arm.eedestinee a marcher pour l'Orient. Par la memo ordonnance , le peuple revetit Marias de la depouilie de Svlla , et le chargea de la conduite de la guerre centre le roi de Pont. A la premiere nouvelle que Sylla eut de son deplacement , il assemble son armee , lui fait part du changement que le tribun Sulpicius , par scs fureurs , et Marius par ses intrigues , ont fait dans la destination du general qui devait les mener en Orient. IIse plaint de l'injustice criante qu'on lui fait de le priver d'un commandement que le ser.at et le peuple Rornain lui ont decerne d'una voix unanime , et auquel ilavait un droit legitime en sa qualite de consul. IItourna son discours avec tant d'adresse et. d'artifice ,qu'ilinteressa sonarmee danssacausej en sorte que ses legions la regardaient , nonpas comme sa cause particuliere ,mais comme la cause commune de la patrie , qu'il fallait venger du furieux tribun et de l'ambitieux Marius. C'est la ou il vou- jylla re~ lait les mener: ses soldats ,remplis de ce? tourne a sentimens , lui demandent avec instance /e de les conduire a Rome. Dans le momentsonaj.m(;c. m£me Sylla leve le camp et prend sa route vers la capitale< C'est pour la premiere fois que l'histoire nous presente un consul I, 4

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Romain conduire une armee contre sa patrie. Cependant deux tribuns legionnaires s'etant presentes au camp de Syllapour annoncer aux troupes qu'elles avaient change de general , et qu'ils venaient prendre possession du commandement de 1'armee au nom de Marius , leur nouveau com¬ mandant , ces deux officiers furentassommes a coup de pierres par les soldats de Sylla.

La nouvelle du massacre des tribuns legionnaires etant venue k Rome, le cruel Marius usa de represailles sur les amis de Sylla qui elaient restes dans la capitale. II tit tuer tous ceux qui tomberent sous sa main , et piller leurs maisons. Un traitement si barbare forÿa ceux qui echapperent a sa cruaute de sortir de la ville, et d'aller chercher un asilc dans le camp du consul. Celui-ci se vit abandonne de tous ses officiers-generaux , qui , ne pouvant se resoudre k porter leurs armes contre leur patrie , quitterent par respect le service ,et seretirerent. Ainsi le cbemm de Rome au camp du consul, efait couvert de gens qui fuyaient de la ville au camp pour echapper k la fureur tyrannique de Marius j et d'autres qui abandonnaient le camp pour se retirer dans Rome ,et n'dtre point obliges de tremper leurs mains dans le sang de leurs concitoyens. Mais nous verrons dans la suite que la fureur de cette guerre civile flit portee & un tel exces , que la neutrality ne fut plus un asile. Celui qui ne se declarait pas pour

R O M A IN E. Liv. VIII. 249 un parti,etait cense declare contre ,traite en ennerai , tue , massacre ou proscrifc. Parmi ceux quietaient sortis de laville , etait le consul Pompeius , qui vint joindre Sylla dans sa route. Celui-ci fut charme de son arrivee, parce que, par la presence de son collegue , toute l'autorite du consulat se trouvait reunie dans son parti et dans son armee. Cependant Marius etait dans un cruel embarras. Maitre du senat: et de Rome , il etait sans troupes. Son rival , au contraire , maitre de la campagne ,etait a la t£te d'une puissante armee, et a la veille de venir camper sous les murailles de la capitale. Dans l'impossibilite de pouvoir resister a un ennemi si puissant et si redoutable , ilengage le senat a lui envoyer des deputes ,pour lui demander quel motif le portait de s'avancer contre Rome a la tete de l'armee,ensuite pour lui faire des propositions vagues d'accommodement , et enfin , pour lui defendre d'avancer plus pres de la ville. Le consul n'eut aucun egard a de pareils ordres. IIse contenta de repondre que ce n'etait pas contre Rome et contre la patrie qu'il faisait avancer son armee , mais contre ceux qui opprimaient indignement 1'un et l'autre. Maiius ,voyant le peu de succes de la premiere deputation , eut recours aux prieres. II envoya de nouveaux deputes a Sylla , pour le supplier de s'arrSter , avec promesse de lui donner toute la satisfaction qu'il pourrait desirer, Le consul , qui reconnut qu'on voulait

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1'aniuscr , et gagner du temps pour le tromper , usa lui-meme d'artifice. IIparut dispose a prendre les voies de conciliation; mais k peine les deputes de Marius eurent tourne le dos , qu'il se met en marche , et arrive aux portes de Rome presque aussi-tot qu'eux.

tl v entrc IIn'eut pas la peine d'en faire le siege a inainax- et ,pen forcer ies portes , illes trouva ouvertes et sans aucune defense, II y entre en ennemi ,et est accueilli de mhie, Ma¬ rius et Sulpicius , avec un gros de parti¬ sans qu'ils avaient toujours autour d'eux,, et les soldats qu'ils avaient leves a lahatet s'opposent a son progres ; lui disputent le terrain , et s'efforcent de le faire reculcr, Le peuple effraye , et qui craignait le pil¬ lage , monte sur les toits des maisons,fait pleuvoir sur les troupes de Sylla une gr£l? de traits et de tuiles ,qui les arrMent tout court. Le consul n'imaginant d'autre expe¬ dient pour forcer cette barriere que le feu , dans le moment parait la torche a la main , et les menace de bruler leurs maisons , et eux avec. Cet expedient eut Sylla son effet. Les Romains cessent toute hos-

deMadus se rdduisent a 6tre simples spectateurs d'un combat dont Rome devait £tr<? le fruit et la recompense. Sylla , profitant do l'inaction a laqnelle il venait de reduire le peuple , par la crainte d'un wcendie general , pousse ses avanfages et fond sur Marius avec toute.? ses forces. Ce vieux guerrier , rappelant son ancien courage , soutint ce premier choc avec la

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valeur digne du vainqueur des Numides el des Cimbres , et d'une maniere bien superieure a son grand age. Inferieur en nombre et en forces., il vit bien que ce serait temerite que de s'obstiner a disputer plus long-temps le terrain a son rival. IIfait sa retraite en bon ordre dans le ca« pitole ,accompagne de Sulpicius et de ses partisans. Sy11a l'y poursuit pour le forcer , et se saisir de sa personne. Marius ne lui en donna pas le temps. II sortit promptement de la ville avec un bon nombre do ses amis , et laissa son rival maitre du champ de bataille , et en possession de Rome.

Sylla , maitre de la capitale de la re- Mode-. publique , par la fuite de Marius , ne la caVion c'e traita pas en ville comprise. 11 en usa avec "J' d' beaucoup de moderation , se rappelant avec plaisir que sa proie etait sa pafrie. II voulut la sauver du pillage , et des autres malheurs qui accompagnent le sac d'uue ville prise d'assaut. IIplaga des corps-degarde par-tout , defendit sous de grieves peines le pillage , et fit punir dans le mo¬ ment et sur le lieu m£me , quelques soldats qui avaient eu l'au.dace de contrevenir k ses ordres. IIpassa la nuit sans prendre aucun x-epos , occupe a visiter avec son collegue tons les quartiers de la ville , pour contenir le soldat dans le devoir , et mettre le citoyen en surete contre les insultes d'une armee victorieuse. Le consul ne se contenta pas d'avoir j,0fs remeclie ot mis fin aux troubles actuels ,Syik, h 6

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excites par Marius et par le tribun Sulpicius , il voulut prevenir coux qui pourraient naitre dans la suite , remontcr jusqu'a la source du mal , et le couper jusque dans sa racine. Le lendemain de sa victoire ,et de grand matin, il convoque l'assemblee du peuple , de concert avec 6on collogue. II represente aux Romains, en des termes egalement vifs et touchans , les seditions dont la republique avait toujours ete agitee depuis I'etablissement du tx-ibunat. II ne manqua pas de rejeter , et avec raison , sur ceux qui avaient gerci cette magistrature , tous les troubles et toutes les dissentions qui etaient survenues entre les deux ordres de l'etat , dont l'accord et labonne intelligenceetait essentielle pour le maintien et l'agrandissement de la republique. L.es tribuns , disait-xl, sont des esprits inqniets et turbulens , dont les harangues seditieuses sont autant de tocsins et de ti-ompettes qui souflent le feu de la rebellion , et qui invitent le peuple h prendre les armes contre le senat et les patriciens ; ( idee juste aa tribunat ). II conclut que pour detruire un abus si pernicieux , et pour prevenir un inconvenient qui attirait tant d'autres maux a sa suite , il fallait rappeler et mettre en vigueur 4'ancien usage de ne proposer au peuple aucune loi qui n'eut prealablement ete approuvee du senat ; en second lieu , retablir la coutume ancienr.e de x'ecueillir les suffrages par cen¬ turies , et non par tribus , ou le menu

R O M A IN E. Liv. VIIT. 253 peuple et les pauvres etaient assures , a cause de leurgrand nombre ,de l'emporter sur les nobles , et surlaplus saine pariic de la republique. Enfin , il ajouta qu'il etait absolument necessaire , pour le bien de l'etat , de prescrire de justes bornes a l'esprit inquiet et remuant de ces rnagistrats populaires , et de donner un frein & leur ambition demesuree ; que son avis etait qu'on passat une loi solennelle , qui declarerait tout citoyen qui aurait exerce le tribunat , incapable de pouvoir remplir aucune autre magistrature , et dechu de l'esperance d'y parvenir jamais. C'est le premier coup que porte Sylla a la puis¬ sance tribunitienne.

Des propositions si justes par ellesmemes soutenues de l'eloquence de Sylla et d'une puissante aiTnee qu'il avait a ses ordres ,passerent tout d'une voix , et sans que personne osat sourciller et faire la xnoindre opposition. IIn'oublia pas de faire casser et annuller toutes les lois du tribun Sulpicius. Par cette abrogation , il se trouvait retabli dans lapossession legitime du commandement de l'armee qui devait agir contre Milhridate. Jusqu'ici rien que de sage et de modere dans la conduite de Sylla ; et je ne crois pas qu'on puisse raisonnablement la censurer. S'il s'en fut tenu , on n'aurait que des eloges a faire de son zele pour delivrer la patrie de l'asservissement injuste souslequel MariusetSul¬ picius la tenaient. On louerait egaiemont samotlcrationdans lavktoire, et la sagesse

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de ses lois. Rcvdtu de la supreme dignite de consul , pouyait-il faire un usage plus legitimede l'autoritesouveraine , que aese servir de son epee contre de mechans citoyens et des tyrans, qui troublaient tout, qui metlaient la confusion et le desordre dans tous les etats , et qui opprimaient la liberte commune pour dominer eux seulsl Vengeance Sylla n'en demeura pas la. Sous pretexte de SyJJa. d'eleindre le feu de la discorde dans le Sang de ses auteurs , Marius et Sulpicius , mais dans la verite pour satisfaire son ressentiment particulier , contre 1'avis et malgre lesmurmures d'un grandnombre de seriateurs , il les fit proscrire par unarret du senat , et douze senateurs qui etaient sortis de Rome avec eux. Le senatus-consulte fut envoye et publie dans toutes les provinces de l'empire. 11 portait le ban de ces illustres exiles ,l'interdictiondufeu et de l'eau ,et la confiscation de leursbiens. Proscrip- De plus leurs tfites etaient mises a prix 5 Maiius° ÿ otait ordonne & tous ceux qui les rencontreraient de leur courir sus, de les tuer ou de les emmener au consul. Pour accelerer cette sanglante execution , Sylla proposa des recompenses ,envoya des gens de guerre a leur poursuite ,et les fit chercher par toute terre. Marius eut le bonlieur d'ecbapper a ses recherches. Mais Sulpicius fut trahi par un de ses esclaves, sous l'espoir de la liberte et de la recom¬ pense promise. On le trouva cache dans les marais de Laurentium. Les emissaires dc Sylla le tuercnt cruellement, Us 'ul

R O M A IN E. Liv. Fill, lib ccupent la t&te et la portent au consul. Svlla la fit placer et attacher a la tribune aux harangues. Ce tragique spectacle fut Veil. P.e~ comrae un funeste presage de la proscrip- tercui. i.z. tion qui suivit de pres, et de ces ruisseaux L' 11' de sang dont l'ambition de ces deux rivaux va inonder Rome et tout Pempire. Sylla tint parole a l'esclave de Sulpicius j illux fit compter la somme promise ,donner le chapeau , symbole de la liberte : mais comme denonciateur de son maitre,ille fit precipiter du haut du roc Tarpeien. Perissent ainsi tous les traitres !

Le sort de Marius , quoique vivant ,Val.Max. n'etait guere moins cruel que celui du l- ÿ'ricstrJ* tribun , son ami. II se retira d'abord k aventures Lanuvium , ou il avait une maison de de Marius. campagne ,pour y attendre k loisir le mo¬ ment farorable de gagner la mer et de passer en Afrique. Averti a temps et a propos qu'il etait decouvert dans sa retraite , et cherche par une troupe de cavaliers, ilse sauve 4 Ostie,oil,par les soins d'un de ses amis ,il trouve un vaisseau tout pr&tpour lerecevoir. L'illustre fugitif s'erabarque. D'abord la navigation fut assez heureuse ;mais la mer etant devenue grosse et furieuse ,le pilote qui voyait que son vaisseau n'etait pas assez fort et assez bieit equipe pour resistor a la temp6te,relache, prend terre ,et fait debarquer 1'equipage. Marius averti par des bergers qui lereconnurent ,qu'il y avait dans les environs une troupe d'emissaires qui le cherchaient , fi'enfonce dans i'epaisseur d'uu bois et j

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passe la nuit fort mal a son aise. Le lenderaain , errant avec sa petite et fidelle troupe sur les cotes de la mer , il aper$oit un gros de cavaliers qui venaxent a lui k toute bride. Par un coup singulier de la fortune , deux felouques fai«ant voile bordaient la terre. A l'instant Marius se jcte & la mer ,et gagne ,a la nage, un des vaisseaux qui le reÿut fort humainement. Cependant l'escadron arrive sur le bord du rivage , et crie aux maririiers de leur livrer Marius on de le jeter a la mer. Ce fut pour ces pauvres gens uncruel combat: d un cote ,ils avaient k redouter la ven¬ geance et le ressentiment de Sy11a ; de l'autre ,ils ne pouvaient se resoudrea faire perir le vainqueur des Cimbres ,le libera- | teur de Rome et de l'ltalie,qui implorait leur misericorde. Enfin la compassion1'emporta sur la crainte. lis declarerent aux emissaires de S\ 1la qu'ils ne leur livreraicnt point Marius,et qu'ils ne le feraient point perir.

Marius,echappe d'un danger si eminenti croyait n'avoir plus rien a craindre ,mais ilse trompait bien. 11 ctait reserve pour une destinee plus cruelle. Les matelotsqui n'avaient eu intention que de sauver Ma- | rius des mains de ses ennemis , et non pas de le mettre sou's leur protection ,le mirent a terre dans le dessein de l'y laisser. On l'invita et on le pressa inutilement de prendre quelque nourriture. La lassitude et le degout que l'agitation de la mar lu1 avaient causes 9 ne lui pomirent que

R O M A IN E. Liv. Vlll. Ibj livrer au sommeil. Pendant qu'il dprmait , le vaisseau demarre ,fait voile ,cingle en pleine mer , et Marius demeure seul sur le rivage. A son reveil,quel fut son etonnement et sa desolation ! plus de vaisseau , plus d'amis , plus de domestiques ; tout avait disparu. Cette solitude affreuse le penetra ,mais elle ne l'abattit pas. Ihcapable de se decourager, et superieur & tons les coups de la rnauvaise fortune ,il ne se deconcerte point. Tout aussi grand et aussi assure qu'4 la tete des armees, iltra¬ verse , avec line peine incroyable , des fosses pleins d'eau,des marais et des terres bourbeuses. Couvert de boue ,il arrive a la cabane d'un pauvre bucheron qui travaillait dans ces marais, Quel spectacle ! Marius , dont le nom avait fait trembler toute la terre , qui avait ete six fois con¬ sul , et honore de deux triomplies ; qui , par ses victoires , avait etendu les bornes de la republique , et rendu le nom Re¬ main si celebre et si redoutablea tout l'univers ; ce Mqrius , dis-je , prosterne aux pierls de ce pauvre homme , le conjure de le sauvor et de lui donner une retraite sure. Le bucheron ,touche tout k la fois de sentimeos d'admiration et de compas¬ sion, le conduit dans une fosse du marais; le fait coucher et le couvre de roseaux et de joncs ; puis , il se retire cliez lui. A peine Marius etait-il dans cet asile ,q.u'il entend un grand bruit du cote de la ca¬ bane. IIne doute point que ce ne soit des gens qui venaient. pour se saisir de lui, Sur

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co trop juste soupÿon ,il sort du fosse ou il etait cache ,se deshabille et s'enfonce dans 1'eau noire et bourbeuse d'une mare voisine.

Cet expedient ne lui reussit pas. 11 ne put echapper aux recherches des emissaires. Les cavaliers l'apergoivent , le tirent nu ,tout convert de boue de sa nouvelle cache ,et lui mettent une corde au cou. Dans ce friste et deplorable equipage ,lis le mi nent a Minturnes , et le livrent aux magi-rrats de la vilie pour execuier 1'arret de proscription porte contre lui. Ceux-ci le font jefer dans une obscure prison ,et env vent sans differer nn Gaulois on un Cimbre pour lur oter la vie. L'epee nue que ce barbare portait a la main ,annongait assez l'objet de sa commission. Marius ,a qui ses disgraces et ses malhcurs n'avaient fait pevdre rien de cet air de herte et de majesle qui lui etait natnrelle , lance sur le bourreau un regard etincelant ,et lui crie d'une voix forte: Barbare , as-tu bien la hardiesse de tuef Alarius !Le Cimbre epouvante , et comma atterre par le son d'un nom si terrible a sa nation ,jette son epee et s'enfuit ,011 criant que Alarius ne perira pas .de St} main.

Les Minturniens ,frappes de I'lmpression qu'avait fait sur le Cimbre le nom de p- rius , se reprocbent a eux-m£mes b'ir cruaute. lis rougissent d'etre plus crue5 que ce barbare. lis rendent la libeite Marius. lis font plus ,pour reparer leU

R O M A IN E. Liv. Fill. 259 faute , ils equipent a leurs frais une fe~ louque , ils la chargent de vivres et de munitions, et y font monter Marins. L'illustre exile fait voile vers l'ile d'Enarie oil ilaborde heureusement ,et y est accueiili par Granius son ami ,et de quelques autres senateurs proscrits comme lui et associes a ses disgraces. La il ap- prit de ses fideles amis que son frls etait heureusement echappe a la fureur de sos persecuteurs ,et qu'il etait passe en Afrique chercher un asile a la cour de Hiemp- sal , roi des Numides. Cetle nouvelle de¬ termine Marius a fake voile avec ses amis vers rAfrique. La tempÿte ou la disette d'eau douce , 1'ayant oblige de relacher en Sicile du cote du mont Erix,ilytrouve de nouveaux perils. L'infortune le poursuit par-tout ; un fugitif aussi illustre ne Saurait trouver un asile que personne n'aurait refuse au plus inconnu et au plus mi¬ serable des hommes. Le questeur de la province veut le faire arr&ter. IItombe rudement sur ses gens qui, pour favosiser vSOn embarquement , font ferme sur le rivage , et seize perissent pour le sauver. Arrive en Afrique , dans la province Romaine , il n'y fut guere mieux accueilli, Le preteur Sextilius ,informe de sa descente ,lui depdche un licteur pour lui signifier de sortir de son gouvernement , avec menace de le poursuivre en -ennemi del'etat, s'il n'obeit promptement. Marius, surpris et indigne qu'nn homme qu'il n'avait jamais desoblige ,se declarat gratui-

Histoire tement son ennemi , garde pendant un assez long-temps tin profond et morne silence , les yeux fixement arr&tes sur ce porteurd'ordres siseveres.Celui-cilepresse de lui donner une reponse positive :"Va, ,, lui dit notre illustre aventurier, rappor,, tor a celui qui t'envoie , que tu as to „ Marins banni de son pays , fugitif et ,, assis sur les ruines de Carthage. Son ,, sort est aussi deplorable quo celui de ,, cette ville infortunee. „ 11 parait que i'avis ne fut pas sans quelque succesjpuisque Marius ne se prcssa pas d'executer les ordres du preteur , et qu'il resta quelque temps sur les ruines de Carthage sans dtre inquiete : ce fut-la cju'il recueiilit son Ids qu'il croyait perdu ,avec Cethegus etplusieurs autres de ses amis qui s'etaient sat<ves tie Rome . et etaient passes en Afrique a la cour de Numidie, pour y chercherun asile. lis n'1 furent pas long-temps sans s'apercevoir qu'on les observait de pres, et qu'on les gardait, pour ainsi dire, a vue. Cette espece de captivite inquietart beaucoup nos fugitifs. Heureusement pour eux que la bonne mine , la belle figure et la brillante jeunesse de Marius plurent a line ties femmes du roi , et l'affectionna au jeune Romain. Comme la passion de cette princesse n'avait rien que de gi'an" et de noble, que son inclination pour Ma¬ riusetait l'effet d'nne compassion vertueusc pour les malheureux , elle lui facility ,et a tons ses amis , les moyens de s'evader. La joie que causa la reunion du pore

R 0 M A IN E. Liv. VIII. 261 da fils leur fut d'autant plus sensible ,que leur separation avait ete m&lee de dan¬ gers qui leur avaient ote toute esperance de se revoir jamais. lis s'embarquent tous ensemble ,et vont mouiller a un des ports de l'ile de Cercine en Afrique , ou ils passerent tranquillement le reste de l'hi— v.er. Ce sejour ti'anquille et oisif de nos exiles dans i'ile de Cercine ,n'etait point l'effet d'une lache timidile. Ces genereux Romains ne manquaient ni de courage ni mdme de confiance de pouvoir quelque jour retablir leurs affaires y et de se rendre maitre de Rome et de l'ltalie;mais comme ils n'avaient ni argent ni armee , ils attendaient de la fortune quelque moment favorable pour executer avec succes les projets qu'ils meditaient. Revenons 4 Sylla.

Celui-ci , maitre de Rome , y dominait Gonverncsans opposition; nxais on luidoit la justice qu'il y dominait avec douceur et modera- deSylla. tion. Content d'avoir venge la patrie ,de l'avoir delivree de la servitude a laquelle Sulpicius et Marius l'avaient reduite , et de s'etre venge de ses ennemis ,ilne fit violence a personne;ilne permit pas qu'on fit la plus legere insulte a qui que ce fut. Malgre cette douceur de gouvernement , ilne lui fut pas posible de gagner le coeur du peuple ni celui de beaucoup de nobles , qui etaient de la faction de Marius. La t&te du tribun Sulpicius , exposee sur la tribune aux harangues , toute muette qu'elle etait ,reprochait con*

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t .iiu'.'llement a Sylla sa violence. La confiuite qu'il tenait a l'egard de Marius,qui lui av ait sauve la vie lorsqu'il chercha urt asile chez lui ,qu'il persecutait neaiunoins par touto terre ,et qu'il voulait faire perir, inspiraitde rciloignementpoursapcrsonne, et faieait soupirer apres le moment des grands cornices , od on pourrait lui donner un successeur. Ce moment arriva. Sylla ,pour soutenir le caractere de mode¬ ration qu'il affectail, et qui luiseyaitassez mal , ou plutot pour s'accommoder au temps , laissa une entiere liberte dans Selection des magistrats. IIsouffrit tranquillemcnt 1'cxclusion que lepeupledonna - deux personnes qu'il avait reconunand'. es. II ne s'opposa pas mbne a lelecinns ition de L. Corrielius-Cinna , qui etait de C" an ' M mÿme maison que lui, mais d'une fac: li°n contrairc a la sienne. IIse contenta

Av J. C. de lui associer Cn. Octavius , homme de h

A j, bien , amateur de la paix et du bon 065. ' ovdre, pour l'opposer au caractere vicieux, turbulent et temeraire de Cinna , el ÿ contenir ,par son exemple et par son autorite , dans ies bornes d'un sage gouyemoment.

Sylla ne fut pas long-temps sans eprouver qu'il etait la dupe de sa feinte mode¬ ration. Les partisans de Marius, des qun« virent Cinna a leur tete , commencerent k remuer , et a attenter a la vie des anciens consuls encore en place. Q- P011> pee hata sa mort ,en allant joindre son amide , ou iicroyoit trouver sa surete.

R O M A I N E. Liv. VIII. 2(53 pent dans une sedition habilernent excitoe dans son armee par les emissaires du parti oppose. C'est pour la secondc fois que nous voyons une armee Romaine se souiller du sang de son consul ;mais c'est la premiere fois qu'un attentat aussi enorme dcmeure irapuni, Sylla fut effravd du meurtre de son collegue. Menace d'un pareil traitejnent , iine s'amusa pas a faire des perv quisitions des auteurs de cet attentat, ni a venger la mort du consul. II songea a mettre sa vie en surete. Pendant tout le sdjour qu'il fut oblige de faire a Rome , ilse fit escorter jour et nuit d'une troupe de ses amis , qui faisaient la garde autour de sa maison et de sa personne. Les nouveaux consuls , Cinna et Cn. Sedition Octavius , entrerent en exercice de leur de Cinna. dignite ,avec toutes les ceremonies et solennites usitees en cette occasion. Cinna, se trouvant gdne par la presence de Sylla , tenia d'abord la voie de i'insinuation , pour l'engager a partir pour l'O?ient. Cette voie ne lui ayant pas reussi, parce que Sylla penetrait le motif de son e.npressement , ilengage un tribun a le citer au tribunal du peuple. Cet expedient eut.le succes desire. Sylla, craignant les suites d'un ajournement , hata son depart pour l'Asie. La retraite du procon¬ sul init'le turbulent consul au large et en liberte de faire ce qu'il voudrait dans Rome. 11 commenqa par faire casser et annuller les lois de Sylla, abroger I'arrAt 4s proscription donrie par lo scnat , ot

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reincorporer les Ilaliens clans les trentec inq tribus dont Sylla les avait chasses. L'enlreprise ne fut ni sans difficulty nisans elfusion de sang. Les anciens citoyens, qui avaient a lcur t£te l'autre consul et presque toute la noblesse , s'opposerent de toutes leurs forces au projet de Cinna. Home se divise en deux factions , resoluÿs do terminer le differend par la voie des armes. Ce premier essai ne tourna pas a l'avantage de l'inquiet consul ni des Italiens qu'il avait appelds a Rome. IIest chas- L'autre consul charge les allies si rudegedeRome jxient , et les pousse si vivement , qu'il les force de sortir de Rome , et Cuma avec eux.

