Série du Portail Trois premiers Tomes

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S茅rie du Portail Compilation des trois premiers Tomes

Les Colombes du Portail Un Portail plus Loin Les Clones du Portail Ovni, dit Bro Ao没t 2007 2


Œuvre dédiée à tous ceux qui rêvent de concevoir et de préparer un monde paisible pour leurs descendants.

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Les Colombes du Portail. Préface Ce livre est avant tout un livre d‟anticipation couvrant les domaines de la politique, de l‟écologie, et de la neurobiologie. Le fondement de cette réflexion, sur l‟évolution probable de l‟espèce humaine, est intimement lié au constat navrant que l‟on peut faire, en ce début de troisième millénaire, de la situation géopolitique et économique de la planète Terre. L‟épuisement des ressources naturelles et l‟évolution démographique et sociale des populations entraîneront, à très court terme, des émigrations massives de centaines de millions de personnes et des guerres, que l‟on pourra qualifier de guerres d‟extermination, uniquement dans le but de s‟approprier ce qui reste disponible, pour satisfaire les exigences égoïstes de quelques pays minoritaires de nantis, jamais rassasiés. Du fait que le roman couvre une période d‟environ cinquante années, le style est assez proche d‟un carnet d‟aventures, très direct et sans fioritures. Comme il n‟y a pas de temps à perdre, il leur faut donc aller droit au but, et ce groupe d‟hommes et de femmes, qui souhaitent calmer le jeu en employant des moyens nouveaux, s‟est juré de réussir son projet. Ils mettront en péril leurs vies pour y parvenir, dans le plus grand secret de leur laboratoire himalayen.

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Sommaire LES COLOMBES DU PORTAIL. TOPLA

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T POUR TERA

11

O POUR OVNI

13

P POUR PYCO

15

L POUR LABO

16

A COMME ALOA

18

TOPLAB

20

Le Portail

30

TOPLAB, SALLE DE REUNION, JOUR 1.

30

TOPLAB, SALLE DE REUNION, JOUR 15.

46

TOPLAB, SALLE DE REUNION, JOUR 17.

48

SUR LE FIL DU RASOIR

49

LE RETOUR DE L’ENFANT PRODIGUE

53

ALORS…, RACONTE-NOUS

54

INTERPRETATION DE GROUPE.

57

NIVEAU QUATRE

65

INTERPRETATION DU NIVEAU 4

72

A DEUX, C’EST MIEUX

77

SALLE D’ENVOL, VINGT-DEUX HEURES

78

NE PIETINEZ PAS LES LIMBES !

84

ÂMES SENSIBLES, S’ABSTENIR.

84

LA LUNETTE A NEUTRINOS

93

SOMMEIL PROFOND

95

Les Colombes du Portail

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MESSAGE AUX GRANDS DE CE MONDE

106

MOYENS A METTRE EN ŒUVRE

109

NOTE IMPORTANTE

109

LE GRAND JOUR

111 5


CROISIERE SURPRISE

114

SEPT SUR LES TALONS DES VINGT

117

MIGRATION DES COLOMBES.

118

ACTIONS FUTURES

120

CONCLUSION PROVISOIRE

121

Les Bonobos BONI ET NINA A L’ECOLE Les Scimuts

125 131

LE CONTACT

137

VISITE VIRTUELLE DE MIRA

146

MIRA DANS TOUT SA SPLENDEUR

148

MATHUSALEM

152

Démona

163

L’ONU

171

SVETLANA RISQUE TOUT

177

LA REPRESENTANTE OFFICIELLE DE TOPLA

184

Les bonobos deviennent des stars LE TEST NINA Et si Icare avait raison ?

187 192 197

NOVA (ILE D‟AMSTERDAM)

197

MINIHUMS, PREMIERE GENERATION

200

Testa (Tsingy de Bemeraha)

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123

209

REVEIL DOULOUREUX

211

EXPLICATIONS

215

CONTACT AVEC LES AUTOCHTONES.

218

LES ANCIENS ET LES MODERNES.

222

À SUIVRE

224

BIBLIOGRAPHIE TECHNIQUE :

224

OVNI, DIT BRO

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NOTES DE L‟AUTEUR

226

UN PORTAIL PLUS LOIN

230

LA MORT ET SES ETAPES

235

EXPERIENCE DE MORT IMMINENTE (EMI)

241

LA TRAME DIGITALE DE L‟ESPACE-TEMPS.

245

LA MEMORISATION EN TRANCHES.

251

COMMENT AIDER UNE AMIE DISPARUE ?

254

LA HAUTEUR DE VUE DU PROFESSEUR GAËL.

259

UN VOYAGE TRES RAPIDE VERS MIRA.

266

UN JEU D‟ENFER.

272

MIRA ET ARIA.

276

UNE PROMESSE A TENIR.

280

LE TEMPLE SACRE.

286

SIXIEME DIMENSION ?

292

OU SE TROUVE LE TEMPS ?

300

LA SYNCHRONISATION DES TROIS MEMOIRES.

303

UN TROU DE VER INFORMATIQUE.

308

PROBLEMES DE CONSCIENCE.

311

UN STATUT POUR MIRA ?

313

QUI EST LE MANIPULATEUR ?

318

PLANETES CONTAMINEES.

323

ÉTUDE DU TERRAIN DE MANŒUVRES.

330

EPURATION.

335

OU SE SONT CACHES LES « ENFANTS » ?

337

LE GOUFFRE.

342

PARLONS AUX « ENFANTS ».

346

LE CREATEUR.

352

EPILOGUE.

357

BIBLIOGRAPHIE :

360

OVNI, DIT BRO

361

NOTES DE L‟AUTEUR

362 7


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QUE S‟EST-IL PASSE ?

372

LA VERITE SORT DU PUITS.

377

DEFORMATION DES TRAMES

383

INTERCONNECTER LES DEUX JUMEAUX ?

389

LES AMES VIERGES.

393

ON AVANCE, ON AVANCE…

402

SURCHARGE DE TRAVAIL A TOPLAB.

408

ON APPROCHE DU BUT.

413

STANFORD UNIVERSITY

421

TERA ET MARINA

426

DEUX SEMAINES PLUS TARD…

433

EXPEDITION ANDINE.

439

LA POUDRE DU BONHEUR.

442

LES NARCOTRAFIQUANTS.

447

LA MENACE.

452

LA CUEILLETTE DU FRUIT DEFENDU.

457

ALERTE GENERALE.

460

FIN PROVISOIRE DU TOME 3

460

OVNI, DIT BRO

462


TOPLA Encore un nouveau groupe de rockers ? Pas vraiment, mais un groupe de cinq vieux amis aux cheveux laissés longs pour cacher quelques zones clairsemées. Trois gars et deux filles qui approchent les soixante-dix ans, dont cinquante-cinq ans ensemble ou presque, depuis le lycée jusqu‟à une retraite qui s‟avérera très active. Ils ont récemment décidé de continuer leur quête commune, leur chasse au trésor à eux, si souvent discutée et rendue désormais possible par l‟association de leurs compétences de scientifiques, ingénieurs et techniciens hors norme. Ils étaient enfin disponibles pour mettre en pratique leurs théories concernant les mystères de la naissance et de la mort, et leur relation éventuelle avec l‟au-delà. C’est leur histoire qui est relatée dans ce chapitre. Elle est nécessaire pour comprendre la nature de ce trésor qui sera précisée en fin de chapitre. Mais qui sont donc ces cinq échevelés ? Cela commence au lycée, au bord du lac, en 1955, à Enghien-les-Bains, alors qu‟ils se connurent dans la même classe de Première, section moderne, venant de classes de Seconde différentes et de lycées voisins pour deux d‟entre eux. À cette époque, les moyens de transport étaient rares, et comme ils habitaient tous très loin du lycée, ils étaient amenés à rester en classe de permanence pour leurs études du soir jusqu‟à dix-huit heures, pour attendre les trains les plus pratiques qui les ramèneraient dans leurs familles. Les scooters et les mobylettes étaient quasi inexistants, et leurs prix exorbitants pour les familles nombreuses des classes ouvrières et moyennes, dont leurs familles faisaient partie. 9


Le téléphone portable n‟était pas né, et le téléphone fixe n‟était présent que chez dix pour cent des familles urbaines et aisées, en général. Il n‟y avait que deux téléphones fixes au lycée, un chez le proviseur et l‟autre au poste de secours-gardiennage, des combinés qui étaient inaccessibles aux élèves. Ainsi, ils ne risquaient pas de perdre leur temps en bavardages idiots avec le reste du monde. Il n‟y avait pas de poste de télévision, ni de poste de radio FM pour se distraire ou s‟informer, ne serait-ce que de la météo vers 18 heures, pour aller à pied vers la gare ! Le fait d‟être ainsi, chacun « seul au monde », mais à cinq regroupés dans un même lieu, pour passer ce fameux temps « libre » de la fin d‟après-midi imposé par les transports, a favorisé la constitution progressive de ce groupe d‟amis. Ils faisaient partie des meilleurs vingt % de leurs classes de Seconde respectives, ce qui était classique dans la composition des classes de Première S à l‟époque. Chacun avait une matière préférée dans laquelle il excellait et s‟améliorait dans les autres matières au contact de ses quatre copains. Ils passèrent deux ans à Enghien pour obtenir leur Bac S avec plusieurs mentions TB et B, puis ils intégrèrent leurs classes de préparatoire dans deux lycées parisiens voisins, et bien entendu, ils sélectionnèrent un petit café tranquille situé à mi-chemin, où ils se retrouvaient régulièrement dans une arrière-salle qui accueillait leurs parties de bridge acharnées, parties parfois un peu bruyantes. Le patron, Auvergnat sympathique, disait que ça mettait un peu d‟ambiance jeune et gaie dans son établissement, et que ça faisait moins de bruit que les flippers et autres baby-foot qui garnissaient les bistros de la rue. Deux années de travail et de joie communicative se soldèrent par l‟intégration de quatre d‟entre eux dans l‟école supérieure choisie par chacun selon ses affinités.

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Malheureusement, le cinquième n‟avait pas pu obtenir de sursis militaire, et il intégra la Marine pendant trois ans, échappant ainsi à la guerre d‟Algérie et ses malheurs.

Mais qui sont-ils donc ? Chacun a hérité d’un surnom faisant référence à sa spécialité, surnom adopté collectivement au cours de séances bien arrosées à l’occasion de leurs résultats aux différents concours d’entrée aux Grandes Écoles. On utilisera exclusivement ce surnom par la suite. La première lettre de ces surnoms a été utilisée dans la formation du sigle TOPLA de notre groupe de rockers.

T pour Tera L‟une des deux nanas du groupe, superbe exemplaire féminin d‟origine vénézuélienne et catholique. Elle a fait une spécialisation en astrophysique aux US après Polytechnique, puis a intégré divers observatoires internationaux, le dernier étant le mieux placé pour l‟observation sur un sommet des Andes. Ses compétences exceptionnelles se traduisirent par des centaines d‟articles scientifiques et un Nobel bien mérité couronnant ses travaux sur le Big Bang et la théorie de l‟expansion de l‟Univers, mais surtout à ses découvertes majeures sur la « matière noire », cette fameuse matière « invisible » qui compose 99 % de la masse de l‟Univers. Selon les dernières estimations, l'Univers est constitué pour 65 % d'énergie noire, 30 % de matière noire, 4 % de nuages d'hydrogène et d’hélium, 0.5 % d'étoiles, 0.3 % de neutrinos et seulement 0.03 % d'éléments lourds (planètes). 11


Tora s‟est mariée en 1965 avec un roi du pétrole vénézuélien dont elle a eu trois enfants et deux petits-enfants, tous adultes à ce jour. Son mari fut victime d‟un accident d‟avion et depuis, elle vit seule et est « à la retraite » comme on dit, mais elle a obtenu l‟autorisation exceptionnelle d‟utiliser l‟observatoire andin autant qu‟elle le souhaiterait pendant dix ans, à partir de 2005. L’être humain est celui qui est le plus capable d’exprimer des sentiments, de l’émotion, de la joie, etc., mais nous sommes des scientifiques avant tout. Cela ne signifie pas que les sentiments et l’amour en particulier ne nous ont pas effleurés comme le commun des mortels, loin de là ! La règle commune consistait à ne pas draguer dans le groupe, qui aurait éclaté sinon. Tera a bien perçu quelques soupirs enamourés, mais elle a réglé intelligemment le probable écueil en nous présentant astucieusement ses copines. Mais pourquoi Tera, me direz-vous ? Dans notre monde de scientifiques, bourré de nombres astronomiquement grands ou petits, Tera symbolise mille milliards de l‟unité de mesure considérée : — Un disque dur d‟ordinateur d‟un téraoctet comprend 10^12 octets (mille fois 10^9 octets, soit mille Giga-octets, ou encore un million de Mégaoctets). — Un PC capable de un téraflop peut exécuter mille milliards d‟instructions en virgule flottante par seconde. Tera a été choisie pour la propension de notre amour de Vénézuélienne à parler en milliards d‟années-lumière et ce surnom lui va très bien.

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O pour Ovni

Bienvenue dans mon univers personnel puisque c‟est le surnom qui m‟a été alloué avec joyeuses acclamations par la bande des cinq. Comme on le découvrira progressivement, nos activités, nos origines géographiques, nos « tendances » spirituelles sont toutes différentes, au départ de cette histoire en tout cas. — Les origines géographiques et ethniques n‟ont jamais constitué de problèmes pour le groupe, leur diversité nous a au contraire aidés à évoluer, en augmentant la cohérence du groupe tourné vers un objectif commun. — Les tendances spirituelles liées à nos origines familiales ne se sont légèrement « bousculées » que pour mieux se fondre vers une conclusion commune au groupe, et j‟en ai été le maître d‟œuvre acharné, conscient des dangers. C‟est cet esprit très « terre-à-terre » qui m‟a valu le surnom d‟Ovni, par pure dérision. Une autre explication pour Ovni provient du fait que ma formation d‟ingénieur Supelec et mon parcours professionnel prévisible dans les biens d‟équipements industriels me projetteraient dans une activité très terre-à-terre avec les pieds dans la gadoue des grands chantiers technologiques à venir, à l‟opposé du confort des laboratoires. Encore une fois, Ovni par dérision. Allez, une troisième raison « pour la route » comme on dit dans les bistros, mais liée au spirituel cette fois ! Je suis français, d‟une famille de petits restaurateurs de la banlieue proche nord parisienne, une sorte de mélange auvergnat/alsacien/dunkerquois, le tout saupoudré d‟un catholicisme non pratiquant.

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Ovni est viscéralement attaché au développement du sens critique de tous les enfants dès le primaire (on en est encore bien loin avec notre système d‟éducation du type « donjon sectaire »). Il est très favorable à l‟autocritique intime personnelle (remplaçant efficacement les confessionnaux qui ne sont que d‟excellents lieux d‟apprentissage du mensonge). Ce sont les deux seuls moyens pour nous faire sortir de nos cavernes tribales que nous avons intégrées, dès que nous sommes descendus des arbres. Ovni par dérision encore, car tellement éloigné des nombreuses formes de « langage unique », formes qui traduisent si bien le cloisonnement spirituel, sociétal et politique de nos sociétés « modernes ». Inclassable, iconoclaste et empêcheur de tourner en rond, rien qu‟un emmerdeur cet Ovni-là. Ovni s‟est marié en 1961 à une jeune comptable dont il a eu trois enfants, qui cumulent cinq petits-enfants à ce jour. Électronique, électrotechnique, automatismes, systèmes informatisés d‟analyse, de contrôle et de commande de multiples processus industriels ont jalonné sa vie active. Centrales électriques nucléaires, raffineries, unités de production chimique et biologique l‟ont vu les pieds dans la gadoue, lors de leur construction et à différents niveaux de responsabilités. Ovni s‟est libéré de ce monde industrieux pour se spécialiser en informatique et mettre au point des simulateurs de biologie génétique, tout en participant aux programmes de PC zombies du Téléthon pour les recherches sur l‟ADN. Ovni reconnaît en souriant légèrement qu‟il est aussi devenu une sorte de pirate informatique qui fait travailler des milliers de PC zombies pour la bonne cause de ses recherches personnelles et celles du groupe. Ovni centralise dans deux gros serveurs, communs au groupe des cinq, toutes les études de TOPLA ainsi que tous les articles tiers nécessaires à une veille technologique adaptée à l‟objectif.

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Il rédige des synthèses chaque semaine à destination du groupe, car il se déplace beaucoup moins que les autres, handicap physique oblige.

P pour Pyco Un grand gaillard d‟origine juive d‟une famille francoalgérienne rapatriée en 1962 en France. Il est sorti de l‟École Supérieure d‟Optique de Paris, puis il a fait une spécialisation en Biologie génétique en Israël et aux US pour ensuite passer toute sa carrière professionnelle dans différents laboratoires internationaux à tous niveaux hiérarchiques et, comme Tera, il a écrit de très nombreux articles de très haut niveau, l‟ensemble chapeauté par un Nobel il y a deux ans. Comme il naviguait dans son monde microscopique et qu‟il nous abreuvait de nombres infiniment petits, il hérita naturellement du surnom de Pyco, terme désignant par exemple le picogramme, millionième partie du microgramme, ou encore milliardième partie du milligramme. Pyco est aussi un surnom par dérision, car le bonhomme mesure un mètre quatre-vingt-dix ! Il est resté célibataire, mais a toujours été très actif dans le domaine génétique « terre-à-terre » du commun des mortels, comme il se doit. Son Nobel a été célébré joyeusement par le groupe, il y a deux ans en Scandinavie et c‟est là-bas que nous avons précisé notre projet et sa programmation dans le temps. Ses nombreux contacts dans les domaines-clés tels que l‟optique microscopique électronique de pointe et la biologie génétique lui ont permis depuis de concevoir et d‟approvisionner les pièces maîtresses du futur laboratoire secret expérimental du groupe qu‟il devait naturellement animer. De la même façon qu‟Ovni était devenu un pirate informatique de talent pour la cause, il dérogea aux lois terrestres en faisant 15


fabriquer certains éléments de sa conception par des amis bien placés qu‟il a ainsi « corrompus » pour la bonne cause. Ce coquin s‟arrangea même pour que ces différents intervenants ne puissent reconstituer le concept global et il ne déposa aucun brevet pour être libre d‟agir, sans la pression du monde agité qui l‟environnait, pression qui faisait suite à son Nobel qui l‟avait sorti de l‟anonymat relatif qui précédait. Sa position spirituelle d‟origine avait très naturellement évolué, car il y a incompatibilité certaine entre la première côte d‟Adam et les jeunes mamans qu‟il avait assistées lors de leur accouchement. Certaines d‟entre elles avaient même à l‟insu de leur plein gré (expression truculente s‟il en est) laissé traîner quelques ovules qu‟il conservait précieusement comme un grand coquin qu‟il était !

L pour Labo Il s‟agit de notre marin.. Labo a, d‟une certaine façon, eu de la chance dans sa déveine universitaire, car il devint rapidement indispensable à ses supérieurs, étant reconnu comme l‟homme providence dès l‟instant qu‟un appareil quelconque venait à tomber en panne sur ces navires bourrés de pièces mécaniques, pneumatiques, électriques, électroniques, hydrauliques, voire atomiques. Il connaissait tout l‟appareillage comme le fond de sa poche, et est ainsi devenu LA Boîte à Outils, d‟où son surnom Labo, gentiment donné par le ministre des Armées de l‟époque. Il est resté dans la Marine, devenant progressivement un conseiller très prisé dans les départements de construction navale. Labo a été entraîné à tout connaître également des engins de l‟aéronavale, y compris les jets et les fusées. Il est devenu une sorte de pion essentiel que le ministre des Armées utilisait pour décloisonner les secteurs Aviation, Marine et Terrestre et les amener ce faisant à prendre des décisions de développement en commun qui se voulaient plus optimales. 16


Labo était comme un poisson dans l‟eau, passant d‟un « donjon » à l‟autre, car il était accepté pour la raison-clé qu‟il était partout un homme de terrain, comme on dit dans ces milieux milieux-là. Beaucoup des Polytechniciens de bureau tiraient leur chapeau devant l‟aisance d‟un Labo décidément fort charismatique. Son bronzage permanent de marin cachait opportunément ses origines franco-égyptiennes, qui lui avaient inculqué par ailleurs une culture musulmane modérée et peu pratiquante. Il était resté célibataire lui aussi, profitant cependant des nombreuses copines de Tera, à chaque fois que ses retours au port le lui permettaient. Heureux homme, à l‟aise partout et disponible à tout instant pour tous ceux qui avaient connaissance de sa débrouillardise innée. À l‟opposé d‟Ovni, qui pouvait passer éventuellement pour l‟emmerdeur de service tellement ses critiques étaient habilement argumentées, remettant en cause l‟ordre établi et les certitudes de chacun, Labo était le boute-en-train permanent, organisant et animant nos festivités communes, tout en restant attentif aux détresses cachées qui nous habitaient parfois à titre individuel. Ovni dénonçait sans hésiter les lacunes individuelles ou du groupe, mettant éventuellement le feu, là où il n‟y avait que de la matière inflammable au départ, et Labo prenait la relève tel un spécialiste de la maintenance et de la réparation des âmes, lui qui était surtout connu comme un super spécialiste des choses matérielles. Ovni avait souvent travaillé sur les mêmes chantiers que Labo. Ovni et Labo constituaient une fameuse paire, faite d‟oppositions comportementales apparentes, paire cependant scellée par une amitié sans réserve et une reconnaissance sans borne vis-à-vis de l‟autre, tant étaient nombreuses les occasions où ils s‟étaient mutuellement sauvés la vie ou tout simplement sauvé la face de l‟autre, l‟erreur étant humaine comme l‟on dit.

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A comme Aloa C‟est la deuxième femme du groupe, sans spécialité technique particulière allant au-delà d‟une très solide formation générale. Issue d‟une famille aisée des Indes, dont le père était ambassadeur en France, elle s‟est investie dans une très lourde charge que Dalaï-Lama lui avait confiée et qui consistait à voyager sans cesse pour étudier tous les peuples du monde, religions comprises. Elle était belle, comme la plupart des filles de l‟Inde, mais elle était de plus particulièrement belle « de l‟intérieur », tant elle était capable d‟analyser une situation relationnelle entre les êtres qui l‟approchaient et d‟apporter un remède terriblement efficace de sa douce voix légèrement chantante. Un ange troublant… Elle ne s‟imposait jamais à aucun d‟entre nous, mais nous savions tous qu‟elle répondrait à nos petits et grands bobos si on le lui demandait. Sa grande connaissance de toutes les religions et croyances de la planète lui donnait une autorité que sa timidité naturelle n‟aurait pas permise. Un simple signe du regard et elle savait s‟il fallait intervenir, et avec ses yeux de braise clignant très lentement des paupières, elle commençait à donner son avis, pesant le pour et le contre en utilisant des exemples imagés étonnants tirés de ses nombreux voyages et expériences des sociétés humaines. Un ange consolidateur dont nous avions un besoin critique en de rares occasions qui auraient pu tourner au drame commun si elle n‟avait pas été là. Elle a fait gagner beaucoup de temps à Topla, en en « perdant » elle-même beaucoup à nous écouter patiemment, toujours bien droite, quasiment immobile, mais aux aguets. Un ange félin qui ne dormait que d'un œil… Ses activités n‟étaient pas compatibles avec le mariage et les maternités, et nul ne sait si elle a eu l‟occasion de faire quelques galipettes au cours de ses nombreux voyages. 18


En fait, tout bien considéré, ses enfants, c‟était nous ! Dalaï-Lama l‟a libérée de son service lorsque nous l‟avons invité à la Nobel Party dédiée à Pyco. Elle a participé à la définition de notre projet que nous avons appelé TOPLAB, puisque laboratoire il devait y avoir. Note : Une bibliographie technique est citée en fin de texte pour les lecteurs qui souhaiteraient approfondir certains points techniques abordés par la suite. Les thèmes principaux sont la cosmologie, la neurobiologie et les particules subatomiques, des désignations un peu rébarbatives, mais il faut bien appeler ces techniques par leur nom. Cependant, le texte est imagé par des comparaisons avec des exemples connus de chacun dans la vie de chaque jour, les jeux vidéo par exemple, pour faciliter la compréhension du lecteur.

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TOPLAB

Le groupe Topla a décidé d‟installer son laboratoire en un lieu secret appelé TOPLAB. Les équipements nécessaires pour le projet seraient définis par trois maîtres d‟œuvre, chacun dans leur domaine de compétences. — Tera, pour l‟astrophysique et les appareils d‟observation et de mesures associés. — Pyco, pour la biogénétique et les microscopes électroniques et de mesures associées. — Ovni, pour toute l‟informatique de pointe et les logiciels d‟analyse d‟imagerie médicale et spatiale, sans oublier les moyens de liaison satellitaire indispensables. Le maître d‟ouvrage pour l‟ensemble des précieux équipements et de la logistique du laboratoire, telles les alimentations en énergie, etc. serait bien sûr Labo. Compte tenu de la facette observatoire spatial, il fallait un endroit en très haute altitude, vers les quatre mille cinq cents mètres, avec un air dénué de toute pollution. Le choix se porta sur l‟Himalaya pour ces raisons techniques, cette région peu peuplée et peu fréquentée nous permettant d‟éviter les importuns et de conserver le secret de TOPLAB. Aloa fut donc très naturellement désignée par le groupe pour négocier avec les moines tibétains et choisir le meilleur endroit. Nos besoins énergétiques pourraient être fournis grâce à des panneaux solaires placés à cinquante centimètres sous la surface d‟un lac glaciaire voisin pour éviter d‟être repérés par les satellites équipés de caméras de plus en plus performantes. Le laboratoire lui-même devrait être établi dans une caverne assez profonde pour que les dégagements thermiques liés à notre 20


activité soient absorbés par la masse rocheuse environnante et éviter les détecteurs à infrarouge. Une dernière condition était requise pour que nos observations télescopiques soient discrètes et que tout reflet de la lentille soit limité au minimum. Il fallait donc qu‟il y ait une faille verticale sur les flancs de la montagne et des verres spéciaux pour la lunette. Pyco définit les verres spéciaux en liaison étroite avec Tera et il les fit réaliser grâce à ses relations très spéciales. Aloa mit six mois pour localiser l‟endroit rêvé avec les moines tibétains qui finirent par lui allouer un vieux monastère abandonné depuis des lustres, car trop loin, trop haut, et trop froid. Il fallait monter au sommet de la montagne en alpiniste, jusqu‟à cinq mille mètres, et aller au bord d‟une falaise verticale de cinq cents mètres de hauteur qui plongeait dans un lac glaciaire de dix hectares et d‟environ cinquante mètres de profondeur en son centre. Ensuite, il fallait se laisser descendre sur quatre cent quatrevingts mètres pour poser les pieds sur le fond d‟une grande faille perpendiculaire à la falaise du lac, fond de la faille situé à vingt mètres au-dessus du lac. En parcourant le fond de la faille, on en découvrait une autre à quarante-cinq degrés, en altitude, heureusement accessible par une simple corde de vingt mètres. Cette faille permettait d‟accéder à une grande grotte du type troglodyte, percée de petites fenêtres. L‟endroit idéal, qu‟il restait à aménager, ce dont Pyco et surtout Labo se préoccupèrent pendant plus de douze mois, laissés seuls sur place avec un équipement minimum de camp de base. Au cours de leur exploration de ce labyrinthe de cavités naturelles fréquemment séparées par des failles intérieures, généralement inclinées et relativement étroites. Elles avaient la forme d‟une lentille dans leurs sections principales et étaient longues d‟une dizaine de mètres en moyenne. Ils découvrirent au point le plus bas une nouvelle faille qui se terminait dans l‟eau d‟un tout petit lac intérieur qui devait 21


communiquer avec le lac extérieur, car la dernière caverne était éclairée par une lumière traversant les couches d‟eau. Resté seul, Labo s‟équipa et visita le siphon qui heureusement débouchait rapidement à deux mètres sous le niveau du lac extérieur, ce qui lui permit de prendre une bonne dose d‟air frais en surface. En revenant, il aperçut de nombreuses ombres de poissons de bonne taille qui fuyaient à son approche, poissons qui n‟allaient sûrement pas manquer de devenir leur plat principal, agrémenté de quelques algues d‟eau douce. L‟eau étant glaciale, il se sécha dès qu‟il reprit pied dans la faille, se changea et se reposa en regardant les parois du tunnel qui remontait lentement, le tout étant légèrement éclairé par une lumière oscillant au gré des vagues du lac extérieur. Il eut une révélation en découvrant des traces parallèles au sol du tunnel et situées à cinquante centimètres du sol. On aurait dit les traces de moyeux de chariots frottant contre la roche, comme celles que l‟on peut voir sur les pierres d‟angles de nos vieilles fermes et granges. L‟entrée réelle du monastère devait sûrement être là dans un passé lointain, facilitant ainsi grandement l‟accès aux moines. Le niveau du lac avait donc été augmenté d‟environ quatre mètres grâce à la fonte des glaciers surplombant les lieux où nous nous trouvions. En arrivant, nous avions d‟ailleurs été étonnés de constater que les glaciers avaient beaucoup régressé, leur front se situait maintenant à plus de cinq mille mètres d‟altitude sur les versants exposés au Sud. Le niveau du lac resterait stable, car les eaux s‟écoulaient au travers d‟une moraine glaciaire de roches enchevêtrées pour former un petit torrent fort pentu par où nous étions arrivés ici. À son retour, Labo expliqua la situation à Pyco et ils décidèrent de contacter Aloa avec mission de prévenir Dalaï-Lama au sujet du lac. Notre liaison satellite très particulière utilisant des transpondeurs inactifs du satellite nous renseigna deux jours plus 22


tard avec une visioconférence Pyco/Labo d‟un côté et DalaïLama/Aloa de l‟autre. Dalaï-Lama nous apprit que des écrits très anciens faisaient état de mystérieuses disparitions et réapparitions d‟un temple sacré qui n‟avait jamais été précisément localisé, l‟entrée en hauteur du temple qui nous avait été alloué avait bien été utilisée, mais l‟exploration complète des galeries n‟avait pas été faite par les derniers moines présents qui n‟y voyaient d‟ailleurs pas d‟intérêt. Dalaï-Lama nous donna toutes assurances que le secret serait bien gardé et connu de lui seul et de nous cinq, pour éviter que cette découverte du fameux temple sacré ne fasse converger des dizaines de jeunes moines trop enthousiastes, voire quelques aventuriers en quête de trésors cachés. Pyco de son côté lui confirma qu‟il n‟y avait aucun objet de valeur à l‟intérieur du labyrinthe, même dans ses endroits les plus éloignés et profonds, sauf quelques planches pourries. Dalaï-Lama confirma par ailleurs nos propres hypothèses, c'est-à-dire que le fameux temple sacré était placé très exactement sur la colossale fracture rocheuse qui s‟élevait lentement et irrémédiablement au cours des siècles, traduisant le choc titanesque du sous-continent indien s‟enfonçant sous le continent asiatique. Ceci expliquait également le grand nombre de failles internes à la masse rocheuse, un peu comme si on comprimait un millefeuille en le pressant entre deux de ses bords, sans compter quelques coquillages marins ornant les parois des failles intérieures. Au cours des jours qui suivirent, Labo fit un relevé détaillé et coté du labyrinthe, en profitant pour fixer des petites pancartes directionnelles très amusantes aux différents carrefours, puis il simula sur ordinateur le positionnement complet et en trois dimensions de notre labo tentaculaire. Il explora également les dix hectares du lac extérieur en faisant des sondages de profondeur. Etonné par un très léger courant circulaire en surface, visible seulement en l‟absence de vent et détectable en saupoudrant la surface de feuilles sèches, il décida d‟explorer le fond à cet endroit éloigné de vingt mètres de la falaise et de cinquante mètres de l‟entrée immergée du temple sacré. 23


Il entraîna Pyco dans son aventure, le rôle de celui-ci étant de l‟assurer avec une grande corde après avoir fixé le bateau pneumatique à une anfractuosité de la falaise via une cordelette. La descente en plongée de Labo devait s‟effectuer à environ dix mètres de l‟œil du remous pour éviter tout problème. Il plongea jusqu‟à cinq mètres pour observer le phénomène à distance respectueuse et vit une forme de cône d‟eau en mouvement rotatif lent, se transformant en cylindre qui se rétrécissait progressivement jusqu‟à un mètre de diamètre tout en accélérant sa rotation, et faisant un coude en direction de la falaise immergée où il disparaissait brusquement à environ cinq mètres sous ses palmes. Il remonta seul, mais en devant faire un effort, car il ne s‟était pas aperçu qu‟il avait été happé par le tourbillon et avait dérivé par rapport au bateau pneumatique gardé par Pyco. Cette découverte fit l‟objet d‟une petite fête à deux, tant l‟espoir de pouvoir utiliser cette énergie hydraulique permanente était grand. L‟installation de panneaux solaires pourrait ainsi être réduite au strict minimum nécessaire en cas de panne du futur groupe turbine/génératrice. L‟avantage serait plus important encore en considérant : — Les coûts des panneaux solaires particuliers à installer. — La réduction du nombre de transports peu discrets, à effectuer pour les amener jusqu‟ici. — La réduction du risque de détection des panneaux immergés grâce à une plus faible surface. — La maintenance et l‟entretien des panneaux qui exigeaient de longues heures sous l‟eau glacée pour éviter les dépôts de limon vaseux. On pourrait même éloigner les panneaux les uns des autres pour réduire encore leur surface apparente vue du ciel. Grâce à un petit sonar évolué, les recherches en galeries commencèrent dès que le modèle en trois dimensions du labo permit de confirmer qu‟en un point du labyrinthe, distant d‟environ trente mètres de l‟entrée noyée de la rivière souterraine on détecte 24


une faille interne qui commençait à deux mètres de la paroi où nous étions placés. Le risque était grand, si l‟on perçait, de voir notre futur laboratoire inondé par des infiltrations venant des cinq cents mètres de roches nous surplombant, et qui se seraient accumulées dans la faille. Ces infiltrations a priori sans origine commune avec l‟eau du lac, mais rejoignant sans doute la rivière souterraine provenant du lac pour disparaître ensemble dans un autre gouffre et constituer ainsi, beaucoup plus bas, l'une des nombreuses résurgences alimentant les sources des « fleuves sacrés » des Indes. Une nouvelle vidéoconférence du groupe complet décida que le percement devait être réalisé tant il était prometteur. Un relevé complet fut réalisé dans cette zone et une autre possibilité de rejoindre la fameuse faille fut découverte, dans une portion où les parois étaient faites d‟une matière rocheuse beaucoup moins résistante, mais allongeant la longueur du percement jusqu‟à six mètres environ. Labo commença un premier test de percement sur un mètre qu‟il réalisa avec des outils classiques manuels. Il lui fallut une journée pleine, évacuation et étalement des gravats compris. Une semaine plus tard, il buta sur une fine paroi de dix centimètres d‟épaisseur moyenne qui devait être due aux actions chimiques millénaires sur les parois internes de la faille, preuve peut-être que les parois n‟avaient pas été soumises à l‟érosion d‟infiltrations importantes. Le premier trou dans cette fine paroi fut réalisé avec des pointes en carbure de tungstène et un courant d‟air fut perçu aisément, se dirigeant vers le trou. La conclusion immédiate de Pyco et Labo fut que cette dépression atmosphérique serait la bienvenue, car elle permettrait d‟évacuer les calories qui seraient créées par notre activité au labo, sans oublier le système de chauffage que nous devions installer pour rendre les lieux habitables pour cinq personnes pendant quelques années. 25


Labo termina l‟ouverture d‟une porte d‟un mètre cinquante de haut sur un mètre de large. Des essais d‟éclairage à la torche nous indiquèrent la largeur de la faille, environ dix mètres, et un sol en pente prononcée, sol situé à un mètre sous le seuil de la porte. L‟exploration fut réalisée par nos deux gaillards qui descendirent la pente, percevant de plus en plus ce qui n‟était qu‟un murmure au début et devint un bouillonnement d‟eau en furie lorsqu‟ils débouchèrent dans une salle oblongue occupée par un lac transparent en mouvement permanent. Pour poursuivre l‟étude de faisabilité d‟une mini centrale électrohydraulique, il nous faudrait vider ce lac intérieur qui était alimenté par le remous du lac extérieur qui cheminait dans une galerie inclinée d‟environ un bon mètre de diamètre sur environ cinquante mètres en pente, pour déboucher sous la surface du lac intérieur, à environ deux mètres sous sa surface actuelle. Le dénivelé utile de cette chute d‟eau était d‟environ quarante mètres avec un débit suffisant pour laisser espérer une puissance électrique utile d‟environ cent kilowatts, ce qui correspondait à environ mille mètres carrés de panneaux solaires qui seraient ainsi économisés. L‟avantage majeur était surtout la permanence de la disponibilité d‟une énergie inépuisable jusqu‟à la prochaine période glaciaire. Pour installer les cinq groupes électrohydrauliques de 20 KW chacun, il faudra réduire le débit d‟arrivée pour que le lac intérieur se vide dans le gouffre ouvert dans son fond rocheux. Il faudra également prévoir d‟installer une tuyauterie à l‟intérieur du tunnel d‟amenée de l‟eau du lac extérieur, tuyauterie équipée d‟une vanne d‟arrêt de l‟eau et d‟un système de distribution de l‟arrivée d‟eau sur chacun des cinq groupes. Nos deux amis informèrent Aloa et une nouvelle visioconférence avec Dalaï-Lama leur permit d‟exposer leurs besoins. Quarante-huit heures plus tard, la réponse leur parvint. Dalaï-Lama et Ovni décidèrent que les tubulures nécessaires pour la tuyauterie sous pression d‟amenée de l‟eau aux groupes 26


seraient réalisables aisément grâce à des tuyaux en plastique récemment développés pour les pompages profonds dans les zones désertiques. Ovni ajouta que cette même technologie pourrait être astucieusement utilisée pour aménager le siphon d‟entrée du temple sacré. Il annonça que le transport de cet ensemble de tuyaux et des cinq groupes électrohydrauliques serait réalisé grâce à un grand ballon gonflé à l‟hélium que l‟on déplacerait au-dessus du lit du petit torrent de sortie du lac. Nous assurâmes nous-mêmes le guidage depuis le sol du ballon pour le maintenir à une altitude de cinquante mètres audessus du torrent, la charge utile suspendue au ballon étant aussi reliée par un filin d‟acier à notre 4X4 qui lui assura un cheminement dans la vallée encaissée du torrent, jusqu‟au lac où le déchargement fut effectué sur flotteurs pneumatiques par une nuit claire et sans vent. Le point de départ de ce voyage périlleux était situé sur un plateau étroit en contrebas où se trouvait un ancien monastère accueillant quelques moines très âgés et leur servait de maison de retraite bien calme et éloignée de tout village. Les moines reçurent la visite surprise de leur Dalaï-Lama qui leur expliqua que les recherches du temple sacré reprenaient sous sa direction exclusive. Il obtint leur engagement de secret absolu, les cinq moines ayant depuis longtemps parfaitement compris ce que secret veut dire. Aucun d‟eux n‟était capable de nous suivre ou d‟aider par ailleurs, tous étant âgés de plus de quatre-vingt-quinze ans. Les tuyaux furent immergés à faible profondeur et les cinq groupes furent dissimulés sous des roches, puis nous prîmes un repos bien mérité chez les moines, rendant le 4X4 au Dalaï-Lama pour son retour au monde extérieur. Le siphon tubulaire fut assemblé le lendemain et introduit dans le siphon rocheux naturel de l‟entrée du temple sacré, puis fixé aux parois rocheuses à l‟entrée lac et à l‟extrémité côté temple. 27


Côté lac, il était fermé par une plaque d‟étanchéité, plaque équipée d‟un sas autorisant les allées et venues tout en restant au sec. Nous l‟avons joyeusement inauguré puis nous y avons introduit les équipements complémentaires pour l‟installation interne de TOPLAB, en particulier des ensembles de structures gonflables modernes qui constitueraient en un clin d‟œil les différentes pièces habitables et de travail du laboratoire ainsi que les corridors de communication entre les grottes et failles sur une partie du labyrinthe. Au bout d‟une semaine, TOPLAB était devenu habitable, avec climatisation réversible et congélateurs alimentaires installés. C‟est à ce moment-là que je rejoignis les deux éclaireurs qui apportèrent, avec moi, une cargaison d‟équipements divers, tant pour l‟habitation que pour le laboratoire proprement dit. Ce fut une bonne expérience pour tester la solidité du système siphon plus sas qui s‟en sortit sans même une rayure, tant la matière utilisée était spéciale à tous égards. Un essai de fonctionnement de l‟installation interne électrique et des instruments électroniques du laboratoire fut réalisé grâce au petit générateur transportable, tout était devenu fonctionnel. Il restait à installer la tuyauterie d‟amenée d‟eau aux groupes. Un long tuyau fut assemblé, fermé d‟un côté par un cône plastique. Le côté conique fut aisément introduit du côté extérieur du lac, attiré par le mouvement de l‟eau et on le laissa glisser jusqu‟à ce qu‟il débouche dans le lac intérieur. Il fut alors fixé côté lac extérieur et fermé par une large plaque circulaire qui recouvrait complètement l‟orifice côté lac. Il subsistait bien sûr des fuites autour du tuyau, mais leur débit restait faible et le lac intérieur se vida rapidement nous laissant découvrir le gouffre qui maintenant bruissait du faible écoulement résiduel dû aux fuites. L‟ensemble des groupes énergétiques fut installé en une semaine, puis câblé au réseau souterrain et raccordé 28


mécaniquement au tuyau après avoir sectionné et déposé le cône d‟origine. Les essais complets avec mise sous pression côté lac furent concluants et cette bataille-là étant gagnée, nous la fêtâmes en illuminant tout le labyrinthe et en mettant à fond la sono et la climatisation réversible dont les échangeurs étaient placés à côté de la porte d‟accès à la faille aux turbines. Nous vérifiâmes que la température dans la faille restait constante à tout niveau de puissance réclamée par l‟installation, grâce à la dépression atmosphérique de nouveau présente et due au gouffre, température constante qui éviterait toute perturbation mécanique majeure au sein des roches de la faille. Tout étant en place, Tera et Aloa furent invitées à inaugurer leurs appartements, amoureusement décorés par nos trois grands timides. Dalaï-Lama les accompagna et resta 45 heures avec Topla pour assister à et présider notre réunion de rédaction du projet final. Il avait bien sûr été préalablement briefé et connaissait déjà l‟objectif de fond, auquel il adhérait pleinement, car c‟est l‟homme le plus ouvert, y compris sur le plan mystique et spirituel. Ses contacts avec le monde moderne l‟ont convaincu que l‟homme finira par exterminer l‟homme si les croyances religieuses ne sont pas réduites à leur plus simple expression et si une découverte majeure n‟a pas lieu dans la décade à venir, ouvrant de nouveaux horizons bien plus étendus tout en expliquant de nombreux mystères qui nous cachent les véritables origines de la vie dans l‟Univers. Topla l‟avait convaincu que le jeu en valait la chandelle et que le secret de TOPLAB devait effectivement être gardé à tout prix, l‟intervention des civilisations extérieures ne pouvant apporter rien de bon au projet sinon des guerres supplémentaires.

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Le Portail

TOPLAB, Salle de Réunion, Jour 1. La réunion-programme commença à 8 heures du matin, inaugurée par Dalaï-Lama qui s‟exprima avec enthousiasme. — Vous connaissez tous mon engagement en faveur de la paix dans ce monde et le temps nous est compté pour réussir cette ultime tentative dont le succès permettra aux hommes d‟éviter les tourments de l‟Armageddon dont on nous rebat les oreilles depuis quelques millénaires, comme si cette obsession était la seule vision du futur qui nous attend. Cette réunion de finalisation du programme est enregistrée par Labo qui rédigera avec Aloa le texte de synthèse. Je vais vous laisser la parole, mais auparavant je jure solennellement au nom de mes croyances de garder le secret sur ce projet, ainsi que nous avons tous su le faire jusqu‟à ce jour. La preuve que le secret a été bien gardé jusqu‟à aujourd‟hui est que nous sommes là, tous les six, ce qui aurait été strictement impossible s‟il y avait eu une fuite, si mince soit-elle, surtout si nous considérons que chacun d‟entre nous est une sommité mondiale et que les paparazzis-espions nous surveillent étroitement. Ainsi que nous l‟avons prévu, j‟organiserai prochainement un faux accident d‟hélicoptère en plein océan pour faire croire à la disparition des trois hommes OPL du groupe, à l‟occasion d‟un voyage avec moi-même et dont je sortirai vivant, mais en pleur, bien sûr. Tera et Aloa resteront officiellement vivantes, car Tera devra poursuivre ses activités au grand observatoire et ses recherches dans les labos, travaillant sur la fameuse matière noire qui est 30


vraisemblablement liée aux différentes formes de neutrinos qui nous transpercent comme si nous n‟existions pas. Quant à Aloa, elle restera l‟élément actif des liaisons avec moimême et les sociétés humaines de ce monde. Je donne maintenant la parole à Pyco… Pyco se leva et demanda à Labo de mettre l‟enregistrement en pause, ce qui nous surprit tous, et il ajouta d‟un air guilleret : — Ne vous inquiétez pas, je souhaite simplement introduire une touche d‟humour au cours de cette séance solennelle en demandant à Tera : — Tera, vous savez que Labo et moi sommes restés des mois dans ces lieux froids et sans aucun confort et je souhaite simplement savoir si vous êtes encore en contact avec vos copines ? Tout le monde s‟esclaffa et Tera répondit, avec un clin d‟œil malicieux : — Ne me parlez pas de celles-là ! Elles sont au moins une dizaine à me demander régulièrement de vos nouvelles ce qui est horripilant, surtout pour moi qui n‟ai jamais pu vérifier physiquement leurs assertions, selon lesquelles vous seriez irremplaçables pour elles et la gent féminine dans son ensemble. Elles seront donc effondrées quand je leur annoncerai personnellement votre mort horrible dans les flammes. Aloa, encore souriante de ce trait d‟humour noir, ajouta : — Je sais qu‟Ovni n‟a jamais rien dit à son épouse Angéla et je lui confirme que je me charge de lui parler du projet et de la tenir informée de l‟avancement du programme, sans lui préciser le lieu cependant. 31


Nous déciderons plus tard de l‟opportunité de l‟intégrer dans TOPLAB, lorsque les premières phases expérimentales excessivement dangereuses pour nos trois garçons seront réalisées avec succès. Pyco reprit la parole : — Reprenons l‟enregistrement Labo, merci. Ce projet a pour point de départ notre constat commun, il y a deux ans en Scandinavie, que l‟évolution des découvertes scientifiques et surtout nos propres découvertes et expériences secrètes permettraient d‟expliquer certains mystères liés au passage de la vie à la mort et certains autres mystères désignés communément comme phénomènes paranormaux au cours de la vie des hommes. Aloa nous a confirmé que toutes ces « histoires » extraordinaires étaient communes à toutes les sociétés humaines sur la Terre, y compris chez les tribus les plus isolées de NouvelleGuinée et d‟Amazonie. Il s‟agit donc de confirmer la crédibilité de ces témoignages grâce à TOPLAB et son programme d‟expérimentation sur nousmêmes pour expliquer ; — Les multiples informations de personnes ayant approché la mort de très près et qui, en étant revenus, ont déclaré avoir vu un chemin de lumière, certaines ayant même ajouté avoir aperçu des personnages familiers, d‟autres ayant eu une vision d‟elles-mêmes sur leur lit de mort, etc. Malheureusement plus nombreuses furent celles qui en revinrent diminuées, avec des amnésies partielles ou totales. — Les témoignages durant la vie et au moins aussi nombreux concernant... — Les chocs psychologiques venants de « l‟au-delà » traduisant une perception immédiate d‟une catastrophe touchant un être cher, pourtant très éloigné géographiquement du « témoin ».

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— Les « apparitions » aux personnes sensibles et jeunes en général, très concentrées sur le sujet même de l‟apparition qui finit par « apparaître » pour cette seule personne — Les rêves qui surviennent principalement pendant les phases de sommeil « paradoxal », période d‟activité intense du cerveau, etc. Pyco avala une gorgée d‟eau puis continua : — Comme vous le savez, mes recherches très spéciales récentes concernaient la localisation du « Portail », sorte de sas de passage entre le cerveau biologique et l‟au-delà. La particularité du sommeil paradoxal, c‟est beaucoup d‟activité biologique et électrique qui m‟a amené à concevoir un capteur hybride biologique et électronique miniature permettant de détecter le flux nerveux en un point quelconque d‟une cellule nerveuse. J‟ai commencé les tests par mes cellules nerveuses du sens « toucher », en pratiquant une très fine incision à l‟extrémité de mon index gauche. Le flux nerveux est caractérisé par la propagation d‟une sorte d‟onde de faible tension électrique (inférieure au volt) tout le long de la cellule nerveuse jusqu‟au cerveau. Pour donner une image, c‟est un peu comme si c‟était une guirlande de Noël où les petites lampes s‟allument et s‟éteignent de proche en proche, faisant penser à la propagation d‟un trait de lumière tout au long de la guirlande. Mon capteur me permit de visualiser ces flux sur les cellules nerveuses du toucher, alors que j‟effectuais différents niveaux de forces de pression sur mon index et à des fréquences variables des intervalles entre elles. J‟ai ainsi pu vérifier l‟intensité des impulsions et leur vitesse de propagation le long de la cellule nerveuse. Je fis de même avec les cellules musculaires de mon biceps gauche, sachant que pour ce type de cellules nerveuses les impulsions ont pour origine le cerveau qui décide de la contraction 33


du muscle en question, par une action volontaire ou par réflexe « involontaire ». L‟idée de base consistait à ensuite tenter de localiser le « point central » du cerveau, au milieu de quelques milliards de neurones… Ce point central était vraisemblablement un élément très proche du Portail, mais mes expériences sur de très petits animaux échouèrent, même lorsque je les menais seulement pendant les périodes de sommeil paradoxal. L‟activité apparemment brouillonne d‟une grande partie du cerveau était effectivement très réduite, mais celle de la partie centrale était au contraire très intense et la localisation à l‟aveuglette devenait impossible. À l‟occasion de mes travaux spécifiques correspondant au prix Nobel, j‟avais mené des expériences de même nature pour tenter de localiser le BCP (Point central biologique). J‟ai relu tous mes dossiers antérieurs sur mes expériences génétiques passées, et je me lançai dans un programme spécifique sur les animaux, depuis l‟ovulation et la fécondation in vitro, profitant de l‟existence de mon détecteur d‟activité nerveuse, outil développé il y a seulement un an et donc inexistant à l‟époque. Mon chat siamois et sa copine furent les généreux donateurs des deux matériaux indispensables, ovules et spermatozoïdes. J‟étais, dès le départ, persuadé que le BCP devait être proche de la toute première cellule-mère fécondée. J‟étais par ailleurs presque certain que la fonction BCP n‟apparaîtrait pas au tout début du phénomène classique de multiplication cellulaire. Il devait bien y avoir un moment où le développement, jusquelà simple multiplication de cellules « identiques », se différencierait grâce à un gène spécifique jusque-là inactif, mais qui serait « réveillé » par un phénomène externe, justifiant l‟hypothèse même du Portail à double sens donnant des « ordres » au cerveau. 34


Il serait ainsi beaucoup plus aisé de tenter de localiser le BCP parmi quelques centaines de cellules plutôt que parmi quelques milliards. J‟avais beaucoup amélioré l‟optique numérique et la radio électronique de mon microscope personnel ainsi que sa capacité à « voir » dans toutes les fréquences du spectre et pas seulement dans la bande très étroite des fréquences du spectre de la lumière dite « visible » par l‟œil humain. Je lui ai adapté un micromécanisme qui guiderait mon fameux détecteur selon mes instructions vocales, et ceci, avec la douceur associée à la précision requise. J‟avais également laissé se développer une membrane biologique par prélèvement d‟une toute petite partie de l‟utérus de la chatte pour favoriser l‟implantation du futur petit chat au bout de quelques jours, tel que cela se produisait dans la nature. La fameuse semaine où j‟effectuai mon premier test global, je suivis à la trace l‟évolution en mode automatique, mais je restai souvent ancré à mon écran de contrôle, espérant voir apparaître le texte « BINGO ! » en grands caractères animés, qui traduiraient la détection du premier signe de vie nerveuse. Mais rien ne se passa malgré la fixation effective du futur fœtus sur la membrane et je dus stopper l‟expérience, car la durée de vie de la membrane était très limitée et le tout perdu à jamais par la décomposition cellulaire. Je vais m‟arrêter là dans mon exposé, d‟abord pour boire un coup, mais surtout pour avoir vos avis et suggestions. Pyco sourit, se leva pour se servir un verre d‟eau de source et s‟installa dans un fauteuil gonflable, suggérant la réflexion confortable au salon. Chacun fit de même et Labo les rejoignit après avoir arrêté et sauvegardé l‟enregistrement. Il lança le débat ainsi :

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— Mon cher Pyco, je vais jouer ici le rôle du témoin actif, appelé Candide dans certaines émissions de télévision. C‟est celui qui pose les questions, pas toujours idiotes, que bien des téléspectateurs se posent en qualité de non-spécialistes. Le quasi-ignorant que je suis se demande comment vous avez pu alors continuer favorablement vos expériences, mais, pour commencer, pourquoi choisir un chat ? Ont-ils donc un BCP eux aussi ? Aloa eut un léger sourire et répondit pour Pyco après un rapide coup d‟œil vers celui-ci : — Labo, comme nous tous ici, vous avez votre propre position dans le domaine spirituel, mais je suis persuadée que vous classez l‟être humain dans la catégorie des animaux, tout comme les chats. Dans ce cas, et racisme mis de côté, vous devez donc vous convaincre que le mystère de la vie est commun aux espèces vivantes, et sans doute terriblement semblable, voire unique, ce que nous découvrirons, si nous passons de l‟autre côté du Portail. Labo, avec un clin d‟œil à Aloa, répondit : — OK, Aloa, je vous suis bien, mais mon interrogation concernait aussi les différences biologiques entre les cerveaux des différentes espèces et l‟éventuelle inconnue sur le fait que nous pourrions transposer une localisation du BCP sur le chat qui s‟avérerait différente chez l‟homme. Bon, j‟abandonne et je dis… on verra bien après tout, expérimentons d‟abord ! J‟ai cependant une autre question importante : Comment est-il possible d‟imaginer que l‟implantation puisse se faire valablement sur un tissu d‟utérus reproduit qui n‟a rien de « normal » dans la mesure où il n‟est lui-même relié nerveusement à aucun cerveau en activité ? 36


D'un autre côté, il m‟apparaît paradoxal de supposer d‟une part que la vie réelle commencera par l‟activation d‟un gène via une information venant de l‟au-delà et, en même temps, faire une expérience sur de la matière non raccordée à un cerveau actif. Le tissu utérin utilisé joue son rôle de récepteur biologique, mais pour quelque temps seulement, pour faire illusion, la pérennité du développement dépendant sûrement d‟une connexion nerveuse à un cerveau suffisamment « motivé » pour lui permettre de pouvoir recevoir et activer le signal de vie indispensable à la poursuite de l‟opération. Qu‟en pensez-vous ? Moment d‟étonnement dans l‟assistance, Labo ayant été perçu jusque-là comme un rouage essentiel à l‟élaboration et la réalisation dite matérielle de TOPLAB, mais dont la discrétion avait occulté la finesse de son jugement dans les domaines scientifiques de pointe. Je fus le premier à réagir, mes liens très étroits avec Labo m‟aidant à trouver les mots adéquats : — La perspicacité de Labo m‟étonnera toujours et vous savez tous que je l‟ai fréquemment invité à plus s‟impliquer dans les facettes scientifiques de TOPLAB. Mais Labo m‟a toujours répondu que sa formation d‟origine n‟était pas suffisante et qu‟il se concentrerait surtout pour nous donner le meilleur de sa grande expérience dans les équipements matériels qui nous seraient indispensables. J‟estime qu‟aujourd‟hui l‟essentiel de son activité dans la mise en service du laboratoire a été réalisé avec bonheur et qu‟il s‟ennuiera bien vite s‟il se cantonne dans son attitude de départ. Je pense que tout le monde sera d‟accord pour lui assigner un nouveau rôle d‟assistant scientifique commun au groupe.

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La petite assemblée applaudit à cette proposition et alla entourer chaleureusement Labo qui devenait rouge d‟émotion contenue. Il accepta d‟un simple mouvement de la tête répété lentement trois fois et je repris : — Labo, tu as parfaitement raison, d‟autant plus qu‟à notre connaissance la génération de la vie n‟est pas spontanée et qu‟aucune naissance d‟être évolué n‟a eu lieu, sans une vraie femelle porteuse. Je suppose que Pyco nous donnera raison dans la suite de son exposé, juste après un déjeuner prévu dans la cuisine faisant office de salle à manger à côté. La petite équipe prit un déjeuner rapide, certains restant même debout pour discuter de sujets divers. La séance reprit avec Pyco à la barre : — Labo, tu as posé la bonne question et en même temps tu nous as donné toi-même la bonne réponse. J‟étais bloqué, mais ta question me hantait bien sûr. Le problème majeur était que je ne souhaitais pas intervenir sur la copine de mon chat et prendre des risques la concernant. Cependant, après quelques jours d‟hésitation, je décidai de tenter l‟opération, après avoir adapté mon microscope électronique pour recevoir l‟utérus complet de la petite chatte et suivre en direct les évènements. Ceci fut rendu possible le jour où son cycle menstruel fut le plus favorable et après avoir endormi la chatte, j‟installai directement l‟ovule, fécondé préalablement, dans une des trompes. Sa fixation à la paroi de l‟utérus se fit normalement et j‟observai très vite un début d‟activité nerveuse dont je poursuivis le déplacement de l‟épicentre très précisément. BINGO ! 38


Ce point resta longtemps au niveau de la cellule-mère d‟origine, pendant que la multiplication des cellules se poursuivait et que leur spécialisation commençait. Je profitai d‟une période de sommeil paradoxal pour préciser plus finement sa localisation et je finis par découvrir quatre prolongations de cellules nerveuses ne se terminant apparemment « nulle part », mais restant très voisines les unes des autres. Deux d‟entre elles semblaient émettre des signaux vers « nulle part », tandis que les deux autres semblaient recevoir des signaux depuis « nulle part », signaux qu‟elles véhiculaient vers le minuscule cerveau en formation, dans l‟environnement immédiat de la cellule-mère. Beaucoup de questions se posaient et les réponses ne pourraient jaillir qu‟à la suite d‟un travail commun avec d‟autres spécialistes. C‟était à l‟époque du Nobel et c‟est aussi là que le groupe s‟est constitué à mon initiative. Je vous rassure tout de suite, la petite chatte se porte bien et j‟amènerai son chaton ici même pour nous servir de mascotte. Une petite séance avec notre Candide de service, si vous le voulez bien ? Labo ne demanda pas mieux et démarra en trombe, lorsque tous les participants se furent désaltérés et installés au salon… — Je m‟adresse aussi bien à Pyco qu‟à Ovni, car mes questions concernent les quantités d‟informations échangées avec le Portail, dont je suppose qu‟il est invisible à nos yeux et qu‟il est en fait à l‟emplacement de « nulle part » raccordé d‟une manière ou d‟une autre aux quatre terminaisons nerveuses que vous avez découvertes. Il sera sûrement intéressant de mesurer la fréquence des impulsions que détecte le capteur sur chacune des quatre liaisons pour avoir une idée du volume global d‟informations échangées au cours d‟une journée par exemple. 39


Si l‟on fait l‟hypothèse que les informations émises par le cerveau vers le Portail correspondent à une forme de copie du contenu de la mémoire biologique vers l‟au-delà, on peut également faire l‟hypothèse que l‟information est codée sous une forme très simple, du type binaire, comme dans nos ordinateurs, deux états possible, zéro et un seulement. Ça semble logique dans la mesure où l‟au-delà en question n‟utilise sûrement pour sa propre mémorisation que des particules libres présentes dans l‟Univers, particules pouvant revêtir deux formes en général, ou trois pour les neutrinos. Qu‟en pensez-vous ? Ovni répondit : — Très bonne analyse et je vais ajouter mes propres hypothèses en prenant l‟exemple des images que nous faisons défiler dans notre cerveau biologique, à l‟état éveillé, mais paupières baissées pour mieux se concentrer. Ces images sont très peu précises comparées aux images visuelles que nos yeux voient à l‟état éveillé pour la même scène. Si le cerveau devait enregistrer le film complet d‟une journée ordinaire avec la qualité toute relative d‟un film vidéo sur DVD, il devrait pouvoir stocker l‟équivalent d‟un térabit par jour et, surtout, pouvoir envoyer un térabit vers le Portail pendant la faible durée du sommeil paradoxal, ce qui exigerait un débit de l‟ordre du gigabit/seconde qui semble difficile via les terminaux nerveux découverts par Pyco. Il m‟est venu à l‟idée qu‟une explication est possible en me souvenant que la qualité d‟une image « repensée » d‟un évènement quelconque de la journée est très faible, les détails de fond quasi inexistants et les détails de l‟objet central sont très limités et très peu colorés. Par ailleurs, le son est limité à quelques mots-clés que l‟on a bien voulu retenir, car ils nous ont frappés plus ou moins. Apparemment, le cerveau ne mémoriserait pas réellement les scènes, mais serait conçu pour gérer les objets principaux 40


intervenant dans les scènes vécues, ceux dont il décide de se souvenir, le reste étant considéré comme inutile. Tout cela ressemble étrangement à un mode de visualisation que nous connaissons tous très bien, le mode retenu pour la conception des jeux vidéo actuels. Quand on déplace le personnage principal dans un décor de jeu, on peut ainsi lui faire parcourir des terrains immenses, avec tous leurs décors détaillés et ceci pendant des mois entiers d‟affilée. Il est bien évident que le CD ou DVD de jeu ne peut contenir l‟ensemble de ces vidéos, car le volume de stockage n‟est pas suffisant, et de très loin. L‟artifice consiste à décrire les seuls objets (bâtiments, arbres, personnages…) sous forme de « squelettes en fils de fer » pour chaque objet, définissant ainsi les seuls contours de l‟objet réel en trois dimensions, tout comme les squelettes en fils de fer de voiture ou d‟avion qu‟on voit dans certaines publicités télévisées. Lors du déplacement du personnage avec la souris, le PC situe l‟objet 3D du personnage dans son environnement fait d‟objets en fils de fer, et plaque ensuite ce qu‟on appelle des textures sur les différentes facettes de l‟objet. Une chemise blanche rayée de bleu, un pantalon marron, etc., l‟objet devient réel et mobile. Plus le jeu est récent et la machine performante en termes de carte graphique et d‟écran, plus le jeu sera époustouflant de réalisme. On constate que les descriptifs fils de fer des milliers d‟objets nécessaires, ainsi que l‟ensemble des textures associées, consomment très peu de place sur le DVD du jeu et donc dans le PC. Quant au mouvement, il est reconstitué par le PC en fonction des déplacements de la souris, ce qui consomme très peu de place également. Prenons le cas de certains jeux où l‟on peut revoir la dernière minute écoulée des actions du jeu, après avoir lancé préalablement le mode enregistrement spécial : le fichier enregistré est tout petit, il ne fait que décrire les seuls mouvements de la souris au cours de cette minute, et lorsqu‟on visualise le « Play Back » comme on dit, 41


c‟est le PC qui refait tous les calculs en simulant la souris devenue inutile dans ce mode enregistré. Tout cela pour dire que je suis persuadé que notre cerveau fonctionne sur un principe très voisin, n‟enregistrant que le fichier « mouvements de la souris » et les fichiers fils de fer des personnages et objets principaux. Une chose à ajouter cependant, c‟est que les fichiers fils de fer deviennent d‟autant plus précis dans leurs détails que l‟on a souvent vu les personnages au cours de la période éveillée récente. Ils se dégraderont en qualité si on n‟a pas vu le personnage depuis très longtemps, même si on a vécu avec lui pendant des années et qu‟à l‟époque, son fichier fils de fer était très détaillé. J‟explique pour l‟instant ce phénomène en supposant que la mémoire biologique étant limitée en volume, une sorte de gestion des stocks des fichiers fils de fer fait que l‟on y conserve des versions plus ou moins précises du fichier fils de fer en fonction du temps qui passe. Ça signifierait que la mémoire de l‟au-delà serait beaucoup plus importante et conserverait toutes les versions d‟un même fichier, stockées chaque jour avec une date différente et des qualités descriptives différentes de l‟objet/personnage. Il me semble cependant que les deux « cerveaux » et mémoires associés sont incapables de modifier le fils de fer pour vieillir le personnage par exemple, et ça me semble important à préciser, sinon ça signifierait que notre histoire personnelle est peut-être écrite à l‟avance, ce que je refuse intellectuellement. Ajoutons aussi que les tribus de Nouvelle-Guinée ne rêvent jamais d‟une Peugeot 607 ni même d‟une voiture quelconque, ce qui confirme mes hypothèses sur la mémorisation des seuls objets réellement vus par l‟œil. On notera que le rêve peut nous permettre de faire des assemblages bizarres d‟objets fils de fer, par exemple on peut rêver d‟un lion avec des pattes d‟autruche et que l‟imagination peut également y parvenir à l‟état éveillé, mais qu‟il ne s‟agit que d‟élucubrations « visuelles », utilisant des morceaux d‟objets fils de fer déjà connus et mémorisés.