Celui-ci alia parcourir toutes les villes d'ltalie ,pour lever de l'argent et des trou¬ pes. Un consul Romain chasse de Rome pour s'etre declare ,contre Rome m£me, en faveur des allies , trouva chez ces peuples tous les secours qu'il pouvait desirer ,et en homines et en argent:par-tout il fut ecoute et regu favorablement. Le Degradesdnat , instruit des mouvemens seditieux consu- consui (jg ses pVOjets funestes ,s'assemble; et apres une longue deliberation, il le degrade de la qualite de citoyen Romain,le declare dechu de sa dignite 0 consul , et lui donne pour successeur Lncius-Merula , pr£tre cle Jupiter, unmes plus homines de bien de Jarepublique- Cos le premier exemple d'un consul degra cle sa dignite. U11traitement si humma" par lui - myme , et que la nQUVeÿ

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rendait encore plus sensible et plus raortifiant , ne pouvait manquer d'irriter la fierte et la hauteur du consul degrade. Pousse a bout par ce trait insuliant , il se transporte aupres de Capoue oil les Romains avaient actuellement vine armee destinee a agir contre les Samnites , restes tie la ligue Italienne. Cirina , par ses lar- Ilmetdans gesses , gagne cette armee , la roet dans S6S liltti3,rs • . - ÿ , x i , ii , , rr une armee ses interests-; et tous , tant soldats quom- Routine ciers , lui prÿtent serrnent de fidelite , le et les alreconnaissent pour consul , et pour leur *ÿs* legitime general. Bientot ilse vit a la tete d'une armee de plus de trente legions , composees de Romains et d'ltaliens. Ce fut alors qu'il fit savoir a Marius qu'il1' rappclle pouvait repasser en Italie sans craindre niMa"us< Sylia , ni le senat.

A la premiere nouvelle que Marius re§ut de Cinna , il s'embarque avec son fils , et ceux de ses amis qui partageaient sa mauvaise fortune , et aborde en quelque port de Toscane, 11 menait avec lui un corps de troupes Maures et ltaliennes d'environ mille hommes. Le souvenir de ses anciennes victoires et de sa grande reputation,grossit bientotsa petitetroupe, quiforma une armee de six mille hommes, k la tete de laqueile ilse rendit au camp de Cinna.Ce fameux Romain ,que ses malheurs avaient rendu plus grand et plus redoutable , revoit enfin l'ltalie ,apres une annee d'exil et d'aventures les plus singulieres et les plus deplorables. La prison , 1'exil , les chaities ,Qt vie errante of Tome IV* M

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v tgabonde , loin d'abattre son courage ? Ini avaient laissd dans sa mine et dans son jn dntien quclque cliose de plus fier et de ]ÿ! s terrible qu'auparavant. Sonarrivee aui camp de China , grossit extrfirneraent le parti de ce dernier. Plus de cinq cents citoyens sortirent de Pome pour venir se ji itulre k lui. Un grand nombre d'anciens soldats qui avaient servi autrefois sous Marius ,soit en Numidie contre"Jugurtha, .oit en Gaulo centre les Cimbres ,vinrent lui offrir leurs services. De toute l'ltalie accouraient au camp du consul, en foule et par troupes , des soldats, qui , attires par l'appat d'etre incorpores dans les ariciennes tribus de Rome , venaient se anger sous ses etendards.Lesvilies et les provinces , flattees de cette m£me esper ranee , lui fournissaient des troupes et de i'argent.

Cir.na rt Dtis que Marius et Cinna se voient en i irnr; forces capablcs d'attaquer Rome avec sue"»*ii'CilClit < l 1 «.or.»r" Ko- ces ,ils leveni le camp, et prennent leur in. , et en route vers la capitale de la republique, font ies>e- devait etrc le fruit de leur victoire. 31s roarchcnt sans trouver aucune resis¬ tance , et vonr former le siege de Rome. Cinna avec Carbon , un de ses lieuteaans , pla$a son camp sur les bords du Tibre ; Marius campa du cote dc la mer , £t 1'illustre Sertorius , dont nous rappprterons.dans la suite les beaux fails ,etahit le sien au-dessous de celui de Marius, y-'ar la disposition de ces trois camps ,on yoit clairement q»e le dessein des conjuqiy

It O MAI N E. Liv. VIII. 267 etait d'empdeher qu'on ne fit entrer dans laville des convois de vivres et de troupes y et de la reduiro autant par la famine que par la force des armes.

Cependant les consuls ,de concert avec lo senat et les anoiens citoyens , avaient mis la ville en etat de defense ,place des machines de guerre sur les murailles , et fait des levees chez les allies qui etaient demeures fidelles , de m&me que chez les Gaulois. C11. Pompee-Strabo , pere du grand Pompee , qui comrnanclait une arrnee sur les cotes de la mer Adriatique , .eut ordre de venir en toute diligence au secours de la commune patrie. Ce general obeit sur le champ. IIarrive k Rome avec son armee , et canape aupres de la porte Collatine. De ce poste avantageux , il aurait pu faciliter l'entree des convois j mais sa conduite etait si equivoque , ses demarches si incertaines , et ses vues si cachees , que Rome ne tirait de lui ni de son armee aucun service. On dit meme que par une noire trahison , il offrit ses services a Cinna et a Marius ; mais qu'il en avait etc rebute. IIlivra a Cinna , sous les murailles de Rome, une sanglante bartaille qui ne fut point decisive , mais qui fut egalement funeste et pernicieuse aux deux partis par le grand nombre de gens j qui yperirent des deux coles. IIperit lui- Mort tic meme peu de temps apres dans un orage Pompee. d'un coup de tonnerre. II ne fut regrette ni dans Rome , ni dans le parti ennemi , cu plutofla joie ee'lata egalement dans M 2

2ÿ8 Hi S'TOIRE

la villo el dans le camp des ccnjure's, La conduite qu'il avait tenue dans cette guerre , et qui approchait bien d'une per¬ ilde connivence pour le parti des conju¬ res , l'avait rendu si odieux au peuple , qu'on l'arracha de son tit de parade, qu'on le traina dans les rues , et qu'on lui fit miHe autres outrages de cette nature. Marius ne restait pas oisif. 11 surprit par intelligence la ville cl'Ostie a l'embouchure du Tibre , qui etait la mere nourrice de Rome. Maitre de cette place , il la livre au pillage , et les habitans h la fureur du soldat. IIvuina de rapine plusieurs autres places ,et revint ensuite se rejoindre a Cinna devant Rome. Ce fut alors qu'un nommdApius-Claudius ,tribun des soldats , a qui le senat avait confie la garde du Janicule ,vint luilivrer ce poste important , pour lui raarquer sa recon¬ naissance pour un service qu'il en avait autrefois reÿu. IIl'introduisit dans laplace et l'en rendit maitre.

Lesorat Depuis la mort de Pompee , ilneresrr.tre cn tait plus au senat aucune esperance de 'Ton* a vec pouvoir rdsister aux conjures. Le consul Cinna ct Octavius avait pris le commandement Marius. d0 parmee ; mais il n'etait ni soldat ,ni general ,ni habile politique ;boncitoyen , plein de bonnes intentions , mais incapa¬ ble de commander. A tous ces defauts essentiels dans un general d'armee , 1 reunissalt une lenteur et une circonspeciion qui allait jusqu'a la timidite. DanJeurs ,scrupuleux observateuv des lois 3 «

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ignorait cette grande maxime d'etat ,qu'il faut se mettre au-dessus des lois et les laisser dormir pour le salut de la patrie. Ce vain scrupule lui fit refuser le secours des esclaves ,parce que les lois primitives de l'etat ddfendaient de les armer et de leur donner le droit de bourgeoisie. 11 tenait cependant la campagne avec des forces considerables , et tres-suffisantes pour faire tete aux conjures. Marius , im¬ patient de rentrer dans Rome , et de s'en Voir le maitre , lui presente la bataille. Le consul cedant a son inclination pacifique , et k la crainte cle verser le sang Romain ,refusa le defi qu'011 lui faisait. Ce refusdonnaunegrandesuperioritea Marius, et fit au consul et au parti du senat un tort qui ne sera expie que par lesang du consul lui-meme ,et d'unnombre infini d'illustres victimes.

Depuis ce moment , les desertions devinrent frequentes. Les esclaves , appeles par Marius a la liberie , desertaient de Rome et venaient en foule se rendre dans son camp. Le pain manquant dans la capitale ,le peuple murmurait ,et accusait le senat d'entretenir , pour ses interets per¬ sonnels ,une guerre qui les faisait mourir de faim ,eux , leurs femmes et leurs enfans.Enfinl'indolence naturelle du consul , laperfidie des autres chefs et la desertion des soldats ,decouragerent entierement le senat. Cette augustecompagnie ,craignant , que Rome ne vint a £tre prise de force , M 3

270 H i s t o r s e ou livri'o par trahison , crut devoir entrdr < n n. c'-ciation , et terminer cetle guerre & l'amiable , s'il etait possible. II envoie des d- paths , tires do son corps, a China et a Marius pour leur faire des propositions a'accemmodement. Venc\-vous ,demanda Cinna aux deputes ,trader avec mot comme avec un simple particulier , ou we reconnoitre pour voire consul , et en cette quaHie me rendre vos hommages ! Cette question imprevue et sur laquelle les d putcs n'avaient aucune instruction, les arreta tout court. lis rentrent dans Rome. Lf senat s'assemble , et les deputes y font leur rapport des pretentions de Cinna. Le senat se trouva fort embarrasse sur lareponse qu'il avait a faire a Cinna. Ne pas le reconnaitre pour consul , c'etait exposer la capitate tie l'empire a toutes les horreurs d'une ville prise d'assaut. Lc re¬ connaitre , c'etait avouer l'injustice de 3'arrÿt qui l'avait degrade,et faire auconsul qui lui avait succede , un affront qu'ilme* ritait d'autant moins qu'il etait infiniment respectable par la purete et la gravite de ses moeurs. Morula denoua lui-nidme ce noeud ,tira sa compagnie dembarras ; s'¬ il le lit avec une noblesse qu'on ne cess® d'admirer , mais qu'on n'imite presque ja¬ mais. Comme iln'avait souffert d'etre elevd a la supreme dignite de consul , que pour le bien de la patrie , ce m£rae amour lui inspira la generosite de s'en dtipouiller. ÿ Cette genereuse et louable demission di*

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fertueux Merula, mit le senat en liberie, IIrenvoie les deputes a Cinna avec orcire de le reconnaitre pour consul. Ce preliminaire accorde , on entama le fonds de la negociation , qui souffrit beaucoup plus de difficulty que le ceremonial exige par Cinna. Les instructions d.es deputes du Senat se reduisaient a exiger cle Cinna qu'il promit avec serment d'epargner le sang des citoyens , et de ne faire niourir personneque suivant les lois etconformement aux regies ordinaires de la justice. Rienn'etait plus raisonnable et plus juste j Ct quand mffine le senat n'aurait pas exige cette condition pour prealable ,l'liumanite , I'equite et l'amour de la patrie l'auraient prescrite h Cinna. IIreiusa neanmoins de faire ce serment. IIpromit sou-* lement de ne causer la mort a personne , ni directement ,niindirectement. Pendanttout le temps que dura 1'audience,Marius , debouv a cote du tribunal de Cinna ,garda un profond et xnorne silence , que 1'on regardait comme un pronostic de mauvais augure. On ne se trompait pas. Pendant que les deputes du senat ren- Entree da trent dans la ville pour faire le rapport e!"jvfsrius de leur commission , il se tint au camp dans Kode Cinna un grand conseil pour deiiberer et concerter de quelle maniere on devait user de la victoire. On n'avait qu'a ecouter la raison et rhumanite, et suivre l'exemple de Sylla. Dans ce conseil , ou presidait le desir de la vengeance , font y fut decide conformement a cette regie.

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Histo-ire

Sortorius ,d'un caractere doux ,opina inulilcment a la moderation et ila douceur. 11 ne fut pas ecoute. Les deputes du senat ne tarderent pas de revenir au camp pour inviter Cinna et Marius a renlrer dans Home. Le consul y fit son entree, precede de ses lictcurs et environne de ses gardes. Marius s'arrela a la porte de la ville. Comme on l'invitait de s'avancer , il dit d'un ton railleur , et avec un sourire malin : convient-il d un exile , d un proscrit de reparaitre dans le lieu d'ou ila ete chasse ! Cinna se rend a la place publique , y convoque le peuple , et fait revoquer l'arrÿt de proscription de Marius. Celui-ci impatient d'assouvir sa vengeance , ne donna pas le temps de recueillir lessuffrages.Ce vieux fourbe, ce noir hypocrite ne pouvant soutenir plus long-temps le personnage qu'il affectait do moderation et de respect pour les lois , revint a son naturel cruel et feroce. Tl entre dans Rome , comme ilaurait tait dans une ville ennemie prise dassart , et la livre a toutes les horreurs cle la guerre. Les premieres victimes qu'il immole a son ressentiment furent un bon nombro d'illustres senateurs et personnages consulates. Los plus celebres d'entre ces victimes etaient le consul Octavius et Merula son collogue ; les deux Crassus , cÿ-7 pere ot his;Catulus qui avait ete son collegue dans le consulat , ct qui avait pas¬ sage avec lui l'honneur de la victoire sur los Cimbres et celui du triomphe ÿ, les

R O M A IN E. Liv. Fill. 27S deux Cesars, Lucius ei: Cains;enfin MarcAntoine , egalement illustre par son elo¬ quence et par les dignites du consulat et do la censure, qu'il avait remplies avec eloges.

Outre ces victimes illustr'es et connues , il y eut un tres - grand nonabre .de citoyens de tout age et de toute condition de tues et de massacres. Le carnage et le pillage durerent cinq jours , pendant lesquels la ville fut livree a tout.es les horxeurs et a toutes les violences qu'il est possible d'imaginer.Les femmes et leslilies etaient deshonorees , les maisons pillees , et les riches depouilles de leurs biens. Marius sevit contre Rome avec plus de cruaute et de fureur qu'il n'avait jamais fait contre aucune ville de Numidie.Rome ressemblait a un champ de bataille. Les rues etaient couvertes de cadavres ,et regorgeaient de sang. Personne n'etait en surete ; et au moment m£me qu'on y pensait le moins , on se trouvait attaque et massacre. Un mot, un geste de ce cruel parricide ,mettaient ses satellites en mouvement. Ges ministres de sa vengeance tombaient sur tons ceux a qui ilne rendait pas le salut, et les massaeraient sur le champ et en plcine rue. Quelle horreur ! Au milieu de tant de sang repandu , capable d'assouvir le ressentiment le plus violent, Marius n'etait point rassasie. Toujours altere de sang,c'etaient tous lesjours de nouveaux meurtres et de nouveaux massacres qui se commettaient par ses M 6

t>74 Histoire ordros. Toujours impitoyable et inflexible'ÿ aucun de ceux dont il suspectait la conduite , n'ochappait a son ressentiment. U n'y eut jamais de fleau du ciel plus ter-

J'ell Pa- riule ; et c'est avec beaucoup cle justice i.r. i. 2. qu'un autcur remarque que son retour a *- "• Home fut plus funeste et plus pernicieux a cette cap i!ale du monde , que la peste la plus cruelle. La principale victime ,et celle dont le sacrifice lui aurait fait plus de plaisir , manquait a sa vengeance. II aurait voulu en otendre les effets sur laper-? -onne meme de Svlla. Peut-etre que le sacrifice de cette victime aurait apaise son barbare courroux. Mais son rival , vainqueur de Mithridate , craignait peu ses coups. Au defaut de cette victime ,Marius en frappa mille autres. 11vqulut memo faire toruber sa colore sur des victimes tout-ÿ-fait innocentes , sa femme et Ses enfans , par cette seule raison que le sa¬ crifice en serait plus sensible a son rival. 11 fit fairc les reclierches les plus exactes; mais , par un beureux hasard , ils ecbapperent aux perquisitions du tvran. lis so «auverent de Rome fort & proyos : des amis fidelles les escortercnt et les cpnduisirent en surete jusque dans le camp (|e' Sylla. Le barbare ,outre de leur fuite, de-r chargea sa rage sur les maisons de vide et de campagne de son ennemi , et les fit raser. Afin qu'il ne manquat rien a sa pleine et entiere vengeance , Maries declarer Sylla ennemi"de, la r.epubliqp?. lo fit pr'oscxire} et nut sa tote a prix.

R 0 M A IN E. Liv. P'llL

Les deux tyrans ,Cinna ct Marius,dont Sep'"' rue 1'amhition et la cruaute n'dtaient point,ÿ;\ -® satisfaites ,se fxrent deferer le consulat. Leur dessein n'etait pas seulement de con- An m< tenter leur folle ambition , et d'exercer ÿ915. impunement mille cruautes et mille vio- J c ' lences,iis voulaient en outre se fortifier de cette autorite supreme contre Sylla, doni ils redoutaient le retour et les forces. Qui ne penserait qu'apres tant de meiutres et de massacres , la cruaute de Ma¬ rius serait eteinte ? Mais 1'eclat ni le' nombre des victimes ne pouvaient assouvir sa rage. IIvoulut signaler le jour qu'il prit possession de son septieme consulat , par le meuftfe cl'un tribun du peuple , par un arret de bannissement de deux preteurs , et par la mort d'un illustre senateur, Sextus-Licinius , qu'il condanma a dtre precipite du haut du roc Tau¬ peien. . Marius , maitre absolu de la capitale ÿ inqnlefndu monde ,y reglant tout selon ses vues , es <ie 1 , • J • . A 1 , , • ses desirs et ses mterets personnels ,netait ni heureux ni content 5 il etait rneme rcnge d'inquietudes et d'alarmes. Sylla tout eloigne qu'il etait de Rome , faisait Sa principale peine. Marius,accabie d'annees , use de travail et de fatigue , craignait ,et non sans fondement ,de se voir oblige, pour se soutenir dans sa tyrannie, d'en venir aux mains avec un ennerni ioujours heureux, le favorj de la fortune , encore dans la force de l'&ge,actif,vigi¬ lant,et actu'ellement occupe a une guerre

2"j6

II Is t o Ir e donl lo succes remplissait le monde de la gloire de son nom. L'idee d'un adversaire si puissant et si redoutable , par qui il avail deja cite chasse une fois de Rome, lagitait continuellemcnt. II lui semblait voir S\ 11a aux portes de Rome ,conduit par la victoire , demandant justice des norreurs commises.. dans la ville depuis son depart. Cos noires idees ,dont ilctait obsede jour et nuit , le rendirent soupÿonncux , inabordable meme a ses amis, et ie jeterent dans une tristesse qui ne finit qu'pvec lui. Pour faire diversion a scs chagrins, il chercha a les noyer dans le vin et les plaisics de la table. Ce remede fut pire que le mal. Un regime si extraordinaire et si peii scant a son Age et a sa dignite, lui causa une violcnte maladie , dont ilmourut lo dix-septieme Sa morf. jour do son septieme consulat. C'est ainsi que pent ce tyran , et quo la terre se vit enfin dclivree de ce cruel monstre : mort trop douce pour un hommc qui avait fait perir taut de citoyens. Ideeqn'on Le paganisme a Lait. de Marius un grand doitsejor- ],OTmT!e et un granR beros. Marius , il est merdeMa- . n wus. vrai ,est un personnage extraordinaire, un ne pout, luirefuser les talens guerriers qu'il possedait en un degre eminent ; mais ii n'avait aucune de ces vertus du coeur qui font les gran'ds horomes, et ileut tousles vices des grands scelerats. IIfut le sauveur tie la republique par ses victoires sur les ennemis de l'etat ,mais ilen fut le bourreau par ses cruautes. En temps de guerre,

R O M A IN E. Llv. VIII. 277 c'etait le meilleur soldat et le plus habile capitaine , et dont les exploits egalent ou surpassent mSme ceux des Scipion ;mais en temps de paix il fut le fleau de sa patrie. IIn'y eut jamais citoyen plus factieux , plus emporte et plus furieux que lui.Ce n'est pas,a mon sens ,unprobleme, si Marius a ete plus funeste a sa patrie par ses exces , qu'utile par ses victoires sur les ennemis de l'etat. Sa fortune est aussi peu digne d'envie que son heroisme. Ainsi , je ne crois pas qu'il y ait aucun homme raisonnable qui voulut £tre heros a la fa$on de Marius , ni le favori de la fortune au prix de ce qu'il en a coute a cet homme, le plus fameux des Remains. Uiie sage mediocrite et un rang moins eleve ,ne sont-ils pas mille fois a preferer & un vain eclat de richesses et de dignites si inconstantes ,si couteuses et si perilleuses ? Revenons a S3 11a.

Ce general , qui faisait alors la guerre ReSseniien Asie ,etait exactement informe de tout ciei'iU c!e ce qui se passait k Rome,par ceux de ses partisans qui y etait restes. II fut confirme dans tout ce qu'il apprenait des exces et des horreurs de Marius et de Cinna , par l'arrivee de sa femine et de ses enfans ,et de quantite deproscrits qui etaient venus d'ltalie chercher dans son camp un asile contre le ressentiment et l'humeur sanguinaire de Marius. IIcon?ut des-lors un violent desir de se venger pleinement de ses ennemis. Cependant ,superieur a son. propreressentiment,ilresistaconstarament

H !S T o 1 R J

k son penchant qui l'appelait en Italie7aux instances de sa ferame et aux sollicitations de ses amis,qui le pressaient vive* j:.ent d'abandonner la guerre d'Asie ,et de' t miner ses armes victorieuses contre ses ennemis particuliers. L'ennemidelapatrie, l'ennemi commun ,lui parut un objetplus fligne de son ressentiment ,qu'un ennemi \ ersonnel. 11 prefra d'achever de reduire i'ennemi etrangcr ,et de faire la conqudle de l'Asie , a la vengeance de ses querelles particulieres. Ainsi,quelque instance qu'ort iui fit de tous cotes , il ne voulut jamais faire usage do ses armes que la republiqne ne fut vengee la premiere , et qu'il n'eut reduit le roi de Pont a se renfermer dans les bomes de ses ancetres. C'est a men sens le trait le plus louable de la vie de S}Ha, et celui qui lui fait le plus d'honneur. Suivons-le dans cette carricre de la gloire, qui presentera au lecteur des idees plus gvacieuses et plus agreables.

J.rv.dc Coi ime cette partie de l'histoire est * leiLM'thr. p0ur rri'exprimer ainsi ,plus du district de ' yf' 1 l~ l'histoire ancienne que de celui de rjbstoire Rornaine,je la traiterai de lamaniers 'la plus succincte qu'il me sera possible,et je n'en toucherai que ce qui me parai ra inseparablement lieavecl'histoire Romainp. / tome EHe est deja traitee assezau long dans moa P>t"' akrege de l'histoire ancienne.

5* VIII. Guerre contre Afithridate. Origine de Mithridate. Jdee et caractere de ce prince. Ses exploits. Impeudei-cs

R O M A IN E. Liv. Fill, ijg (VAquilius. Victoires de Alitridate sur le& Remains. Rome declare la guerre au ro> de Pout. Alasssacre des Remains en Asie. Depart de Sylla pour VOrient. IIfait If siege d'Athenes. II la prend d'assavt. II se rend maitre du Pyree et le bruie. II remporte deux grand.es victoires. II accorde la paix a Mithridate. II met Mithridate en surete contre Fimbria„ Abrege de la vie de Fimbria. Retour ds Sylla en Italie. Lettre de Sylla au senate Deputation du seriat d Sylla. Mort de China. Reponse de Sylla au scnat. IIarrive en Italie. Moderation de Sylla. IIdebar-die Varm.ee du consul Scivion. Massacre d'un grand nombrede senateurs ,par ordre du jeune Marius. Bataille de Sacriport. Siege de Preneste. Tentative de Telesinus sur Rome. Bataille sous les murailles de Rome. Telesinus est'vaincu et tue. Alort du jeune Marius. Sylla prend le surnom d'heureux. Recit des cruautes de Sylla, Arret de proscription. Sylla ,dictateur perpetuel. Usage que Sylla fait he la dictatare. Lois de Sylla. IIremplace les sena¬ teurs marts. IIreunit le consulat a la dietature. IIabclique la dictature. Moderation. de Sylla. Vie privee de Sylla. Sa mart* Ses obseques. Son epitaphe.

MITHRIDATE , roi de Font , tirait Guerre •son origin© de parens les plus illustres de 1'univers, 11 comptait parmi ses ancÿtres ulu<i

2So H I S T O IR E

Flor.l.3. Dariusi, fils d'Hystaspe , roi de Perse, Veil' Pa- •Ar,a'jane a'nci ('c Darius avait jete les tire,t .;5- premiers fcmdemens de ce grand rovaume de Pont , qui comprenait tout le pays qui v- ?rei' borde le Pont-I:uxin. L'histoire ne nous r ICt. ITl | a | Fibr.SyU. apprend nen ou presque lien de ses aieux. tt Mhhri- Contens apparemment ct avec raison de PZpit I *our f°rtune > Us vivaient sans ambition, 8i-85. sans dtisir detendre les limites deleurdoOrifiinc mination , passaient leur temps dans une darcl ,!ui" m°lÿe oisivete, sans gloire et sans reputa¬ tion. Leprince centre qui Rome tourna ses armes , est le premier qui ait fait parler de lui. Et je r.e sais s'il n'eut pas ete plus heureux pour lui ,pour ses peuples et pour une infinite d'autres nations qui furent impliquees dans cetfe guerre , que ce prince rut ne sans talens , et qu'il eut vecu , a l'exemple de ses ancetres , sans ambition et enseveli dans l'oubli.

Idee du Mithridate vint au monde avec des incaractere clinations cruelles et sanguinaires , qu'il piince forlifia par son education. Force d'habiter les bois et les for£ts avec les h£tes, pour eviter les embuches que luitendaient ses tut jurs, ilcontracta une ferocite decaractere qui degenera en cruaute excessive. Des qu'il fut en etat de gouverner par iuimÿme , il fit mourir ses tuteurs et sa mere m£me , qu'il soupÿonna sans doute d'avoir trempe dans le noir complot de ceux qui avaient voulu lui oter la vie. Mithridate etait non-seulement cruel a l'exces , mais iletait fourbe ,hypocrite ,perfide et d'une

R O M A IN E. Liv. Fill 281 ambition demesuree. Son caractere cl'esprit etait haul , ficr , arrogant et incapable d'etre abattu par aucun revers de fortune et par aucune disgrace. II possedait les talens de la guerre et du gouvernement. IIetait grand capitaine et grand politique, vindicatif a l'exces mais il conservait une reconnaissance parfaite pour ceux qui l'avaient oblige , et recompensait iiberalement leurs services.

Des qu'ilfut paisiblepossesseur du trone Ses exde ses peres , son ambition naturelle le p'oits. porta a s'agrandir. IIsignala ses premieres annees par la conquete de la Scytie et autres pays situes sur le bordde la Mer-Noire et du Palus-Meotide. Ces exploits lui enflerent le coeur. 11 con9iit des-lorsle grand et insense dessein de la monarchic universelle , et celui de faive la guerre aux Homains. Des-lors it prit le surnom de grand , qu'il croyait avoir merite pour avoir vaincu les Scytes.

L'ambition de ce jeune conquerant,irrite par ses premiers succes , ne sc borna pas la. La Paphlagonie , la Cappadoce , et autres provinces de l'Asie mineure, furent le fruit et la recompense de ses nouvelles entreprises. Le senat de Rome ne voyait qn'avec un ceil jaloux let progres de ce jeune prince. L'attaquer ouvertement et le forcer do se renfermer clans les limites anciennes de ses peres , cela eut ete du gout et de lagrandeur Romaine. Mais l'embarras que donnait alors la guerre sociale ne permit pas au senat de parler et d'agir

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H IST01EE

a ec cct air de hauteur et de souveraineie qu iI aurait fait dan's des circonstances inoins iacheuses. II faliut done se reduire a envoyer a ce prince une ambassade , pour l'engager ,par les voies de l'insinuaf ion , a retablir sur le trone les rois qu'il avail obliges d'en descendre. Aquilius , ÿ lui-lu li. 'me qui avait termirie la guerre des esclaves en Sicile , etait a la t§te de cette importante commission. Ce Remain etait brave et avait du courage ; mais il netait ni fin politi jue , ni habile negocia, hv?ru- teur. Comme il ne trouva pas Mithridate' " A* souple a ses volontes , ni docile a obeir aux ordres du senat ,il abandonne la vore? des negoci itions pour prendre celle des armcs , et forcer Ce prince a se rendre a ce qu'on cxigeait de lui. 11 leve dans la province Romaine et cliez les peupletf allies , des troupes dont ilforme trois arnries. Caÿsius qui etait en Asie avec la quaiite de proconsul , eut le comniandernrnt d'une ue ce- armees ; Q. Opius , mis a la tete d'une autre , et Aquilius sd chargea de commander la troisieme.

C'etait de la part du chef de l'anrbassade et de ses collegues la plus grande de® imprudences , ou piv,tot la plus haute et la plus insigne des folies. Sans ordre. du senat , sans dtre autorises du peuple Komain a prendre les armes , de leur autorite privee , ils declarent la guerre a m prince des plus puissans , et dont les pie" paratifs etaient irnmenses ;et celadans Conjunctures critiques , dans un temp® °u'

R O M A IK E. Liv. J'tli, 283 lepeuple Roraain avail a soutenicda guerre ties allies : en un mot dans des circonstances ou ils n'ignoraient point qu'ils ne pourraient tirer de Rome aucun secours ni en hommes ni en ax-gent . C'etail comniettre visiblement l'honneur el la gloire du nom Romain. Le i-oi de Pont avail sur pieddes forces formidables ,une infanterie redoutabie , une cavalerie nombreuse et aguerrie , une marine bien entretenue , des provisions immenses de toute espece , et des aliies puissans qui lui fournissaient des troupes , ou qui le favorisaient secretement.

Une illustre victoire queMilhridaterem- Vxttoim porta sur Nicodeme ,roide Bythinie ,que <jeMirhx * t t> • . , . i• 1 . natesa o les homaxns avait , malgre iiu , engage R0111ci,is. dans cette guerre ,fut le premier avantage de ce prince sur des ennemis mal prepa¬ res et quil'avaierit si imprudemment altaque. Les Remains Asiatiques ,et Aquilius lui-meme , qui avait regarde le roi de Pont comme un exxnemi digne de m'epris, Re tax-da pas d'eprouver la valeur de cs prince. Vairicu dans une bataiile en forme , Aijuilius perdit son camp , ses troupes furent mises en fuite et dispersees , et luiineme ne trouva de surete que dans la celerite dont ilusa pour se retirer de Pergame. Par cette victoix-e le roi de Pont resta seul maitre de la campagne : pas un des generaux Remains n'osait la tenir. Us s'etaient tons renfernxes dans des pla¬ ces fortes. La Bythinie ,la Phrygie furent le fruit de cette seconde victoire. routers

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Histoire

les villos do l'Asie s'empressaient de lui ouvrir leurs portes , les peuples couraient en foule au-dovant dc lui , l'invitant a venir chez eux , et a les honorer de son auguste presence. IIfut redevable de cette soumission de presque tous les peuples Asiatiques , & la douceur avec laquelle il traitait leurs prisonniers. Coirime un autre Annihal , qu'il avait pris pour rnodele , il n'oublia ricn pour faire gouter sa dofnination aux allies des Romains , et les degoliter d'eux :• et tandis qu'ii exeiÿait sur ceux-ci les dernieres rigueurs ,ilavait pour ceux-la toutes sortes de bontes. Les iiberaiites , les caresses , les remises generales de toutes sortes de dettes , et une exemption de tout tribut pour cinq ans , signalerent les premices de son gouvernement sur ses nouveaux sujets.

On pense bien qn'un prince aussi ambi'ieux que letait Mithriuate , qui roulait dans <a t£l'e le projet cbimerique de larnonarcliie" utiiverselle , ne borna pas la ses ConquStes. Plein de haine et de mepris pour les Romains , qu'il appelait un peuple de loups , insatiables de sang, toujour® affames et alteres de richesses et d'empires , et. ennemis irrcconciliables de la ma¬ le,ste royale , il sut inspirer a ses troupes le mfime mepris et la inline haine dont il etait penetre lui-mdme , et le courage necessaire pour vaincre. Bientot deux gencraux Romains ÿ Opius et Aquilius ,tomberent en sa puissance , et devilment ses prisonniers. Comme ce dernier etait le

R O M A IN E. Liv. Fill. 28b principal moteur tie la guerre , il le iit mourir dans les tourmens les plus cruels. Pour Opius , il en faisait l'ornement de son triomphe et la derision de la grandeur - Romaine.

Rome informee de cos tristes nouvelles Romedeÿ et des progres rapides et immenses du c'are ia _ ' . ij 7 guerre au nouveau conquerant , ne balanÿa pas a <je luideclarer la guerre dans les formes. RienFont, ne fat capable d'arr&ter son ressentiment i ni les pertes qu'elle venait de faire dans la guerre des allies , qui n'etait pas en¬ core bien terminee ,niles discordes civiles dont elle etait menacee , ni l'injustice de la guerre. Rome toujoui's elle - meme , c'est-a-dire , toujours plus fiere et plus grande dans scs disgraces,declare laguerre a ce prince,qui n'avait d'autre tort que celui de s'etre bien defer.du contre des generaux Romains qui l'avaient imprudernment et injustement provoque. Sylla dut charge de la conduite de cette nouveiie guerre.

Les dissentions civiles done Rome commenÿait alors a £tre agitee , ne permirent pas a Sylla de se rendre dans son departemerit aussitot qu'il l'eut souhaite , et que les besoins de la repubiique le demandaient. Ce retardement donna le temps au roi de Pont cl'etendre sa puissance , d'exterminer de 1'Asie presque jusqu'au nom Romain. Ce fut dans ce temps - la Massacre qu'il donna 1'ordre cruel a tons les gou- ÿinsRo~a verneurs des vilJes de son obeissance, de feire massacrer en un certain jour marque

H I S T O I R £

tout ce qui so trouverait en Asie de Roimains ou d'ltaiions avec leurs femmes et lours enfans. Cot ordre sauguinaire fut /•x scute avec tout le secret , 1'exactitude et la cruaute que ce prince pouvait desirer. Les Asiatiques , qui detestaicn-t la domination Komaine , que l'avarice et lavidite des gouverneurs avaient rendue en etl >t tout-ÿ-tait insupportable ,se portcrent clans cetto occasion a des exces d'une cruaute inouie. Les maisons ,les temples t les autels , les statues sacrees , qui sont pour les malheureux un asile assure , ne lurent point respectes : tout fttt viole et profane.

Ceux d'Ephese arrachaient les Romains des statues du temple de Diane ou ils s'etaient refugies , les forpaient d'abandonner cet asile sacre , et puis les tuaient. A Pergame,ceux des Romains qui s'etaient retires dans le temple d'Esculape ÿ> furent nerces k coups de traits. A Caune , les lnhitans eurent la cruaute d'arracher les Italiens des autels sacres ou ils setenaient attaches. Ensuite , commc s'ils voulaient donner plusieurs fois a cos malheureux Is coup do la mort , ils tuaient en leur pre¬ sence et sous lours yeux , leurs enfans , puis lours femmes , et enhn ils les inaS" iacraient eux - memos. La barbarie avec laquolle les Asiatiques executerent les orclres du roi , montre assez qu'ils vengeaient leurs propres querelles contre les Romains •, qu'ils assouvissaient leur hainej qt qu'ils obcissaient a leur ressentiHien

R O M A I N E. Liv. VIII. 2ÿ7 plus qu'aux volont.es du prince. 11 perit dans ce massacre Asiatique quatre-vingtinille Romains ou Italiens.

JL'alarme que cette execution barbare avait causcie en Asie ,passa en Europe ,se communiqua a la Grece , et ouvrit un fhemin au roi pour y penetrer et y etablir sa domination. Toutes les villes cle la Grece , Athen.es merne , 1'ornement et la gloire de I'empire des Grecs , ouvrirent Jeurs portes au vainqueur ,et subirent son joug. Les lies de la mer n'eurent pas un iiieilleur sort : tout fut subjugue , et oblige de reconnaitre la superiority du conquerant qui les soumettait. II n'y eut que la ville de Rhodes , qui ,dans l'oc-casion prdsente , donna volontiers un asile aux Remains. Elle fut la seule qui deineura fidelle a ses allies , qui refusa de subir le joug du roi de Pont , et de reconnaitre son autorite. Rien ne fvit ca¬ pable d'abattre la ridelite des Rhodiens. Us soutinrent, avec un courage intrepide, pn long et penible siege par terre et par Paer sans pouvoir dtre ebranles. L'amour la liberte et le desir d'etre fidelles a leurs engagemens ,les firent triompher cles ai'mes d'un roi sous qui tout avait plie : its eurent la gloire de s'dtre conserves sdelles , libres et invincibles. Mithridate remplissait dejÿ. toute l'Eurnpe cle la terreur de son nom. L'ltalie Rome n'en etaient pas exemptes. IIest Vrai que le roi de Pont faisait la guerre &ux Romains dans des circonstances bieq

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H Is T 0 f R E

favorables pour lui , et tres-defavorables .1 sos ennomis. Rien n'etait plus capable do l'encourager dans son entreprise bar¬ die , et de 1'assurer du succes , que les divisions intestines de Rome qui, armant les citovens les uns contre les autres ,les affaiblissaient , les rendaient moins zeles pour le bi6n coramun de la patrie , et les empechaicnt de reunir leurs forces pour combattre l'ennemi commun. Heureusement pour la republique , Sylla eut assez de grandeur d'ame pour sacrifier son ressentiment particulier au bien tie la patrie, qu'il m prisa ses ennemis personnels ,les lais>a dominer tranquillernent dans Rome, ct marcha contre l'ennemi etranger. D';.aTtf?e Sylla s-.-riit done de Rome au commenr i'O:ienr0Ur cenuVlf c'u consulat de Cinna et d'OctaAn. jM. vius. Son arinee citait composee de cinq ÿa*° J C quelques autres troupes des % allies , tant en infanterie qu'en cavalevn. R. rie , mais on petit nombre. Quoique son armee ne fat pas bien nombreuse , les secours en argent qu'on lui fit remettre pour l'entretenir , et pour faire les frais d'une guerre aussi importante , etaienl encoie moins considerables. Notre general men fut ni effrayd ni inquiet. Pour-vu qu'il[en des hommes , il citait assure do les b11® subsister.Enhabileguorrier, ilsavait,e 1 avail l'experience devers lui, que la gueiie nourrit la guerre. Des qu'il fut arrive -n Gr ice ,ildirigea sa marche vers l'Attup10; II fait le Toute la Beotie et la fameuse Thebes vj Ess! faire sa souxnission au general Koiÿ

L'Attique ne fit aucun mouvement ;il fallut forcer At hones ,sa capitale ,et en faire le siege dans ies formes. L'entreprise ne promettaitpasunsuccespromptet neureux. Mais le courage de Sylla n'etait rebute par aucune difficulty. Le siege fut long et meurtrier par la vigoureuse resistance des assieges , et par l'habilete d'Aristie qui commandait pour le roi dans la place. Cependant Sylla , pour fournir aux frais immenses cle ce siege , fit depouiller de leurs richesses les temples les plus respectes de toute Ja Grece. En cela bien different des ancions generaux Romains , qui avaient enrichi ces memes temples de dons et de presens magnifiques , qui etaient tout-a-la-fois des preuves non equivoques de leurs liberalites et de leur religion.

Ce secours le mit en etat de pousser illapicnd vivement le siege de cette ville infidelle. 11 d'assaut.. le pressa avec tant de vigueur , qu'ii emporta la place d'assaut. IIy entra au son des trompettes et des tambours , et la livra au pillage. Le soldat y exeiÿa , parRes ordres, toutes les cruautes et touteslcs fiorreurs imaginables , n'epargnant ni age , ni sexe , ni condition. IIavait resolu de raser entierement cette ville rebelle ;mais il se laissa flechir aux prieres d'un petit nombre d'Atheniens fidelles ,qui,les laratnes aux yeux , et prosternes a terre , lui Ftor',1. demanderent grace pour leur malheureuse c* patrie. La formule du pardon fut , qu'il voulait bien pardonner a un grand nombro Tome IF. N

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Hi s to i d'< nn'-r.ii? on laveur d'un petit nombre" damis fidelles ; et aux vivans cn conII - r.-J.-ill ration tics morts. Lo Pyrce 1'arrSta r arc d., encore un temps asse/ considerable. Le commandant quidefondait cette fcrteresse, \ .. M iui disnuta le terrain pied k Ipied , et v ; c n'ibanaonnaleposteque lorsqu'iln'entpins do resource , et qu'il eut epuise routes les \>i. r. voies do defense. Des que le general Remain en fut en possession , ily fit mettre 1" feu. 11 etait de la derniere importan :o pour le succes des operations tie la guerre ,que Svlla s'assurat de ses derrieres par la mine de cettc forteresse ,ne pou-r vant la garder , h cause du peu de trou¬ pes qu'il avail. Ainsi petit ce beau et superbc monument , ouvrage en premier du celebre Themistocle , que Pericles acheva , et que toute la Grcce admira et redouta.

tl rem- La prise de cette place imporlante fut suivie de pres de deux grandes victoires victoircs. que Sy 11a remporta sur les generaux du roi dans les plaines de la Beofie , et dont la conqufite de la Grece fut lc fruit. Sylla, apres avoir chasse tic la Grece les troupes et les generaux du roi de Pont , passa en Asie oil il trouva le parti des Remains un peu ranime par le bruit de ses victoires, La conduite du roi , qui , d'un gouveiv nement doux et modere , etait revenu a son* caractere cruelet. feroce , ne contribua pas peu a relever la faction Romaine partial les Asiatiques , et a les alienor tie la dominationduroi,quidepuisquelquetemps

O M A IN E, Liv. VITL 291

Asÿcortjait sur eux un empire des plus durs et des plus tyranniques. Pendant, que Sylla battait les ennemis de la repuhlique , faisait de grandes conqu£tes , et ajoutait des provinces et des royaumes a l'cmpire Romain , ses ennemis ,qui l'avaient proscrit ,exile ,et mis sa tete a prix , dominaient souverainement dans Rome, lis y exerÿaient une in- An. M. juste et cruelle tyrannie contre tout ce j ÿ qu'il y avait de plus gens de bien et de g2 v" * plus illustres citoyens.Soncamp ,qui etait An. JR* le seul asile contre la tyrannie de Cinna et de Carbon, se remplissait tous les jours de proscrits et d'exiles. Ce spectacle mettait Sylla dans une etrange agitation : d'un cote c'etait la patrie et ungrandnombre de gens de consideration qui lui tendaient les bras , qui le pressaient et le conjuraient d'abandonner la guerre d'Asie, et de tourner ses armes victorieuses contre les tyrans de Rome j d'un autre cote , c'etail uneguerre importanteheureusement commencee , et dont la tin ne pouvait tourner qu'au bien et a la gloire de la patrie , et a son honneur personnel. Dans cette cruelle agitation qui rongeait Sylla , surviut fort a propos pour l'en delivrer , la proposition de paix que lui fit faire Mithridate par Archelaiis songeneral. Ce prince s'apercevant que depuis que les Romains avaient a leur t£te ce fameux guerrier , rien ne lui prospe- v rait , et que par-tout ilavait du dcssous , jabattit de sa fierte. II commenÿa meme JS 2

H I S T O r R E

a craiadre qu'un capitaine aussi habile et aussi licurcux, poussaat ses conquetes, ne le chass ,t de I'Asie. il lui lit parler d'une

I!accor- armistice , et d'uii traite de paix. Le ge- , fe,i i i ' ÿ ÿoma*u en reÿut avec plaisir les 2 "1remicreaouvertures. IIregardacesavances

As- M. du roi comnie le denouement le plus favo°'.~J j ÿ ruble qu'il put esperer dans le moment gx. present. Le ministre du roi , qui n'ignorait in. R. pas I'entpressementde Sylla pour retourner en Italie ,voulut , en habile negociateur , en profiter pour faire une paix qui fut avantageuse a son maitre. Le Romain s'en aperÿut , et il en devint plus intraitable. II voulut donner la loi en vain* queur ,et dieter lui-meme les conditions du traie. L'impatience qu'ilavait de retourner en Italie ne lui fit rien rabattre de ses pre¬ tentions. Mithridate , frappe de cet air de grandeur et de tiertd du general Romain, et plus encore de la crainte de ses amies victorieuses , se soumit a toutes condi¬ tions que le Romain voulut lui imposer. II vida I'Asie , la Paphlagonie , la Cappadoce , la Bythinie , et se renferma dans les bornes de son ancicn royaume. Mithri¬ date , par ce traite ,se trouva privti en un moment du fruit de toutes les conqudtes que son ambition lui avait fait entreprendre , sans autre profit que celui d'avoir fait beaucoup de mal.

Ce traite ne mettait pas Mithridate a couvert des armes Romaines. IIy avait enCore en Asie un autre general Romain a fa tete d'une bonne arra.ee, que le parii

R 0 M A IN E. Liv. VIII 293 de Marius , qui dominait toujours dans Rome , y avait envoye , pour y faire la guerre au roi de Pout*, au nom de la republique. Fimbria , cetait le nom de ce general , s'acquitta de sa commission avec tout le zele et le succes possible. II lit 4 ce prince une guerre tres-vive. II baitit son ills et ses generaux , le forqa lui-meme de s'enfuir de Pergame , et de chercher en diligence un asile dans la ville de Pitane , place forte ,situee sur la mer. Le Romain , acharne sa proie , l'y suit de pies et l'assiege par terre. Mithridate aurait ete sans ressource , et ne pouvait manquer de tomber entre les mains do Fimbria , si ce general avait eu une flotte pour lui fermer le port , et l'assieger par mer , comme il l'assiegeait par terre. 11 en lit sans succes la proposition a Luculle , qui courait ces mers avec une bonne flotte. Celui-ci , qui etait lieute¬ nantdeSylla, soil: basse jalousie de metier, soit: attachement pour son general , qu'il ne voulait pas priver de la gloire de ter¬ miner cette guerre, soit enfln aversion pour Fimbria , dont peut-ÿtre il detestait la SCeleratesse , ne voulut point preter l'oreiile a la proposition de Fimbria , ct refusa net de se joindre a lui. Cette conduite fie Luculle , que ie ne blame ni ne justifie , sauva le roi de Pont , lui donna le temps de trailer aver Sylla , et do tirer de lui une parole positive de leÿ debarrasser des attaques et des poursuites de Fimbria.

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F mci

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Le fraile de paix conclu aux condi"n'tu. Hons que nous avons marquees , Sylla , iif- conue r,oui* execuler la promesse qu'il avail faite liinbria. au roi do Pent de le rneltre en surete du etc de Fimbria , se met en marche , et place son camp aupres du sien. Ensuite il 1'envoie sommer de lui remcttre le commandement qu'il avail usurpc par 1ÿ meurtre du consul , son general. Celni-ci lui repondit que son autorite n'etait pas plus legitime que la sienne , et que pers nne n'ignorail les arrets de proscrip¬ tion portes contre lui. Comme il compt.iit sur l'affection de son armee ,il voulut 1int< reiser clans sa cause , et la mettre aux mains avec celle de Sylla. Ses soldats refusi rent nettement et constamment le service. La desertion se mil dans son camp , et bientot il se vit entierement abandonne de son armee . qui passa , ensoignes deplovees , dans le camp de son ennemi. Fimbria, n'ayant ni armee pour se defendre , ni voie assuree pour se sauvcr , cut recours a la ndgociation et anx prieres. II fit taler Svlla pour obtenir de Jui d'etre reÿu dans son camp et au noffibre de ses officiers. La r.tiponse n'ayant pas cite farorable , il jugea que sa perte etait rcisolue. IIse retire a Pergame ,entre clans le temple d'Esculape , et se perce de son epee. La blessure no s'etant pas trouvce mortelle , un de ses esclaves , a la priere qu'il lui en fit , acbeva de le tuor , et se tua ensuile lui-meme sur le •corps de son maitre, Le peu de troupcf

K 0 M A I N E. L'lV. VIII. 295 qui lui etait reste firlelle , aba so rendre dans le camp de Sylla , qui so trouva soul maitre et arbitre de la Grece et de l'Asie. Ce Ronlain savait la guerre ,, et avait Abre'ge <Je tout le courage et toute la capacite ne- i» vie de cessairCs pour la faire avec sueces. Du reste , c'eiait un monstre en crimes et en sceleratesses. Ztile partisan de la faction de Marius , il etait un des plus violens ministres de sa vengeance et de ses cruautes. II tua de sa main L. Cesar , et le tils de P. Crassus. Sa fureur ne fut pas ralentie par la mort de Marius. IItenta le jour de ses funcrailles de sacrifier a ses manes Scevola , ennemi du t}'ran , parce qu'il etait le plus homme de bien de la republique. Cinna le donna a Valerius Fjaccus , qui avait succede a Marius dans le consulat , pour lui servir de lieutenant et de conscil dans la guerre qu'il l'envoyait faire en Orient , au roi de Pont. L'intelligence et la bonne harmonic ne subsistercnt paslongtemps entre ces deux chefs. Le consul ha'issait son lieutenant , a cause de sa capacite et de sa superiorite sur lui ; et lumbria meprisait le consula cause de son incapacity, sans avoir aucun egard pour sa dignite. Cet homme, de caractere fourbe, souple et adroit , sut s'insinuer dans J'esprit des soldats , et gagner leur amitie. Dans quelque altercation qui survint entre c-ux deux ,I'armcie se doclara pour luicontre le consul. Celui-ci , outre de depit et d'indignation contre son lieutenant , le casse et donne son emploi a un autre. Un N 4

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altront ri snnglant poussa a bout le resseittii.icnt do cet honime audacieux ,tcmerairc et insolent. II interesse toute l'armee dans sa cause , ot parvient a la faire soulever cofitre lcconsul, qui, pour echapper & la fureur du scldat seuitieux , est oblige de s'enfuir promptement , et d'abandonner son camp. Fimbria le poursuit , le decouvre ,et iJ a 1'audace et la cruaute de tremper lui-m -me ses mains dans le sang de son gmoral et du chef de la republique ; puis il se met h la tele des legions , et t arche contre Mithridate comme nous avons vu.

Tel <j< -.it ce Fimbria dont nous venons d i voir la triste et nialbeureuse fin. Un mon.-tre d<i cruaute , le fleau , apres Mitbriclate , cf la peste de l'Agie. Insolent dans la victoire , ilen faisait un usage des plus criminels ,pillant,ravageant les hiens et les campagnes des amis comme des ennemT. IItuait el massacrait sans autre raison que cello He s'emparer des biens des gens riches. Les viljes de Nicomedie, de Cyzyquo, et sur-tout cello d'Jllion ,1c- berceau des Romains , iirent une epreuve des plus fnnestes de son avide fureur. Cette dernicre ville s'etait mise sous la protec¬ tion de Si11a , centre les puissans efforts que faisait: Fimbria pour sen rendre mat¬ ure. Ce fut aupres de ce general un crime ivremissible,qu'elle ne put expier que par •sa ruine entiore. Ce Remain l'ayant prisft de vive force , il la livre an pillage et a toutes les horreurs dont le soldat est

R O M A IN E. Liv. VIII. 297 capable. 11 fit passer tout au fil de l'epee, sans avoir egard , ni a sexe ni & age ,ni a condition. Les murailles de la ville , do m<kne que les maisons , furent rasees et brulees. IIne respecta pas plus les lieux saints. Les temples , et cedui de Minerva meme , eurent un pareil sort. IIne laissa rien subsister , ni maison , ni temple ,ni statues , ni trophees ,tout fut ruine et detruit : de sorte que cette malheureuse ville , qu'un Romain devait respecter et honorer, corame l'origine et la metropole de Rome, fut traitee par Fimbria avec plus da cruaute et de barbarie , qu'elle ne 1'avait ete autrefois par les Grecs et par Agamem¬ non,qui avait de si puissantes raisons de lui insulter. Un tel monstre meritait-il une fin plus heureuse IReprenons la suite de l'histoire.