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Nous écouterons maintenant Pyco pour qu‟il nous en dise plus sur les possibilités en vitesse des cellules nerveuses permettant de transférer ces informations de mémoire biologique à « mémoire d‟âme », si l‟on peut dire cela. Tera fit une courte intervention : — Seul Ovni pourrait nous dire pourquoi il a parlé spécifiquement de neutrinos, ce n‟était sûrement pas un hasard. Toutes les études astronomiques actuelles sont tournées vers une meilleure connaissance des neutrinos, les plus petites particules cosmologiques détectées à ce jour. On espère bientôt être en mesure d‟expliquer les quatre-vingtdix pour cent de la masse manquante de l‟Univers, grâce à la matière noire et aux neutrinos. Actuellement, je travaille officiellement sur un projet de lunette astronomique à neutrinos devant être installée à dix mille mètres de profondeur dans le Pacifique, donc dans un noir absolu traversé par les seuls neutrinos, pour avoir ainsi une vision de l‟Univers beaucoup plus précise et surtout non polluée par toutes les autres sources de rayonnement. J‟espère être en mesure de pouvoir en concevoir une plus petite que nous pourrions tester sous les mille cinq cents mètres d‟épaisseur d‟un glacier que j‟ai aperçu pas très loin, pour poursuivre mes travaux en liaison avec nos expériences et assister ainsi nos hommes, s‟ils venaient à se perdre dans l‟espace intersidéral. La séance reprit et Pyco continua : — Excellente nouvelle Tera, nous en aurons sûrement besoin. Je vais tenter de répondre à la question concernant la vitesse de débit possible des terminaisons nerveuses vers l‟au-delà via le Portail/BCP. Donnons un nom à chacune des quatre liaisons : 43


OUT1 et OUT2, celles qui envoient des signaux vers le Portail, et IN1 et IN2, celles qui reçoivent des signaux du Portail. OUT1 fonctionne de façon discontinue au cours de 24 heures, la période la plus active se plaçant pendant le sommeil paradoxal, comme l‟ensemble du cerveau qui semble en état de vidage/recomposition complet de ses neurones et de leur contenu. IN1 fonctionne en suivant exactement le même rythme que OUT1, l‟un répondant à l‟autre apparemment et s‟échangeant mutuellement des paquets d‟informations de même nature, ce qui laisse imaginer un vidage de la mémorisation biologique du jour considéré vers le Portail et à une réponse du Portail, mettant à jour la mémoire biologique avec les seuls fichiers méritant d‟être conservés pour le jour en question. Il termine sa session par une activité sans contrepartie d'OUT1, et cela pourrait correspondre aux données relatives au rêve en cours par exemple, entraînant les rapides mouvements désordonnés des yeux sous leur paupière, phénomène inexpliqué à ce jour, mais ce n‟est qu‟une hypothèse bien sûr. OUT2, par contre, envoie toujours le même type de signaux très régulièrement et à la même fréquence, tout comme si elle chargeait une sorte de batterie énergétique minuscule de l‟autre côté du Portail. IN2 a une activité parallèle à OUT2, régulière, mais de puissance nettement plus faible, comme si la batterie confirmait qu‟elle se charge bien. Je suppose que c‟est cette terminaison-là qui donne le signal de mort définitive au cerveau, lorsque le Portail le décide, sûrement lorsque la batterie est complètement déchargée et que plus aucun signal ne provient de OUT2.

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J‟avoue avoir sacrifié une jeune souris, en coupant le signal OUT2 et vérifié qu‟IN2 s‟affaiblissait rapidement en quelques minutes, puis s‟éteignait complètement. Sur une période de vingt-quatre heures, le débit cumulé sur OUT1 est voisin de un gigabit au total, tout comme celui de IN1 et quatre-vingts pour cent de ce total sont échangés pendant le sommeil paradoxal. Je suis donc totalement d‟accord avec Ovni concernant la seule mémorisation des objets fils de fer et celle des scripts « souris » descriptifs des mouvements des personnages pour éventuellement me repasser le film, comme on dit dans les salles de cinéma. L‟élément clé non encore découvert par Topla est la nature exacte du modulateur/démodulateur situé à la frontière du Portail, modem qui convertit les signaux biologiques en signaux de l‟audelà et vice-versa. Nous n‟en saurons plus qu‟après avoir réalisé nos dangereuses expériences personnelles vers l‟au-delà. Mais, à mon avis, le principe de ce modem doit être voisin de celui que j‟ai utilisé pour la réalisation de mon capteur miniature qui convertit les signaux biologiques en codes informatiques pour visualiser le phénomène analysé sur l‟écran de l‟ordinateur et stocke les séquences vidéo dans la mémoire du PC en même temps. Je pense qu‟il est temps de parler de nos très prochaines expérimentations. Il faudra que le volontaire soit placé en état de coma artificiel suffisamment critique pour qu‟il passe de l‟autre côté de la barrière, en état de mort très prochaine, et qu‟il assiste au spectacle suffisamment longtemps pour bien l‟analyser et le comprendre. Pour se donner un maximum de chances et éviter l‟erreur fatale, il faudra que nous sachions très exactement à quel moment et pourquoi la mort biologique survient. Nous allons faire la même hypothèse que précédemment, pour le tout début de la vie, et supposer que c‟est également un signal 45


extérieur depuis l‟au-delà qui décroche définitivement ce que j‟appellerai l‟âme de son cordon de liaison biologique. Nous allons faire des expériences sur des animaux préalablement, avec le risque évident qu‟elles soient éventuellement destructrices, malheureusement pour les pauvres « bêtes ». Je propose de terminer la séance d‟aujourd‟hui et demande à Aloa et Labo de rédiger le rapport officiel pour les archives. Je remercie Dalaï-Lama pour sa présidence attentive et je m‟apprête à le reconduire chez les moines dans quelques minutes. Merci à tous et dormez bien après un dîner copieux qui est disponible dans la salle à manger.

TOPLAB, Salle de Réunion, Jour 15.

Au terme de quatre journées d‟expérimentations diverses sur des animaux, une réunion de synthèse eut lieu décrivant chacune des expériences et ses résultats chiffrés. On en retiendra la conclusion que Pyco décrivit ainsi : — Nos expérimentations personnelles vont pouvoir avoir lieu, car nous avons démontré que, sur cinq animaux différents, nous étions en mesure de simuler une extinction du signal OUT2 en dérivant les impulsions émises par le cerveau biologique vers notre capteur microscopique réglé spécialement pour absorber la totalité des impulsions et ne laissant donc plus passer ces impulsions vers le Portail. Nous avions auparavant mesuré la période de temps au bout de laquelle la batterie commencerait à donner des signes de faiblesse 46


pour chaque type d‟animal, sans laisser le processus aller à son terme fatal. En « coupant » OUT2 pendant seulement 80 % de ce temps de sursis, disons en le coupant pendant trois minutes sur quatre au maximum, puis en ôtant notre capteur pendant dix minutes, temps nécessaire pour que la batterie réémette des signaux IN2 d‟état normal, puis le replaçant à nouveau pendant trois minutes, etc. tout en maintenant constamment le coma artificiel, alors l‟animal pouvait être ramené à la vie sans séquelle apparente. Depuis le début du programme, nous avions décidé ensemble que je serais le mieux placé pour être le premier cobaye, car j‟interpréterais mieux que quiconque les visions de l‟au-delà en termes informatiques. Je pourrais tenter d‟expliquer le fonctionnement de l‟âme, tout au moins dans cette phase de l‟entre-deux mondes, car il n‟est pas sûr que tout cela ne change pas radicalement de mode de fonctionnement, lorsque la batterie biologique est complètement déchargée et que la mort survient vraiment. Cette hypothèse, basée sur une batterie dépendant du bon fonctionnement biologique, laisse imaginer que le mode de fonctionnement pendant le coma restera proche du mode éveillé classique et que les images et sensations que je récolterai seront assez habituelles, me permettant d‟interpréter facilement mon voyage pour la bonne compréhension de tous. Labo s‟est proposé cette semaine pour me remplacer, s‟appuyant sur le fait qu‟il n‟était pas en charge de famille à sa connaissance, contrairement à moi. Nous l‟avons remercié chaleureusement puis convaincu que j‟étais bien le mieux placé pour l‟expérience.

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TOPLAB, Salle de Réunion, Jour 17. Le grand jour est arrivé. J‟ai passé la journée d‟hier à me concentrer avec l‟aide d‟Aloa sur l‟objectif de mon délicat voyage, relisant les centaines de témoignages parmi les plus crédibles pour être prêt à voir ces merveilles. Mes quatre amis m‟ont longuement serré dans leur bras ce matin et m‟ont tous remis un billet aller et retour de leur fabrication, couvert de messages encourageants. Je suis maintenant sur la table d‟opération et Pyco va m‟injecter le liquide qui va me plonger dans la nuit, pour un instant seulement j‟espère, avant de découvrir des milieux inconnus…… Un dernier regard vers chacun et hop, c‟est fait !

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Sur le fil du rasoir

Un drôle de rêve… Je n‟ai jamais rêvé de la sorte, un rêve où je suis en même temps parfaitement conscient que je rêve à ce moment-là ! Un rêve beaucoup plus coloré, beaucoup plus détaillé, comme un film en relief moderne, mais sans le son apparemment. Pour l‟instant, je ne vois que des paysages superbes, ressemblants aux merveilleux paysages du film Samsara, qui a justement été tourné dans ces régions de haute altitude où TOPLAB est installé. C‟est si beau que je n‟ai aucune envie que cette vision cesse, comme si on pouvait contrôler le cours d‟un rêve ! En tentant de me concentrer, j‟ai vaguement l‟impression de ne pas être dans mon corps, car je n‟ai aucune perception de mes cinq sens élémentaires. Et d‟ailleurs, mon corps, ici, je ne le « vois » pas et j‟ai beau essayer d‟orienter mon « regard » dans tous les sens, y compris vers le « haut » et vers le « bas », je n‟y parviens pas, et les images du « film » continuent à se dérouler inexorablement. Apparemment, je ne me déplace pas et pourtant les scènes changent lentement, on se croirait dans une salle de cinéma pour une projection sur trois cent soixante degrés, en relief où l‟on verrait ou plutôt on serait présent à l‟intérieur même d‟un documentaire d‟Ushuaia. Un flash brutal, puis le noir profond avec quelques fines étoiles filantes blanches, puis le film qui revient, plus pâle, mais mon intérêt pour le film a presque disparu tant ce flash m‟a presque réveillé, si j‟ose dire. En fait, c‟est bizarre, car la notion de réveil est bien perceptible, mais en même temps je me sens terriblement fatigué et je souhaite que cela cesse vite… 49


La fatigue est telle maintenant que ma vision se réduit progressivement au noir le plus absolu dans lequel j‟ai le sentiment d‟errer en tentant de trouver une issue quelque part. L‟inquiétude me gagne rapidement et je me débats contre cette sensation qui me submerge, une prémonition que je vais plonger dans l‟inconnu. Je suis maintenant conscient que je glapis des ordres, des instructions pour ma survie, mais je ne reçois aucun écho en retour… Je hurle dans le néant et brutalement tout s‟éclaire, comme à travers mes « paupières ». La fatigue s‟évanouit, une sensation de bien-être s‟installe, les angoisses s‟envolent, et j‟ouvre les « yeux » sur un spectacle apparemment très banal ressemblant à un décor paysager de StarWars. De l‟endroit où devraient être mes « pieds » jaillit un flux de lumière blanche ressemblant à un tapis de fibres brillantes très fines, tapis qui ondule légèrement en se dirigeant vers une sorte de bulle moins noire que le reste. J‟ai le sentiment que je me vide de quelque chose sans pouvoir définir de quoi. Le flux y pénètre et s‟y disperse et l‟on perçoit des rais de lumière éphémères qui se propagent dans la bulle, un peu comme si elle était constituée comme une éponge à la trame très peu serrée permettant de voir par bribes ce qui se passe à travers les espaces vides de sa structure. Lorsque le flux lumineux s‟éteint, je peux alors distinguer une autre sphère plus petite à l‟intérieur de la première, d‟une trame plus fine encore et entourée d‟un halo légèrement violet qui se transforme en fibres violettes se dirigeant vers « moi », en bas du moi que je ne peux voir. Ce flux-là est régulier, constant, je dirais presque qu‟il est rassurant et que c‟est grâce à lui que mes angoisses finissent de s‟estomper pour disparaître totalement.

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Progressivement, mes perceptions s‟affinent et j‟ai l‟impression que je pourrais voir plus « loin » si je me concentrais pour y parvenir. Se concentrer, facile à dire, mais se concentrer sur quoi, puisque tout est nouveau ici !? Un effort de concentration me fait me souvenir de ma journée d‟hier, passée avec Aloa, à réviser les anciens témoignages sur l‟au-delà et les conseils d‟Aloa s‟imposent tout de suite comme le meilleur moyen de concentration. Mes souvenirs me rappellent qu‟Aloa m‟avait fermement recommandé de « visiter » le milieu dans lequel je me trouverais, sans me laisser perturber par les visions ou objets que j‟avais déjà découverts, car on pourrait toujours y revenir plus tard, si le « temps » le permettait. Le temps est compté me disait elle et de plus on ne sait rien de l‟échelle de temps dans l‟au-delà, elle peut être beaucoup plus grande ou plus petite. Pendant que je repense à Aloa, je me rends compte que je ne vois plus rien d‟autre qu‟elle et qu‟il faut que je me sorte de cette situation de rêve depuis l‟au-delà, que je me réveille pour reprendre mon expédition de découverte active. La lumière « naturelle » revient lentement et je suis maintenant « éveillé », tentant d‟oublier ces deux sphères imbriquées qui semblent me barrer le chemin, ce qui est curieux, car elles n‟occupent que vingt pour cent de mon champ de vision vers le haut. Mais je ne vois rien d‟autre et de plus je ne peux bouger. Je me concentre alors sur le halo violet qui éclaire faiblement la sphère externe. J‟insiste encore, comme si j‟écarquillais les yeux devant une photo floue pour en percevoir les détails… Progressivement, la lumière violette s‟intensifie dans le halo qui touche maintenant la sphère extérieure et une activité de rais tronçonnés de lumière rouge se manifeste dans la grande sphère noire.

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Cette activité augmente au fur et à mesure que je me concentre, mais rien d‟autre ne se passe. Je me souviens alors d‟un jeu vidéo, jeu se passant dans l‟espace intersidéral avec de nombreuses planètes, chacune représentée en fils de fer sous forme de sphères parfaites. J‟insiste encore, le flux violet s‟intensifie ainsi que l‟activité rouge dans la grosse sphère et, comme par miracle, l‟activité rouge cesse brusquement et le reste de la scène que je ne pouvais voir s‟éclaire lentement d‟une lumière violette très faible, mais suffisante pour me laisser percevoir que je suis enfermé dans une sphère bien plus grande qui enveloppe le tout. Je persiste et je vois alors des myriades de filaments de lumière blanche ultra fins couler depuis cette enveloppe de manière radiale vers la sphère noire puis la sphère violette, un peu comme un iris en trois dimensions et s‟y fondre pour y disparaître complètement. Bizarrement, la scène globale est maintenant mieux éclairée et toute activité semble suspendue, à part le halo violet toujours présent, mais stable, comme dans l‟attente de quelque chose de nouveau à faire. Aurais-je donc réussi à déclencher une sorte d‟interrupteur qui me permet maintenant de voir un autre objet, cette fameuse sphère enveloppe intrigante à souhait ? Je fais encore un effort de concentration, puis la sphère m‟apparaît comme parcourue d‟une sorte de frémissement aléatoire que je ne m‟explique pas, car les deux autres sphères me semblent immobiles. Pour mieux la voir, je me concentre à nouveau sur les sphères en fils de fer et je dérive « involontairement » vers des images de poupées russes, traduisant le décor jusqu‟ici connu de moi, des pièces rondes s‟emboîtant si parfaitement les unes dans les autres. Lorsque cette nouvelle concentration s‟estompe, je reprends contact avec l‟environnement pour y découvrir qu‟il y a une seconde enveloppe derrière la première, apparemment deux fois plus loin, dans toutes les directions et qu‟elle semble visible, car éclairée faiblement par la surface externe de la première enveloppe d‟une lumière de couleur totalement inconnue de moi jusqu‟à présent. 52


Cette lumière alpha semble se diriger vers la grande enveloppe externe et s‟y fondre, comme absorbée. Mais tout disparaît brutalement, de nouveau un noir absolu, quelques fulgurances de visions plus familières et je m‟endors, un peu déçu cependant.

Le retour de l’enfant prodigue On s‟affaire beaucoup dans la salle d‟opération de TOPLAB. Cela fait maintenant près d‟une heure que Pyco place et déplace régulièrement son capteur via son système de commande vocale, en scrutant son écran. L‟ordinateur ronronne doucement : il a été complètement modifié et est constitué à présent de trois unités centrales complètes et identiques fonctionnant en parallèle sur les mêmes algorithmes et envoyant chacune le résultat qu‟elle calcule à un boîtier électronique permettant de comparer les trois calculs, avant de valider un signal en sortie. C‟est une idée de Labo qui tenait à sécuriser au maximum le robot manipulateur en mettant en place ce qu‟on appelle un circuit de décision à logique majoritaire « deux sur trois ». Si seulement deux PC sont d‟accord, le troisième serait mis hors circuit, déclaré en panne par les deux autres. Sous les regards très attentifs de ses trois assistants, Pyco avait d‟abord préparé la zone de travail sur Ovni en pratiquant une toute petite ouverture dans le crâne de son camarade endormi et il avait heureusement mis peu de temps à localiser le BCP, dont il connaissait par avance la position dans l‟espace au millimètre près. Il avait déclaré préalablement que pour les futures expériences, il pourrait éviter de faire une ouverture et qu‟il passerait par les voies naturelles existantes, puisqu‟il aurait ainsi confirmé la position exacte du BCP avec cette première expérience d‟Ovni.

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Pyco se redressa, eut un regard vers Labo, Tera et Aloa, leur fit un clin d‟œil plutôt rassurant derrière son masque et alla extraire le capteur manuellement. Il referma l‟ouverture pratiquée dans mon crâne et annonça qu‟Aloa pouvait injecter le liquide spécial autorisant lentement la sortie du coma. Mon réveil se produisit de manière classique, exactement comme tous les réveils auxquels Pyco avait participé au cours de sa vie active.

Alors…, raconte-nous Ce fut un sommeil classique, sans rêve malgré les évènements récents. J‟émerge lentement dans ma chambre qui est peu éclairée, mais je perçois deux ombres de visages aux cheveux longs de part et d‟autre de mon lit. J‟entrouvre les paupières et je sens instantanément deux mains serrer chacune des miennes. Je ne sens aucune douleur, je suis simplement fatigué comme après une dure journée de labeur. Je ne fais aucun signe pouvant précipiter des embrassades, car je veux goûter cet instant de bonheur amical si troublant et j‟en profite pour tenter de me remémorer mon voyage. Apparemment, tout semble là, presque en détail, ce qui semble prouver que la mémoire peut être transférée dans les deux sens via le Portail et que mes collègues visionnaires, revenants de l‟au-delà, n‟ont pas inventé leur récit, même s‟il est différent du mien. Dix minutes se passent dans un semi-assoupissement, car mes paupières s‟étaient refermées. Il est temps maintenant de montrer que je suis bien entier et prêt aux effusions. 54


Mes paupières s‟ouvrent complètement, j‟esquisse un timide sourire et je vois deux madones à genoux à mon chevet ainsi que deux grands barbus en robe longue couleur bleu nuit au pied de mon lit, debout et graves comme dans la Bible pour le réveil de Lazare. Les deux madones se redressent presque au même instant et font glisser leurs mains jusqu‟à mes épaules, mon visage et sur mon front. Les deux copains se congratulent en tombant dans les bras l‟un de l‟autre et en se tapant dans le dos, mais je ne leur en veux pas parce qu‟Aloa et Tera ne leur laissent aucun espace disponible pour pouvoir m‟approcher. Il y a des larmes au milieu des rires féminins et des sourires déformés par l‟émotion chez les garçons. Que de chaleur humaine en une telle circonstance ! On souhaiterait presque être capable de la répéter à volonté, tellement ça revigore un ex-futur macchabée. Mes premiers mots furent pour chacun des amis présents, paroles banales, qui rassuraient chacun individuellement et les remerciaient pour leur tendresse. J‟ai aussi eu l‟occasion de faire de même, par visioconférence, avec Dalaï-Lama réveillé en pleine nuit et qui déclara venir demain à TOPLAB, pour une mise en commun des évènements. J‟eus droit à une très légère collation et, après quelques bisous en bonus, on me demanda gentiment de me reposer après les soins que me prodiguèrent Aloa et Pyco, pendant que Tera et Labo préparaient une petite fête pour le lendemain. Un long sommeil réparateur fut le bienvenu et, le lendemain matin, je vérifiai rapidement que mes idées étaient claires et ma mémoire récente intacte. La douleur physique au niveau du cuir chevelu était tolérable et ne me gênerait pas l‟après-midi. Les quatre vinrent déjeuner avec moi dans ma chambre et aucun n‟aborda le sujet, malgré une curiosité palpable de bon aloi. 55


Aloa et Tera m‟aidèrent à faire quelques pas jusqu‟au fauteuil du salon où je poussai un petit somme jusqu‟à l‟arrivée de Dalaï-Lama qui vint me procurer les paroles apaisantes qui le caractérisent si bien. Dalaï-Lama commença la réunion en disant : — Ovni, vous voilà de retour après un voyage qui a sûrement été palpitant et nous allons tous nous contraindre à vous écouter sans poser de questions, vous laissant dérouler votre récit à votre guise, avec toutes les pauses que vous souhaiterez. Un grand merci par avance pour tout ce que vous allez nous apprendre et que nous analyserons demain tous ensemble. Je pris ma respiration et fis un récit complet en parlant lentement, tant pour me faciliter la chose que pour laisser le temps de la compréhension à l‟auditoire. Les visages étaient tendus, comme sous l‟emprise d‟un effort de concentration individuel pour mieux intégrer ces nouvelles assez surprenantes. La séance dura deux heures, suivie d‟une sortie à l‟air libre par une après-midi ensoleillée et douce pour la saison. Un léger dîner me fut servi et rendez-vous fut pris pour le lendemain dix heures. Chacun se coucha relativement tôt pour mieux repenser à toutes ces visions de l‟au-delà que chacun analysa à sa manière pour préparer mentalement les questions à poser.

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Interprétation de groupe. Pyco lança le débat ainsi : — Ovni je m‟intéresse plus particulièrement à la relation avec le corps biologique dans un premier temps. Avez-vous eu l‟impression que votre conscience nouvelle avait réellement quitté votre conscience biologique et qu‟elle était très différente ? — Je n‟ai pas eu l‟impression d‟avoir quitté ma conscience biologique, car j‟étais strictement incapable de quitter ma position et de plus, je crois bien que les flux lumineux qui sortaient de ma position correspondaient à une forme de communication venant du cerveau biologique et allant vers une sorte de mémoire de l‟au-delà, mémoire caractérisée par la première sphère éponge aperçue. De même pour le flux lumineux violet venant vers moi, comme pour aider à alimenter en énergie ma conscience à bout de batterie biologique. Je suis d‟ailleurs persuadé que ma position ultime, en cas de mort réelle, sera au centre de toutes ces sphères, à l‟endroit de la sphère violette qui m‟enveloppera de sa douce lumière réconfortante, mais Dieu seul sait pour faire quoi et comment dans cette nouvelle et ultime position ! Pour résumer, il m‟apparaît clairement que ma conscience, ou plutôt mon unité arithmétique et logique et mon système opérationnel personnel de base, comme on dit en jargon informatique, ma conscience donc est unique et est alimentée par une source biologique en cas de vie et par une source différente dans l‟au-delà. Pendant mon voyage, j‟étais en fait, constamment immobilisé sur le seuil du Portail, alimenté par une source et par l‟autre en même temps, lorsque nécessaire.

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J‟étais, certes, autorisé à certaines choses, un peu comme l‟utilisateur ordinaire d‟un PC au bureau, à qui l‟administrateur responsable du parc informatique a alloué certains droits d‟utilisation, droits très inférieurs à ceux que lui-même possède par sa fonction. A l‟état de mort biologique totale, je suis persuadé que je pourrais alors devenir cet administrateur central ayant tous les pouvoirs sur l‟entité complète, sauf évidemment ceux qu‟un administrateur de niveau encore supérieur aurait conservés pour son seul usage. Dans la position qui était la mienne, j‟en conclus que ma conscience avait des capacités cognitives réduites, tout en étant supérieures à celles que possédait ma conscience antérieure. Par ailleurs, comme je n‟avais aucune perception d‟un corps quelconque, le mien m‟ayant quitté temporairement, je crains qu‟il ne soit impossible de voir et d‟analyser ce quelque chose qui me sert de conscience même si j‟étais l‟administrateur en chef, mais « qui vivra verra » ou plutôt « qui mourra verra »……Peut-être ! Aloa demanda alors : — Dites-nous si vous avez eu une impression de froideur relative dans cet environnement, compte tenu de sa structure sphéroïdale qui va en impressionner plus d‟un. — Froideur, non, car mon expérience d‟informaticien m‟a fait rapidement comprendre certains phénomènes, à un tel point que je n‟étais pas peu fier lorsque j‟ai fait fonctionner « l‟interrupteur de l‟éclairage ». Vu autrement, rien ne nous autorise à extrapoler et à supposer que la perception sera identique en cas de mort réelle. Sous forme imagée, ce que j‟ai vu, c‟est un peu comme si on me faisait visiter une voiture en commençant par la vue éclatée des détails du moteur avant d‟ouvrir la portière pour que je m‟y installe confortablement devant les manettes et le tableau de bord.

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À remarquer que les dames et certains messieurs feraient bien de bénéficier d‟une telle visite du moteur, pour mieux comprendre les souffrances qu‟ils vont faire subir à la bête à quatre roues. Il est vraisemblable que la conscience dans l‟au-delà fonctionne sur un mode tout à fait différent du nôtre, mode plus compatible avec les structures de l‟Univers de l‟infiniment petit que l‟on m‟a dévoilé très partiellement. Tera intervint : — Ovni, à quels types de « matériaux » supposez-vous que vous avez été confronté ? — Mes suppositions sont très grossières et d‟autres voyages seront indispensables. Cependant, je dirais grosso modo : . Que l‟enveloppe externe a pour rôle de protéger du bombardement incessant des particules intersidérales de l‟Univers, en ajoutant que sa stabilité laisse penser à une sorte de « Gluon Ball » fait de gluons libres qui se sont agglutinés sous leur propre gravité pour servir de rempart. . Que l‟enveloppe intérieure semble avoir un rôle électrique, elle pourrait être constituée d‟électrons libres stabilisés et agglutinés par une force à définir. . Que la sphère noire semble avoir un rôle de mémoire globale de l‟individu, autorisant des images plus précises de la vie antérieure et faite peut-être de neutrinos dans l‟un de leurs trois états stables possibles. . Que la sphère violette ne serait qu‟un générateur ou une batterie, d‟une matière à définir et alimentant l‟ordinateur et sa mémoire, générateur alimenté par l‟enveloppe interne qui est en permanence irisée vers le centre des opérations. Il m‟est difficile d‟apprécier le diamètre de la grande enveloppe, mais comme les différentes particules que je devine 59


sont toutes de dimensions excessivement faibles, je dirais que le diamètre maxi ne dépasse pas celui de quelques atomes de matière quelconque, ce qui fait peu. Nous sommes donc peu de chose, comme on dit parfois dans un éclair de génie visionnaire. Labo demanda à son tour : — Mais quels sont alors les organes d‟action là-haut, puisque rien ne ressemble à des bras, des leviers, des boutons-poussoirs quelconques ? Ne me dites pas que vous contrôliez tout par la seule pensée ! — Mon cher Labo, encore une fois BINGO ! car le seul contrôle qui a fonctionné pour le moment, c‟est grâce à un effort très concentré de matière grise sur l‟objectif, une énorme concentration qui émet vraisemblablement des signaux d‟accès à la mémoire centrale. Celle-ci doit également posséder des images de son propre environnement et de la constitution interne de l‟ensemble de la bulle, tout comme si quelqu‟un avait déjà occupé le poste de pilotage et permis cette mémorisation antérieurement. Ça me fait penser que ce pilote-là n‟était peut-être que moimême, juste avant que je ne m‟accroche à mon petit fœtus d‟origine, mais en ayant alors un cerveau tout neuf et vidé de tout historique. J‟ai également été aidé par des associations d‟idées, comme avec les poupées russes, par exemple. Je suppose que la plupart des revenants de l‟au-delà n‟ont réellement vu que la première phase de ma vision, le fameux chemin de lumière sous leurs « pieds », chemin invitant à aller plus loin, mais sans pouvoir bouger cependant. Les autres visions sont sûrement des interprétations basées sur les images déjà connues et mémorisées. 60


Moi, j‟étais en quelque sorte conditionné par mon expérience informatique et je n‟ai peut-être vu que la partie que je voulais voir inconsciemment. C‟est donc à vérifier par une mort réelle, car il faudra abandonner cette vie pour poursuivre nos expériences vers la mort. Aloa et Tera posèrent la même question : — Mais Ovni, comment pouvez-vous imaginer que nous vous laisserions pratiquer une telle expérience, dans les conditions actuelles de nos connaissances ? — Je répondis que j‟avais une petite idée sur la question, mais que je préférais donner la parole à Pyco et Labo qui n‟avaient pas cessé de faire des apartés à deux, hier. Pyco sourit en lançant un regard complice à Labo : — Nous avons pourtant tenté de rester discrets lors de nos conciliabules, mais vous nous avez découvert Ovni. Eh bien ! OUI, nous finissions de mettre au point une nouvelle expérience future, du seul côté biologique du Portail, expérience qui permettra de tester le nouveau capteur quadripolaire que Labo a fignolé à partir de mes plans. Ce capteur robotisé est encore plus petit que le précédent et il présente surtout l‟avantage de pouvoir lire les quatre signaux en même temps et d‟être capable de les dériver individuellement pour qu‟ils cessent de se propager vers le Portail, comme nous l‟avons déjà fait sur le seul signal OUT2. De plus, l‟enregistrement complet des échanges de signaux peut être réalisé sur le disque dur des trois PC pour dépouillement ultérieur, lorsque nous aurons percé le mystère de leur code et programmé un décodeur. 61


L‟expérience d‟Ovni l‟a laissé sur le Portail, car nous n‟avions joué que sur le paramètre OUT2. Cependant, Ovni était toujours en très bonne santé biologique et les signaux continuaient à se propager via OUT1, Ovni les a d‟ailleurs vus sous la forme du « chemin de lumière » qui se dirigeait vers le centre du système. De ce fait, le système savait qu‟Ovni vivait encore, car les signaux OUT1 étaient parfaitement codés et pas aléatoires du tout. Le système est sûrement préparé à une telle circonstance, attendant que le renouvellement des cellules biologiques fasse son travail et reconstitue la liaison OUT2 ayant subi un « accident » temporaire. La prochaine expérience sera donc réalisée sur un gentil petit lapin blanc des neiges, attrapé ce matin même et qui gambade entre nos jambes en ce moment. En dérivant en même temps OUT2 ET OUT1 pendant quelques minutes, plaçant donc l‟animal en état de mort apparente vu de l‟au-delà, nous remettrons ensuite les deux circuits en service. Par mesure de précaution, nous dériverons également les deux signaux IN2 ET IN1, car nous ne connaissons pas leur rôle exact, et il serait imprudent de les laisser connectés au cerveau biologique, car le Portail envoie peut-être un signal spécial destiné à « tuer » le cerveau s‟il détecte une mort totale via OUT2 ET OUT1. Tuer n‟est sûrement pas le mot correct et « débrancher » quelques circuits vitaux serait sûrement mieux adapté et correspondrait aux cas d‟amnésies totales ou partielles de certains revenants de l‟au-delà. Si notre lapin s‟en sort bien et continue son bonhomme de chemin sans perturbation apparente avec, de nouveau, des échanges d‟informations sur les quatre signaux, nous aurons alors des billets aller et retour garantis pour Ovni et pour nous-mêmes ultérieurement. 62


Le seul risque que je ne vous cacherai pas, c‟est que la reconnexion complète peut éventuellement se produire sur un système de l‟au-delà vierge de toute mémoire globale antérieure, un peu comme si Ovni nous revenait avec l‟état mental d‟un fœtus en voie de développement dans l‟utérus. Ce risque me semble très faible, car je suis persuadé que le code unique de l‟ADN d‟Ovni a « tatoué » toutes les informations dans sa mémoire de l‟au-delà et que c‟est bien celle-là qui se reconnectera au Portail. En poussant l‟humour noir au bout, il serait cependant amusant de voir Aloa et Tera se disputer pour pouvoir bercer le nouveau bébé Ovni d‟un mètre quatre-vingt. Bon, très bien, je vois que vous ne semblez pas favorables à cette solution et préférez le modèle original, je vais donc vous apporter un peu de soleil et d‟optimisme… Regardez bien ce petit lapin blanc qui sautillait partout et qu‟Aloa tient maintenant sur ses genoux. Eh bien, c‟est un vrai revenant de niveau quatre, il a subi la déconnexion totale pendant six heures et il est là, bien vivant, et il n‟a aucune perturbation mentale apparente. Labo et moi avons pris ce risque dans la nuit d‟avant-hier, juste après le réveil d‟Ovni et avant même sa description, dans le but de nous rassurer tous sur le futur de nos expériences. Si Aloa regarde bien entre les oreilles du lapin, elle verra un minuscule connecteur à quatre contacts, caché sous les poils, connecteur qui joue le rôle d‟obturateur de la zone opérée du cerveau. Il suffit maintenant de brancher un tout petit câble pour le raccorder aux trois PC. Plus besoin d‟opérations à cerveau ouvert, le capteur à quatre voies est intégré au patient.

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Mesdames, je vois que vous faites la grimace en découvrant ce connecteur et je reconnais que c‟est un peu choquant pour nos esprits « libres », mais vous me comprenez, car ce n‟est qu‟un connecteur, il n‟y a pas de puce intelligente du genre « Big Brother », puce incorporée pouvant porter atteinte à nos libertés individuelles. Labo est en train de terminer un connecteur standardisé pour chacun de nous, mais que l‟on pourra équiper d‟un petit émetteur Wifi ou Wimax pour contrôler le processus à distance, sans nécessiter un lien physique avec les PC. Ce connecteur sera testé au cours de la prochaine expérimentation humaine et sera fabriqué en cinq exemplaires s‟il donne toutes satisfactions. Qu‟en pensez-vous, Ovni ? Qu‟en pensez-vous, Dalaï-Lama ? — Pyco et Labo, vous avez très bien fait de pousser plus avant vos techniques, et ce bouchon connecteur Wimax me semble correspondre parfaitement à nos besoins. Je suis bien sûr prêt à me lancer vers le Niveau 4 et tout excité à l‟idée de découvrir plus précisément ce que j‟ai simplement entraperçu. Disons dans quarante-huit heures, car c‟est l‟époque des grosses truites dans le lac, à ne pas rater, car je n‟en ai vu aucune là-haut. — À vous tous un grand merci, dit Dalaï-Lama. Votre plan progresse rapidement et je suis enthousiasmé de constater votre volonté commune à avancer à ce rythme inattendu, pour moi en tout cas. Je vous souhaite pleine réussite et je reviendrai la semaine prochaine.

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Dalaï-Lama se leva, nous le suivîmes dans ce mouvement et une séance d‟accolades signa la fin de la réunion. La prochaine étape sera cruciale et son succès annoncera le début d‟une grande quantité d‟aventures très diverses qui auront une répercussion mondiale sur les dix milliards d‟individus de cette planète. Nous devrons gérer ces nouveaux pouvoirs qui nous seront propres pour en rester dignes, en maintenant constamment le cap pour le respect des lois universelles que nous savons justes. Les écueils existeront, des dérapages pourront survenir, mais nous sommes cinq pour assurer cet autocontrôle du groupe et lui garantir le seul comportement éthique qui vaille, celui qui refuse toute tentation de prise de pouvoir sur des masses fragiles.

Niveau quatre Nous avons attrapé une trentaine de truites superbes, hier après-midi, au cours d‟une garden-party mémorable où chacun a pu retrouver son bronzage habituel, quelque peu malmené ces derniers temps. Deux truites furent fumées et consommées sur place et leurs restes ont fait les délices de Casimir, notre chat fétiche que DalaïLama nous a ramené. Les jeux et sauts de Casimir et de Lapinou nous ont distraits jusqu‟à la tombée de la nuit, tardive à cette altitude. Un bon sommeil de huit heures sans rêve m‟a bien préparé pour le grand saut vers le Niveau 4. Juste un verre d‟eau avant la table d‟opérations de Pyco, pour faciliter le voyage. Je m‟endors plus rapidement que la première fois sous l‟effet de la piqûre et je recommence mon périple là où il s‟était arrêté. 65


Le chemin de lumière sous moi, l‟alimentation violette vers moi, que du déjà vu ! Ah !… Ça change, le chemin de lumière disparaît progressivement jusqu‟à l‟extinction complète pendant que le chemin d‟alimentation s‟intensifie vers moi jusqu‟à prendre des proportions inquiétantes, jusqu‟à ce que je sois entièrement entouré de flashs violets vibrant de plus en plus rapidement. Impossible de m‟endormir dans ces conditions et pourtant, un effort de concentration serait sûrement utile pour trouver le bouton de « transfert ». Je ne perçois rien de particulier, même pas une sensation de chaleur qu‟une telle vision suggérerait sur Terre. Un brouillard d‟images confuses apparaît au centre de ma vision, pendant que le halo violet qui m‟enveloppe s‟estompe progressivement. Quand le halo a complètement disparu, l‟image que j‟aperçois est un cercle bleuâtre très net, dont le pourtour disparaît graduellement vers un noir profond aux extrémités de ma vision circulaire. La partie centrale nette représente environ quatre-vingts pour cent de la surface utile de ma vision. Je suis interloqué, car je me retrouve devant une énigme à décrypter, tout comme dans un jeu de G. Lucas où je prenais le rôle d‟Indiana Jones essayant d‟ouvrir des portes fermées par un code spécifique. Rien ne se passera si je ne décrypte pas, et il n‟y a pas de sauvegarde dans ce jeu ici haut pour éventuellement pouvoir recommencer en amont dans le temps et éviter cette épreuve trop difficile. Concentre-toi Ovni, me dit Aloa…, mais c‟était ce matin, juste avant les adieux et l‟au revoir des copains.

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Je me concentre donc, mais le cercle central me met uniquement dans le bleu comme on dit, rien de spécial sur cette image d‟accueil. Par contre, dans la zone noire de l‟écran supérieur, à gauche, de petits objets tournent, tournent et je les vois maintenant beaucoup mieux, comme si un effet de loupe locale avait été déclenché par ma seule volonté. On y voit l‟image de notre bienfaisant Soleil dans sa galaxie lactée et l‟image s‟affinant, on voit maintenant la Terre auréolée de son bleu atmosphérique et sa Lune, le tout dans leur position exacte à ce même instant, mais ce n‟est qu‟une représentation, et pas une vue directe de la Voie lactée. Ça semble être une représentation du temps universel actuel, une sorte d‟horloge quoi ! Je me concentre sur la notion de temps spatial que cela suggère, avec une représentation particulière de chaque objet céleste, y compris la position exacte du Soleil dans sa course autour du centre de la Galaxie et de la Galaxie au sein de l‟Univers tout entier. Si cela représente une horloge spatiale, il ne me sera pas facile de convertir le onze septembre 2001, à neuf heures du matin, heure de New York pour tenter de me revoir, découvrant sur mon écran les dernières images du drame en cours sur la chaîne CNN. J‟oublie l‟horloge pour l‟instant et regarde le coin supérieur droit. Il y a une petite sphère bleue que je fixe pour qu‟elle grossisse jusqu‟à représenter une image de la Terre centrée sur l‟Himalaya, juste au-dessus de TOPLAB. Un petit zoom et je vois nettement le lac glaciaire, mais ce n‟est qu‟une image fixe, genre « Google Earth ». Je suis presque sûr qu‟il s‟agit de la localisation précise de l‟évènement présent en cours de déroulement et de sa mémorisation et me concernant, moi, au milieu de ma sphère.

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C‟est donc une information importante qui sera sûrement « tatouée » sur les images correspondantes, pour mieux préciser l‟endroit exact de la scène enregistrée. L‟heure spatiale doit être également tatouée pour que la signature sur l‟image soit unique à moi-même et surtout à personne d‟autre. Mais au fait, il n‟y a rien qui me caractérise MOI, un individu unique en son genre, sur une telle image ! Je dérive immédiatement sur l‟angle inférieur gauche pour y découvrir un code excessivement long qui est sûrement mon génome tout entier, codé à la sauce spatiale apparemment. Je trouve ce code très… TRES beau, bien sûr, tel un Narcisse se complaisant à se mirer dans l‟eau. Il me reste à trouver le moyen de faire apparaître la scène actuelle au milieu de cette vision, à la place du cercle bleu. Seul, le quatrième coin, en bas à droite reste vide et comme c‟est le seul que je n‟ai pas encore visité, je me concentre dessus et l‟écran s‟illumine pour me montrer une scène incroyable, inimaginable, qui me montre, moi, sur mon lit d‟opération, avec quatre personnages qui scrutent des écrans autour de mon lit. La « caméra » semble placée à cinquante centimètres audessus de moi et fournit une vue correctement détaillée, prise à la verticale plongeante avec ma barbe au centre du cercle. Il me faut un certain temps pour m‟adapter à cette image qui semble être prise avec un objectif du type « Œil de Poisson », c'està-dire une lentille parfaitement sphérique qui permet de voir sur une seule image tout ce qui peut être vu dans un angle de cent quatre-vingts degrés complet, avec quelques déformations par rapport à l‟image plane cependant. Objectif sphérique, mais c‟est donc ce qu‟on peut voir au-delà de ma bulle sphérique et ce serait donc la première fois que je vois « à travers » elle, c‟est une bonne nouvelle. Compte tenu de la distance apparente de 50 cm de l‟objectif par rapport à mes poils de barbe, ça signifie par contre que ma bulle 68


s‟est éloignée de moi, comme si elle était prête à me quitter, ce qui me rappelle ma situation actuelle de mort en sursis ! Me regarder alors que je suis mort, c‟est censé me refroidir pour de bon, mais les quatre potes qui tournent autour sont si rassurants que je ne ressens aucun trouble particulier. J‟ai presque envie de leur parler, mais comment le faire ? Il semble qu‟il y a des fuites sur OUT2 ou alors que le système ne me considère pas comme complètement mort, donnant quelque répit à mon organisme pour reconstituer les connexions nerveuses disparues. Dans ce dernier cas, la vue en cours proviendrait alors de ma bulle qui contiendrait donc une sorte de « caméra de contrôle » interne pour vérifier ses propres hypothèses de mort probable du sujet placé en surveillance vidéo. Heureusement, je ne suis pas encore enterré, sinon une vision toute noire depuis cette « caméra » déclencherait peut-être un processus irréversible m‟envoyant dans l‟espace intersidéral, moi et ma super mémoire, pour me faire cogiter sur le film complet de ma vie, film éternellement repassé comme au cinéma permanent, avec largement assez de temps pour pleurer éternellement sur toutes mes erreurs humaines qui me coincent dans ce purgatoire. Presque habitué à cette vision, je surveille l‟angle de l‟horloge espérant enregistrer son indication et ensuite je regarde l‟écran d‟un ordinateur tout proche de mon lit, pour enregistrer l‟heure terrestre. Je suis obligé de faire un effort de plusieurs dizaines de secondes pour lire l‟information sur l‟ordinateur, à cause de l‟épaule de Tera qui me gêne et ensuite de la confirmer en regardant encore une dizaine de secondes. Je regarde à nouveau l‟horloge spatiale… BINGO ! elle indique l‟heure terrestre avec les secondes qui défilent. Ouais… super ! ça sera bien plus pratique pour questionner ma propre mémoire en pensant à des dates et heures terrestres, à condition de les convertir en heure locale de Katmandou préalablement, mais ce n‟est pas un problème majeur.

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Poursuivant cette expérience incroyable tout en surveillant les amis pour vérifier qu‟ils ne sont pas en train de démarrer la procédure de rapatriement du corps, je me concentre sur Labo très profondément, le voyant manipuler sa souris fébrilement pour faire défiler des graphiques de surveillance médicale. Au bout d‟une minute, ma vision centrale ne se modifiant pas, je regarde le coin en bas à gauche et je m‟aperçois que le code génétique est différent. Je saute sur le coin Clic, en bas à droite et l‟image change complètement, je vois maintenant à travers les yeux de Labo un écran de contrôle classique de PC, mais en image plane cette foisci. Il faut que j‟essaie de communiquer avec Labo, mais il n‟y a pas de son ici, puisque pas d‟air pour le véhiculer. Une idée me percute, il faut que je tente ça. Le son n‟est sûrement pas mémorisé d‟une façon classique puisqu‟on ne pourrait pas en « profiter » dans la bulle. Mais il y a une solution plausible, c‟est qu‟il soit mémorisé sous forme littérale, un peu comme un texte en sous-titre dans un film. Dans ce cas, on pourra toujours lire le texte correspondant aux paroles du personnage. Pour vérifier, il suffit que je me repasse une scène datant d‟une heure auparavant. Une modification de l‟heure terrestre en faisant tourner la terre dans le bon sens d‟un vingt-quatrième environ, et voilà ce que Labo voyait et « entendait » à ce moment-là, c‟est-à-dire, moi sur le lit d‟opérations et le regard de Labo dirigé vers le sol au pied des ordinateurs, puis des mots très corrects qui défilent en surimpression, mais ce doit être Pyco qui parle : — Labo, attention aux câbles des PC, car ils gênent les mouvements autour du lit…

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C‟est dément… je n‟ose le croire complètement, il me faudra du temps pour m‟y habituer. Je reviens à l‟image présente, celle de Labo surveillant ses écrans. Je me concentre sur un texte court en majuscules pour tenter une liaison : — LABO ? C‟EST MOI, OVNI. Ce texte apparaît dans ma « tête » et me sert de support pour la concentration et aussi simultanément sur mon « écran » alors que Labo se lève brutalement et balbutie : — Je suis fou ou quoi ? — Que se passe-t-il Labo, veux-tu que je te remplace dit Tera ? — Non, non, ce n‟est pas ça, j‟ai tout bêtement entendu Ovni me parler dans ma pauvre tête perturbée. Un brouhaha s‟ensuit, mais je ne tente pas de décrypter le flot de texte qui défile, je me concentre au contraire sur un nouveau texte : — JE PARLE EN COMMUNIQUANT DIRECTEMENT AVEC TA PROPRE BULLE ET C‟EST BIEN MOI, OVNI ! Labo retrouve ses esprits, et reprend mes paroles qui s‟inscrivent à nouveau sur mon écran. Il fait des gestes comme pour me chercher dans la pièce, et je suis amené à lui suggérer : — REGARDE DONC VERS UNE CAMERA SPATIALE VIRTUELLE QUI EST INVISIBLE, JUSTE AU-DESSUS DE MON VISAGE. 71


Il répète et je vois mes trois amis qui regardent dans cette direction, l‟air éberlué et incrédule. — JE PENSE QU‟IL EST TEMPS DE RENTRER, POUR VERIFIER SI MON BILLET DE RETOUR EST VALABLE. A VOUS DE JOUER ET A BIENTOT. Labo répète le texte, puis il y a une concertation et Labo me confirme que le grand saut commencera dans deux minutes.

Interprétation du Niveau 4 Le retour se passa comme prévu et je fus plus prompt à me réveiller que la dernière fois. Les quatre mousquetaires étaient bien là, très anxieux de vérifier que mon esprit n‟avait pas basculé du mauvais côté de la Force. La suite ressembla à du déjà vu, léger souper, dodo, réveil sans problème, ballade pour se dégourdir et réunion prévue cet aprèsmidi. Je me sens tout gaillard et je commence en relatant avec tous les détails mon voyage au Niveau 4. Je laisse suffisamment d‟espaces de pause pour que tous comprennent bien, et je poursuis même avec la phase discussion de groupe, me sentant suffisamment à l‟aise pour gagner ainsi une journée sur le programme. Pyco lança : — Ovni, ce qui m‟étonne le plus, c‟est le fait que vous avez pu « parler » à Labo et ainsi communiquer avec nous quatre. 72


— Pyco, j‟ai longuement réfléchi depuis hier et je ne trouve qu‟une explication plausible. Normalement, il m‟aurait fallu connaître deux choses pour que cela fonctionne : . En premier, le code génétique de Labo, dans sa définition scientifique, après analyse de son génome unique. . En second, le principe de transcodage de ce génome en langage spatial puisque les symboles que j‟ai vus à l‟écran me sont strictement inconnus et il aurait fallu de plus que je puisse les inscrire à l‟écran, mais par quelle méthode ? J‟ai pourtant une explication, laquelle m‟est venue tout naturellement, lorsque je me suis posé la question bête suivante : « Mais pourquoi donc ai-je choisi Labo, alors que Tera et Aloa étaient plus proches de moi et que Pyco était à la même distance que Labo ? » Le simple fait de me poser cette question m‟a fourni la réponse et vous verrez que cela entraînera des conséquences pour nous tous. Sachez qu‟au cours de nos travaux communs dans une centrale nucléaire en construction, celle de Chooz 1 en 1966 dans les Ardennes françaises, centrale placée dans une caverne profonde à deux cents mètres sous une grande colline, au cours d‟une inspection des systèmes de ventilation situés au plafond de la caverne principale du réacteur nucléaire, j‟ai eu un accident à cause de ma patte folle. Je suis tombé de six mètres en montant une échelle métallique verticale de trente mètres sans garde fou permettant l‟accès à la plate-forme grillagée au plafond, le tout surplombant le réacteur proprement dit. J‟ai perdu beaucoup de sang et Labo m‟en a fourni après avoir appelé par téléphone le médecin de chantier qui est venu sur place, car j‟étais intransportable dans ce dédale de tuyauteries. 73


Cet apport de sang de Labo m‟a sauvé la vie et ce sang a dû être « reconnu » par mon système biologique qui l‟a alors accepté comme compatible après comparaison des deux génomes. Le génome de Labo a dû être inscrit dans la mémoire de ma bulle, et voilà ! Un simple regard vers Labo, depuis ma bulle et je me connectais à sa mémoire globale en quelque sorte, car son génome fait partie de ma liste de génomes favoris déjà connus. Il m‟a semblé que l‟angle droit du haut indiquait deux petits points rouges, reliés par un trait vert, mais j‟étais trop absorbé par ce qui se passait pour pouvoir confirmer qu‟il s‟agissait bien d‟une information confirmant qu‟une liaison « bulle d‟Ovni vers bulle de Labo » était établie correctement. Je suppose que les génomes de mes parents directs s‟y trouvent également et il faudra trouver un moyen de vérifier cela. Ça a fonctionné avec Labo pour les raisons indiquées, mais aussi parce que Labo était visible par la caméra de surveillance, intégrée à ma bulle. N‟ayant pas encore goûté à votre sang, Aloa, Tera et Pyco, tel un vampire venu de l‟au-delà, ça ne fonctionnerait pas avec vous. Pour que cela fonctionne avec un parent décédé, c‟est le cas de mon père, il faudra trouver un moyen de localisation de sa bulle personnelle, si elle existe encore et tenter d‟interagir avec elle, mais c‟est une autre histoire. — Labo, merci encore pour ton sang qui était délicieux, et pour la peine, je vais te proposer un travail simple, pour le bien de tous. Il me semble que tu pourrais aisément écrire un programme sur nos PC qui simulerait l‟écran que j‟ai vu avec ses quatre angles d‟interaction, programme mettant en œuvre la paire de lunettes informatiques spéciale pour handicapé moteur que nous avons au labo. 74


Elle permet de suivre le mouvement des yeux de l‟opérateur sur PC et effectue alors les mouvements de la souris correspondants. Ce programme permettra de former les futurs spationautes qui ainsi ne seront pas perdus lors de leur premier voyage dans leur bulle. Il permettra également de tester et trouver certains moyens de décodage pour pratiquer le langage spatial indispensable dans tous les cas de figure. — Aloa, vous êtes une spécialiste des contacts avec toutes les ethnies de la Terre et vous vous servez fréquemment, avec votre PC portable, de logiciels spécialisés dans le traitement de la parole et la traduction de textes en langages divers, pour communiquer avec des peuplades inconnues de vous. La pseudo conversion d‟un texte en langage « parlé dans sa tête » que j‟ai utilisée par chance avec Labo devrait être approfondie pour décrypter nos « conversations » futures avec des êtres parfaitement inconnus. La conversion, à l‟inverse, de la parole en texte mériterait aussi d‟être approfondie, malgré mon impression que ce n‟est peut-être pas si utile pour les langages que nous connaissons déjà, si comme je le suppose, la parole n‟est pas stockée sous sa forme acoustique dans la mémoire centrale, mais seulement sous sa forme littérale/texte qui a l‟avantage de consommer très peu de place en mémoire. L‟ensemble des écrits de la planète tiendrait sur une dizaine de DVD en mode texte zippé, alors que le son enregistré d‟un lecteur qui lirait à haute voix ces mêmes textes ne tiendrait pas dans la grande pyramide d‟Égypte. Il nous faudra oublier les intonations de voix, la musique et les bruits de fond, car seules les paroles entendues clairement seront converties et rien d‟autre. Je suppose que la partie du cerveau biologique, spécialisée dans la reconnaissance cognitive de la parole entendue, est déjà assez occupée comme cela à éliminer les bruits de fond pour ne pas 75


les réintroduire une fois son travail de conversion du langage en texte effectué. — Tera, il me semble souhaitable que vous fassiez le prochain voyage pour mieux analyser et comprendre la structure interne de la bulle, trouver un moyen de dévier la caméra de contrôle Œil de poisson vers l‟Espace et voir d‟autres choses que vous pourrez expliquer mieux que moi. Je termine, un peu essoufflé et voyant leurs mines étonnées, voire chagrinées, en disant : — Mes chers amis, je vous remercie tous pour ce merveilleux voyage. Comme vous avez pu le remarquer, je tiens la forme, mais je perçois bien que quelque chose s‟est modifié dans mon comportement et je vous supplie de bien vouloir m‟excuser. J‟ai parlé, j‟ai parlé… et je ne vous ai pas donné la parole comme auparavant. Je suis devenu directif, voire autoritaire en vous donnant des ordres et j‟en suis encore tout bouleversé. Il vous faudra sûrement me surveiller de près et m‟aider à contrôler ce changement de personnalité vers un modèle directorial non compatible avec le mode coopératif qui est la règle du groupe. Je recommande donc qu‟une procédure spéciale soit mise en place pour nous mettre tous à égalité de « pouvoirs » et que chacun puisse communiquer avec chaque membre du groupe depuis l‟audelà. Pour cela, il faudra faire des prélèvements sanguins sur chaque membre et administrer un mélange de ces prélèvements à chacun pour que les quatre structures ADN des autres membres du groupe soient connues de chaque membre. Le contrôle par le groupe sera ainsi facilité et les dérapages (volontaires ou involontaires) seront évités. 76


Mon discours s‟arrête là, et je tombe lentement en syncope émotive, je m‟affale sur la table, mon cœur s‟arrête dans un coma vagotonique, je suis tout blanc et je sue abondamment.

A deux, c’est mieux Mes quatre amis m‟ont hospitalisé en urgence pendant 48 heures et ils ont effectué de nombreux tests physiologiques et psychologiques, tout ceci sans explication probante. Ils ont été très inquiétés par ce brusque changement de comportement et ont accepté, presque à regret, le principe de précaution consistant à ne plus envoyer un membre seul vers l‟audelà. La règle sera maintenant des voyages en duo, ce qui les rendra plus efficaces. La séquence de prises de sang et des injections eut également lieu, sans séquelle apparente. Nous serons maintenant capables de voyager en duo dans toutes les combinaisons possibles deux à deux, voire trois à trois ou plus encore. Une règle supplémentaire fut fixée, concernant l‟engagement de chacun de ne pas « fouiller » dans la mémoire centrale d‟un autre membre, ce qui risquerait de créer des tensions compréhensibles, bien que les cinq se connaissent parfaitement depuis cinquante ans et que peu de choses importantes avaient dû leur échapper. Aloa est partie avant-hier pour Paris où elle rencontrera longuement Angéla pour l‟informer des détails de notre projet, 77


juste avant que Dalaï-Lama n‟organise aujourd‟hui même ce fameux déplacement en hélicoptère qui va envoyer les trois garçons par le fond de l‟Océan Indien. Le premier voyage en duo aura lieu cette nuit, mettant en scène Tera et moi, dans une séquence au cours de laquelle nous aurons tous deux un contact direct avec Angéla et Aloa. La semaine prochaine, nous discuterons à sept des aspects psychologiques sur les humains de nos incursions futures dans leur mémoire centrale, incursions discrètes et non détectables dans la plupart des cas, les contacts « parlés » devant être exceptionnels avec les personnes vivantes et ils devront être autorisés préalablement par le groupe.