S)11a,debarrasse de la guerre d'Asie par Rrtcnr dfe le traite de paix qu'il avait dicte a Mitnri- syd.a en date ,songea a repasser en Italie pour y je venger la republique et ses injures parti- belt, civil.. culieres. Ainsi ,apres que ce general eutP|9 regie les affaires de cette grande province, ÿy/.' il fit prendre a son armee victorieuse la Flor. I- a.' route de Rome. Au premier bruit de sa p marohe , ses ennernis frissonnerent de terCt V 25crainte. Les consuls firent des levees , le 2S. senat s'assembla extraordinaircment pour aviser aux moyens de satisfaire Sylla., et c de le reconcilier avec ses ennemis. Cette auguste compagnie redoutait la colore et la vengeance du vainqueur clu roi de Pent. Une lettre qu'ou yenait de recevoir depuis N 6

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peu rln la part tie ce general , avak jctii l'alarme dans toute la ville tie Rome, et dans tous les ordres tie la republique. l).tns cette letlre, Sylla faisait une enuir: ration pompeuse des services qu'ilavait rendus a 1etat ,et se plaignait amerement ties traitemons indignes ou'on lui avait faits.

ÿ T.rttrc de " Vpus nlgnorezpas ,peres conscripts, "US *" tous ÿcs tra,yaux que j'ai essuyes en dif,, ftirens pays pour remplir dignement et „ a l'avantage de la republique les em„ plois qu'elle m'a confies. Questeur en ,, Numidie , tribun militaire dans la .. guerre des Cimbres , preteur dans la ,, Cicilie, propreteur dans la guerre des 5, allies, et proconsul contre Mithridate, „ vos amies ont toujours ete victorieuses 3, entre mes mains ;vous avez compte les 3, victoires par autanl de batailles que j'ai ,, livrees. La Grece et l'Asie reconquises 3, et arrachees des mains d'un ennemi ., puissant et victorieux, Mithridate vain3, cu , humilie ,depouillc , et reduit a se 3, renfermer dans les bornes du royaume 3, de ses ancctres ,sont le fruit de mes. „ beureux et brillansexploits. Mon camp, ., devenu aux illustres exiles un a-sile et une protection assuree centre la vio3, lence de mes ennemis ,qui sont aussi ceux de letat ,est. une preuve non equi3, voque tie ma clemence et de mon 3, amour pour la patrie, Cependant, pour ,, tous ces important et signales services, 3, vous avcz, peres conscripts, a la solli-*

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„ citation de mes ennemis , fletri mon ,, honneur par un decret solenne] , mis ,, ma tete a prix ,force ma femme et mes „ enfans de s'enfuir ,et de deserter leur

„ pairis; vous avez detruit ma maison , ,, confisque mes bicns, massacremes amis, „ et casse les lois qui avaient etc1 pu,, bliees sous monconsulat.J'espere ,ajou-

„ tait-il , et vous devez vous attendre , ,, peres conscripts ,a me voir dans peu ,, aux portes de Rome ,a la t£te d'une ar,, mee victorieuse. Alors je saurai venger s, mes injures personnelles ,et punir avec ,, eclat, les ministres et les fauteurs de la ,, tyrannic. ,, Le senat , pour prevenir les malheurs DePuta- dont Rome etail menacee ,lui cnvoya des tion du scdeputes pour savoir de lui quel genre de jial a satisfaction ildesirait ,et pour negocier un accommodement. Cependant it ordonna aux consuls de lever des troupes et de ne iaire aucunmouvement jusqu'au retour ries envoyes. Lesconsuls promirent de se conformer h des ordres si sages ,mais ils ne tinrent point leur parole. Des que les de¬ putes du senat furent partis pour aller a la rencontre de Sylla , ils commencerent par se faire continuer dans le consulat , puis ils sortirent de Rome et parcoururent toute l'ltalie pour y lover des soldats , de 1'argent ,faire des amas de vivres ,et attaclier a leur parti les peoples et les particuliers les plus riches et les plus puissans. Cinna ,dont le dessein etait de preVcnir Sylla, Qt de porter la guerre loin de

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Hijto'ire

Home, avait dcji fait passer en Dalmatie la j>r( micro division do son armce. Le projet cfait assez bien concerto, mais Ja mort Mom de n - Ini permit pas <ie I'exccuter. Dans un *-'A: ' ÿ sou! vement de son armee ,qu'il avait oc3 ,3' ' c. - ione par line fermete doplacee , nn Ay. J C. centurion lui passa son epee a travers du 8' II COl'Ps et ,ua* perit Cinna,le tyran fsj. ' et le persecufeur de sa patrie ,l'enncnii de tous les gens de bien ,et un monslre en cruaute , en avarice et en perfidie. Par la mort de Cinna ,Carbon , son collegue, so trouva seul a la tete du parti. oppose a S\ 1la ,et seul revetu de Pantorite supreme. 11 ne >e pressa pas de returner & Heme pour se donner un collegue. II usa de tant de.d'dais ,sous differens pretextes ,qu'il eloigna toufours l'election d'un consul, et demeura seul maUre du gouvernement jusqu'a la fin de l'annec ,oil on lui donna pour successeur L. Scipiori et Korbanus.

Repon.'c Cependant les deputes que le senat avait d Sy 11a au envoyes a Svlla ,revinrent & Rome, eharatnaf. g<js f|e sa reponse; II deelarait « qu'il » pouvait jamais 1ior d'amitie avec /cs au» tours de si grands crimes et de taut, de » \ iolences ,gens cruels ,injustes et per» fides : que cependant il ne s'opposait y> pas avx sentimens de ciemence et do » douceur, si la rdpublique pencbait ÿ s> leur sauver la vie. 11ajoutait: que la res» titution de ses biens, dn sacerdoce et s> de toutes les autres dignites dont il » avait etc degrade par la violence de ses ennerais, etaitunpruliminaircnccessaifÿ

R o m A In e. Liv. VIII. 3or » pour parvenir a tin accommodement » que lo senat paraissait desirer. » Cette sage et auguste compagnie ne trouva rien que de juste et de modere dans les pre¬ tentions de Svlla. Mais Carbon et ses par¬ tisans , gens aussi ennemis de Ja paix et du bien public ,qu'ils 1'etaient du vainqueur de Mithridate ,cabalerent tant , et se donnerent tant de mouvemens , qu'ils brent non-seulement avorter les bonnes intentions du senat , mais ils parvinrent a raire d(iclai«»la guerre a Sylla,et a l'attaquer comme on aurait fait dun ennemi declare de la patrie. Les nouveaux con¬ suls', qui ne se conduisaient que par les vues de Carbon , se pveterent a toutes ses volontes. lis brent dcs levees prodigieuses do troupes et de provisions immenses de tonte espece. Sylla, dont les approches causaient tous cos mouvemens , arriva enbn en Italie. nANd Yvf. II debarqua a Rrindes ,ou il donna quel- 3s>?4. ques jours de repos a ses troupes. II prit <,£v* cnsuite sa rnarche a travers la Calabre et An, r la Pouille. Dans sa roule , Metellus , sur- €69. tromme le Pieux , qui, durant la tyrannic du vieux Marius ,s'etait exile do Rome , vint se joindre a lui avec nn corps de trou¬ pes ,et lui offrit ses services. Sylla le re9Ut avec toute la distinction que meritait un personnage aussi respectable. La demar¬ che de Metellus donna le ton. Elle attira a Sylla un grand nombre de citoyens tant Proserits que d'autres ,qui ,persuades que le parti que vonait de prendre Metellus

Histoire

«'Uit lo meilleur, crurent ne pouvoir fair© rien do mieux que c\e suivre l'exeraple d'un ciloyen aussi verlueux. Mais de tous ceux qui vinrent se rendre dans son camp, aucun ne lui fit tant de piaisir que le jeune Cn. Pompee ,connu dans la suite sous Je nom do GrandPompee. 11 vint dans le camp d< Sylla, a la tele d'une armee victorieuse, «|ui avait marche sur le corps de deux ou trois armees ennomies qui voulaient s'opj oser ,1 son passage. Sylla, pour faire voir a son armee 1'eslime qu'iiaÿaisait de ce jeuno guerrier ,se leva h son arrivee ,l'embrassa tendrement, et lui donna le titre d'empereur imperator. 'fodf-ts- Sella continua sa marche avec tarit de ]V ' ' ' "moderation et de relenue , qu'on cut dit que c'elait un niinistre et un ange de paix, rnvove pour etre le liberateur et le pacificateur des troubles et des dissentions dont la republique etait agitee depuis plusieurs annees. IIfaisait observer a son ar¬ meeunediscipline des plusseveres.Ses soldats ,qui regardaient l'ltalie comme leur more commune ,etaient bien eloignes de la piller et de la ravager. Tout fut menage avec un soiii extreme ;les campagnes et. les villes , les grains et les fourrages , les liommes et les b£tes ,on ne toucha a rien. Cette moderation lui fut tres-utile. Elle prevint tellement en faveur de sa cause, que son armee grossissait tous les jours >ar le concours d'une infinite de gens de lion cpii ,desesperant du retour de la paix el do la liberie, venaient se repdre dans

R O M A IN F. Liv. J'TII. 3o3 son camp , pour y jouir d'une servitude douce et paisible qu'ils ne pouvaient se promettre de trouver aiileurs. IIfaut convenir , et on doit a la memoire de Sylla la louange , que s:il eut marche toujours sur la mdme ligne ,et s'en fut tenu a ces premiers erremens , l'antiquife pa'ienne n'aurait point de guerrier et de conquerant plus accompli et plus digue de ses eloges que Sylla. Mais comme cette moderation ne coulait point de source, qu'elle avait son principe dans line politique rafinee , et necessaire pour colorer sa cause ,elle ne fut pas de duree. Sylla revint bientot & son naturel cruel et vindicatif. Comme on ne vit jamais de general faire la guerre avec plus a'equite et de moderation, aussi ne vit-on jamais de victorieux user de la victpire avec plus d'insolence etdecruaute. Cependant les deux nouveaux consuls , L'ejf Scipion et Norbanus , etaient entres en W(ce da exercice de leur dignite. lis avaient mis sur consul Scipied des forces formidables •, leurs armees vlon' augmentaient tons les jours ,par la crainte qu'on avait du ressentimerit d'un ennemi victorieux et justement irrite. Ce grand nombre de troupes fit impression sur Sylla. IIsentait qu'ilaurait a faire a des Remains biendisciplineset biencommandes ;qu'ainsi ilaurait bien de la peine a en venir k bout par la seule voie des armes. IIcrut done qu'il dova.it faire usage de ruse et d ar¬ tifice j car Sylla n'etait pas moins grand et profond politique qu'il etait grand capitaine. II ne scparait jamais l'intrigue cle

3o4 Histoire

la valeur , ce qui occasiona co bon mot dc Carbon, qui disait plaisamment ,qu'il avait i comhattre en Sy11a un renard et un lion ; niais que le lion lui donnait bion inoins de peine que le renard. Environne de plusieurs armees ,il envoya des depute* au consul L. Scipion , pour lui parler d'accommodement. Le consul, qui el.si' d un caia. , re droit etpacifique,donna dans le panneau. 11entama une negotiation avec S\ 11a ; il voulut avoir line entrevue avec lui. Celui-ci se preta ÿ tout ce que 1 con ; 1 parul u tiror. On convint d'ur.e armistice , et cependant le ruse Sy11a fais.iit au consul une guerre secrete et plus dangcrousc que s'il l'avait attaque ouvertemenl. Les soldats de Sy11a , dresses par lour gei.i-ral au manege de gagner et de corronipre les soldats ci'un autre general, corroinpirent , a la faveur de cette treve, 1'armee du consul.

Qenul Sylla fut assure de rarmee de son adversaice , il detache vingt cohortes de la sionne pour aller escalader les retrancliemens clu camp cousulaire. Lagarde, loin de lui en disputer l'approche ,lui ouvrit les portes. Le consul, chose etonnante , no s'aperfut qu'on le trahissait que dans le moment de la defection. " fallait que ce personnage flit a'une capacite bien bornee. 11 fut pris dans sa tente avec son fils , et emmene a Sylla. Celui-ci eut: pour cos deux illustres prisonniers tous les egards convenables. U voulut les gagner a son parti -} mais les U0UY3fl&-

R 0 M A 1 N E. Liv. VIII. 3o5 inebranlables,illes renvoyagenereusement en toute liberie , et leur donna une escortc pour les reconduire surement. Cetle manoeuvre ayant reussi. a Sylla aupres de Scipion , il tenta d'en faire usage contra Norbanus ; mais celui-ci, qui avait etd instruit de la malheureuse facilite do son collogue, ne se laissa pasprendre au piege. IIretint devers lui les deputes de Sylla, et ne lui fit aucune reponse. Cette conduite de Norbanus fit comprendre a Sylla que le consul avait decouvert sa ruse. 11decampe du lieu ou iletait, et s'avance ve;-s Rome , faisant le degat de la campagrie. Norbanus en faisait de meme de son cote. Ainsi I'ltalie etait en pi'oie aux deux partis,et ravagee avec plus ÿ de fureur et de cruaute que n'avaient ja-

Imais fait les soldats de Pyrrhus ou d'Aanibal. IIne se passa rien de considerable dans le cours cle cetle annee. Les deux partis l'employerent a se faire des allies, et a s'attacber de nouveaux peuples. Les consuls de l'annee presente , Carbon et le jeune Marins , fils du grand Marius ,qu'on venait d'elever au consulat , mirent dans leur parti les Samnites ,ennemis elernels des Romains. Ces peuples leur fournirent | Uneanneedequarantemille homines ,commandee par de tres-bons officiers ,et dont I le general en chef, nonime Telesinus , s'etait acquis beaueoup de reputation dans An. M. • la guerre social0. Des que la belle saison 'ÿ'j ÿ Lit venue, les generaux des deux factions ÿ «e mirent en campagne. Les lieutenans As. It. r » »7o.

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do Sylla curent presque par-loutTavantage, el rarement regurent-ils quelque echec. ilVi 'nd 'ounc Marius, horitier des vices deson icoibi* de Pcre » comme do son pouvoir, voulut ce•' ÿ . ' la prise d»? possession de sa nouvelle J *r dignite ,comme ilavait celebre les obseMariuj. ' ques ('° son Pÿre ,par la mort d'un grand nombre do scnateurs attaches au parti de S\ Ila. Co nouveau tyran envoyade l'armee, ou il etait alors ,un ordrc secret au preteur rle la \ille, pour Texecution tie cetle 6.nglante sc. ne. Ce preteur, nomme Brulus-Damasippus,etait un de ses partisans, el de plus un scelerat acbeve. II fallait un honmie He cette trempe pour l'exeeution d'un ordre aussi barbare. Aussi l'executa-t-il avec une severito qui passait les ordres qu'il avait regus. On vit le palais anonde du sang des plus vonerablcs macistrats. Ce cruel ministre de la vengeance de Marius, faisait trainer par les rues de Rome les corps de ces illustres personnagos. La place publique, le cirque et les temples monies ( car ce scelerat ne respectait aucun lieu ) regorgeaient du sang de ces malheureuses et grandes victimes.

Hataille de La hataille de Sacriport suivit cle pres Sacnport. cette barbare execution. Marius , ne pouvant soutenir que Syllagagnat tousles i01'1s quelque terrainsur sonparti,marchecom"3 lui, a la tete d'une bonne et nombreuse armee,et lui prosente la bataille. Le vieuX general n'eut garde de refuser le den. D combat s'engage , et Taction devient ces plus viyes. Dans Tun ot dans 1'autrepadL

Romaine, Liv. VITT. 307

Je soldat veut vaincre ou mourir. La victoire balance et demeure long-temps en suspens, sans se declarer pour l'un nipour Pautre. La desertion dune partiede l'armee du consul , corrompue par Sylla , commenga a la faire incliner en faveur de ce ruse capitaine , ct la lerreur epie causa la fuite concertee de ces cohortes ,aclieva de la fixer. Le jeune consul he fut ni deconcerte ni abattu par cette trahison. 11 montra dans Paction loute la capacite d'un vieux general consomme dans le metier tie la guerre ,et tout lecourage d'un jeune officier. Quand il vit que tout etait rlesespere, et qu'il ne lui restait plus de ressource ,ilse baitit en retraite ,et alia se jeter dans la ville de Preneste , qui etait une place tres-forte par son assiette et par les ouvrages qu'on y avait ajoutes.

Sylla l'y poursuivit, mit le siege devant Siege le. la place ,et en forma lebloeus. 11en donna Pieiiesteensuite la conduite a un de ses lieutenans, de la fidelite duquel iletait assure. Pour lui,il se mit en marche vers Home, qu'il regardait avec raison .comme le fruit de la victoire qu'il venait de remporter sur ses ennemis. La capilale ne lit aucune diftficulte de lui ouvrir ses portes. Sylla renIra dans Rome avec la meme facilite que s'il en avait ete le roi 011 le maitre. Les habitans , qui etaient desoles par la. faim et par tous les autres maux inse¬ parables cl'iine guerre civile , et a qui il imporlait fort pen d'obeir a un tyran plutot qu'a un autre , lui ouvrirent leurs

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portes. Sa presence, ou plufot son appro* che ,avait fait disparaitre tous ses ennemis. Sylia fit vcndre a i'encan lc-s biens de tous ces fugitifs ;puis il assemble le peuple,le console, et lui ordonne de concevoir de bonnes espiirances pour l'avenir,l'assurant qu'il verrait dans j>eu la liberte , ia paix et 1abondance regner dans le sein de la republique. La suite nous fera voir s'il sera tidclle a ses promesses. Suivons-le au siege de Preneste. Marius , blorjue ct serre de pres dans la ville de Preneste, sans pouvoir s'echapper, tant Sylla avait eu soin de lui fermertoute issue, reconnut alors , niais trop tard, la faute essenlieile <jn'il avait faiie de s'enferiner dans une place , landis qu'il avait a ses ordres plusieurs armees qui tenaient la campagne. !1 tit d'inutiles et reiterees ten:afives ; il fut toujours repousse et oblige de se rer Termer dans la place. Tout son parti se mil en mouvcmont pour le delivrer , mais avec aussi peu de succes. IS'orbanus , Carbon, Marcius, attaquerent a plusieurs reprises les lignes et les dilferens corps de troupes de Sylla ; ils se battirent des journees entieres ,mais tou¬ jours avec perte , et sans pouvoir venir a bout de jeter aucun secours dans brc" neste , ni de laciliter l'evasion de Marius. Norbanus et Carbon, qui etaient lesÿÿÿpnn' cipaux cliefs du parti plebeien , vo}?11 qu'il ne lcur etait pas possible do enga¬ ger le consul , que rien ne leur reussis* sait ,et qu'au contraire tout tournait a ÿeU?

R O M A IN E. Lb. Fill. 309 de'avantage , abandonnerent l'ltalie. Le premier s'embarqua sur un bateau marchand qu'il rencontra au hasard , et alia chercher un asile a Rhodes. Les habitans de l'ile ne parurent pas d'humeur de lui donner la retraite qu'il cherchait. lis s'assemblent , et mettent en deliberation s'ils recevront chez eux ce seditieux Romain. Norbanus prevint la decision , il se tua de sa main , dans la place publique de Rhodes. Le dernier porta la guerre en Afrique ,d'ou ilrepassa dans l'ile de Cossura , ou Ponrpee , informe de son arrivee , l'envoya prendre avec tous ceux de sa suite. IIles fit tous perir sous la hache, ftioins par haine et par cruaute , que pour obeir au redoutable Svlla , et pour couper les racines de la guerre civile. La retraite ni la mort de ces deux Tentative principaux chefs n'avaient pas dissipe tous ffnusTek~ leurs partisans. lis avaient laisse en Italie Rome. des forces formidables et capables de donBer beaucoup d'irtquietudes a leurs enneluis. Outre plusieurs legions Romaines , les Samnites,qui s'etaient attaches k leur parti , avaient actuellement sur pied une armee de quarante mille homines ,coraBaandee par Telesinus , dont la capacite , la valeur et l'experience egalaient eelles des plus grands generaux. II ne fut inferieur a Sylia qu'en bonheur. Le general Samnite ,de concert avec les ofliciers du parti consulaire , resolut de faire un derfier effort pour faire lever le siege de Prefccste. A la t&te d'une armee de quatre-

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viugt mille liommes ,dont Jo plus grand noiubrc etaient Samnites ,et tous eunerais jurbs do Home , il tentc de forcer les £ •> pour p. notrer jusqu'a Preneste, mais sans succes , et meine avec danger de se voir cnveloppd par Svlla qu'il avait on li te ,et par Pompee qui s'avangait pour 1- prendre en qu me. Le general Samnite, j l s h.ilule, tn;:;s moins lieureux que les deux genuraux Romains , leur donne le change •. l'un et a l'autre ,par une contremarche qu'il fit pendant la mat, avec autant d'adrcsse que de bonheurjjil s'avance vers Rome ,qu'il savait £jire sans de¬ fense , pour la surprendre. Cn projet si I v !i ot forme dans lc moment memo , e-t une preuve non equivoque de la su" p. riorite du genie et de J'habilete de Ponlius Telcsinus. Les Samnitcs, amorces par l'esperance du butin , et plus encore par la douceur du plaisir qu'ils goutaient d'avance de se venger pleinemont de cette v.l'io orgueilleuse , qui voulait faire subir son joug a toute la terre , et dont eux en particulier avaient reÿu en differed , temps des traitemens tres-rigpureux, fireut I la route avec tant d'ardeur et de diligence) que le lendemain au matinl'avant-gardede l'armee de Telesinus parut sur les colli'18® de Rome , a une demi-iieue de distance. A la vue de cette armee Samnite, y' larrne fatdes plus vives et.des.pluschau dans Rome. Aiinibal , campe autrefois a , trois milles de la porte Capene , ne causa j pas una si grando consternation,

R o m a i n E. Uv. VIII. 3rr ne 3'elait jamais trouvee clans un peril si eminent cle sa ruine prochaine. Ouvrir les portes ,c'etait introduire dans la vilis una armee etrangere , et accelerer le moment cle sa perte : les fermer ,il n'y avait nulla apparence de pouvoir tenir long - temps centre lesefforts d'uno armee si superieuroj cle plus , c'etait 1'irriter et se preparer un sort plus malheureux. On pvit neanmoins ce dernier parti,dans l'esperance de donner le temps a Se lla de venir au secours dime ville qui n'etaitmenaceeties derniers maux cju'a cause de lui.

S_ylla ayant reconnuque le general Sam- EaiaiJIe rite l'avait trompe, el qu'il etait lui-meme sous ,ÿ's ,,, i | . , rnuraiiles sa dupe ,envoya clevant un corps cle Cd- dei>oul3, valeric pour amuser l'ennemi,et se pro¬ curer le temps d'arriver avec son armee. La nouveLle de la marche prccipitee de Sylla, et de sa procliaine arrivee ,releva le courage des citoyens ,et les sontint dans la resolution de ne pas ouvrir leurs por¬ tes. Cependant Sylla, au clesespoir do voir Rome,leprix de ses victoires,sur le point de tomber entre les mains dim etranger , marchait avec toute la diligence que lui permettait son infanterie. IIarriva sur le midi a la porte Coliinc. II donna a peine le temps a ses troupes de prendre leur nouvriture a la hate. Apres un leger et Court rafraichissement , il les met en ,01'dre cle hataille, les raene a l'ennemi, et fait sooner la charge. Le choc commence .avec une egale animosite cle part et d'auire. L'acharnement etait ie liieme des deux

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H Is TO IR E

ci cs. I.os grands coups furent porte's k ! ÿ111e droitc d.3S Sarnnites , que commandait Telesinus, et k l'aile gauche des Romains , commandee par Sylla. Telesinus, aussi ennemi Je Marius que Sylla ,et dont le dessein etait de detruire Rome et le nom Remain , volait de rang en rang , criant a sos Samnites que le dernier jour c • Home ctait arrive , qu'il fallait ruiner et detruire de fond en comble cette insolento et orgueillouse cite. Porte\ , leur dR.iit-il , le fer et le feu de tous cotes, et nepargnei rien •' ÿ flut ÿ> ajoutait-il , abatire la foret ou se retirent ces loupsÿ ravissans , ces fiers ennemis de la liberie dc IItalic :jamais les hommes ue seront librcs , taut qui! y aura des Remains sur la tcrre :dctruisei , detruise£ leur repaire, Ce discours cut tout le succes desire. Les Samnites de l'aile droite tomberent avec tanl de fureur sur l'aile gauche des R°" mains , qu'ils l'enfoncerent et la mirent en desordre. Jamais Svlla ne s'etait trouve dans un si grand danger. Tous prirent a fuite , inalgnj les efforts du general. L°s prieres et les menaces ne faisaieiit aucune impression sur le soldat intimide>e qui cherchait a mettre sa vie k convert. Lui-meme fut entraine et oblige de ÿ devant le vainqueur. Un grand nonrt>r sc sauva dans Rome ; mais les habitair craignant avec raison que les vaincjueuÿ n'ontrassent p61e - mele avec ÿeSf va'", cus ,laisserent tomber la herse, et *erjj1? rent les portes. Cependant Sylla se

dans son camp avec tout ce qu'il avait pu rallier de troupes de sa defaite. Le ge¬ neral vaincu tii-a de sa defaite raerae un nouveau courage qu'il sut inspirer a ses soldats pour vaincre a leur tour. IIsort de nouveau de son camp , quoiqu'on fut a l'entree de la nuit , conduit ses troupes aux ennemis , occupes a recueillir le fruit de leur victoire : le combat recommence , la fortune change , les Kornains vaincus reprennent le dessus. Les historiens ne Telesinus nous ont point transmis les raisons de ce est vaincu changement. lis se sont contentes d'ecrire et tue" le fait. IIy a grande apparence que ce fut une blessure mortelle que rc$ut le ge¬ neral Samnite , qui occasiona ce changemerit de fortune. Les Samnites se trouvant sans chef commencerent a perdre courage, a reculer ,et enfin ils prirent ouvertement la fuite.

Le lendemain on trouva le corps du general Samnite sur le champ de bataille parrni les morts. IIconservait encore sur son visage ces traits de fierte , d'animosite et de bravoure qu'il avait montre dans Taction , et on remarqua qu'il avait plulot la mine d'un vainqueur et d'un heros,que d'un general vaincu.