Salle d’envol, vingt-deux heures

Pyco et Labo s‟affairent comme d‟habitude autour de Tera et de moi, vérifient une dernière fois et nous injectent le produit qui nous plonge dans le coma, permettant le « décollage » vers l‟audelà. Je vérifie sur l‟écran l‟apparition des quatre points rouges, le mien étant un peu plus grand que les trois autres, comme si je me connaissais mieux, malgré la mauvaise expérience récente qui prouve qu‟il n‟en était rien. Un petit coup de zoom géographique sur le point le plus proche, ce doit être la bulle de Tera, et je vois le code ADN qui change. J‟en profite pour faire une expérience de transcodage sur le code ADN qui pour nous reste indéchiffrable pour le moment. Je me concentre sur le texte TERA qui s‟inscrit alors dans le coin bas à gauche, en lieu et place du code ADN. BINGO ! j‟ai trouvé le moyen de préciser le nom de la personne que je suis en train de visualiser, ce qui est bien plus pratique. 78


Ce faisant, le visage de Tera apparaît aussi et c‟est bien la première fois que je vois un visage en vue plane sur l‟écran central. Je constate que ce n‟est possible que parce que Tera se trouve dans la même situation que moi, en vol dans l‟au-delà et au même moment. — Tera, qu‟en penses-tu ? — Tout va bien Ovni, merci. Je m‟habitue en fait très vite, grâce au logiciel d‟apprentissage que Labo nous a concocté cette semaine. Je t‟entends parfaitement, comme si nous étions encore en bas. En me concentrant sur mon point rouge personnel, je me vois à travers l‟objectif sphérique et je vois aussi ton cadavre exquis à côté de moi. Pyco et Labo scrutent nos réactions oculaires qui paraissent plus nombreuses que d‟habitude. — Tera, n‟oublie pas de mettre ton horloge à l‟heure de Katmandou et promène-toi un peu. Si tu « écris » OVNI en te concentrant, tu me vois « en chair et en os » dans ma bulle, tout comme je te vois actuellement, en vue plane et non sphérique et cette vue est moins macabre que l‟autre, crois-moi. Je vais aller faire un tour sur Paris et localiser nos deux contacts là-bas. Ne t‟inquiète pas si tu vois notre liaison verte disparaître, car je vais me débrancher quelques instants. Essaie de parler avec Labo et Pyco en attendant. À tout de suite… Je déplace la position géographique progressivement jusqu‟à l‟Europe, la France et puis Paris, et je reste sidéré devant le nombre de points rouges qui apparaissent sur l‟écran. 79


Il me semble que mon corps biologique a été « contaminé » par l‟ADN de nombreuses créatures, à l‟insu de mon plein gré, mais ce sera sûrement très utile dans le futur. Aurais-je fait autant d‟enfants sans le savoir ? Mais non, Angéla, je te le jure… bon, laissons cela pour le moment, mais comment la retrouver au milieu de tous ces points sur mon écran ? Heureusement, les points rouges sont d‟intensité très variée, traduisant vraisemblablement l‟ancienneté de ces « contacts », les plus anciens étant à peine visibles. Deux points se détachent du lot quand je m‟approche du Casino d‟Enghien où aura lieu le rendez-vous. J‟avais pris la précaution de demander à Aloa de s‟installer côté ouest par rapport à Angéla et effectivement, sa bulle est la plus lumineuse de toutes. Je reviens au contact avec Tera et je lui explique tout, la multiplicité des bulles et la localisation exacte d‟Aloa. Tera me précise qu‟elle a pris contact avec Labo et Pyco qui lui ont fait quelques plaisanteries estudiantines, ce qui traduit un bon état d‟esprit et le bon moral des troupes. Nous décidons de nous brancher tous deux sur Aloa dans un premier temps pour limiter le choc sur Angéla et ainsi mieux la préparer. Je vois maintenant le trait vert liant Aloa et Tera, je me concentre sur Aloa et je vois alors la terrasse du Casino surplombant le lac par une belle après-midi ensoleillée, avec notre lycée de l‟autre côté du lac. Angéla, que je n‟ai pas vue depuis des mois, est assise confortablement dans un fauteuil et paraît calme et prête pour l‟expérience. Aloa lui parle en disant qu‟elle a l‟impression que le contact avec elle-même est vraisemblablement en cours, bien qu‟il reste environ cinq minutes à attendre avant l‟heure prévue. Ce n‟est qu‟une légère perception, mais peut-être est-ce une simple prémonition explicable puisqu‟elle s‟y attendait et connaissait le principe du contact. 80


Angéla paraît vivement intéressée et se penche en avant, comme pour mieux « voir » ou « entendre ». Je lance un premier « Hello Aloa » et Tera fait de même. La surprise d‟Aloa est quand même sérieuse, car le champ de vision oscille de droite à gauche comme si elle cherchait quelqu‟un. Quelques secondes s‟écoulent et elle nous répond en parlant doucement. — Salut les amis. Je craignais que vous ne nous trouviez pas, mais maintenant je suis parfaitement rassurée. Comme vous pouvez le constater, Angéla est prête et impatiente de vous parler, avec bien sûr plein de bisous, malheureusement virtuels. J‟ai ici le journal du soir sur cette table et vous y verrez les photos de nos chers macchabées. Je propose qu‟Ovni et Angéla fassent un aparté bien mérité pendant que Tera me fera un résumé de votre expérience. A vous de jouer maintenant ! Je change de bulle et je m‟installe chez « nous », avec Angéla. Mes premières paroles sont lentes pour être mieux perçues, car je ne suis pas certain que le rendu soit très réaliste, et corresponde à mon empreinte vocale, déjà ancienne, stockée dans la mémoire centrale d‟Angéla. Elle me répond doucement elle aussi et nous pouvons nous remémorer plein de tendres secrets que l‟absence et l‟éloignement n‟ont pas émoussés dans nos esprits. Angéla s‟est bien doutée que je serais avide d‟informations concernant notre grande famille et elle passa environ une heure à me raconter tout ça, avec les petites attentions et intonations d‟une super mamie, heureuse de décrire ces scènes d‟amour véritable qui jalonnent sa vie et la mienne. 81


Pendant ce temps, je voyais Aloa qui discutait en riant avec Tera. Nous terminons la session en nous fixant rendez-vous à la résidence des moines, dans deux jours. La curiosité m‟entraîne à localiser mes enfants et petits-enfants aux endroits qu‟Angéla venait de me préciser, mais je ne prends aucun contact, évidemment. Angéla avait pris en charge de les informer immédiatement de mon décès et de leur indiquer qu‟elle partait aux Indes pour la cérémonie que Dalaï-Lama organiserait sur un bateau qui ne pourrait accueillir qu‟un nombre restreint de personnalités officielles. Elle leur préciserait qu‟elle y resterait un mois, invitée par Dalaï-Lama, dans un temple himalayen, avec Tera et Aloa, pour une retraite spirituelle. Reprenant la liaison avec Tera, nous décidons de redescendre sur Terre pour une mise au point avec Labo et Pyco. Tera prit la parole la première : — Ma navigation s‟est bien déroulée et j‟ai même découvert quelque chose qui je pense va nous permettre d‟avancer encore plus vite vers l‟objectif. En me concentrant sur un point du globe très proche d‟ici où il n‟y avait aucun point rouge et en me rapprochant jusqu‟au « sol » pour passer en dessous si possible, la vue géographique se modifia et passa en mode pseudo trois dimensions, la carte d‟origine se déplaçant vers le haut sous la forme d‟une feuille translucide (un peu comme le générique de l‟émission TV Infos Route) et le centre de vision s‟étant placé en dessous de cette feuille, mais il n‟y avait rien à voir de particulier, sinon un « sol » gris anthracite. Et j‟eus la surprise de voir une liaison verte entre nos quatre points rouges et ce fameux « sol ». 82


En me concentrant encore plus sur le « sol inférieur » cette fois-ci, l‟écran devint tout gris, puis bleu pâle, puis gris de nouveau et repassa de nouveau au mode pseudo 3D, mais à l‟envers, la carte translucide étant maintenant en bas de l‟écran et le « sol du bas » en haut. J‟avais traversé la Terre entièrement en passant par son noyau dur et je me retrouvais aux antipodes de l‟Himalaya, en plein Océan Pacifique Sud. Je suis maintenant presque sûre d‟avoir localisé la mémoire globale de tous les êtres vivants ou morts de cette planète et peutêtre de sa Lune, dans la zone centrale bleutée. Les liaisons de nos quatre bulles avec cette MGT confirment ce que nous supposions, à savoir que nos mémoires centrales individuelles MCx communiquent avec la MGT pour mettre à jour une sorte d‟immense bibliothèque générale de toutes nos vies écoulées. La seule explication technique que je peux formuler est que cette MGT est certainement faite de milliards de milliards de neutrinos, ceux qui n‟ont pas pu traverser la Terre et ont été suffisamment ralentis au cours de leur trajet dans le magma par des chocs entre particules élémentaires et se sont finalement agglutinés au centre exact de la Terre, sous l‟effet de la gravitation, puisqu‟on a la preuve aujourd‟hui que les neutrinos n‟ont pas une masse nulle. Ces neutrinos sont de la même nature que ceux qui composent notre mémoire centrale individuelle MCx et oscillent entre les trois états stables possibles, ce qui permet de mémoriser des informations « ternaires » (et non simplement binaires à deux états stables, comme dans nos disques durs de PC), en état stable illimité dans le temps, sauf explosion de notre Soleil qui entraînerait une volatilisation globale de la Terre dans l‟espace intersidéral. Compte tenu de cette hypothèse quasi certaine d‟explosion de notre système solaire dans deux ou trois milliards d‟années, il est à supposer que d‟autres MG plus globales et plus importantes existent dans la galaxie pour servir de copie de sauvegarde globale pour toutes les planètes habitables de la galaxie, mais il reste à les découvrir. 83


Si, comme je le pense, il y a de plus un centre de traitement de toutes ces informations pour séparer le bon grain de l‟ivraie (selon la définition qu‟ILS ont bien voulu faire tout là-haut), il peut exister un Centre Global du Bien et un Centre Global du Mal, si vous me permettez de le suggérer, selon mes propres tendances religieuses quelque peu émoussées. La présence de la vie dans une galaxie requiert donc l‟existence de soleils ayant des caractéristiques voisines du nôtre. Au-delà, les conditions environnementales des planètes viables doivent correspondre à certaines caractéristiques favorables à la vie biologique que nous connaissons sur Terre. Mais rien n‟interdit de penser que d‟autres formes de vie très différentes existent, totalement différentes parce que basées sur d‟autres matières de base que le carbone, qui est la base de toute vie sur terre. A nous de les découvrir, et de les visiter si possible !

Ne piétinez pas les limbes !

Âmes sensibles, s’abstenir. Je décide alors d‟aborder un sujet « tabou », celui de la communication avec les personnes décédées : — Pour les religions chrétiennes, les Limbes sont une sorte d‟antichambre où l‟on patiente longuement jusqu‟à la grande résurrection générale universelle. Personne ne localise cet endroit, mais si on insiste un peu, on le situe généralement très loin de soi et l‟on préfère ne pas en parler, car ce n‟est pas très réjouissant comme sujet de discussion. Pour ma part et compte tenu de tout ce que nous avons découvert jusqu‟à ce jour, les limbes sont répartis partout, aux endroits où chaque corps enfoui a conservé sa propre bulle à proximité immédiate et intacte, car elle est faite de particules imputrescibles. 84


La bulle n‟est finalement qu‟un objet éternel, matériel, mais intelligent, faite de particules élémentaires et elle peut être comparée alors à un ordinateur délaissé, qui aurait été oublié dans un recoin à l‟abandon pendant des millénaires, mais qu‟il suffirait de réveiller en tapant « Espace » sur le clavier ou par un appel téléphonique sur son modem interne USB. Comme vous le savez, la visite de nos cimetières personnels fait partie de notre programme d‟expériences à réaliser pour retrouver des données historiques relatives à certains faits antérieurs qui nous intéressent à titre personnel. Pour le moment, nous n‟aurons accès qu‟à un certain nombre de bulles dont nous aurions acquis d‟une manière ou d‟une autre la fameuse clé ADN indispensable, mais j‟espère que nous découvrirons un moyen d‟accéder à la totalité des clés, ainsi qu‟à une possibilité de faire une recherche ciblée pour localiser le personnage visé. A ce propos, vous vous souvenez du grand nombre de points rouges « connus » (à mon insu) que j‟ai découverts autour de Paris. Je dois vérifier par contact discret qu‟il y a plusieurs catégories parmi ces points qui se disent liés à moi : . Les membres vivants et morts, mes ascendants et descendants personnels. . Les donneurs du sang utilisé lors de mes différentes opérations chirurgicales . Les « infecteurs », involontaires pour la plupart, lors de blessures, égratignures, dentistes, etc.… Comme vous vous en doutez, je risque de me trouver des ascendants jusqu‟à Charlemagne en personne, ou plutôt Vercingétorix, puisque je suis auvergnat. Cependant, tout cela resterait limité à l‟arbre « montant » de ma généalogie personnelle.

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La question qui se pose est en réalité de retrouver des personnes qui n‟auraient a priori aucun lien avec moi, par exemple, le Président des É.-U.. Pour cela, il nous faudra trouver un ADN de sa propre généalogie montante ou descendante et en prendre « connaissance » pour ensuite redescendre ou remonter jusqu‟à lui. Trois solutions se présentent et il nous faudra choisir la plus appropriée dans chaque cas : . « Approcher » l‟un de ses proches non décédés et « obtenir » une infection involontaire de son ADN par une méthode du genre « Les Experts : Las Vegas » . Accéder au cimetière de l‟un de ses ancêtres et se « procurer » une cellule possédant un ADN encore valide, toujours selon « Les Experts » . Nous pourrions tenter de courtiser l‟une de ses filles, mais nous avons tous dépassé l‟âge des galipettes à risques. Lorsque nous établirons la liste des vingt personnes à contacter depuis l‟au-delà pour organiser la réunion mondiale des grands sages et des moins sages, nous devrons donc lancer des recherches spécifiques sur ces vingt ADN. Je propose qu‟Angéla fasse les recherches de base depuis TOPLAB sur Internet pour les adresses précises des cimetières et des tombes intéressantes et que Tera et Aloa « approchent » des réseaux « très spéciaux », capables d‟effectuer les prélèvements indispensables. Comme solution de secours, je propose que Pyco et Labo établissent une généalogie complète de nous six, en prenant place dans nos bulles, tour à tour, pour relever nos six arbres montants complets. Pour tout ancêtre lointain retrouvé, par exemple un pionnier au Texas, on pourra connaître son arbre descendant complet en s‟installant dans sa bulle d‟ancêtre et ainsi, de proche en proche, de retrouver un lien éventuel avec la famille du Président. 86


Pour cela, il leur faudra prendre le « contrôle » de la bulle de l‟ancêtre en question et je me propose de tester une telle prise de contrôle personnellement avec l‟un de mes ancêtres, dès demain. Si nos hypothèses sont vérifiées, nous aurons ainsi accès, au plan « théorique », à l‟intégralité des faits et gestes de n‟importe quelle personne ayant vécu sur terre ET qui serait décédée sur terre. Sur le plan pratique, le problème majeur reste celui de l‟acquisition « matérielle » de ces données innombrables pour insertion dans nos ordinateurs terrestres, de manière à pouvoir les analyser aisément. Grâce à des logiciels spécialisés en recherche d‟images et de textes spécifiques liés à des évènements bien précis, évènements liés à nos recherches historiques, on pourra, par exemple, tout savoir sur les heures qui ont précédé l‟attentat contre J.F. Kennedy en novembre 1963. Il nous faudra absolument trouver un moyen de décrypter les signaux IN1 qui servent à mettre à jour notre mémoire biologique lorsque nous revenons de l‟au-delà. Cette mise à jour a bien lieu puisque nous sommes capables de raconter ce que nous avons vu, mais cette charge de travail est sûrement très éprouvante pour notre cerveau biologique, ce qui expliquerait éventuellement l‟état « bizarre » dans lequel j‟étais l‟autre jour, juste après mon retour. Je travaillerai avec Labo à temps perdu sur ce décryptage indispensable et je souhaite qu‟il se « procure » rapidement les derniers logiciels de décryptage des meilleurs Services secrets de la planète, selon notre « méthode » habituelle. Ce programme nous prendra deux mois au minimum, peut-être six, mais il faut en passer par là, car c‟est un cap à passer qui conditionne la suite de nos activités.

Pyco répondit : 87


— Tout cela récapitule bien ce qu‟il reste à faire pour débloquer globalement la situation. Pour ma part, je proposerais que nous fassions un test de voyage vers l‟au-delà sans pour autant nous placer en coma artificiel, autrement dit, de simplement dériver tous les signaux venant de ou allant vers le Portail, tout en les laissant actifs au plan biologique. Si c‟est concluant, ça permettra de voyager normalement sur Terre, tout en ayant une activité parallèlement dans notre bulle sans les contraintes actuelles. Nos yeux verraient comme d‟habitude, nous conserverions tous nos sens biologiques classiques et il suffirait de s‟allonger sur un lit, dans un hôtel tranquille, pour naviguer dans l‟au-delà en déclenchant un interrupteur Wifi placé dans une de nos poches, interrupteur qui nous débrancherait du Portail. Cet interrupteur devra être temporisé pour nous ramener dans la vie ordinaire au bout d‟une période de temps que nous pourrions programmer à l‟avance. La communication Wifi devra être strictement protégée et sécurisée, pour rester parfaitement discrète et surtout, pour que le signal d‟envol ou de retour ne s‟adresse qu‟à une seule personne, grâce à son code ADN. Ceci exige une petite modification de notre capsule crânienne, mais ce n‟est pas insurmontable. Je vais m‟y atteler avec Labo dans l‟urgence, car cela permettra à nos trois filles de communiquer avec TOPLAB depuis n‟importe quelle chambre d‟hôtel de la planète, sans prendre aucun risque que leur message soit intercepté puisqu‟il n‟utiliserait aucun canal de communication terrestre ou satellitaire. Nous y parviendrons avant la fin de la semaine et nous ferons un essai avec moi, placé au bord du lac extérieur et Labo, resté dans le labyrinthe. Tera intervint : 88


— Ça avance bien tout ça, il me semble ! Concernant les réseaux très spéciaux dont parlait Ovni, je suppose que cela nous ferait prendre de sérieux risques, d‟être découvertes et emprisonnées pour profanation de sépultures si nous le faisions nous-mêmes. Par contre, étant originaire d‟Amérique du Sud et y travaillant encore occasionnellement, j‟aurais certainement quelques facilités pour entrer en contact avec des guérilleros liés au trafic de cocaïne et en soudoyer quelques-uns. Mais j‟ai cependant une meilleure idée qui me permettrait par ailleurs de mettre au point ma lunette astronomique à neutrinos dont je viens de terminer la construction grâce à l‟assistance de Labo. Cette lunette est conçue, à l‟origine, pour scruter les objets galactiques et en obtenir une image non déformée lorsqu‟ils sont situés derrière un amas stellaire qui déforme le parcours des photons du domaine visible aux humains. Elle est installée en suspension magnétique au centre d‟aimants puissants qui la maintiennent isolée de toute secousse terrestre, si minime soit elle, secousse qui empêcherait toute visée précise avec un tel grossissement. Je peux également la régler pour recevoir des flux de neutrinos provenant d‟un point minuscule de notre planète, ce qui devrait permettre de capter les échanges entre une bulle quelconque et le noyau terrestre où se trouve le M.G.Terre de notre planète. La lunette devient ainsi un super microscope à neutrinos pouvant travailler à très grande distance sur des objets excessivement petits. Il est fort probable que la bulle d‟un mort n‟émet que des signaux très simples et qu‟elle fonctionne un peu comme une balise météo larguée en mer qui n‟émet que son propre numéro de balise (correspondant à l‟ADN), sa localisation GPS et quelques données météo à heures fixes. 89


La bulle d‟un mort n‟a pas grand-chose à raconter pendant cette éternelle attente de la résurrection globale, à part son code ADN et sa localisation « GPS » pour faire savoir qu‟elle est encore bien là, si par hasard quelqu‟un avait besoin d‟elle, ce qui est notre cas en l‟occurrence. Tera s‟arrêta de parler, but une gorgée d‟eau de source et alla se pencher sur Ovni qui lui avait fait un signe discret. Elle revint et reprit : — Il faut que j‟ajoute quelque chose de très important, car Ovni fronçait les sourcils, très gentiment je dois dire : Pour cela, il nous faut revenir sur la fameuse liaison verte qui apparaît entre deux bulles qui se connaissent déjà et qui sont en cours de communication. Prenons l‟exemple de la liaison Ovni/Aloa récente, qui concerne deux bulles situées à des milliers de kilomètres de distance l‟une de l‟autre. Cette liaison est faite d‟un flux de neutrinos dans les deux sens permettant la transmission des images et des textes échangés. Comme chaque bulle est microscopique, le flux doit être émis dans une direction spatiale ultra précise pour ne pas rater sa cible. Cette direction résulte directement de la position « GPS » actuelle de chaque bulle. Si le tout premier contact provient d‟Ovni, sa bulle émet simplement deux informations, son ADN personnel et sa position GPS actuelle en direction de la position GPS d‟Aloa, position que la bulle d‟Ovni aura préalablement « d‟elle-même demandée » au M.G.Terre pour prendre en compte les derniers déplacements d‟Aloa. La bulle d‟Aloa reconnaît cette demande comme acceptable puisque l‟ADN d‟Ovni est dans sa liste de contacts favoris et elle lui répond donc vers la localisation GPS indiquée par Ovni.

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Cette localisation ultra précise est indispensable pour que le flux de neutrinos soit transmis, sans perte d‟information vers un interlocuteur unique. Si la localisation d‟Aloa avait été imparfaite, pour une raison ou une autre, la bulle d‟Ovni aurait dû émettre de multiples rayons, des millions de rayons dans un cône en trois dimensions d‟une certaine ouverture spatiale, pour avoir une petite chance d‟obtenir une réponse d‟Aloa. Une telle recherche, faite au hasard dans un cône, utiliserait beaucoup d‟énergie sur la batterie d‟Ovni et consommerait beaucoup de neutrinos, donc elle ne serait à utiliser que dans les cas désespérés où l‟on a perdu la trace de l‟interlocuteur. Ce pourrait être le cas si les bulles avaient été transportées physiquement dans un autre système solaire, puisque la M.G.Terre mettrait trop de temps à répondre. Dans le cas de la lunette à neutrinos pointée vers la bulle d‟un être décédé, le même principe subsiste et il faudra limiter l‟ouverture du cône au minimum en se concentrant sur la zone vierge où se trouve vraisemblablement la bulle recherchée X (heureusement que les morts ne se déplacent pas trop dans leur cimetière pour aller au cinéma). La bulle recherchée X recevra une demande de connexion de la part de l‟un de nous qu‟elle ne connaît pas et l‟on doit supposer qu‟elle est conçue pour « s‟ouvrir » à toute demande, sans se poser la question de favori ou pas. La même hypothèse vaut pour un être vivant quelconque. Pour fonctionner sans être parasitée par la multitude de bombardements de particules élémentaires autres que des neutrinos, la lunette devra être placée sous mille cinq cents mètres de glace du glacier voisin, ou bien sous mille mètres de roches montagneuses. Qu‟en pensez-vous ? 91


Labo répondit avec un petit air rigolo ; — Merci Tera, je n‟attendais qu‟une proposition d‟exploration de ce genre-là. J‟ai toujours rêvé de chasses au trésor, depuis ma première lecture de « L‟île mystérieuse » de Jules Verne et de « Chasseurs d‟or » de James Oliver Curwood. Je propose de mener personnellement une exploration de nos galeries de TOPLAB en premier, car je crains le froid et les éboulements sous un glacier. Depuis que nous avons installé nos groupes énergétiques, ils n‟ont jamais été arrêtés complètement et je n‟ai donc jamais pu me promener dans le gouffre du lac intérieur. Votre demande me donnera une occasion de me crapahuter un peu plus profondément, pour explorer ce réseau souterrain qui doit être immense et dangereux aussi. Si je réussis à trouver une faille inclinée, je pourrai, avec de la chance, découvrir une grotte entourée d‟au moins mille mètres de roches dans toutes les directions, vers les quatre mille mètres d‟altitude, sous le pic de sept mille mètres qui nous surplombe au nord. Ce sera également un bon moyen de tester le nouvel ensemble capteur+interrupteur Wifi qui sera prêt, demain soir, pour un premier test depuis le lac extérieur. Je vous demanderai simplement de me surveiller à distance dans la masse rocheuse pour me donner des indications importantes pour ma sécurité et aussi m‟indiquer ma localisation qui s‟inscrira sur nos écrans PC dont j‟ai aménagé le logiciel de représentation en trois dimensions de notre labyrinthe actuel pour prendre en compte les nouvelles extensions de galeries immédiatement. J‟essayerai de placer des balises répétitrices Wifi, si le contexte le permet.

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La lunette à neutrinos

Le lendemain, un test rapide du capteur/interrupteur eut lieu : il se révéla opérationnel et simple d‟emploi. Pyco s‟était installé confortablement dans un creux de rochers au bord du lac extérieur et avait effectué son premier voyage personnel de deux heures au terme desquelles son interrupteur automatique l‟avait réveillé sans problème. J‟avais pendant ce temps-là fait le trajet à pied jusqu‟au temple des vieux moines où j‟avais retrouvé Aloa et Angéla qui semblaient ravies de leur croisière axée sur un thème funéraire sympa. Dalaï-Lama les accompagnait et nous sommes rentrés à TOPLAB tous quatre en 4X4 pour un dîner léger et une soirée qui réchauffa nos sept cœurs enfin réunis pour discuter des étapes ultimes de notre projet. Le lendemain, Labo partit en expédition dans le gouffre avec l‟équipement spéléo nécessaire. Nous l‟avons accompagné au bord du gouffre des turbines et les vannes d‟arrivée d‟eau du lac extérieur furent fermées. Il disparut rapidement dans l‟obscurité, éclairé de sa seule torche. Il appela au bout d‟une vingtaine de mètres, nous disant qu‟il allait s‟engager dans une petite faille qui remontait vers le Nord, faille qui jouerait le rôle de protection naturelle si l‟eau se mettait de nouveau à circuler dans le gouffre vertical. Il resta absent pendant six heures, nous faisant régulièrement un petit « Coucou » rassurant en utilisant les deux relais Wifi qu‟il avait pu installer sommairement à deux carrefours principaux. Il fit un autre test de l‟interrupteur en liaison avec Pyco, test qui fonctionna parfaitement, et heureusement, car il nous aurait fallu utiliser les relais Wifi pour le réveiller si l‟interrupteur avait eu une défaillance, voire descendre nous-mêmes pour le récupérer dans un dédale inconnu de nous. 93


Labo fit entendre enfin sa voix, mais curieusement elle était différente, presque en stéréo. Nous mîmes cela sur un effet de résonance dans ces cavernes et nous regardâmes tous vers le gouffre. Deux mains s‟abattirent sur mes épaules, me tirèrent en arrière et je découvris mon agresseur, un Labo hilare et pas trop couvert de boue. Une explosion de joie et de cris l‟accueillit et nous regagnâmes TOPLAB après avoir redémarré les groupes générateurs. Il expliqua qu‟il avait bien découvert une magnifique grotte de très grandes dimensions avec des stalactites et des stalagmites merveilleuses, du jamais vu dit-il. Cette grotte pourrait même servir de laboratoire général si nécessaire pour y regrouper les ordinateurs qui seraient indispensables en connexion avec la lunette. En remontant la très longue faille qui lui avait permis d‟accéder à la grotte, il s‟aperçut qu‟elle permettait de remonter encore plus haut, et bien au-delà de l‟endroit où il l‟avait empruntée en sortant du siphon naturel sec du gouffre. Il poursuivit donc et découvrit qu‟elle croisait la faille principale où nous l‟attendions, à environ cinquante mètres audessus de la porte d‟accès à TOPLAB, donc assez loin de nous qui l‟attendions au gouffre. C‟est le faible éclairage rouge de sécurité de cette porte qui lui avait fait changer de direction, et ce fut heureux, car cet accès-là entre TOPLAB et TOPLAB2 serait bien plus pratique, la spéléo n‟était pas nécessaire et les pentes relativement faibles, sur tout le parcours de deux mille mètres entre les deux labos. Il estima que le transport et l‟installation de la lunette et de ses ordinateurs dans une nouvelle structure gonflable prendraient environ huit jours, pose du câble d‟alimentation électrique compris. Ces travaux occupèrent Labo, Aloa et Tera pendant cinq jours consécutifs au terme desquels tout fut prêt à fonctionner. 94


Pendant ce temps, Angéla effectuait l‟ensemble des recherches sur Internet pour localiser les vingt tombes des ascendants de nos vingt grands responsables et elle établit une liste très précise des sépultures avec les localisations GPS correspondantes. De notre côté, Pyco et moi fîmes de nombreux voyages en duo pour établir nos six généalogies remontantes jusqu‟à la dixième génération en faisant des intrusions très discrètes dans les mémoires des bulles, mais sans communiquer avec les ancêtres concernés. Les noms, prénoms, dates de naissance, de mariage et de décès furent relevés avec les lieux correspondants. Nous n‟avons trouvé que deux cousinages éloignés entre les familles Pyco et Labo, Angéla et Tera, mais aucun pionnier au Texas ! Le dernier jour fut réservé au repos et à une partie de pêche à la truite mémorable dans le lac extérieur, qui fut baptisé « Trout Lake ». Les derniers voyages n‟ayant pas révélé de troubles caractériels particuliers, car nous nous reposions beaucoup après chacun d‟eux, il fut décidé que nous pourrions désormais voyager en solo, sous une simple surveillance extérieure à distance.

Sommeil profond

Ce dimanche matin est prévu pour mon premier contact avec mon père, décédé en 1969 d‟une embolie cérébrale. C‟est avec émotion que je me prépare pour cette expérience, entouré de l‟affection de mes quatre associés et de mon épouse. Lors de nos relevés généalogiques récents, nous avons pu accéder aux mémoires individuelles des bulles visitées, en entrée libre comme si elles faisaient partie d‟un patrimoine commun 95


accessible à tous, mais nous n‟avons jamais vu aucun des personnages en « direct » comme on dit. Si chaque personnage était encore « présent » dans sa bulle, il devait être en état de « sommeil spécifique à l‟au-delà », et si ce sommeil n‟était pas « définitif », il devait bien y avoir un moyen de le réveiller, ne serait-ce que temporairement, pour discuter un peu avec lui. Le fait de se concentrer sur sa bulle rouge, alors que la date et l‟heure sont celles du présent instant terrestre, ne donnait que l‟accès à sa mémoire centrale, rien de plus. Mais qu‟en serait-il si on fixait l‟heure à une date où le personnage était encore vivant, d‟une part, et qu‟on le voit sur l‟image de notre propre mémoire personnelle, sans avoir fixé son adresse ADN ? J‟utilisai l‟interrupteur après une bise à Angéla et un dernier regard aux copains installés comme moi dans les fauteuils gonflables du salon. Installé aux commandes de ma bulle, je modifiai la date au dernier dimanche de juillet 1969 où mes parents étaient venus voir leurs petits enfants à Lésigny, en banlieue lointaine du sud-est de Paris. La séquence, si souvent remémorée de cette dernière réunion familiale globale, se déroula avec un degré de détails qui me surprit, et je m‟attachai à me concentrer sur l‟image de mon père, alors que nous étions tous assis à la table de la salle à manger. Rien ne se passa ! et c‟était normal puisque mon père était vraisemblablement en sommeil dans sa bulle, à la différence de Tera que j‟avais vue au cours de notre voyage en duo. Je modifiai alors la carte en haut à droite qui ne montrait que TOPLAB jusque-là, et je la déplaçai jusqu‟au cimetière de DeuilLa-Barre, à l‟endroit exact de la tombe familiale. Trois points rouges apparurent, ceux de mes grands parents paternels et celui de mon père, le plus brillant de tous. 96


Je repositionne l‟horloge au moment du fameux repas, je me concentre sur l‟image de mon père, son code ADN s‟inscrit en bas à gauche, je le renomme Papa et je lance le processus en bas à droite. Une image fixe apparaît en teintes de gris, s‟affinant lentement, et je reconnais maintenant le visage de mon père en plein écran central, tel qu‟il était ce jour-là. Ses yeux s‟ouvrent lentement et il prononce quelques mots bizarres : « Est-ce le moment ? » Apparemment, il s‟était mis en sommeil prolongé, pour une durée indéfinie, mais il s‟attendait cependant à être réveillé pour une occasion importante qu‟il attendait sereinement. Je lui réponds : — Papa, c‟est moi, Jeannot, fais-moi un signe ! Ses yeux s‟ouvrent plus largement, son front se plisse en signe d‟incrédulité et il répond : — Jeannot, mais comment est ce possible ? Es-tu décédé, toi aussi ? Non, je ne veux pas penser à cela, tout me « dit » que tu es encore en vie. — Papa, je suis en vie et je viens te voir et te parler. Tu pourras me voir si tu utilises l‟écran devant toi, en te concentrant sur certains points précis que je vais t‟indiquer. — Jeannot, mais je ne vois que du gris sombre devant moi ! — Papa, concentre-toi, en bas, à droite, pour allumer l‟écran.

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Il s‟ensuit une phase d‟apprentissage pour mon père qui n‟avait jamais vu un écran auparavant, mais au bout de cinq minutes, il finit par obtenir une image de moi au centre de son écran. Apparemment, il ne pouvait pas modifier la date et l‟heure qui semblent avoir été fixées par moi lors de l‟appel initial. Il en était de même pour la commande de localisation géographique qui n‟était pas activable. Bref, il ne pouvait pas de lui-même naviguer comme moi, et toutes les bulles « mortes » devaient avoir ces limitations-là. Il eut une expression de grande surprise à l‟apparition de mon image et il me décrivit sa vision. Il était clair également qu‟il me voyait tel que j‟étais il y a quarante ans, au moment de ce fameux déjeuner. Nous avons eu une longue discussion, car il était très intéressé d‟apprendre tout ce qui s‟était passé pendant ces quarante ans. J‟ai cependant eu l‟impression que ces nouvelles ne s‟enregistraient pas dans la mémoire de sa bulle, car j‟étais souvent amené à me répéter lorsqu‟il ne comprenait pas. Je lui proposai de le quitter pour le rappeler immédiatement, mais à une date antérieure dans le passé, par exemple le jour de mon mariage, et il accepta. La manœuvre fut rapidement exécutée, et son visage fort rajeuni revint instantanément à l‟écran. Cependant, comme précédemment, il ne connaissait que le passé, avant 1961, et n‟avait aucun souvenir de notre première conversation pourtant très récente. Si je le questionnais sur ses cinq années de captivité en Allemagne et en Autriche, il me répondait très exactement, ayant accès au passé sans difficulté. Je lui proposai à nouveau de le contacter plus avant encore dans le passé, il accepta, mais, cette fois, je choisis la date de 1924, alors que je n‟étais pas encore né, loin de là !

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Je vis le visage d‟un gamin de onze ans, mais lui ne me voyait pas, ce qui compliqua notre discussion, mais comme on dit, les enfants ne s‟étonnent de rien. Il me parla beaucoup de son grand-père, le garde champêtre dans le Cantal, qui habitait dans notre ferme familiale dénommée « Bro », et qui venait de décéder à soixante-quatre ans. Il semblait fort peiné et déçu de ne pas pouvoir aller à Narnhac pour ses obsèques. Il faut dire que cet homme, aux longues moustaches à la mode de Vercingétorix, était réputé dans toute la région. Tous les gamins rêvaient de devenir gardes champêtres, pour se « promener » par monts et par vaux dans ce superbe pays d‟Auvergne, ramassant quelques champignons au passage et extrayant quelques truites à la main, sous les rives des nombreux ruisseaux aux eaux vives et fraîches. Je terminai là mon voyage, en lui promettant de revenir bientôt lui tenir compagnie. Après avoir coupé cette communication très instructive avec mon père, je décidai d‟essayer avec une tombe voisine qui contenait les restes d‟une famille de maçons que j‟avais vaguement connue dans ma jeunesse. Je fixai volontairement une date très ancienne, vers 1900, et je me concentrai sur cette tombe, bien visible à côté de la nôtre, mais rien n‟apparut. Je passai alors « sous la carte » et je vis quatre points noirs, plus ou moins gros. J‟en choisis un au hasard, et son code ADN s‟inscrivit instantanément sur mon écran, en bas à gauche. Je ne savais pas qui c‟était, mais je voyais une scène de travaux où des ouvriers en bâtiment construisaient un mur en pierres de meulière, matériau fort prisé à cette époque dans la région parisienne. Je ne m‟attardai pas, l‟essentiel était fait, puisque j‟avais la preuve que l‟on pouvait accéder à toutes les bulles inconnues sur 99


Terre, ce qui rendait la lunette à neutrinos inutile pour cette fonction-là. Par contre, elle serait fort utile pour mémoriser sur ordinateur tous ces signaux qui nous revenaient de la M.C.Terre quand on contactait une bulle déterminée X. Il resterait ensuite à transcoder ces signaux pour qu‟ils nous révèlent en clair et après coup l‟équivalent de l‟échange que nous venions juste d‟avoir via notre bulle. On pourra ainsi repasser la séquence sur nos écrans terrestres et en faire profiter tout le monde. Ce sera excellent pour faire de vrais films historiques, avec les véritables personnages, Buffalo Bill par exemple, à la chasse aux bisons en Amérique du Nord. Épatant également pour extraire la vérité sur des cas historiques mystérieux jamais élucidés. Mais surtout génial pour réaliser notre objectif final !

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Les Colombes du Portail Le retour dans mon enveloppe biologique fut suivi d‟un long repos qui m‟occupa la journée entière et la nuit suivante. Toute l‟équipe étant absorbée sur les multiples programmes en cours de développement, la réunion globale d‟interprétation fut reportée à la semaine suivante. Elle commença par la narration de mon voyage extraordinaire qui suscita nombre de questions pour des éclaircissements divers. Ma conclusion concernant la lunette à neutrinos donna lieu à l‟intervention de Tera : — Je suis heureuse d‟apprendre que la localisation précise des personnes vivantes et des défunts est tout à fait possible au cours des voyages. Je dois avouer que mes tentatives pour localiser de manière précise une bulle située à plus de dix kilomètres se sont soldées par des échecs cuisants. Par contre, j‟ai réussi à recueillir toutes les données émises par la bulle de Labo, alors que celui-ci était en communication « texte » avec un autre membre de Topla, et qu‟aucune demande de vidéo ne devait être exprimée, pour isoler le texte seul. Nous nous sommes attachés à ce que tous les échanges soient très simples, selon un programme fixé à l‟avance qui consistait à lire la totalité des lettres de l‟alphabet, puis quelques mots usuels simples, etc. … le tout exécuté par chacun d‟entre nous à tour de rôle pour contrôler la répétitivité parfaite des signaux et leur totale indépendance de la personne qui intervenait. Labo fit ensuite tourner ses « moulinettes » de décryptage décodage sur nos PC et nous avons ainsi parfaitement décodé tous les signes alphabétiques et les textes échangés. Nous avons remarqué que ces échanges commencent toujours et se terminent toujours par une séquence spécifique, qui 101


caractérise le fait que ce qui va suivre sera du texte ou que ce qui précède était du texte, un peu comme des parenthèses spéciales qui encadreraient du texte à l‟intérieur. Un essai avec la langue arabe nous fournit deux autres séquences de début et de fin, caractérisant donc une enveloppe contenant un texte en arabe. Concernant les images et vidéos, un long travail préparatoire fut nécessaire pour que les PC apprennent à reconnaître les structures fils de fer, et Labo se dévoua pour la mise en scène. Il se plaça dans un recoin de pièce entièrement noir, les murs, le sol et le plafond étant recouverts de peinture noire mate. Il y plaça une balle rouge qu‟il observa pendant 10 secondes, puis une balle plus grande, mais du même rouge. Ensuite, toutes les couleurs défilèrent, et aussi toutes les formes telles que cubes, parallélépipèdes et pyramides. Enfin, un mélange d‟une petite balle vert foncé placée sur un grand cube bleu, etc. Lors d‟un voyage en duo, cette séquence d‟apprentissage fut relue par Pyco dans la mémoire centrale de Labo et les signaux recueillis furent ensuite décodés sur le PC. Labo eut quelques difficultés avec ses logiciels de reconnaissance de formes et de couleurs, mais il obtint quand même quelque chose d‟acceptable pour les images fixes. Ensuite, il fut possible de décoder les mouvements des objets simples, donc de décoder les scripts qui décrivent le mouvement d‟un objet désigné, une balle rouge qui roule de gauche à droite, par exemple. Petit à petit, nous sommes arrivés à « relire » des scènes cinématiques simples avec de nombreux objets simples qui bougeaient dans tous les sens. Nous en étions là, quand Labo réussit à « s‟introduire » dans les ordinateurs des services spécialisés dans l‟imagerie militaire et 102


la reconnaissance d‟objets en trois dimensions, objets tels que des sous-marins, chars, bateaux, avions, etc. via des signaux radars et sonars spécialisés pour pouvoir les identifier et les classer ami ou ennemi avant de tirer. Ce nouveau logiciel fit des miracles, associé à un logiciel de détection et de simulation de sources lumineuses éclairant la scène, pour affiner les ombres. On obtint ainsi des vidéos de scènes complexes d‟une qualité suffisante, qualité qui s‟améliorait sans cesse par autoapprentissage si la même scène était répétée plusieurs fois. On peut presque affirmer que le cerveau d‟un nouveau-né fonctionne exactement comme cela, par autoapprentissage lui aussi au cours des premiers mois de la vie où il a beaucoup à apprendre de la vue et de son interprétation des objets et des mouvements. Forts de ces succès, nous nous sommes même payé une bonne séance de cinéma rétro en revoyant Pyco faisant son allocution de remerciements pour son prix Nobel. Labo ajoute : — Nous en sommes ainsi arrivés à un point où presque tout ce qui était nécessaire pour l‟objectif final est acquis. Nous avons amélioré ensuite le système de lecture, en ajoutant à la lunette à neutrinos un élément essentiel, à savoir un petit canon à neutrinos, l‟objectif étant de fabriquer une bulle fictive purement matérielle ayant des caractéristiques comparables à n‟importe quelle bulle de l‟au-delà, et ayant la possibilité d‟émettre des demandes vers d‟autres bulles quelconques et d‟en recueillir les réponses, texte, images et vidéos interprétées par un PC instantanément pour visualisation sur écran. Comme Ovni avait remarqué un triangle de liaisons vertes entre deux bulles et la M.G.Terre, nous avons décidé de tester une liaison en dirigeant le canon à neutrinos et la lunette vers le centre de la Terre, ce qui est très facile, comparé à une visée vers une bulle microscopique située à des milliers de kilomètres, visée qui 103


n‟était pas réalisable avec notre lunette actuelle, limitée à dix kilomètres. Nous avons ainsi vérifié que toute interrogation d‟une bulle Y se fait dans deux directions simultanément, vers la bulle Y d‟une part, et vers le centre de la Terre d‟autre part. La réponse suit également ces deux chemins, et les deux flux sont identiques si la bulle Y est atteignable. Si la bulle Y se trouvait dans une autre planète, la réponse du M.G.Terre serait limitée aux dernières données enregistrées par M.G.Terre. Aloa ajoute : — Si l‟on fait l‟hypothèse que les bulles ne peuvent « normalement » pas échapper à l‟attraction terrestre, on peut éventuellement considérer que certaines bulles pourraient « s‟échapper » dans des conditions extrêmes, telles que des explosions nucléaires par exemple. Que se passe-t-il alors lorsqu‟elles finissent par rejoindre le champ gravitationnel d‟une autre planète viable de notre galaxie ? Serait-il imaginable, à l‟inverse, que nous puissions localiser des bulles sur Terre qui proviendraient d‟autres planètes ayant subi des explosions nucléaires ? Pourra-t-on accéder ainsi à l‟histoire complète de l‟Univers sans quitter notre fauteuil depuis le salon de TOPLAB 2 ? Angéla ajoute : — Je suis très intéressée par l‟évolution du cerveau des nouveau-nés et je propose qu‟une étude vérifie, dès le premier jour de la naissance, comment l‟autoapprentissage biologique fonctionne, ce qui pourrait nous donner des idées pour nos travaux de décodage des vidéos des bulles. On pourrait tenter de le faire sur un animal, par exemple, ce qui élargirait notre champ d‟expériences. 104


La mise au point d‟un système de décodage, adapté aux animaux, permettrait de faciliter ensuite la communication avec d‟autres espèces sur d‟autres planètes. La proposition d‟Angéla fut retenue pour un programme futur, l‟urgence actuelle étant notre action pacificatrice. La réunion se termina par la mise au point du message que nous adresserions aux grands de ce monde dans deux semaines pour lancer officiellement notre opération « Colombes du Portail ». Ce message fut l‟objet de discussions, non pas sur son contenu, mais plutôt sur le fait qu‟il proviendrait d‟extraterrestres ou d‟un groupe d‟humains. La solution extraterrestre fut retenue, car elle permettrait de retarder d‟éventuelles recherches nous concernant. Par ailleurs, le ton du message était important et il fut décidé de prendre un ton mi-figue mi-raisin, avec des exigences très fermes et un programme très serré, mais avec des pénalités annoncées sous une forme amusante, l‟ensemble devant donner le sentiment qu‟on avait à faire à des êtres supérieurs exigeants, mais ouverts à l‟humour, et avec lesquels un contact agréable était possible dans le futur. Sa rédaction finale est inscrite ci-après…

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Message aux grands de ce monde Bonjour ! Ne soyez pas inquiet, ou calmez-vous si nécessaire. La technique que nous utilisons pour nous adresser à vous est inconnue sur votre planète, et elle ne vous sera pas accessible avant plusieurs siècles, si votre planète existe encore à cette époque bien lointaine compte tenu de l‟état de décomposition avancée dans lequel elle se trouve et de l‟état de mort annoncée qui est le sien, selon nos projections planétaires, malheureusement. Notre Objectif Unique et non modifiable : Vous AIDER à éviter l‟ARMAGEDDON planétaire que nous prévoyons dans dix mois, si rien ne change dans vos attitudes de Docteur Folamour. Ce message est adressé, en ce moment même, à dix chefs d‟État démocratique et aussi à dix autres chefs d‟états et chefs religieux non démocratiques. Si vous souhaitez réécouter ce message, clignez simplement des yeux, cela sera suffisant, car nous percevons et contrôlons en ce moment tous vos sens biologiques, la vue, l‟ouïe, etc. … Si vous souhaitez l‟écouter dans une autre langue que celle de votre pays ou de votre religion, il est disponible aussi en anglais classique, clignez simplement trois fois de suite des yeux pour y accéder. Sachez, également, que vous ne pouvez pas vous soustraire à l‟écoute attentive de ce message que nous souhaitons transmettre aux terriens à travers vous, plus tard. 106


Toute tentative de vous y soustraire vous entraînerait, au bout d‟une heure, dans un asile d‟aliénés, puis dans quarante-huit heures, vers une mort garantie, car le message vous serait alors diffusé sous la forme de musique artistique et moderne que vous avez volontairement développée pour vos masses hurlantes sur votre planète, c‟est-à-dire une version Rap à haute puissance et très rythmée. Ne souriez pas, il ne s‟agit pas d‟une blague de potache. Si vous souhaitez simplement tester la version rap dans un mode non destructif pour votre très fragile cerveau, parlez donc à haute voix « OUI, JE SOUHAITE TESTER LA VERSION RAP » Si vous dites toute autre chose, vous accéderez à la version rap, avec destruction partielle irréversible de votre système auditif, ce qui serait dommage pour votre carrière. Si vous ne dites rien, vous pouvez tranquillement continuer à écouter ce message, car nous allons ensemble aborder maintenant la partie la plus importante. Voici donc le programme qui s‟impose à vous, au cours des prochaines heures et jours à venir. Et n‟oubliez pas que vous pouvez toujours revenir de la version rap douce à la version normale, si vous avez du mal à suivre en rap, ce dont nous ne doutons pas un instant. Aujourd’hui, à 8 heures, heure de Greenwich. Vous tiendrez une réunion avec seulement trois de vos conseillers, choisis par vous, réunion sous le sceau du secret total, car ils bénéficieront du même traitement de faveur que vous-même et seront placés sous contrôle global de tous leurs sens biologiques et spirituels.

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Vous les informerez, solliciterez leur avis et définirez avec eux qui contactera qui, pour l‟organisation au plan international d‟une réunion plénière des vingt responsables et de leurs soixante conseillers, sous la garde étroite de l‟OTAN, en plein centre de l‟Océan Atlantique Nord. Aucun conseiller ne sera militaire ou ancien militaire gradé, choisissez plutôt des conseillers en matière spirituelle et des humanistes laïcs, car ce sont ces conseillers-là que vous avez négligés jusqu‟à présent, ce qui vous a conduit à la situation présente où vous suivez nos recommandations et nos directives sans espoir autre que de réussir ce que nous vous proposons, que nous répétons volontiers : Notre Objectif Unique et non modifiable : Vous AIDER à éviter l‟ARMAGEDDON planétaire que nous prévoyons dans dix mois, si rien ne change dans vos attitudes autodestructrices. Jour 1, à 14 heures, heure de Greenwich Vous pourrez commencer des contacts téléphoniques avec les autres responsables également approchés par nous en ce moment même, sur des lignes privées et cryptées. Vous restez libre de vos paroles, mais vous êtes conscient qu‟à partir de ce moment et jusqu‟au terme de votre vie héroïque, un décompte de votre bonne volonté sera établi, avec classement parmi les vingt au terme de la réunion internationale. Ceci vaut également pour vos conseillers, donc faites particulièrement attention à votre choix en la matière. Retenez bien que ce classement sera diffusé sur toute la planète, ainsi que l‟intégralité des débats de la réunion internationale, ceci en boucle pendant 48 heures, sur tous les canaux de diffusion existants, internet bloqué compris.

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Il y aura peut-être quelques cas particuliers, qui préféreront le rap pendant la réunion : nous vous laisserons le soin de les évacuer vers l‟hôpital psychiatrique du bateau, ce dernier ne sera retenu et défini que 12 heures avant la réunion. Jour 3, à 8 heures, heure de Greenwich

Moyens à mettre en œuvre . Évacuation, sous quinze jours, de tous les pays et territoires occupés, légalement ou non. . Démantèlement de tous engins nucléaires sous quinze jours, les rendant inutilisables pour un an par destruction de leur électronique embarquée et du support informatique terrestre et satellitaire. Leur démantèlement complet, avec recyclage des matériaux constitutifs, commencera sitôt après et s‟étalera sur cinq ans. . Mise aux arrêts sous quinze jours de tous les « chefs de guerre », avec notre assistance dans le domaine artistique du rap, si nécessaire. . Fermeture sous quinze jours de toutes les écoles purement confessionnelles de la planète, sans distinction de religion.

Note Importante Il faut bien comprendre que notre volonté n‟est pas d‟éradiquer les tendances religieuses de cette planète, dès l‟instant qu‟elles se confinent au domaine spirituel strictement privé et individuel. Avec le temps, ces tendances se rejoindront et se fondront d‟elles-mêmes en autre chose, mieux adaptée au destin de l‟homme. 109


Nous serons très attentifs aux motivations profondes des futurs leaders qui se dégageront dans cette nouvelle spiritualité et nous éliminerons, par la grâce du rap, tous les cas attirés par la simple recherche du pouvoir sur des âmes faibles. Nous démontrerons, par de longs films largement diffusés, que l‟histoire réelle, pour chacun des grands noms de vos religions, n‟est pas du tout celle que des générations de clercs religieux ont transmise après modifications, en général pour leur seul avantage ou pour celui de leur caste. Ces films seront, en fait, les vies réelles de ces personnages, vies vécues à travers leurs yeux, à leur époque, car nous accédons à leur mémoire centralisée intégralement quelque part dans la galaxie. Si nécessaire, nous prendrons également comme acteurs quelques kamikazes fanatiques, pour qu‟ils vous racontent, depuis l‟au-delà, la réalité de leur situation actuelle. Nous possédons tous les moyens pour contraindre les 20 dirigeants à prendre la seule voie qui leur est offerte pour garantir la pérennité de l‟espèce humaine. Nous croyons fermement que vous y parviendrez, et si tel est le cas, nous vous inviterons à avoir un contact direct avec notre espèce, notre seul intérêt étant de vous amener à connaître la paix universelle et vous inviter ultérieurement à nous aider pour l‟étendre plus largement sur les planètes qui sont au bord de l‟implosion interne, par la faute de leurs propres peuples. Dans une heure environ, disons à cinq heures, heure de Greenwich, vous pourrez nous dire clairement : « J‟AI BIEN COMPRIS » Ce qui vous laisse le temps de réécouter ce message dans la langue de votre choix. Nous vous suivrons pas à pas pour vous rassurer sur la voie unique que vous allez suivre. 110


Si vous souhaitez vous détendre avec votre morceau de rap favori, veuillez écrire son titre sur une feuille de papier ordinaire, et nous nous attacherons à en faire un tube planétaire à votre gloire, diffusé lors de vos obsèques (à noter que nous vous rencontrerons de toute façon au-delà de vos obsèques, bien sûr !). Liste des vingt responsables :

Le grand jour

Toute l‟équipe travailla d‟arrache-pied pendant ces dix derniers jours afin de mettre en place une vingtaine d‟écrans et de claviers de commande dans le nouveau grand salon de TOPLAB2. Plusieurs unités centrales d‟ordinateurs puissants y furent installées, et le programme de communication à vingt voies fut testé, par cinq d‟entre nous qui nous se sont placés en vol simultané, le sixième visualisant les cinq vidéos sur cinq écrans en même temps. Le canon à neutrinos fut testé avec un nouveau programme d‟interrogation qui lui permettait d‟interroger une bulle quelconque Y en émettant un signal composé de l‟ADN de la bulle Y, suivi de l‟ADN fictif du canon que nous avions choisi comme étant celui d‟Angéla. La M.G.Terre répondit correctement à chacune de nos demandes, ce qui nous permit de faire un test sur d‟illustres inconnus, choisis au hasard. Le test fut complet, le jour où nous vîmes sur nos vingt écrans, vingt images différentes provenant de toute la planète. Les vingt codes ADN des vingt grands de la planète furent introduits dans le système et le même test global discret donna toutes satisfactions. 111


Nous fîmes le test de l‟émission du message sur plusieurs d‟entre nous et dans plusieurs langues, ce qui fut l‟occasion de franches scènes de rigolade, lorsque le mode rap léger se mettait en route automatiquement. Nous étions apparemment prêts et on affecta quatre écrans et quatre noms de présidents à chacun des cinq « contrôleurs » de l‟opération, Labo étant responsable de la maintenance des équipements et de l‟approvisionnement en boissons et nourriture des contrôleurs. Il était prévu que Labo puisse intervenir depuis sa propre bulle, si l‟un des vingt postes de contrôle était irrémédiablement en panne pendant la transmission du message. Une journée pleine de récréation et de farniente précéda le grand jour, qui serait demain. Un petit déjeuner léger, vers trois heures GMT, nous mit en bonne condition pour l‟opération. Elle commença comme prévu, à quatre heures GMT, avec l‟émission simultanée des vingt messages. Labo surveillait toute l‟opération, depuis un écran de contrôle système qui reflétait l‟état de chacun des vingt écrans des contrôleurs. Il voyait devant lui les cinq visages des contrôleurs, visages qui parfois s‟illuminaient d‟un sourire, quand l‟un de leurs « correspondants » montrait des mouvements de dénégation, en faisant aller sa tête et son regard rapidement d‟un côté à l‟autre. Certains n‟étaient pas seuls et firent rapidement des mouvements de la main, pour que les visiteurs s‟éloignent et les laissent seuls pour écouter le message. Plusieurs demandèrent la répétition du message dans une autre langue. Certains demandèrent une répétition du message global et prirent des notes, surtout au moment où la liste des actions à faire était décrite. 112


Un seul eut une légère syncope et le message lui fut retransmis trente minutes plus tard, sans problème apparent. Plus tard, nos prévisions furent vérifiées, lorsque les écrans retranscrivirent les discussions avec les conseillers, généralement choisis avec sagesse. Leur ADN fut « collecté », alors qu‟ils étaient réunis dans la même pièce, avec leur président. L‟un d‟entre eux fut choisi et le message lui fut transmis à vitesse lente, pour qu‟il puisse l‟écrire et le photocopier pour poursuivre les discussions du groupe devant un texte précis que nous vérifiâmes. Certains des conseillers, toujours incrédules, voulurent entendre aussi et firent un signe de leurs deux mains vers leurs oreilles. Cette écoute finit par les convaincre de la réalité du problème qui leur était posé. Aucun président, mais cinq conseillers cependant souhaitèrent tester le mode rap léger, et leurs contorsions suffirent à convaincre leur entourage que ce type de test n‟était vraiment pas nécessaire. À partir de ce moment, nous pouvions nous relaxer à tour de rôle et n‟assurer qu‟un suivi léger sur les écrans. Labo et Ovni confirmèrent leur réservation du bateau de croisière, retenu au port, dans les îles Canaries, sous prétexte de travaux de rénovation. Le transfert bancaire d‟un million de dollars fut effectué à titre d‟avance sur les quatre millions de dollars négociés avec l‟armateur grec que nous avions sélectionné préalablement pour sa discrétion, car Labo le connaissait bien. L‟objet annoncé du voyage de deux jours était le mariage secret d‟un très riche héritier, qui invitait une centaine de personnes qui arriveraient toutes par hélicoptère, depuis les cotes portugaises et espagnoles. 113


L‟accent avait été mis sur le fait que de nombreuses personnes âgées seraient présentes et que les conditions sanitaires et médicales devraient être excellentes. Ce voyage avait été présenté à l‟armateur comme devant constituer un argument publicitaire de premier plan pour sa compagnie, ce qui assurait sa discrétion, car une telle occasion ne pouvait lui échapper.

Croisière surprise Une grande activité téléphonique sur les lignes rouges fut observée, chacun des vingt grands prenant contact avec ses homologues, leurs conseillers firent également des visioconférences pour confirmer l‟ampleur du phénomène surnaturel et son exigeante réalité. Sept parmi les dirigeants des pays les plus importants tombèrent rapidement d‟accord pour mettre en place un programme accéléré de suppression des armes nucléaires, s‟estimant suffisamment forts en moyens conventionnels. Sept autres, de pays de petite ou moyenne importance, étaient très réticents, mais leur programme nucléaire dépendant plus ou moins des sept grands, ils furent vite convaincus par leurs soutiens de la nécessité absolue d‟agir pour la paix. Il est vrai que les sept grands commençaient à en avoir assez de l‟agressivité de leurs petits protégés, agressivité qui risquait de les entraîner dans une confrontation générale qu‟ils voulaient éviter à tout prix, et que cela faisait cinquante ans que la planète prenait des risques insensés, la situation s‟étant même aggravée au cours des vingt dernières années. Les plus réticents furent, comme prévu, les six responsables religieux, en grande partie du fait de leur manque de représentativité territoriale qu‟ils utilisèrent comme excuse. 114


Il fut admis qu‟une réunion élargie des religieux serait organisée par leurs soins pour qu‟ils soient certains de couvrir la grande majorité des tendances regroupant environ quatre-vingts pour cent des fidèles. De façon générale, une grande inquiétude se dégageait de leurs propos et attitudes, inquiétude liée aux extraterrestres qui remettraient en cause les fondements mêmes de leurs religions et donc les bases de leur pouvoir non démocratique actuel. Topla suivit l‟ensemble de ces discussions et décida de sanctionner par le rap quatre conseillers religieux qui décidèrent de se libérer du secret et tentèrent d‟informer leurs collaborateurs. Ils n‟en eurent pas l‟occasion, car ils furent atteints d‟une crise de folie subite dès leurs premières paroles. Les responsables religieux dont ils dépendaient eurent droit à une démonstration du mode rap léger pour les rappeler à l‟ordre. Au cours de la soirée du premier jour, l‟évolution semblait favorable à la tenue de la réunion croisière et les vingt responsables furent informés par nous des aéroports retenus sur les côtes ouest de l‟Europe et de l‟heure d‟envol de leurs hélicoptères dans la nuit du lendemain. L‟OTAN fut prévenue de la couverture aérienne et maritime indispensable sur zone par les responsables des grands pays de l‟Atlantique Nord. Le nom et les références du bateau croisière furent indiqués quelques heures avant la réunion, ainsi que sa position d‟ancrage. Les transferts s‟effectuèrent sans encombre et leur accueil fut réalisé par l‟armateur en personne qui avait été informé la veille au soir. Il était particulièrement ravi de la publicité qu‟une telle réunion procurerait à sa société. Nos six colombes eurent beaucoup de travail pour suivre et enregistrer toutes les vidéos pendant les trente-six heures que dura la réunion. 115


L‟armateur avait placé une dizaine de caméras à notre demande dans la salle et nos enregistrements de TOPLAB2 serviraient de référence, si besoin était. Globalement, les quatre-vingts participants eurent une attitude responsable et travaillèrent sérieusement ensemble. Les chefs religieux donnèrent leur accord aux grands pays présents pour la fermeture des écoles strictement confessionnelles et le confirmèrent par une déclaration solennelle en commun. L‟évacuation des territoires occupés et le démantèlement des armes et systèmes d‟armes nucléaires furent reconnus comme une nécessité absolue et un engagement solennel fut enregistré devant l‟assemblée qui manifesta une grande émotion collective à cette occasion. Le surréalisme apparent de cette croisière avait fait place à une sérieuse prise en considération des conséquences et, d‟une certaine façon, un sentiment général de soulagement commençait à percer. Comme nous l‟avions prévu, la limite de quinze jours ne pourrait pas être tenue et nous acceptâmes une demande écrite et signée sur un grand tableau de porter cette limite à un mois. La mise aux arrêts de tous les chefs de guerre posa un problème spécifique, lié à leur dissémination géographique, et notre assistance fut réclamée au cours des trente jours qui suivirent. Une liste de cinq conseillers fut définie, des conseillers qui deviendraient nos contacts stratégiques guidant nos interventions tactiques qui s‟avéreraient nécessaires dans une quinzaine de cas prévisibles. Nous avons été amenés à accepter que les diffusions télévisées de la réunion soient réalisées par toutes les chaînes, sous la responsabilité des vingt grands chefs d‟Etat. De même, nous avons accepté de ne pas diffuser de classement des vingt responsables, pour conserver le sentiment général de 116


bonne volonté et l‟engagement solennel des soixante-seize participants. Des réunions spécifiques, entre responsables et conseillers, eurent lieu pour rédiger les instructions et les ordres à leurs hiérarchies civiles et militaires. Un grand dîner termina la croisière et le ballet d‟hélicoptères reprit la nuit suivante.

Sept sur les talons des Vingt Les retransmissions de la réunion internationale furent partout précédées d‟une allocution d‟introduction par le responsable ou président. Ces introductions insistèrent sur le caractère extraordinaire et imprévu de la réunion, sur l‟importance exceptionnelle des engagements pris et demandèrent avec insistance que les gens restent chez eux pendant cette retransmission, à l‟exception des services médicaux et de sécurité. Les rues se vidèrent en deux ou trois heures, le bouche à oreille ayant fonctionné pleinement, grâce aux téléphones portables. La diffusion commença par le ballet d‟hélicoptères et les mesures de sécurité prises par l‟OTAN, ainsi seul un très faible pourcentage de téléspectateurs rata la présentation personnelle des dirigeants et des conseillers présents à la réunion. Au terme de la première journée, l‟essentiel du contenu avait été diffusé et les rues s‟animèrent de nouveau, avec de nombreux petits groupes discutant au milieu des chaussées, la circulation étant quasi inexistante de ce fait. De nombreuses familles organisèrent des réunions avec des parents, amis ou voisins, pour commenter l‟évènement sans précédent. 117


Les réseaux téléphoniques et Internet furent saturés, et les contacts n‟avaient lieu qu‟avec le voisinage immédiat. Heureusement, des précautions élémentaires avaient été prises pour préserver des bandes de communication pour les services médicaux et de sécurité, mais il y eut moins d‟interventions que d'habitude, car les transports étaient réduits à dix pour cent du flux habituel.

Migration des colombes. Nous suivîmes le déroulement de cette première journée, dans le salon de TOPLAB2, sur nos vingt écrans en attendant la visioconférence avec Dalaï-Lama, prévue à vingt-deux heures. Dalaï-Lama ne faisait volontairement pas partie des vingt pour ne froisser personne, compte tenu de la présence militaire chinoise au Tibet. Cela lui permettait de travailler en souterrain pour mettre en place un réseau d‟une centaine de groupes pacifistes à travers le globe. Il travaillait là-dessus depuis près d‟un mois, sélectionnant « sur le papier » les trois responsables de chaque groupe local parmi ses innombrables connaissances et amis. Ces responsables étaient choisis pour être des humanistes confirmés, n‟ayant jamais adhéré aux associations pacifistes existantes, trop politisées à son goût qui lançaient des opérations trop ciblées, voire biaisées, ce qui était incompatible avec la situation actuelle où chacun devait œuvrer pour l‟objectif commun unique. Le rôle de ces groupes était de rassembler les bonnes volontés qui existaient dans la masse dite silencieuse et de former des réseaux de vigilance pour suivre localement l‟avancement des travaux de démantèlement. 118


Dans certains pays démocratiques, le risque était grand de voir les assemblées d‟élus manifester un mécontentement d‟avoir été tenus à l‟écart et tenter de lancer des procédures de destitution. Les groupes de vigilants avaient pour rôle de porter la bonne parole et les explications nécessaires pour convaincre les électeurs et téléspectateurs de l‟imbécillité de ces réactions puériles et dangereuses. Quelques spécialistes seraient sélectionnés pour localiser tous les sites d‟armement et les silos d‟ogives, et s‟assurer du retour effectif au port des sous-marins nucléaires porteurs d‟engins. Au terme des trois premières semaines, un état chiffré des destructions effectives de matériel électronique militaire spécifiquement nucléaire serait réalisé et adressé à Topla, via Dalaï-Lama, pour décider d‟actions plus radicales utilisant les logiciels de pénétration et d‟infiltration de réseaux de commandement militaire, avec un logiciel que Labo aurait mis au point d‟ici là. À vingt-deux heures, Dalaï-Lama, toujours aussi ponctuel, nous contacta sur notre réseau ultra crypté et confirma que ses listes étaient au point et qu‟il ferait une visioconférence, depuis Londres, avec tous les responsables de groupe cette nuit même. Préalablement, il avait contacté individuellement les principaux chefs de groupe pour les informer de la nécessité d‟une action d‟envergure pour soutenir les chefs d‟État dans ce programme mondial. Il semblait confiant et les premières impressions et réactions des responsables avaient été très positives et constructives. Il précisa qu‟aucune tonalité religieuse ne serait donnée et que la politique politicienne serait bannie de ces groupes, l‟objectif planétaire dépassant et de très loin les petites querelles byzantines et intestines.

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Il nous déclara qu‟il éviterait désormais de venir en personne à TOPLAB, ceci jusqu‟au jour où nous déciderions que l‟objectif était suffisamment atteint et que le secret pouvait être levé, si nous le souhaitions, bien sûr. Notre réaction fut unanime, nous préférions maintenir le secret complet sur TOPLAB pendant plusieurs années, et seules les trois femmes pourraient circuler, le moins possible et jamais ensemble. Pour des raisons familiales, Angéla se rendrait à Delhi une fois par an, pour une réunion chaleureuse avec nos enfants et petitsenfants et leur confirmer sa nouvelle vocation, initialisée par Aloa, au sein d‟un groupe de vigilance couvrant l‟Inde, la Chine et le Pakistan, poudrières majeures. Actions futures L‟étape en cours semble bien se présenter et nous pouvons raisonnablement espérer un succès, avec le minimum de dégâts humains, bien qu‟ils soient difficilement évitables, compte tenu du bouleversement considérable qu‟une telle modification apporte dans la géopolitique planétaire. Nous pouvions commencer à rêver d‟autres aventures, rendues possibles par les nouveaux moyens et pouvoirs dont nous disposions désormais, et nous profitâmes de ces trois semaines d‟inaction relative de notre côté pour préparer d‟autres expéditions. La logique la plus élémentaire recommandait de pénétrer dans le monde animal le plus proche de l‟être humain d‟abord, puis de poursuivre avec des espèces animales plus éloignées, ensuite seulement, de rechercher des bulles d‟extraterrestres à la surface de la Terre pour sauter le grand pas qui nous éloignait d‟eux. L‟animal choisi, fut bien sûr le bonobo qui est le plus proche de l‟homme et Aloa se chargea de nous amener un couple qui fit rapidement la conquête de Lapinou et de Casimir, qui furent vite lassés de leurs jeux trop répétitifs de poursuite et cachette. L‟animal suivant sera vraisemblablement un éléphant des Indes, mais l‟équiper discrètement d‟un interrupteur/capteur Wifi ne sera pas aisé, nous verrions donc cela plus tard. 120


En parallèle, une recherche de bulles extraterrestres sera menée pour en localiser au moins une dizaine pour traitement ultérieur. C‟est encore une fois Labo qui sera sollicité pour mettre au point un programme automatique de recherche contrôlant le canon lunette à neutrinos et ainsi prospecter finement nos environs immédiats, par un balayage de prospection. D‟autres opérations pourraient être envisagées, mais ce premier programme nous sembla largement suffisant pour l‟année à venir.

Conclusion provisoire Au bout des trois premières semaines, Dalaï-Lama nous confirma un taux général de soixante pour cent de destructions pour les pays suréquipés en armes nucléaires, ce qui semblait prometteur, mais par contre, deux petits pays restaient apparemment peu actifs et semblaient vouloir conserver au moins une bombe nucléaire « au cas où ». Les grands montraient leur énervement et nous demandèrent, via un grand tableau placé à l‟ONU, d‟intervenir en urgence. Le Dalaï-Lama nous confirma cette demande, car, au cours de ses contacts personnels réguliers, quatre présidents l‟avaient consulté sur ce sujet délicat d‟une intervention extraterrestre qui risquait de ternir une opération qui démarrait si bien et qui devait impérativement rester une opération spécifiquement terrestre dans les livres d‟histoire. Labo se mit aux commandes et rendit inexploitable le système d‟alimentation électrique des deux ogives concernées en courtcircuitant depuis TOPLAB2 une grande partie des câbles et des logiciels de contrôle des ogives, ce qui laisserait le temps aux organismes internationaux de contrôle d‟intervenir de manière définitive sur leurs sites. L‟évacuation des troupes d‟occupation fut facilement contrôlée et relatée par les chaînes mondiales d‟information. 121


L‟élimination des chefs de guerre nécessita quelques interventions du rap dans les jungles et les grottes concernées et quelquefois de manière répétitive, car des petits malins étaient ravis de prendre la relève, depuis le temps qu‟ils attendaient une telle occasion. Au terme du premier mois, la planète entière commença à fêter la réussite presque totale du programme, à des détails résiduels qui seraient rapidement résolus. Une réunion plénière eut lieu à l‟ONU qui sabla le champagne et réclama notre présence, inutilement car nous fîmes savoir que l‟opération méritait une complète confirmation et que nous serions intransigeants sur le démantèlement physique complet et le recyclage de toutes les pièces des ogives nucléaires récemment désactivées. Un contact personnel avec les extraterrestres serait possible à cette seule condition. Rendez-vous fut pris dans deux ans pour faire l‟état des lieux.

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Les Bonobos Le petit couple de bonobos qu‟Aloa nous a procuré nous a été livré avec une grande quantité de leur nourriture habituelle. Aucun problème pour stocker et conserver cette nourriture, car nombre de grottes du labyrinthe sont non chauffées et conservent une température constante de 4 °C. Aloa s‟était adressée au responsable d‟une réserve africaine qu‟elle connaissait bien, ayant passé plusieurs mois à étudier des ethnies primitives dans cette région. Au début, l‟homme était réticent, mais la chance fut avec nous. Il s‟occupait plus particulièrement du déplacement d‟animaux sauvages pour les transplanter dans des zones favorables de la réserve où ils seraient à l‟abri. Il rayonnait jusqu‟à deux cents kilomètres autour de la réserve, dès qu‟il avait connaissance d‟un projet de déforestation par les autorités locales. Il y a six mois, il avait ainsi capturé plusieurs familles de bonobos, dont deux jeunes couples qui attendaient leur premier bébé. Ces deux couples furent conservés deux mois après les naissances, car il était hors de question de les libérer dans un environnement nouveau pour eux et dangereux pour leurs bébés. Il s‟avéra que malheureusement les bébés avaient une malformation provenant de l‟ingestion par leurs parents de céréales et de fruits modifiés génétiquement et soumis à des traitements chimiques. Cette malformation était localisée au niveau des os du bassin et les rendait inaptes à la vie dans les grands arbres. Cette malformation venait d‟être détectée deux mois avant l‟arrivée d‟Aloa et le responsable de la réserve ne savait que 123


faire, car les deux couples devaient absolument être libérés pour peupler la réserve et il ne pouvait relâcher les deux petits, un jeune mâle et une jeune femelle de cinq mois. La demande d‟Aloa fut accueillie avec soulagement, car elle lui permettait de donner une chance de survie confortable à Boni et Nina. C‟est ainsi que Boni et Nina découvrirent l‟Himalaya et s‟installèrent rapidement dans une grande salle climatisée où vivaient déjà Casimir et Lapinou. Les hommes y installèrent une petite forêt artificielle avec des branches dans lesquelles la nourriture était accrochée et renouvelée régulièrement. Le petit enclos grillagé à l‟extérieur, dans un recoin bien exposé de la faille surplombant le lac, fut agrandi pour les sorties autorisées, les jours ensoleillés et sans vent. Les femmes étaient folles de leur petit zoo, ce qui leur permettait de distribuer ce surplus d‟amour dont elles sont capables.

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Boni et Nina à l’école Il était clair pour toute l‟équipe que nous devions assurer une formation « scolaire » intensive à nos deux protégés pour pouvoir espérer une communication correcte de bulle Humaine à bulle Bonobo. L‟installation des capteurs/interrupteurs wifi fut réalisée sans encombre dès leur arrivée pour qu‟ils s‟habituent rapidement à la présence de cette puce bizarre au milieu de leur crâne. Nous avions tous « appris » l‟ADN de nos deux bonobos et eux les nôtres, et ils furent localisés sous la forme de deux points roses sur l‟écran virtuel. La déformation des os du bassin leur rendait la position accroupie un peu douloureuse et ils prirent l‟habitude de se tenir debout, en nous tenant par la main au cours des promenades, ce qui renforça les muscles des jambes et des fesses dans le bon sens pour une station debout sans trop de fatigue. Nous somme persuadés que la station debout leur était agréable par ailleurs, car ça empêchait Casimir de les embêter et leur donnait ainsi une certaine hauteur de vue par rapport à ce chat espiègle. Au-delà d‟une scolarité classique pour les singes faite d‟apprentissage et de reconnaissance des formes et des couleurs, lettres et chiffres compris, il était indispensable qu‟ils puissent devenir « autonomes » dans leur bulle. Aloa et Angéla virent leurs fonctions d‟institutrices s‟élargir pour devenir professeurs d‟initiation à l‟informatique pour les enfants, en se servant d‟écrans spécialement adaptés pour la circonstance, des écrans tactiles d‟ordinateurs portables du type tablette. Le programme préexistant de Labo qui avait servi à former tout le groupe aux réactions de l‟écran virtuel de la bulle fut aménagé pour que les actions tactiles remplacent les 125


lunettes spéciales pour handicapés suivant les mouvements de l‟œil humain. En effet, il s‟est avéré que Boni et Nina ne supportaient pas du tout ces lunettes particulières qui les « regardaient » avec leur minicaméra oculaire, et leurs yeux roulant sans cesse d‟un bord à l‟autre, ils étaient incapables de se concentrer sur un point précis de l‟écran de la tablette. Bien sûr, dans la bulle, nous n‟avons pas de mains, mais nos élèves feraient comme s‟ils en avaient et se concentreraient ainsi sur la zone voulue en attendant que leurs doigts apparaissent… Ils seraient un peu, voire beaucoup troublés, mais ils passeraient assez vite à l‟action suivante dès que l‟écran changerait suite à leur action « digitale ». Ils apprirent aisément les actions suivantes : 1. Se concentrer sur l‟écran en bas à droite pour l‟allumer 2. Se concentrer sur l‟image du membre de TOPLA pour figer son code biologique ADN, membre qui serait, lui aussi dans sa bulle et installé sur le même canapé à côté de l‟élève. À noter que nous avions découvert qu‟il suffisait de confirmer, en bas à droite, pour que le code ADN se transforme en une petite image du personnage sélectionné, une sorte de vignette fixe très explicite. 3. Confirmez, en bas à droite, pour recevoir la vignette en « récompense ». Au début, il était hors de question de leur apprendre à se servir des actions « Lieu GPS », en haut à droite, et « Temps universel », en haut à gauche, le lieu et le temps étant fixés par le professeur au début de la séance virtuelle. Le but poursuivi consistait tout simplement à leur faire suivre exactement les mêmes cours en école maternelle et en école primaire qu‟avait suivis à l‟époque le professeur lorsqu‟il était encore un enfant, ces cours étant stockés dans la mémoire centrale du professeur. 126


Il suffisait de démarrer le cours d‟orthographe de 1946 à la bonne date et à la bonne heure. La visualisation était alors lancée dans les deux bulles et il ne restait qu‟à suivre le cours, éventuellement autant de fois que nécessaire. La vérification des acquis se ferait en mode biologique terrestre, par des exercices adaptés à chaque leçon virtuelle. Si cela donnait satisfaction, il serait éventuellement intéressant d‟autoriser les élèves à choisir eux-mêmes de revoir un cours qu‟ils auraient apprécié, en les laissant « jouer » avec la date et l‟heure, s‟ils étaient doués. On pourrait aussi les laisser choisir leur professeur à partir des vignettes, pour voir éventuellement les mêmes cours réalisés par un professeur différent, mais à des dates différentes. Au bout d‟un certain temps, les professeurs auraient la possibilité de continuer leurs activités terrestres, la bulle de l‟élève accédant à la bulle du professeur en son « absence ». Mais pourquoi tout ceci ? Tout simplement pour donner à Boni et Nina la capacité de communiquer avec nous, par l‟écrit et non par la voix, car nous n‟étions décidément pas leurs parents, ce qui était dommage, leurs capacités vocales ne leur permettant de traduire qu‟un nombre limité d‟expressions, alors que leur intelligence et leur mémoire leur permettaient de communiquer cent fois plus de mots et d‟expressions dans un langage textuel. Aloa nous avait expliqué que les peuplades très primitives de la Nouvelle-Guinée pouvaient apprendre des langues évoluées possédant cent fois plus de mots que dans leur propre dictionnaire très limité.

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Boni et Nina devraient logiquement réussir, même si la méthode d‟apprentissage était tout à fait spéciale, pour nous en tout cas. Ils apprirent ainsi très vite à écrire toutes les lettres de l‟alphabet au cours de séances classiques, et ils étaient ravis de voir la mine du crayon « disparaître » dans le papier. Leur ravissement atteignait son comble lorsqu‟ils nous entendaient relire leurs exercices libres, au cours desquels ils pouvaient écrire ce qu‟ils voulaient, heureux de se voir compris sans avoir prononcé un seul mot. Une prise de conscience de l‟intérêt de cette nouvelle forme de communication se fit très rapidement et ils demandaient maintenant un fruit en écrivant son nom, qu‟ils avaient appris par cœur lors de leurs cours virtuels. Ils étaient particulièrement malins, ces deux lascars. Un jour, alors que nous étions tous réunis dans le salon TOPLAB2 pour nous détendre, eux jouaient à écrire sur des feuilles de papier. Aloa me donna un léger coup de coude et fit un mouvement de menton dans leur direction, et nous les regardâmes tous de manière très discrète. Nina écrivit quelque chose, puis retourna la feuille et la glissa devant Boni qui lui faisait face, de l‟autre côté de leur petite table de jeu. Boni lut le texte, fit un signe de dénégation et écrivit un simple mot, en dessous de la ligne de Nina et il lui rendit le papier. Nina ajoutant un mot en faisant OUI de la tête. Boni écrivit une nouvelle ligne et lui repassa le papier. Nina se mit en colère et commença à trépigner en poussant de petits cris. Aloa se leva pour aller les calmer et les ramena vers les canapés, où ils s‟installèrent, se faisant face et roulant des yeux furieux vers l‟autre. 128


Aloa leva les bras au ciel en lisant le papier et nous nous précipitâmes pour lire la prose qui disait : . PETIT PAPA DORT ET GRANDE MAMAN PARLE . NON . OUI . NON PETITE MAMAN DORT ET GRAND PAPA DORT Nous étions tous stupéfaits, essayant de comprendre ce que cela signifiait. Apparemment, ils devaient repenser à leurs parents et ce fut Angéla qui découvrit le fond de l‟histoire et nous expliqua devant les deux bonobos qui applaudissaient à chaque étape de l‟explication. Nina a pianoté au hasard sur l‟écran virtuel et a sûrement modifié le choix de l‟ADN en sélectionnant son papa et vérifié alors sa vignette en image fixe. Elle a alors vu « au travers du » regard de son père qui à ce moment-là regardait sa mère en lui parlant gentiment. La dispute vient du fait que Boni avait suivi le même parcours, mais lui avait sélectionné sa mère, alors que son père était en train de dormir. D‟où l‟incompréhension de nos deux bonobos qui parlaient de deux scènes différentes, mais n‟arrivaient pas à interpréter le problème. Nous les serrâmes dans nos bras tour à tour, ils étaient ravis, mais après qu‟ils se furent réconciliés par un gros bisou et des tapes dans le dos, ils continuaient à se regarder avec des yeux soupçonneux en fronçant les sourcils et en se pinçant les lèvres. Aloa passa une heure avec eux pour leur expliquer la situation, avec une méthode didactique très imagée et ils comprirent pourquoi ils s‟étaient affrontés, tout en retenant 129


qu‟il ne fallait pas faire n‟importe quoi en classe à l‟insu du professeur. Imaginez qu‟ils aillent hurler en bonobo dans les oreilles du Pape en pleine messe pontificale !

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Les Scimuts Aujourd‟hui, réunion plénière pour faire le point sur les dernières avancées. Dalaï-Lama nous a rejoints et nous nous installons au grand salon TOPLAB2. Le programme est chargé, car six mois se sont écoulés depuis la fin de la première phase du programme mondial et nous devons décider s‟il est temps de nous concentrer exclusivement sur les extra terrestres, car notre expérience avec les bonobos n‟avance qu‟à petits pas et nous occupe beaucoup trop pour contrôler leurs acquis. Dalaï-Lama commence : — Nos groupes de vigilance font un très bon travail et jusqu‟à présent le démantèlement progresse conformément au programme initial élaboré par les vingt grands. Plusieurs milliers de têtes nucléaires sont en cours de recyclage dans les centres de retraitement du combustible radioactifs. Les pays que nous n‟avions pas « approchés » directement ont rejoint le programme mondial en renonçant à leurs propres recherches militaires dans ce domaine. De très grandes décisions ont par ailleurs été prises par les gouvernements, pour éliminer toutes les sources potentielles de conflit, la plus importante étant les réserves de pétrole brut. Une reconversion globale du secteur automobile est engagée et d‟ici trois ans les nouveaux véhicules n‟utiliseront plus le pétrole, mais des produits agricoles et des moteurs électriques. Les programmes de centrales nucléaires ont partout été réactivés, et la construction de panneaux solaires performants explose, permettant une réduction drastique des coûts de production et d‟installation. 131


L‟industrie des matières plastiques prend également un tournant pour réduire ses besoins en pétrole. Globalement, les besoins en pétrole et en gaz naturel seront réduits de cinquante pour cent en dix ans et de quatrevingts pour cent en vingt ans, selon les dernières estimations d‟impact. L‟agriculture évolue favorablement grâce aux développements en matière d‟engrais naturels et de méthodes de gestion des jachères. Sur le plan des religions, les lieux de cultes sont très actifs, car nombre de croyants non pratiquants les ont investis pour lancer des réflexions approfondies sur le rôle et l‟impact des extra terrestres sur les fondements mêmes de leur religion. Parallèlement, les rapprochements avec les « autres » religions se multiplient et de nombreuses réunions œcuméniques ont lieu à haut niveau. Les groupes fanatiques ont perdu quatre-vingts pour cent de leur audience au cours des récentes élections locales, là où il y en avait. Les théologiens de toutes croyances se forment discrètement aux sciences avancées, espérant continuer à jouer un rôle dans le futur, le pouvoir leur échappant de jour en jour. Je dois reconnaître que les groupes pacifistes m‟ont approché pour définir ensemble un mode de pensée et de réflexion de dimension planétaire sur les origines de la vie et le sens de notre présence sur Terre. On me presse de partout, y compris de la part des instances gouvernementales des grands états, et j‟ai décidé d‟organiser et de contrôler cette évolution majeure qui va dans le sens de notre objectif global. Il est évident que les responsables religieux se sentent bien petits dans leur cour étroite et qu‟ils craignent une 132


comparaison qui leur serait peu favorable avec des extra terrestres qui ne parlent que des galaxies entières vivant dans la paix, alors que l‟histoire de nos religions est bien ternie par des génocides dans tous les camps. La mutation et l‟évolution de fond dans les esprits sont en cours. Si ces progrès persistaient, nous serions en mesure de dévoiler la vérité dans cinq ans. Les instituts de recherche en télépathie fleurissent partout pour tenter d‟expliquer le procédé utilisé par les extraterrestres, et des pseudojournalistes scientifiques m‟abordent maintenant avec des appareils surmontés de mini paraboles rotatives pour détecter mes ondes mentales probablement, et ils ressemblent étrangement à Victoria Abril dans Kika ! Mais puisque nous parlons d‟extra terrestre, où en êtesvous Labo, Ovni et Pyco dans vos recherches pour localiser des bulles galactiques ? Labo enchaîna : — Grâce à notre programme de balayage fin autour de TOPLAB, nous avons pu localiser de nombreuses bulles de personnes décédées, et elles semblent très nombreuses au sein même des roches qui nous entourent compte tenu de leur origine sédimentaire des rivages océaniques du passé, lieux privilégiés par toutes sortes d‟espèces vivantes. Ces bulles nous ont beaucoup appris sur nos très lointains ancêtres animaux. Nous avons également localisé une centaine de bulles particulières dans lesquelles nous n‟avons pas pu « pénétrer » et que nous soupçonnons d‟appartenir à des extra-terrestres. Les bulles des êtres terrestres décédés n‟ont pas d‟activité décelable en liaison avec la M.C.Terre, sauf bien sûr lorsque nous les sollicitons. 133


Par contre, les bulles particulières/spéciales échangent régulièrement des informations entre elles et aussi avec la M.C.T. ce qui prouve qu‟elles ne sont pas inertes. Nous n‟avons pas réussi à décoder ces échanges malheureusement et nous sommes donc bloqués de ce côté-là. Il nous sera donc difficile de présenter une explication à base d‟extra terrestres à l‟ONU si ça continue. À signaler que l‟activité dans ces bulles devient beaucoup plus importante dans les instants qui suivent une tentative de contact de notre part. Ceci traduit sûrement une interrogation concertation à notre sujet entre ces bulles XT.

et

une

Je n‟ai pas pu observer depuis ma bulle à une tentative de contact avec nous de leur part, mais ce sera probablement la seule chance que nous aurons de communiquer avec elles… Labo s‟arrêta, mis ses deux paumes sur son front pendant quelques longues secondes, ses sourcils se froncèrent et ses yeux semblaient très concentrés sur Dieu sait quoi. Il se leva et s‟installa devant l‟un de nos écrans de lunette à neutrinos qui venait de s‟éclairer. Il nous annonça avec beaucoup d‟émotion dans la voix qu‟il avait cru percevoir un brouhaha dans sa tête et que c‟était important, car aucun d‟entre nous n‟était en voyage à ce moment-là, ça provenait bien de quelqu‟un d‟autre. Il modifia le balayage de la lunette pour localiser la source parmi les bulles inconnues et une intense intercommunication fut repérée entre elles. Par moments, un signal était émis vers nos propres bulles. Petit à petit, ces signaux d‟interrogation se multiplièrent et ils ressemblaient maintenant à des flashes de scrutation intensive et soutenue. Labo pointa sur sa bulle personnelle qui parut inactive au début, puis commença à émettre vers les bulles XT, de 134


manière erratique au commencement, puis de façon régulière et constante. Labo porta à nouveau ses mains à son front, puis se tranquillisa peu à peu en constatant que les échanges devenaient permanents et explicables, car il n‟y avait plus de doute sur leur nature et leur origine. Il activa le programme de décodage classique sur les signaux provenant de la bulle XT interrogatrice. L‟écran s‟éclaira pour faire apparaître la vue de l‟écran de l‟au-delà de Labo et le centre de l‟écran contenait la représentation d‟une sorte de fleur curieuse jamais vue auparavant. Elle était de forme globale sphérique et composée de six corolles coniques aux rebords plissés, un peu comme les robes des années 60, amples et ondulantes. Ces corolles s‟ouvraient et se refermaient lentement jusqu‟à ce que la fleur ressemble à des ailes de moulin à vent en trois dimensions. Au centre, on devinait une masse sphérique qui devait être le centre nerveux du système. Chaque corolle avait une teinte spécifique, comme si elles avaient chacune une spécialité. D‟une manière générale, elles étaient toutes translucides, presque transparentes et l‟on devinait un fourmillement de minuscules signaux lumineux qui les parcouraient et qui donnaient une teinte différente à chaque corolle, vue de loin.

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Le spectacle visuel dura une trentaine de minutes dans un silence attentif de la part de nos sept amis. Le code ADN inconnu était remplacé par une vignette fixe, de la même forme que l‟image centrale à son amplitude maximale. La localisation GPS était conforme à nos attentes, une localisation strictement terrestre et située à environ deux mille mètres, à la surface d‟un glacier voisin. Le fait que cette bulle XT se trouvait en surface était intéressant, car cela signifiait que sa chute était relativement récente, comparée aux millions d‟années d‟ancienneté des autres bulles localisées à l‟intérieur des sédiments environnants, comprimés dans les rochers. Labo émit l‟idée de partir en voyage pour éventuellement en savoir plus, mais le groupe décida de ne rien faire qui pourrait « effrayer » la bulle XT. Labo déclara qu‟il était très fatigué et qu‟il allait se reposer sans dîner pour être plus frais demain. Le dîner eut lieu dans le salon, chacun jetant de temps en temps un regard vers l‟écran central de Labo, mais rien de nouveau, sinon une image mobile sans son ni texte. Il était évident que XT était en train de visualiser l‟histoire de Labo pour apprendre son langage, ce qui prendrait un certain temps avant qu‟une véritable communication écrite, voire orale, devienne possible. Un tour de garde fut mis en place pendant la nuit, mais rien de nouveau ne se passa, sauf qu‟Aloa constata que Nina avait un sommeil fort agité.

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Le contact Petit déjeuner le lendemain matin, et chacun reprend ses occupations habituelles, avec rotation au poste de contrôle toutes les heures. Déjeuner sommaire et retour au salon du groupe complet, Dalaï-Lama prolongeant son séjour avec l‟espoir d‟un contact prochain. La fleur colorée continue à se mouvoir sur l‟écran, avec des variations d‟amplitude de ses six corolles. Labo continue à scruter la zone depuis un autre écran et constate que les échanges entre onze bulles XT très voisines restent très importants et semblent identiques à ceux provenant de la bulle principale émettrice vers les onze autres. La bulle émettrice, notre contact XT1, semble retransmettre l‟ensemble de ses trouvailles vers les autres et également vers le M.C.T., qui répond par des signaux signifiant simplement « Bien reçu ». Depuis le début des échanges, les bulles XT sont devenues des points verts dans l‟angle GPS, et celle de Labo est maintenant d‟un rouge éclatant traduisant son intense activité. Dans son fauteuil gonflable, Labo semble affaibli et a tendance à s‟endormir, son cerveau biologique refusant apparemment de continuer à accumuler des données terrestres qu‟il n‟arrive pas à transmettre à sa bulle trop occupée par ailleurs.

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Nous sommes progressivement de plus en plus inquiets pour Labo, face à cette situation qui semble s‟éterniser et nous décidons de faire un voyage à trois, Ovni et Pyco encadrant Labo, pour éventuellement le « protéger », mais comment ?! Labo a pour instruction de tenter de limiter les échanges en se découplant de XT1, pendant qu‟Ovni et Pyco doivent se connecter sur XT1 pour faire diversion. L‟ensemble des opérations sera visualisé sur les écrans de TOPLAB2, sous contrôle des trois femmes et de Dalaï-Lama. Labo annonça le premier : — Bon, j‟y suis, même image, mais je ne perçois plus aucun malaise, celui-ci n‟avait donc que l‟origine biologique que nous supposions. Je me débranche en sélectionnant Ovni qui vient d‟arriver… et ça marche ! J‟ai oublié de dire que la date était juin 1956, l‟année de mon Bac, lorsque je suis arrivé dans ma bulle. Je suppose que XT1 refaisait mes exercices de géométrie analytique, pour tester notre niveau de connaissances générales et adapter son futur langage à un niveau accessible pour les malheureux terriens sous-développés que nous sommes. Tiens, Pyco vient de se connecter sur XT1 et ça a l‟air de fonctionner dans les deux sens. Pyco intervint effectivement : — Je me suis connecté sur XT1 qui apparaît et je sens que nous sommes proches du contact. Par contre, XT1 ne pourra pas me voir, s‟il est arrivé sur Terre depuis plus de 70ans. Remarquez que je dis une bêtise puisqu‟il était en train de consulter l‟année 1956 chez Labo. 138


Ah… Attendez, ça évolue… L‟horloge avance rapidement et s‟arrête sur 1995. J‟attends… Je parle tout seul pour qu‟il « m‟entende », mais pas de réponse pour l‟instant. Je répéterais ce qu‟il dira pour une meilleure compréhension, car il n‟est pas impossible que l‟orthographe soit un peu hésitante, style SMS éventuellement. Je vois des chiffres qui défilent, neuf, huit, c‟est un décompte jusqu‟à zéro, je retranscris donc : — Bonjour, je suis un Scimut, de la planète Mira, à dix années-lumière de la Terre. — Bonjour, je crois que vous nous connaissez déjà très bien, je suis Pyco, mais vous connaissez déjà Labo qui s‟est déconnecté pour se reposer. — Il a bien fait et veuillez m‟excuser auprès de lui, car je n‟avais aucune idée de la fatigue biologique qu‟il subissait et j‟ai malheureusement exagéré mon temps de connexion avec lui. J‟ai bien noté que vous m‟appeliez XT1, mais je préfère Capt Scimut. Capt, car je suis le capitaine de mon groupe de douze voyageurs de l‟espace et Scimut, car nous sommes des êtres qui ont voulu muter génétiquement par des méthodes scientifiques volontaires de notre ADN. La forme physique que vous voyez sur vos écrans correspond à la forme biologique que nous avons définie pour optimiser l‟adaptation de notre constitution physique au milieu environnant de Mira. Cette forme est figée depuis mille années terrestres environ et elle résulte d‟une vingtaine de modifications génétiques successives étalées sur cinq mille ans. Je reprendrai ces explications plus tard, mais je souhaite maintenant parler un peu de votre histoire personnelle, en tant que groupe humain très spécial apparemment. 139


Nous avons localisé rapidement vos six bulles et nous avons été étonnés de constater qu‟elles étaient les seules à pratiquer l‟intercommunication entre elles. Nous étions jusque-là persuadés que les bulles humaines de cette planète ne communiquaient pas entre elles, ce qui caractérisait un niveau global de développement et d‟intelligence faible. La découverte de votre groupe nous a ouvert une porte de communication avec votre espèce, puisque nous communiquons en ce moment sur le mode très pratique de la télépathie visuelle interactive. Nous n‟avons pas été tentés de prendre contact avec d‟autres bulles, car nous les aurions effrayés, un peu comme vous avez effrayé les vingt chefs d‟État il y a quelques mois en intervenant directement dans leurs crânes biologiques, sans qu‟ils puissent vous voir, ce qui leur a causé un choc psychologique important, mais pour la bonne cause, bien sûr. On en mesure les effets positifs aujourd‟hui. Lorsque nous avons compris vos actions en revoyant vos historiques imagés dans vos bulles, nous nous sommes félicités de n‟être pas intervenus sur d‟autres personnes, car nous aurions créé une certaine pagaille dans votre programme pour la paix. Nous allons donc vous proposer de vous laisser toutes les initiatives pour la bonne finalisation de votre programme, mais, en contrepartie, vous devenez nos contacts privilégiés et uniques pour tout autre programme que nous pourrions développer ensemble, et aussi nous assister mutuellement en toute occasion. Une explication au passage, car vous devez vous demander comment nous avons pu accéder aux années postérieures à 2005, date de notre arrivée ici. Nos bulles ne sont pas des bulles appartenant à des êtres décédés. 140


Nos enveloppes physiques sont bien vivantes, mais en état d‟hibernation prolongée depuis douze ans. Nous continuons donc à vivre au présent et nous avons pu ainsi accéder à votre histoire récente. Nos connaissances relatives au Portail remontent à environ mille ans et nous avons découvert un certain nombre de possibilités de voyages, après avoir séparé la bulle de son enveloppe physiologique. Nous avons démarré sur Mira un programme d‟exploration des planètes habitables de la galaxie et la Terre est l‟une d‟entre elles. Plusieurs groupes ont ainsi été expédiés pour des voyages lointains, grâce à un canon particulier de bonne précision qui éjecte chaque groupe de douze bulles, préalablement engluées ensemble. Je ne peux vous en dévoiler plus pour l‟instant, nous verrons cela après notre retour sur Mira. Oui, j‟ai bien dit « retour », car notre programme d‟observation se terminera dans un mois, quand nous aurons construit un canon ici, sur Terre. Pour construire ce canon, nous avons besoin de vous, car nous n‟avons pas d‟enveloppe physique ici et nous ne souhaitons d‟ailleurs pas nous implanter physiquement. Une implantation supposerait aussi une assistance de votre part, pour reconstituer nos ADN spécifiques et surveiller la croissance de nos enveloppes de rechange, ce qui prendrait une quinzaine d‟années terrestres. Nous économiserons quinze ans en vous laissant construire le canon indispensable à notre retour. Ce canon est détruit automatiquement lors de son unique utilisation, à cause de la très haute température atteinte qui fait fondre littéralement tout l‟engin. Nous précisons tout de suite que vous ne pourrez pas construire un autre canon par la suite, car les personnes que vous nous proposerez verront leur mémoire centrale effacée 141


de tout contenu pour la période correspondante à la construction. Les matériaux de base sont relativement classiques, pour des scientifiques de haut niveau comme vous et nous avons déjà localisé les sources d‟approvisionnement sur Terre. Nous vous faisons confiance pour vous procurer discrètement les pièces nécessaires. Quant aux composants de la soupe nucléaire, ils sont eux aussi accessibles sur Terre et seule la recette est caractéristique du savoir-faire de Mira. La construction prendra quinze jours, dès lors que les approvisionnements auront été effectués. Je vous rassure tout de suite, l‟ensemble ne pèse que cinq cents kilos et est monté sur roulettes. En contrepartie de votre assistance, nous nous mettrons à votre disposition, quand vous déciderez de dévoiler l‟origine des extraterrestres que la Terre entière recherche. Demandez quelques mois à l‟avance, pour que nous vous donnions les plans d‟une gamme de robots que nous utilisons couramment sur Mira. Nous intégrerons alors une douzaine de ces robots, pour dialoguer avec vos chefs d‟État et nous tenterons de définir un accord de paix mutuelle et un programme d‟actions conjointes au sein de la Galaxie. Nous ne souhaitons pas coloniser d‟autres planètes que la nôtre, car nous préférons que des êtres sérieux sur ces planètes soient suffisamment intelligents pour prendre les choses en mains elles-mêmes. Nous vous félicitons chaudement, car vous avez réalisé l‟essentiel du travail pour notre programme humanitaire sur la planète Terre. Nous pouvons donc retourner sur Mira. Nous reviendrons, de toute manière, pour vous permettre d‟aller plus loin encore à titre personnel en constituant le premier groupe d‟hommes et de femmes qui visitera Mira, si 142


nos chefs hiérarchiques le décident en suivant nos recommandations, qui sont bien sûr favorables a priori. Pendant le mois à venir, nous vous autoriserons à consulter nos historiques personnels en vous donnant accès à notre M.C., mais en vous limitant à des périodes de temps où aucun secret important ne risquera de vous être dévoilé. Vous verrez que Mira est une planète très intéressante et vous pourrez faire des vidéos en prévision des contacts futurs avec vos chefs d‟État via des robots personnalisés avec nos bulles. Demain matin, je prendrais contact direct avec Pyco et Labo pour leur indiquer la liste des composants et matériaux nécessaires, ainsi que les plans qu‟ils visualiseront depuis l‟un de vos écrans, écran qui sera accessible uniquement avec l‟image de leur fond d‟œil comme mot de passe pour maintenir le secret de ces plans. Je vais maintenant vous quitter en activant l‟accès à ma bulle depuis votre lunette. Bonne soirée et à demain. Notre groupe tout entier se leva et applaudit avec chaleur, pour signifier notre joie et notre espérance comblée concernant la faisabilité de futurs voyages lointains. N‟ayant pas eu le temps de préparer un repas complet, nous avons dîné « sur le pouce » dans le salon avec quelques sandwiches préparés à l‟avance, tout en devisant sur l‟extraordinaire séance que nous venions de vivre. Capt. Scimut avait été généralement perçu comme un être assez directif, il parlait comme un chef à ses troupes, mais nous n‟avions aucune raison de nous en offusquer, car le niveau de connaissances des Scimuts semblait considérable et nous n‟en avions eu qu‟un faible aperçu au cours de ce monologue. Un élément clé ressortait, c‟était la possibilité de séparer la bulle de l‟enveloppe biologique de son vivant, ce qui autorisait des voyages lointains à la vitesse de la lumière avec très peu d‟énergie, compte tenu du poids infime d‟une bulle. 143


L‟autre élément important semblait être la possibilité d‟intégrer la structure d‟un robot qui permettrait les déplacements physiques, lorsque nous serions arrivés sur place. Espérons que nous donnerons pleine satisfaction aux Scimuts et qu‟en retour, ils réaliseront leur promesse de nous faire accéder à leur technologie. Le groupe ne semble pas prêt à mettre les mutations de l‟ADN humain à son programme, pour le moment, mais ce serait mis en réserve pour le genre humain, si les circonstances planétaires l‟exigeaient un jour. Par contre, il nous faudra rapidement étudier l‟adaptation des robots Scimuts à l‟environnement terrestre, et la modifier si nécessaire pour parer à une catastrophe nucléaire toujours possible. Il serait effectivement très utile de pouvoir se mouvoir dans un territoire irradié sans dommage pour le robot évidemment, la bulle ne risquant rien du tout par définition, à condition que l‟enveloppe biologique d‟origine puisse être conservée au froid dans des unités de stockage de masse situées à l‟abri des radiations. Ce serait moins coûteux que les abris antiatomiques individuels qui offrent une capacité réduite en nombre d‟individus et surtout une durée de survie trop limitée. Un autre grand intérêt de ces robots serait la possibilité de travailler dans des conditions très hostiles, par exemple les grands fonds océaniques ou les autres planètes du système solaire. Bien d‟autres questions devront être posées aux Scimuts : 1— D‟où proviennent les bulles « vierges », celles qui sont toujours prêtes à s‟investir pour la vie entière avec les fœtus récemment fécondés ? 2— Peut-on « percevoir » le son dans une bulle ? 144


3— La bulle d‟un être décédé peut-elle « s‟installer » dans un nouveau fœtus (non, selon nous) ? 4— La bulle vierge peut-elle être « modifiée » pour lui donner un acquis minimum, ce qui simplifierait les apprentissages de base, jusqu‟au baccalauréat par exemple ? 5— Avez-vous la possibilité de communiquer avec Mira en ce moment ? 6— La Terre dispose-t-elle des matériaux nécessaires pour la construction de robots imputrescibles ? 7— Quelles évolutions de l‟ADN humain vous paraissent elles indispensables en priorité ? 8— Avez-vous découvert des matériaux sur Terre qui n‟existeraient pas sur Mira, et vice-versa ? 9— De quelles substances avez-vous besoin pour la vie de vos enveloppes biologiques sur Mira ? 10— Comment les bulles agglutinées se dirigent-elles pour réaliser un atterrissage de précision sur Mira ou la Terre ? 11— Quelles sont les possibilités de fonctionnement des bulles que nous n‟aurions pas encore découvertes et qui nous seraient accessibles ?

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Visite virtuelle de Mira Nous eûmes tous un sommeil agité, mais sans rêve d‟épouvante, car nous étions rassurés, suite à ce contact sympathique avec Capt. Scimut. Après un petit-déjeuner consistant, Pyco et Labo organisèrent un atelier dans le fond de la grande grotte de TOPLAB2 et l‟isolèrent avec une barrière électrique, pour ne pas être gênés pendant leur travail par nos petits animaux toujours à la recherche d‟une bêtise à faire. Cette zone leur serait strictement réservée pendant un mois et elle comprenait deux couchettes et des sanitaires. Seule la nourriture leur serait apportée régulièrement pour regarnir leurs réfrigérateurs. Ils possédaient tout l‟équipement nécessaire pour les rendre pleinement autonomes et ils passeraient leurs commandes directement depuis l‟atelier du canon. Ils pourront sortir chaque jour, une heure à tour de rôle et se feront assister pour transporter les fournitures. Au terme de leurs travaux, les différentes parties du canon seront transportées à l‟entrée du Temple sacré, puis assemblées au dernier moment sur le lieu du tir, qui serait une grotte du labyrinthe assez éloignée de la partie habitable, grotte qui pourrait être obstruée aisément pour contenir les radiations qui seraient émises après le tir, radiations qui subsisteraient en s‟affaiblissant régulièrement pendant quelques mois. Le soir même, l‟atelier était prêt, les instructions et plans avaient été transmis par Capt et nous fîmes une petite fête à l‟occasion de nos « adieux » aux deux constructeurs. Dalaï-Lama devait repartir le lendemain pour poursuivre son œuvre de guide spirituel. 146


Tera, Angéla et Aloa travailleraient à tour de rôle sur plusieurs sujets en parallèle : — L‟enregistrement vidéo de mon voyage/contact avec la bulle de Capt. Scimut — La poursuite de l‟éducation des bonobos Mon voyage commencera demain et devrait durer quelques heures, pas plus. En effet, au bout de quelques heures de découvertes virtuelles sur Mira, j‟aurais tellement de questions à poser qu‟il deviendra nécessaire de faire une vidéoconférence en direct avec Capt. Scimut.

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Mira dans tout sa splendeur Neuf heures du matin, et me voilà à bord ! Capt. Scimut a bien ouvert l‟accès à son historique et je sélectionne sa vignette, mais sans confirmer de manière à libérer l‟écran et voir le spectacle. Cependant, quoi regarder ? Comment sélectionner les périodes où j‟apprendrais beaucoup en peu de temps ? Mes hésitations sont semble-t-il détectées par Capt. Scimut depuis sa bulle, car il apparaît sur l‟écran et il me salue ainsi : — Bonjour, l‟ami Ovni. J‟ai bien noté vos hésitations et je vais programmer trois périodes d‟une heure chacune dans mon historique, que vous pourrez regarder à volonté. J‟ai bien enregistré également vos réflexions en commun avant-hier soir et je serais prêt à vous répondre cet après-midi à quatorze heures. — Merci Capt. Scimut, je visionne et je serai prêt à quatorze heures. — À vous donc Ovni. L‟écran montre une période située en 1970 sur Mira et je découvre ce que Capt. Scimut voyait au cours d‟un voyage aérien, en compagnie de son épouse apparemment, une jolie fleur aux couleurs pastel. Leur vol est propulsé par cinq de leurs corolles qui se gonflent et propulsent l‟atmosphère vers l‟arrière en se refermant.

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La sixième corolle est refermée presque complètement et dirigée dans le sens du mouvement, la vitesse est faible et sans à-coup. Le soleil est semblable au nôtre et deux lunes différentes, tant par la taille que par la teinte, se lèvent à l‟horizon. Le paysage qui défile en dessous est relativement familier et ressemble aux mangroves des estuaires des îles du Sud-est asiatique. Les coloris semblent être plus prononcés, mais c‟est peutêtre dû au système oculaire des Scimuts. Pas de vent, juste un léger souffle et pas de nuages. Pas de ville à cet endroit, en tout cas pas de modification dans le paysage qui annoncerait la proximité d‟une ville. Pas de route, ni de chemin de fer, ni de bateau, ni d‟avion ou équivalent. C‟est un paysage à l‟état naturel originel, avec quelques animaux au sol, quelques gros mammifères marins et des milliers d‟oiseaux et papillons aux formes curieuses. Le voyage se poursuit ainsi pendant une heure, avec survol de montagnes magnifiquement boisées et ravinées par des ruisseaux se regroupant en fleuves calmes. Nous survolons un immense volcan en activité qui s‟écoule directement dans l‟océan tout proche. Après avoir effectué une grande boucle, une savane fort peuplée d‟animaux de toutes sortes, quelques grands lacs intérieurs, une autre chaîne de montagnes à gravir et nous redescendons de l‟autre côté, en longeant ce qui devient progressivement un très grand fleuve qui se ralentit en s‟élargissant et qui finit sa course en se perdant dans un delta immense entièrement couvert de mangroves superbes. Les deux voyageurs solitaires se posent sur une petite plage et le premier voyage s‟arrête là. Commence alors la seconde séquence présélectionnée et nos deux personnages sont de nouveau sur la petite plage, puis ils s‟élèvent lentement de quelques mètres pour aller se 149


poser sur l‟océan, à environ mille mètres du rivage et s‟immergent lentement. L‟eau est très claire, on voit nettement jusqu‟à cent mètres et je devine que nous glissons lentement jusqu‟à une barrière de corail. La compagne de Capt utilise ses cinq corolles de la même manière que dans l‟atmosphère de Mira, en rejetant vers l‟arrière l‟eau accumulée au cours du demi-cycle précédent. Les mouvements sont souples et harmonieux, les cinq corolles se partageant les efforts en trois groupes, deux groupes de deux corolles latérales diamétralement opposées plus la corolle arrière qui fonctionne seule. L‟ensemble assure une poussée constante dans l‟eau cristalline. Les coraux sont classiques avec leurs myriades de poissons de toutes couleurs. Les zones sablonneuses sont couvertes d‟immenses forêts d‟algues et de différentes fougères arborescentes marines. Nous traversons également de très grands labyrinthes au sein des masses rocheuses, une enfilade de couloirs monumentaux et de grottes somptueuses. Nous sommes maintenant arrivés dans une salle immergée gigantesque où débouchent des dizaines de couloirs luminescents. Nous prenons l‟un d‟entre eux et la lumière se fait de plus en plus vive, pour ressortir enfin, par deux mètres de fond, sous une mangrove forestière qui nous semble infranchissable. Les Scimuts se faufilent dans ce dédale de racines immergées en réduisant leur « voilure » de corolles, se transformant ainsi en longs cônes glissant lentement entre les obstacles. L‟environnement s‟éclaircit encore et nous atteignons la surface, à proximité de la plage de départ.

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Le troisième voyage commence au centre de la grande salle immergée, salle sphérique qui doit faire plusieurs centaines de mètres de diamètre et nous nous dirigeons vers un autre couloir qui semble non naturel tant ses dimensions sont régulières, environ deux mètres de diamètre et parfaitement rectilignes. Il débouche sur une salle sphérique de taille moyenne percée de multiples ouvertures qui permettent l‟accès aux habitations des Scimuts. Capt se dirige vers l‟une d‟entre elles qui ne se distingue pas des autres, apparemment. Il n‟y a pas de porte, rien qu‟une grande pièce unique sphérique avec quelques niches, certaines contenant des algues, d‟autres un fond de sable de couleur variable d‟une niche à l‟autre. Le tout est faiblement éclairé par les parois qui semblent électrisées, parcourues par des millions de petits phénomènes lumineux, inexplicables pour l‟instant. La salle n‟est pas entièrement remplie d‟eau, car sa calotte hémisphérique est remplie d‟air sous pression, le plafond étant recouvert de plusieurs races de champignons luminescents. La compagne de Capt vaque à ses occupations, pénètre dans une niche au sable bleu, se retourne sur elle-même, ouvre sa corolle bleue complètement et se laisse reposer sur le fond de sable, semblant puiser des ressources adaptées pour sa corolle bleue dans ce lit bleu. Elle change ensuite de niche cinq fois, dans cinq niches aux couleurs différentes, à chaque fois en absorbant les ressources nécessaires. Lorsqu‟elle a terminé, elle revient vers Capt et on devine que ses corolles se lovent entre celles de Capt… et l‟écran s‟éteint brusquement.

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Mathusalem Le voyage enregistré d‟Ovni a été visualisé par l‟ensemble du groupe, car Pyco et Labo ont eu une « autorisation » spéciale pour y assister. A quatorze heures, nous sommes ainsi tous prêts pour cette visioconférence avec Capt. Nous avons commuté en parallèle plusieurs écrans de la salle pour mieux profiter de cette occasion, l‟ensemble des échanges étant bien entendu enregistré sur nos PC. Capt. Scimut apparaît sur l‟écran de la bulle d‟Ovni et dans la salle en même temps, puis il commence un long monologue très instructif qui restera dans les annales des relations intergalactiques entre Mira et la Terre : — Bonjour, les amis. — Bonjour, capitaine, répond le groupe. — Je vais être long, mais c‟est nécessaire, car vous avez tellement de questions, et plutôt que d‟y répondre à chacune, je vais vous faire une présentation globale qui intégrera les réponses que vous attendez. Ce sera sûrement plus clair pour vous tous. Vous nous avez vus évoluer sur Mira, ma compagne Aria et moi-même. Vous n‟avez vu aucun autre Scimut, car ces séquences ont été enregistrées au moment de la construction d‟une nouvelle ville sous-marine pouvant accueillir environ dix mille habitants. Dans le civil, je suis ingénieur, Chef de Projet pour les grands ensembles d‟habitation. 152


Ces images datent de cinq ans avant mon départ pour la Terre, et je suppose qu‟en ce moment, l‟activité doit être maximum dans cette ville appelée Mira8-08, qui servira de Siège du gouvernement pour la Région 8. La grande salle sphérique est utilisée comme agora en temps ordinaire et comme lieu d‟assemblée pour les questions politiques et d‟organisation de la ville. La construction proprement dite est réalisée par des robots guidés par nous, mais vous n‟en avez vu aucun, car c‟était un jour de maintenance des robots dans une salle spécialisée de Mira8-08. Comme vous avez remarqué, chaque habitation est identique et très spartiate. Seul l‟essentiel y est présent, car la notion de superflu n‟est pas implémentée sur Mira. L‟accumulation des biens matériels y est bannie, car considérée comme un défaut de la mutation originelle, sinon la reproduction est interdite aux couples défaillants pendant vingt années. Comme nous disposons de tout ce qu‟on peut imaginer via nos bulles, audio, vidéo, intercommunications, vidéoconférence, formation gratuite, etc. …. nos seuls hobbies sont le jardinage et la promenade et vous verrez nos parcs extérieurs qui sont magnifiques et immenses. Les robots ne sont conçus que pour le travail et refusent toute autre tache ne correspondant pas à leur spécialité. Nos enveloppes biologiques de la dernière version ont été imaginées il y a environ mille ans pour traiter l‟essentiel des fonctions, rien de plus. Les corolles remplacent le sens du toucher, du goût et de l‟ouïe, en captant les vibrations de l‟air ou de l‟eau. Le sens du goût est limité à la bonne détection des minéraux nécessaires au bon fonctionnement du cerveau central, ces minéraux étant distribués automatiquement dans les niches spécialisées du logement. 153


Le sens du toucher n‟est vraiment utile que dans les phases d‟accouplement. Ces deux sens du goût et du toucher sont localisés dans des milliers de petites surfaces réceptrices, à l‟intérieur des corolles et elles sont à peine visibles. A noter que les corolles ont la capacité de se reconstituer, en cas d‟accident mécanique quelconque, leur structure et composition biologique étant très simplifiées comparée à vos organes humains Les éléments nécessaires à la composition ou la réparation des corolles sont prélevés lorsque nous allons nous placer au fond des mangroves, pour y puiser les molécules provenant des milliers de types de microorganismes qui pullulent dans chaque estuaire de grand fleuve. De même, les composants minéraux peuvent y être récoltés, lorsque nous effectuons de grands voyages. Les robots « mineurs » sont chargés de récolter les minéraux et d‟alimenter nos niches dans nos logements, via un système hydraulique en légère surpression, non visible et débouchant dans le fond des niches. Lorsque la sphère des corolles est complètement déployée, son diamètre est d‟environ quatre-vingts centimètres, et le poids de chaque corolle est d‟environ cent grammes. Au total, notre poids est d‟environ huit cents grammes, dont deux cents pour le cerveau central qui est une sphère protégée par une double enveloppe et comprenant six yeux répartis entre les jonctions des corolles. Il n‟y a pas de sens de la parole à proprement « parler » (excusez la blague, au passage), car nous ne communiquons qu‟à partir de nos bulles, que ce soit entre nous Scimuts, ou encore avec d‟autres espèces, comme vous-mêmes, par exemple. Cette communication est possible avec tous les animaux et toutes les plantes de Mira, et c‟est le résultat de milliers d‟années d‟apprentissage dans nos universités. 154


Nos enveloppes biologiques de corolles se régénèrent normalement pendant une durée illimitée ou presque, mais, par contre, nos cerveaux ont une durée de vie limitée à deux cents ans. Nous n‟avons pas encore réussi à le rendre plus durable, mais nous y travaillons « de pied ferme » (encore une blague ?). Préparez-vous bien à l‟annonce que je vais vous faire, car je vais vous dire mon âge, j‟ai neuf cent quatre-vingt-quinze ans dans les bottes (blague ?). J‟ai changé plusieurs fois d‟enveloppe biologique par clonage, seule méthode possible pour que mon ADN reste identique et que ma bulle accepte de se raccorder à ma nouvelle enveloppe, au moment de la permutation des enveloppes. Ceci est rendu possible depuis mille ans et je suis l‟un des premiers à avoir pu expérimenter cette découverte essentielle. À propos, j‟ai neuf cent quatre-vingt-quinze ans, mais Aria est une charmante jeunesse de cent cinq ans, que j‟ai rencontrée à l‟université lorsqu‟elle avait quarante-cinq ans. Sachez que l‟amour sur Mira est un sentiment si puissant que rien ne saurait l‟arrêter, lorsque son processus est enclenché. Ce processus n‟est absolument pas conditionné par les aspects physiques des deux personnes, mais uniquement par les affinités spirituelles, ce qui simplifie bougrement les choses, si on le compare à ce que j‟ai constaté sur Terre. Les fonctions de toucher et de goût de nos corolles ne sont activées que lorsque l‟amour spirituel est constaté et accepté par les deux êtres. L‟amour s‟éteint seulement lorsqu‟il y a disparition et mort définitive de l‟un des deux. La mort existe sur Mira, bien sûr, mais elle n‟intervient éventuellement qu‟en cas d‟isolement total de la personne, suite à sa disparition sur une autre planète par exemple.

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Les disparitions sur Mira sont exceptionnelles, puisque nous localisons chaque être vivant à tout instant dans nos centraux régionaux. Mira en possède un, qui est triplé par sécurité. Seules les catastrophes naturelles peuvent entraîner des difficultés insurmontables pour récupérer les enveloppes et leurs bulles associées, mais nous assistons spirituellement les disparus en communiquant avec eux, à leur demande, leur survie étant d‟un mois environ sans les minéraux indispensables à leurs cerveaux biologiques. Les risques physiques avec tous les animaux de Mira ont été éliminés depuis environ deux cents ans, car tout mouvement d‟un scimut à l‟extérieur des villes est précédé d‟une émission, dans un rayon d‟un kilomètre, d‟un signal dit « d‟effroi » interdisant la zone à tout animal potentiellement dangereux. Les animaux dangereux s‟y sont maintenant adaptés et leurs gènes se modifient à chaque nouvelle génération pour inhiber progressivement toute velléité d‟attaque à notre intention. Ça nous rend la vie plus facile sur Mira, mais pas sur les autres planètes, tant que nous n‟y avons pas mis en place un tel système. Ici, sur Terre, nous serions vulnérables face à une attaque simultanée de plusieurs animaux ou terriens. Nos robots sont également protégés, bien que la plupart d‟entre eux soient indigestes ou vénéneux. A propos de robots, nous en utilisons plusieurs modèles. Chacun est adapté au travail spécifique à réaliser, et il est muni d‟un « cerveau ordinateur » auquel une bulle peut se connecter pour transmettre des ordres. Nous n‟avons pas trouvé utile « d‟habiter » en permanence l‟une de ces formes de robots, mais par contre, nous utilisons parfois un modèle particulier qui reproduit notre forme « naturelle », pour la ballade ou pour aller dans 156


des environnements extrêmes non compatibles avec notre forme biologique classique. Ainsi, nous pourrions vous demander de fabriquer quatre robots-modèles Scimut et nous pourrions, Aria et moi, nous présenter aux humains avec deux d‟entre vous. Au fait, Aria fait partie de notre groupe de douze et est très intéressée par nos contacts avec vous, comme toute l‟équipe d‟ailleurs. Nous avons laissé nos deux enfants de trente et dix-sept ans sur Mira, ainsi que deux clones de vingt-cinq et quinze ans, un pour chacun d‟entre nous en cas où ! Nos enfants se marieront vers cinquante ans et auront ainsi l‟autorisation d‟élever leur propre clone, dès la naissance de leur premier enfant. Les Scimuts qui restent célibataires mourront de mort naturelle, comme on dit. Je vais transmettre à Pyco et Labo les plans et instructions pour la fabrication de ces quatre robots, dès que nous aurons terminé notre entrevue, sauf si vous proposez une autre solution, comme notre intégration dans une enveloppe biologique existante, celle de vos bonobos par exemple. Il est possible que vous décidiez de « nous » montrer assez rapidement, finalement, mais c‟est vous qui déciderez, pas nous. Dans cette hypothèse, nous resterions sur Terre, Aria et moi, pendant le temps que vous jugerez utile, de manière à renforcer les liens entre nos deux peuples. Pour « rigoler » (ce que nous ne savons pas faire réellement) un peu à la manière terrestre, il est inutile que vos robots tournent autour d‟Aria, car nos robots ne se reproduisent pas entre eux !

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Capt continua : — Vous m‟avez soumis un certain nombre de questions et je vais tenter d‟y répondre. Concernant l‟envoi d‟un groupe de bulles engluées par un canon, il n‟est pas nécessaire que ce canon fournisse une puissance de poussée formidable, car le poids à expédier est très faible et qu‟il lui suffit donc d‟une vitesse relativement faible pour échapper à l‟attraction terrestre. Vos engins spatiaux doivent atteindre douze mille mètres par seconde pour s‟échapper, mais mille mètres par seconde sont largement suffisants pour nous, soit à peine plus qu‟une simple balle de fusil. Ensuite, nous avons besoin d‟un moyen pour atteindre environ 99 % de la vitesse de la lumière, pour réduire la durée du voyage, mais ce moyen est disponible gratuitement dans le « vide » pour certains assemblages de particules subatomiques un tant soit peu intelligentes pour s‟en servir astucieusement. Il consiste à utiliser l‟énergie cinétique des particules très nombreuses dans le vide et qui sont plus rapides que nous, en allant volontairement nous placer sur leur trajectoire, pour se faire pousser à la suite du choc. Les douze bulles se coordonnent pour envoyer un flux de neutrinos dans une direction bien choisie, ce qui entraîne un effet de réaction qui va déplacer faiblement le groupe sur une trajectoire idéale pour recueillir l‟impulsion supplémentaire d‟une particule plus lourde et plus rapide, sélectionnée à l‟avance dans notre environnement immédiat. En quelques heures, la vitesse maximale est ainsi atteinte et le même principe inversé est utilisé pour l‟atterrissage sur Mira. C‟est également ce même procédé qui est utilisé pour guider avec une très grande précision le groupe dans la direction de la planète ciblée, même si la direction initiale du tir n‟était que très approximative. 158


Ceci n‟est possible que grâce à l‟intelligence du groupe qui maîtrise parfaitement ce jeu de billard d‟une manière fiable et hyper économique pour nous faire parcourir sans risque des dizaines d‟années-lumière. Concernant la question des communications avec Mira, eh bien non, nous n‟avons aucun moyen de communication rapide avec Mira, et nous sommes persuadés que ça n‟existe pas dans l‟univers. C‟est la raison pour laquelle chaque groupe est rigoureusement sélectionné pour posséder le maximum de connaissances de tous ordres pour être capable survivre sur des planètes inconnues. Si nous sommes envoyés sur des planètes dont les espèces vivantes n‟ont pas atteint le niveau requis pour nous construire un canon, nous revenons en utilisant les forces naturelles présentes sur place, les courants ascendants des orages par exemple. Nous nous engluons alors temporairement avec une molécule d‟eau, qui sera vaporisée et entraînée par la formation orageuse, et en quittant cette molécule au bon moment, ce qui nous donne une vitesse initiale que nous augmenterons par la suite, comme indiqué précédemment. Quant aux autres minéraux découverts sur la Terre ou d‟autres planètes et éventuellement nouveaux pour nous, nous n‟y attachons aucun intérêt particulier dans la mesure où les besoins pour nos enveloppes et nos robots sont disponibles sur Mira. Même nos robots utilitaires se réparent et se recyclent seuls, leur âge moyen est de sept cents ans, ce qui vous donne une idée de l‟efficacité de nos méthodes de recyclage, comparée à la vôtre qui est quasi inexistante. La grande question que vous vous posez concerne les bulles.