Sylla avait eu pendant la nuit des nou- Mort <JB velles de son aile droite. Crassus qui lajÿune Macommandait lui avait fait dire qu'il avait rlus* remporte une victoire pleine et entiere sur l'aile gauche des ennemis. Cette nouvelle remplitde joie le proconsul,qui etait aussi inquietfpour son aile dioite qui avajÿt Tome IF. O

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disport! de 8a presence ,que du corps qit'il c.i iiiiti.tndail lui-roeme. Ainsi la victoire de Sy 11a ful complete et decisive pour son parti : ce fut le coup mortel de la faction pleb'-ienne. IIne restait plus dans Co parti tie general capable de continuer la guerre. Le jeune Marius , le seul qui aurait pu le ranimer etait toujours enferme dans Prenoste , sans pouvoir en sortir. LosPrenestins,informes doladefaite et de la mort du fameux Pontius Telesinus , nt de plusieurs autres cbefs du parti dont Sylla leur avait envoye les tetes j de plus se voyant sans vivres, sans ressource, ct abandonnes de tous , se determinerent a ouvrir leurs portes au vainqueur. Le jeunc Marius qui ne craignait rien tant que de tomber vif entre les mains de Sylla, tacha tie se sauvcr avec le frere de Telesinus par un souterrain qui conduisait de la ville au champ. La tentative fut inu¬ tile. lis trouvercnt les issues gardees par dcs soldats qui les tuerent. Sylla rcgarda la mort de Marius comme le connble de sa gloire et la fin de la guerre civile. II s'etait fait honneur pendant toute sa vie d'etre le favori de la fortune ; niais ce ne fut qu'apres qu'il se vit delivre de ce redoutable ennemi qu'il prit publique~ Syha ment le surnom d'Hcurcux , preuve bien snrnUni' certaine du merite de ce hcros naissantv d'jik-urcux. Sylla aurait porte ce glorieux nom , et j'ose dire qu'il l'aurait merite, de mdms que celui de heros ,s'il eut cesse de vivre au moment qu'il acheva de vaincre ou it

RoMAIN E. Liv. VIII. 3 15

dans la paix qu'il avait donnee & la republique par ses victoires , il cut conserve pure et sans tache la gloire qu'il s'etait d'abord acquise par sa moderation et par ses armss : mais illa ternit, et la deshonora par les cruautes les plus detestables. Le recit en est si horrible , et deshonore si fort l'humanite ,que ce serait ,je pense, un service qu'on rendrait au lecteur de les " laisser dans un oubli eternel. Mais la fidcilite de l'histoire exige de l'ecrivain de les raconter. Jen dirai le moins qu'il sera possible.

Jusqu'ici tout ,a peu de chose pres , Recit des avait ete dans la conduite de Sylla marque au coin de la moderation : tout avait ete heroique dans ses exploits militaires. La necessite de venger la republique ,de la delivrer du pillage et du joug d'un parti arabitieux qui la detruisait et la tenait dans un esclavage honteux , pouvail excuser en quelque sorte la guerre qu'il.avait faite a ce parti, et toutes ses suites inevi¬ tables. Le titre de vengeur de la noblesse, celui de restaurateur des lois et de reformateur du nouveau gouvernement dont il se parait , aurait justifie son procede quand meme il aurait echoue dans l'execution de ce beau projet. L'histoire lui aui-ait rendu justice , la posterite aurait loue son entreprise et plaintson infortune. Aujourd'hui Sylla change de conduite.t ce n'est plus la moderation qui le guide , il ne prend conseil que de son ressentiment. II quitte le masque de la douceur O 2

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H I» T OTRft

d»Mit il s'etait pare pour gngner les cceurs, et pour fairc detcstcr la cruaute du parti qui lui etait oppose. Maintenant qu'il n'a li'ii a mtiiiager , il revient a son naturel vindicatif ct sanguinaire. L'hypocrisie n'a qu'un temps tres-court; un etat violent ne pout durer long-temps. Un (les premiers actes de la fureur du proconsul fut le massacre des Prenestins. Ces peuples s'etaient rendus volontairen-.ent , et lui avaient ouvert librement les portes de leur ville sur la parole qu'il leur ovait donnee de leur donner la vie sauve.

Cependant , contre la foi publique et les droits de l'humanitc , il les fit tous masÿacrer an nombre do douze mille homines , et livra leur ville a toutes les honours d'une ville prise d'assaut. Co qui etait reste de troupes des debris du parti tie Marius, lui envoyercnt des deputes pour lui f.iirn leur soumission , lui offrir leurs services , et le prier de les recevoir au nombre de ses soldats. Ce barbare , al¬ ien; de sang et de carnage , leur fit dire qu'il donnerait la vie a ceux qui s'en rendraient digues par la mort: de ceux qui n'etaient pas bien soumis. Maniere toute nouvelle de faire grace , qui obligea ces malheureux a tourner leurs amies les uns contre les autres , et k s'cgorger mutuellement. Six mille qui survecurent a cet affreux carnage furent enfermes par son ordre dans l'Hypodrome ; et la ,illes fit tous massacrer par ses troupes dans le ipmps qu'il tcnait le sdnat assemble dans

R 0 H A 1 N E. Liv. VIII. 3i? ic temple de Be]lone. Cette auguste compagnie ,etonnee et touchee des cris lamentables de ces malheureuses victimes , en parut consternee et alarmee. Le tyran fut le seul qui ne fut ni attendri ,ni touche , et qui de sang froid , et sans changer de visage , dit aux ssnateurs , pour les rassurer , que cetait les gemissemens d'un petit nombre de seditieux qu'on punissait par ses ordres. Ce massacre de ses ennemis ne fut que le prelude de celui de ses concitovens : et afva qu'on ne l'ignoral pas , il declara en pileine assernbiee , et d'un ton her et absolu , qu'il traiterait de m£me tous ceux qui avaient pris parti contre lui , ou favorise ses ennemis , et qu'il ne pardonnerait a aucun , de quelquo condition qu'il fut. II tint tres-exactement sa parole. Des ce moment, les maisons , les rues, les places publiques , les villes et les campagnes , regoiÿgerent du sang d'un nombre infini de gens qu'il immolait a son ressentiment. Au milieu de tant d'horreurs ou Rome et toute la republique se trouvait plongee ,personne n'avait assez de courage pour elever sa voix contre les cruautes du tj'ran. Chacuncraignait pour soi. Le senat, qui aurait ete le seul corps capable d'arrÿter le progres de ses barbaries ,se contenfait de se plaindre et de gemir dans le secret. IIn'y eut que Q. Catulus et le jeune Metellus, qui eurent le courage de lui representer en plein senat qu'il etait temps de faire cesser ces meurtres et d'y mettre O 3

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Hist 'o ire

fin i qu'il devait au moins oter d'inquie- tude tous les honnvtes gens ct ceux qu'il voul.iit sauver. La-dessus un do ces flat¬ ter rs, homme dc la lie du peuple, nomme Furfidius ,lui ayant repre.sontu qu'il fallait lai.<ser la vie & quelques - uns pour avoiF d s sujets k qui il put commander , vivere a/::,ics debere , ut essent quibus imperarel , Arrÿt ae S-. 11a donna un horrible arret de proscrip- rtotcrip- tion. par CC[ ÿdit d'uno espece toute nouvolle , qu'il tit afFichcr dans la place publique, il condamna a mort, et mit k prix la vie do quarante senateurs et de seize certs chevaliers. Le jour suivant , nouvell-t afFche qui proscrivait encore qua¬ rante autres senateurs : le troisieme jour t t marque anssi par une troisieme liste de pareil nombre.

Do crainte que ces malheureuscs victimes de son ressenliment ne lui echappassent , il voulut interesser et encourager par les recompenses , les assassins et les ministres de sa crnellc et inouie vengeance* II promit deux talens pour chaque tfite qu'onlui appt>rlerait. L'esclave qui tuait son maltre recevait la m£rne re¬ compense , de m6me que le Ills qui avait etc assez denature pour oter la vie a l'auteur de la sienne. Et ,a la honte du genre humain , il se trouva des enfans qui , le& mains ensanglantees de sang de leurs peres , venaient deniander en public a Sylla la recompense promise & un crime qui fait horreur a la nature.

Lefameua, Catjlina fit des-lors l'apprea-

R O M A IN E. Liv, Fill. 3lf> tissage des plus grands crimes. Pour avoir les biens de son frere , ilcommenÿa par s'en diifaire j ensuite il le fit mettre ,par l'acces qu'il avait aupres de Sylla , au nombre des proscrits. IIsignala sa recon¬ naissance par le meurtre de Marius-Gratidianus , frere ou parent du grand Marius. Sylla avait condamne cet illustre personnage k £tre immole sur le tombeau de Catulus. Catilina se rendit le bourreau de cette illustre victime. Marius , par les recherches de ce ministre des fureurs du tyran , fut tire de l'obscurite d'une etable ou il se tenait cache. Catilina l'arrache inhumainement de cet asile , le fait battre de verges par toutes les rues de Rome , et ,dans cet etat ignominieux , il le conduit sur le tombeau de Catulus. Avant que de le faire mourir , il lui fit crever les yeux , couper les mains et la langue , briser les os des jambes pour le tourmenter dans toutes les parties de son corps , et le faire mourir autant de fois qu'il avait de membres.

Le nouveau tyran de Rome , le plus cruel que la terre eut jamais porte , ne se contenta pas de recompenser les ministres de sa fureur. Par l'arrÿt de proscription , ilpunissait de mort quiconque aurait assez d'humanitepourrecevoir les proscrits chez lui , et leur donner asile: Ni pere , ni frere , ni fils n'etaient exceptes. Ainsi on vit pour la premiere fois la compassion , vertu si naturelle et si conforme a I'hurnanite , fletrie et punie. IIdoclara infames 0 4

3a© HTSTOIRE

vi dc'chus du droit de bourgeoisie , les SuUuttt. fils et les pctits - fiIs des proscrits : do sorto que , selon la reflexion d'un auteur extr<hncment sense , il prepara par cet arret des peines et des supplices k ceux dont la vie n'etait pas encore assuree. Rome n'etait pas le seul theatre des massacres du tyran. L'edit de proscription s'etondait a toute l'ltalic ; aucune villa ne fut epargnee. IIn'y avait ni temple , ni maison qui fut un asilc assure. Les autels . sur lesquels on offre aux dieuxle.? victimes de paix et de reconciliation , <•' mnt souvent souilies par le sang do ces infortunees victimes de la vengeance de Syll.i ou rle celle de ses ministres. Souvent les maris etaient egorges entre les bras de leurs femmes , et les enfans dans le sein de leurs pcres et de leurs meres. Sylla ne s'arr£ta pas la. Apres qu'il eut satisfait son ressentiment particuliev par le sang de tant de victimes , il enveloppa dans sa cruclle proscription les ennemis de ses partisans. II leur permit de satisfaire leur vengeance et de tuer impune'ment leurs ennemis particuliers a rombre' de son nom et de sa protection. Quanrf Sylla et ses adherens eurent assouvi leur vengeance ,el qu'ils n'eurent plus d'ennemis reels, l'avidite prenant la place de la~ haine,leur en fournit une nouvelle espece. Les richesses devinrent un crime impardonnable et tout-ÿ-fait irremissible j quiconquo posscdait de grands biens ,no pouÿait etre innocent. IIdlait repute ennerni

de Sylla , et sur le champ son nom etait ecrit sur la fatale liste , et ses biens con¬ fisques au profit du delateur et du meurtrier. Les assassins eux-m£mes ne s'en cachaient pas ;ils disaient publiquement ,et a quiconque voulait l'entendre , que tel devait sa condamnation a sa belle maison de campagne , et tel autre a ses jardins. Des villes et des nations entieres furent enveloppees dans ce cruel arr£t de pros¬ cription. Les biens ,les maisons et le territoire de toutes les villes et de tous les peuples d'ltalie , qui pendant la guerre civile avaient favorise le parti de Marius , furent confisques et vendus a l'encan avec leur territoire , dont il fit la recompense deses troupes ,instrumens de sa vengeance et de son avidite.

Cependant , comme toutes ces usurpa- Sylfa / tions etaient l'effet de la violence, et que dictsteur ceux qui etaient en possession des biens P AnJVL confisques , avaient sujet de craindre d'en 3926. £tre depossedes k la premiere lueur du re- 7ÿV,J C° tour de la liberte de la republique, Sylla An. r, songea a donner un etat de stabilitea tous les changemens qu'il venait de faire dans l'empire , et a rendre durable l'autorite souveraine qu'il avait envahie. II fit insinuer au senat, que l'etat des affaires presentes de la republique demandait qu'on nommat un dictateur , et que ce choix devait le regarder. L'interroi qui s'appelait Valerius-Flaccus , homme devoue aux interSts de Sylla , ajouta & sa premiere 'ildemandait O 6 proposition,quels dictaturequ

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pour Syll.i , no devait pas 6tre limitee atir tormes de .six mois scion l'usage ancien ; mais pour un temps indefini , et pour un .i; — i long-temps qu'il lui plairait de rera} 11r cette supreme (lignite. La proposition etonna tout le monde , et glaÿa tous les occurs. Mais comme il n'y avait plus de liberte , et qu'il ne coulait plus dans les veines des citoyens aucune goutte du sang do cos anciens Remains , si jaloux d'une liberte qui etait la loi primitive et fondamcntale. de la republique , il ne se' trouva personne dans le senat qui .osat s'y opposer. Sylla fut elu d'une voix unanime dictateur perpetuel. On poussa plus loin la lachete : par le m£me decret , le senat ratifia tout ce que Sylla avait fait et etabli pendant le cours de la guerve civile. C'est ici une nouvelle revolution qu'eprouve 1'iitat Romain. Dans son origine , le gouverncment avait ctb conlie a un seul sous lo nom de roi. Los Romains , fatigue's et tyrannises par lours rois , secouerent le joug de la domination royale , et fornierent un gouvernement republicain sous l'autorite de deux consuls annuels. Aujourd'hui ils retombent sous l'autorite absolue d'un seul , qui disposora a son gre de leurs vies , de leurs biens et de leur liberte. Les Romains sentaient tout ccla j mais ils n'avaient pas le courage de pren¬ dre un meilleur parti.

Sylla , dictateur perpetuel , ou , pour parler juste , roi absolu de Rome , se rnontra clans la place pubiicpie avec tout

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1'appareil auguste et terrible de dictateur. Devant luimarchaient virigtquatre licteurs avec leurs faisceaux arraes de haches. Ou¬ tre ce cortege ordinaire , il etait entoure d'une garde nombreuse , comme les anciens rois de Rome. Le premier usage que fit de sa dignite le nouveau dictateur , fi.it de nommer Valere son maitre de cavalerie. Ce lache Romain etait digne de cette recompense par son indigne asservissement & ses volontes. Sylla conserva a la republique toutes les apparences de l'ancien gouvernement. IIfit nommer dans une assemblee du peuple , selon la con¬ tinue , des consuls , des preteurs , et tons les autres magistrats ; mais qui tous n'avaient que le titre et les honneurs de lours charges , sans en avoir ni l'autorite ni l'exercice que dependamment du dic¬ tateur , qui les tenait tous dans fine souveraine dependance de sa dignite su¬ preme.

Le dictateur , apres avoir retabli les dehors de l'ancien gouvernement , se souvint qu'il etait vainqueur de Mithridate , et voulut triompher de ce prince. II ontra dans Rome avec un cortege magnifique. La ceremonie du triomphe dura deux jours , et elle fut des plus brillantes et des plus magnifiques. Tous ceux des se'nateurs ou des citoyens qui , sous la pros¬ cription de Marius ,s'etaient refugie's dans son camp , honorerent de leur presence la pompe de son entree triomphale. 11 eut la retenue de nc faire paraitre aucuu

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citoyen vaincu , ni la representation d'aucune ville des Romains. ine Depuis la bataille que Sylla avait gagnee «ic lid'c aux l)or,es K°nie sur Telesinus , gelatuie.' neral des Sammies , la guerre titait fhiie , mais elles n'avait pas mis fin aux meurtres et aux massacres. Lepee etait tirce en temps de paix de m£me qu'en temps de guerre , et on en faisait contre les ci¬ toyens , comme nous venons de le voir , tin usage des plus barbares. Sylla ,devenu. dictateur ,ne fut ni plus humain,ni moins sanguinaire. Tous ceux des Romains qui avaient autrefois rempli cette souveraine magistrature , s'etaient scrvi de I'autorite que leur donnait cette auguste dignite pour le bien de la republique ,pour eloigner lesperils dont elle etait menacee ,et chasscr de son sein un ennemi etranger , qui la ravageait. Sylla , par un abus enorme y et tout-4-fait etrange , s'en servit pour donner une nouvelle vigueur et une nouTelle force a son barbare arr£t de proscrip¬ tion. Pour recompenser un assassin qui avait egorge un ou plusieurs citoyens ,et pour enrichir les ministres de ses fureurs , ilmit la t£te des citoyens proscrits a un plus haut prix que celle d'un ennemi tue en juste guerre. IIconfisqua leursbiens ,les vendit k l'encan , comrac il aurait fait des depouilles des cnnemis; ou bien il en fai¬ sait des largesses a ses creatures et a ceux qui luietaient restes attaches. IIenveloppa dans ce malheur un grand nombre d'innocens , qui n'avaient jamais pris aucune

R O M A IN E. Liv. VIII. 32b part aux divisions publiques ,sc contentant d'cn dtre les spectatours et d'en gemir dans le secret.

Crassus , qui n'etait point delicat sur la maniere de s'enrichir , fut un de ceux qui partageaavec Sylla le produit de ces venles odieuses et de ces confiscations tyranniques. Son avidite pour les richesses , qui ne connaissait ni bornes , ni bienseances , lui fit acheter k tres-bas prix , ou merne recevoir en pur don les confiscations des biens des proscrits. 11 devint le plus riche citoyen de la republique , et en mdme temps le plus odieux. Le dictateur rnÿme , voyant qu'il ne pouvait, par des lifceraliies capables d'enrichir un roi,rassasier lafaim execrable de Crassus , s'en trouva fatigue. IIlui l-etira son amitie et ne voulut plus entendre parler de lui. Du milieu de ces Lois de soins et de ces travaux tyranniques , le Sylla. dictateur tourna enfin son attention k la xeforme dugouvernement general de l'etat , par l'etablissement de lois propres ÿ y parvenir. 11decerna des peines tres-grieves contre les assassinats , les empoisonnemens , les parjures et autres crimes ,qui tendent a detruire l'humanite , ou a troubler labonne harmonic de la societe civile. D'autres lois avaientpour objet les charges publiques. La questure et la preture etant deux grades necessaires pour monter a ia dignite de consul , le dictateur remit en vigueur ce reglement , et il ne permit pas que personne y donnat atteinte. Le tribunal 2 auquel il avail toujour® ute

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trO--oppose, fut reduit k n'Stre plus qu'une ombre d'autorite. II ordonna que cc-ux qui auraieut rempli la charge de tribun du peuple ne pourraient plus pretendre k aucune autre dignite superieure. Cette loi fut le coup mortel du tribunat , dont il ne so releva plus. II rendit aii senat , conformement & l'ancienne coutume , l'administration de la justice. Par ce m<?me reglement , il en depouilla 1'ordre des chevaliers ,a qui les Gracques l'avaient transportec de 1'ordre senatorial. Toutes ces lois passerent a l'unanimite des suffrages, ne se trouvant personne qui eut assez de courage pour £tre d'un avis contraire.

IIrempla- Comme la guerre et la proscription f " icuis " avaient oxtremement diminue le nombre moits. de« senateurs , et avaicnt moissonne la meilleure partie de ces hommcs illustres, qui composaient l'auguste coinpagnie du senat , Sylla les rempkuja. II aggregea a 1'ordre du senat trois cents des plus illus¬ tres chevaliers Remains. 11 augmenta le nombre des pontifes , des augures , des prfitres et des prciteurs. Avide de toute espece de gloire ,ilvoulut se donner colle de reculer les limites de la villc , ct d'en agrandirl'enceinte. IIauraitpu se dispenser de ce soiri , atlendu que Rome etait devenue presque deserte par la inort de plus de cent raille citoyens qui etaient peris dans les guerres civiles , ou que l'exil et la proscription avaicnt enleves. Pour remplir ce vide , ilaugmenta le nombre1

R O M A IN E. Liv. Fill. ?:27 des plebeians cle dix "mille esclaves des proscrits , a qui il donna Ja liberte et le droit dp bourgeoisie Romaine. II en fit comme line espece de tribu a part , & qui iidonna son noni ;on ies appela Corneliens. Syllavoulait par-laleurrappeler le souvenir de l'auteur d'un si grand bienfait , et s'assurer d'une troupe toujours prdte a exe¬ cutor ses ordres. Enconformite de ce planÿ il distribua a ses vingt-trois legions * , dont il avait eprouve la fidelite et le cou' rage en Asie et en Italic , le territoire de plusieurs villes et provinces qu'ilavaitproserites. Par cette liberalite , il satisfaisait au devoir de la reconnaissance envers ses troupes , et assurait a son parti un puis¬ sant soutien dans le besoin.

Sylla , pour montrer que son dessein IIre'nnit n'etait. pas d'asservir la republique , mais do la retablir et de lui donner un etat de (UIg consistance , voulut , quoiqu'il fut dicta- an. M. teur perpetuel et souverainement despo- j q tique , reunir en sa personne la dignite de 77 consul a telle de dictateur. Maitre des An. R. suffrages ,ilse fit nommer cette charge, c72et s'assoeia MeteRus-Pius , le premier des nobles Romains qui etait venu se joindre a lui a son relour d'Orient en Italie. IIfut imite dans la suite par Cesar. Etc'est de la qu'est venue la couturne' que tous les empereurs Romains , qui faisaient euxmdmes les consuls , regardaiont comme uri honneur de se charger du consulat ,

* L'epitome de Tite-Live porte 17 legions.

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Histoire

ciuoiquc rev£tus par la dignite imperiale <1 one puissance monarchique et indepen- dantc. Jamais annee consulaire rie fut plus douce ni plus tranquillc. Les Ilomains , accoutumes enfin a obeir & un maitre ,vivamnt p tisibles , chacun a l'ombre de son figuier. Quand l'annee de ce consulat fut cx; iice , le peuple , qui etait devenu flatteur ,parce qu'il citait esclave ,luien offrit un autre . mais Svllale refusa ; ilfit clire deux autres consuls.

ÿ)dla » H11* etait ne paresseux et volup,UJC'C *' tueux , commenÿait a se degoutcr de la ÿ Av. M. souveraine puissance. La vie tumulteuse

At J C tracas affaires lui devenaient de jour k autre plus a charge et plus en-Av. R. nuveux. Des qu'il crut que la republique 67 avait, par ses soins ,pris un etat de consistance , et qu'il vit ses lois en vigueur , il forma le gcinereux dessein d'abdiquer la dictature , et de rentrer dans la condition de simple particulier. Demarche des plus hardies el des plus magnanimes, qu'il executa sans y £tre .con!raint , de sa pleirie liberte , et dans 1111 temps ou le peuple , dtija accoutume an joug , I'honorait aulant qu'il le craignait. Cette abdication volontaire etonna etrangement Rome , et la surprit- agreablement. Les siecles posterieurs l'ont regardee comme le heroisme d'un zele patriote ; et aujourd'hui on serait tente de traiter cet evenement commeune fable , s'il n'etait avere et atteste par tout ce que nous avons de nieilleurs auteurs et dc plus exacts. On ne peut concey<?i| j

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qu'un homme qui etait monte au supreme degre de la domination , et qui , pour y I parvenir , avail essuye et affronte mille dangers ,s'avise tout d'un coup d'y renon| cer , et de descendre de ce premier rang , qu'il avail achete si cherement. Cefte renonciation fait bien de 1'honneur a Sylla : elle semble indiquer qu'il n'avait pris les amies contre Rome ,et usurpe la souveraine puissance dans la republique , que pour y retablir le bon ordre ,l'ancienne forme du gouvernement , et remettre la patrie dans sa premiere liberie ; puisqu'il depose cette supreme autorite , des qu'il croit avoir rempli tons ees objets , et qu'il la croit inutile au bien public. } IIfit cette ceremonie de la maniere la plus simple. II monte a la tribune aux harangues , et de la il declare au peuple qu'il abdiquait la diclature ,qu'il renonsait ÿ la souveraine puissance ,et qu'il luirendait son ancienne liberte , qu'il n'avait usurpee que pour lui apprendre a en faire un bon et legitime usage. IIajouta qu'il etait prdt do rendre compte de sa conduite et de son administration ; ilcongedia ses licteurs et sa garde : puis ildes¬ cend de la tribune , et se promene sur la place jusqu'au soil" avec un de ses amis.

I Le peuple etait si etonne de la genereuse resolution du dictateur , qu'il no pouvait en croire ni ses yeux , ni ses oreilies. Do toute cette multitude infinie de peuple ,il n'y eut qu'un jeune etourdi qui osat lui manquerde respect. Enhardipar un silence

23o

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profond qui semblait lui promettre l'jmpir- nitii , il lo wivit jnsqu'a la porte de sa rnaison , 1accablant d'injures et de repro- chos. Sylla ne fif pas settlement mine d'entendpe'eo jeune audacienx. IIse confenta oe dire par une espÿsO dc prediction. Ce jeune homme sera cause , dit-il ,que si ja¬ mais quelqu'un apres moi parvient au degrd r1• puissance ru je suis arrive, il ne s'en

Modÿra- tUpouillera pas aussifaeilement. Cette tnoSylla. C deration de Sylla est bien admirable et digne des plus grandes louanges. Sylla , a la tete d'une armee ,prenant des villes, (1 Tinan! des batailles , triomphant des ennemis , rn ;rite-t-il mieux nos admira¬ tions et nos louanges , que dans cette ac¬ tion particuliere oil ilpesedeparfaitement son ame ÿ Dans la premiere position , il a plus d'eclat et de brillant; mais a-t-il plus de vrai et solide merite.' JLe lecteur equitable en jugera.