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Toutes les bulles « vierges » d‟habitants sont identiques, indispensables et utilisées par toutes les espèces vivantes, les végétales comprises. On ne connaît pas leur origine, mais elles sont présentes par millions dans chaque décimètre cube de l‟espace, y compris à l‟intérieur des matières liquides et solides, donc au fond des océans et au sein des montagnes. Elles comprennent l‟équivalent d‟un centre de calcul pour toutes les opérations élémentaires et d‟une mémoire de très grande capacité, et elles prélèvent l‟énergie nécessaire sur les particules environnantes qui passent à proximité, même lorsqu‟elles sont « attachées » à un être vivant. Nous avons parlé de la mort physique d‟un Scimut et de l‟intégration ultérieure de sa bulle dans un clone, mais la bulle est-elle morte également, lorsque sa mémoire n‟est plus suffisante pour emmagasiner les données de plusieurs vies successives du Scimut d‟origine ? Nous ne connaissons pas la réponse par l‟instant, la limite de neuf cent quatre-vingt-quinze ans que j‟ai atteints est la plus grande durée de vie connue sur Mira. Lorsque nous intégrons un clone, nous avons appris à adapter les échanges avec le cerveau physique au niveau atteint par le clone, de manière à ce que le cerveau physique ne soit pas soumis à un stress éventuellement destructeur, puis nous le mettons à niveau progressivement, en quelques mois, par une formation intensive, mais contrôlée. À titre d‟exemple, nous pourrions aisément intégrer le corps biologique de l‟un de vos animaux de compagnie, je pense aux bonobos en particulier, pour ainsi nous promener avec vous sur Terre. Au même instant où je vous dis cela, il me vient l‟idée de vous proposer d‟utiliser les bonobos pour faire la présentation à l‟ONU, ce qui serait préférable au plan psychologique, car cela fournirait une preuve plus flagrante de notre capacité à investir un corps quelconque sur une autre planète que Mira. L‟impression sur la population mondiale serait considérable et ferait taire les rumeurs selon lesquelles nous 160


n‟existerions pas et que votre action d‟origine sur les chefs d‟État n‟était qu‟un coup monté par des humains qui n‟auraient en fait aucun contact avec des extra-terrestres ! Je vous demande donc l‟autorisation de nous connecter, moi et Aria, sur Boni et Nina, ce qui nécessitera un mois pour que nous adaptions de l‟intérieur les cerveaux de Boni et Nina très progressivement, pour leur éviter tout stress pouvant avoir un impact biologique. Le groupe Topla fut effaré par cette annonce et il demanda deux jours de réflexion, les choses allant trop vite et trop loin. On imagine les discussions qui s‟ensuivirent, discussions plénières ou par petit groupe, mais, finalement, la proposition de Capt fut acceptée et la formation de Pyco et Labo par Aria, formation concernant la technique chirurgicale, fut immédiatement commencée pour mener à bien cette opération si risquée pour les quatre êtres concernés. Les travaux sur les robots furent arrêtés, mais la fabrication du canon fut poursuivie pour le lancement vers Mira des dix autres Scimuts. Le jour du lancement étant proche, les Scimuts se coordonnèrent pour se séparer en trois groupes, Capt et Aria restants isolés l‟un de l‟autre et les dix autres restants regroupés en un point bien précis, pour permettre leur récupération aisément par Pyco et Labo. Le groupe de dix fut aggloméré dans un produit chimique spécifiquement conçu pour que ce groupe puisse s‟y agglomérer fermement, « mécaniquement » pendant la durée du lancement, pour ensuite se libérer de ce support temporaire dès que leur altitude atteindrait vingt mille mètres. La technique utilisée pour s‟accrocher et se détacher de ce support physique ne fut pas dévoilée à cette occasion, Capt attendant les instructions de Mira à ce sujet. Le lancement fut réalisé avec succès depuis une faille verticale de TOPLAB, par une nuit couverte, puis le début du voyage fut suivi par tout le groupe au complet, Capt et Aria 161


compris, grâce à une communication depuis les bulles de l‟au-delà avec les dix voyageurs, mais pendant quelques minutes seulement, car leur éloignement augmentait rapidement et le délai de réponse également.

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Démona Depuis plusieurs mois, Svetlana *, la jeune fille qui était persuadée (à tort ?) d‟avoir été attaquée par un vampire pendant sa petite enfance se posait de sérieuses questions concernant son avenir. Elle souhaitait trouver un moyen de contrôler sa « spécialité », pour vivre (presque) comme n‟importe quelle jeune fille de son âge. Comment faire pour inhiber ou activer à volonté ses compétences particulières, lorsque nécessaire et seulement en fonction des évènements et de sa conscience du moment ? Pour cela, elle se doutait bien qu‟il lui en faudrait passer par des spécialistes du génie génétique et la chirurgie du cerveau, mais son ami le Commissaire Gregor Ivanescu la dissuada de passer par les filières ordinaires de la science officielle et lui demanda d‟infiltrer les milieux souterrains du vampirisme qui pourraient lui fournir des pistes intéressantes pour le traitement de son cas personnel. Il lui confia que des légendes récentes circulaient depuis deux ans dans les Carpates, concernant la recrudescence des actions prédatrices de nombreux loups qui décimaient les troupeaux et avaient même mutilé atrocement deux bergers. Gregor soupçonnait qu‟une sorte de Gourou s‟était installée secrètement dans ces montagnes difficilement accessibles de l‟ancien bloc soviétique et qu‟il tentait de coordonner les loups-garous, pour développer et optimiser leurs actions prédatrices, car les loups-garous s‟attaquaient par « nature » entre eux, ce qui fait désordre sur un champ d‟action. Ses recherches dans les bases de données de l‟armée et de la police concernant les individus potentiellement dangereux disparus récemment avaient débouché sur le cas d‟un bulgare, fils d‟un ancien gardien de camp d‟extermination qui s‟était « illustré » par des égorgements sanguinaires dans ces terribles camps de la mort. *Personnage de Fred Vasseur http://stores.lulu.com/store.php?fAcctID=652003 163


Ce garçon était né et avait été élevé au sein de ces camps et avait assisté à certaines expériences « médicales » très particulières. Il était très intelligent, avide de pouvoir, et tout naturellement il poursuivit de hautes études de chirurgie neurologique dans les grandes universités du bloc soviétique. Gregor trouva dans son dossier qu‟il était recherché comme l‟auteur probable de nombreux vols de matériels sophistiqués, dans les domaines neurologique et chirurgical, qui lui auraient peut-être permis de s‟équiper d‟un laboratoire complet s‟il l‟avait souhaité. En fait, comme ses comptes bancaires ne faisaient pas apparaître d‟importants transferts d‟argent qui auraient pu traduire la vente de ces équipements, il les avait sûrement conservés pour son usage personnel, quelque part. Gregor proposa à Svetlana de profiter de sa connaissance innée du milieu du vampirisme pour devenir un agent de renseignements du gouvernement roumain. Cette proposition tombait à pic pour Svetlana, car elle permettait de faire d‟une pierre deux coups, travailler pour le commissaire d‟un côté, et de l‟autre, se constituer à titre personnel une source d‟informations qui lui seraient utiles pour décider de la technique à employer pour son opération. Svetlana décida de changer de nom de famille et devint Svetlana Démona très officiellement, par les soins du commissaire qui lui fournit tous les papiers officiels nécessaires. Ce nom fut choisi pour constituer un élément subjectif qui favoriserait sûrement sa prise de contact avec Gourou-Garou, de son vrai nom Adolph Luposki, qui préférait se faire appeler gentiment Lupo pour les intimes, un surnom tout indiqué en la circonstance. Gregor lui fournit toutes les informations récentes concernant Lupo et l‟équipa pour une grande randonnée dans les montagnes sauvages. 164


Svetlana serait seule pour localiser Lupo et n‟aurait aucun moyen de communication moderne avec la métropole, de manière à passer pour une sportive de l‟extrême. Le domaine à couvrir faisait cinquante kilomètres sur dix et suivait la ligne de crêtes montagneuses, à une altitude moyenne de deux mille mètres. Le problème de la nourriture serait réglé grâce aux dégâts causés par les loups dans les élevages, mais Svetlana était capable de se débrouiller seule en cas de besoin. Svetlana crapahuta pendant quatre jours dans ces milieux pentus, moussus et boisés à souhait. Elle sut se garder discrète et vit une dizaine de loups solitaires qu‟elle put éviter, en les détectant par avance et en se plaçant à contrevent. Elle eut la chance de pouvoir suivre un louveteau qui ne paraissait pas très à l‟aise et semblait hésiter entre les dangers de la vie sauvage et le retour à la tanière bien chaude. Lorsqu‟il pénétra dans une grotte d‟altitude très difficile d‟accès, à la limite des neiges et des bois, elle attendit sagement qu‟il ressorte pour tenter de visiter les lieux. Il y avait de nombreuses traces du louveteau, ainsi que quelques traces de pattes immenses d‟un loup apparemment gigantesque, car Svetlana estima son poids à plus de quatrevingt-dix kilogrammes. Mais peut-être s‟agissait-il d‟un humain qui se munissait de chaussures spéciales, laissant des empreintes de loup pour dissuader les éventuels curieux qui auraient eu l‟improbable mauvaise idée de traîner par là. Au fond de la grotte, il y avait un étroit boyau dont les parois étaient couvertes de touffes de poils de loups, laissant imaginer des troupes de loups se précipitant dans ce passage en se bousculant les uns les autres. Svetlana mit ses sens surdéveloppés de l‟odorat et de l‟ouïe au régime maximum, puis emprunta le boyau pour déboucher dans une petite caverne fermée par une porte en bois couverte de griffures effrayantes. 165


Elle tira la porte qui s‟ouvrit et elle parcourut un couloir taillé dans la roche, puis elle aperçut une lumière artificielle provenant d‟une très grande cavité cubique au fond du couloir. Svetlana se débarrassa de quelques vêtements superflus, apparaissant ainsi très peu vêtue. Un homme assez grand, revêtu d‟une blouse blanche tachée de rouge, était affairé au-dessus d‟une table d‟opération et lui tournait le dos. Svetlana prit une position innocente et émit un léger gémissement ressemblant à celui d‟un louveteau en mal d‟affection. Lupo se retourna, eut un regard étonné et vint caresser la tête de la jeune fille : — Mais d‟où viens-tu, gamine, je ne crois pas te connaître ! Svetlana sourit de toutes ses canines, ses yeux prirent une teinte rougeoyante et elle simula au mieux son rôle : — Je vous ai enfin trouvé, Maître Lupo, et je viens me mettre à votre service, comme tout vampire de bonne lignée devrait le faire, selon ce que j‟ai cru comprendre des discussions des loups du voisinage. — Mais je n‟ai pas donné de telles instructions, dit Lupo, à peine étonné par la transformation physique de Svetlana. — Je dois vous préciser que j‟ai une motivation très personnelle qui m‟amène ici. J‟ai une solide formation et je m‟intéresse aux travaux scientifiques relatifs aux mutations génétiques, car je souhaiterais réussir à optimiser mes fonctions vampiriques, pour être en mesure de les contrôler et les utiliser uniquement lorsque ce sera utile en fonction de l‟objectif qui m‟aura été fixé. Pour l‟instant, je n‟ai pas d‟autre occupation, puisque personne ne semble se soucier de mon potentiel, et je me sais trop imprévisible pour que je me fasse confiance, sans prendre le risque de me faire découvrir et pourchasser en ville. Ma présence ici pourrait même s‟avérer dangereuse pour vous, s‟il me venait une petite faim sans prévenir. 166


Mais rassurez-vous, je viens de me sustenter copieusement dans les prés d‟en bas, et vous me semblez inoffensif et apparemment amical pour les gens comme moi. Je vous montre mes papiers officiels, qui me servent en ville où je réside à justifier de mon identité de personne ordinaire sans casier douteux. J‟ai une solide formation scientifique de base et je suis parfaitement rodée aux actions discrètes, compte tenu de ma vie entièrement passée en milieu urbain, étant sans cesse obligée à me dissimuler, ne serait-ce que pour me nourrir. Si vos travaux justifient la présence de deux bras et d‟un cerveau supplémentaire, je me mets à votre disposition. N‟attendez cependant que peu ou pas de réactions positives à tout geste par trop amical, mais vous savez cela. Lupo avait manifestement des difficultés pour éloigner son regard du corps splendide qui s‟offrait à sa vue et il alla chercher un peignoir dans la petite salle de bains attenante, peignoir qu‟il posa délicatement sur les épaules de Svetlana qui l‟enfila, puis en serra la ceinture. — Permettez-moi de vous inviter, car j‟ai une faim de loup comme on dit sans trop réfléchir, et je m‟étais préparé un rôti de chevreuil aux myrtilles. Si vous le souhaitez, il y a un morceau cru de foie au congélateur que je peux vous préparer. — Non, merci, mais je resterais volontiers à vos côtés, pour discuter avec vous des détails de votre programme en cours et du rôle que je pourrais éventuellement jouer pour vous assister. — Eh bien, je vais être très direct et franc avec vous, puisque vous êtes de la famille et je ne vais rien vous cacher de mes ambitions. N‟hésitez pas à me questionner si je suis trop abrupt au cours de mon exposé. Mes origines et mon éducation m‟ont prédisposé aux carrières médicales dans le domaine militaire. 167


En fin de carrière, j‟ai réussi à installer ici le laboratoire qui me permettra de modifier le patrimoine génétique des loups, pour les transformer en soldats d‟élite sans aucun équivalent, obéissant strictement aux ordres pour réaliser des opérations spectaculaires de commandos en zones urbaines, pour réprimer ou alimenter les émeutes ou les révolutions sur cette planète en folie. Je serai en mesure de proposer les services de ces mercenaires à quiconque en aura les moyens. J‟espère atteindre l‟équivalent de dix mille loups soldats, faisant le travail de cinquante mille soldats classiques, pour les combats nocturnes qui seront bien sûr favorisés stratégiquement. Ce type de spécialiste étant apprécié sur le marché souterrain au niveau de trois cent mille euros par an hors frais, j‟atteindrai à terme un chiffre d‟affaires de trois milliards d‟euros annuellement. Cette somme me permettra de soudoyer pas mal d‟intermédiaires dans certains pays sensibles, pour prendre le pouvoir sans difficulté et me transformer alors en vampire pour vivre éternellement, mais ce n‟est pas mon objectif majeur pour le moment. — Mais comment allez-vous pouvoir louer ces mercenaires dans le contexte actuel où tous les chefs de guerre sont impitoyablement pourchassés par tous les gouvernements de la planète qui ont la frousse des extraterrestres ? — Très bonne question, mais je ne désespère pas de les localiser et de les mettre hors d‟état de nuire. Et c‟est là que vous vous pouvez intervenir, car vous pourriez devenir une espionne de grande envergure, mon alter ego inconnu et discret dans le monde réel que je ne me risquerais pas à visiter personnellement pour des raisons évidentes. Vous faites partie de la meute et j‟ai donc confiance a priori. Vous souhaitez une modification génétique et j‟ai la réponse à votre problème. 168


Cependant, il est bien clair que je resterai le seul à pouvoir contrôler votre agressivité naturelle et votre comportement global pendant toute la durée de vos fonctions, à savoir six mois, ce sera mon assurance tous risques personnelle pour garantir votre fidélité à mes instructions pendant cette période essentielle. Vous avez sûrement appris l‟excellent niveau de mon honnêteté intellectuelle au cours de ma carrière militaire, ainsi que le respect systématique de mes engagements auprès de mes collaborateurs. Je m‟engage donc à vous rendre votre liberté de contrôle au terme de ces six mois. Je vais vous donner un autre argument pour mieux vous convaincre : vous avez dit avoir une quête personnelle très honorable à laquelle je vais donner suite en vous opérant très bientôt, mais sachez que votre rôle d‟espionnage chez les extraterrestres vous permettra de découvrir bien des techniques nouvelles, qui seront sûrement supérieures aux miennes et dont je vous ferai bénéficier dans six mois. Je précise que ma technique actuelle exige l‟implantation d‟une puce dans votre cerveau, puce contrôlable à distance depuis l‟extérieur par moi-même dans le cadre de notre accord. Si l‟implantation de cette puce peut être évitée par la technique des extraterrestres, vous serez la première femme à en bénéficier. Qu‟en pensez-vous ? — Je m‟avoue pratiquement convaincue, vous avez ma confiance, mais je vous préciserai mon accord demain, après une réflexion bien compréhensible sur un sujet aussi personnel. Sans préjuger de ma réponse, quels seraient les organismes à infiltrer, à part l‟ONU qui vient immédiatement à l‟esprit ? — Je ne vois pas d‟autre solution effectivement pour débuter, car aucun gouvernement n‟a autant d‟informations sur les extraterrestres que l‟ONU à ce jour. Je vous félicite pour cette initiative où vous excellerez, j‟en suis sûr, grâce à votre formation et vos fortes motivations personnelles. 169


Je vous propose de vous faire embaucher en qualité d‟interprète, compte tenu des nombreuses langues que vous pratiquez selon vos papiers officiels. J‟ai un ex-camarade de combat qui est ambassadeur à l‟ONU et vous ouvrira les portes sans problème. Essayez de vous faire des amis/amies parmi les personnalités principales, je vais vous programmer pour inhiber votre agressivité pendant quinze jours, pour vous faciliter la tâche. Je vous laisse ma chambre pour vous reposer et à demain, je prépare tout comme si…. Le lendemain, Svetlana confirma son choix et son enthousiasme : l‟opération se passa sans problème, car elle était de nouveau sur pied le surlendemain, pour le voyage de retour vers la grande ville et l‟aéroport pour le premier vol à destination de New York. La puce n‟était pas visible de l‟extérieur, car la cicatrice était minuscule et serait indécelable sans inspection particulière. Elle ne téléphona rapidement à Gregor que pour le rassurer, mais sans rien lui dire de Lupo ni de son rôle d‟espionne et de son opération.

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L’ONU L‟organisation de la visite des Scimuts à l‟ONU fut confiée au Dalaï-Lama qui réclama Aloa, pour tous les problèmes liés à la sécurité de nos deux amis pendant leur futur très court séjour dans les locaux de l‟ONU. Il avait été décidé que les Scimuts resteraient confinés dans le bâtiment et que les invitations officielles seraient strictement limitées aux mêmes participants qu‟à la réunion internationale en plein Atlantique Nord, il y a quelques mois de cela. Bien entendu s‟y ajouteraient le Secrétaire général de l‟ONU et trois de ses conseillers spécialisés dans les affaires internationales, ainsi qu‟une douzaine de journalistes et cadreurs triés sur le volet. Aloa s‟installa à New York pour un mois environ, tout en restant en contact avec Topla pendant ses périodes de repos depuis sa chambre sécurisée. C‟était la première fois qu‟un membre de Topla devrait naviguer seul, sans compagnon capable de le tirer d‟un mauvais pas en cas de panne du commutateur de navigation, mais ce dernier s‟était avéré très fiable, car de conception très simple. Sa présence et son rôle avaient été dévoilés publiquement, car le secret aurait été impossible à maintenir sans risque : elle serait ainsi moins sollicitée par l‟extérieur, son rôle étant officiel et non sujet aux rumeurs. Le Dalaï-Lama avait présenté ce programme exceptionnel en précisant qu‟il avait été contacté personnellement par les Scimuts, et il en avait même fourni les preuves sonores enregistrées pour garantir leur authenticité. Les Scimuts déclaraient qu‟il avait été choisi comme étant la personne la plus neutre possible et la plus crédible pour les chefs d‟états concernés, car il était connu de chacun d‟entre eux.

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Lorsque le rôle d‟Aloa fut annoncé sur toutes les chaînes de la planète, Svetlana eut comme un déclic violent, il FALLAIT qu‟elle rencontre Aloa dès son arrivée dans le bâtiment qu‟elle venait elle-même d‟intégrer en qualité d‟interprète officielle pour les langues slaves en Anglais. Elle fut très bien accueillie localement, car elle venait tout juste d‟intégrer l‟équipe des interprètes et il lui avait été alloué une période de trois semaines de formation et d‟acclimatation aux différentes salles et équipements audiovisuels de cet organisme tentaculaire. Elle était relativement libre de circuler dans l‟édifice et de choisir parmi les réunions en cours, dont les thèmes étaient très variés. Elle favorisa le thème des relations diplomatiques internationales sur des sujets particulièrement délicats à traiter et se spécialisa ainsi dans le langage spécifique de la diplomatie à la langue à double sens, voire à triple sens. Elle eut par ailleurs un accès facilité à des sources d‟informations bien placées, grâce à son « parrain », l‟ambassadeur local. Elle fut ainsi sélectionnée pour servir de guide à Aloa, pour l‟aider dans son rôle d‟organisation et de supervision des mesures sécuritaires à mettre en place. Elle s‟en fit une sorte d‟amie, car son charisme était époustouflant et sa disponibilité sans faille. Aloa insista pour que Svetlana s‟installe avec elle dans la suite qui lui avait été allouée, en qualité de V.I.P. Elles prenaient tous leurs repas ensemble et finissaient les soirées dans le bureau de la suite, pour leurs travaux personnels et leurs rapports à leurs hiérarchies respectives. Ensuite, elles gagnaient chacune leur chambre individuelle après s‟être fait la bise. Aloa ne prenait pas immédiatement contact avec Topla, préférant faire sonner discrètement un réveil qui avait une 172


sonnerie faible, mais très aiguë qu‟elle percevait bien malgré son âge. Ainsi, vers trois heures du matin, elle entrait dans une phase de navigation vers l‟Himalaya et restait connectée exactement vingt minutes, son commutateur la ramenant automatiquement vers la réalité new-yorkaise au bout de ce laps de temps. Le choix d‟une sonnerie très aiguë était judicieux pour éviter de réveiller les humains ordinaires. Cependant, de son côté, Svetlana mettait tous ses sens en éveil pour déceler toute visite nocturne éventuelle de sa nouvelle copine et elle fut brutalement réveillée par cette sonnerie, qui faisait vibrer atrocement son ouïe particulièrement sensible. La deuxième nuit, Svetlana soupçonna quelque chose d‟intéressant et elle écouta pendant trente minutes à la cloison qui la séparait de sa voisine de chambre. Au début, elle entendit nettement l‟activité ordinaire d‟une personne qui se lève, vaque à des occupations naturelles, puis se recouche… Et puis plus rien pendant vingt minutes… Et enfin de nouveau une faible activité précédant l‟endormissement final. La troisième nuit se déroula avec la même séquence et Svetlana soupçonna une opération programmée de contacts avec les aliens ou bien avec ceux qui étaient en contact direct avec ces aliens, car les rapports préparés dans la soirée n‟étaient destinés qu‟au Dalaï-Lama. Est-ce que ces contacts étaient effectués dans un seul sens, un peu comme ceux qu‟avaient pratiqués les aliens avec les chefs d‟État ? A la réflexion, un contact de cette nature aurait été inutile, car Aloa n‟avait pas besoin qu‟on lui rappelle chaque nuit ce qu‟elle avait à faire. Par contre, si Aloa disposait d‟un système de communication à double sens, elle aurait alors la possibilité de faire un rapport direct en mode interactif. 173


Svetlana ne retint pas l‟hypothèse que l‟activité complète d‟Aloa fut suivie en direct, à travers son regard, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, car elle se souvenait que certains chefs d‟État s‟étaient plaints d‟une sérieuse fatigue, au bout de trente minutes de contacts de ce type. Le rapport de synthèse interactif d‟Aloa semblait donc indispensable et devait être top secret. Svetlana retint également de cette réflexion qu‟elle-même devait être parfaitement connue des aliens, qui ne manqueraient pas de vérifier son dossier chez Gregor d‟une manière ou d‟une autre, mais son dossier était en béton. Elle décida donc de rester en permanence en éveil, pour être capable de déceler toute tentative de contact depuis l‟extérieur en vue d‟espionner son activité personnelle. Elle s‟exerça à augmenter sa capacité de veille interne, sans cependant dépasser une certaine limite au-delà de laquelle elle risquerait de réveiller ses sens vampiriques qu‟il lui fallait maintenir à un niveau raisonnable pour des raisons de sécurité personnelle. A l‟aube, Svetlana s‟estima satisfaite du niveau de veille qu‟elle s‟était imposé et elle décida de passer à l‟action la nuit suivante, pour vérifier ses hypothèses. Elle ne décela rien d‟anormal dans la journée qui se termina par la séquence habituelle de rédaction des rapports individuels. Quand Svetlana fut réveillée par la sonnerie stridente, elle attendit la fin des activités nocturnes d‟Aloa, attendit encore une heure pour être certaine de l‟endormissement d‟Aloa et se dirigea vers sa porte. Elle vérifia qu‟Aloa dormait profondément et trouva rapidement le commutateur posé sur le chevet qui attira son regard comme un aimant. Celui-ci avait une petite antenne déployée de cinq centimètres, ce qui signifiait une transmission radio ou équivalente. Svetlana retourna à sa chambre sans encombre. 174


Le lendemain, elle rendit visite à son ambassadeur à l‟ONU et lui demanda d‟être introduite auprès de son service personnel de sécurité, pour obtenir en prêt un détecteur de signaux radio pouvant analyser très rapidement une large bande de fréquences. Elle prétexta qu‟elle voulait faire un test sécuritaire qui pourrait lui valoir les faveurs d‟Aloa s‟il était concluant. La nuit suivante, le testeur localisa et analysa les signaux émis par le commutateur à l‟heure habituelle, ceci pendant vingt minutes. A sa grande stupéfaction, le signal était unidirectionnel, toujours dans le sens émission depuis le commutateur et il était très bref, quelques millisecondes seulement. Quelque chose comme une simple impulsion au tout début, rien d‟autre pendant vingt minutes, puis de nouveau une simple impulsion à la fin du cycle. Ces séquences très brèves étaient codées certes, mais il semblait inutile de les décoder, car elles étaient tellement brèves qu‟elles ne correspondaient vraisemblablement qu‟à un ordre très simple et non à une transmission de données complexes. Finalement, ça ressemblait étrangement à un minuteur pour cuire les œufs durs, ce truc ! Svetlana en déduisit que ce commutateur devait enclencher, à une distance relativement courte, un processus plus complexe qui entraînait Aloa dans un état second pendant vingt minutes, puisqu‟aucun bruit n‟était décelable pendant vingt minutes dans la chambre. Ce même commutateur devait également avoir pour rôle de sortir Aloa de son état second en envoyant l‟impulsion de fin de cycle. S‟introduire pendant cette période serait très dangereux, mais c‟était la seule solution pour mieux comprendre ce qui se passait réellement.

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La nuit suivante, Svetlana s‟introduisit donc cinq minutes après le premier signal et découvrit Aloa reposant calmement dans son lit, adossée à trois oreillers comme si elle lisait, mais toutes les lumières étaient éteintes et sa respiration était lente et régulière, elle dormait… Svetlana se glissa dans la penderie et siffla un son aigu, proche de celui de la sonnerie du réveil, puis elle augmenta progressivement la puissance sonore de son sifflement jusqu‟à être sûre qu‟Aloa ne se réveillerait pas du tout, quel que soit le bruit ambiant. Elle s‟approcha d‟Aloa qui était nue sous un simple drap, puis elle analysa tout le corps, prenant même le risque de le retourner partiellement par deux fois, sans rien trouver d‟intéressant. Il lui restait environ dix minutes et elle fit enfin ce qu‟elle aurait dû faire en premier, c‟est-à-dire examiner en détail la chevelure d‟Aloa, puisque logiquement c‟était au niveau du crâne que ça devait se passer, elle était elle-même bien placée pour le savoir. Elle découvrit donc rapidement l‟implant minuscule dans le cuir chevelu, en fit une photo avec zoom maximum et réintégra sa chambre pour vérifier l‟émission du signal de fin de cycle, ce qui la rassura, Aloa se levant quelques instants pour se recoucher normalement et se rendormir. Le lendemain, rien dans l‟attitude d‟Aloa ne laissa percevoir quoi que ce soit d‟inhabituel dans sa relation amicale avec la jeune fille. Svetlana en qualité d‟agent secret à triple casquette devait décider de la suite à donner, et d‟abord, qui informer, et de quoi ! Elle s‟installa sur une borne Internet publique à l‟extérieur et envoya un rapport codé à Gregor, destiné à le rassurer et sans aucun détail. Elle fit de même pour Lupo, mais avec quelques informations cependant pour démontrer sa loyauté et son avancement dans ses recherches. 176


Elle envoya aussi la photo de l‟implant d‟Aloa, ce qui ne lui permettrait pas d‟en déduire grand-chose de plus d‟ailleurs, mais c‟était une preuve quand même, et il la laisserait tranquille pendant les jours à venir qui allaient être des jours critiques pour Svetlana. Pour servir sa propre cause, Svetlana devait agir vite et fort. Elle décida d‟employer le chantage sur Aloa et ses contacts. Elle rédigea un argumentaire complet qui devrait lui permettre d‟expliquer son geste et lui donner une chance d‟intégrer ce groupe, dont elle menacerait de dévoiler en public l‟existence, mettant ainsi en doute l‟intervention d‟éventuels extraterrestres, ce qui leur mettrait toutes les armées du monde aux trousses. Elle allait commencer par Aloa, car elle était persuadée que ses propres capacités de transformation et sa force physique seraient à même de parer à toute résistance de la part d‟Aloa. Aloa semblait seule à l‟ONU, sinon elle ne pratiquerait pas personnellement ses séances nocturnes qui étaient risquées, Svetlana l‟ayant démontré amplement. La seule chose à craindre était une attaque mentale massive de la part d‟Aloa, ou plutôt de ses collègues groupés, dès l‟instant où la discussion sérieuse commencerait.

Svetlana risque tout C‟est décidé, l‟entrevue aura lieu la nuit prochaine, car le programme des deux amies n‟était pas trop chargé aujourd‟hui et elles en ont profité pour passer l‟après-midi à Central Park, pour un jogging suivi d‟une pizza et d‟un verre de vin italien. Au retour, Svetlana prétexta qu‟elle ne se sentait pas très bien et accepta volontiers la proposition d‟Aloa, quand elle lui 177


indiqua qu‟elle laisserait sa porte ouverte, au cas où elle aurait besoin d‟aide. Vers minuit, Svetlana alla frapper discrètement à la porte d‟Aloa qui ouvrit rapidement, et elles allèrent s‟installer dans deux fauteuils en vis-à-vis, Aloa préparant une tisane indienne réputée infaillible dans ces cas-là. Svetlana apprécia l‟attention et retrouva ses couleurs en utilisant son mouchoir et en s‟épongeant le visage qu‟elle avait préalablement très lourdement fardé, pour le faire paraître livide. Elles commencèrent à parler de tout et de rien, Svetlana retardant toujours le moment de lancer son opération suicide. Elle se décida et attaqua de façon très directe : — Aloa, il faut que je vous informe de ma quête personnelle, car je suis une victime innocente d‟une maladie transmissible par voie sanguine qu‟il me faut combattre à tout prix, pour éviter des crises mentales qui pourraient m‟entraîner à tuer n‟importe qui, n‟importe où, n‟importe quand….. …. Et Svetlana lui raconta toutes ses expériences récentes, sauf le nom de Gregor et la séquence Lupo, en insistant au final sur sa volonté de trouver un moyen d‟autocontrôle de ses pouvoirs spécifiques. Aloa devint blême tout en espérant qu‟il ne s‟agissait que d‟une blague d‟étudiante. Svetlana décela son incrédulité et annonça : — Aloa, je sais que vous êtes en contact plus ou moins direct avec des gens capables de me soigner, voire de m‟opérer pour résoudre mon problème. — Je vous arrête tout de suite, je ne suis pas habilitée à dévoiler quoi que ce soit à n‟importe qui, sinon je n‟aurais plus qu‟à ouvrir un immense service d‟urgences pour soigner tous les malheurs du monde. Nous n‟avons ni la capacité ni la volonté de faire cela pour le moment, car notre objectif est tout à fait différent et d‟une importance capitale à nos yeux. 178


Il s‟agit de la paix dans le monde, vous l‟avez bien compris, quand nous avons réussi à opérer des intrusions mentales chez les chefs d‟État pour les contraindre (disons les choses comme elles sont) à démanteler leurs moyens militaires dans le domaine des armes nucléaires, une opération révolutionnaire qui est sur le point de se terminer sans aucune effusion de sang, reconnaissez-le. Notre groupe de chercheurs utilise un laboratoire ultrasecret dont le lieu est protégé par le fait que nous communiquons entre nous par des moyens très particuliers que vous ne pouvez imaginer. Le monde entier est maintenant dans l‟attente de pouvoir enfin voir et entendre les fameux extraterrestres qui disposent de cette technologie, mon rôle ici étant d‟assurer la protection de nos amis Scimuts. Il est exact que je suis informée de certaines choses concernant les Scimuts, mais vous comprendrez que c‟est une mort subite qui m‟attend, si je dévoile quoi que ce soit, qui n‟est pas déjà dans le domaine public ! En ce qui concerne votre soi-disant maladie, j‟ai entendu citer des cas semblables par toutes les ethnies que j‟ai côtoyées au cours de mes nombreux voyages au service de Dalaï-Lama, mais je n‟ai jamais rencontré un cas réel, donc je reste sceptique. Svetlana décida de jouer le grand jeu et se déplaça derrière le fauteuil d‟Aloa, lui posa doucement les mains sur ses deux épaules et laissa alors la colère l‟envahir. Elle perçut un grand tremblement et avant même qu‟Aloa ait pu tourner la tête, elle fit la manœuvre inverse et se retrouva assise à sa place, comme si rien ne s‟était passé, un léger sourire aux lèvres, mais les yeux veinés d‟un rouge flamboyant. Aloa ne s‟évanouit pas, car elle avait vu bien des phénomènes étranges chez les chamans des tribus primitives, mais quand même, là, ça dépassait l‟entendement. 179


Elle se reprit, réfléchit longuement en silence et parla d‟une voix qui se voulait ferme : — Svetlana, j‟ai vu ce qui vient de se passer et je vous sais donc capable de bien des choses étranges. De votre côté, qu‟avez-vous découvert qui vous permet d‟affirmer que je pourrais faire quelque chose pour vous, mais surtout qui vous envoie, car je ne croirai jamais que vous faites cette approche toute seule. Si vous n‟êtes pas sincère, les vérifications que je ferai m‟amèneront peut-être à vous anéantir en trois secondes, et donc, je vous demande d‟être complète et précise, sans aucun mensonge ou omission. Je ne garantis pas que nous donnions suite à votre demande, mais nous pourrions la considérer, si elle nous permettait d‟avancer dans nos propres études et recherches sur le cerveau humain. Alors, je suis prête, je vous écoute, mais sachez que je ne suis pas seule à vous voir et vous entendre. Pendant votre exposé, vous allez sûrement ressentir des tentatives d‟intrusion mentale, mais ne vous inquiétez pas, je vous garantis que vous aurez le temps de vous justifier. C‟est maintenant à vous, Svetlana. Svetlana fit oui d‟un mouvement de tête, mais prit tout son temps avant de poursuivre. Elle se concentra sur ses défenses mentales qui repoussèrent trois tentatives successives d‟intrusion qui furent infructueuses. Elle attendit encore deux minutes, pour vérifier que les attaques cessaient. Elle respira profondément et s‟enhardit pour répondre enfin. Elle avait décidé de tout raconter, dans tous les détails, et elle se confia complètement à Aloa, sans rien omettre et avec la plus grande sincérité, car le moment n‟était pas à la prise de risques inutiles. 180


Tout y passa, y compris ses découvertes dans cette même chambre, Lupo et ses ambitions dictatoriales sanglantes, son implant et tout le reste. Elle annonça avoir repoussé trois tentatives d‟intrusion et demanda confirmation à Aloa qui reconnut les trois échecs successifs avec une toute petite voix. Svetlana précisa que la mort l‟attendrait à chaque coin de rue si sa trahison était connue de Lupo, puis elle exigea l‟engagement de ne rien faire contre Lupo, tant qu‟elle-même ne serait pas placée en sécurité absolue. Lupo ne serait finalement pas dangereux pour la planète, tant qu‟il n‟aurait pas trouvé le moyen de contrôler les loups, ce qui lui prendrait quelque six mois, selon ses propres dires. En contrepartie des informations concernant un chef de guerre qui serait bientôt le plus dangereux sur la planète, elle demanda effrontément d‟être intégrée dans l‟équipe qui travaillait secrètement pour la paix, qu‟il y ait contact effectif avec les extraterrestres ou non. Elle n‟osa pas, à ce stade, annoncer qu‟elle disposait d‟un moyen de chantage considérable, préférant attendre la réponse d‟Aloa. Aloa demanda une pause et s‟installa confortablement dans son fauteuil, les yeux mi-clos, pendant de longues minutes. Svetlana prépara une nouvelle théière de tisanes indiennes et consomma quelques en-cas prélevés dans le mini réfrigérateur. Elle qui ne fumait qu‟exceptionnellement se surprit à allumer une cigarette disponible dans un paquet placé sur le buffet. Elle se détendit, rassurée par ses succès contre les intrusions mentales, car c‟était le seul type d‟attaque qu‟elle craignait vraiment. N‟ayant pas de famille proche, ni de petit copain, elle ne serait pas soumise à un chantage personnel. 181


Elle ne savait même pas quelles pourraient être ses réactions dans un tel cas de figure, puisque les émotions de ce type lui semblaient totalement étrangères. Elle pensait avoir bien mené cette entrevue, mais restait sur ses gardes face à un groupe inconnu qui avait réussi à manœuvrer les plus grands de ce monde. En réalité, l‟éventualité de sa mort ne lui faisait pas peur, pas plus que le fait de pouvoir tuer un être vivant, ce genre d‟émotion lui étant parfaitement étranger. Elle était naturellement gentille et souhaitait simplement le rester, étant incapable d‟imaginer qu‟on pourrait lui en vouloir ou la craindre, au point de lui vouloir du mal ou de souhaiter sa mort. Aloa finit par remuer un peu, se pencha pour se servir une tisane et croquer une pomme tout en regardant Svetlana qui attendait le verdict. Aloa reposa sa tasse et relança : — J‟ai eu une longue discussion avec toute l‟équipe et il est fort probable que nous donnerons une suite favorable à votre demande. Vous paraissez quasi invulnérable, aucun chantage n‟est possible, aucune émotion, pas de proches, sondage mental pour l‟instant inefficace, vous êtes transformable par votre propre volonté, bref, vous n‟êtes pas du genre classique, c‟est le moins qu‟on peut dire. Par contre, vous possédez des informations qui pourraient nous causer quelques soucis ou retard dans notre programme, tant que la réunion mondiale n‟a pas eu lieu et que la situation générale n‟est pas entièrement stabilisée du côté militaire. Cependant, si vous révéliez seulement ce que vous savez aujourd‟hui, vous ne seriez pas crédible, car vous n‟apporteriez aucune preuve tangible. Vous avez pu m‟impressionner tout à l‟heure en démontrant vos talents, mais ce qui a été un bon point pour vous vis-à-vis de moi dans le contexte de notre discussion 182


deviendrait un très mauvais point pour la crédibilité de votre histoire. Si elle était racontée à la police ou au F.B.I., ils vous feraient enfermer immédiatement au risque de vous pousser à commettre l‟irréparable, si vous ne pouviez plus contrôler votre effet « sauvage » qui mijote en vous dans un recoin de votre cerveau. Donc, aujourd‟hui, vous ne constituez pas une menace globale pour nous, mais vous pourriez être une gêne temporaire potentielle, mais la réunion à l‟ONU aura bien lieu et vous y verrez vous-même les extraterrestres, si vous vous tenez tranquille. Nous souhaitons vous tester pendant les huit prochains jours, pour vérifier votre bonne foi et votre silence, puis nous vous révélerons tout après la réunion officielle. Nos amis extraterrestres ont leur mot à dire en ce qui concerne votre intégration, nous vous les présenterons ici, dans cette suite, pour qu‟ils donnent leur avis définitif. Vous savez que nous avons promis aux chefs d‟État d‟associer la Terre à notre plan de propagation de la paix sur d‟autres planètes un peu trop remuantes, mais ceci ne sera mis en route que dans deux ans. Svetlana, si nous décidions de vous intégrer dans notre équipe dans huit jours, vous deviendriez la première personne à être mise dans le secret et à profiter des immenses connaissances de nos amis, pour vous débarrasser de votre handicap. Votre cas nous intéresse aussi sur le plan global, s‟il s‟avérait une augmentation anormale des cas de vampirisme sur Terre. Nous espérons que la recrudescence récente est le fait exclusif du camarade Lupo, dont le sort est scellé par avance, mais la réalisation de votre opération constituera une expérience vécue du traitement choisi, pour traiter ensuite sans souci les cas résiduels isolés de vampirisme que nous pourrions détecter sur la planète. 183


Êtes-vous d‟accord pour que nous continuions toutes deux, comme si de rien n'était ? Vous engagez-vous sur l‟honneur à ne pas divulguer ce que vous savez à ce jour de nos activités ? Pour ma part, une réponse positive me satisfera pleinement et je vous assure de mon entier et sincère support pour favoriser votre intégration prochaine. Svetlana avait écouté attentivement et sur le fond était d‟accord avec Aloa, cette partie d‟échecs se terminant par un pat, car personne ne gagnerait à bouger d‟un millimètre dans les jours à venir, il fallait attendre que l‟horizon se dégage, que les positions se stabilisent et éventuellement prendre le risque de remettre la décision définitive dans les « mains » des Scimuts. Elle répondit donc favorablement : — Aloa, je vous remercie, continuons à travailler ensemble jusqu‟à la conclusion de la réunion, je m‟engage à la discrétion la plus absolue et je prends note du rendez-vous avec vos amis. Je vais faire un geste prouvant ma bonne foi, car je vais abaisser le niveau de mes barrières mentales ce qui vous permettra de commencer à étudier mon historique personnel et trouver peut-être une solution pour mon traitement. Les jours qui précédèrent la réunion se déroulèrent normalement et l‟équipe travailla sérieusement sur la mémoire centrale de Svetlana, devenue accessible.

La représentante officielle de Topla Les opérations d‟intégration de Capt et d‟Aria dans les enveloppes physiques de Boni et de Nina se déroulèrent sans encombre, mais là encore le procédé utilisé par Capt et Aria pour prendre place ne nous fut pas révélé. 184


L‟intervention chirurgicale consistait simplement à utiliser le même composant chimique que pour le lancement des dix soldats Scimuts, de manière à permettre au chirurgien de déplacer « mécaniquement » chaque bulle de Scimut et d‟implanter ce mélange à l‟endroit exact du Portail de Boni et de Nina. Capt nous expliqua que le procédé utilisé permettait de laisser les bulles d‟origine de Boni et de Nina « en place », les bulles de Capt et d‟Aria venant se greffer en amont de leur implant, laissant donc tout en place pour une récupération future des quatre êtres. Un mois de formation et d‟adaptation des cerveaux de nos deux bonobos s‟écoula, suivi par l‟équipe au grand complet, avec nombre d‟enregistrements pour une analyse détaillée future. Les bonobos furent équipés chacun d‟un petit émetteur sonore qui relayait les paroles de Capt ou d‟Aria qui « parlaient » depuis leur bulle respective. Les mouvements de leurs lèvres suivaient très bien les paroles prononcées, et l‟effet était spectaculaire. Nous eûmes beaucoup de plaisir à suivre cette évolution et nous organisâmes quelques petites fêtes sympathiques, pendant lesquelles Capt et Aria devenaient des amis de plus en plus proches pour chacun d‟entre nous. La réunion mondiale se déroula sans heurts, les Scimuts/Bonobos furent accueillis chaleureusement par la communauté mondiale et eurent l‟occasion de redéfinir leurs objectifs galactiques de paix globale, en annonçant qu‟ils prendraient la décision dans les deux ans de contacter les gouvernements volontaires qui souhaiteraient intégrer de nouvelles équipes, mises à disposition pour atteindre plus rapidement cet objectif ambitieux. Ils décrivirent leurs réussites récentes sur deux planètes proches, en insistant sur les difficultés qu‟ils avaient 185


rencontrées avec des espèces très récalcitrantes, car elles se prenaient pour les enfants de Dieu. La réunion avec Svetlana eut lieu comme promis et Aria, la femelle scimut, fit preuve d‟une grande amitié envers la jeune fille, troublée par tous ces évènements. Les Scimuts restèrent deux jours dans l‟immeuble de l‟ONU, Aloa étant sans cesse aux aguets pour assurer leur sécurité. Pyco, le chirurgien de l‟équipe Topla, envoya toutes les recommandations pour l‟opération de Svetlana qui eut lieu dans le service hospitalier de l‟immeuble, opération réalisée par un chirurgien ami d‟Aloa qui vit sa mémoire du jour vidée au terme de l‟opération, condition qu‟il avait acceptée de bonne grâce. Aloa resta quelques jours de plus pour former Svetlana selon les critères du groupe Topla, puis elle la désigna officiellement comme la représentante de Topla et des Scimuts à l‟ONU, pour une période de deux ans. Le laboratoire de Lupo fut détruit au cours d‟une nuit sombre, nul ne retrouva pas trace du monstre qui se cachait là, mais ses travaux ne furent pas perdus pour tout le monde, comme il se doit.

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Les bonobos deviennent des stars Les mois qui suivirent la présentation des Scimuts furent une période d‟intense activité, car le groupe fut fortement sollicité via Svetlana par différents gouvernements, sur des sujets très variés parmi lesquels il fallut choisir pour ne pas se disperser. Svetlana, notre représentante permanente à l‟ONU travaillait aussi avec Aloa qui faisait tous les mois un voyage de quinze jours à New York. Lorsqu‟elle était seule, Svetlana recevait les demandes des nations, les mettait en forme et les transmettait « visuellement » à Topla, tout en organisant les prochaines réunions générales de travail avec ces nations en présence d‟Aloa, pour préciser finalement le programme qui serait retenu. Le sujet favori était prévisible, suite aux informations fournies par les Scimuts et relatives à leurs nombreuses mutations génétiques qui, en cinq millénaires, les avaient complètement transformés. Ils avaient longuement précisé qu‟à l‟origine, ils étaient à peu près de la taille de l‟un de nos ours blancs adulte, pesaient deux cent cinquante kilos et devaient consommer énormément d‟énergie, tant pour se nourrir que pour leurs logements et moyens de transport. Ils avaient alors un niveau de connaissances voisin de celui des terriens actuels. Ils ne trouvaient aucune solution acceptable pour réguler leur démographie galopante et l‟adapter au strict niveau des ressources renouvelables, qui étaient très limitées sur Mira. Une guerre d‟extermination était prévisible entre les tenants d‟un égoïsme forcené, qui ne voulaient pas remettre en cause leur mode de vie et les révolutionnaires de l‟écologie, 187


qui en avaient assez de se faire mener en bateau depuis des siècles par les puissants grands groupes industriels. Par ailleurs, les émeutes grondaient régulièrement dans les zones les plus peuplées qui déversaient des centaines de millions d‟émigrés aux frontières des pays dominants. La Chine, l‟Inde, le Pakistan et l‟ensemble des pays du Sud-est asiatique furent impressionnés par les mutations génétiques volontaires engagées par les Scimuts qui avaient décidé ce grand programme après une réunion générale, dite de « Survie de Mira », où chaque camp finit par mesurer les risques encourus par un statu quo trop prolongé. Des restrictions démographiques furent acceptées sur Mira dans les régions à forte population, en contrepartie d‟un engagement de restriction de consommation dans les pays les mieux lotis. Le premier siècle du programme fut douloureux, mais c‟était le prix à payer. Aujourd‟hui, le Scimut a un poids quatre cents fois inférieur et sa consommation individuelle énergétique est cinq cents fois inférieure. Leur population globale a été multipliée par dix, mais ils consomment cinquante fois moins qu‟il y a cinq millénaires. Le poids de leur cerveau a été réduit de trois mille grammes à cent cinquante grammes, simplement en modifiant les gènes qui imposaient des réactions chimiques par trop complexes pour atteindre les performances atteignables à l‟époque par le cerveau moyen. Les systèmes respiratoires, musculaires, circulatoires, digestifs, sensitifs, etc. ayant été complètement bouleversés, certains supprimés, ce qui avait permis la réduction drastique du poids total du nouvel individu Scimut. Capt et Aria firent noter que cette réduction de poids était également nécessaire pour leur permettre de visiter les centaines de satellites et de planètes du système solaire de Mira, visites qui auraient été quasi impossibles sans cela. Ils ajoutèrent que, bien évidemment, derrière ce programme, il y avait un autre objectif plus global de survie de 188


leur espèce, car leur planète exploserait si un astéroïde puissant qu‟ils surveillaient de près venait à les percuter, ce qui n‟était pas improbable, tout comme ce qui était arrivé à l‟Atlantide dans le système solaire selon leurs renseignements. Leur poids réduit permettrait un exil en nombre vers une autre planète du système de Mira, exil qui avait déjà commencé, pour être poursuivi pendant un siècle. Aloa avait profité de la décision du couple d‟amis Scimuts de rester sur Terre pour se former et ainsi devenir une spécialiste des mutations chez les Scimuts. Elle avait aussi étudié avec Pyco, Capt et Aria l‟adaptation éventuelle à l‟ADN humain et une procédure de test en grandeur réelle avait été définie, test qui ne serait réalisé qu‟avec l‟accord de l‟ONU et des pays demandeurs. C‟était une question de principe éthique que le groupe tenait à respecter, bien qu‟il lui soit possible de réaliser un tel test dans leur labo secret, sans que personne soit au courant. Aloa et Svetlana exposèrent ce protocole de test aux pays intéressés qui donnèrent leur accord de principe, à condition que cette expérience soit réalisée, non pas avec des humains, mais avec des bonobos, pour ne pas heurter les croyances religieuses encore solides dans ces régions. Le choix des bonobos avait été facilité suite à la démonstration faite précédemment à l‟ONU, au cours de laquelle les bulles des Scimuts avaient investi les corps de Boni et de Nina pour la présentation officielle, puis leur avaient ensuite rendu leur personnalité d‟origine, sans aucune séquelle apparente, conformément aux très nombreux tests qui avaient été effectués pour s‟en convaincre. Nina avait été choisie à l‟insu de son plein gré comme mère porteuse du bébé bonobo modifié génétiquement, elle serait très bien entourée et bichonnée par tout le groupe et cela pouvait réussir, malgré un objectif ambitieux, puisqu‟il s‟agissait de sauter toutes les étapes intermédiaires et arriver directement au résultat final d‟un bonobo adulte de quatre cents grammes. 189


Les spécialistes chinois, qui avaient déjà effectué des mutations génétiques sur des chimpanzés, avaient avoué qu‟ils avaient échoué, car les fœtus se développaient, mais ne s‟implantaient pas sur les utérus récepteurs. Aloa expliqua que ce genre d‟expérience ne pouvait pas réussir si la mère porteuse n‟était pas « motivée » pour « accepter » un ADN trop différent du sien propre. Elle annonça qu‟Aria était volontaire pour reprendre place dans le cerveau de Nina et que cela devrait permettre de faciliter l‟acceptation du fœtus en devenir par la paroi utérine de la petite femelle. Une réunion générale de l‟ONU eut lieu pour décider si l‟expérience devait faire l‟objet d‟une autorisation en séance plénière par l‟ensemble des pays membres, mais un consensus fut vite trouvé pour que l‟expérience soit autorisée, avec une obligation de rapport trimestriel à faire à une commission qui comprendrait les pays demandeurs et le Secrétaire général. Le maintien du secret du lieu de l‟expérience fut accepté par tous les pays, conscients du fait que la réussite de l‟opération de paix des Topla n‟avait été rendue possible que grâce au secret total qu‟ils avaient su protéger, concernant la localisation de leur laboratoire. Dalaï-Lama, consulté, donna son feu vert de principe, estimant que cette réalisation permettrait d‟élargir l‟assiette du programme de paix initial qui était déjà bien engagé, mais qui ne traitait pas des conflits futurs inévitables liés à la raréfaction des ressources terrestres. Cet homme d‟une immense sagesse avait bien compris que le genre humain était au bord du précipice, ayant détruit son environnement en moins de deux siècles, soit en seulement un millième de l‟histoire des hommes sur Terre. Ce test allait dans le bon sens finalement, même s‟il heurtait quelque peu ses croyances personnelles concernant la réincarnation des âmes des anciens. Il fut invité à donner son avis à titre consultatif sur chacun des rapports d‟avancement trimestriels, ce qu‟il accepta sans difficulté, donnant ainsi une indication de plus qu‟il ne faisait 190


pas partie de Topla, car les rumeurs dans ce sens allaient bon train.

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Le Test Nina Angéla accepta le rôle de nounou pendant toute la durée du test, soit environ dix années. Aria et Angéla étaient devenues très proches depuis leurs premiers contacts et la manifestation de cette amitié avait largement été favorisée pendant le mois où Aria avait investi le corps de Nina, en préparation de la présentation des Scimuts à l‟ONU. Elles étaient toutes deux enthousiastes à l‟idée de reprendre des contacts plus étroits, nettement plus intimes et significatifs, y compris pour Aria qui pourtant n‟avait pas eu ce genre d‟expérience sur Mira où les manifestations intimes étaient réduites au strict minimum requis pour la reproduction de l‟espèce. Capt était ravi également, car son programme personnel était très chargé avec Pyco et Labo. Au début, il avait souhaité maintenir une certaine distance avec les terriens, mais il reconnaissait maintenant qu‟il y avait sûrement beaucoup à gagner en rapprochant les deux espèces et ce test était une fameuse opportunité sur le plan psychologique. Peut-être demanderait-il, de retour sur Mira, qu‟une nouvelle mutation laisse percer un peu plus d‟émotions et de sentiments dans le comportement sociétal des futurs Scimuts, quitte à durcir les règles concernant les déviations qui ne manqueraient pas de se faire jour. Le prélèvement de l‟ovule sur Nina et des spermatozoïdes sur Boni fut effectué dans les règles, un mois auparavant, et la modification de l‟ADN de l‟ovule fécondé artificiellement fut réalisée quelques jours avant la tentative d‟implantation. Aria avait réintégré l‟enveloppe biologique de Nina, huit jours avant l‟implantation utérine, et Aria s‟était efforcée de se concentrer sur sa future maternité, elle-même se trouvant dans une période de reproduction biologique possible sur Mira, ce qui était un élément favorable pour l‟expérience. 192


Angéla avait commencé son rôle de nounou avec une grande émotion intérieure, presque équivalente à sa première expérience de future grand-mère avec sa fille aînée dix ans auparavant. Les deux femmes s‟étaient installées dans la chambre d‟Angéla dont le pauvre Boni était banni. Il ne comprenait rien à ce qui se passait et regrettait de ne plus pouvoir jouer aussi longtemps avec Nina au jeu de la messagerie des petits mots échangés par écrit entre les deux bonobos. Maintenant, c‟était Aria/Nina qui lui servait d‟institutrice pour le faire évoluer plus rapidement, mais il restait étonné de ce changement rapide où Nina était devenue si intelligente et où lui avait bien du mal à suivre. On lui expliqua que Nina se fatiguait très rapidement et devait se reposer chez Angéla très souvent. Boni tenta de reprendre ses jeux avec Casimir et Lapinou pour compenser, mais sans grand enthousiasme. Pendant huit jours, au moment de l‟implantation, il ne vit même plus Nina qui restait enfermée avec Angéla et Aloa, après avoir passé deux heures dans le laboratoire chirurgical qui normalement leur était strictement interdit d‟accès à tous deux. Mais que se passait-il donc ? L‟attente d‟un retour à la normale lui sembla interminable, mais Aloa lui faisait souvent « visiter » ses parents pour qu‟il s‟habitue à la vue de vrais bébés bonobos en relation affectueuse avec leur mère et qui jouaient joyeusement dans leur milieu naturel africain. La petite forêt intérieure de TOPLAB fut régulièrement renouvelée avec des branches fraîches pour qu‟il se retrouve mieux au sein de son environnement naturel, et aussi pour mieux le préparer pour la grande surprise qui l‟attendait. La grossesse se déroulait bien et le suivi médical de l‟embryon était strict, tant par échographie que via sa bulle. 193


L‟enregistrement de son apprentissage et de sa croissance cervicale était réalisé en permanence, pour dépouillement ultérieur. Parallèlement, un enregistrement du cerveau biologique de Nina fut réalisé pour analyser ses réactions, mais elle ne semblait pas particulièrement troublée par cette première expérience de la maternité. Ses mamelles se développaient progressivement et elle semblait heureuse, un peu ennuyée peut-être de ce surcroît d‟attention qui l‟empêchait de jouer avec Boni aussi fréquemment qu‟auparavant. D‟elle-même, elle choisissait de demander à « visiter » fréquemment ses parents et se concentrait alors sur sa mère et ses petits frères et sœurs. On ne lui permettait pas toujours de voyager ainsi, car il fallait éviter la fatigue excessive et les émotions trop fortes. L‟accouchement se déroula sans encombre et le tout petit bonobo fut l‟objet de toutes les attentions, après avoir laissé Nina et Bonomut profiter de leurs premières heures d‟intimité, heures cruciales tant pour la maman que pour le bébé. Le petit mâle eut quelques difficultés pour la tétée, car sa bouche était très petite et le téton de Nina était bien grand pour lui, mais finalement tout s‟arrangea, Nina l‟aidant à trouver le chemin du nirvana. Il pesait cent grammes à la naissance et était normalement constitué en proportion. A l‟âge adulte, il pèserait environ deux cent cinquante grammes au lieu de vingt kilos et mesurerait environ trente centimètres au lieu de cent vingt centimètres. La longue période de sa croissance pouvait maintenant commencer et durerait plusieurs années. La bulle de Nina fut réintégrée dans son enveloppe et aucune différence comportementale majeure ne fut décelée, et heureusement, car Bonomut aurait un grand besoin de sa mère pendant un an ou deux.

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Aria voyageait souvent avec la bulle de Nina pour faciliter sa prise de responsabilité parentale et lui fournir des réponses, dès que la petite femelle se posait des questions. Boni fut autorisé à rencontrer Nina au bout de huit jours et la joie ressuscita dans le petit zoo intérieur. Bonomut restait à l‟écart de tout contact en dehors de Nina, Angéla, Aloa et Aria via sa bulle. Ultérieurement, le test serait reconduit à cinq reprises pour constituer trois couples de minibonobos issus de parents différents, pour permettre le développement d‟une nouvelle espèce en minimisant les taux de consanguinité. Ainsi qu‟il avait été décidé, les rapports trimestriels auraient lieu à l‟ONU avec nombre de vidéos et de dossiers médicaux, documents ne permettant pas de localiser le laboratoire. Dès qu‟il serait prouvé que les minibonobos étaient capables de se reproduire, les pays demandeurs insisteraient pour passer à la phase humaine avec ce même protocole, en sélectionnant trois couples de jeunes adolescents de douze ans de trois couleurs de peau différentes qui seraient présentés à Aloa et Svetlana, Aloa effectuant des tests supplémentaires discrets via leurs bulles pour s‟assurer de leur « innocence » politique. Topla accepta finalement le principe, après moult discussions internes, mais à condition que les manipulations génétiques soient effectuées par le chirurgien Nico de l‟ONU, l‟ami de Pyco qui était devenu un amoureux platonique de Svetlana, la jeune fille qu‟il avait opérée deux ans auparavant pour une affection cervicale qu‟il avait mystérieusement oubliée. La condition supplémentaire était que les jeunes couples soient encadrés par Nico et Svetlana dans une grande case bâtie sur une île déserte du Pacifique, île qui serait maintenue isolée du reste du monde pendant une vingtaine d‟années. Cette île constituerait par ailleurs un lieu idéal pour permettre aux minibonobos de s‟épanouir, dans un 195


environnement végétal où ils pourraient mieux retrouver leurs habitudes ancestrales, s‟ils le souhaitaient. Boni et Nina ne quitteraient pas Topla pour éviter tout conflit potentiel avec les nouveaux habitants de l‟île.

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Et si Icare avait raison ? Nova (île d’Amsterdam) La France administrait deux petites îles dans les Territoires et îles de l‟hémisphère sud, Saint-Paul et Amsterdam, distantes de soixante kilomètres. Ces îles, d‟origine volcanique, sont les plus isolées du reste de la planète, situées à mi-chemin de l‟Australie et de l‟Afrique du Sud. Amsterdam, environ quarante-cinq kilomètres carrés, avait été régulièrement habitée jusqu‟en 2010 par des équipes de scientifiques (CNRS en particulier) qui utilisaient les équipements (antennes satellites, capteurs divers, station météorologique, etc.) et les logements du site, relativement confortables, au nord-est de l‟île.

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La France proposa qu‟Amsterdam soit choisie pour l‟installation de l‟équipe expérimentale dirigée par Nico et Svetlana. Elle accepta que l‟île passe sous contrôle de l‟ONU à deux conditions, qui furent acceptées. Premièrement, Nico et Svetlana continueraient les campagnes de mesures pour le compte du CNRS et formeraient des adjoints techniques, parmi les jeunes couples, pour assurer la continuité de ces services pendant quatre-vingt-dix-neuf ans. Deuxièmement, la pratique de la pèche à la langouste serait autorisée, pendant encore dix ans, pour les très rares bateaux agréés de l‟île de La Réunion. L‟île fut rebaptisée Nova, pour la circonstance, et l‟installation de l‟équipe complète eut lieu au cours de l‟année 2015, après quelques aménagements mineurs des locaux d‟habitation. Nico et Svetlana avaient préalablement suivi six mois de formation spécifique, pour assurer les services techniques et scientifiques requis. Les nombreuses sources chaudes maritimes à faible profondeur furent captées, pour assurer le chauffage, puis dix petites éoliennes vinrent compléter le système, pour rendre l‟ensemble complètement autonome au plan énergétique. Il avait été défini que l‟île serait totalement interdite d‟accès, exception faite de l‟équipe TOPLA et des deux Scimuts, soient huit personnes au total. Capt et Aria y furent transportés le jour de l‟inauguration, installés dans deux très beaux objets en cristal qui trônaient sur la cheminée centrale de la grande salle commune. Ils avaient formulé une demande officielle d‟autorisation à leur hiérarchie sur Mira et attendaient une réponse qui ne leur parviendrait que dans une vingtaine d‟années. Leur souhait était de rester sur Terre pour assister et aider au bon déroulement de cette opération majeure pour la planète. 198


Ovni et Angéla décidèrent également immédiatement et définitivement sur Nova

de

s‟installer

Pico et Labo eurent pour tâche de démonter et de transférer les équipements secrets de TOPLAB et de restituer la grotte sacrée aux moines qui y trouvèrent une maison de retraite confortable. Aloa resterait à l‟ONU pour assurer la liaison avec les états concernés par l‟expérience Nova. Tera continuerait ses travaux en participant au grand projet de station sous-marine à dix mille mètres de profondeur, dans une fosse abyssale du Pacifique mélanésien : elle pourrait ainsi améliorer la lunette à neutrinos de Nova. Compte tenu du grand âge de tous les membres de TOPLA, ils avaient tous manifesté la volonté de voir leurs bulles conservées aux côtés de Capt et d‟Aria, dans des objets de cristal. Nico et Svetlana acceptèrent, mais insistèrent pour que chaque membre soit conservé en survie artificielle le jour choisi, de manière à ce qu‟il puisse continuer à participer, en temps réel, à tout ce qui se passerait sur Nova, au lieu d‟être une simple porte ouverte sur leur passé personnel. L‟ONU recueillit l‟acceptation des six membres de cette condition, puis autorisa la procédure qui ferait de ces six scientifiques les premiers humains « immortels » de la planète.

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Minihums, première génération Nova, 2031 La petite classe est très agréable et ses larges baies dominent l‟Océan Indien d‟une vingtaine de mètres, permettant une vue vers le nord-est sur presque cent quatre-vingts degrés. La rentrée scolaire a lieu aujourd‟hui, lundi 3 septembre et le jeune Martin entre dans la classe, puis prend place à la même petite table à deux places où l‟attend déjà sa copine, Naomi, superbe dans son boubou multicolore qui rappelait ses origines africaines. Martin embrasse Naomi sur les deux joues et remet en place une mèche blonde rebelle, puis lui chuchote à l‟oreille : — Naomi, les vacances sont terminées, nous ne les avons malheureusement pas passées ensemble, mais je souhaite compenser en te les racontant, chez moi, en famille. Ça nous fournira une bonne occasion pour te présenter « officiellement » à mes parents, François et Sarah, qui commencent à poser trop de questions. A cette occasion, si tu le souhaites, tu pourrais apporter quelques jouets d‟enfance, puisque tu m‟as dit que tu envisages d‟en faire cadeau à une petite fille, je suis certain que ma petite sœur Martina serait ravie de les avoir à l‟occasion de l‟anniversaire de ses dix ans, samedi prochain. — Merci beaucoup Martin, tu ne peux imaginer combien j‟espérais une telle proposition, tout en étant en même temps un peu inquiète, car ces vacances ont été longues et comme on dit « Loin des yeux, loin du cœur ». — Ce n‟est pas mon genre et de plus, rien à craindre de notre amie commune, Lia, qui ne cessait de me parler de ton frère, Niamo, qui n‟avait pu participer à notre stage de plongée sousmarine. — Oublions tout ça, c‟était juste une résurgence des travers féminins, qui a décidément la peau dure. Mais au fait, quel est le programme de cette année scolaire ? 200


Va-t-on continuer avec les programmes accélérés d‟enseignement général qui nous ont fait passer les concours, à seulement quatorze ans, l‟année dernière ? Va-t-on étudier enfin une ou plusieurs spécialités ? — Ma chérie, souffla Martin, apprend que mon père, François, m‟a annoncé que nous aurons un mois de révisions à mi-temps, en septembre, l‟autre mi-temps constituée d‟une vingtaine de voyages virtuels qui nous permettront de mieux connaître, voire apprécier, une vingtaine de métiers différents, commentés par de vrais spécialistes. Il n‟a pas souhaité me confirmer qu‟il pourrait bien s‟agir de nos huit pères et mères spirituels, quand je lui ai posé la question, mais il a eu un léger sourire, ce qui est de bon augure. — Sympa, répondit Naomi, on sera ainsi en mesure de choisir en connaissance de cause, et j‟espère, bien évidemment, que nous ferons le même choix ! — D‟accord, on sélectionnera cinq métiers différents ensemble et on affinera nos motivations pour définir le choix final, pour nous deux. Mais que se passe-t-il donc, car le professeur principal Taiko n‟est toujours pas arrivé ! Ah ! enfin, le voilà ! Taiko, un immense Chinois d‟un mètre quatre-vingt-dix, entre dans la classe qui fait immédiatement silence, après que les élèves se sont discrètement levés. Il salue la classe en se courbant et les élèves font poliment de même. — Vous pouvez vous asseoir, dit-il, mais avant de commencer, je vais demander à vos parents de nous rejoindre, car Nico a une communication importante à nous faire. Les élèves se regardent mutuellement avec étonnement et quelque inquiétude, car une telle introduction est tout à fait exceptionnelle. 201


Sept adultes entrent dans la classe et se placent debout, de part et d‟autre de Nico. La totalité des humains et de leurs descendants minihums est ainsi regroupée dans cette classe, pour la première fois depuis quinze années et c‟est impressionnant. Le couple le plus âgé, Nico, quarante-cinq ans et Svetlana, trente-sept ans, les deux premiers pionniers responsables sur Nova se placent au centre, encadrés par les trois couples d‟immigrants volontaires. Le professeur Taiko, trente-quatre ans et sa femme Nika, trente-trois ans, d‟origine asiatique et parents de Lia quatorze ans, Lio treize ans et Mia douze ans. Les professeurs François, trente-cinq ans et sa femme Sarah, trente-trois ans, d‟origine nord-atlantique et parents de Martin quinze ans, David quatorze ans et Martina douze ans. Les professeurs Touré, trente-quatre ans et sa femme Mina, trente-quatre ans, d‟origine africaine et parents de Naomi quinze ans, Mino quatorze ans et Ludo treize ans. Nico et Svetlana sont les parents de Paco quinze ans, Mina quatorze ans et Némo douze ans. Vingt personnes, au total, qui constituent les seuls représentants biologiques humains vivant sur cette île, si on met à part les huit pères et mères fondateurs, dans leur enveloppe cristalline de la grande salle, sans oublier les deux minibonobos Bonomut et Ninamut qui gambadent en ce moment dans la forêt de phylicas voisine. Les huit adultes s‟installent sur des chaises, faisant face aux douze élèves assis à leurs tables à deux places. Seul Nico reste debout et il commence une longue explication qui ne manquera pas de susciter des questions de la part des adolescents. — Vous avez tous appris une foule de matières dans cette classe et vous êtes maintenant préparés pour vivre en adultes dans le monde entier. 202


Vous connaissez tout ce qui concerne tant la géographie que l‟histoire des peuples de notre planète. Vous n‟avez jamais quitté Nova et les seuls êtres qui sont venus sur cette île sont nos pères et mères fondateurs, qui nous ont malheureusement tous quittés, au cours des dix dernières années, mais vous vous souvenez d‟eux pour la plupart d‟entre vous. Vous vous êtes souvent demandé pourquoi nous ne quittions pas cette île, ne serait-ce que pour visiter l‟île voisine de SaintPaul, car vous n‟êtes pas pleinement satisfaits de nos réponses rappelant les dangers de l‟Océan Indien, compte tenu de la petite taille de nos embarcations. Vous n‟avez plus aperçu de bateaux usine de pêche à la langouste depuis deux ans, ce qui vous intrigue également. Mais par-dessus tout, vous vous demandez pourquoi vous ne grandissez plus, après avoir atteint soixante centimètres. Ne vous inquiétez pas, votre petite taille ne sera pas un handicap, vous serez bientôt de très bons pères et mères de famille dans quelques années. Vos huit parents ici présents ont décidé que vous êtes maintenant assez grands pour vous mettre au courant de ce qui s‟est passé au cours des vingt dernières années. Nous avons composé un film de trois heures que nous allons projeter dans la classe, sur le grand écran : vous pourrez nous poser des questions pendant le repas en commun, dans la salle à manger, autour de la grande cheminée. Nous allons tous retourner nos sièges et regarder avec vous ce film étonnant. La séance vidéo se déroula alors dans un silence total, les enfants découvrant le secret de leur existence, ainsi que les raisons de leur isolement sur Nova. Le repas se déroula en famille et toutes les questions obtinrent une réponse, généralement sous forme de rappel à une séquence de la vidéo, car elle avait été très complète, didactique et ne laissant pas de point obscur. 203


Les objets de cristal contenant les bulles de TOPLA et des deux Scimuts furent présentés, des photos permettant de les reconnaître aisément, puis Nico indiqua que les bulles feraient une visioconférence le lendemain matin. L‟après-midi fut consacré à des activités ludiques, champêtres et maritimes pour détendre les jeunes esprits. Le lendemain matin, les huit fondateurs se présentèrent chaleureusement sur le grand écran de la salle de classe et communiquèrent joyeusement avec les adolescents, ravis et émerveillés. Encore un après-midi ludique, mais avec des conversations directes avec les fondateurs, toujours en verve pour donner des conseils. Le surlendemain matin sera consacré à une réunion d‟information concernant l‟évolution du monde entier et aux décisions que Nova devra prendre pour assurer la continuité de son programme. Nico allume le projecteur vidéo qui fait apparaître deux barres verticales latérales, chacune composée de quatre petits rectangles vidéo, un pour chaque fondateur, dont le visage apparaît dans un cadre qui se mettra en surbrillance, à chaque fois qu‟il interviendra. — Maintenant que vous avez bien compris l‟histoire de Nova et les raisons qui ont motivé cette expérience, il est indispensable que vous soyez informés de ce qui se passe sur le reste de la planète Terre. De nombreux éléments se sont conjugués qui ont créé une situation inquiétante globalement, mais je vous rassure tout de suite, Nova restera indemne et pourra se développer comme prévu. Les pays qui ont été à l‟initiative de notre expérience sur Nova ont bien d‟autres sujets de préoccupation. Les conditions climatiques se sont dégradées sur les grands continents, la montée des eaux maritimes a entraîné l‟évacuation de centaines de millions de personnes, toutes dans une situation dramatique, car la construction de nouvelles villes à l‟intérieur des terres est très lente. 204


Le pétrole utilisé par les cimenteries et les industries sidérurgiques n‟est plus disponible qu‟au compte-gouttes. De nombreuses épidémies parcourent la planète et là encore, le manque de ressources gêne le développement, la fabrication et la distribution des nouveaux médicaments, indispensables pour arrêter les pandémies. Les gouvernements sont sans cesse remaniés, à la suite des révolutions internes sanglantes, la désorganisation est quasi générale. Les pays les plus démunis voient leurs populations affamées tenter d‟émigrer par dizaines de millions. La Terre est au bord du gouffre, avec plusieurs guerres d‟extermination possibles au cours des prochaines décennies et siècles à venir. Il serait tout à fait vain de notre part de tenter une action d‟intimidation sur les chefs d‟État, comme nous l‟avons fait dans le passé, car ils craignent tout pour leur propre vie, chaque jour. La situation est inextricable et apparemment sans solution. Pendant que Nico parle, des images récentes en provenance de toute la planète montrent partout des foules en colère qui s‟en prennent à tout ce qui représente la société de confort égoïste qui prévalait jusque-là. Images de désordres, d‟incendies, de fumées, d‟explosions, de mort, de militaires et de policiers qui rejoignent les émeutiers, signifiant le début de l‟Apocalypse et le retour probable à l‟époque des cavernes. — Nous sommes donc dans l‟obligation de préparer une nouvelle évolution de l‟espèce humaine, dit Nico, pour permettre à vos descendants de quitter Nova, dans deux siècles, pour repeupler progressivement la Terre. Il vous faudra alors commencer par les zones les moins dangereuses pour vous, car il est fort probable que les tribus qui subsisteront çà et là ne vous accueilleront pas favorablement, aux débuts. 205


L‟évolution prévue consiste à transformer les minihums en êtres pouvant voler et nager aisément, pour échapper aux prédateurs, tout en conservant l‟usage des mains actuelles qui sont très performantes. Les minihums de demain n‟auront plus besoin de jambes, car leur déplacement est assuré par le vol ou la nage. De même, les bras ne seront plus utiles, les besoins de déplacer de lourdes charges ou de grimper ayant quasiment disparu. En fait, les jambes, cuisses, bras et avant-bras seront éliminés. Les pieds seront identiques aux mains, car la performance du couple pouce et index est bien supérieure à celle du couple gros orteil et orteil voisin, ces quatre éléments seront directement rattachés au corps. Du fait de la suppression de la plus grande partie des quatre membres, le poids sera réduit d‟un tiers. Le corps lui-même verra son poids diminuer également, car la taille des organes de la circulation sanguine sera réduite, du fait de la disparition des veines et muscles qu‟il fallait auparavant alimenter en permanence. Les ailes se développeront suite à l‟introduction des gènes correspondant aux ailes des chauves-souris géantes de Madagascar. Comme vous l‟avez appris en cours de biologie génétique, les embryons humains ont des branchies jusqu‟à deux mois de grossesse. Ces branchies sont induites par l'expression des mêmes gènes homéotiques que chez les poissons, dont nous descendons tous. Elles disparaissent ensuite pour devenir les cartilages de notre cou. Le cou sera allongé pour accueillir un module de branchies fonctionnant dans toutes les eaux de la planète, sauf dans les mers trop salées, comme la Mer Morte qui n‟a pas retrouvé son degré de salinité normal, malgré son remplissage via les canaux qui la relient maintenant à la Mer Rouge, pour qu‟elle retrouve son niveau d‟antan. Globalement, la nouvelle génération pèsera environ mille grammes, à comparer avec vos deux mille grammes actuels.

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Je vois que vous n‟êtes pas particulièrement effrayés à la perspective de cette mutation, moins que vos parents apparemment. Vous êtes nés différents de vos parents, vous n‟avez donc aucun tabou ancestral relativement aux différences morphologiques entre humains. Pour vous rassurer sur la faisabilité sans risque de cette mutation, je vais donner la parole à Pyco, qui m‟a conseillé et guidé pour la réalisation d‟une expérimentation que nous vous avons cachée jusqu‟à ce jour. Pyco mit son image en surbrillance et poursuivit l‟exposé, tout en démarrant une vidéo sur l‟écran principal, vidéo qui allait réserver des surprises de premier ordre. — Comme l‟a dit Nico, je vous félicite pour votre calme, ainsi que votre compréhension des motivations qui furent à l‟origine de ce projet. Nous devons vous protéger et vous fournir des moyens de survie inédits, pour affronter le monde sauvage qui devient le nôtre. Vos descendants seront adaptés à toutes sortes d‟environnements : ils seront ainsi capables de pérenniser une forme humaine nouvelle, une forme suffisamment résistante au plan physique et un cerveau doté d‟une intelligence sans équivalent. Les besoins énergétiques de ces minihums seront soixante-dix fois inférieurs à ceux de vos parents, et ceci dans tous les domaines, alimentation, logement, transports et communications. Quel que soit l‟état de désolation de la planète Terre dans deux siècles, les minihums pourront s‟y installer partout, sans aucune difficulté, pour commencer le renouveau de son peuplement, tout en imaginant peut-être une émigration sur les planètes les plus proches. Nos amis Scimuts, qui en ont fait l‟expérience avec succès, vous assisteront, j‟en suis certain… Et Pyco fit un clin d‟œil aux deux cadres vidéo des Scimuts qui acquiescèrent en remuant leurs corolles.

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J‟en arrive à notre fameuse expérience secrète, puisque je vous devine curieux au point de bouger dans tous les sens vos pieds sous vos tables. Eh bien, voilà, je vais lâcher le grand mot, nous avons, vous avez maintenant un exemplaire vivant de la mutation prévue, et il va bientôt apparaître sur l‟écran principal, avec ses ailes, et ses branchies, et c‟est un… minibonobo ! Un tonnerre de cris, d‟applaudissements et de trépignements de pieds accueillit les premières images d‟un minibonobo s‟envolant depuis la cime d‟un grand phylica, se dirigeant vers une falaise surplombant Nova, puis plongeant dans l‟océan, poursuivi par une caméra sous-marine qui le montra jouant pendant plusieurs minutes avec de jeunes otaries qui se disputaient une sardine. — Il s‟appelle Nibomut, et c‟est le premier bébé de Bonimut et Ninamut.

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Testa (Tsingy de Bemeraha) Dans la région Centre ouest de Madagascar, il existe une zone d‟environ vingt kilomètres de long sur dix de large qui a été classée au patrimoine mondial vers 1990. La particularité de cette zone très protégée réside dans la nature et la configuration des multiples pics rocheux qui la constituent, l‟ensemble ressemblant à une immense brosse métallique posée à l‟envers, vue du ciel.

Les immenses failles qui séparent ces pics en aiguilles atteignent cent mètres de profondeur, et les sommets ne sont séparés que de quelques mètres pour la majorité d‟entre eux. Les parois et les fonds de ces failles hébergent des centaines d‟espèces végétales et animales endémiques à ces lieux. Certaines de ces failles ne communiquent pas avec les autres, sinon par des passages très étroits situés à hauteur variable par 209


rapport au fond de ces failles, qui sont ainsi isolées du reste du monde. D‟autres sont plus ou moins facilement accessibles par le fond, mais aucune n‟est accessible depuis les sommets des pics sans équipements très spécialisés. Les rayons du soleil n‟y pénètrent qu‟une demi-heure par jour, et l‟humidité résiduelle ne s‟en échappe pratiquement pas par évaporation. Des ruisselets parcourent le fond de certaines failles et communiquent entre eux par infiltration rocheuse et sableuse. L‟ensemble de ces eaux finit par rejoindre un petit fleuve à une quinzaine de kilomètres, fleuve qui se jette dans le Canal du Mozambique, à cinquante kilomètres environ. Le Canal du Mozambique est un bras de mer qui sépare l‟immense île de Madagascar de la partie Sud-est de l‟Afrique australe.

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Réveil douloureux Martin reprend très lentement connaissance, mais une immense douleur le submerge, à un tel point que son cerveau lui dicte immédiatement de rester dans un état semi-comateux. Mais qu‟est-il donc arrivé ? se demande Martin. Où suis-je donc ? Lentement, confusément, les images en mémoire se précisent. Une scène d‟adieux avec ses parents, François et Sarah qui l‟embrassent, les yeux embués par l‟émotion. D‟autres jeunes adultes minihums semblent faire partie de ce voyage, seuls et sans le secours des autres humains présents. En tout, quatre minihums, lui et Naomi, son épouse, ainsi qu‟un couple de leurs âges, Paco et Lia. Mais pourquoi ce voyage apparemment dangereux qui ressemble à un exil sans retour possible ? Qui a décidé cela ? Tout en s‟efforçant de rester le plus possible dans cet état intermédiaire entre un coma profond et le réel éveil de ses sens, Martin tente d‟affiner le sens de ces images qui affluent maintenant, véhiculées depuis sa bulle vers sa mémoire biologique qui semble les avoir effacées, à la suite d‟un traumatisme majeur. Il est presque conscient que c‟est son insistance, à ainsi fouiller dans ses souvenirs disparus, qui a permis ce transfert d‟images depuis sa bulle. Il déduit que son crâne a sûrement souffert d‟un sérieux choc, qui aura effacé partiellement sa mémoire biologique à un tel point, et qu‟il lui faut rechercher plus profondément en appelant sa bulle et sa mémoire globale au secours. Progressivement, il se dégage une concordance entre ces images qui finissent par se cristalliser sur la scène d‟une réunion générale dans la grande salle commune de Nova.

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Les quatre couples de pionniers humains sont là, assis auprès leurs douze enfants minihums maintenant adultes, dont le quatuor Naomi, Paco, Lia et Martin, amis de longue date. La grande salle est couverte d‟une toiture classique à deux pans, toiture soutenue par quatre rangées de fermes en bois de phylica constituant une superbe charpente. Le « regard » de Martin s‟élève pour mieux la regarder, et il « redécouvre » qu‟il est bien marié avec Naomi, et qu‟ils ont quatre enfants, perchés sur les poutres transversales, juste au-dessus d‟eux. Ils se tiennent gentiment par la main avant et semblent intéressés par la scène en cours, souriant à leurs parents et grandsparents assis au-dessous d‟eux. Au total, trois groupes d‟êtres d‟origine humaine, des groupes différents biologiquement, mais tellement comparables sur le plan de l‟intelligence potentielle et des connaissances acquises. Huit humains, douze minihums plus vingt-quatre muthums dans la charpente, soient quarante-quatre personnes réunies dans cette salle. Martin « reporte » son attention sur l‟écran mural où les huit Ancêtres sont présents, chacun dans sa fenêtre vidéo individuelle. L‟horloge indique 1er janvier 2058, 9 heures de matin. La partie centrale de l‟écran s‟anime, et maintenant Martin se souvient presque de ce qui va suivre, la fameuse annonce qui leur a été faite ce jour-là. Le Secrétaire général de l‟O.N.U. prend la parole : — Cela fait bien longtemps que nous n‟avons pas communiqué par vidéoconférence, mais sachez que je me suis tenu informé de tous les détails du projet Nova. Vos rapports me parviennent régulièrement et j‟ai été amené à les revoir récemment dans leur intégralité pour mieux définir la nécessaire évolution des objectifs que nous nous étions fixés. Le Monde est dans une situation catastrophique depuis maintenant presque trente ans, et la situation se dégrade de plus en plus. 212


La race humaine retourne lentement, mais sûrement vers les ténèbres, l‟ignorance généralisée et les affrontements tribaux permanents, l‟objectif unique étant d‟assurer la simple survie élémentaire des rescapés des grandes guerres d‟extermination et des grands bouleversements météorologiques. Un retour aux conditions qui prévalaient à l‟époque de la préhistoire. J‟aurais souhaité pouvoir me déplacer avec une délégation des pays soutenant le projet de mutation génétique des humains sur Nova, mais c‟est trop dangereux et les moyens de transport sont très rares, car ils sont réservés aux urgences humanitaires. Nous avons décidé qu‟il faut impérativement avancer le moment de l‟émigration de nos nouvelles formes humaines, émigration qui était initialement prévue vers 2200. Cette date semblait raisonnable, à l‟époque des débuts du projet Nova, car nous n‟étions à l‟évidence pas du tout certains de la réussite rapide des mutations génétiques, ni du nombre des mutations successives qui seraient nécessaires pour obtenir une forme pérenne et fertile, capable de s‟adapter aux conditions difficiles de survie dans des zones géographiques et des environnements très différents de ce que vous avez connu sur Nova. Je vous demande donc de préparer une première expédition d‟émigration, comprenant quatre minihums et huit muthums, qui s‟installeront plusieurs années dans une partie quasi inaccessible de Madagascar, où ils pourront aisément survivre au plan alimentaire sans avoir à rencontrer des humains locaux dans ce dessein. Le but est de prendre très progressivement contact avec les hommes et les femmes de cette région, pour leur apporter vos connaissances et compétences, ceci dans le but de constituer avec eux un noyau serein et fiable d‟humains vous acceptant complètement, au plan physique et au plan relationnel, et vous appréciant pour votre aide. Nous ferons ensuite plusieurs émigrations du même type sur la planète, avec d‟autres équipes, le but ultime étant de pouvoir diffuser ces bonnes nouvelles de cohabitation pacifique au plan mondial, et redonner ainsi espoir aux populations qui pourront espérer un avenir plus serein pour l‟espèce humaine. 213


Une collaboration pourra ainsi intervenir entre groupes pour qu‟ils puissent adhérer à un objectif commun de renouvellement généralisé de leur descendance sous une nouvelle forme biologique. Ils pourront ainsi prendre contact avec leurs Chefs d‟État respectifs pour obtenir les moyens de laboratoire pour la mise en œuvre médicale de la procédure, maintenant parfaitement au point. Nous avons contacté l‟UNESCO sur place, et des gardes assermentés, mis au courant de l‟objectif de ce voyage ont été installés. Quatre au total, qui renforceront le potentiel des deux gardes actuels qui surveillaient cette zone ultra protégée. Votre équipe sera préalablement formée à l‟utilisation des nombreuses plantes médicinales locales, dont les molécules uniques sur Terre ont tant apporté à l‟humanité au cours des deux dernières décennies.

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Explications Martin comprend alors la raison de ce voyage qui s‟est avéré mouvementé, sans aucun doute. Ses sens s‟éveillent un peu plus, et il tente de maîtriser ces douleurs qu‟il vient de localiser à l‟instant, au niveau de son crâne et de sa jambe gauche, déchirée sur toute sa longueur au niveau du mollet. Il perçoit un frôlement sur son visage, un mouvement doux et régulier, humide également, mais de bon aloi. Le mouvement se déplace sur les paupières, qu‟il ne peut ouvrir malgré ses efforts. Il devine un halo lumineux, qui progressivement augmente au travers de ses paupières mouillées. Quelqu‟un est occupé à nettoyer tout le sang coagulé qui couvrait ses deux yeux, mais qui donc ? Il tente de parler, et dans un souffle parvient à dire : — Naomi ? — Oui, mon chéri, je suis là. — Tu n‟es pas trop gravement blessé, sauf au niveau de ta jambe qui saignait beaucoup. J‟ai placé un garrot et une douzaine de points de suture. J‟ai plaqué un cataplasme de bouillie de plantes médicinales stérilisantes, et tu devrais être capable de commencer à marcher dans une semaine. À part ça, rien de cassé, ton traumatisme crânien n‟est pas trop grave, puisque te voilà de retour. Essaie de dormir, je communiquerai via ma bulle avec toi, mais seulement si nécessaire. Maintenant, dodo ! Martin ne peut que respecter cette injonction, car il est à présent rassuré, mais très fatigué, et il s‟endort en une minute, 215


confortablement installé sur un lit de brindilles, au milieu d‟une grotte qui communique avec le fond d‟une faille de cent mètres de profondeur, une faille totalement inaccessible, sauf pour les moineaux. Martin se réveille après un sommeil de vingt-quatre heures d‟affilée. Il a conscience d‟avoir dormi profondément, comme un bébé repu, dans un milieu totalement silencieux. Il perçoit cependant quelques faibles bruits ressemblant à l‟envol d‟un groupe de tourterelles. Également, en fond, le gargouillis d‟un filet d‟eau qui coule dans un lit de cailloux et de sable grossier, avec de minuscules chutes d‟eau rafraîchissantes. Pas de senteur spécifique, à part une odeur douçâtre de moisissure provenant du fond de la grotte. Martin se sent bien, excepte une douleur crânienne sourde et des tiraillements continus au niveau de sa jambe gauche. Il émerge enfin, et ouvre les yeux pour découvrir le paysage, et tout lui revient, le long voyage et l‟incident au moment de l‟atterrissage. Après la séance des adieux aux familles, les quatre minihums s‟étaient dirigés vers les embarcations, mises au point spécialement et longuement testées récemment. Pour des raisons de sécurité, deux petits navires étaient maintenus en parallèle par deux barres en plastique, bord contre bord. Chaque coque était en plastique translucide d‟environ cent cinquante centimètres de longueur et d‟une largeur de quarante centimètres, suffisante pour porter vingt-cinq kilos, ce qui correspondait à la totalité des douze marins et d‟un équipement minimum. Les deux coques étaient reliées à une troisième coque sousmarine, très plate et très fine, placée verticalement, close et étanche, et qui contenait cinquante litres d‟eau douce et un lest de quinze kilos de plomb. Cette troisième partie servait ainsi de dérive et permettait de maintenir la stabilité du navire qui ressemblait beaucoup à un catamaran. Chacune des deux coques de surface était équipée d‟une voile très particulière qui ressemblait à une capote de landau pour bébés. On pouvait la lever et l‟abaisser à volonté, à la recherche du vent. 216


On pouvait également l‟orienter entre +45 ° et + 135 ° par rapport à l‟axe du navire de manière à profiter des vents de travers. Chaque voile était d‟une seule pièce très souple et extrêmement solide, faite d‟une trame fine et serrée de toiles d‟araignées imperméabilisées. Le pont de chaque coque était recouvert entièrement d‟une capote très légèrement bombée vers le haut, de la même nature que les voiles, ultralégère et suffisamment étanche pour éviter toute infiltration importante. En voyage par vent arrière, les quatre minihums et les huit muthums se répartissaient sur les deux coques. Par vent de travers assez fort, les douze se plaçaient dans une seule coque, exactement comme sur un catamaran. Par vent de face, tout le monde se reposait, les voiles étant ramenées. En cas de manque de vent, et seulement si nécessaire, les huit muthums prenaient leur envol, reliés au navire par un attelage très léger en câbles tressés en fil d‟araignée. La nourriture était abondante et les muthums se faisaient une joie de ravitailler le navire en poissons qui étaient séchés, avant d‟être consommés. À présent, Martin se souvient parfaitement de ce long voyage de trois semaines, pendant lequel ils contournèrent la pointe sud de Madagascar et remontèrent le long de la côte ouest, jusqu‟aux environs des Tsingy de Bemeraha. Comme les muthums étaient en pleine forme, ils firent quatre voyages en vol de nuit pour débarquer les minihums, un par un au fond de cette faille étroite. Martin fut le dernier à être transféré, après que le navire ait été ancré solidement par dix mètres de fond, lesté par des blocs de coraux morts. C‟est au cours de ce dernier transport aérien que Martin fit une chute de plusieurs mètres, car il y avait du vent et il fut ballotté d‟une paroi à l‟autre de la faille, jusqu‟à ce qu‟il lâche prise et tombe lourdement sur le sol rocheux. Mais trêve de mauvais souvenirs, il est maintenant en forme et il lui faut s‟informer de la situation du groupe dont il est le responsable. — Naomi ? cria Martin. 217


— Je suis là, chéri, j‟arrive avec toute l‟équipe, et tout le monde va bien, toi y compris, apparemment ! La grotte fut envahie et une longue séance d‟embrassades eut lieu, suivie d‟une collation à base de poissons séchés, de champignons et arrosée d‟eau fraîche. Pendant que tout ce petit monde discute des péripéties des voyages maritime et aérien, Naomi soigna les blessures de Martin qui se refermaient très vite, grâce aux herbes médicinales locales. Si cela se confirme, il pourra remarcher dans deux jours. Naomi annonça à Martin qu‟elle avait communiqué un rapport à Nova, pendant qu‟il était dans le coma, et qu‟elle a confirmé ensuite que le rétablissement de Martin serait plus court que prévu. Aucun changement de programme n‟a été exigé par Nova, les parents demandant simplement de ne prendre aucun risque inutile lors des contacts avec les hommes du voisinage. La soirée se termina sur quelques histoires drôles racontées par les muthums, qui étaient de sacrés farceurs, toujours de bonne humeur. Martin annonça qu‟il se sentait prêt à reprendre la barre dès le lendemain, et tout le monde se coucha sur des lits de brindilles et de feuilles sèches.

Contact avec les autochtones. Martin se réveilla très tôt, vers quatre heures du matin. Il secoua le groupe de muthums et ils se sustentèrent rapidement. Il est nécessaire d‟effectuer le vol vers la maison des gardes de l‟UNESCO de nuit, pour éviter de se faire repérer. L‟envol et le parcours de cinq kilomètres eurent lieu sans encombre, et ils atterrirent vers cinq heures dans un bosquet situé derrière la maison. Martin demanda aux muthums de rester dissimulés, et de s‟envoler en louvoyant entre les arbres si quelqu‟un apparaissait. Il leur expliqua qu‟il les contacterait par ultrasons pour qu‟ils se tiennent prêts, lorsqu‟il reviendra avec les gardes. 218


Martin se dirigea vers la maison, frappa à la porte et s‟annonça très clairement dès qu‟il entendit du bruit à l‟intérieur. Louis, le garde principal, n‟ouvrit pas tout de suite la porte, préférant se clarifier les idées quelques instants, pour tenter d‟imaginer, à nouveau, l‟être qui lui avait été décrit et qui se trouvait derrière la porte. Il dit à Martin de pénétrer aussitôt la porte ouverte, puis il ouvrit la porte et la referma derrière Martin qui s‟était faufilé rapidement dans la pièce. Louis serra immédiatement la petite main de Martin, car finalement il n‟était pas aussi étonné de sa présence qu‟il l‟aurait imaginé. Martin lui expliqua de sa petite voix aiguë que son groupe de muthums était rassemblé dans le bosquet voisin et lui proposa de les rencontrer, dès que son collègue Albert serait réveillé et habillé. Louis prépara une collation copieuse à base d‟omelette aux champignons pendant que Martin lisait un journal local. Il alla réveiller Albert et le prépara à la bonne surprise, puis le présenta. Ils prirent leur petit-déjeuner en commun, puis Louis remplit un panier de provisions pour les muthums, car l‟omelette qu‟il avait préparée avait, à l‟origine, une taille gargantuesque. À peine sorti, Martin émit une modulation ultrasonore que les deux gardes ne perçurent pas, car ils ne réagirent pas, et les muthums furent ainsi prévenus de leur arrivée dans la clairière du bosquet. Comme il avait précisé les prénoms des deux gardes et leur différence de stature, le muthum désigné chef d‟escadrille s‟envola silencieusement vers eux quand ils apparurent et alla se poser délicatement sur l‟épaule de Louis, qui eut un mouvement de recul compréhensible, mais sourit rapidement en voyant le visage hilare d‟Albert qui se tenait les côtes. Les présentations faites, le petit groupe s‟installa dans une cabane en bois servant de réserve d‟outils de jardinage, et un nouveau petit déjeuner fut servi. Les muthums s‟exprimaient dans la plus basse gamme de fréquences qu‟ils possédaient, de manière à être compris par les deux hommes. Leur joie naturelle était si forte que tout le groupe rit aux éclats, quand le muthum le plus dégourdi raconta ses déboires avec une buse femelle qui l‟avait pris en amitié, mais d‟une manière un peu trop appuyée. Ils racontèrent leurs plongées sous-marines, leurs jeux avec les petits phoques, et leur première grande traversée, 219


quand ils avaient, à l‟insu de Martin, fait un voyage aller et retour au-dessus de l‟île voisine de Nova, soit 150 kilomètres, mais heureusement par beau temps et de nuit. Martin dessina un plan permettant de localiser la faille où ils s‟étaient installés, et les gardes firent la grimace en découvrant qu‟il leur faudrait amener tout un attirail d‟alpiniste pour aller les voir. Louis leur fit alors une grande surprise en leur annonçant que les présidents de l‟ONU et de l‟UNESCO viendraient la semaine prochaine, pour faire le point, mais il n‟en savait pas plus pour l‟instant. Martin fit aussi une surprise en déclarant que quelques personnes de Nova devaient venir également, peut-être au même moment ? La visite fut complétée par la mise au point de la procédure à respecter pour le tout premier contact avec les habitants de la région. Louis avait déjà présélectionné quatre personnes, deux couples d‟agriculteurs, qu‟il avait invités à déjeuner demain. Tout le groupe fut convié à aller terminer la soirée dans la maison des gardes, après une douche bien méritée, car la température était élevée et l‟air humide. Les deux couples malgaches se présentèrent vers 11 heures du matin. Ils avaient été sélectionnés pour l‟intérêt qu‟ils portaient à tous les sujets relatifs à la conception, la croissance des embryons et la naissance des hommes, des animaux, etc. Ils posaient régulièrement des questions aux gardes quand ils se promenaient dans la campagne, au cours de leurs tournées d‟inspection. Les gardes leur avaient consenti le prêt d‟un lecteur de DVD et d‟une centaine de documentaires qui faisaient partie de la vidéothèque de la maison des gardes, documentaires destinés à meubler leurs soirées. Depuis quelque temps, les deux gardes leur faisaient des petits cours particuliers spécialement orientés sur les mutations des espèces, et avaient insisté spécialement sur l‟île de Flores où avaient été découverts des squelettes d‟hommes de 90 centimètres de hauteur, aussi intelligents que les homo sapiens du continent asiatique. Les quatre amis malgaches avaient aussi été très impressionnés, quand il leur fut montré des photos de squelettes d‟éléphants d‟un mètre de haut seulement, qui existaient à la même époque, il y a 18.000 ans, sur cette même île. Ils étaient ainsi prêts 220


à admettre toute hypothèse futuriste concernant la taille et les caractéristiques des hommes de demain. Ils n‟étaient pas devenus des spécialistes en génétique, non, loin de là, mais ils avaient une confiance illimitée en leurs deux amis, Louis et Albert. Ils étaient avides d‟en savoir plus, surtout quand il leur avait été annoncé que le but de ce déjeuner serait de leur présenter des humains très différents, qui venaient d‟être découverts en Afrique, et qui désiraient s‟installer dans leur grande île-continent. C‟est ainsi que tout se passa le mieux du monde, après un léger frémissement de surprise lors de la première rencontre. Le fait que ces minihums, et surtout les muthums, parlaient sur un ton très aigu fut le principal élément de cette surprise, plus encore que la taille ou la morphologie, car Louis et Albert avaient eux-mêmes découvert cette particularité la veille seulement et ne les avaient pas prévenus. Les invités furent conviés à prendre contact avec leurs autres meilleurs amis et parents malgaches, à les préparer de la même façon qu‟eux-mêmes avaient été formés et préparés au contact avec des humains différents. Ils feraient donc des séances de vidéo et insisteraient sur tout ce qui concernait directement l‟évolution génétique de l‟homme. Ils préviendraient lorsqu‟ils estimeraient que certains sont prêts à rencontrer les nouveaux venus. Ils quittèrent la maison des gardes, ravis de la journée mémorable qui tiendrait une grande place dans leurs mémoires. Le lendemain, les deux gardes se dirigèrent vers la faille, lourdement chargés de matériel d‟alpinisme, dont de très longues cordes. Les muthums avaient pris les devants, transportant Martin à l‟aube, et ils stationnèrent sur le fond de la première faille à escalader par les gardes. C‟est ainsi qu‟ils les guidèrent de faille en pic, de pic en ravin, de ravin en corniche et enfin la longue descente vers la faille du débarquement sur Testa. C‟était le seul passage possible à pied, si l‟on peut dire. Quand tout le monde fut arrivé dans la grotte, un banquet fut servi, avec de nombreuses espèces de poissons fraîchement pêchés en mer, de nuit, par les muthums restés sur place. Il était possible de faire du feu au fond de la grotte, et les fumées allaient se perdre dans un dédale de petites failles verticales, excessivement étroites, et qui apparemment ne débouchaient nulle part à l‟air libre, vérification ayant été faite qu‟aucune fumée n‟apparaissait à 221


l‟extérieur, au sommet des pics. Tout le monde s‟esclaffa lorsque le clown muthum de service annonça qu‟il n‟inviterait plus les deux gardes, car ils venaient de manger quatre fois plus que les minihums et les muthums dans leur ensemble, et ça, rien qu‟à eux deux. Le reste de la journée fut consacré à préparer la visite des grands hommes, car Naomi avait reçu une communication annonçant que leur hélicoptère militaire ultra silencieux arriverait demain matin, en toute fin de nuit.

Les anciens et les modernes. L‟hélicoptère hélitreuilla six personnes vers le fond de la faille, à l‟heure prévue et sans se faire remarquer, à tel point que certains muthums étaient encore endormis quand les six personnes pénétrèrent dans la grotte. Il y avait quatre parents venus de Nova et les deux hauts personnages de l‟ONU et de l‟UNESCO. Deux militaires étaient restés pour monter la garde, un peu plus loin, au bord du ruisseau. Pas de surprise apparente, car les deux responsables avaient reçu de nombreuses photos et vidéos des nouveaux hommes. La réunion permit de faire le point de la situation au plan mondial, d‟avoir des nouvelles de Nova où la vie poursuivait son cours, et surtout de décrire l‟excellente réunion de la veille avec les quatre autochtones. Les deux présidents annoncèrent qu‟ils allaient accélérer les contacts, de manière à répéter cette expérience en deux autres endroits de la planète, au Tibet et au Pérou, dans des réserves situées dans des zones très peu peuplées, comme ici. Ces trois implantations stationneraient une dizaine d‟années, leur développement serait assuré grâce à au concours de moyens militaires et sanitaires, le but étant de favoriser les mutations génétiques de la descendance locale et de former des médecins généticiens locaux pour les aspects techniques initiaux et le suivi statistique médical du développement des enfants muthums.

. 222


. . . . C‟est ainsi que la nouvelle forme de vie humaine essaima et prospéra au cours des décennies suivantes, permettant enfin aux muthums de vivre en harmonie parfaite avec ce que la nature avait à leur offrir, cette harmonie qu‟avaient rêvée et tant recherchée, au péril de leur vie, leurs six pères et mères spirituels qui les regardaient avec tendresse, insérés dans leur petite stèle en cristal, quelque part, très loin, sur Nova.

223


À suivre La suite de cette aventure a fait l‟objet d‟un nouveau roman (Tome 2) : « Un Portail plus loin… »

Bibliographie technique : http://villemin.gerard.free.fr/Wwwgvmm/Alphabet.htm On y trouve des définitions de presque tout, biologie et cosmologie entre autres. http://cpep.lal.in2p3.fr/complete_menu.html Très bon pour débuter en cosmologie http://www.dgpc.ulaval.ca/bio90192/chap1/chap_1.htm Cours le plus complet en biologie

224


OVNI, dit BRO

« Pour un auteur de science-fiction-anticipation, mon parcours est atypique. Tout d'abord, un lecteur adolescent, ébloui par les œuvres d'anticipation et de voyages de Jules Verne, l'un des plus grands Précurseurs en littérature de fiction. Un lecteur assidu, aux débuts des séries de science-fiction Fleuve Noir, dans les années 50-60, au début d'une carrière d'ingénieur dans le domaine de l'informatique industrielle et des automatismes. Une carrière classique TGV/Avion/Boulot/Dodo, rien de particulier à dire, sauf que la disponibilité et le temps libre n'étaient pas au rendez-vous. En matière d'écriture, rien de littéraire, des milliers de rapports en langue anglaise, écrits à la main, et d'aucun intérêt pour la postérité. Lorsque le temps libre arriva enfin, en même temps que l'ADSL, j'ai prospecté les domaines techniques qui m'avaient échappé dans nombre de sites universitaires, dans tous les pays, et je suis abonné à nombre de flux RSS pointus. Techniques biologiques, écologie, informatique de pointe, neurobiologie, cosmologie, théorie des cordes, trous noirs, bref, tout ce qui me semble être en mouvement, et capable d'alimenter ma réflexion littéraire naissante. 225


Je me classe dans le genre Précurseurs, un genre délicat puisque tous mes romans commencent au début des années 2000, avec le risque évident de paraître obsolètes dans dix ans, mais c'est le destin des Précurseurs, n'est-ce pas ? C‟est son premier roman de S.F., roman qui contient quelques éléments techniques servant à crédibiliser le projet TOPLAB, mais l‟approche reste pédagogique avec des références imagées tirées de la vie courante (jeux vidéo en particulier). Bien entendu, les lecteurs qui voudront approfondir ces questions techniques pourront avec profit visiter les sites indiqués précédemment.

Notes de l’auteur Ce premier roman constitue une introduction à une série qui pourra contenir dix ouvrages complémentaires, chacun reprenant ce premier texte comme Introduction au nouveau roman complet, Introduction en italiques, conservant les sept personnages principaux avec leurs nouveaux « pouvoirs » d‟investigation et de communication. À noter que ce premier roman a maintenant une suite (Tome2) dont le titre est : « Un Portail plus loin… » rédigé par Ovni, dit Bro Pour tout nouveau roman complet, le nouvel auteur privilégiera un choix parmi les neuf thèmes suivants que je propose pour essayer de toucher plusieurs sensibilités différentes de lecteurs. Si un nouveau roman complet d‟un nouvel auteur devait avoir une suite, elle serait la bienvenue. 226


Liste non exhaustive de thèmes : — 1 un thème autour de la tentative d‟un visionnaire utilisant ses nouveaux pouvoirs pour devenir un prophète gourou, futur dictateur planétaire poursuivi par Topla. — 2 un thème policier autour de la vengeance féministe engagée par une femme visionnaire, utilisant ses nouveaux pouvoirs pour venger les femmes battues, violées, etc. dans le monde entier. — 3 un thème de généalogie ancienne permettant à un visionnaire de réhabiliter nombre d‟ancêtres injustement emprisonnés, haïs, etc. — 4 un thème policier autour de l‟action d‟un justicier visionnaire, remettant de l‟ordre sauvagement, mais pourchassé par une police très active. — 5 un thème animalier autour de la recherche d‟un visionnaire qui va s‟immiscer dans le monde animal. — 6 un thème autour de la recherche d‟un visionnaire qui va s‟immiscer dans le monde végétal. — 7 un thème autour de la recherche du point Big Bang de la création de l‟Univers. — 8 un thème autour de la recherche d‟autres planètes hébergeant des êtres vivants et leur découverte. — 9 un thème genre StarWars. L‟ensemble des neuf thèmes est ouvert aux auteurs qui souhaiteraient développer un thème de leur choix, ou un nouveau thème à définir. Une prise de contact avec Ovni, dit Bro, sera nécessaire pour définir le projet thématique et les droits afférents à chacun. L‟ensemble du présent texte a été déposé à la Société des Gens de Lettres françaises pour fixer l‟antériorité.

227


Un Portail plus loin..

Ovni, dit Bro Octobre 2007 228


Œuvre dédiée à tous ceux qui rêvent d’un monde meilleur, et qui souhaitent une seconde chance pour y participer activement.

229


Un Portail plus loin Préface Ce tome est le second de la série du Portail. Pour ne pas dérouter le lecteur, il est indispensable de résumer les péripéties de l‟équipe de six scientifiques TOPLA, qui ont décidé de défrayer la chronique en réalisant sur eux-mêmes des séries d‟expériences mettant leurs vies en jeu, bien installés dans un laboratoire ultrasecret (TOPLAB) situé dans un ancien monastère sacré de l‟Himalaya. Se plaçant volontairement en état de coma artificiel de courte durée, ils ont ainsi découvert que chaque personne possède un double cerveau, si l‟on peut dire, le cerveau biologique très limité que tout le monde connaît, plus une sorte de cerveau de taille subatomique, qui est utilisée comme mémoire globale personnelle et qui gère ce qu‟on appelle communément la conscience individuelle. Ils ont appelé ce dernier la « bulle » individuelle, accessible via le Portail, un point très précisément localisé dans le cerveau biologique. Au cours de chaque coma provoqué, ils ont pu « visiter » les bulles d‟autres êtres, vivants ou morts, et communiquer avec eux par une forme de télépathie. Ils ont aussi pu contacter une équipe de douze explorateurs de la planète Mira, dont les bulles avaient échoué sur Terre, et ils s‟en sont fait des amis, en particulier un couple de Scimuts qui a décidé de rester sur Terre pour les aider, car leur expérience dans le domaine des mutations génétiques était très grande. Par l‟intermédiaire de l‟ONU, plusieurs gouvernements terrestres accordèrent à TOPLA l‟autorisation de faire des expériences de mutation sur l‟homme, pour diminuer la taille des humains à naître. L‟objectif était que le poids et les besoins énergétiques devaient être réduits dans un rapport d‟au moins cent, pour assurer la pérennité de l‟espèce, sur une Terre où les ressources étaient de plus en plus rares et coûteuses. Trois couples d‟adolescents volontaires participent à ce programme sur l‟ancienne île française d‟Amsterdam, Nova. 230


Sommaire LES COLOMBES DU PORTAIL. TOPLA

4 9

T POUR TERA

11

O POUR OVNI

13

P POUR PYCO

15

L POUR LABO

16

A COMME ALOA

18

TOPLAB

20

Le Portail

30

TOPLAB, SALLE DE REUNION, JOUR 1.

30

TOPLAB, SALLE DE REUNION, JOUR 15.

46

TOPLAB, SALLE DE REUNION, JOUR 17.

48

SUR LE FIL DU RASOIR

49

LE RETOUR DE L’ENFANT PRODIGUE

53

ALORS…, RACONTE-NOUS

54

INTERPRETATION DE GROUPE.

57

NIVEAU QUATRE

65

INTERPRETATION DU NIVEAU 4

72

A DEUX, C’EST MIEUX

77

SALLE D’ENVOL, VINGT-DEUX HEURES

78

NE PIETINEZ PAS LES LIMBES !

84

ÂMES SENSIBLES, S’ABSTENIR.

84

LA LUNETTE A NEUTRINOS

93

SOMMEIL PROFOND

95

Les Colombes du Portail

101

MESSAGE AUX GRANDS DE CE MONDE

106

MOYENS A METTRE EN ŒUVRE

109

NOTE IMPORTANTE

109

LE GRAND JOUR

111 231


CROISIERE SURPRISE

114

SEPT SUR LES TALONS DES VINGT

117

MIGRATION DES COLOMBES.

118

ACTIONS FUTURES

120

CONCLUSION PROVISOIRE

121

Les Bonobos BONI ET NINA A L’ECOLE Les Scimuts

123 125 131

LE CONTACT

137

VISITE VIRTUELLE DE MIRA

146

MIRA DANS TOUT SA SPLENDEUR

148

MATHUSALEM

152

Démona

163

L’ONU

171

SVETLANA RISQUE TOUT

177

LA REPRESENTANTE OFFICIELLE DE TOPLA

184

Les bonobos deviennent des stars LE TEST NINA Et si Icare avait raison ?

187 192 197

NOVA (ILE D‟AMSTERDAM)

197

MINIHUMS, PREMIERE GENERATION

200

Testa (Tsingy de Bemeraha)

209

REVEIL DOULOUREUX

211

EXPLICATIONS

215

CONTACT AVEC LES AUTOCHTONES.

218

LES ANCIENS ET LES MODERNES.

222

À SUIVRE

224

BIBLIOGRAPHIE TECHNIQUE :

224

OVNI, DIT BRO

225

232


NOTES DE L‟AUTEUR

226

UN PORTAIL PLUS LOIN

230

LA MORT ET SES ETAPES

235

EXPERIENCE DE MORT IMMINENTE (EMI)

241

LA TRAME DIGITALE DE L‟ESPACE-TEMPS.

245

LA MEMORISATION EN TRANCHES.

251

COMMENT AIDER UNE AMIE DISPARUE ?

254

LA HAUTEUR DE VUE DU PROFESSEUR GAËL.

259

UN VOYAGE TRES RAPIDE VERS MIRA.

266

UN JEU D‟ENFER.

272

MIRA ET ARIA.

276

UNE PROMESSE A TENIR.

280

LE TEMPLE SACRE.

286

SIXIEME DIMENSION ?

292

OU SE TROUVE LE TEMPS ?

300

LA SYNCHRONISATION DES TROIS MEMOIRES.

303

UN TROU DE VER INFORMATIQUE.

308

PROBLEMES DE CONSCIENCE.

311

UN STATUT POUR MIRA ?

313

QUI EST LE MANIPULATEUR ?

318

PLANETES CONTAMINEES.

323

ÉTUDE DU TERRAIN DE MANŒUVRES.

330

EPURATION.

335

OU SE SONT CACHES LES « ENFANTS » ?

337

LE GOUFFRE.

342

PARLONS AUX « ENFANTS ».

346

LE CREATEUR.

352

EPILOGUE.

357

BIBLIOGRAPHIE :

360

OVNI, DIT BRO

361

NOTES DE L‟AUTEUR

362 233


QUE S‟EST-IL PASSE ?

372

LA VERITE SORT DU PUITS.

377

DEFORMATION DES TRAMES

383

INTERCONNECTER LES DEUX JUMEAUX ?

389

LES AMES VIERGES.

393

ON AVANCE, ON AVANCE…

402

SURCHARGE DE TRAVAIL A TOPLAB.

408

ON APPROCHE DU BUT.

413

STANFORD UNIVERSITY

421

TERA ET MARINA

426

DEUX SEMAINES PLUS TARD…

433

EXPEDITION ANDINE.

439

LA POUDRE DU BONHEUR.

442

LES NARCOTRAFIQUANTS.

447

LA MENACE.

452

LA CUEILLETTE DU FRUIT DEFENDU.

457

ALERTE GENERALE.

460

FIN PROVISOIRE DU TOME 3

460

OVNI, DIT BRO

462

234


La mort et ses étapes Cela faisait maintenant un mois que les jeunes volontaires dirigés par Nico et Svetlana s‟étaient installés sur Nova. Tout semblait se passer normalement, et l‟équipe himalayenne de TOPLA se félicitait de pouvoir continuer ses travaux, mais cette fois-ci dans de nouveaux domaines. L‟objectif initial des colombes du Portail était en bonne voie de résolution, mais les membres de TOPLA avançaient tous en âge, et la réflexion commune tournait, de plus en plus souvent, autour de la mort et du futur inconnu qui l‟accompagnait. Les femmes étaient très sensibles à ce sujet, comme si elles avaient encore quelque chose à faire d‟important sur Terre pour leurs enfants et petits-enfants, qui pourtant se portaient comme des charmes. Angela et Tera étaient même devenues arrière-grandsmères récemment, ce qui leur avait permis de voir toute leur petite famille à Delhi, et je les avais accompagnées, évidemment. Ce genre de voyage hors du temple sacré était exceptionnel, mais le risque de voir des paparazzis était quasi nul, Tera, Ovni et Angela étant inconnus du grand public. Seule Aloa était sur le devant de la scène à l‟ONU. Par ailleurs, les journalistes avaient de la matière pour s‟occuper, en s‟agglutinant auprès des services politiques des gouvernements, ces derniers commençant à avoir des difficultés d‟approvisionnement en matières premières pour leurs populations sans cesse croissantes. Ces réflexions de groupe sur la mort s‟étaient concentrées sur les expériences de NDE (Near Death Experiment), appelées EMI en français (Expérience de Mort Imminente). Aloa s‟était fait un ami d‟un célèbre médecin américain, le Docteur Roudy, très connu pour les synthèses qu‟il avait réalisées, prenant en compte les centaines de témoignages qu‟il avait recueillis.

235


Roudy passait beaucoup de temps en conférences sur la planète entière pour rapporter ses témoignages, dans le but de diffuser largement ces expériences hors du commun. Il était entouré d‟une foule de chirurgiens, médecins, anesthésistes, infirmières qui avaient assisté à ces expériences, et qui étaient tous convaincus de la sincérité des récits des êtres cliniquement morts qui étaient revenus de l‟au-delà. Tous étaient impressionnés par le changement radical qui s‟exprimait chez ces personnes, quand elles reprenaient le cours de leur vie ordinaire, pratiquant presque toutes un mode de vie entièrement tourné au service des autres, dès l‟instant que leurs récits étaient acceptés par les autres. Il y a une vie après la vie, disaient-ils, et ils étaient tellement convaincants que les personnes en fin de vie qu‟ils assistaient quittaient leurs proches dans la sérénité, sans craindre le néant ou l‟enfer, selon leurs croyances d‟origine. Nombreux étaient les infirmiers et infirmières qui assistaient à leurs interventions, pour pouvoir les remplacer, lorsqu‟ils n‟étaient pas disponibles. La durée de vie augmentait beaucoup, car les personnes âgées ne craignant plus rien avaient un comportement et une activité physique plus saine qui maintenaient plus longtemps leur bonne forme et le moral associé, par un effet boule de neige. Leur implication soutenue et leurs résultats évidents avaient fini par dérider les scientifiques en charge de la définition des programmes d‟études. Depuis peu, des recherches enfin communes étaient financées officiellement, regroupant des chercheurs du monde médical, neurobiologique et du monde de la physique corpusculaire (toujours à la recherche de la Théorie du Tout, permettant de concilier les théories cosmologiques et subatomiques). Il était donc maintenant enfin question d‟expliquer notre existence au sein de l‟univers, en reliant les trois domaines scientifiques qui ne couvraient chacun qu‟une partie seulement du mystère global de la vie, du cosmos, et de la pensée. Roudy avait vite fait la relation entre Aloa et les expériences de TOPLA sur le Portail, et c‟est sans restriction aucune qu‟il ouvrît tout grand la porte de son bureau, dès qu‟Aloa se manifestait. TOPLA et Roudy étaient vite tombés d‟accord pour 236


considérer que le rôle actuel de Roudy était plus important et plus efficace que son éventuelle intégration dans l‟équipe, pour participer aux expériences à venir sur la mort « effective ». En effet, pour aller plus loin que ce qui avait été réalisé jusqu‟à présent, il sera nécessaire d‟en passer par l‟étape « mort effective et sans retour, sauf miracle » pour percer le mystère dans son ensemble. La grande question de savoir qui serait désigné ne se posait pas dans l‟immédiat, car le groupe devait mener des investigations complémentaires dans le cadre des bulles, actuellement bien connues et aisément accessibles, pour préparer le « terrain » et la nature des expériences « ultimes » envisagées. En particulier, il fallait vérifier l‟assertion des EMI (appelonsles comme cela) qui s‟étaient vus planer au-dessus de leur lit d‟hôpital, pour constater, à leur grand étonnement, que tous les meubles, murs et personnages étaient visibles certes, mais sous une forme transparente et translucide, car ils pouvaient passer à travers ! Ovni n‟avait pas eu cette impression lors de son premier voyage dans sa bulle, mais on pouvait l‟expliquer parce qu‟il avait bien d‟autres sujets d‟étonnement à ce moment-là ! Il faudra donc recommencer cette expérience, et laisser à Ovni plus de temps, pour mieux vérifier et appréhender le phénomène. Certes, on sait que la bulle est d‟une taille tellement réduite que rien ne l‟arrêterait si elle se déplaçait, même pas lors de la traversée de la Terre. Cependant, a priori, la bulle d‟un être en coma artificiel n‟est pas amenée à se déplacer bien loin, puisque la décorporation (sortie de ce que nous appellerons « l‟âme » du corps) n‟a pas encore eu lieu et qu‟elle est donc « attachée » d‟une certaine manière au cerveau biologique. Ensuite, il faudra « assister » à des morts réelles de personnes en fin de vie, pour voir ce qui se passe réellement, et étudier la faisabilité d‟un voyage « de concert » avec l‟âme en question. Les six scientifiques sont bien conscients qu‟ils vont mourir, à tour de rôle, dans les années à venir, et ils souhaitent savoir s‟ils peuvent prévoir des mesures d‟accompagnement qui ouvriraient la porte à des communications directes dans le futur avec « leurs morts », ne serait-ce que pour les informer de ce qui se passe chez 237


les vivants. L‟expérience précédente de communication d‟Ovni, avec la bulle de son père restée physiquement au cimetière avec son corps, n‟avait été qu‟un premier pas, mais le résultat était non satisfaisant, et de plus, il semblait évident que le départ de l‟âme vers « ailleurs (les limbes ?) » à la suite de la décorporation, caractérisait « l‟envol » d‟une autre entité, indéfinissable pour l‟instant, de l‟être décédé. Le fait que nombre d‟EMI avaient eu l‟impression de tout voir, et en même temps, devant, derrière, et sur les côtés de chaque objet par un phénomène de transparence relative a très bien été expliquée par un médecin français (voir bibliographie), qui a astucieusement expliqué que l‟EMI était alors dans un système à cinq dimensions, au lieu des quatre que nous connaissons tous (largeur, longueur, hauteur et temps). Pour mieux comprendre, il a donné un exemple très pédagogique, car nous avons bien des difficultés à imaginer un espace à cinq dimensions, tellement habitués que nous sommes dans nos quatre dimensions bien à nous ! Supposons que nous n‟ayons que deux dimensions physiques au lieu de trois, largeur et longueur, et pas d‟épaisseur/hauteur, un peu comme si nous étions une carte de jeu placée sur une immense feuille de papier. Il a appelé Dédé son personnage en forme de carte à jouer. Si Dédé est entouré de camarades à son image, il ne peut pas voir ce qui se passe derrière le cercle de ses copains, il n‟a pas une vision complète de l‟univers dans lequel il évolue. Mais si Dédé subit une EMI, il s‟élève, accédant à une dimension supplémentaire, la hauteur, et il voit ainsi tout ce qui se passe dans son univers de « vivant » qu‟il est en train de quitter, à commencer par ce que ses copains lui cachaient derrière leur cercle compact. Dédé EMI possède également une capacité supplémentaire qui lui permet de zoomer à l‟infini sa vision, en se concentrant simplement sur un point déterminé, il peut vraiment tout voir, l‟intégralité de son domaine de « vivant », sans même se déplacer. À ce niveau, Dédé EMI reste dans le même domaine temporel que Dédé vivant, il voit ce qui se passe à l‟instant présent, mais il ne peut accéder à l‟historique, au passé des scènes qu‟il perçoit, car il n‟est pas mort définitivement. 238


Ce problème de visualisation du passé doit sûrement être résolu lorsque la décorporation devient totale, c‟est-à-dire quand Dédé est aspiré dans le fameux tunnel gris qui l‟amène dans les limbes où il rencontre des personnages étranges et revisite son passé en quelques fragments de secondes. On se doit cependant de réagir à cette explication, en affirmant que le voyage dans sa propre bulle permet déjà d‟accéder à son propre passé, mais il nous faut retenir que la bulle n‟est qu‟un élément matériel, une sorte de mémoire globale individuelle, et qu‟elle reste « accrochée » au corps de son personnage biologique, même après sa mort. On a également eu la preuve que cette bulle mémoire ne mémorise plus rien de ce qui se passe après la mort effective, Ovni se souvenant tout particulièrement de sa conversation avec son père décédé, conversation frustrante pour Ovni au plus haut point ! Il apparaît donc clairement que l‟entité qui quitte le corps pour aller dans le fameux tunnel gris est autre chose que la bulle, et qu‟il faut découvrir de quoi il s‟agit, en assistant à plusieurs décès réels. Ce sera mon objectif, dans les jours à venir, tout le groupe étant enthousiasmé par la masse de connaissances que nous allons acquérir, grâce à ces expériences. Si Celui qui a éventuellement créé ce système complexe a tenu à faire passer le message aux EMI qu‟ils devaient se concentrer sur l‟Amour et la Connaissance approfondie, à leur retour, il ne saurait me reprocher d‟aller m‟immiscer dans des domaines jusque-là secrets et inaccessibles, puisqu‟il s‟agit d‟approfondir les connaissances du genre humain sur sa propre destinée. J‟irais presque jusqu‟à affirmer que le fait même que des EMI puissent revenir pour nous expliquer tout ça est voulu, pour indiquer en quelque sorte dans quelle direction il faut chercher pour augmenter nos connaissances, et aussi pour faire sauter les verrous des tabous religieux. Mais pourquoi tout ça finalement, sinon pour tester la capacité d‟une race vivante comme la nôtre à évoluer suffisamment pour accéder à la connaissance « ultime ». Cependant « ultime » est sûrement un terme trop définitif, car il y a vraisemblablement plusieurs étapes à franchir, au-delà du tunnel. 239


Ça paraît un peu fou, un tel jeu de piste dans une course par étapes, mais enfin, comme dirait Gaston Lagaffe, l‟important c‟est d‟avancer, même doucement, et surtout pas de feindre de les avoir organisés quand les évènements nous dépassent.

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Expérience de mort imminente (EMI) Grâce au Dr Roudy, nous avons été informés qu‟il assisterait l‟un des parents de Dalaï-Lama, atteint d‟une maladie incurable, au cours de ses derniers instants dans un hôpital de Delhi. Rendez-vous a été pris pour après-demain, et je ferai le déplacement avec Angela qui sera fort utile pour contrôler mon état, pendant que je serai en « voyage » dans la même salle que le malade, en réanimation. Mon voyage se fera en plusieurs étapes successives de vingt minutes, la durée maximale raisonnable pour ne pas risquer le pire. Je prévois des coupures de dix minutes, avec retour sur Terre et remise en état de ma mémoire biologique, de façon à conserver les résultats de mon tronçon de voyage précédent. En aucune manière je ne prévois de tenter de suivre l‟entité du décédé, lorsqu‟elle disparaîtra dans le « tunnel », même si cela me semblait possible : ne prendre aucun risque, c‟est la règle première ! Le surlendemain, nous sommes tous en place dans la salle de réanimation, l‟état du malade s‟est aggravé, et l‟instant de sa mort est tout proche. Roudy et Dalaï-Lama tiennent chacun une main du malade, Roudy se concentrant, les yeux fermés, pour tenter d‟apaiser le souffrant, comme il l‟a déjà réalisé par transmission de pensée en plusieurs occasions, déclarant ensuite que lui n‟y était pour rien, seul le malade étant en mesure d‟interroger discrètement les pensées des assistants, voire de leur suggérer des actions à mener dans certains cas spécifiques. Les EMI de retour avaient confirmé ce mode de perception et de transmission de leur part. Il avait été convenu que je ne prendrais place dans ma bulle que sur un regard de Roudy, de manière à éviter que je ne sois tenté de communiquer avec le mourant depuis ma bulle. Une telle expérience serait à tenter, mais plus tard, et avec un autre patient. Roudy souhaitait effectivement savoir si ses actions de concentration ne pourraient pas être remplacées par des actions de bulle à bulle, actions qui pourraient, après tout, être éventuellement plus efficaces.