L'abdication de Svlla , aussi genereuse que surprenante ,fit ouhlier aux Remains tout le maI qu'il leur avait fait. Le bien de la liberte qu'il leuv rendait si noblement , les etourdit , et les empÿcha de penser a autre choso qu'ii sa generosite. On rcgarda son abdication comme le dernier efiort rle la magnanimite : et en faveur de la liberte qu'il leur rendait, lisoublierent volontiers ses proscriptions,ses meurtres et ses usurpations.

ile SyUii ee i debarrasse des soins tumuRueux et accablans de l'autorite souveraine , se xetira clans sa belle maison de cainpaS110

R O M A I N E. Liv. Fill. 331 do Cumes , ou ilpassa quelque temps aux exercices innocens de la chasse et de la p&che. S'il s'en fut tenu a ces amusemens , il y aurait. trouve un double avantage , celui de la sante ,et celui de passer agrbablement et innocemment son temps. Mais ilne borna pas la ses plaisirs. Dans cette agteable retraite , il rer.tra dans son caractere , et il s'abandonna librement et enficrernent a une vie voluptueuse et sen¬ sualle. Sa table annonÿait la debauche et la dissolution ; et tout sexagenaire qu'il etait , ilne rougit pas de se livrer a la plus infame volupte. Sa maison etait rempxie de comediennes et de joueuses d'instrumens ,avec lesquelles ilentretenait un commerce honteux. II passait les jours et Sa wort. les nuits a boire , a manger et a rire avec An. M. des gens qui n'avaient d'autre merite que ,celui d'etre emportes , violens et sans au- 75>v' ' cune retenue. Une vie si derangee ne pou-

An. R. vait £tre de longue duree. Ces exces lui -n causerent bientot une maladie qu'il se dis- SyL. simulait a lui-meme , et qu'il aggravait par son intemperance. D'un abces qui se forma dans ses entrailles , il en exhalait une puanteur horrible. IInaissait de ses chairs une si grande quantite de vermirte , qu'il ne fut pas possible de le defendre contre ces insectes, comme autant debourreaux qui vengeaient la mort funeste et cruelle d'u« nombre presqu'infini d'hom¬ ines , tant citoyens qu'etrangers , qu'il avail fait perir de lamaniere lapluscruelle, Telle fut la fin de l'heureux Sylla a 1'ago

H !s T 0 IR E

ti" - :v*ntÿ ans. II mourut au milieu de? doulcurs les plus aftreuses ,cent fois plus nj,ilh» ureux que les proscrits sur qui il avail decharge 1'amertume de son violent re -ontiment. Jo nc prononce point sur Sy11a i j abandonee au lecteur Indecision ÿ••ui 1" inerite du premier dictateur perpetuol tie Rome. IIavait de grandesqualites j inais il avait aussi de grancls vices. Sr cl-sl- Sa inort fournit matierc a de vives con¬ test llions entro les deux consuls ; car il ct.tit tie la destinee du dictateur qu'apres sa mort , coinme pendant sa vie ,ilserait uii" source intarissable de divisions dans la r- : it jue. Le corps du senat et de la noblesse ,que Sylla avait toujours protege et honore , ayant a leur t£te Catulus, l'un dcs deux consuls , voulaient rendrei leur bienfaiteur les derniers devoirs avectoute la pompe et toute la magnificence possi¬ ble. On lui preparait un tombeau dans le champ de Mars , prerogative des rois, et on lui faisait un appareil de ceremo¬ nies des plus pompeuses. Lepidus ,l'autre consul , qui voulait se venger de l'opposition de Sylla & son election ,resistait de tout son pouvoir. Mais ce fut inutilement; l'autorite de Catulus etle credit de Pompee et dcs autres partisans du dictateur lemporteront. On lui fit une pompe funebre d'une magnificenceroyale.Jamaisonn'avait vu rien en ce genre de plus soinptueux ® de plus brillant. Un orateuv des plus celebros de Rome , prononga son craison funebre , et celebra ses louanges avec uue

R O M A IN E. Liv. VIII. 333 eloquence , dont la magnificence repon- dait a celle de la pompe des obseques. Tons les ordres del'etat, hommes et femmes ,jeunes et vieux ,nobleset plebeiens , vouluvent contribuer , cbacun en sa mamere , a relever l'eclat des funerailles de Sylla. Son corps ,conformement a ses dis¬ positions testamentaires , fut brule ; et ses cendres, qu'on ramassa pre'cieusement, furent mises en terre dans une urne tresriche. On grava sur son tombeau l'epitaphe Son epiqui suit ,et qu'il avait lui-meme composee de son vivant : Personne , dit-il , ne ma surpasse , ni a faire du blen a mes amis ,ni a faire du mal a mes ennemis. C'est-a-dire que personne ne fut ni plus liberal , ni plus vindicatif que lui.En effet, ilfut l'un et l'autre a l'exces.

$. IX. Sedition de Lepidus. IImet sur pied une nombreuse armee. II marche centre Rome. Bataille entre Lepidus et les ge¬ neraux de larepublique. Lepidus est vaincit en deux batailles. Sa mort. Fin de la guerre civile de Lepidus. Guerre de Sertorius en Espagne. Abrege de sa vie. Ses belles qualites. Ses avsntures. Ses ex¬ ploits. Sylla envois contre lui MetellusPius. Pompee va en Espagne par ordre du senat. Les troupes de Perpenna vont se joindre a Sertorius. Pompee debute malen Espagne. Succes de Sertorius. Bataille sur le Sucron.Bataille deSegontia.Pompee fait le siege de Palentia.Sertorius Ioblige

Histotre

<}'.:!• mrfonner son entreprise. Ambassade tie Mithridate a Sertorius. Reponsede Sertoriu > iinx' ambassadcurs. Le traite est ci <•' .'.it. ic. Sertorius est assassins. Pcrpenna son assassin usurpe su place. II est itefait et puni de mort. Sagesse de Pompee. Eloge de Sertorius. Guerre de Spartacus.Exploits de Spartacus. Dessein hardi de Spartacus. Crassus est charge tic la conduite de cette guerre. II bat Spartacus. IIremporte sur lui une victoire signalee et decisive. Alort de Spartacus. Fin de cette guerre.

ALA mort de Svlla , on aurait cru que l'esprit de parti serait mort ; mais tout au eontraire , il ne tit que croitre. L'exemplc pernicieux d'uu simple citoyen qui avait su s'elever & l'empire ets'y maintenir , subsista apres lui , et fut tres-nuisiblo a la libertd publique. Ce dangereit* exemple , qui laissait entrevoir aux ainbxtieux que les Romains pouvaient etre asservis et souffrir un maitre , irrita leur cupidite. Le consul Lepidus fut un des premiers qui entreprit de faire revivre la faction de Marius ; car ce parti, tout , vaincu et abattu qu'il etait ,avait ses par* tisans dans Rome ,et & la cour mthne de Sylla. Le oonsulturbulent, etait un hornme qui n'avait ni moeurs ,ni talens. lln'etait considere nia la ville ,ni dans les armees, mauvais guerricr , mauvais politique , e dangereux citoyen. Son ambition deinesu-

R 0 M A IN E. Liv. Fill. 335 ree lui tenait lieu de tout merite. Ne Sedition' fourbe ,et d'un caractere dissimule , ilfit de Lepiusage de cetindigne talent ,conformement ÿp]'or ÿ.5, ases vues ambitieuses et interessees. Sylla, c> 2s. quietait physionomiste ,demtdason carac¬ tere. IIne voulut jamais consentir a son elevation pendant tout le temps de sa dictature. Depuis son abdication ,par la pro¬ tection de Pompee qui le favorisait et qui etait son ami , il fut eleve au cOnsulat , malgre l'opposition de Sylla. Celui-ci en j temoigna son mecontentement a Pompee , etluireprocha vivement d'avoir soutenuouvertement Lepidus,le plus violent de tous les seditieux , auprejudice de Catulus ,le citoyen le plus vertueux et leplusmodere ; et par une espece d'enlhousiasme ilajouta: prenei ga*"de a vous :car vous venei (farmer centrevous unennemi.IIdisaitvrai ;levenementtjustifie aujourd'hui que Sylla connaissait rnieux Lepidus ,quoiqu'ille frequentat rrioins , que ne le connaissait Pompee ,qui etait cependant son ami.

A peine Sylla avait les yeux fermes , que Lepidus manifesta son caractere et ses intentions. IIentreprit , a son exemple , de s'emparer de la souveraine autorite ; mais comme il n'avait ni le genie , ni les forces , ni le courage de son modele ,ilne luifut pas possible de brusquer 1entreprise. II eut besoin d'user d'artifice, de couvrir sa marche , et de colorer ses desseins d'un beau pretexte , capable de leuiTer le peuple et dese l'attacher. IIcommen5a par proposer d'abolir unepartie des

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bus flu dictateur , do rappeler ce qui iif do proserin , et de retablir dans leurs bions ceux qui en avaient efe deponilles par la tyrannic de Sylla. J1 mit aussi dans ses inturets les peuplesd'ltalie, par la promesse cju'i1leur lit de les incorporer dans les trente-cinq tribus Romainrs. II ne negligea pas quelques restes du paiii de Marius , qui s'etaient conserves dans la Toscanc , non plus que les pros¬ erin , qui avaient eu le bonheur dechapper aux cruelles et interessees poursuites de Sylla. Cos dehors de justice firent illu¬ sion an menu peuple ,qui ne sait point dem£ler les ressorts secrets qui font agir les chcis do parti , et qui est toujours la dupe et la victime de leur ambition. Par cette con.luite ,Ldpidus gagna ungrand nombre de gens , et se lit un parti considerable. Caiulus ,son collegue ,s'opposait avec fermete a ses desseins. II etait d'avis do le pousser et de le reduire par la force des armes dans ccs premiers commencomens , et avant qu'il eut le temps de grossir sa faction. C'etait sans contredit le parti le plus sage et le rooilleur. Mais le senat , dont; il etait le.chef , n'approuva pas cet acto de vigueur , qui aurait arrete le mal danl( sa naissance. Cependant cette auguste compagnie , qui voyait Rome menacee d'une guerre civile , ot qui ne craignai* rien tant que ces divisions intestines , W" terposa son autprite pour terminer, par voie de negociation,le differend des deu% consuls. IItira el'eux un seyaaent expie*

R O M A IN E. Liv. VIII. 337 et formel , qu'iis n'entreprendraient rien 1'un contre l'autrependant leur consulat. Lepidus observa rigidement le serment ilmetsur qu'il avait prete ; mais des que l'annee de Pieci «»« sonconsulat fut expiree ,se croyant degage "eaÿnÿe? et libre de sa parole , il se met a la An. M, tete d'une bonne armee qu'il avait a ses ordres ,et marche droit a Rome. Le senat, 7ÿv' J' informe de sa marche , porte un arr£t Ax. K. dont la formule do.nnajt une puissance 675 illimiteeaux magistrats. On leve des trou- contre'ft#pes , et on en forme des legions. Catulus ,me. en qualite de proconsul , avait le commandement de l'armee consulaire ;mais comme la science de la guerre et la bravoure n'etaient pas le talent dominant de ce gene¬ ral , le senat voulut lui associer Pornpee , jeune guerrier , dont les laurier6tout recens etaient comme un garant assure de la victoire prochaine sur Lepidus.

La bataille se donna pres du champ de Bataill® Mars, en un lieu nomme Ponte-Mole , Pontus•Mulvius. Les generaux de la repu- gjn"raux * blique chargerent si brusquement ce nou- de la nipaveau tyran , qu'il ne put soutenir le pre- .. mier choc de leurs troupes. Desespere et est Vain-m force de prendre la fuite , ilse retira avec en Aeux les debris de sa defaite dans la Toscane 9 b;itail'e£j. oil il fut battu une seconde fois , faute de t£te et de courage : car iln'etait ni gene¬ ralhabile, nibrave soldat. Cenouvelechec lui fit comprendre qu'il ne lui etai.t plus possible de se soutenir en Italie. 11 se sauva en Sardaigne avec le reste de se$ iroupes delabrces. Ce fut-la que Perpenya Tome IV. 1'

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vint 1 < ioindre , emmonant avec lui tout co qui rostait en Italic de partisans de M.iriuÿ. IIeut bientot rassemble ur.e nombreuso armtie ,quiauraitete capable, sous un autre chef , of sous sa conduite meine, s il avait vecu plus long-temps , de don3* inert ner bien dr> 1'inquietndc a Rome. Lepidus ii. : d ce'te ile d'une maladie de l u: •• ir, occasionee par le chagrin que lui causait la mauvaise conduite de sa 1 nee . et qu'il aimait toujours malgreses inlidclites.

Brutus , qui otait un dc ses lieutenans, et qui commandait pour lui dans la GauleCisalpine ,n'avait pas des succes plus heureux que son general. Pompee, qui avait ete envoye conlre lui, le forÿa de se renfermer dans la viile de Modene,oil ill'asRicgea. Le general seditieux , qui sentait la superiority do Pompee sur lui en tout genre , songea moins a se defendre , qu'a travaiiler a obtenir line capitulation la plus favorable qu'il pourrait. IInc- demanda que la vie sauve , et la liberte de pouvoir se relirer en surete dans un village situe sur les rives du Pd. Pompee lui accords facilement sa demande, cjui n'avait lienque de juste , et Brutus lui ouvrit les portes de Modene. Pour justifier sa conduite a i i gard de Brutus ,ilecrivit an senat ,que la prompfo soumission ,et: la bonne grace avec lesquelies ce chef des revoltcs h'1 avait de iui-m£me ouvc-rt les porteS de Modene,l'avaientfaitincliner alaclemence, et l'avaient determine a lui donner la

K O M A IN E. Liv. VIII. 339 vie sauve. Cependant , au prejudice du traite ,de sa parole et dela lettre ecrite au senat en sa faveur , ilFenvoya poignarder le lendemain dans sa retraite *. C'est une tache clans la vie cle Pompee , que sos belles actionsnesauraie/it laver,amoins cju'il n'eut decouvert clepuis , que ce generalentretenait de secretesintelligences avec Lepidus. Mais ilest plus vraisemblable qu'instruit dans la cruelle politique de Sylla , qui ne laissait vivre aucun chef du parti ennemi , il se repentit de sa clemence , etl'envoya tuer. Nouvellelettreau scinat pour excuser ce meurtre et pour on demontrer la necessite, Le style de celle-ci etait bien different de celui de la premiere. Brutusy estetrangement charge, et peint comme un chef de parti toujours revolte , et prdt a se declarer des qu'il en trouvera l'occasion.

Apres la inort de Lepidus , Perpenna Findefa rarnassa les debris de l'armee revoltee ,qui8Aej'u . cl~ 1 r i-ivlle "e etait demeurce sans cher , et clont it Lepidus. s otablit legeneral. IlpassaenEspagneavec un corps cle troupes de cinquaute-trois cohortes. Ainsi finit la revolte de Lepidus: et, parun exemple demoderationd'autant plus admirable qu'il est bicn rare dans

* Monsieur Crevier nous assure que ce fut a Reggio ;Plutarque qu'il cite , dit seulement que Pompee fit conduire Brutus eft uxie petite yiiia situee sur le Po : itiais ilne nofflme pas la vilte. Et comme la vilie de Reggio n'est pas sur ce fleuve , ce ne peut etre cotte ville ou Brutus fut Konduit et assassins,

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I i guorres civile?? , celle-ci n'eut point <« a t. > suites facheuses. Pompeevictorieux ct content d'avoir rendu la paixk sa patrie, rait lirtS les armcs. II ne voulut d'autre recompense de scs services , que la gloire d • la victoire , ct celle d'avoir ete utilea la rcpublique. Le senat , par un trait de sagcsse et de clemence qui etait tout-ÿ-faif k sa place , fit publierun decret d'amnistie en J-ivour de ceux qui s'etaient trouves * 'gages dans ces derniers troubles. Cette sage compagnio avait plus d'un objet en vu dans la douceur dont elle usa en cette occasion. Ces graves magistrals voulaient cpargncr a la rcpublique les meurtres et J s carnages , qui auraient depeuple les villus et rendu le&campagnesdesertes;leur dessein etait" encore de rappeler et de reunir tons les citcyens sous un meme gouvernement ,et enipcher que les revoltes fugilifs et reduits au desespoir, ne se retirassent en Espagne ou Us auraient trouve un asile assure auprcs de Sertorius, et dans sa personne un capitaine capable de les conduire et de les faire vaincre.

Guerretie Pour donner une juste idee de cette -•>'1r iHS SMerro > ÿ est necessairo de roprendre les sne. |J choses do plus haut, et do faire connaltre dpp.de au Jecteur qui etait Sertorius, rhomme pi*, "i'g' ÿui robrite P'us d'etre connu , et digne | 42s. ' d'avoir place parmi les plus grands pcrsontio}\ i.3. nages de Rome. Sertorius etait un.citoyen *Phi't in. ÿoma'n d'assez basse naissance , mais en Scrtcr. ct qui la nature avait mis des vertus et des I Pv-ip. sentiraqus digues de la plus hautenoblesse? /

K O M A IN E, Liv. V1IL 34i

IIn'avaif rien de bas que son origine ,qu'il Veil. T?asut relever par l'eclat de ses talens et de 'q_~'0 a ses vertus. Tout etait grand et noble dans i'pit. l, Sertorius. II s'etait acquis beaucoup de 3 , . reputation dans la guerre contre les Cim-sa ÿiess" c"£ bres et les Teutons; dans cello que Rome out a soutenir contre les allies, et enifin dans la guerre civile du vieux Marius , ou ilse distingua extr£mement, et au courage de qui Marius et Cinna furent redevables de la prise de Rome. Au retour de Sylla en Italie ,par une suite de ses premiers engagemens ,ilporta les armes contre lui; et il y a toute apparenco que s'il avait commando en chef les armees de la fac¬ tion de Marius,Sylla ne se seraifc pas rendu maitre de la capitale avec la facilite qu'il le fit. Ce brave officier ,s'aperceVant qu'il n'y avait dans le parti oppose a Sylla, ni sagesse ni concert , quitta l'ltalie pour n'etre pas temoindes maux dont illavovait menacee. II se retira en Espagne , dont le senat et le peuple lui avaient confie le gouvernement en qualite de preteur. Ce ne fut proprement qu'apres sa retraite de l'ltalie que Sylla congut de bonnes espe'ranees de voir son partiprendre ledessus , et de se rendre maitre de la capitale de l'empire.

Sertorius etait veritablement un grand (SesJ-clJea personnage. II possedait toutes les vertus f'"d i'"s" militaires et civiles. IIetait d'un courage intrepide, dans le danger , hai'di dans Taction ,fecond en ressources et en ruses, habile a se tirer d'un mauvais pas , et P 3

H r s t o i r e suj • rieur ,< tous pour se poster avanfagen»ent. II etait d'une vigilance et d'une activity tolles que rien n'echappait a sa connaissance. Personnc ne savait mieux la prerre que lui, et ne possedait plus parfaitenient le rare talent de gouverner l'esprit iles solflats. II avait un genie vaste f i *s vuos etendues. et un coeur capable de t' ntor tout et d'ÿntrcTirendre tout; en un mot , un autre Arnib.l , dont les Espagnols ,parcstimedc son merite,luiavaient dinne le nom. A ces grandes qualites , il reunissait les verfus qui entretiennent la sociiife parmi les hommes , et qui , dans la write , srnles lionorent l'homme et le rendent verifahloment grand. IIetait doux, liumain,compaf issant,d'un caractereliant ct affable : cgalement grand dans la prosperife et dans l'adversitc; modere dans 1unc , et incapable de se laisser abattre par aucun rovers. Les plaisirs letrouverent toujours inacfccessible ; frugal et simple dans sa table et dans ses equipages ,il sut toujours se conserver centre les attaquc# do la volupte. C'est avec ces grandes qua¬ lites militaires , politique? et morales, -que Sertorius parut en Espagne. Dcs qu'il v fut arrive ,"il s'appliqÿa a gagner l'amitie de ces peuples. Doux, affable , ct d'un acces libre et facile ,il out bientot fait la conqu£te du cceur de? Espagnols. lis donnerent volontiers leur confiance k un preteur qui faisait aimer son gouvernement par ses liberalites et par ®on atttention rendre la justice, bicn

R o M A IN E. Liv. VIII. 343 different de ceux qui l'avaient precede dans I'administration de cette province , dont i'avidite,les cruautes et les injustices leur avaient fait delester le gouvernement Romain. Une conduite si sage ,et un gou¬ vernement si doux,conti'ibuerentbeaucoup a affermir la puissance et l'autorite du nouveau preteur. Celui-ci ,instruit des succes cle S3 11a en Iialie, et de la ruine du parii plebeien , comprit bien que le nouveau tyrande Rome nele laisseraitpas tranquiilc rfans sa province. II songea a s'y fortifier, de maniere a n'avoir rien a craindre des efforts de Sylla. II envoya garder les pas¬ sages des Pyrenees , et en defendre les approches aux troupes qui voudraient ten¬ ter de les forcer. La precaution etait sage , mais elle dcvint inutile , par la noire trahison d'un officier subalterne , qui tua

Salinator son commandant ,prit mdme la conduite de ses troupes , et les livra a Annius ,general de Sylla , qu'il introduisit dans le eoeur de l'Espagne. Cette trahison mit Sertorius hors d'etat Ses exde pouvoir tenir la campagne. IIse retira PloUlid'abord a Carthage la neuve , avec nno troupe cle trois mille hommes. II n'y fit de sejour qu'autant qu'il fut necessaire pour monter sur une flotte tumuituairement equipee. II alia tenter fortune en differens endroits. L'Afrique , les ties

Baleares,les Canaries ,ne voulurent point le recevoir et lui donner un asile. Du nombre des proscrits par le dictateur , i!. n'osait tenter de mettre le pied en aucun

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lieu dependant de la republique. Darts cet ombarras, et lorsqu'il etait presque re- duit .hi dusespoir , il lui vint fort a propos uiie deputation des Lusitaniens , aujour- d'hui Porlugais ,pour l'inviter, de la part de lours princes,k venir prendre le commandement des armees de leur nation , contre les Romains. Cette nouvelle mit Sertorius au comble de ses voeux. IIs'embarque dans le moment , et se rend dans la Lusitanie, au rendez-vous que luiavaient marque les deputes. Son armee ne se troma d'abord composee quede sept a huit mille hommes au plus. Cependant , avec des forces si inegales k celles des ennemis, Sertorius tenfa d'cnlever aux Romains lours provinces voisines de la Lusitanie. Tout plia devant lui : quatre gencraux Ro¬ mains , qui avaient cliacun une armee de vingt-cinq a trente mille hommes, ne puxent arr£ter le cours rapide de ses progres. II les battit en differentes occasions , et les contraignit de fuir devant lui. Jamais les Espagnols n'avaient montre plus de courage et de valour que sous la conduit® de leur nouveau general. lis paraissaient des hommes tout nouveaux , et on aurart dit que ce Romain, en passant cbez eux, leur avait communique l'esprit et la vertu guerriere de sa nation.

Avec une armee si de'lerminee , il ac* crut dans peu de temps sa puissance , et se soumit la plus grande partie de l'Espagne. Des qu'il vit sa domination agrandie, «t sa puissance solidement etablie dans ees

Roma-ine, Lh\ Fill. 345

Contrees , il voulut donner une forme de gouvernement a son nouvel empire, qu'il copia d'apres celui de Rome. II crea un senat , qu'il composa des senateurs pros- crits qui s'etaient retires aupres de lui , et de tout ce qu'il y avait de mieux parmi ses adherens. Le nombre des senateurs montait jusqu'a trois cents. Ce senat etait , selon lui , le vrai senat Romain , et celui qui residait a Rome n'etait qu'une ombre de senat et une troupe d'esclaves de Svila , devoues a toutes ses volontes. Ce corps lui fournissait ses lieutenans et ses autres officiers. Aucun Espagnol ne commandaifc dans ses armees ; car son intentionn'etait pas de rendre les Barbares superieurs aux Remains. IIvoulait seulement se servir de leurs forces pour retablir la liberte dans Rome et dans toute l'etendue de la republique.

Un si brave Romain , dont la reputa- Sy'b ention et la puissance prenaient de jour a tre fui autre un nouvel accroissement , ne pou- reilus-Fius vait manquer d'attirer sur lui l'attention de Sylla. Celui-ci aurait bien vouJu aller lui faire la guerre en personne , et se debarrasser , par une victoire d'eclat , d'un ennemi si formidable ;mais iln'osa s'eloigner de Rome , ou il ne serait peut-£tre plus rentre s'il en etait une fois sorti* Ilchargea de ce soin Metellus-Pius , le plus habile de ses generaux ÿ et le plus devoue a ses interns. Metellus avait du jiierite et savait la guerre j mais il etait d'mr caractere lexxt , peu actif, et par

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consequent incapable de reduire un ennerm aussi habile que Sertorius. En effet,il s'osClima inutilemont contre le vigilant etaCtif general ,qu'il trouvait par-tout.Si Metelics envoyait ses fourrageurs , Sertorius leur tombait dossus; dans samarche, s'il renccnfr. it Sertorius sur ses paset a ses trousses, s'il s'arretait , il s'en voyait assaiili ct accablc. Formait-il une entreprise, Serto¬ rius rompait toutes ses rnesures et les renda:* inutiles. IIfit plus , il battit eniplasicurs rencontres ses lieutenans , et le forÿa lui-memo a fuir devant lni. Tons C".s avantages de Sertorius sur Metellus, lui ouvrirent le chernin des Gaules. IIV fit reconnaitre son autorite, et il poussa ses conquetes fusqu'aux pieds des Alpes , dont il fit garder les passages. Sylla mourut sans avoir la satisfaction d'avoir reduit lo chef des Lusitaniens ,ou plutot le chagrin dans le coeur tie le saPomr/e voir solidement dtabli en Espagne. Apres va r-i Es- ja mor|. c]u r|ictatcur , lo senat jeta les par.ne par , ' _ . ' i nidre du yeux sur Pompee , que la crainte ou ia senat. jalousie avait fait negliger k Sylla, pour l'opposer k Sertorius. Pompee, tout jeune qu'il etait alors , etait l'honime de confiance du senat , et sans contredit le pre¬ mier general de la republique. Des ialoux de sa gloire trouverent k redire qu'on revet it de la qualife de proconsul un sim¬ ple chevalier Romain , et se plaignaient hautement d'une distinction qui n'avait point ,r!i.sait-on ,d'exemple. Mais ces difbcuites meines , dont 011 connaissait le

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principe , ne servirent qu'& confirmer ]e senat clans le choix qu'il avait fait , et a acCeierer le depart du jeune heros. La renommee l'avait precede en Espa- . gne. Son nom y etait connu et celebre par ses victoires toutes recentes en Afrique , en Italie et en Sicile. 11 donna le change aux troupes de Sertorius qui gar- daient les defiles des Alpes. II se fraya a travers ces montagnes une route differente ' de celle d'Annibal , dont une noble emu¬ lation le portait a 6tre 1'emule. Des que ce nouveau heros parut aux frontieres de 1'Espagne , ilse fit parmi ces peuples une grande revolution en sa faveur. Jusqu'alors Sertorius avait etc comme l'idole des Espagnols , rnais a Lapprochp du nouvel / astre ,plusieurs rilles l'abandonnerent ,et se declarerent pour le parti de Pompee. Sertorius fut frappe de ce changement , mais il ne fut pas abattu. IIfut mdnae redevable a l'arrivee de Pompee de la soumission de l'armee que commandait Perpenna en Espagne,en son propre et privc nom. Ces troupes effraye'es du nom de Pompee , declarerent net k ce general qu'elles avaient besoin d'un capitairie ex¬ periments , qui sut commander et vaincre : Perpenna ne savait ni l'uri ni 1'autre. Dans le moment , ses troupes Jevent Eestrcu- ' I'etendard et vont se donner a Sertorius. pesÿPe;Leur general fut oblige, malgre lui, de J'e les suivre , et d'aller faire la guerre sous Seiwrius. un capitaine d'une toute autre habilcte que lui.