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Lorsque Roudy, après avoir échangé un premier regard avec Dalaï-Lama me fait signe, Angela actionne l‟interrupteur et je prends mon envol. Rien d‟autre à faire que de m‟élever dans la salle, du déjà vu, et de scruter profondément les lieux, les objets et les personnes présentes. Ma vision Œil de poisson me montre effectivement tout, vu d‟en haut, à 45 degrés, depuis ma position physique sur mon fauteuil, mais je m‟attache maintenant à essayer ce fameux zoom dont ont tant parlé les EMI, à leur retour. Effectivement, en me concentrant sur Roudy, ma vision se transforme, et progressivement l‟image de lui, en relief classique, que je viens juste de quitter, image qui m‟a accompagnée quelques instants seulement finit par s‟estomper, pour être remplacée par des contours et une perception translucide des organes internes de son corps en filigrane. Je vois même son téléphone portable dans sa ceinture, et en me concentrant dessus, je peux voir le cadran qui indique qu‟il est en arrêt. Pour l‟instant, rien de neuf du côté du mourant, et j‟en profite pour faire un zoom sans fin sur Roudy. Je suis en train de m‟enfoncer dans son corps, jusqu‟à son cœur, que je vois battre calmement. Je glisse vers une zone moins mouvementée de son corps, sa main, mais la vision est encore trop mouvante, un peu comme un zoom avec des jumelles beaucoup trop grossissantes sur un détail lointain d‟un animal vivant. Je change de sujet, et je m‟attache à regarder les détails du tibia du mourant qui est strictement immobile sur son lit de mort. La vision est beaucoup plus nette, et je m‟enfonce de plus en plus jusqu‟au niveau d‟une molécule interne de l‟os. J‟insiste encore et je passe au niveau de l‟atome. Il ressemble un peu à l‟image que l‟on s‟en fait, mais c‟est différent. Chaque composant interne à l‟atome est flou, un peu comme des grumeaux dans une pâte à crêpes. Ça fluctue beaucoup trop là-dedans, que faire ? Eh bien, j‟insiste encore, et brusquement la vision change radicalement, tout devient plus calme, comme si un élément inconnu se chargeait maintenant de stabiliser les images perçues. Manifestement, je suis passé à travers la zone de turbulence qui sert de frontière entre le monde quantique et le monde classique macroscopique, cette frontière qui empêche les scientifiques de 242


voir plus loin dans le domaine subatomique sans modifier la particule élémentaire qu‟ils cherchaient justement à analyser. Apparemment, l‟être humain est doté dès le départ de tout ce qu‟il faut pour dépasser cette frontière, et je suis le premier ravi d‟en faire la découverte : elle va assurément changer la face du monde, en imposant une direction nouvelle aux futures recherches. Les technologies les plus sophistiquées sont fréquemment impuissantes, dès l‟instant où elles sont dirigées sur le mauvais chemin de la connaissance, mais heureusement l‟homme est perfectible, et il sait redresser la barre quand les évènements ou la chance l‟y obligent. Dans le cas présent, la chance a été de notre côté, c‟est évident ! Devant ce nouveau spectacle, je ne m‟attache pas à retrouver les hypothétiques particules que nous ont concoctées nos plus grands scientifiques du domaine, car, en effet, mon regard est plutôt attiré par les filaments lumineux qui vibrent comme des poils sur la surface de chacun des composants. Certains filaments semblent identiques et en très grand nombre sur les plus grosses particules, mais on les retrouve également sur les particules moyennes et également, mais en très petit nombre, sur les plus petites particules. Pour cette première catégorie de filaments, ils sont reliés deux à deux, chaque paire reliant deux composants différents. Appelonsles filaments G, car ça ressemble à des liens de gravité entre particules. Ils sont marron foncé. Je remarque qu‟en fait, il s‟agit plutôt d‟échanges ultrarapides de filaments individuels entre deux particules voisines, ce qui donne une fausse impression de filament continu. Certains filaments sont émis individuellement vers l‟espace, d‟autres en viennent. Mais tout ceci évolue trop rapidement pour avoir une signification claire, et ma vision ne peut suivre et disséquer plus en détail le phénomène. C‟est à ce moment que je réintègre mon corps biologique Angela ayant décidé qu‟il était temps de décompresser. Je constate que Roudy est debout, à côté de nous, et qu‟il vérifie mon pouls et ma tension. Dalaï-Lama nous accompagne dans une salle de repos voisine, tout en me précisant que le malade a une courte période de 243


rémission qui durera probablement une heure, de quoi nous donner le temps de faire le point et de grignoter quelque chose. Je leur raconte mes perceptions depuis ce monde étrange auquel il faut s‟habituer avant de profiter intelligemment du spectacle, tant de choses étant possibles dans cet univers nouveau. Si mon hypothèse concernant les gravitons G est assez crédible, il me reste à vérifier une autre inconnue, celle de la détermination du temps, cette variable qui nous semble si naturelle, mais dont personne ne connaît l‟origine. J‟ai ma petite idée là-dessus, et je leur fais part du fait que le clignotement permanent que j‟ai constaté est un clignotement synchronisé, pour tous les filaments entre eux, quelle que soit leur couleur : il y a une fréquence derrière cela. Une fréquence, c‟est l‟inverse d‟un temps, donc je ne suis peut-être pas loin de découvrir quelque chose qui devrait ressembler à la constante de Planck, la plus petite valeur d‟un « grain » élémentaire de temps, voisin de dix à la puissance moins quarante-trois secondes ! J‟ai à peine dit cela que je mesure alors l‟énormité de mon discours, en regardant mes trois interlocuteurs qui sont bouche bée, complètement interloqués. Vingt secondes de silence complet se déroulent, à peine troublées par les bips des appareils de contrôle des chambres voisines. Nous continuons à grignoter et à boire sans oser nous regarder, comme si on avait atteint le fond, l‟endroit où il n‟était pas permis d‟aller voir.

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La trame digitale de l’espace-temps. Le Docteur Roudy nous a sortis de notre rêverie en déclarant qu‟il fallait retourner vers le patient, et que je dois recommencer une analyse sur ce point précis. Nous retournons donc nous installer à nos places, et Roudy me fait à nouveau signe après avoir vérifié que tout était calme pour le moment. Un bisou à Angela, un clin d‟œil à Dalaï-Lama, et Angela m‟expédie sur le « terrain ». Rapidement, je retourne aux environs de l‟endroit précédemment entrevu, je repasse à travers la frontière me séparant du monde quantique subatomique, et je me rapproche à peu près au même niveau que tout à l‟heure. En effectuant un zoom supplémentaire, il se produit un tremblement de l‟image et je constate que, non seulement la vue est agrandie, comme si je me rapprochais, mais en plus, les filaments émettent des clignotements de plus en plus lents, et je peux percevoir chacun d‟entre eux. Il s‟agit en fait de petits traits marron foncé qui se véhiculent sur le filament, sous une forme saccadée, passant d‟un point à l‟autre rapidement, stationnant un bref instant, puis passant au point suivant, et ça ressemble assez étrangement au transport ionique d‟information le long des cellules nerveuses du monde biologique que nous connaissons tous. Je suis à peu près convaincu que je viens d‟accéder à une dimension supplémentaire, me permettant de voir le temps s‟écouler physiquement, devant mes yeux. J‟ai, devant moi, une manifestation de l‟horloge universelle qui rythme tout, avec ses « tic-tac » élémentaires. En me rapprochant encore un peu pour mieux voir le lieu de l‟émission de ces tirets temporels, après avoir sélectionné la plus petite particule visible à cet endroit, je remarque qu‟ils émanent d‟une petite membrane grise, clignotant au même rythme que les émissions de tirets temporels. Cette membrane est, elle aussi, translucide et recouvre complètement l‟objet principal que je perçois vaguement derrière elle. En regardant mieux, la membrane paraît engluée à la surface 245


de l‟objet, car il y a une interface très fine entre elle et l‟objet, très fin, mais décelable. Un retour arrière dans le zoom me permet de préciser que chaque intervalle entre les tirets du temps est identique, et semble immuable. J‟ai comme l‟impression que chaque tiret est centré sur une sorte de quadrillage invisible, ce qui pourrait laisser imaginer que cet intervalle élémentaire est la longueur de Planck, de l‟ordre de dix à la puissance moins trente-trois centimètres, et que donc la vitesse de déplacement des tirets est égale à la vitesse de la lumière. Je suis complètement ahuri par l‟importance de cette nouvelle découverte, toutes les théories de Planck sont là, matérialisées devant moi ! En cherchant plus longtemps, il me serait possible de localiser la plus petite particule, celle qui n‟émettrait qu‟un seul tiret de gravité à chaque constante de temps de Planck, et je verrais alors physiquement la représentation de la constante de masse de Planck, mais je n‟ai pas le temps de fouiller l‟univers à six dimensions dans lequel je navigue actuellement. On verra cela plus tard. En « reculant » un peu, je me place de manière à voir une vingtaine de particules élémentaires dans le champ central, et je constate que chacune d‟entre elles émet un nombre variable de tirets élémentaires au même instant. Certaines en émettent tellement qu‟elles ressemblent à une touffe de poils très fins, des milliers voire des millions de poils fins qui l‟illuminent comme un objet décoratif en fibres de verre. Sur cette vingtaine de particules, je devine la présence des fameuses membranes individuelles grises qui les recouvrent, mais par contre, il me semble qu‟il y a quelque chose qui cloche, car, normalement, je ne devrais pas les voir aussi nettement, du fait du recul que j‟ai pris par rapport au petit objet où j‟ai découvert leur existence. Oui, c‟est plus net maintenant, ces membranes se « décollent » progressivement de leur support, elles s‟écartent de plus en plus, disons d‟une longueur de Planck (L) à chaque intervalle d‟un temps de Planck (T)… mais c‟est à la vitesse de la lumière ça ! Je recule encore pour visualiser quelques centaines de particules dans mon champ principal, et cela concerne toutes les particules, en synchronisme parfait. 246


Je recule très vivement jusqu‟à l‟univers à quatre dimensions, et plonge au cœur du cerveau du patient, avec le même zoom que précédemment. Là, c‟est un peu différent, il y a quelques particules qui font de la résistance, car leurs membranes ne se décollent qu‟avec retard par rapport à leurs voisines, ça fait un peu désordre tout cela ! Je reviens dans la salle, je regarde les personnes présentes, je vois les deux assistants qui s‟inquiètent devant les écrans de contrôle, je vois Angela qui semble hésiter en regardant vers moi, elle ne sait quoi faire, me débrancher ou me laisser poursuivre, et elle ne me débranche pas, finalement. Heureusement, car je peux ainsi assister à quelque chose d‟incroyable, une forme grise flotte vaguement dans la pièce, audessus du mourant. C‟est sûrement l‟agglomérat des membranes des particules qui se constitue progressivement, au fur et à mesure qu‟elles quittent leur support d‟origine. La forme est peu précise, comme si les membranes ne retrouvaient pas leur emplacement précis dans l‟espace, les unes par rapport aux autres. La transparence variable du « spectre » respecte à peu près les densités réelles de la matière du corps du mourant, mais sans plus. La seule chose qui est certaine, c‟est que les dernières membranes qui s‟échappent encore du corps proviennent plutôt de la zone cervicale et s‟agglutinent au spectre sous la forme d‟un cône, la pointe en bas. Brutalement, l‟ensemble du spectre se met à fluctuer dans l‟espace, comme des tremblements ondulants, et le tout disparaît subitement. Roudy et Dalaï-Lama se regardent, vérifient une fois de plus leurs écrans, et Dalaï-Lama ferme les yeux du mort. Angela dirige son index vers son commutateur, un peu inquiète, car si j‟avais disparu avec le spectre, sait-on jamais, elle ne saurait quoi faire, incapable de localiser ma bulle éventuellement disparue. Roudy lui fit signe, et elle me ramena entier et très fatigué. Il me faut plusieurs minutes pour récupérer, car ma bulle a de grandes quantités d‟informations nouvelles à transmettre à mon cerveau biologique, de manière à le mettre en synchronisme avec la 247


bulle, en lui transmettant ces nombreux évènements nouveaux que mon pauvre cerveau biologique ne pouvait pas enregistrer en direct. Les infirmières s‟affairent autour du corps sans vie, débranchant tout l‟appareillage devenu inutile, et préparent le transfert du corps vers la morgue en sous-sol. Nous nous dirigeons vers la salle de repos pour faire une mise au point en commun. Je leur raconte mes visions et mes hypothèses : elles sont bien comprises et aucune question ne m‟est posée, comme si tous mes interlocuteurs avaient déjà prévu tout ça, dans leurs rêves ou au cours de leurs réflexions scientifiques ou mystiques. Pour le Docteur Roudy, ça semble caractériser une structure technique décrivant logiquement les phénomènes décrits par les EMI. Il me fait confiance, car il sait que mon niveau d‟émotivité est très faible, face à des phénomènes complexes et apparemment inexplicables : selon lui, je suis une parfaite caméra dans des circonstances comme celles-là. Dalaï-Lama, choqué par le départ de son parent, s‟intéresse cependant plus précisément au phénomène du retour des EMI, car ça se rapproche beaucoup, selon lui, du processus de la réincarnation prévu dans sa religion. Je leur suggère de tenter une nouvelle expérience, quitte à perdre notre temps pendant quelques heures si elle n‟était pas concluante : cette expérience consisterait à me laisser « flotter » dans la salle de réanimation pendant deux heures, car si, par un pur hasard, il s‟agissait d‟une EMI avec retour, il me faut absolument assister à cela. Nous nous précipitons dans la salle au moment où le chariot en sort, et Roudy demande de tout réinstaller, ce qui me laisse le temps de me libérer d‟un besoin naturel et de prendre une bonne bouffée d‟air à l‟extérieur. Le monde entier extérieur continue son petit train-train, comme si rien ne s‟était passé, mais à quoi devaisje m‟attendre ? Roudy vérifie une nouvelle fois mes caractéristiques de rythme cardiaque et de tension, et nous nous installons pour une longue veille. Angela me propulse au plafond, et je laisse errer mon regard à droite et à gauche, devant et derrière, au-dessus et au-dessous. Je peux me « promener » via le zoom incorporé partout dans l‟immeuble et même au-delà. Je traverse les murs, et je m‟enfonce sous terre, tout est possible. 248


Je décide de vérifier si la bulle du mort est encore en place. Si je me réfère à mon expérience de communication avec la bulle de mon père, la bulle reste sur place, encore liée au corps jusqu‟à la complète désagrégation des cellules du cerveau. C‟est seulement ensuite qu‟elle peut être éventuellement déplacée, grâce à la procédure spéciale que nous ont apprise les Scimuts. Effectivement, la bulle est bien là, encadrée par celles de Roudy et Dalaï-Lama, et je la sélectionne. Le visage du mort apparaît, et semble reposé, gris et sans expression : je me concentre sur son visage et l‟image change brusquement. Il avance vers la fameuse lumière, et j‟assiste à travers ses « yeux » à une conversation par transmission de pensée entre le mort et ce nouveau phénomène lumineux : je devine leur discussion, la lumière semblant hésitante sur la conduite à tenir visà-vis de ce nouvel arrivant, et elle lui demande un temps de réflexion avant de prendre sa décision finale. Il y a urgence, car si elle décide de le renvoyer sur Terre, je dois immédiatement sortir de cette bulle et revenir à mon poste, et je reviens donc dans la salle. Quelques secondes plus tard, le spectre se formalise de nouveau et commence à réintégrer le corps, en commençant par le cerveau. Je zoome sur le cerveau, et je constate la redistribution des membranes sur les particules, sans échec visible apparemment. Je reviens dans la salle, mes amis sont à pied d‟œuvre et regardent les signaux des écrans qui commencent à se manifester. Roudy fait un signe à Angela, me voilà de retour pour assister au réveil du nouvel EMI. Nous avions peu de chances de voir ce phénomène sur un cas précis, mais il y a sûrement une explication, et j‟ai une petite idée là-dessus. Progressivement, le patient retrouve un peu de couleur, et les infirmières lui injectent des quantités incroyables de morphine pour dissiper la douleur qui se manifeste à nouveau. Lorsqu‟il ouvre les yeux, Dalaï-Lama se met à pleurer de joie, et Roudy scrute tous ses mouvements. Ses lèvres s‟ouvrent et il chuchote quelque chose que je ne saisis pas. Roudy tend un micro ultrasensible pour enregistrer ses paroles et Dalaï-Lama le rassure par des paroles apaisantes sur son état. 249


Je les laisse faire, et m‟éclipse avec Angela pour prendre un nouveau bol d‟air. Nous parcourons le parc de l‟hôpital en parlant de nos enfants, pour dissiper le caractère morbide des scènes vécues. Nous revenons en salle de repos au bout d‟une vingtaine de minutes, après avoir rendu une visite au distributeur de café. Nos deux amis sont déjà en place et impatients de m‟écouter. Je décris les étapes le plus précisément possible, en laissant quelques instants de réflexion entre chacune. Lorsque je termine, Roudy met en route son magnétophone portatif, et nous entendons le mourant décrire la scène avec son interlocuteur. Celui-ci l‟a renvoyé sur Terre, non pas pour qu‟il continue à faire le bien et acquérir plus de connaissances, mais simplement parce que la communication était troublée par un « parasitage », c‟est exactement l‟expression qu‟il a employée. Ça correspond parfaitement à mon hypothèse, lorsque j‟ai craint que ma présence dans la bulle du mourant puisse être détectée de l‟extérieur et que je suis précipitamment redescendu dans la salle de réanimation. Dalaï-Lama comprend alors que la rémission serait de très courte durée et nous déclare qu‟il retourne au chevet de son parent pour assister à ses tout derniers instants. Nous échangeons encore quelques phrases avec Roudy qui nous déclare qu‟il gardera le secret sur ce cas précis, promettant de nous prévenir pour tout autre cas se présentant à Delhi. Nous faisons nos adieux à nos amis, et nous retournons directement au temple sacré pour mettre TOPLA au courant, et prendre aussi quelques jours de repos pour nous ressourcer comme on dit.

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La mémorisation en tranches. Quinze jours se sont écoulés calmement à TOPLAB2, rythmés par les rapports journaliers d‟Aloa depuis l‟ONU, et de Nico depuis Nova. Tout se passe comme prévu, et sans heurts. Pyco, Labo et Tora nous invitent à une réunion de mise au point du programme futur, en « présence » de Capt et d‟Aria. Nous devons définir la suite à donner, et décider jusqu‟où nous pouvons aller dans cette folle aventure. Je me propose pour aller plus loin encore, quitte à mettre ma vie en jeu, à condition que mon corps soit conservé au froid pour me donner une toute petite chance de revenir si ça m‟était possible. Cette expérience aura donc lieu ici, dans notre laboratoire, très bien équipé pour ce genre d‟opération survie. J‟insiste en argumentant sur la réaction étonnante du gardien de « lumière » qui a détecté ma présence, ce qui laisse à penser qu‟on peut lui conférer une certaine logique adaptative, en fonction de circonstances particulières, et donc, on peut aussi espérer qu‟une « négociation » est envisageable avec ce gardien de lumière, pour me laisser « entrer » dans les limbes. Nos expériences nous ont en effet prouvé que, lorsqu‟une bulle communiquait avec une autre, personne d‟autre ne pouvait y accéder, ce qui empêchait certes les conférences à trois personnes ou plus, mais garantissait une certaine confidentialité. Apparemment, le gardien de lumière n‟est pas capable de s‟immiscer dans une conversation en cours, et cette lacune nous servira peut-être plus tard. J‟imagine aussi que le simple fait que je prenne un tel risque pour le rencontrer traduira de ma part une immense volonté d‟accéder à une plus grande Connaissance, et que le billet d‟entrée sera ma récompense, puisque je n‟ai pas peur de la mort. Par ailleurs, ma présence dans les limbes ne pourra pas être considérée comme résultant d‟un acte volontaire de suicide, puisque tout est prévu en bas pour me réincarner sans dommages physiques. Avec un peu de chance, je peux espérer me faire renvoyer sur Terre après ma visite… enfin, on peut toujours vivre d‟espoir, ça doit être vrai là-haut aussi. 251


Plusieurs objectifs peuvent être définis pour cette expérience, et nous en établissons la liste ensemble. — Une copie de la bulle fait-elle partie intégrante du spectre ? Ça semble vraisemblable, car la mémorisation du passé de la personne doit se véhiculer dans les limbes également, ne serait-ce que pour permettre de revisiter ce passé à très grande vitesse. Par ailleurs, la mémorisation de ce qui se passe dans les limbes doit se faire également, puisque les EMI s‟en souviennent à leur retour. Cette copie de la bulle est donc un peu particulière dans cette nouvelle dimension, car elle est nettement plus performante, ultra rapide, et encore ne connaissons-nous qu‟une toute petite partie de ce qu‟elle peut permettre, par exemple cette capacité de transmission instantanée des pensées, ou encore l‟apprentissage instantané de l‟ensemble des Connaissances concernant le fonctionnement de l‟Univers. Nous avons bien noté que cet aperçu de la Connaissance totale est effacé lorsque la bulle des limbes réintègre la bulle terrestre, mais le reste de l‟aventure dans les limbes subsiste et reste accessible. Sa rapidité extrême est vraisemblablement autorisée par le fait qu‟elle n‟est plus dépendante de la vitesse de fonctionnement du cerveau biologique, puisqu‟elle en est maintenant détachée. On peut en avoir une image terrestre en considérant un PC doté d‟un processeur ultra rapide qui serait ralenti par la très faible vitesse de rotation de son disque dur. Ce mariage de la carpe et du lapin pour la bulle (a priori omnipotente) et le cerveau humain (si limité) laisse imaginer que, sur d‟autres planètes, les êtres vivants peuvent disposer d‟une tout autre capacité de leur vivant, car leur cerveau biologique est probablement d‟une tout autre nature que le nôtre, la bulle étant universelle et commune à tous les êtres vivants. Quid des animaux dans les limbes ? — Explication nécessaire sur les univers multidimensionnels, et surtout sur les interconnexions entre eux, les interventions possibles depuis un univers de dimension élevée sur un autre univers de niveau inférieur, etc. ? — Les limbes sont-ils une image copie conforme de l‟Univers à quatre dimensions ? Les spectres humains sont-ils présents sur 252


Terre, en permanence, et en même temps que les humains ? Quelle est la durée de vie des spectres ? Sont-ils des spectres pour une durée inconnue, dépendant d‟autres évènements incontrôlables ? Les différences races de l‟Univers sont-elles autorisées à communiquer, voire à se rencontrer ? La vitesse de déplacement physique d‟un spectre est-elle infinie, comme l‟est apparemment celle de sa vision à grande distance ? Me sera-t-il possible de communiquer avec le clone d‟Aria sur Mira, par exemple ? — Quel est donc le statut d‟un gardien de lumière, appelons-le gardien ? Est-ce un spectre particulièrement performant qui a été finalement élevé à un certain grade ? Combien de grades ? Capacités spécifiques de chaque grade ? Quelle est la liberté relative d‟un gardien dans son rôle ? Existe-t-il des sanctions s‟il dévie de son rôle ? Y a-t-il plusieurs catégories de spectres ? Les bons et les méchants ? Y a-t-il des conflits potentiels entre les spectres de base et les gardiens ? — La liste s‟arrête là, car elle serait sans fin.

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Comment aider une amie disparue ? Quelques jours plus tard, nous sommes tous au travail dans le laboratoire, et soudain, Capt fait irruption dans mon crâne en criant : — Aria est morte, venez m‟aider ! — Que dites-vous là ? — Aria ne retient plus rien, elle en est restée à hier soir, je ne peux rien faire pour elle ! — Quelle explication donnez-vous ? — La seule possible, c‟est un accident au centre de conservation de nos deux corps sur Mira. Cela arrive, mais très rarement, c‟est en fait exceptionnel. — Rien n‟est perdu, Capt, ça ne fait qu‟avancer le moment de mon long voyage dans les limbes, je vous promets de la retrouver et de tout faire pour que vous vous retrouviez ensemble. — Non, c‟est plutôt à moi de faire ce voyage, et de la rejoindre définitivement, c‟est mon problème. — Mais vous savez bien que c‟est impossible, puisque votre corps biologique est sur Mira, et qu‟il est inatteignable à très court terme dans notre Univers à quatre dimensions ! — Vous avez raison, je débloque complètement ce matin. — Par ailleurs, le suicide est mal perçu là-haut, vous ne seriez même pas certain de pouvoir la retrouver. Par contre, moi, je connais mieux ce nouvel espace, et mon corps est ici, Angela pourra vérifier mon état et se consoler en discutant avec moi du bon vieux temps, tout comme vous d‟ailleurs le ferez avec la bulle d‟Aria. Ce cas étant un cas à part, il n‟est pas sûr que, si je retrouve Aria, elle soit « entière », sa bulle était quand même à des annéeslumière de son corps, et je ne sais pas ce que je vais trouver là-haut.

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Notre discussion s‟arrête là, je mets l‟équipe au courant du drame que « vivent » nos deux amis fidèles, et je demande à Labo de mettre en route le conditionneur qui va conserver mon corps, pour être en mesure de revenir, si on me l‟accorde. Pyco me fait toute une série de piqûres destinées à « préparer la momie » comme il dit en riant, et Tera console Angela qui ne s‟attendait pas à un départ si rapide. Nina et Boni sont tristes, comme s‟ils avaient perçu un remue-ménage de mauvais augure, et nous prenons un dernier déjeuner ensemble, chacun tentant de faire baisser la pression à sa manière. Le grand départ est pour dix-huit heures, nous faisons une dernière promenade à l‟extérieur avec les bonobos qui se lamentent derrière nous, puis nous allons en salle de conservation. Labo surveille ses instruments, Pyco vérifie mes caractéristiques physiques, et tout le monde me fait une bise appuyée, y compris Capt depuis sa bulle. Angela a des difficultés à se détacher de moi au moment critique où Pyco appuie sur le bouton fatal. Je suis maintenant dans ma bulle, tout semble normal, l‟attente est longue, je laisse l‟écran vide de toute image et je ne me concentre sur rien d‟autre que ma mort, qui va survenir très bientôt. Un grand tremblement de ma vision se produit, puis elle s‟élargit à l‟extrême, sans limites, tout est en variétés de tons de gris, et ça défile comme dans un tunnel. Je suis comme un héros de jeu vidéo en train de courir à une vitesse folle dans le tunnel d‟un donjon très dangereux. Mais la fin du tunnel approche, ça ralentit, je ne m‟attarde pas sur le paysage, car un gardien se dirige vers moi, à vitesse réduite. Je devine quelques contours confus au sein de cette lumière, et la pensée du gardien inonde ma bulle. — Qu‟as-tu fait de ta vie ? — J‟ai fait le bien du mieux que je pouvais, et j‟ai tenté de renforcer l‟Amour des hommes entre eux, sans y parvenir complètement. — As-tu approfondi tes connaissances ? — J‟ai terminé ma vie exclusivement dans ce but, pour le bien de tous. 255


— Tu vas revoir ta vie entière, et moi de même, nous verrons ensuite le sort qui t‟est réservé. Le film complet se déroule à très grande vitesse, je ne suis pas surpris, même si je retrouve quelques phases que j‟avais enfouies profondément dans mon subconscient. Ici, on ne peut pas tricher ou cacher quelque chose, c‟est très clair. Le gardien se profile à nouveau devant moi, et je le sens perplexe, hésitant sur la conduite à tenir. Je devine qu‟il fouille dans ma mémoire pour confirmer son impression, puis il me dit : — Tu es le tout premier cas de ce genre que nous voyons arriver depuis la Terre. Je sais tout, et je sais aussi que tu veux jouer le jeu. Je sais que tu cherches à retrouver une amie récemment décédée, je sais que tu as avancé ton voyage qui était prévu de toute façon. — Allez-vous m‟accepter dans ce contexte très particulier ? — Ton cursus plaide en ta faveur, et c‟est de plus par amour pour un être vivant d‟une autre race que te voilà parmi nous, ce qui est exceptionnel. Je vais contacter mes responsables, je soutiendrai ton projet, mais il se peut qu‟ils souhaitent te rencontrer avant de décider. Reste là, je fige ta position physique, tu peux regarder, personne ne viendra te parler, et attends-moi. L‟attente durera l‟équivalent d‟une heure selon ta perception du temps actuelle, profite du spectacle. Le gardien s‟évanouit en un clin d‟œil, la luminosité ambiante baisse énormément et je vois enfin l‟environnement qui m‟accueille. Je suis « debout », je ne perçois rien qui ressemble à des membres, pas d‟odeur, pas de bruit, pas de présence de paupières ni de clignement d‟yeux, pas de sensation de pesanteur, je suis debout, c‟est tout, et c‟est beaucoup, car sans gravité apparente, ça reste à expliquer. La zone est montagneuse, mais je ne reconnais pas cette vallée où je suis à présent. Une rivière coule au bout du pré, les couleurs sont vives, le tout est en relief « amélioré ». Des groupes de formes spectrales sont en train de discuter, à environ trois cents mètres, et ils paraissent regarder par ici. Ça ne doit pas être fréquent de voir un nouvel arrivant cloué au « sol » et le gardien absent. « De qui s‟agit-il pour expliquer cette procédure exceptionnelle ? » me transmettent leurs pensées. 256


J‟exerce ma vision pour vérifier qu‟elle est capable d‟aller très loin. Je m‟élève au droit de ma position actuelle et je regarde intensément vers le lointain, vers le sud, par rapport à un soleil bien présent et rassurant. Je suis à vingt mille mètres environ, et plus je me rapproche de mon point de visée, plus je perçois des grandes villes en dessous, des immenses fleuves, puis l‟océan. Je reviens en arrière, au-dessus de la plus grande ville, je reconnais Delhi et je localise même l‟hôpital où nous étions récemment. Je retourne sur Terre, car c‟est bien de la Terre qu‟il s‟agit. Les groupes qui me regardaient ont disparu, et deux gardiens arrivent lentement vers moi. Le plus grand a une couleur plus dorée, et il m‟aborde ainsi : — Gaël m‟a expliqué la situation. Je reconnais que vous êtes le premier Terrien à faire le voyage dans ces conditions, mêlant Amour et Connaissance comme objectif. Le cas de Jésus est un cas tout à fait à part, car c‟est nous qui l‟avons envoyé sur Terre sur décision de la hiérarchie, pour éclairer les humains sur le sens profond de leur destinée terrestre. Apparemment, ils n‟en ont pas retenu grand-chose, et deux mille ans se sont écoulés avec peu de résultats tangibles. Vous aurez peut-être l‟occasion de le rencontrer, car il vient parfois nous visiter pour faire le point sur l‟avancement. J‟ai bien compris le sens de votre action, et je vous autorise à rester le temps que vous souhaiterez ici. Gaël va être déchargé de ses fonctions pour vous accompagner et vous aider à réaliser votre quête. Sachez qu‟Aria vous attend, nous l‟avons prévenue, et elle vous bénit par avance. Elle retrouvera sa bulle d‟origine si elle le souhaite, mais seulement après que vous l‟aurez retrouvée. Elle connaît cette condition. Gaël perdra la moitié de sa luminosité, ce qui permettra aux autres gardes de reconnaître qu‟il est en mission spéciale. Ainsi, vous aurez tous deux accès à tous les domaines que nous gérons, dans les limbes de cet Univers qui n‟est qu‟un Univers parmi d‟autres. Vous aurez accès à Mira, évidemment.

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Je vais vous laisser, travaillez bien, et si vous réussissez dans votre entreprise, vous pourrez devenir un garde comme Gaël, sur le secteur Terre ou un autre de votre choix. Dans l‟hypothèse probable où certains de vos amis décideraient de vous rejoindre ici, nous leur proposerions le même type de contrat, mais vous n‟aurez pas l‟occasion de communiquer avec eux pour leur proposer, car seul Gaël détient ces clefs-là. Dieu vous bénit dans votre entreprise ! Gaël resta seul avec moi, je me sentis instantanément « libre » de me « mouvoir », sur simple concentration visuelle. Gaël m‟entraîna à l‟écart, en direction d‟une masure isolée, me disant que je dois apprendre beaucoup de choses pour avoir une petite chance de réussir. Nous entrons par une porte basse, et nous installons pour une longue soirée d‟apprentissage dans la pièce unique où subsistent les restes d‟un feu et d‟un repas. Bizarre, mais je n‟ai pas faim, je ne suis pas fatigué, ce genre de perceptions biologiques est banni ici.

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La hauteur de vue du Professeur Gaël. Gaël me dit qu‟il a bien vu la liste de questions de l‟équipe concernant les limbes, et il m‟explique qu‟il est préférable qu‟il me donne des explications détaillées, point par point, de manière à ce qu‟elles restent présentes en mémoire immédiate, compte tenu de la difficulté du parcours que j‟envisage. Je pourrai ainsi immédiatement prendre des décisions, au lieu de visualiser à nouveau l‟ensemble des Connaissances et d‟y effectuer une recherche plus spécifique du sujet à traiter. Il ajoute que ce procédé ressemble beaucoup au principe des « Favoris » sur Internet qui fait gagner beaucoup de temps. Je pourrai effectuer cette mise en Favoris moi-même, en fouillant dans l‟immense base de la Connaissance, mais ce serait long, et à quoi servirait Gaël dans ce cas ? — Tiens ! une pointe d’humour chez Gaël, je dois pouvoir m’en faire un ami, pensé-je. — Mais je suis déjà un ami, ça sert à quoi l‟amour, alors ? — Je n‟ai pas encore bien intégré cette possibilité de transmission de pensées, et je suis confus pour cette réflexion intime qui m‟a échappé. — Ne t‟inquiète pas, seuls les gardiens ont cette capacité d‟accéder aux pensées intimes, même si l‟interlocuteur en a verrouillé l‟accès. Tu peux toi-même verrouiller l‟accès en te connectant à quelqu‟un d‟autre ou en partant en voyage mystique. Si tu restes très statique intellectuellement, tu redeviens accessible aux autres. C‟est à peu près le même fonctionnement que tu avais déjà constaté dans ta bulle personnelle. Je vais maintenant essayer de répondre à toutes vos questions, peut-être dans le désordre, mais je vais essayer d‟être exhaustif dans mes explications. Ce que tu appelles spectre est une âme, n‟aie pas peur du mot, car c‟est bien de cela qu‟il s‟agit, dans son sens plein, l‟intégralité de ton existence passée, de ta conscience et de ton intelligence acquise sur Terre s‟y retrouve à ton arrivée. 259


Ton âme va continuer à évoluer ici, et ça pourra aussi bien être dans le bon sens que dans le mauvais, ça ne dépendra que de toi. Sache cependant que l‟évolution négative, dans le mauvais sens, est peu fréquente et ne concerne que des âmes qui se refusent à acquérir plus de connaissances ou à procurer plus d‟amour aux autres. Ce sont généralement des êtres qui imaginent payer leurs dettes en pratiquant une forme de suicide par négation dans les limbes, ou encore des êtres tellement égocentriques et égoïstes qu‟ils se croient à l‟abri de tout problème, car les limbes ne leur paraissent pas très dangereux après tout. Ils ont pourtant été informés qu‟il n‟y a pas de porte de sortie pour eux, mais ils nient nos recommandations. Concernant ta bulle terrestre, elle est toujours sur Terre, imputrescible, et tu es actuellement dans son double, constitué par les membranes de ton ancienne bulle qui ont quitté la Terre, pour se reconstituer dans ce nouvel univers où tu ne possèdes plus de forme matérielle précise, comme toutes les autres âmes, moi y compris. Cette absence de l‟ancienne forme est explicable seulement par une volonté de permettre les communications entre les âmes aisément, sans le handicap de l‟apparence physique qui compromet tant de situations sur Terre (peur de l‟autre, racisme, misogynie, homophobie…). L‟amour ici n‟est pas physique, il est seulement intellectuel, chacun est au même niveau et ne dépend que de lui-même, son passé ayant certes une influence, mais le retard est tout à fait rattrapable, c‟est uniquement une question de volonté personnelle, rien n‟étant imposé ni garanti, c‟est la liberté totale. Tu rencontreras des âmes d‟hommes de Neandertal, de Florès, et bien sûr d‟animaux et d‟insectes divers, sans oublier les dinosaures ! Tout ce qui a eu une vie sur Terre est ici. C‟est une sorte de réserve de tout ce qui a eu droit à l‟étincelle de vie, en recevant une enveloppe de bulle vierge au stade fœtal. Tu n‟as pas pu voir l‟instant de la copie de la bulle du mourant que tu as assisté avec Angela et tes amis, mais c‟était également un décollement de l‟unique membrane qui recouvrait sa bulle terrestre. Tu ne pouvais pas voir ta propre membrane depuis l‟intérieur de ta bulle, pour des raisons de physique optique dans l‟espace à six dimensions. 260


Ton âme ici n‟a aucune masse, ni aucune énergie au sens terrestre de l‟énergie, aucune charge électrique, et elle n‟est porteuse que d‟informations acquises et de puissance d‟analyse et de raisonnement. Ton évolution dans les limbes ne dépendra que de ta volonté de te servir de cette puissance, enfin libérée des contraintes biologiques terrestres, et elle dépendra également du but que tu poursuis quand tu l‟utilises. L‟univers des limbes est un univers copie conforme de l‟univers dont tu viens. Il est constitué exclusivement d‟antiparticules, la fameuse et discrète antimatière que vous recherchez partout dans votre univers à quatre dimensions. La forme stable de l‟antimatière, c‟est ici. Il existe aussi, ici même, les formes instables et fugaces de la matière ordinaire que tu connais, mais ce ne sont que des phénomènes miroir de ceux qui se produisent chez son univers « jumeau ». Il n‟y a cependant pas de copie des êtres vivants dans les limbes, tu n‟en verras donc pas, les membranes des cellules vivantes contenant l‟ADN sont uniques et ne peuvent exister en deux endroits à la fois. Ne sois donc pas étonné de pouvoir monter dans un autobus sans conducteur et apparemment vide, et qui t‟amènera quelque part si tu le souhaites. Une excellente occasion de visiter la Terre en toute tranquillité, et sans être gêné par la pollution des grandes villes, car cet univers n‟y échappe pas. Vous avez découvert que quelque chose de particulier se passe pour que la vie s‟installe vraiment au cours de la période fœtale. C‟est bien sûr dû à la mise en place de la membrane contenant la nouvelle bulle, vierge de toute connaissance. Les membranes vierges proviennent du niveau supérieur, auquel nous n‟avons pas accès dans l‟immédiat, mais tu découvriras cela plus tard. Retiens simplement que ce niveau supérieur comporte sept dimensions, donnant la capacité de modifier la trame de l‟espace-temps. Les deux univers jumeaux ne sont séparés que par la trame de l‟espace-temps, et seuls certains trous noirs jumeaux de très grande énergie percent l‟espace-temps pour disparaître finalement ensemble dans un dégagement colossal d‟énergie, lequel reconstitue la trame originelle qui sépare à nouveau les particules et les antiparticules créées lors de leur explosion finale. 261


Certaines théories de vos scientifiques imaginent que la matière noire et l‟énergie noire pourraient expliquer la disparition de l‟antimatière stable dans votre univers, mais c‟est autre chose, qu‟il vous reste à découvrir. Il faut bien que les scientifiques aient de quoi aiguiser leurs neurones, non mais ! Les âmes ne sont pas autorisées à retourner dans leur univers d‟origine, autrement dit les fantômes n‟existent pas sur Terre, sinon pour le plaisir de se faire peur au cinéma ou au fond de son lit, en lisant le dernier best-seller de l‟horreur et du fantastique. Les seules âmes autorisées le sont à titre exceptionnel, et au cas par cas, ce sont les EMI que tu connais, décidées par les gardiens, comme moi, par exemple. Je vais maintenant te parler un peu de moi, ça nous rapprochera un peu plus. Si on fait l‟effort de mieux connaître l‟autre, on va toujours dans le bon sens, car on efface toutes les fausses impressions, on va directement à la source, et l‟aventure est plus intéressante finalement. Je suis gardien depuis le seizième siècle, originaire du Pérou, décédé au cours des guerres d‟extermination espagnoles en Amérique du Sud, en 1560. J‟ai obtenu ce niveau parce que je m‟étais opposé sur Terre aux déviances du catholicisme ibérique, en reprochant à ces envahisseurs de détruire à terme leur propre religion, qui ne s‟en est d‟ailleurs pas relevée. En tout cas, c‟est la position commune ici, parmi les gardiens. L‟envoi de Jésus n‟a servi à rien, les hommes ne sont pas encore assez mûrs pour cela, même deux mille ans après. Nous espérons que des êtres comme toi pourront peut-être faire évoluer la situation, en les laissant revenir sur Terre pour distiller un peu plus de science et de connaissance, la véritable connaissance, celle qui servira réellement à acquérir quelque chose qui sera utile dans les limbes. Je dois te dire que notre avenir ici est indéterminé tant qu‟un certain niveau d‟amour et de connaissance ne sera pas atteint en moyenne sur Terre, et sur les autres planètes abritant la vie. Jésus a recommandé de laisser croître la présence de la vie intelligente sur la Terre, mais c‟était dans un but unique, celui d‟accélérer les mutations génétiques qui, seules, permettent d‟autoriser une évolution favorable de l‟intelligence moyenne des êtres vivants. Comme il ne voulait pas parler de l‟évolution des espèces à cette 262


époque, le message n‟est pas passé, et les fanatiques à la recherche du pouvoir temporel ont dévié ce message à des fins personnelles. Tu les rencontreras à l‟occasion dans les limbes, et tu auras l‟occasion de les faire parler sur ce sujet tant controversé. Tu te poses aussi des questions au sujet de l‟immuabilité des gardiens, sur le fait qu‟il pourrait leur arriver de tomber dans le déviationnisme, de faire des erreurs graves. Eh bien ! oui, il est arrivé que certains dévient, et se fassent rappeler à l‟ordre, en redevenant une âme ordinaire, perdant de ce fait leurs pouvoirs spécifiques de gardien. Ça ne va pas plus loin que ça, mais c‟est beaucoup pour celui à qui ça arrive. Quant aux conflits potentiels entre les gardiens et les âmes, il n‟y en a que très peu, généralement initialisés par celles qui sont exclusivement orientées vers elles-mêmes, ou qui souhaitent accéder à un pouvoir personnel sur les autres. Par contre, il y a de fréquents conflits entre les différents groupes qui se forment instinctivement par mimétisme, mais les conflits entre néandertaliens et hommes modernes sont très rares, ces derniers servant de professeurs pour les anciennes espèces humaines. Les conflits avec les animaux sont eux aussi exceptionnels, car les anciennes espèces humaines cohabitent volontiers avec les animaux, qui apprécient beaucoup les contacts affectueux et qui n‟ont plus aucun besoin alimentaire. — Mais, Gaël, quel est le but ultime des Limbes ? Comment est-on informés de l‟avancement vers l‟objectif qui nous est fixé ? Où en sont les autres espèces vivant sur d‟autres planètes dans la réalisation de ce même objectif ? Comment contacter ces autres espèces pour les aider, si ce sont elles qui retardent toutes les autres ? — Le but ultime, tu le connais. Le seul problème, c‟est qu‟il n‟est pas quantifiable, et que seul le Créateur le connaît. Ça nous rend dépendants d‟un critère sur lequel nous n‟avons aucun pouvoir, et c‟est d‟ailleurs un problème ici, car des groupes se forment pour commencer à manifester contre ce qu‟ils appellent l‟esclavagisme des Limbes, un terme un peu fort, certes, mais qui traduit une inquiétude réelle. Cette réaction est surtout perceptible 263


chez les nouveaux arrivants, de plus en plus éduqués, et toujours demandeurs de plus de connaissances pour tenter d‟échapper à ce qu‟ils appellent un piège. Nous avons eu connaissance de quelques cas de rébellion qui se sont terminés par la disparition des âmes concernées : on nous a expliqué qu‟elles avaient été transférées sur une planète devenue viable récemment où ils devront montrer un comportement exemplaire pour revenir ici. Certains ont commencé à nous rejoindre, et ils font maintenant profil bas. Je n‟en sais pas plus, car ça se passait sur d‟autres régions de l‟univers. Toutes les régions de l‟univers sont présentes dans les limbes, avec le même objectif global. Certaines régions assistent les autres pour diffuser la paix et la survie des espèces locales, et Mira en est un exemple typique, bien qu‟elle soit considérée comme déviante, puisqu‟elle limite les naissances et pratique le clonage. Les âmes Scimuts se défendent en expliquant que ce n‟est pas le nombre qui compte, mais la qualité, car ils sont persuadés que prolonger leurs vies grâce au clonage permet d‟élaborer des âmes plus performantes, par le cumul d‟expériences positives sur une plus longue période pour chaque individu. C‟est un sujet fort polémique, bien entendu, et les Visiteurs qui passent régulièrement nous contrôler n‟ont pas encore pris une position définitive à ce sujet. J‟ai personnellement eu l‟occasion d‟aller dans les limbes de Mira, en délégation officielle : c‟était un moyen de parfaire ma formation de gardien débutant. Nous avons utilisé un moyen de transport d‟âmes très particulier, connu seulement des Visiteurs, et j‟ai même eu la chance de rencontrer le couple Capt et Aria qui faisait partie du comité d‟accueil, compte tenu de leur grande expérience des autres espèces qu‟ils ont aidées. Tu noteras que ce n‟est par un pur hasard que ce soit moi qui t‟ai accueilli ici. Tout être ayant été en relation avec les Scimuts doit être traité en conséquence, tant que la décision finale n‟aura pas été prise les concernant. Ça ne signifie pas que tu es sous surveillance rapprochée, mais ça y ressemble un peu beaucoup quand même. Cependant, je t‟assure que je prendrai mes responsabilités en te traitant correctement, comme une âme ordinaire, et que je te défendrai même si je constate que tu es injustement soupçonné. 264


J‟ai été un contestataire éminent sur Terre, c‟est pour ça que j‟ai été promu, mais je reste un contestataire dans le fond, rien ne me fera changer d‟attitude. Mes supérieurs le savent bien, je ne me gêne pas pour leur rappeler à l‟occasion. S‟ils m‟ont désigné pour cette mission spéciale avec toi, y compris pour te permettre d‟aller sur Mira, c‟est parce qu‟ils reconnaissent que mon sens critique est fort développé et impartial : mes rapports précédents l‟attestent. Prenons un peu de temps libre, toi et moi, et réfléchissons chacun dans notre coin sur la suite des opérations. Je vais en profiter pour faire une pause mystique salutaire. Tu me verras immobile, mais ne t‟inquiètes pas, c‟est normal.

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Un voyage très rapide vers Mira. La nuit passa très calmement, le léger bruit du vent ne gênant pas la réflexion personnelle qui était la nôtre. Je remarquai au passage que la vision de nuit était à peine affaiblie, et que tous les rayonnements étaient visibles, infrarouges et ultraviolets compris. Je localisai un incendie de forêt, à environ cinquante kilomètres à l‟Ouest, par son rayonnement infrarouge. Ce système de vision est sophistiqué, car il amplifie les très faibles rayonnements, et, à l‟inverse, il diminue les trop forts rayonnements, pour permettre de souligner les contrastes réels. Il me faudra demander à Gaël si la vue que nous avons d‟objets très lointains, par exemple un autre système solaire, correspond au temps actuel de l‟observateur ou s‟il y a un décalage de temps vers le passé, comme sur Terre, dans l‟autre univers. Je suppose que ce décalage est inexistant ici, sinon les communications à grande distance seraient impossibles entre les gardiens, qui ont absolument besoin de l‟instantanéité de leurs échanges qui exigent des décisions rapides, par exemple pour le retour sur Terre des EMI, par exemple. Si cette instantanéité existe pour les échanges de la vue et la pensée, qu‟en est-il des mouvements des enveloppes des gardiens eux-mêmes ? Me sera-t-il nécessaire d‟aller « physiquement » sur Mira pour y rencontrer Aria, ou bien l‟échange par la pensée suffira-t-il pour traiter cette question du retour d‟Aria sur Terre ? Le soleil se lève sur un ciel débarrassé des quelques nuages qui voilaient la lune, cette nuit. Gaël se déplace vers la porte puis revient vers moi : — Tu as préparé des questions, alors je réponds tout de suite. Tes hypothèses sont les bonnes, les vitesses atteignables pour les informations sont bien plus rapides dans cet univers. Il a été conçu ainsi, car c‟est l‟univers où l‟information est privilégiée, l‟âme n‟étant pas dépendante d‟un corps matériel qui limite beaucoup trop sa capacité d‟expression de l‟autre côté. 266


Ici, tout s‟apprend plus vite, les échanges se font plus rapidement, bref, nous avons accès aux capacités ultimes de l‟information dans cet univers. Toute l‟information, ici, transite par une trame supplémentaire « collée » de ce côté-ci à la trame de l‟espace-temps classique, cette dernière étant commune aux deux univers jumeaux. Le véhicule, ou plutôt la particule élémentaire de l‟information est le digiton, une particule sans masse, sans charge électrique, sans énergie potentielle, mais véhiculant une charge d‟information élémentaire. Elle est unique, aucune autre ayant cette spécificité. Dans l‟autre univers, les digitons sont obligés de se faire véhiculer par des photons ou des neutrinos auxquels ils sont couplés pour leur transit, ce qui limite les vitesses d‟échange. Ici, les digitons utilisent la trame rapide spécifique à l‟information, ce qui leur permet une vitesse presque infinie. La vision d‟une galaxie située aux confins de l‟univers est en temps réel, ce que l‟on voit est ce qui s‟y passe à l‟instant présent, au dixième de seconde près. Les communications avec Mira sont quasiment instantanées, car Mira n‟est qu‟à quelques annéeslumière de la Terre. De ce fait, il est vraiment inutile de se transporter « physiquement » sur Mira pour communiquer avec ses « âmes ». Il faut retenir que dans l‟autre univers, le photon ou le neutrino peut être ralenti ou même détruit, c‟est en fait très rare pour le neutrino, mais ça arrive. L‟information visuelle est souvent modifiée par les déviations des photons, ce qui explique les difficultés d‟observation à grande distance qu‟ont vos astronomes et radioastronomes. Sur un autre plan, l‟information relative à la pensée n‟est pas complètement fiable, puisque les neutrinos peuvent quand même être détruits ou déviés. Ici, nous ne pouvons tolérer la moindre erreur de transmission de la pensée, car ça pourrait avoir de très graves conséquences. Il y a cependant une toute petite faille dans cet univers, mais elle reste théorique. En effet, si le réseau de la trame des digitons était fort surchargé, il pourrait arriver qu‟une information ne puisse parvenir à son destinataire, ou sous une forme dégradée. Ce n‟est qu‟une hypothèse d‟école, car il faudrait pour cela que des milliers d‟informations soient échangées au même instant sur le même tronçon du parcours, ce qui n‟arrive jamais dans la pratique. 267


Mais je t‟en ai trop dit, passons à autre chose. Je vais te conduire vers le groupe représentatif des Auvergnats français, un groupe qui s‟est installé en France jumelle, sur le plateau du Larzac, près du célèbre viaduc de Millau. Ils ont choisi cet endroit, car il possède un environnement qu‟ils apprécient beaucoup, des petits ruisseaux, des tourbières d‟altitude, bref, c‟est leur région. Quand je dis « te conduire », c‟est une expression impropre, car nous resterons ici, et ne ferons que communiquer avec eux. Tu découvriras ainsi les performances étonnantes de ce moyen de communication. Il te suffira de penser profondément à ton arrière grand-père, le fameux garde champêtre, et tu le verras apparaître sur le plateau, et tu lui parleras comme tu l‟entends, tout le temps que tu voudras. Mon rôle consiste à t‟ouvrir le chemin de la trame d‟information. Je t‟apprendrai comment le faire toi-même par la suite. J‟ouvre ce chemin en « déformant » la trame d‟information pour la rapprocher de toi, pour te permettre de communiquer sans effort. L‟effort que je fournis à cette occasion commence par un état de veille mystique dans lequel je vais me placer. Ne t‟inquiète pas, je ne peux accéder à votre dialogue pendant ce temps, mais je saurai quand ce sera terminé, et je sortirai de mon état de veille à ce moment-là. Allons-y, à toi de jouer ! Je pense profondément à mon arrière grand-père, et je vois en même temps le paysage actuel s‟estomper pour se modifier et se préciser, il s‟agit bien du plateau du Larzac. Plusieurs âmes sont présentes, occupées à discuter de pêche à la truite ou de cueillette de champignons sauvages. C‟est le début de matinée là-bas, et une âme un peu plus lumineuse se détache du groupe pour se mettre dans le champ de ma vision et occuper toute ma vision frontale. C‟est bien Pierre qui est devant moi, avec sa grande moustache retroussée et son éternel habit de velours côtelé. — Et alors, gamin, comment vas-tu ? J‟ai su que tu nous avais rejoints par ton père, qui est quelque part par là. Tu es presque aussi grand que lui, dis donc ? Que vas-tu 268


nous apprendre de l‟évolution de tes recherches avec tes amis ? Je sais tout ça par ton papa qui s‟est tenu informé auprès de chaque nouvel arrivant de ce qui se passe là-bas. Il s‟intéressait surtout à ceux qui arrivaient des villages où habitent tes trois enfants. C‟est ainsi qu‟il sait que Angéla et toi êtes aux Indes, car vous vous êtes rencontrés récemment. Es-tu venu ici avec Angéla ? Qu‟est-il donc arrivé ? Ah, voilà ton père qui me cherchait sûrement, ça va lui faire une sacrée surprise ! — Oh ! Jeannot, que fais-tu là ? dit mon père. — Bah, c‟est la vie, et la mort qui suit, rien d‟exceptionnel à mon âge. En fait, je suis seul, et j‟espère bien redescendre. (Ils rigolent tous deux, et me regardent d‟un air suspicieux, l‟air de penser « Serait-il devenu fou ? »). — Je vous dis cela parce que je ne vais malheureusement pas pouvoir rester avec vous, j‟ai une mission spéciale dont je ne peux rien vous dire, mais je vous promets de repasser et de m‟installer avec vous, quand tout sera réglé. — Tu t‟en vas déjà, à peine arrivé ? — J‟ai cru comprendre que vous vous êtes procuré beaucoup d‟informations sur ce qui se passe en bas, donc je ne pourrais pas vous en apprendre beaucoup plus, je vous embrasse, et à très bientôt. Je me concentre sur Gaël, et me voilà de retour dans l‟Himalaya. Gaël m‟apparaît un peu fatigué, sa voix est plus faible, et il me félicite pour la réussite de ce premier voyage en solitaire. Il m‟explique qu‟il ne faudra pas que je m‟étonne s‟il m‟apparaissait brusquement sous son vrai visage, car les écrans de protection d‟image des gardiens peuvent tomber en cas de fatigue importante. Ça n‟arrive qu‟exceptionnellement, lorsque les gardiens sont en réunion mystique exigeant un décuplement des efforts de concentration du groupe, pour atteindre un objectif précis, dont il ne veut rien dire de plus. Il tient à me montrer le phénomène, et il replonge en état de veille mystique immédiatement. Au bout de quelques minutes, son visage apparaît, un visage typiquement indien d‟Amazonie, et il revient dans la conversation : 269


— Je tenais à me montrer sous ma véritable apparence, car je ne supportais plus de pouvoir te voir et de ne pas te rendre la pareille. Je remettrai mon écran, mais seulement si nous étions amenés à rencontrer d‟autres gardiens. Mon vrai nom est Rubio, Gaël étant mon nom de gardien. Ma femme et mes enfants sont restés en Amazonie jumelle, je vais les voir de temps en temps, lorsque j‟ai besoin de me ressourcer en famille. — Je te remercie pour cette marque de confiance, et comme cela, il me sera plus facile de me concentrer sur toi, avec ton visage, lorsque je souhaiterai terminer un voyage. — Oui, mais ça ne fonctionnera que si c‟est moi qui ai démarré le voyage pour toi. Il faut maintenant que je t‟apprenne à démarrer un voyage tout seul. Tu découvriras que c‟est très épuisant, car toute ta conscience est sollicitée en permanence pendant toute la durée du voyage. Par contre, la puissance de concentration nécessaire est indépendante de la distance. Dans le cas où tu manquerais d‟énergie pour revenir à ton point de départ, ton âme serait transférée au lieu où tu te trouvais à ce moment-là. C‟est une forme de sauvegarde de secours automatique, en cas de défaillance. Pour revenir, il suffira de te concentrer de nouveau sur le lieu où tu veux te retrouver. Sache qu‟il te faudra rester deux jours complets en veille mystique, pour recharger suffisamment ta réserve de digitons, sans rien faire, et à l‟écart pour éviter d‟être dérangé. C‟est pourquoi tu constateras que nous sommes toujours groupés dans des zones désertes où il est aisé de trouver des grottes, des vieilles tours, des châteaux abandonnés ou des vieilles masures. En cas de problème majeur, tu peux me contacter en vision seule pour que je t‟assiste. En principe, nous resterons toujours ensemble, mais on ne sait jamais, tu es un débutant ici, et tout peut arriver. Ah, j‟allais oublier l‟essentiel, il faudra que tu te méfies de certains groupes qui ne songent qu‟à faire le mal, ils pourraient se coaliser pour te vider de tes réserves de digitons à leur profit, et tu ne pourrais pas t‟y opposer, leurs puissances conjuguées étant largement supérieures à la tienne. Certains groupes se servent d‟esclaves qu‟ils maintiennent sous leur contrôle, et qui ne peuvent s‟échapper, car leur réserve personnelle est volée chaque matin. 270


Les gardiens ne font rien, car ils pourraient être capturés eux aussi, bien que leurs réserves de digitons soient le double de la tienne. Retiens seulement de les éviter à tout prix : ils sont heureusement reconnaissables à leur couleur violette, due à une surcharge de digitons. Ils profitent de cette grande quantité de digitons pour voyager beaucoup et en groupe, installant de nouvelles bases d‟esclavage à travers l‟univers. Ce sont en général d‟anciens truands, mercenaires, soldats égarés qui finissent par trouver un groupe pour s‟y intégrer. Toutes les âmes sont libres ici, un tel comportement était prévisible, mais heureusement, ils ne constituent qu‟une minorité assez faible, plus faible que leur équivalent dans l‟univers d‟origine, ce qui traduit qu‟en moyenne, ici les âmes s‟améliorent globalement. Les gardiens ont pour instruction de ne pas se regrouper pour les affronter, car, primo ce n‟est pas leur tâche, et de plus, cela perturberait le fonctionnement des limbes, puisque la qualité des comportements individuels sera appréciée seulement au terme des limbes, à la fin du programme en cours.