H i s t o ire

ÿ Fomp-o Lc debut de Pompee en Espagne tte 'aUnEt- rt"pondit pas a l'attente qu'on avait conÿue p<|oe. de son nom. Lne legion entiere que Sertories lui tailla en pieces dans un fourrage, et la ville de Lauron prise et brulee a ses veux sans pouvoirla secourir, lecomment de honte , et lui firent pevdre beaucoup de cettc haute reputation dont il avait joui jusqu'alors. Par un effet confraire , la gloire et la reputation de Sertorius prircnt unnouvelaccroissement, et lui attacnerent d'une manicre plus intime les Espagnols qui admiraient leur bonheur d'avoir & leuf

An. AT. t£tc un general si habile. L'incendie de j c Lauron intimida les autres villes d'Es84. pagnc qui auraient eu envie de deserter

ak. R. le parti de Sertorius, et leur fit sentir que < do ProtectlC)n de Pompee etait d'un faible Scitorius secours contre ses armes et contre son ressentiment.

Pompee , desespere de la defaite de sa legion , et de l'incendie d'une ville qui n'avait ete traitee de la sorte que pare© qu'elle s'etait ddclaree en sa favour , am¬ bitionnait ardemment une occasion favo¬ rable d'avoir sa revanche pour retaldir sa reputation ct les affaires do la rcpublique. Rmii'e Pile ne tarda pas & se presenter. Les deux cron'G Su" ficneranx s'etant rencontres dans les plaineS'

aw. M. c'u fleuve Sucron , aujourd'hui Xucar r 35i3i ils se mirent en disposition de se mesurer ÿ a.. J. c. en rage €arnpagne# L'action s'engage , et:

An. r. par lo courage ties troupes et la capacite * ' fc* des deux generaux , elle devient trcsmeurtriere de part et d'autre. Sertorius j

Homaine. LiV. Fill. 3/.9

Supcrieur en cavalerie a Pompee,le poussd si vivement ,qu'il parvient enfin a rompre ses escadrons et ses legions. Par-tout ou il s'avance,ilporte la terreur et l'epouvante. Deja , a l'aile que commandait Pompee , les soldats prenaient ouvertement la fuite, et le general lui-m£me , qui n'etait pas des derniers a fuir , courut un grand risque de sa personnel car, outre une blessur-e qu'il recut k la cuisse dans sa fuite ,ilpensa &tre pris et tue par un gros d'ennemis qui fondirent sur lui. Mais heureusement qu'il eut la presence d'esprif de leur abandonner son cheval richement enharnache. Ce riche butin retarda la course des ennemis , et donna k Pompee le temps de se sauver.

Afranius , lieutenant de Pompee qui n'avait pas un Sertorius en tete ,remporta une pleine victoire sur les ennemis qui lui etaient opposes. II les defit , lfes mit en fuite , et les poursuivit jusque dans leur > Camp ,dont ilse rendit maitre;et si 1'avidite du butin n'eut arr£te ,malgre ses ordres ,les soldats acliarnes au pillage ,ilse serait retire victorieux. Dans ce moment survient Sertorius avec ses troupes victorieuses , les charge rudement , et enÿ fait un carnage horrible. Telle fut Tissue de la bataille de Sucron j les avantages et les desavantages y furent compenses ,le nombre des morts a peu pres egal ,mais la gloire de Pompee y souffrit beaucoup. L'honneur de la journee en resta a Serto¬ riusiet on vit des-lors que Pompee aurait

H I S T O I R E

< ! • Ton lieutenant de Sertorius,mais que sa cnpacite n'egalait pas eelle du general qui! avait en tote. Celui-ci , qui voulait renclre Taction decisive , se disposa le lcndciuain a recommencer le combat; mais , ayant appris l'approche de Me'tellus . il craignit d'etre enveloppe , et rentra dans son camp , disant avec un air do sup riorito et cle mepris , quo si celie vieille ne frit survcnue ( parlant de Metellus), pour relirer ce jeune enfant, de scs lu.iins, il 1 uirait chatie et contraint de retourner a 1'ecole. II faut convenir que Pompee nc fait pas ici un beau personrage. Ses lauriers se fletrissent , et ceux de Sertorius se parent d'unc nouvelle ver¬ dure.

Cet echec fnt utile a Pompee. Ilfut dans la suite moins presomptueux et plus sage, Pour ne pas partager avec Metellus ,son collogue , la gloire de vaincre le chef des I.spagnols,ilavait hate le jour du combat, J1 en fut bien puni. II eut aussi toute la honte de sa defaite. Ce revers lui appdt qu'il ne pouvait ni vaincre sans Metellus? ni tenter ,meme sans peril,aucune action. Malgre la bonne intelligence des deux gencraux Remains qui , depuis leur reu¬ nion,n'entreprenaicnl rien que de concert, ct la superiorite des troupes , Sertorius iÿaiallle de leur fit eprouver do nouvcaux perils, Dans o<-£,oniia, une bataille qui se donna aupres de la ville de Segontia ,aujourd'hui Siguenÿa , et qui dura depuis midi environ jusqu au voucher du soleil, il battit Pompee, »

R O M A IN E, Liv. Fill. 35l mit en fuite ,el: lni tua six miHe de ses legionnaires. Perpenna , son lieutenant , ne fit que de faibles efforts pour resister h Metellus, qui eut totit l'avantage sur lui. Sertorius,voyant le desordre de 1'aile que commandait ce lache officier , y vole :la, il fait tant d'exploits d'armes , qu'il retablit le combat , repoussa Metellus a son tour , et lui arracha des mains une victoire certaine. Ainsi ce vieux capitaine fut oblige de rentrer dans sou camp ,legerement blesse,mais honteux d'avoir perdu le champ de bataille.

Sertorius , victorieux aux deux ailes , ne regarda pas cette action comme deci¬ sive. 11 voulut la rendre telle ,s'il etait possible. Le lendemain il parut dans la plaine pour forcer le camp de Metellus,qui etait. campe a quelque distance de Pompe'e. Heureusement pour le vieux general , que Pompee,averti a temps et a propos,vola a son secours ,et forpa Sertorius de laisser imparfaite son entreprise. L'activite de celui-ci et son caractere entreprenant ,firent juger sagement a Pompee , qu'il ne pouvait", sans risque, separer ses troupes de celles de son collegue. Cette reunion des deux generaux Roraains ne ies mit pas a l'abri"des continuelles att.aques que Sertorius leur livrait de toutes parts, sans leur donner le temps de se reconnaitre. Tous les jours c'etait nouveaux desseins ,nouvelles entreprises ,nouvelles marches : et ce qu'il y a cl'admirable , c'est qu'il les conduisait toutes ,qu'iletait en personne a

H I< T o ( R E

I • t-'-to do toutes ,et que les generaux cfe Home le trouvait par-tout, comme s'il se Hit multiplie. Cet acharncmcnt du general dn> Lusitaniens ,for9a les deux generaux Komains a se »eparer ,et a chercher leur surete dans des quartiers d'hiver, ne pounut plus tenir la campagne contre un enneTni qui nc leur donnait de repos ni jour ni nuit ;et qui ,au temps de la moisson, leur faisait souffrir la faim ,par le degat qu'il faisait de la campagne ,par l'enleveruent des convois et par l'incendie de* magasins.

Pompee Ceiendant Motellus ne perdit pas de fan le sic- A ÿ ,, . , , r r . 1 /;• de Pa- vue oertonus. IItacha de loccuper, et de Jean*. faire une utile diversion, pour donner & Pompee le temps de faire quelque expe¬ dition d eclat. Celui-ci ,suivant son incli¬ nation ,cntre dans les vties de son colic-' gue , et va faire le siege de la ville de Paler.tia ,dans le royaume de Leon. La ville etait dejk rcduite aux abois ,les muraillcs etaient minees , sapces et n'etaient plus soutenues que par aes etangons. IIne restait aux habitans d'autre ressource que dans la clemence du vainqueur. Sertorius, informe du danger eminent de cette ville ,iÿ.Cpt0"us nmie,vole a son secours. Pompee fut egad'Slndon- lement surpris et effraye de son arrivee. ncr son en- II abandonne son entreprise , et se retire (reprise, aupres de Metellus. Sertorius se rriit a ses Sell"' ' trousses , et l'ayant atteint aupres de la * -*v. J. C. ville de Calahorra dans la vieille Castiile, r ÿ tua troÿs mille homines. Pornpe6 677. v' loue ici un role bien different de celui do

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Sertorius ,devant ]a ville cle Lauron qu'il prit et qu'il brula sous ses yeux ,et de si pres que Pompee aurait pu se chauffer au feu qui en consumait les murailles. Les deux generaux de la republiqud, fatigues par les embuscades ,les incursions et les attaques continueiles de Sertorius , seretirerent dans des lieux fort eloignes , pour donner quelque repos a leurs trou¬ pes ,et les remettre de leurs fatigues. Metellus alia prendre ses quartiers d'hiver dans une des provinces de I'Espagne ulterieure;Pompee passa les Pyrenees, et vint se mettre en surete dans la Gaule Narbonnaise. La fuite de ces deux grands gene¬ raux (car leur retraite ne vaiit gueremieux) fit un honneur infinia Sertorius. La renommee de ses avantages passa , non-seulement jusqu'a Rome ,qui en fremissait de rage ,mais elie vola jusqu'en Orient. Mithridate ,roi de Pont ,qui voyait d'un ceil jaloux et chagrin ,que la fiere republique etendait ses homes et envahissait ,par ses conquetes ,les provinces les plus voisines de ses etats , saisit l'occasion de cette guerre civile pour reprendre sur Rome I'Asie mineure dont on l'avait depouille. Pour entretcnir cette division,et faire une Ambsj. diversion utile a ses projets,ilenvoyaune ambassade a Sertorius pour lui proposer Sertorius. de reunir , contre Rome , leurs forces et leurs interets. Les ambassadeurs etant arri¬ ves en Espagne ,Sertorius assemble son senat , et leur donne une audience publique. Les envoyes Orientaux firent part a

H I S T 0 IR E

J'assembles des propositions de leur maitre; Mithridate s'engageait a donner a Serforius trois mille talens en especes , et k fournir quarante galeres toute equipeesj en revanche ,il demandait la cession de l'Asie mineure. Le chef de ce nouveau senat niit l'affaire en deliberation. Tons, d'un commun avis,opinerent pour l'acceptation des offres du roi de Pont , qui leur donnait unsecours reel ,present et cffeclif, pour un consenlement dont il n'avait pas d RsÿonSB "PSO*n ' e* ne dependait pas d'eux. Serlius aLx tonus seul pensa differemment de tous. II ambrsja- repondit-eux ambassadours Orienfaux,avec curs. cctte grandeur dame d'un Remain des pre¬ miers temps de la ropublique ,qu'il consentait que leur maitre reprit la Bythinie et la Cappadoce ; mais qu'au sujet do l'Asie, a laqnelle il avit renonceparun traite solennel ,ilne souffrirait jamais qu'il y mit le y ied *. Quel homme,repartit Mi. thridate ,que ce chef des Lusitaniens !Que nous prescrirait - il autre chose , quav.d Lo trait*? rneme il serait maitre de Rome et fre¬ est conclu sident a, son senat !Cependant ilratifja le ti utihe. traite aiix conditions quo ce proscrit, ce banni ,comme il I'appelait, lui avait dictcie.s. Le roi de Pont compta k Sertorius trois ini1lo talens ,et lui fournit uneflotte bien equipee de quarante-quatrcvaisseaux.

* Ce trait de grandeur fait douter , avec raiaon ,si Sertorius est plus grand a la tete des armees .qu'a latete de cette gtorieuse negociatioij> dont le succes lni fait autaut d'honneur que victoire la plus eclatautc.

It O M A IN E. Liv. VIII. 3bb

Le general Lusitanien lni envo) a de son cote un corps de troupes commandees par M. Varius , un des senateurs proscrlts par Sylla. Cet o/ficier de la cour de Sertorius fit respecter dans ces lieux la puissance Komaine et le nom de son maitre. IIexer$ait en son nom la ro£me autorite que s'il avait ete avoue du.senat et du peuple Romain. Pour se soumettre les villes , le proconsul fit moins usage de ses armes que de son adresse. II dechargeait les villes des taxes exorbitantes dont S)lla les avait accablees ; ilaccordait la liberie a quelques-unes, et a d'autres des immunites et des exemptions. Une'conduite aussi habile fui ouvrit les portes de toutes les villes de l'Asie , ou ilentrait en pompe , pre¬ cede de licteurs arxnes de faisceaux et de baches.

Ce traite d'alliance avec le roi de Pont , est le dernier traite eclatant de la vie de Sertorius , semblable au soleil , qui n'est jamais plus brillant que lorsqu'il tourne a son couchant. IIvecut deux ans depuis j jniais sa gloire alia toujours en diminuant. La jalousie du lache Perpenna qui aspirait a remplir la place de son general , parvint a le decrier parmi les troupes, et a leur faire perdre la confiance qu'elles Sorton'as avaient en lni. On croit que le change- est assasment des moeurs de Sertorius lut la cause ÿ du mepris ou iltomba dans 1esprit de ses5ÿ34. troupes. 11etait devenu fier , haut et cruel. Av. J. C. Ce 11'etait plus ce he'ros frugal , continent ' R et accessible. IIs'etait livre aux dclices de gyg.

$65 II Is o 1 ft e

ia table et aux sales vokiptes. Son lieiiteuanl et son rival , profitant do la prise que donnait sur lui Sertorius , engage dans son noir complot quclques officiers , qui conspirent avec lui d'assassiner leur general. Le jour fnt indique : un festin que le per- fide Perpenna lit a Sertorius , fut choisi pour l'execution d un si noir attentat. Ainsi ÿ rit ce guerrier, qui avait echappe a lous es perils de la guerre et de la proscrip¬ tion de Svlla , par la main de son ami , P-'rÿnna ,(|0 $on lieutenant et de son heritier. Le , ?e tra'f e voulut recueillir le fruit desa peri-t I'.ace. fidie , et se faire declarer general de J'armee de Sertorius. Mais les soldats, qui ctaient accoutumes k £tre conduits par un hercs , n'eurent pour lui que du mepris. lis demeurcrent neanmoins sous ses enseignes jus ;ua la premiere occasion. Pompee, qui fut instruit de la mort tragique de Sertorius , s'approelie de Perpemia et 1(5 tate. La defaitc de ce perfide ne fut qu'un jeu pour le general de la republique. Perpenna ,aussi incapable de com¬ mander que d'obeir , ne sut que prendre IIest etc- la fuite et se cacher. On le trouva dans »<i Je nrnt" im koi9 sous un buisson , toujours le memo , aussi lache dans sa captivite que An. AT. dans le combat. Pour sauver un restc de j q v'le , il fit offrir a Pompee de lui reveler g9. ' tous les secrets de la conspiration de SerAn. R. torius dont iletait ledepositaire,ayant en main tous les papiers de co general > oU etait detaillee toute la manoeuvre de cette affaire.

11 O M A IN E. Liv. V11L 357

Pompee,plussage et plus genereux que Perpenna no montrait de lachete et do pedidio , meprisa cette offre. IJ prit $es papiers et lui fit trancher la t£te , sans vouloir lui permettre de se presenter devant lui. Pour les papiers et les lettres , Sagesse 6$ illes briila genereusement sans les lire. IIPompee. craignit , et avec raison , que ces papiers ne devinssent une semence de nouveaux troubles qui plongeraient la republique dans une nouvelle guerre civile , qui ne finirait peut-etre que par sa ruine entiere. Ce trait de sagesse et de politique n'estpas d'un jeune homme , mais dune t£te bien inure et tres-versee dans les affaires. Quel que soit le motif qui fit agir Pompee , Paction est toujours louable , puisqu'elle a tourne au bien do la patrie , et elle lui fera un honneur , qui ne finira qu'avec le temps. Ainsi fut terminee ,par la mort de Perpenna , une guerre qui avait dure dix ans ; et avec elle furent cheilites toutes les branches du parti de Marius.

On ne peut lire'la triste et tragique fin Eloge de de Sertorius , sans etre attendri sur son Sertorius* sort , et sans detester le traitre qui l'a fait perir. Sertorius etail un capitaine accompli en tout genre , et peut-etre le plus ac¬ compli que Rome ait jamais porte. Certainement elle n'eut jamais dans son sein un meilleur citoyen , de soldat plus courageux et de sujet plus vertueux. IIetait naturellcment gai , mais ennemi de la volupte; doux ,mais forme ; sage et modere daus la prosperity ,mais incapable d'etre

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a ittn par 1'advcrsite;grand ,magnanime, liberal , mais sans faste , sans luxe et sans hauteur. Quel malheur pour un homme d un si rare merite , d'avoir etc force de prendre les amies contre sa patrie ! Quelle perte pour la republique de n'avoir pas voulu faciliter a ce grand personnage les voies de concilation , et d'avoir tGujours pt '-sj-te dans une dure inflexibilite a son egard !

\pres que les deux gcneraux de la repu¬ blique eurent pacific l'Espagne , et regie <e qui concern-ait cette grande province, ils repasscrent I s Pyrenees , franchirent les Alpcs , et arrireront a Rome avec I urs armees triomphantes. Pour obtenir du senat l'honneur dutriomphe, ilsvoulurent faire passer la guerre qn'ils venaient de terminer pour une guerre etrangere. Ils avaient en quelque faÿon raison.

C' taient des peuples d'Espagne , lesLusitaniens et les Celtiberiens , qui ÿ> souS la conduite d'un general Romain , defendaient leur liberte contre 1'imperieuse re¬ publique. La chose ne laissa pas de souffrir quelque difficulty ; mais ils trouverent les moyens de les applanir. L0 triomphe leur fnt accorde. 11 est a reitiarqu r que e'est le second triomphe de Pornpee n'etant encore que simple chevalier Romain. Exemple singulier et unique Tous les ordres del'etat contribuerent & la gloire du jeune heros. On n'avait des yeu* quo pour lui. On celeir.-ait ses exploits a l'envi des uns des aulres , et on disai

R o M A IN E. Lb. Fill. 359 publiquement que Rome n'avait point cle plus grand general que le vainqueur de Sertorius.

Dans les dernicrs temps de la guerre Guerre de que faisaient les Remains en Espagne con- Spÿ"aciÿj" | tre Sertorius , il s'en alluma une en Ita-5554.' lie , qui ne parut point considerable dans Av- J- C. sa naissance , mais qui dans la suite ,par 7°\s K l'habilete du general qui la conduisait,et Gjs' par ]:incapacite des generaux Remains ÿjPP: If que la republique lui opposa , devint une des plus meurtrieros et des plus funestes. Flor.l. 5. Spartacus , originaire de Tiirace , servit c'p°nt -n d'abord dans les troupes auxiliaires. 11fut Crass. ' * pris en guerre et reduit en servitude. Le Epit.l.So* maitrea qui ilfut vendu , ayant remarque 87> qull etait fort et robuste , le destina pour 6t:re gladiateur. Spartacus, a quila/iature , dans une condition servile , avait donne les qualites d'un heros , et une elevation d'ame rare , meme parmi les grands personnages , indigne d'une si infanie desti¬ nation , forme le dessein de s'enfuir. 11 engage dans son complot soixante et dixbuit de ses compagnons , tous parfaitement determines a defendre leur iiberte et a mourir genereusement , plut6t que de servir do spectacle a la detestable cruaute de lours maitres, Ce complot fut presque aussitot execute que forme, Spartacus,ala tete de cotte petite troupe d'esclaves armes de couperets et de bro- cus> dies , s'enfuit de Capoue , le sejour de leur esciavage , et l'ecole ou on les dies¬ is3it k cette infame profession. Le bruit

3jO Histoire de cette desertion attira aupres cle lui ua grand nombre d'esclaves fugitifs , de petit peuple et de mecontens ; car il n'en manque jamais dans un etat , quelque doux que soit le gouvernement. Jamais anncie no fut moins & craindre en apparence : mais iln'v en cut peut-dtre jamais de plus rcdoutable dans la maniere de faire la guerre. Un premier succes qu'ils reinporterent sur les habitans de Capoue, qui etaient sortis pour les combattre clans leur fuite , et dont Spartacus lit ungrand carnage , montra a tout 1'univers que les talens et les belles qualites de l'ame sont moins l'apanage de la condition , que de l'humanite bien cultivee et bien conuuite.

La rer.ommee de ce premier succes grossit sa troupe qui prit pour devise , Liberte. Home meprisa d'abord cette troupe de bandits , et se contenta d'envoyer contre eux quelques troupes sous la conduite de Claudius-Pulcher. Elle aurait cru se deshonoror , si elle avait fait marcher ses legions contre un brigand. Ce mepris devint funeste a la republique : Home apprit k ses dcpens qu'en fait de guerre et de sedition , ilne faut rien negliger dans les premiers commencemens , qui nemanquont guere de se fortifier , lorsqu'on les neglige. Spartacus avec sa troupe se saisit du niont Vesuve pour en faire sa place d'armes , et pour avoir un asile assure au besoin. Le general Romain cainpe au pied .de la montagne ,se saisit cle la seule route qui y conduit et la garde avec soin. Son & desseifl

R O M A IN E. Liv. Fill. 361 clessein ofait: d'affamer ies revoltes el: da les prendre tous prisonniers , sans coup ferir ; ilne savait pas a qui ilavait affaire. Spartacus , homine de tete et de courage, ne fut point alarme de la manoeuvre de Claudius ; ce fut pour lui une occasion de montrer son habilete et sa bravoure. Par le moyend'un grand nombre d'echelles faites de ceps de vigne sauvage , il fait dc-scendre ses soldats a travers les preci¬ pices et les rochers , et gagne la plaine. Ce ne fut pas assez pour le heros naissant de s'etre degage du peril , il voulut couronner son evasion par une victoire com¬ plete. Sur le champ il va attaquer les Romains qui gardaient la route du mont

Vesuve , les defait , les met en fuite , et se rend maitrede leur camp , ouiltrouva des armes et des vivres en abondance. Lepreteur eut bien de lapeinea s'e'chapper lui-m&me. Et peu s'en fallut que, par une fortune contraire a celle de Spartacus., de general d'armee ilne devint prisonnier, esclave et gladiateur.

Ces heureux commencemens des fails An. M.d'armes de Spartacus furent comme un5~ÿ5,j c signal de revolte dans toute 1'ltalie.Leses- 69. claves brisaient leurs chaines et les portes An. Kr des prisons oh ils etaient renfermes , pour 68°' se rendre dans le camp du heros naissantj les bergers abandonriaient leurs troupeaux, les laboureurs leurs charrues , et les mecontens desertaient les villes pour grossir son armee. Bientot il se vit & !a tete de soixante et dix jttttJie hoiUHies. C'est aiusi Tome IF* Q

II I S T O 1 R E

f|u * co Thrace , ce barbare , d" voleur , fl" -obl.it stigendiaire ,d'esclave et de gla* diatenr, devint chef d'une armee formida¬ ble. Homo commenga alors a ouvrir les veux. Elle comprit que ce qu'olle n'avait rogarde que comme itn brigandage , dever nait une guerre trcs-serieuse ,qui demandait touto son attention. Les consuls rcgurent ordrc du senat de sortir de Rome chacim avec une bonne armee , et" de marcher centre ce nouvel ennenii. Cependant ies troupes de Spartacus queleurssucos avaient reiulucs insolentes et cruelleSj faisaient le ravage de toute la Campanie. Par-tout oil elles passaient ,elles laissaient df>- traces afireuses do leur cruaute ct de leur brigandage ,chacun des esclaves vou* lant so vcnger on de ses maitres , ou de ses ennemis. Le feu emportait tout ce qui avait echappe au for et a leuravide cruaute. 'Les consuls ne pouvaient s'imaginer ou'un aventurier tel que Spartacus,a la Kite f.I'une troupe d'osclaves , os.1t soutenir la presence des legions Romaines. De la pro? vint leur negligence7 et lepeu d'ordre qu'ils lirent observer dans i'armee. Spartacus general actif et habile , s'apercevant du meprisque les consuls faisaient delui ,TnP': ii profit lenr negligence ,pour le succes de ses armes. 11etablit son camp dans un poste avantageux, comme aurait fait un general consomme dans le metier de la guerre par une longue experience. Le succes du com¬ bat repondita des precautions si sages ;!eS deux consuls furent battus et mis en fuite?

":m

R o m a i n E. Liv. Fill. 362

Les generaux Romains ,outres do depit et converts de la honte que leur causait leur defaite , rallient leurs troupes dans la marche d'Ancone ,les menent une second© fois aux ennemis , et livrent un nouveau combat.Le succes n'en fut pasplus heureux pour eux. La victoire se declara encoro pour le chef des revokes ; les Romains essuyerent une seconde defaite aussi desavantageuse que honteuse. Le vainqueur, ]>our honorer les funerailles de Crixus , 1un de ses lieutenans ,qui etait peri dans une batailie qu'il avait livree contre ses ordres , immola a ses mbms trois cents prisonniers Romains , qu'il fit combattre autour du bucher du general dont on brulait le corps. Cette ceremonie dut ddplaire extrdmement aux Romains. C'eut ete pour eux une logon bien utile ,si ce cruel traitement leur avait appris a ne plus se jouer du sang humain et a le respecter plus qu'ils lie faisaient. IIfit tuer tous les prisonniers, et ce fut chez lui une maxime inviolable, dont ilne se departit jamais, de n'admettre aucun transfuge dans ses troupes. Cette double victoire de Spartacus sur Dessoin les deux consuls, fit undouble effet ,mais kaidi tfj bien different l'un de 1'autre;a Rome,elle V repandit l'alarme et la consternation, etSgZo. elle fit naitre la joie et l'alegresse au cceur 6-8AvJ'C* de tous les esciaves d'Tfalie , qui vinrent a». R, en foule de tous cotes grossir l'armee du£8i. nouveau guerrier. Son armee montait alors a cent vingt mille homines. Le nouveau heros se voyant a la tete d'une armee si

f/ i II I 5 T O IK F. formidable ,ose former le grand et hardi dcssein d'allcr altaquer Rome.Jamais cetle capitalo du moiule n'avait etc ni plus hi.milice ni plus constornee. Un Thrace, tm vil esclavc ,un gladiateur ,surpassait la gloire des generaux Romains , bravait les vainqucurs du monde, et formait des entreprises que le grand et fameux Annibal n'avait ose former apres la bataille de Cannes. Le bruit de sa marche jeta une si grande terreur dans Rome , que lors dc la tenue des grands cornices il ne se prcs- ntait personne pour briguer les char¬ ges. Chacun craignait d'etre charge du soin ci'une guerre oil ily avait peu d'honneur & acqucrir et beaucoup & perdre. Crassus, egal nient illuslre par sa noblesse et par ses riches es ,et plus encore par sa capacile et par sa bravoure, dont ilavait donne des preuves dans la guerre civile de Sylla, eut a sez de courage pour demander la preture , et pour se charger de la conduite de cette guerre.

Ccpcndant on etait revenu a Rome de l'alarmc qu'avait causee le bruit de la marche do Spartacus. Ce general , apres avoir reflechi sur l'importance et la difficulte dc l'entreprise, y renonÿa ,et delivra Rome d*une grande crainte. Le senat donna ordre a Crassus de faire les preparatifs de la guerre ,et de marcher sans differer C ss5n?est centre le chef des rebelles. Ce changement li'tow-;- fv- general en fit un sur les cceurs et sur cic cctts lesprit des Romains, et bientot il en fera, |upuc. unautre daus lafortune. Laconfiance quon

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avait a Rome en l'habilete cle Crassup releva le courage , et donna de l'empressement a la noblesse pour le suivre dans son expedition. Le peuple courut en foule donner son norn pour aller servir sous las etendards du nouveau general. Crassus sortit de Rome a la t£te de six legions , qui ,jointes a deux qui etaient restees des dernieres defaites, composaient une armee terrible ,et pour le nombreetpourlaforce. Le general Romain ,en habile capitaine , et qui sait que la discipline est le nerf le plus fort et le plus puissant d'une armee , comirtenga par la retablir , et a faire un exemple de severite absolument necessaire parmi des troupes indisciplinees , et perdues par la mollesse et le luxe. IIfit decimer les le'gions, qui , dans un combat qu'un officier subalterne avait livre' aux ennemis , contre ses ordres, avaient pris hontcusement lafuite et perduleurs armes. Cet exempl'e de severite retabit le bon ordre ,remit en vigueur la discipline militaire , apprit au soldat k craindre autant et plus son general que le fer de 1'ennemi, et lui inspira le courage de vaincre ou de mourir. En effet , ils ne tarderent pas a couvrir la honte des precedentes defaites, par des avantages considerables sur ces brigands , qu'on rougissait d'appeler du nom d'ennemis. D'abord ce fut un corps de clix mille esclaves qu'ils taillerent en pieces. Ce succes fut le prelude d'une vie- n bsr toire complete qu'ils remporterent peu de Spaitacus. temps apres sur Spartacus lui-meme.

H is t o i r e

Ce chef de rcbclles ,epouvantc' pour la premiere fois , scntait que tot ou tard ii echcuerait dans son entreprise , et qu'il succom'oerait enfin sous le poids dc la puis¬ sance Romaine. Avec les debris de sa defaite , ii gague la mer , dans le dessein de transporter laguerre en Sicile. IIn'ignoxait pas que cette ile avail etc plus d une fois le theatre de la guerre des esclavcs. II esperait que sa presence ralluitmraif un feu mal eteint ,et ferait revolter les mecontens du pays. Le projet etait tres-bic-n concerto; mais comme il n'avait pointde marine ni aucun vaisseau de trans¬ port , il lui fut impossible de l'executerÿ Crassus ne fut pas Ja dupe de Spartacus. II penetra son dessein , et se mit a sa suite, pour en traverser l'execution. II1# pressa de si pros, qu'il l'accula contrc le9 Lords dc lamer et l'investit dans son camp. tQuand le gladiateur se vit ainsi enferme , dcsliiue de vivres ,et dans l'impossibilitd d'en avoir d'ailleurs ,iltenta plusieurs fois, mais inutilement , de franchir les ligncs quo les Romains luiopposaient.Enfm,une derniere tentative fut plusheureuse.IIforÿa ia barriere , et se retira avec son armee du cote de Brindes. Crassus , outre de dcpit de 1evasion de sa proie , se mit a sa poursuito ; et comme les deux generaux avaient un egal interet d'en venir a une action decisive, Spartacus , pour eviter la rencontre de Varron-Luculle , qui venait tout recemmcnt d'arriver de Macedoine a lirindes ,et Crassus ,dans la crainte q*-;a

R O M A IN E. Liv. VIII. 367

Pompce, qui revenait d'Espagne, ne luienlevat la gloire de terminer cette guerre , ils resolurent tons les deux , comme de concert , d'en venir a un combat general et decisif.

La bataille se donna. Spartacus y sou- T remportintaclmirablement bien le personnage d'un te sur ,1"i i , , , v . J v & line victoiJieros. Determine a vamcre ou a mourir ,ie signafee ilsut inspirer aux siens lamÿme resolution, etdecisive. IIdeploya dans cette occasion toute son Iiabilete et toute son adresse. Le premier choc fut extrdmement vif. La victoire fut long-temps disputee , paraissant pourtant incliner pour le chef des gladiateurs. Deja ilavail: gagne du terrain sur Grasses , et voyait les legions Romanies reculer defant lui. Emporte un pen trap par sa bravoure , tuant et moissonnant tout ce qui s'opposait a lui,il regut une blessure. Le lieros se sentant blesse dangereusement , rappelle tout ce qu'il a de force et de valeur , se met a terre sur un genou ,et dans Cette attitude ,ilse defend avec un cou¬ rage Iieroique , jusqu'a ce qu'enfin, perce de coups ,il tomba mort sur un moriceau, ou des Romains qu'il avait immoles a sa fureur ,Ou de ses propressoldats quietaient morts glorieusement en defendant leur general. La rnort de Spartacus fut comme Mort de le signal d'une fuite ouverte. Ses troupes Si:,ilacuise debahderent de tous cotes. II en perit dans Taction quarante mille , qui joncherent le champ de bataille. Ceux qui echapperent au fer du vainqueur , trouverent la mort qu'ils fuyaient ,ou dans les supplrces

Histoire

qu'on leur fit souffrir , ou dans l'epee des soldats victorieux qui les poursuivaient. Six inille prisonniers furont mis en croix &ur la grande route de Capoue A Rome. Ainsi peritce chef des gladiateurs ,d'une mort glorieuse et digne d'etre enviee des Fin<?e ret- plus faineux generaux. Spartacus en avait tegctxre. tous les talens et tout le merite. II serait A souhaiter, pour la perfection de sa gloire, qu'il cut etc a la tetc d'une meilleure cause cjue celle pour laquelle ilest mort. Ses ta¬ lens lirent l'admiration et l'etonnement des Romains. lis disaient qu'A sa formation ii y avait eu erreur j que la nature , croyant meltre l'ame de ce htiros dans le corps d'un hommo libre et de condition , l'avait mise par rnegarde dans le corps d'un esclave : pensee qui a plus de brillant que de vrai. Les grands talens sent de tous les temps ,de tous les etats, de tous lespays , et de toutes les conditions ;et si on ne les voit pas briller aussi communement dans les gens de basse condition comme dans les autres , e'est faute de soins et de cul¬ ture. La condition meprisable des ennemis fut cause que Crassus nc put rentier triomphant dans Rome. On lui accorda I'ovation,avec la permission de porterdans la ceremonie la couronne de laurier consacree au triomphe, en la place d'une de mirlhe destinee A I'ovation. Ainsi fut terminee cette guerre par la capacite de Cras¬ sus, qui, malgrel'envie et la bassejalousie de Pompee ,est reste en possession de cet lionneur.Le vainqueur de Sertorius enviait

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encore le litre do vainqueur de Spartacus, a la defaite duquel il n'avait contribue que par la destination que le peuple avait faite de lui pour la terminer. II est vrai cju'a son retour d'Espagne il debt et tailla en pieces un reste des fugitifs. Cela est-il comparable a la defaite entiere de 1'armJe et du chef des esclaves ? Et peut-on , sur un si mince et si leger appui , fonder des pretentions a la gloire d'avoir mis fin a cette guerre? C'est ce que fit Pompee, par une sotte vanite , qui, a mon sens , le deshonore autant que la plus glorieuse victoire etle triomphe le plus brillant a pu l'honorer.

Fin du Tome quatrieme.

*

Zjo

T A B L E

DU QUATR1EME VOLUME

DE L HISTOIRE

R O M A IN E.

LIVRE HUITIEME.

HISTO IRE DE ROME depuis la mine de Cnrlhnge jusqn'a la bataille d'Actium inclusivement.

HUITllME £ P O Q UE , Qui renferme Vespace de 116 ans.

I. Ambition de Rome,pag. 1.Differentes pertes des Rom,ains en Espagne , 3. Crnautc ct avarice des generaux Remains, 4. Origine de f'iriathe, b. Ses exploits, 6. // defait le pretevr Vetilius , J. Son qvesteur ,ibid.Lepreteur Plautius,ibid. Fabius- Maximos Emilien est envoyIen Espagne, 8. Sagesse de Fabius, 9. 1/

TABLE. 3/r est releve par Servilianus , lo. Viriathe remporte sur lui une grande victoire ,ibid, Succes de Fabius-Maximus Emilien ,11, II est battu par Viriathe , ibid. Traite de paix entr'eux , 12. Coepion rompt la paix avec Viriathe , x3. Viriathe lui de¬ mands la paix, 14. Coepion le fait tuer par ses propres cfficiers , ibid. Eloge de Iiriathe ,16. Tantale suecede a Viriathe, 18. Fin de la guerre de Viriathe ,ibid, Guerre de Numance , 19. Mauvaise foi de Pompee , 2q. Origine de la maison de Pompee , 21. Mauvais succes des Re¬ mains en Espagne , ibid. Exemples de severite , 22. Continuation de la guerre d'Espagne , 26. Scipion consul ,ibid. II part pour 1'Espagne , 27. II retailit la discipline parmi les troupes , ibicl. II investit la ville de Numance , 28. La famine sefait sentir dans Numance, 29, Scipion refuse la paix aux Numantins , ibid. Guerre des esclaves en Sicile , 3i. flefaite de quatre preteurs , 32. Avaiitages du consul Calpumius , 33. Succes du consul Rupilius , 34- Fa d-e cette guerre, ibid. Guerre d'Asie , 35. Aristonic monte sur le trone de Pergame , 36. Rome lui declare la guerre , ibid, IIdefait le consulLicinius, 3j. Le consul Perpenna le defait lui-vieme et le fait prisonnler ,38. Fin de cette guerre,ibid. Mart dlAristonic ,3g. Reflexion sur Ietat de la republique ,ibid. 5. II.Histoire ties Gracques,leur origine, 42» * ÿ

Soins que prend de Icur education Cornelie leur mire , 43. Talens et qualites des Gracques , 44- Manage de Tibere , 46. 11 est fait questeur , et sert en, Espagne , ibid. II abandonne la faction des nobles et epouse celle du peuple, 46. IIest fait tribun , ibid. IIentreprend de faire revivre la loi agraire ,47- Modiration de la loi de Tibere , 48. Soulevement des grands etdes riches ,49. Retenue admirable de Tibere , 5o. 11 parle au peuple , 5i. Succes de son discours , 52. Artifice des patriciens , ibid. Tibere se prete aux voies d'accommodement ,53. Le senat met un tribun dans ses interets, ib. Octavius forme opposition a la loi de Gracchus ,64. Gracchus tente de ramener Octavius ,65. 11 propose au peuple de le deposer , ibid. Deposition d'Octavius, bj. Commission pour le partage des terres , ibid. Animosite des grands et des riches contre Tibere , 58. Nouvelles lois de Tibere , 69. Troubles d ce sujet et a celui de Velection des tribuns , 60. Conspiration contre Gracchus,do/it ilest averti , 62. IIest tue , 64. Reflexion sur la conduite des Gracques,65. J. III. Suite de I'histoire des Gracques , 68. Mouvemens du peuple en faveur de Gracchus ,ibid. Le senat consent a Vexecution de la loi Licinia , 69. Napca est exile , ibid. Retraite de Caius Grac¬ chus, 70. IIsort de sa retraite , ibid. H est fait questeur ,71. Services important

TABLE. 3

qiiil rend a I'armee , ibid. 11revient a Rome , 73. 11 est accuse devant les ccnseurs ,* ibid. II est absous , 74. II demande le tribunat et I'obtient , 76. debut dans le tribunat ,76. Lo/s de Cams, 77. II est continue dans sa charge , 78. IIote au senat I'administration de la jus¬ tice , 79. Le senat cherche des moyens pour borner la puissance du tribun , 81. IImet dans ses interets le tribun LiviusJDrusus , ibid. Scipion s'oppose a I'execution des lois des Cracques , 83. Haine du peuple centre Scipion ,8b. IIest trouve mart dans son lit , 86. Soupgons sur cette mart , ibid. Eloge de Scipion , 87. Etablissement d'une colonic Romaine a Car¬ thage ,89. Cuius est charge de cette com¬ mission , ibid. IIrevient a Rome , go. II est exclu du tribunat , ibid. Entreprise inouie du nouveau consul , ibid. Meur'cre du licteur Antyllius , 02. Cuius en est fdche , ibid. -Conduite du senat au sujet d'Antyllius , ibid. Le consul se resout a decider la querelle par la voie des amies, 93. IIrefuse d\>center les propositions de paix , 9b. II marche centre Fulvius et Ca'ius ,ibid. Mart de Fulvius et dc Cuius, 96. Cruaute du consul ,97. Honneurs rendus aux Gracques ,98. Lois des Gracques abroge.es,ibid. Usurpations des grands,99. Eloge des Gracques , 100. Exil d'Opimius , xoi. Retraite de Cornelie , 102. Cruelle peste en Afrique , 104. Conquete de la Dalmatie et des lies Balcares ,ibid. Conquete des Romains dans la Gaule

Transalpine , ibid. Corruption dies matir6 a Rome , 100. Trente-deux senateurs de¬ grades , ibid. Punition de trois vestales , ibid.

5- IV. Guerre de Nnmidie , 11f. Origine de Jugurtha , 112. Ancctres de Jugurtha , ibid. Gala ct Masinissa son fils , ibid. Jeunessede Masinissa, 113. Variete de lafortune ,ibid. Succes de 1Masinissa, ibid. Ses disgraces i lib. 11 va joindre Scipion au siege d'Utique , l2o. 11recouvre son royaume , 121. Ses prosperities , ibid. Scipion console et recompense.Masi¬ nissa , 122. Scipion partage la succession de Masinissa , 12b. Micipsa , 126. Jeu¬ nesse de Jugurtha , ibid. 11 sert en Espagne au siege de Numance , 128. 11 se fait vne grande reputation , ibid. IIretourne en Afrique , ibid. Micipsa Vadopte pour son fils , 12&. Alnrt de Micipsa , i3o. Jugurtha se defait de Hiempsal , ibid. 11 hat Adherbal , et le detrSne , i3i.11met le senat dans ses interets , i32. Decretdusinat , ibid. Collusion d'Opimius et de ses collogues , 133. Jugurthafait de nouveau la guerre a Adherbal , ibid. 11 le defait dans une bataille , 134. 11I'assiege dans Cyrtha , ibid. 11 corrompt les deputes du senat , 135. 11presse le siege de Cyrtha , i36. Adherbal emploie le secours de Rome , ibid. Deputation du senat en Afri¬ que , 7 37. Jugurtha corrompt les depu¬ tes ,138. 11reduit la ville de Cyrtha,ibidMort cruelle d'Adherbal , 189. "V. On declare Ia,guerrea. Jugurtha , i4r»

TABLE, 375

Catpurnius en est charge 142. Ses ex¬ ploits , ibid. IIse laissc corrompre , 143. Indignation publique centre Calpurnius , 144- Discours du tri'oun Memmius , 146, Succes de ce discours , 147. Cassius est charge dialler en Afrique , ibid. IIamene Jugurtha d Rome , 148. Ce prince gagne uii tribun ,ibic!. Celui-ci sauve Jugurtha , ibid.Jugurthafaitassassiner Massiva,149. 11regoit ordre de sortir d.e Rome, 15o. ha guerre recommence,ibid, Alhinus estchar¬ ge de cette expedition , I5l.Aulus son fr'ere lui succede ,ibid. Ses entreprises ,ib. Sa defaite , i63. Paix ignominieu.se,164, Lesenat casse le traite d'Aulas ,ibid. Metellus , charge de la guerre de Numidie , 165. Jugurtha propose de se rendre , 166. Artifice du consul , ibid. Joie a Rome , 167. Bomilcar persuade au roi de se livrer au general Romain ,168. Jugur¬ tha livre son argent , ibid. 11refuse de se livrer lui-meme , 169. 11recommence la guerre , ibid. Massacre de la garrison Romaine a Vacca , 160. Turpilius ,com¬ mandant ,sauve ducarnage , ibid. Marius se rend, son accuSateur , 161. 11 est condamne a mort ,ibid. Vues de Marius ,ib, Ses belles qualites , 162. Intrigue de Ma¬ rius ,ibid. Succes de ses intrigues , i63. Metellus lui refuse un conge , 164. U le lui accorde , i65. Marius estfait consul , ibid. Conspirationde Bomilcarpunie,166. Metellus recommence la guerre , ibid. II bat Jugurtha , 167- B faJ B siege de Thaia , el la prend d'assaut , ibid. Ju-

37<5 TABLE. gurthaforme aux armesles Getules , 168. Mehellusapprendson rappel, 169. Soncha¬ grin ,ibid. Discours de Marius , 170. Sac¬ res du discours de Marius , 172. Triomphe de Mztellus , 178. Exploits de Mariusen Numidie , 174. IIreqoit un echec , iyb.II prend sa revanche avec avantage , ibid. 11 hat une seconde fois les deux rois , 176. Bacchus abandcnne Jugurtha , 177. 11demande la paix aux Remains , 178. Con¬ ditions auxquclles Rome laluiaccorde ,ib. Bocchus livre Jugurtha , 179. Marius est nomme consul pour la secondefois , 180.11 retovrne a Rome ,oil ilentre en triomphe , 181. Fin de Jugurtha , ibid.

5. V I. Guerre centre Its Cimbres 182. Premiere victoire des Cimbres sur les Re¬ mains ,183. Seconde victoire , 184- Troisieme victoire , ibid. Quatrieme victoire , ibid. Origins de Marius , 187. Idee du caractire de Marius , 189. Ses mauvaises qualitis , ibid. Ses talens ,ibid. Marius , consul pour la troisieme et quatriemefois , 190. II est charge de la guerre centre les Cimbres,191. Marius remporte deux grandes victoires sur lesennemis ,192. Marius, consul pour la cinquihne fois , 19b. Victoire de Marius sur les Cimbres , 19"' Courage et vertu desfannies Cimbres, Joie a Rome , 199. Triomphe de Marius, ibid. Titre gtorieux dont le peuple decere Marius , ibid. Parricide de Publius-Mal¬ leolus , 2oo. Sa punition , ibid. Guerre des esclaves en Sicile , 2oi. Progres des revokes , 202. Luculle remporte sur eux

table. 377 line victvire signalee , ibid. II neglige cette guerre , 2o3. Servilius son successeur est battu , ibid. Le consul Aquilius terniine cette guerre , 204. Suites des brigues et aventures de Marius ,2o5. Saturnin , son caractere ,ibid. Sedition de Saturnin,2o6. Alarius , Saturnin et Glaucia font exiler Aletellus , 208. Marius abandonne Saturnin , 2 10. On sollicite le rap- pel de Aletellus ,2i3. Sonretour a Rome, 214. Alarius fait un voyage en Asie ,ibid, Entrevue de ce Remainavec le roi de Font, 216. Decadence des mceurs desRemains,ib, Vertu condamnee,216. Viceprotege ,217, §. Vlf. Guerre sociale , 219. Origine de cette guerre , 22o. Tribunat de LuviusDrusuS , 221. Ses lois , 222. Sa mort , 224. Soulevement des allies , 22b. Alassacre du proconsul Servilius, d Ascoli , 226. Les peuples entrent en campagne , 227. Succes des allies , 228. Cons¬ ternation a Rcrne .ibid. Exploits ds Sylla dans cette guerre , 23i. Affaiblissement de la ligue , 233. Mort et eloge de Pompedius , general de la ligue , ibid. Assassinat du preteur Asellio , 234- Sylla demande le consulat , 236. Origine de Sylla , 236. Idee de son caractere , de ses bonnes et mauvaises qualites , 287* Son service militaire , 289. Source des dissentions entre luiet Alarius ,2/+o. Sylla est charge du soin de la guerre contre Mithridate , 242. Alarius entreprend de lafaire revoquer,243. IIengage Sulpicius dans ses interits ,ibid. Sedition de Syl*

37s T A B L E.

pictus , 2if4. 5v//a aband.onne.le siege de Note , coi/rZ: uu secours de sa pa'crie , 245. Sulpicius le force de sortir de Ro77ie , 246. II le depouille du commandement de I'armee en Orient , ibid. Sylla. retourne a Rome ,a la tete de son armee, 247- IIy en.tre amain armee , 2bo. Sylla. vainqueur de Alarius , ibid. Moderation de Sylla , 251. Lois de Sylla , ibicl. Vengeance de Sylla , 254- Proscription de Alarius , ibid. Tristes aventures de Alarius , 255. Gouvernement sage et modere de Sylla , 261. Cinna consul, 262. Sedition de Cinna ,263. IIest chas'sji de Rome , 264. Degrade du consulate ib. IImet dans ses interets une armee Ptomaine et les allies , 265. U rappelle Alerius ,ib. Cinna et Alarius marchent contre Rome , et en font le siege , 266. Mort de Pompee , 267. Le senat entre en negociation avec Cinna et Alarius, 268. Entree de Cinna et de Alarius dans Rome, 2Jl. Leurs cruautes , 272. Septieme consulat de Marius , 275. Inquietudes de Alarius , ibid. Sa mort,2"6.Idee qu'on doit se former de Alarius, ibid.Ressentiment de Sylla, 277* §. ViII. Guerre contre Mithridate , 279. Origine de Alithridate , 280. Idee et caractere de ce prince , ibid. Ses exploits , 28r. Imprudence d'Aquilius , 282. Vietoires de Alithridate sur les Romains,28j. Rome declare la guerre au roi de Pont , 285. Massacre des Romains en Asie ,ibid. Depart dc Sylla pour VOrient , 288. H fait le siege d'Athenes ,ibid. IIIn prend

T A B L E. $79

dfassaut , 289. // r(?/;</ mattre duPyrce et le bride,290. IIremporte deux grandes victoires , ibid. IIaccords la paix a Mithridate ,291.// ?zz,?t A'litkridaie ensurets centre Fimbria. 294. Abrigc de la vie de Fimbria ,295. Betour de Sylla en Italie, 297. Lettre de Sylla au senat , 298. De¬ putation du senat a Sylla , 299. Aforfc de China , 3oo. Reponse de Sylla au se¬ nat , ibid. IIarrive en Italie , 3oi. A/oderatipn de Sylla ,3o2. IIdebauche Varmee du consul Scipion , 3o3. Massacre'd'u11 grand nombre de senateurs , par ordre du jeune Marius , 3o6. Bataille de Sacriport , ibid. Siege de Preneste,307. Te/ztative de Telesinus sur Rome , 809. Etataille sous les murailles de Rome , 311. Telesinus est vaincu et tue ,3i3. Afort rfzt jeune Marius , ibid. Sylla prend le surnom d'heureux , 314* Recit de$ cruautcs de Sylla ,316. Arret de proscription,318. Sylla , dictatenr perpetuel , 321. Usage que Sylla fait de la dictature ,324- Lozir He Sylla , 326. // remplace les senateurs morts ,326. IIreunit le consulat a la dic¬ tature , 827. IIabdique la dictature, 828. Moderation de Sylla ,33o. Vie privee de Sylla ,ibid. Sa mort ,331.Ses obseques , 332. Son epitaphe , 333. IX. Sedition de Lepidus, 335. IImet sur pieduna nombreusearmee ,337- R marche contra Rome ,ibid. Bataille entre Lepidus et les generaux de la republique , ibid, Lepidusest vaincu en deux batailles , 338, jSiz mort , ibid. Fin de la guerre civile det

38o T A B L E.

Lcpidus , 339. Guerre de Sertorius en Espagne , 34o. Abrege de sa vie , 34l. Ses belles qualites , ibid. Ses aveniures , 342. Sesexploits ,343. Sylla envoie contre lui Metellus-Pius , 345. Pompee va en Espague par ordre du senat , 345. Les troupes de Perpenna vont se joindre d Ser¬ torius ,347- Pompee debute malen Espa¬ gue , 348. Succes de Sertorius , ibid. Bataille sur le Sucron , ibid. Bataille de Segontia , 36o. Pompee fait le siege de Palentia , 352. Sertorius I'oblige d'abandonner son entreprise , ibid. Ambassade de Mithridate d Sertorius , 353. Reponse de Sertorius aux ambassadeurs , 354- Ttf traite est conclu et ratijie , 355. Sertorius est assassins ,ibid. Perpenna son assassin usurpe sa place , 35o. 11 est defait et puni de mart , ibid. Sagesse de Pompee, 3by. Eloge de Sertorius , ibid. Guerre de Spartacus , 35g. Exploits de Spartacus, ibid. Dessein hardi de Spartacus , 363. Crassus est charge de la conduite de cette guerre , 36.+. 11 bat Spartacus , 365. 11 remvorte sur lui une victoire signalee et decisive , 367. Mart de Spartacus , ibid. Fin de cette guerre , 368.

Fin de 1ÿ Table du Tome IV.

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