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Un jeu d’enfer. — De quel programme parles-tu ? — Eh bien ! du programme qui prévoit qu‟à un moment que nous ne connaissons pas, toutes les âmes seront transférées ailleurs, selon leur qualité intrinsèque. — Quel ailleurs ? Et quand ? — Je ne sais pas, vraisemblablement dans un autre univers qui est réservé à l‟affrontement final. — Quoi ? Un affrontement final ? Mais pourquoi donc ? — Oui, ça peut paraître bizarre de pousser les êtres vivants à faire le bien, puis de transférer leurs âmes ici, encore une fois avec objectif de s‟améliorer, et ensuite de les envoyer se battre contre les forces du Mal, mais ça fait partie du jeu ! — Un jeu ! on ne m‟a jamais parlé d‟un jeu ! tout le monde est persuadé que le Paradis nous attend, si nous sommes acceptables, ou peut-être l‟Enfer, si nous ne le sommes pas, mais personne ne s‟attend à une guerre finale qui déciderait de notre avenir ! — En fait, je ne sais pas tout, mais j‟ai cru comprendre que cet affrontement au terme du jeu a été décidé par les descendants du Créateur qui ne souhaitaient pas s‟affronter personnellement. — Quels descendants ? — Le Créateur a créé deux « enfants » qui ne cessent de se disputer. L‟un est gentil, plein de bonté et d‟empathie pour le multiunivers dans son entier, mais l‟autre a subi une modification génétique incontrôlable et non réparable qui l‟a rendu méchant, ignoble, à un tel point qu‟il ne cesse de s‟attaquer à son frère. Le Créateur n‟a jamais voulu reconnaître que ce défaut de conception était de son fait, puisqu‟il est le Créateur de tout ce qui existe. Il leur a expliqué qu‟il ne pouvait rien y changer, que c‟était dû aux lois du hasard dans le domaine quantique, mais qu‟il allait remédier à leur ennui d‟être seuls en leur fabriquant un jeu où chaque enfant pourrait s‟exprimer pleinement, chacun à sa manière. Il a conçu le multiunivers immense pour donner une longue durée de vie à leur nouveau jeu, et il les a expédiés dans le jeu en 272


leur disant qu‟il déciderait lui seul de la date de la fin du jeu, pour récompenser le gagnant. Les deux « enfants » réfléchirent et ne souhaitèrent pas que la décision du gagnant soit faite par leur Créateur. Ils se mirent d‟accord pour qu‟un affrontement final soit prévu, de manière à ce que le résultat soit incontestable. Et c‟est de cet affrontement final dont je te parlais. L‟Armageddon, c‟est le terme employé sur Terre par les théologiens. En fait, ce n‟est pas sur Terre que ça se passera, ça ne sera que de l‟autre côté du Portail ultime, un Portail situé très loin d‟ici, dans une galaxie inatteignable par aucun d‟entre nous. Comme tu le sais déjà, vos astronomes ont découvert en 2007 un trou noir géant dans l‟univers. Ils connaissaient déjà de très grands trous noirs, capables d‟avaler des millions de galaxies, mais celui-ci est vraiment gigantesque, puisque son orifice a un diamètre d‟un million d‟années-lumière environ et que son influence gargantuesque s‟étend sur un diamètre d‟un milliard d‟annéeslumière. Il est capable d‟avaler l‟univers tout entier, mais quand ? Personne ne connaît la réponse. En discutant avec les autres gardiens, nous sommes parvenus à la conclusion que les deux trous noirs géants jumeaux vont grossir jusqu‟à atteindre une énergie potentielle cumulée telle que la trame de l‟espace-temps va se perforer et que les deux univers vont disparaître engloutis dans un feu d‟artifice final, la rencontre de la matière et de l‟antimatière constituant la véritable signification de la fameuse équation d‟Einstein. Certains gardiens sont au voisinage de cette zone dangereuse, et ils ont recueilli des milliards d‟âmes provenant d‟êtres qui vivaient dans les galaxies déjà absorbées. La puissance de rayonnement dans un trou noir est telle que les bulles des morts disparaissent physiquement, transformées en rayonnement. Heureusement, les âmes correspondant à ces bulles ont été transférées à temps sur la jumelle d‟une galaxie voisine, mais ça a occupé une grande partie de tous les gardiens disponibles. Du fait de leur absence, de nombreuses évolutions néfastes pour la conscience universelle ont eu lieu dans leur zone d‟affectation d‟origine : tout est à refaire dans ces régions où les 273


groupes indisciplinés ont capturé de nombreux esclaves, et sont devenus très puissants, en accumulant de très grandes quantités de digitons. Le Portail Ultime est dans cet immense trou noir, nous en sommes persuadés. Il y a un autre univers au fond, pas très grand et réservé pour la dernière confrontation. Nous sommes presque certains que les deux « enfants » terribles sont derrière ce Portail Ultime. Chacune des tentatives de quelques gardiens suffisamment inconscients pour oser tenter de pénétrer dans ce trou noir s‟est soldée par un échec cuisant. Ils ont été refoulés par l‟énorme potentiel énergétique qui règne en maître dans ce trou noir. En effet, ces rayonnements colossaux perturbent beaucoup la trame de l‟espace-temps, et aussi la trame de l‟information qui y est accolée. Nous n‟avons donc pas de solution pour tenter d‟en savoir plus sur ce qui nous est réservé, et sur quel terrain tout ça va se dérouler. — J‟ai une idée, mais elle n‟est pas très réaliste… — Dis-moi ça ! — Eh bien, voilà, en vrac. Si le Portail n‟est pas accessible par les « voies naturelles » des trous, si je peux dire, pourquoi ne pas tenter une expérience de voyage lointain en cumulant toutes les réserves de digitons que nous pourrions y affecter ? On utiliserait tout simplement la trame spéciale de l‟information, mais en visant non pas un trou, ou son jumeau, mais exactement entre les deux, donc sur la trame elle-même. Bien entendu, ce transport dans l‟inconnu ne pourra se faire que par un nombre très limité de voyageurs intrépides, mais on pourrait y réfléchir, non ? — Incroyable, je te savais imaginatif, mais là, ça dépasse l‟entendement ! En aucun cas, ne parle de cela à quiconque. Gardons l‟idée, et essayons de « convertir » quelques huiles à cette suggestion. Nous qui ne sommes que des âmes sans corps, nous nous sommes complètement fourvoyés jusqu‟à présent en tentant de raisonner sur un Portail physique, qui serait accessible depuis un univers matériel, ce qui est vraiment un comble de la part d‟êtres immatériels ! — D‟accord, mais alors, je mérite sûrement une casquette de gardien, tu ne penses pas ? 274


— Exact, je ferai le nécessaire pour proposer ta candidature à un supérieur que je sais très ouvert aux jeunes âmes, les plus récentes, donc les plus intelligentes a priori, selon lui. — Bon, je sens que j‟ai besoin de reconstituer mes réserves, pour être en forme demain, si tu m‟envoies sur Mira. — D‟accord avec toi, reposons-nous. Et là-dessus, nous plongeons tous deux en état de veille mystique…

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Mira et Aria. Au réveil, nous émergeons en pleine forme intellectuelle. Gaël me signale qu‟il a été sorti de la veille par un supérieur qui lui a demandé de faire un rapport sur leur avancement. Il me précise qu‟il a omis de signaler la teneur de notre dernière discussion d‟hier soir. Il m‟indique que le supérieur en lequel il a une totale confiance est nommé Gilles, encore un G, mais c‟est logique, car tous leurs noms commençant par la lettre G. Il faudra donc que je me trouve un prénom commençant par la lettre G, je penche pour Gino, en souvenir de Bartali qui m‟a fait rêver quand j‟étais tout jeune adolescent. Gaël me propose de déformer la trame maintenant, ça lui prendra dix minutes de totale concentration, pour une telle distance. Je lui précise qu‟Aria est vraisemblablement dans la région 08 de Mira, si mes souvenirs sont corrects. Il s‟installe en état de concentration, je le vois clore les yeux. Je me concentre sur Mira/zone 08/Aria, et progressivement je vois apparaître les mangroves et la plage proches de la ville 08. Je devine un groupe de Scimuts de l‟autre côté de la baie, et je pense profondément à l‟image de la corolle d‟Aria que j‟avais vue, lors de la première vidéo que nous avait montrée Capt. Une corolle s‟échappe du groupe et traverse la baie en flottant sur l‟eau : c‟est Aria qui a perçu mon appel. Elle accélère en me reconnaissant, émue et tremblante, puis elle se place juste devant mon champ de vision frontal. — Ovni, comme je suis contente de te voir. On m‟avait prévenue, mais je n‟osais croire que tu avais fait un tel sacrifice pour venir à mon secours. Mais si c‟était vrai, je ne doutais pas que tu trouves un moyen de venir me voir ici. — Aria, je te fais une grosse bise, et je t‟explique tout. Comme tu l‟as deviné, Capt n‟avait aucune solution pour venir te voir, c‟est pour cela que je me suis proposé. — Je te remercie, mais tu sais, ici, il n‟y a aucun moyen d‟accéder à nos enveloppes biologiques, et je suis frustrée de ne 276


pouvoir voir l‟enveloppe de Capt sur Mira, ni même la mienne pour essayer de comprendre ce qui s‟est passé en bas. — Ne t‟inquiète pas, il y a sûrement une solution, car j‟ai cru comprendre que les gardiens peuvent descendre, dans des cas exceptionnels, pour intervenir sur l‟autre univers. Mon gardien Gaël pourra m‟aider à obtenir une casquette officielle de gardien, et je m‟appellerai alors Gino pour ce poste. En m‟entraînant à outrance, je pourrai accumuler suffisamment de digitons pour faire ce voyage et tenter de faire réparer ton enveloppe biologique, si elle a été abîmée suite à l‟accident. — Il y a une petite chance que ce soit possible, car nous n‟enterrons jamais les enveloppes avant un mois complet, pour laisser une chance au miracle, comme nous disons ici, c'est-à-dire l‟équivalent des EMI dont tu te préoccupes à présent, si j‟en crois ton passé récent que je viens de visiter rapidement. Nous continuons donc à conserver le corps pour le maintenir en état. Ce qui a dû se passer pour moi, c‟est une rupture du câble principal d‟alimentation de mon caisson, mais uniquement le mien, puisque heureusement Capt est encore en vie. Si la coupure n‟a pas été trop longue, mon enveloppe est peut-être encore acceptable pour un retour sur Mira ou a TOPLAB2, je ne sais pas trop où, en fait. — As-tu pensé à questionner les âmes de Mira 08 récemment arrivées ? — Non, je n‟ai pas pensé à ça, j‟étais paniquée ! — D‟accord, va te renseigner tout de suite, je t‟attends ici, car je ne peux me déplacer, mon enveloppe est restée aux Indes. — J‟y cours. Elle partit aussitôt, resta absente environ trente minutes et revint accompagnée de deux âmes. Je priai que Gaël tienne suffisamment pour ne pas risquer de me voir transféré complètement ici, enveloppe y comprise. Les deux Scimuts se présentèrent rapidement, ils étaient techniciens de maintenance sur la base 08, et savent exactement ce qui s‟est passé concernant Aria. — Nous étions affectés à la maintenance des systèmes d‟alimentation des caissons, suite au déclenchement d‟une alarme incendie dans ce secteur. Nous avons vite repéré et éliminé la cause 277


des fumées qui avaient déclenché l‟alarme, mais les systèmes automatiques d‟arrosage s‟étaient mis en route automatiquement dans les chambres. Les caissons ne sont pas conçus pour résister à un arrosage, et des infiltrations ont fait disjoncter deux caissons, dont celui d‟Aria. Le temps que nous localisions ces deux caissons et nous y rendions, les deux corps étaient décédés pour de bon, nous avons donc mis en route la procédure d‟un mois d‟attente avant obsèques. Ce que je peux garantir, c‟est que le manque d‟alimentation n‟a pas excédé une heure au grand maximum, et qu‟en principe, le corps biologique n‟a pas souffert, la température n‟ayant pas eu le temps de remonter suffisamment dans le caisson. — Mais pourquoi êtes-vous ici maintenant ? — Pour terminer notre travail de réparation, nous sommes allés dans la salle principale des générateurs et le local des batteries de secours. Lorsque nous avons pénétré dans le local des batteries, il y a eu une grosse explosion qui nous a entraînés directement ici, ça n‟a pas fait un pli comme on dit ! — Est-ce que cette explosion peut avoir eu une incidence sur le fonctionnement des générateurs principaux ? — Non, ne vous inquiétez pas, ce sont des batteries qui ne servent qu‟en cas de panne générale, ce qui n‟était pas le cas. Comme il y a une porte pare-feu qui sépare le local de la salle des générateurs, rien n‟a été touché par ailleurs. Juste avant de mourir, j‟ai perçu des discussions autour de moi qui disaient que tout était sous contrôle, et qui déploraient deux morts probables compte tenu de l‟état de leurs deux camarades. — Je vous remercie, dit Aria, je vais rester avec mon ami, si vous le voulez bien. — Pas de problème, Aria, et à bientôt. — Ovni, si tu tentes quelque chose, essaie de le faire sans vérification préalable sur le terrain. Tu prendrais trop de risques à descendre sur place pour faire une vérification, et tu risquerais d‟y rester, ce qui serait un désastre pour nous tous. Par ailleurs, on n‟est sûrs de rien, car c‟est un cas particulier, du fait de la distance de dix années-lumière entre mon corps biologique et ma bulle. On ne sait même pas s‟il y a une solution.

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— Tu as raison de me ramener à la prudence élémentaire. Concernant la faisabilité de ta réintégration physique, je suppose que c‟est tout à fait réalisable, car il ne faut pas oublier que lors de ta mort physique, ta bulle a été instantanément déconnectée elle aussi. Je ne sais pas comment, mais c‟est un fait certain. La procédure inverse existe probablement, j‟en suis convaincu. Tu vas avoir droit à un retour sur Mira, j‟en fais le serment devant toi. — Merci mon ami, je te fais confiance, et n‟oublie pas d‟embrasser tout le groupe quand tu seras de retour toi aussi, quel que soit le résultat de ta tentative. — Je t‟embrasse, et je repars tout de suite, car Gaël doit commencer à faiblir.

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Une Promesse à tenir. Un retour sans encombre, et je retrouve Gaël en piteux état, heureux cependant de la réussite de mon voyage. Il se met immédiatement en mode récupération, et moi aussi, nous en avons bien besoin. Après une douzaine d‟heures de repos, nous revenons, chargés à bloc, et nous commençons à mettre sur pied une tactique d‟approche du problème à résoudre. — Ovni, je connais un gardien de haut niveau qui avait parlé d‟un cas très voisin qu‟il avait résolu, et il nous avait expliqué qu‟il fallait une grande quantité de digitons pour réussir. Il était nécessaire que deux groupes de gardiens et d‟âmes se concentrent au même instant, un groupe étant sur la planète du corps biologique et l‟autre sur la planète de la bulle. Je vais contacter un camarade gardien que je m‟étais fait lors de ma formation initiale sur Mira, et nous allons mettre au point les détails ensemble. — Je t‟attends… Quelques instants plus tard, Gaël me confirme qu‟il a réussi à mettre au point une procédure, son camarade et un autre gardien constituera le premier groupe sur Mira jumelle et lanceront l‟opération de réintégration corporelle dans cinq minutes exactement. Nous aurons vingt secondes de recouvrement possible, mais pas plus, donc nous commencerons dès que nous aurons le signal de Mira. D‟un côté et de l‟autre, nous nous concentrerons sur Aria et nous lui ordonnerons de réintégrer son corps sur Mira et sa bulle ici. Leur signal de digitons pour la Réincorporation nous parviendra ici, et nous renforcerons sa puissance pour qu‟il atteigne la bulle. Nous attendons ce fameux signal depuis quelques minutes, tous deux en état de profonde concentration, et lorsque nous le recevons, sous la forme de l‟image du corps biologique d‟Aria, nous nous concentrons sur TOPLAB2, en direction de la bulle d‟Aria. Au terme de quelques secondes, j‟entre en contact avec la bulle d‟Aria, chose que je pensais impossible pour une âme ordinaire. 280


Je la vois, je lui parle, elle me répond que tout va bien, et qu‟elle ne sait comment nous remercier pour ce que nous avons fait, Gaël et moi. Je lui demande de contacter tout le groupe immédiatement et de leur raconter où je me trouve, ce que je fais, comment ça se passe ici, que tout va bien pour moi et qu‟ils peuvent m‟attendre sereinement, en toute confiance. Je vais revenir également, le cas d‟Aria fournissant la preuve qu‟un retour différé de plusieurs jours est possible. Lorsque je reviens vers Gaël, il me confirme que tout s‟est bien passé et qu‟il a fait le recoupement avec l‟autre groupe qui a constaté que l‟âme d‟Aria avait disparu subitement. Il en profite pour me dire que j‟avais eu raison de vérifier la bulle d‟Aria, ce qui a fourni une confirmation supplémentaire de la réussite de l‟opération. Il me précise que je n‟ai pu le faire que parce que lui-même, en qualité de gardien, faisait partie du groupe invocateur. — Ça nous amène au sujet suivant, te faire accéder à la fonction de gardien, car c‟est indispensable pour la suite. J‟entends par suite celle que tu as suggérée, et qui concerne l‟accès au Portail Ultime, si tu te sens prêt pour tenter cette expérience. Bien entendu, si tu préfères revenir sur Terre, j‟abandonnerai cette idée en attendant que tu reviennes nous voir. — Je demande à réfléchir, car je suppose que je ne peux pas être désigné gardien, et ensuite demander à retourner sur Terre avec cette casquette ? — Effectivement, ta désignation signifierait que tu devrais rester ici, les démissions étant très rarement acceptées. Tous les gardiens oeuvrent pour l‟amélioration des qualités Amour et Connaissance des âmes dans les limbes. Il est mal venu d‟abandonner cette tâche, car ça caractériserait une forme d‟opposition aux deux principes qui justifient l‟existence même des limbes. Il est d‟ailleurs exigé la prononciation d‟un serment lors de la désignation d‟un nouveau gardien. — Un serment ? — Oui, et le seul cas que je connaisse d‟un gardien qui serait redescendu sur Terre, c‟est celui de Jésus, il y a deux mille ans, à l‟époque où tous les gardiens des limbes avaient manifesté leur dépit devant la « mauvaise » qualité des âmes qu‟ils recevaient. 281


— Jésus faisait partie de ces gardiens contestataires ? — Oui, il était en fait le « meneur » de la contestation, et il avait persuadé les supérieurs qu‟il devait y aller lui-même pour tenter de passer quelques messages forts aux humains. Tu sais à peu près tout sur son expérience sur Terre, en tout cas ce que les textes t‟ont rapporté. Il s‟appelait Jésus de son vrai nom sur Terre, et il a quitté son nom de gardien temporairement pour le reprendre ensuite. Il a été promu, suite à cette action méritoire, et affecté dans une autre galaxie très lointaine, proche du Portail Ultime où il y a beaucoup de travail à faire. — Existe-t-il des galaxies « meilleures » que d‟autres, compte tenu de la durée de la présence d‟êtres vivants dans ces galaxies, certaines étant très âgées, la nôtre étant relativement jeune ? — Il y a évidemment une grande disparité dans l‟évolution des planètes habitables, et les plus anciennes ne sont pas systématiquement parmi les meilleures. La Terre, qui pourtant a reçu la visite de Jésus, n‟est pas non plus parmi les meilleures dans la catégorie des planètes de cinq milliards d‟années. Mira est un peu hors catégorie, compte tenu du fait qu‟elle n‟est pas encore officiellement classée. — Comment se fait-il qu‟elle ne soit pas classée, mis à part le fait que les Scimuts ne favorisent pas la reproduction ? — Si on « oubliait » ce dérapage, elle serait en tête du peloton, car elle œuvre systématiquement pour aider les autres planètes, à sa manière, et la Terre en a profité récemment. Ça me fait penser qu‟avant que tu prennes ta décision, quelle qu‟elle soit, il nous faudra, toi et moi, devenir les avocats de Mira pour qu‟elle soit enfin délivrée de ce malaise ridicule. — Qui faut-il rencontrer pour jouer les avocats de Mira ? — Un groupe de trois Maîtres Gardiens qui ont pour rôle de faire respecter les règles fixées à l‟origine des limbes. Ils sont aisément accessibles, mais ils seront tout à fait réticents pour ouvrir le procès officiel de Mira. En fait, ils ne sont pas sûrs de leur dossier, et ils préfèrent « l‟enterrer », si l‟on peut dire. — Ils décident de tout, à trois ? — Non, il y a une quatrième voix de vote réservée aux gardiens ordinaires, consultés par une procédure spéciale. 282


— Quelles sont nos chances de réussir ? — Très faibles, si nous ne trouvons pas un argument-choc. — Du genre ? — Aucune idée. — Combien y a-t-il eu de cas semblables dans le passé ? — Une dizaine, et de natures différentes. Ces planètes ont été mises sous contrôle permanent, en doublant le nombre de gardiens présents, et tous ces gardiens sont originaires de planètes réputées être dans le droit chemin. — Ce qui signifie qu‟il n‟y a aucun gardien qui est désigné, du simple fait qu‟il est originaire de l‟une de ces planètes ? — Il y en a, car ces âmes n‟ont pas choisi de naître sur ces planètes-là. Ils sont affectés par une répartition sur toutes les autres planètes, et ils militent bien sûr en faveur de leur planète d‟origine, bien qu‟isolés les uns des autres. — Peut-on considérer qu‟il s‟agit là d‟un déviationnisme évident des règles de base des limbes et d‟un excès de pouvoir ? — Pour pouvoir utiliser cet argument, il faudrait alors faire appel au grand conseil des Sages. Plus facile à dire qu‟à faire ! — Jésus a-t-il été amené à demander l‟avis du grand conseil des Sages, à l‟époque, pour obtenir l‟autorisation ? — Oui, et tu fais bien de soulever cette question. Effectivement, il l‟a fait, car les trois Maîtres Gardiens de l‟époque étaient réticents, et il a obtenu gain de cause. — Que penses-tu de l‟idée de tenter de convaincre Jésus de présenter notre requête, avec nous ? — C‟est une excellente idée. — Je souhaite vivement essayer cette voie, car si Jésus acceptait de jouer ce rôle, nous aurions plus de chances d‟être entendus. — Je vais me renseigner, et aussi tenter de le contacter. Pendant les deux prochains jours, essaie de te promener dans des régions variées, de manière à mieux connaître les limbes et leur diversité, mais ne prend pas de risques inutiles. Si tu tombais dans 283


les filets des esclavagistes, tu n‟aurais plus jamais assez de puissance en digitons pour m‟appeler au secours. — Je vais essayer de visiter la région où se regroupent les anciens Dalaï-Lama pour avoir leur opinion sur leur propre religion, maintenant qu‟ils savent que les EMI sont rares et que les résurrections ne sont pas systématiques. — Ils ne sont pas loin d‟ici, tu peux y aller à « pied », direction nord-ouest, dans la prochaine vallée. Tu auras une surprise, mais en même temps tu ne seras pas dépaysé, car leur lieu de regroupement est justement dans un ancien temple sacré, que tu connais bien, paraît-il ! — Pour une coïncidence, c‟en est une, et de taille. Nous avions découvert cet ancien temple sacré par hasard, et le Dalaï-Lama actuellement en fonction sur Terre avait été ravi de cette découverte. Il le serait encore plus s‟il était informé que ses prédécesseurs en ont fait leur lieu de réflexion dans les limbes. — Il est hors de question de l‟en informer, et tu comprends très bien pourquoi. Il nous est interdit d‟intervenir dans les religions en cours sur Terre, car les choses doivent évoluer normalement, sans intervention extérieure. C‟est d‟ailleurs cette interdiction qui avait été bafouée quand Jésus avait été autorisé à descendre sur Terre. Le grand conseil des Sages avait été remplacé complètement avec de nouveaux Sages, et il a strictement interdit toute nouvelle tentative d‟intervention. Jésus n‟a pas été pénalisé, seul le précédent grand conseil des Sages a porté le chapeau. Ça explique clairement pourquoi les Terriens dans la détresse n‟ont jamais revu Jésus, malgré leurs prières dont l‟écho arrivait jusqu‟ici ! — Ça risque donc d‟être quasi impossible que nous réussissions à le convaincre, ce nouveau grand conseil des Sages ? — Pas sûr, car les circonstances sont différentes, du fait même de cette interdiction d‟intervenir. — Que veux-tu dire ? — C‟est évident. Puisque nous ne pouvons intervenir, Mira ne sera donc jamais informée de ce que nous lui « reprochons » dans les limbes. De ce fait, les êtres de Mira ne peuvent être tenus responsables, ni eux, ni leurs âmes, ni les gardiens originaires de 284


Mira et expatriés à tort. C‟est le serpent qui se mord la queue cette histoire, c‟est sans solution. — Le grand conseil des Sages doit donc être mis face à ses inconséquences et à son incapacité à traiter les questions qui relèvent de sa responsabilité ? — Oui, exactement. S‟il supprime la loi, il doit intégrer Mira avec toutes les autres planètes, ce qui revient à ne pas juger sur le fond de la décision des Scimuts de limiter leur reproduction. — Que se passe-t-il s‟il refuse ? — J‟imagine assez mal Jésus accepter avec calme un tel acharnement, car s‟il accepte de nous aider, il aura bien sûr pris en compte une telle hypothèse et ses conséquences. Inutile de préciser que je ne l‟accepterais pas non plus. Une fronde est possible, qui pourrait aller jusqu‟à « réveiller » les deux «enfants» et les faire intervenir. — Quoi ? Que veux-tu dire ? — Je dis simplement que la perspective d‟un possible affrontement des âmes serait suffisamment inquiétante pour que le niveau supérieur ne s‟en émeuve pas, d‟une manière ou d‟une autre. Mais bien évidemment, je n‟ai aucune idée de ce qui pourrait en résulter. Bon, je vais y aller, et fais attention à toi.

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Le Temple Sacré. Gaël parti, je commence à me « dérouiller les jambes » en faisant une centaine de mètres, assez aisément, tout compte fait. Je me dirige droit vers un col que je devine entre deux crêtes, la montée me semble facilitée par le fait que je m‟élève un peu du sol instinctivement, mais c‟est ridicule et je me reprends. Aucune raison d‟aller vite, il n‟y a pas d‟urgence. J‟en profite pour vérifier que tout est identique dans les deux univers, les cailloux, les fleurs, les rigoles cascadantes, et le soleil qui se couche à l‟horizon, derrière le col. J‟atteins le col à la nuit tombante et je commence à redescendre dans l‟obscurité. Je suis encore à environ trois kilomètres du plateau où se trouve la maison de retraite des vieux moines, plateau qui permet d‟accéder au ravin menant vers le temple sacré. Soudain, au voisinage d‟une grotte d‟altitude, je me sens devenir faible et tout se brouille, je « tombe » dans un trou noir, inconscient. Après un temps impossible à estimer, j‟émerge enfin, fatigué comme je ne l‟ai jamais été jusque-là. Je n‟ai pas bougé d‟un pouce, je suis toujours « debout », ma vue est brouillée au début, mais elle revient assez vite. Deux âmes sont adossées à la paroi rocheuse et discutent vivement. Je ne peux pas prendre le risque de leur parler, mais surprendre leur conversation est encore possible. Ce sont deux gamins d‟une douzaine d‟années qui ont décidé de faire un coup, en capturant un esclave, pour faire leurs preuves, comme ils disent… Je ne m‟attendais pas à faire l‟objet d‟une séance d‟initiation chez les affreux esclavagistes, mais c‟est bien ce qui m‟est arrivé, pourtant. Celui qui me donne l‟impression d‟être le meneur dit qu‟il veut laisser ici le plus petit pour me garder, pendant qu‟il ira rejoindre le camp des chefs pour leur signaler qu‟ils ont réussi leur épreuve. Le plus petit n‟est pas d‟accord, car apparemment il craint de ne pas être à la hauteur, n‟ayant jamais joué ce rôle qui le dépasse. Le plus grand lui rétorque qu‟ils ne savent même pas comment faire pour me ramener au camp, car ils ont oublié de se renseigner 286


avant de partir en « chasse aux esclaves », comme il dit. Il précise qu‟il en a pour une heure, et qu‟il sera de retour à l‟aube. Finalement, il part et le plus petit reste là, à se morfondre dans le noir absolu. Il n‟ose même pas se tourner vers moi, craignant peut-être de montrer son visage, tout comme lorsqu‟il était sur Terre après avoir commis un délit dans la rue. Bien entendu, ce n‟est pas ça qui empêcherait un gardien de le retrouver, mais… …Horreur ! je me souviens à l‟instant qu‟aucun gardien ne s‟amuse à traîner aux alentours d‟un groupe d‟affreux. Personne ne pourra m‟aider, il faut que j‟arrive seul à me soustraire à ces deux loustics. Chaque fois que je tente d‟avancer, je me sens retenu, avec force au début, puis de moins en moins. Le gamin a dû enclencher un système de garde qui consomme des digitons sur sa réserve personnelle, ce qui expliquerait ce relâchement progressif. J‟insiste pendant vingt minutes, et ça m‟est possible car ma propre capacité de recharge est supérieure à la sienne. Je peux enfin « bouger », et je m‟adresse à lui : — Dis donc, te crois-tu assez fort pour m‟entraver ? — Oh, mais que faites vous ? — Je me suis libéré, et tu ne peux plus me retenir. — Je me doutais bien que je prenais un risque d‟accepter que Mano s‟éloigne vers le camp, mais je ne m‟attendais pas que ce soit si rapide. — Oui, ta batterie ne se recharge pas aussi vite que la mienne. Tu es donc piégé, toi aussi, et tu vas te faire secouer par tes chefs. Ta punition sera se devenir esclave à ton tour, pendant l‟éternité ! — Ah non ! pas ça, je suis trop jeune, j‟ai encore beaucoup à apprendre, et sans énergie, je deviendrai un zombi. — Je te propose de te faire pardonner en venant avec moi jusqu‟à la maison de retraite des moines, sur le plateau, juste en bas. — C‟est trop gentil, et je n‟ai pas d‟autre choix. Ça me donnera un répit, et le temps de réfléchir à ce que je veux faire vraiment dans la vie après la vie. Je te suis. Allons-y ! 287


Nous ne perdons pas plus de temps, et vingt minutes après, nous pénétrons dans la maison des moines. Je me retourne avant d‟entrer, et j‟aperçois trois lueurs violettes au loin, dans la passe du col. Il était temps. La maison de retraite est pleine d‟âmes de moines qui ne font pas attention à nous, à part l‟une d‟entre elles qui me demande : — Que comptes-tu faire de mon petit-neveu Zino ? — Je vous suggère de le garder ici, et de l‟éduquer dans le bon chemin. Il est beaucoup trop jeune pour que ses erreurs soient pénalisées. Je suis sûr qu‟il fera un bon élève, il a eu assez peur comme cela. Vous le ramènerez à ses parents, quand ils seront arrivés. — Bien entendu, je me charge de l‟éduquer. Ses parents ne pouvaient pas le surveiller, car il s‟échappait souvent avec une bande de copains. Trois gamins sont morts suite à un accident au volant d‟une voiture volée, dont Zino. Et ce coquin n‟est même pas passé ici pour me rencontrer, il a tout de suite été entraîné par les deux autres, ravis de tester qu‟est ce qu‟ils pouvaient encore faire qui sorte de l‟ordinaire, dans le but de faire parler d‟eux. — Je vous remercie vivement. Je vais vous quitter, car je monte au Temple Sacré, pour y retrouver un peu de sérénité. — Faites-leur un grand bonjour de notre petite communauté, car il est vrai que nous n‟allons pas souvent les visiter. — Je n‟y manquerai pas. À bientôt. Je quitte les moines, je vérifie qu‟il n‟y a pas de lueurs violettes sur mon chemin, et je prends le chemin de la gorge encaissée du ruisseau qui s‟échappe du lac du temple sacré. J‟arrive là-haut une demi-heure plus tard, et je pénètre dans le temple, par l‟orifice que nous avons construit. Je parcours les galeries, ravi de retrouver les meubles et objets familiers, les écrans de PC qui scintillent et les chaises qui se déplacent toutes seules. Sur les PC, je localise assez rapidement une communication en cours entre Labo et Aria, car toutes les communications de bulle à bulle sont enregistrées par mesure de sécurité. Aria est en train de raconter dans les détails notre entrevue récente, et j‟ai l‟occasion de voir sur les autres écrans tous les membres de l‟équipe qui sont à l‟écoute. Je regrette presque de n‟avoir aucun moyen d‟agir sur la 288


matière, en intervenant par exemple sur les claviers d‟ordinateurs, pour donner de mes nouvelles, mais c‟est strictement impossible. La seule matière qui est « vivante » et accessible, celle que l‟on peut voir et toucher, elle est dans l‟autre univers. Dans les limbes, l‟antimatière ne fait que répéter son jumeau à l‟identique, pour tout ce qui est matière sans âme. La différence fondamentale, c‟est que les êtres vivants n‟y apparaissent pas, ce qui à la réflexion est logique, puisque chaque cellule vivante est recouverte d‟une enveloppe qui interdit son clonage dans les limbes. De plus, la bulle d‟un mort est figée, et son double est présent dans les limbes. Cette fameuse enveloppe joue vraiment un rôle très précis, elle fait toute la différence entre un être mort, bulle matérielle comprise, et son âme véritable qui est toujours vivante, bien que je n‟en connaisse pas la nature ni surtout son mode de fonctionnement dans cet environnement nouveau. Je cesse là mes réflexions pour l‟instant, et je me dirige vers la galerie supérieure qui me semble éclairée d‟une luminosité particulière, différente des néons qui sont d‟ailleurs éteints en ce moment. En me concentrant sur la source, ma vision traverse les roches et se précise sur un groupe d‟âmes situées dans une grotte pas trop lointaine, accessible apparemment « à pied ». Après quelques détours dans le labyrinthe, je devine une faille non équipée par TOPLA, car elle ne débouche pas, c‟est une sorte de cul-de-sac dont le fond n‟est même pas plat, tout encombré par des éboulis. Lorsque je pénètre dans cette grotte, je vois immédiatement une assemblée d‟âmes en pleine conférence. La discussion tourne autour de la connaissance globale et des réincarnations, sujet favori des Dalaï-Lama, bien sûr. Disséminées dans le groupe, quelques âmes ne sont manifestement pas d‟origine tibétaine. J‟y reconnais quelques scientifiques barbus dont les photos ont largement circulé dans les médias spécialisés, et même dans la presse générale. Je vais regarder de plus près, plus particulièrement celui qui vient de prendre la parole et qui, pour le moment me tourne le dos. Dans les limbes, je peux voir dans toute la sphère entourant le personnage, depuis n‟importe quel point de cette sphère, donc il m‟est aisé de changer de point de vue sans bouger et de le voir de 289


face. Ma surprise est immense quand je reconnais Einstein et ses cheveux fous. Je n‟ose l‟interrompre, j‟attends donc sagement la fin de son intervention. C‟était en fait la fin de son allocution, et tout le groupe fait alors une pause, les âmes discutant en petits groupes. J‟en profite pour aborder le savant, en me présentant et en lui disant la raison de ma présence ici : — Ravi de vous rencontrer Ovni, mais comme vous vous en doutez, j‟ai bien sûr suivi toutes les étapes de la progression de TOPLA, via les journalistes récemment décédés qui étaient d‟ailleurs ravis qu‟on s‟intéresse ici à leur travail sur Terre. Ça leur donnait l‟impression que leur métier de journaliste avait encore une valeur, même après leur mort. — C‟est moi qui suis enchanté de votre présence ici, dans les sommets himalayens, avec mes amis tibétains. — Ils m‟ont invité pour que nous confrontions nos points de vue sur la réincarnation « généralisée »,sachant bien évidemment que je donnerais un point de vue scientifique assez éloigné de leurs croyances d‟origine. Ils ont accepté et m‟ont laissé entière liberté d‟expression, ce qui prouve bien qu‟ils sont à la recherche permanente de la Connaissance, et qu‟ici ils sont ouverts à toute évolution de leur dogme. — Oui, et je suppose que les Dalaï-Lama très récemment arrivés ici sont plus ouverts, du fait de leurs connaissances acquises sur Terre ces dernières décennies, suite à l‟explosion récente des découvertes scientifiques. — Exact, mais pouvez-vous m‟expliquer ce que vous recherchez ici, et tout particulièrement qu'est-ce que vous attendez de moi ? — Moi, je viens tout juste d‟arriver, et certains points techniques restent dans l‟ombre. Je souhaiterais vous avoir comme professeur pour les éclaircir. — Mais pourquoi ne faites-vous pas une recherche dans l‟immense base de données qui est maintenant à votre disposition ? — Parce que je me suis toujours refusé intellectuellement à prendre pour argent comptant les données de Wikipedia, une sorte 290


de réticence liée à l‟aspect virtuel « inhumain » de ces bases de données. — Ah, mon ami, je crois bien que nous sommes de la même espèce, vous et moi. Sans communication avec les autres, je me suis toujours senti frustré pour une bonne compréhension des phénomènes qui m‟échappaient. Il me fallait rencontrer les personnes à l‟origine de ces découvertes, et « tâter » la manière dont ils affirmaient les choses, vérifier leur croyance profonde dans ce qu‟ils avançaient si hardiment. — Un peu comme Saint Thomas ? — Oui, c‟est cela, car lui aussi ne voulait croire que ce qu‟il voyait, ce qu‟il pouvait vérifier, et pas seulement avaler les on-dit comme du bon pain. Mais allons nous installer dans une grotte voisine, car il y a trop de discussions ici, et ça me perturbe un peu, curieux comme je suis de vouloir toutes les écouter en même temps.

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Sixième dimension ? Dans cette petite grotte, nous sommes seuls, et nous reprenons notre conversation. Je précise : — Voilà ma question. Elle concerne notre mode de visualisation dans cet espace très particulier à six dimensions. Quand j‟ai fait mes expériences de suivi d‟une EMI, j‟ai été impressionné par la capacité que j‟avais à tout voir en même temps, devant, derrière, au-dessus, en dessous, un peu comme si mes « yeux » étaient partout en même temps. — J‟imagine votre trouble, en effet, car nous sommes des scientifiques, et nous voulons toujours trouver une explication aux phénomènes inexplicables. La difficulté que nous avons eu, vous et moi, est due au fait que dans notre monde des vivants, nous avons passé des décennies à voir avec nos yeux, donc depuis un point de vue fixe dans l‟espace, tant que nous restions immobiles. Il nous était impossible de voir derrière les objets. La seule chose que nous avons améliorée, avec des inventions techniques matérielles terrestres, c‟est le zoom devenu possible grâce à des lentilles matérielles, les jumelles et les lunettes. Elles ont été ensuite améliorées par les militaires, en leur donnant la capacité de voir dans des domaines de fréquence que l‟œil humain ne pouvait voir, les infrarouges et les ultraviolets. Mais tous ces gadgets ne sont que des béquilles sur un œil humain définitivement trop limité. Par ailleurs, cet œil ne peut fonctionner que dans un univers à quatre dimensions, et ce n‟est bien évidemment pas un œil de ce genre dont nous disposons ici. Les mêmes limites existent concernant notre audition sur Terre. Ces limites sont entièrement dues au fait que nos organes sensoriels y sont faits de matière, rien que de la matière, et que nous accédons à la vision et à l‟écoute par le biais des mouvements de la matière : la vue n‟est que l‟interprétation des milliards de photons que les objets nous envoient par réflexion ou par émissions spontanées, comme la lumière du Soleil par exemple. Quant à l‟audition, elle n‟est que l‟interprétation matérielle par notre système auditif des mouvements de l‟air entraîné par l‟émetteur du son. 292


En effet, nous sommes maintenant dans un univers où nos perceptions ne sont plus dépendantes de la matière, et nos capteurs sensitifs n‟existent plus, donc notre puissance d‟appréciation ne dépend plus d‟organes pauvrement dotés pour recueillir la totalité de l‟information existante. Il y a une particularité de l‟univers dans lequel nous sommes maintenant, c‟est qu‟il y existe un enregistrement d‟information pure, concernant la position de chaque particule élémentaire à tout instant. Ainsi, toute l‟information, je dis bien toute l‟information, est disponible pour une consultation possible à tout instant dans le futur, par n‟importe qui. Vous imaginez donc la quantité invraisemblable d‟informations qui sont stockées pour réaliser cet enregistrement, avec tous ces détails microscopiques et même subatomiques. Cette immense table d‟informations est stockée avec l‟information supplémentaire de l‟instant exact où elles sont enregistrées en temps réel. Je vous expliquerai plus tard sous quelle forme ce stockage s‟effectue. À chaque intervalle de temps élémentaire, disons à chaque constante de temps de Planck, une nouvelle table complète est enregistrée. Encore une fois, vous imaginez la taille de l‟ensemble de ces tables d‟information pure. C‟est un peu comme si un système parfait d‟espionnage était mis en place pour tout expliquer a posteriori, par quiconque s‟intéressera aux données recueillies. Le Big Brother dont on parlait sur Terre existe bien quelque part, mais ici seulement, et il est parfait, croyez-moi, on ne peut imaginer mieux. Si les scientifiques sur Terre disposaient ne serait-ce que d‟un accès limité à cette base de données, les choses avanceraient plus vite, et moi je ne me serais pas planté ! — Aucun scientifique ne disposera jamais de cette base, sinon il serait mort, ce qui ne l‟arrangerait pas. Pouvez-vous m‟expliquer comment nous « utilisons » ici cette base de données pour disposer de cette capacité de vision extraordinaire ?

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— Eh bien, c‟est finalement assez simple. Supposez qu‟ici, nous ne soyons que l‟équivalent d‟un ordinateur intégré dans un réseau de milliards d‟ordinateurs interconnectés ayant accès au serveur central de la base de données générale. En fait, l‟ordinateur Ovni n‟est qu‟un organe de visualisation du résultat de ses requêtes, une sorte d‟organe esclave, car l‟organe principal effectuant les recherches dans la base générale et leur traitement spécifique pour répondre à votre demande est probablement unique, très performant et centralisé quelque part. On connaît déjà cette structure de postes de travail dans les grandes entreprises terriennes, le poste de travail Ovni n‟ayant en fait aucune puissance de calcul en propre. Il n‟est rien d‟autre qu‟un clavier associé à un écran et deux haut-parleurs, possédant seulement une boîte de messagerie posant les questions et recevant des réponses préformatées pour leur visualisation sur écran ou leur écoute sur les haut-parleurs. Sur Terre, ce poste de travail demande par exemple la carte en relief de Madagascar, et il reçoit l‟information correspondante. — Mais pourquoi cette impression de tout voir en même temps ? — Très simple, mon cher Watson, très simple. Quand vous êtes sur Terre, vous recevez une information « à plat », l‟impression de relief n‟étant due qu‟à la présence de vos deux yeux qui reçoivent chacun une image différente, le cerveau reconstituant une sorte de relief très élémentaire. Un borgne ne voit donc pas en relief. Sur Terre, vous ne recevez qu‟une image en deux dimensions pour chaque œil, oublions le deuxième œil pour simplifier. Vous n‟avez donc aucune information sur l‟épaisseur de l‟objet que vous regardez, puisqu‟il ne s‟agit que de réflexion « plate » de sa surface visible. Sur Terre, nous sommes dans un espace géométrique à trois dimensions, et nous n‟en voyons que deux réellement, par nos yeux. C‟est une limitation voulue à la création, dans un espace à n dimensions, on ne voit que n dimensions moins une. Ici, nous sommes toujours dans un espace à trois dimensions géométriques, oublions le temps et les autres dimensions supplémentaires pour l‟instant, et nous pouvons accéder à des images en trois dimensions, en volume et pas à plat, contenant toute l‟information sur la constitution interne des objets, 294


puisqu‟elle est stockée quelque part, et à notre disposition immédiate. Le rôle des dimensions supplémentaires est le suivant. Dans l‟espace terrestre à quatre dimensions, il y en a trois qui caractérisent la géométrie matérielle, plus celle du temps, qui permet de rythmer les évènements qui varient selon une certaine loi physique concernant le matériel. Dans un espace à cinq dimensions, il y a les quatre premières, plus une très spéciale que n‟est qu‟information pure, mémorisation pure du résultat de l‟association imbriquée des quatre premières. Chaque point élémentaire de l‟univers purement matériel à trois dimensions est connecté à la trame de l‟espace-temps, comme vous l‟avez découvert vous-même, quand vous avez vu les gravitons échangés via la trame. Ce sont bien les flux de gravitons qui entraînent la déformation de l‟espace-temps. Mais, de plus, chaque point de cette trame sous-jacente de l‟espace-temps est doté d‟une caractéristique de mémorisation des événements qui concernent son environnement immédiat, à une distance maximum d‟une longueur de Planck, prenant une « photo » de ce qui se passe à chaque temps élémentaire de Planck dans ce petit volume. Chaque point de cette trame est donc équipé d‟une sorte de caméra ultra rapide, qui enregistre sur son propre disque dur une information très simple caractérisant la présence ou non d‟une particule élémentaire de tel type dans son environnement immédiat, environnement très limité en dimensions cependant, une longueur de Planck au cube seulement. Ce sont en fait les gravitons qui laissent une trace de leur passage dans ce tout petit cube de l‟espace. La base de données gigantesque dont je parlais tout à l‟heure est donc là, répartie en une multitude d‟endroits bien délimités dans l‟espace, et il ne reste plus qu‟à se poser la question essentielle « Comment l‟utiliser ? » Sur Terre, elle n‟est absolument pas accessible, bien qu‟existante. La vision y est artificielle, l‟ouïe également, car ces deux sens ne vont pas chercher la véritable information stockée, dans tous ses détails, mais en utilisent une sous-représentation déformée, car indirecte. Par ailleurs, cette sousreprésentation est de plus handicapée, car elle n‟est pas instantanée, elle dépend du temps que les photons mettent à nous parvenir pour s‟ajouter dans le cercle principal de notre vision « à plat », le cercle 295


que nos yeux voient, les alentours du cercle étant certes perçus, mais de manière très floue. Ici, le cercle devient une sphère d‟informations, avec tous leurs détails, et sans intermédiaire déformant. Certes, il y a autre chose autour de la sphère principale, mais là encore, ces parties de l‟univers environnant ne seront perçues que de manière très floue. Si nous revenons à la sphère perceptible dans tous ses détails, l‟impression de tout voir « en même temps » est aisément explicable, et l‟on va pour cela revenir à la vision « terrestre ». Quand on voit tout ce qui est dessiné sur une feuille de papier à plat, on voit très bien tout ce qui s‟y trouve, globalement, et on ne se pose même pas la question de savoir si l‟on regarde depuis une petite caméra posée quelque part sur la circonférence du cercle principal de vision, ou depuis une autre placée ailleurs sur le périmètre du cercle. Ce n‟est qu‟une perception globale qui ne nous pose pas de problème métaphysique, on a toujours vu « à plat » comme cela depuis que nous sommes nés, globalement « à plat », toute la surface « en même temps ». On peut même, sans se déplacer, inverser mentalement l‟image pour l‟imaginer vue depuis une autre caméra située à l‟opposé sur le cercle principal de la vision. Certes, cette inversion d‟image est limitée par la capacité réduite de notre pauvre cerveau biologique à effectuer cet exercice de funambule, mais c‟est possible, il suffit de le vouloir. Ici, l‟image demandée nous est rapatriée, éventuellement depuis les confins de l‟univers et instantanément, et elle concerne une sphère complète d‟une certaine taille, avec tous les détails internes, à l‟instant présent. Si la demande concerne la pièce où se trouve l‟EMI en puissance, il voit globalement toute une sphère d‟informations, tout comme s‟il y avait une infinité de caméras sur toute la surface de la sphère, et il voit donc l‟intégralité de ce qui se trouve dans cette sphère d‟espace. Il a une impression de transparence, car il voit tout, sans restriction aucune, y compris l‟intérieur des volumes constitutifs des objets. C‟est donc le même principe que la vue sur Terre, où l‟on a l‟impression qu‟il existe une infinité de caméras sur le pourtour du cercle principal de vision. Si l‟on se concentre pour une vision plus précise d‟un certain endroit précis à l‟intérieur de la sphère d‟origine, on voit tout ce 296


que contient une sphère beaucoup plus petite, par exemple de la taille d‟une petite bille, à l‟intérieur d‟un muscle par exemple. Dans ce cas-là, ce qui est flou à l‟extérieur de la sphère ne concerne que l‟environnement immédiat de la bille, des vaisseaux sanguins par exemple, ce qui donne l‟impression d‟avoir traversé le corps, mais ce n‟est qu‟une impression, bien sûr. Ça ressemble au zoom d‟un appareil-photo, mais on n‟est pas gêné par les obstacles qui existeraient entre la scène et la caméra, ils ont tout simplement disparu, car les informations qui les concernent ne font tout simplement pas partie des informations de la petite sphère rapatriées vers le demandeur. — Je comprends, mais comment expliquer le fait que lorsqu‟on « dézoome », on a bien l‟impression de reculer, ce qui est compréhensible, très loin même, mais que lorsqu‟on se retourne, le plafond de la pièce s‟est reculé, lui aussi, alors qu‟on avait l‟impression de l‟avoir traversé ? — Mais, mon ami, c‟est tout simplement que ce que vous appelez « dézoomer » peut se faire sur Terre en retournant la lorgnette et en regardant par le petit bout, ce qui vous donne l‟impression de vous être éloigné, ce qui est faux. Pour vous en convaincre, il suffirait de vous retourner, et d‟utiliser à nouveau la lorgnette par le petit bout pour vous apercevoir que vous n‟avez pas traversé le mur auquel vous étiez adossé, car lui aussi s‟est éloigné. — Vous avez raison, c‟est dû au fait que nous déformons notre vision habituelle normale avec un effet optique externe, la lorgnette. Par la suite, on dira que nous avons normalement une vision de base avec zoom zéro : quand nous demandons un zoom positif, nous rapprochons la vue sans bouger et nous obtenons plus de détails, mais sur une sphère de dimensions réduites, et à l‟inverse, quand nous demandons un zoom négatif, nous devenons plus « petits », c‟est notre sphère de vision qui s‟agrandit en proportion, avec plus d‟objets effectivement vus, mais avec moins de détails qu‟avant. — Oui, et l‟on peut en déduire que la taille de notre vision est constante, et faite d‟un nombre de pixels fixé à l‟avance, mais que ce que l‟on voit effectivement est plus ou moins détaillé selon la valeur du zoom, positif ou négatif. C‟est tout à fait assimilable à un écran d‟ordinateur, qui a un nombre de pixels de deux millions par exemple, et sur lequel on 297


affiche une image de cent millions de pixels dont on a sélectionné seulement un rectangle de vingt millions de pixels. On est donc obligé de déplacer l‟image en la faisant glisser avec la souris pour voir la zone sélectionnée de vingt millions de pixels, car le zoom de départ est de dix, deux millions visibles sur l‟écran à comparer à vingt millions sélectionnés. Si on « dézoome » jusqu‟à la valeur un, on a alors toute la partie d‟image sélectionnée sur l‟écran, et si on « dézoome » encore plus, on verra la totalité des cent millions de pixels, réduits à seulement deux millions de pixels, chaque pixel étant en fait la moyenne de cinquante pixels d‟information réelle. À noter que ce que j‟ai appelé zoom de départ dépend essentiellement du type d‟écran et du type d‟appareil photo. Il y a automatiquement perte des détails quand on a une vision à une distance très différente de la longueur de Planck. — Bien, cette affaire est éclaircie pour de bon, j‟ai compris que je suis devenu un visionnaire parfait dans un univers où les images en trois dimensions sont les plus parfaites possible. Par-dessus le marché, je vois tout en temps réel, même si je regarde une étoile à plusieurs années-lumière de moi. — C‟est cela, mais il est utile de souligner que l‟étoile en question vous coûtera pas mal d‟énergie en monnaie digitons, car ça coûte de la transférer instantanément ici, cette image, puisqu‟elle est stockée là-bas ! Vous demandez l‟image de l‟instant présent, et instantanément, vous êtes débité d‟un certain nombre de digitons : si vous n‟en avez pas assez en stock sur vous, vous ne recevrez pas l‟image et vous aurez donc jeté vos digitons dans la poubelle de l‟espace. — J‟ai cru comprendre de Gaêl, mon gardien, que l‟on pouvait être déplacé contre son gré sur une planète lointaine si le stock personnel de digitons tombe à zéro pendant l‟observation de la planète. — C‟est exact, la durée de l‟observation coûte également des digitons, car l‟information est sans cesse rafraîchie avec les données de l‟instant présent. Autrement dit, vous payez d‟abord pour entrer dans la salle du film que vous voulez voir, et ensuite vous mettez des digitons dans le monnayeur toutes les x secondes. — Rigolo, mais explicite. Et si le monnayeur réclame plus de digitons que je ne peux en produire naturellement pendant 298


l‟intervalle, je reste bloqué dans la salle de cinéma, et ne peux rentrer chez moi. — Tout à fait, et votre détention ne sera levée que suite au paiement d‟une amende dont le montant dépend de la distance de rapatriement. — Il n‟y a donc pas d‟assurance internationale rapatriement ici ? — Non, chacun est libre, et doit rester libre de ses mouvements, de ses réussites comme de ses erreurs. Remarquez que c‟est relativement bon marché pour faire des voyages à très grande distance, en touriste, plutôt que de payer des centaines de séances de cinéma pour voir les mêmes choses. Par contre, on a intérêt à se renseigner avant de prendre le risque de tomber sur des inconnus malfaisants. Finalement, c‟est pareil qu‟en bas, il faut d‟abord se renseigner sur le pays à visiter et se faire vacciner au besoin.

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Où se trouve le temps ? — Pour revenir sur la base de données, il y a quelques choses que je n‟arrive pas à imaginer, à me représenter physiquement ? — Quoi, par exemple ? — Eh bien le principe de la mémorisation à chaque temps élémentaire de Planck. Si, à l‟instant présent, un électron de mon cerveau est à un emplacement parfaitement déterminé sur la trame, sa trace est donc mémorisée, mais dans cinq minutes, à ce même emplacement géographique, il y aura peut-être un proton du cœur de la Terre, du fait que la Terre tourne autour du Soleil, que le Soleil tourne autour de la galaxie, et que la galaxie se déplace dans son ensemble dans le cosmos. Qu‟est ce qui permet ensuite de retrouver « mon » électron dans cette mémoire de tous les instants qui est située à cet emplacement ? — Oh, je supposais que vous aviez saisi le phénomène dans son ensemble, mais ce n‟est pas tout à fait le cas. Comme vous savez, tout le monde recherche ce que peut bien être le temps, à quoi il ressemble, comment il se déroule, eh bien voilà ! Considérons uniquement votre point bien défini dans l‟espacetemps, il est défini par ses coordonnées géométriques et l‟on peut le retrouver et le questionner « Qu‟as-tu fait pendant ta vie ? » et il nous répondra « Vous n‟avez qu‟à dérouler la ficelle qui pendouille là ». Vous regardez de plus près et vous découvrez qu‟une très longue corde lui est attachée et pend lamentablement dans le vide intersidéral (où plutôt dans la quatrième dimension, puisque c‟est du temps qu‟il s‟agit). Cette corde s‟allonge d‟une longueur de Planck à chaque intervalle de temps de Planck, mais en avançant d‟un cran, elle entraîne avec elle l‟image de la trace de l‟objet le plus proche d‟elle à l‟instant précédent. On a ainsi un long film du passé de ce point bien précis, contenant tout le passé depuis le début de l‟univers. Ça fait penser à un fil que déroulerait une araignée, très régulièrement. Ça fait penser aussi à une piste de magnétophone, ou à une piste de DVD. 300


Il y a donc des traces de matière ordinaire, ainsi que des traces de matière « vivante » mélangées. En fait, elles ne sont pas aussi mélangées que cela dans la mesure où la trace comporte l‟information sur la nature, vivante ou morte de la matière. — Ça y est, j‟y suis ! J‟ai tout compris, c‟est la présence de la membrane sur chaque particule vivante qui entraîne un codage spécifique de la particule du genre « Fait partie de l‟être vivant, matricule ADN ». — Parfait, et les particules ordinaires n‟ont pas de codage particulier, à part leur nature physique, électron, quark, neutrino, etc.… — Donc, il est possible de retrouver la totalité de la sphère spatiale de trois mètres de diamètre contenant en son centre l‟intégralité de l‟individu ADN à tout instant, lui et son environnement immédiat à cet instant-là ! — Exact, ce qui explique que l‟on peut remonter le passé à un instant bien précis en « relisant » tous les fils du temps, en les « remontant » d‟une même « longueur », et ceci pour tous les emplacements qu‟a occupé l‟être de son vivant en ce même instant élémentaire du passé. — C‟est très astucieux, et tellement simple finalement. Ça me rappelle bien des démonstrations faites par un professeur de mathématiques génial, qui nous faisait tout comprendre en nous racontant des histoires amusantes, et tout le monde disait « Mais c‟est très simple, il suffisait d‟y penser avec cette approche là ! » J‟essaie d‟imaginer maintenant les trillions de trillions de cordes qui pendouillent en se tortillant dans l‟espace, où plutôt dans la quatrième dimension, la dimension du temps qui est associé à l‟espace, puisque le temps et son histoire est présent en chaque point de l‟espace. Ça ressemble à un tapis afghan à très longs poils et placé à l‟envers, finalement ! — Exact, Docteur Watson, c‟est une très bonne image, car elle contient aussi la notion de trame spatiale, la trame du tapis. — Je comprends maintenant parfaitement comment on peut accéder à des scènes du passé, à une période déterminée, et d‟y voir les êtres vivants qui nous côtoyaient à ce moment-là. Il suffit d‟y penser, et hop là ! Et si on laisse dérouler, on voit le film en trois 301


dimensions. Si on s‟intéresse à la réaction d‟un être qui vous côtoie, il suffit de se concentrer dessus, et vous partez pour le film de sa propre vie, sans même le connaître éventuellement. — D‟où l‟impression de la plupart des EMI d‟avoir accès à tout, partout, à tout instant, selon son choix. Je comprends que ça puisse troubler, mais quand on en connaît le principe de fonctionnement, c‟est tout simple. Une sorte d‟Internet très complet auquel on accède par une recherche spécifique, sachant qu‟on peut toujours dériver sur d‟autres pistes en cours de route. — Il ne reste plus qu‟à accrocher Internet à l‟espace-temps. — Ça faciliterait pas mal de choses, et ça éviterait beaucoup d‟erreurs judiciaires. — Ça serait amusant de faire un référendum mondial sur ce petit sujet de société, si trivial, donner accès à tous sur tout ! — Oublions ça et allons nous promener un peu, le soleil se lève déjà.

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La synchronisation des trois mémoires. Nous sortons du temple sacré en retraversant le laboratoire, et nous nous attardons devant les écrans des PC qui retransmettent, à l‟instant, des informations sur la situation dans le monde : rien de très réjouissant, début de conflits locaux pour la mainmise sur les réserves naturelles des autres pays… Nous ne faisons aucun commentaire, car nous n‟y pouvons rien du tout. Arrivés au bord de Trout Lake, nous profitons de l‟excellente luminosité de cette matinée de septembre, et nous observons les gerbes d‟eaux dues au saut de truites que nous ne pouvons malheureusement pas voir dans cet univers jumeau. Nous en profitons pour faire une pause régénératrice d‟une petite heure, puis je reprends la discussion : — Un petit point de détail, Albert, s'il vous plaît ! Quand un EMI revient sur Terre de son voyage, il a conservé des traces dans sa mémoire de ce qui s‟est passé ici, pas tout, mais une grande partie. Comment s‟effectue cette mémorisation ? — Tout son voyage est mémorisé, sauf les données infiniment trop nombreuses de la base de données universelle. Il s‟en est servi comme un navigateur Web d‟un PC se sert d‟un moteur de recherche externe perfectionné, mais il n‟a conservé en mémoire que les parties qu‟il a effectivement consultées à vitesse normale. C‟est comme avec Google, on ne conserve sur son PC que les pages vues, et pas la base de données de Google qui contient des milliards de pages. — Ça semble logique. Je ne connais pas la capacité de stockage de notre « mémoire-membrane », mais elle ne doit pas être beaucoup plus grande que celle de la bulle, car il faudra que cette dernière soit à nouveau synchronisée au retour sur Terre. La vraie différence entre les deux mémoires, c‟est qu‟ici, on peut exécuter des recherches sur l‟intégralité de la base des données universelles, et pas sur Terre. Comment pourrait-on y arriver, puisque la communication entre les deux univers jumeaux est apparemment impossible, depuis la Terre en tout cas ? Il faut que 303


j‟y réfléchisse plus, et je t‟invite à faire de même, car tu fourmilles d‟idées iconoclastes. — L‟idéal serait évidemment que l‟on puisse dans cet univers jumeau intervenir sur les PC jumeaux du laboratoire jumeau, mais ça nous est interdit, et nous n‟avons pas de doigts pour agir sur les claviers, ni même de voix pour agir par commandes orales sur les machines ! Et pourtant, ces PC sont les véritables jumeaux de ceux d‟en bas ! Cependant, le fait d‟y réfléchir me donne quand même une idée. — Peut-on savoir ? — Oui, voilà l‟idée. Je sais que ces PC sont équipés d‟un module de détection de fond d‟œil pour autoriser l‟accès aux seules personnes qu‟elle reconnaît. Je sais également qu‟on lui a ajouté un module qui permet à partir des mouvements des yeux d‟interagir avec le PC comme s‟il s‟agissait d‟une souris. Mon ami, Labo, avait installé ce système caméra+logiciel d‟analyse pour aider les bonobos à apprendre plus vite, car ils se servaient très mal de leurs doigts, mais finalement, il n‟a pas été utilisé, car les bonobos n‟arrêtaient pas de rouler des yeux comme des idiots, impressionnés par la présence de ces lunettes caméra juste devant leur iris. Chaque membre de TOPLA s‟étant servi de cet équipement, tous nos fonds d‟œil sont validés sur chaque PC. Le gros problème potentiel, c‟est que je ne suis pas sûr que mes yeux actuels, ceux que vous voyez, sont strictement identiques, avec les mêmes détails qu‟en bas ! — Il est vrai que nos visages ici me paraissent moins détaillés, presque plats, ce qui est étonnant dans un espace jumeau. — Espace jumeau, il l‟est pour toute la matière « inerte », non vivante, et nous oublions que mon corps physique n‟y est pas présent. Nous ne sommes que des âmes, capables de bien plus de choses sophistiquées qu‟en bas, avec une capacité de vision très différente, car ne se servant pas des yeux matériels. Et je vais aller encore plus loin, il est strictement impossible que nous ayons des yeux ici, les yeux jumeaux de ceux de notre corps physique, car vous, Albert, vous n‟en auriez pas, puisque votre corps et vos yeux ont déjà été mangés par les vers ! 304


— Là, jeune homme, je vous trouve très méchant avec moi, mais je ne vous en tiens pas rigueur, dit Einstein en souriant. — Il me semblait bien que vous étiez incapable de porter un intérêt émotionnel quelconque à votre enveloppe terrestre, tout comme moi, mais dans le principe seulement, car il faut que je vous avoue quand même que j‟espère que le mien se conserve correctement, en bas. — Remarquons une certaine logique dans tout cela, car nous sommes tous au même niveau dans les limbes, des simples et purs esprits. — Nos visages actuels ne sont que des pâles copies plates de nos visages terrestres, juste assez détaillés pour que l‟on reconnaisse son interlocuteur sans avoir à intervenir dans son âme. — Exact, mais alors, c‟est maintenant moi qui ai une idée, pour nous sortir de là ! — C‟est pour le coup que je suis tout ouïe, mais sans oreilles. — Nous avons découvert la mémoire universelle, d‟accord ? — D‟accord. — Nous savons nous en servir, d‟accord ? — D‟accord. — Nous savons, ici, mémoriser ce que nous y voyons, puisque nous pouvons synchroniser notre bulle, d‟accord ? — D‟accord. — Eh bien, nous avons donc une possibilité de mémoriser tous les détails de votre fond d‟œil, à condition de rentrer dedans ! — Mais je refuse, dis-je en riant. Par contre, s‟il suffit de me chercher dans la base de données universelle, là je veux bien. — C‟est bien ce que je voulais dire. — Donc, je vais me concentrer sur mon personnage, dans un passé récent, et je vais me placer devant lui, pour le regarder droit dans les yeux, et lui demander d‟être assez mignon pour me laisser pénétrer dans son œil gauche ? — Exact, et comme vous le verrez de partout à la fois, vous stabiliserez l‟instant en question, car il ne faut pas qu‟il bouge, et vous vous placez juste devant, au niveau des yeux. Si les yeux ne 305


sont pas ouverts, vous laissez s‟écouler quelques dixièmes de seconde, et vous stabilisez à nouveau. — Et je pénètre alors dans mon œil gauche, en réduisant le volume de vision sphérique à quelques centimètres, pour ne voir que le fond d‟œil, et ne pas être perturbé par les autres portions du globe oculaire. — Épatant, yaka ! — Yaka, Yaka, ce n‟est pas si simple, car comment transmettre cette image mémorisée devant la caméra ? — Quoi, Gaël ne vous a pas expliqué ? — Expliqué quoi ! Je pensais tout savoir avec un tel professeur, gardien de surcroît ! — Il a dû oublier, car il est vrai que nous n‟avons généralement pas besoin d‟utiliser les hologrammes dans nos conversations courantes. Cette capacité est cependant fort utile ici, lors des conférences avec des centaines d‟élèves, car il est plus rapide de leur montrer un hologramme que de leur demander de tous partir en voyage, pour en trouver l‟image mémorisée quelque part dans la base de données. — Parfait, c‟est une solution. Montrez-moi un hologramme. — Je vous demande deux minutes, dit Einstein en se mettant en veille, puis revenant joyeux : — J‟ai ce qu‟il vous faut, regardez-moi ça ! Une image en trois dimensions commence à se former devant nous, on en voit d‟abord les contours, ça ressemble à des dunes de sable, puis je devine un scooter Lambretta bleu clair stationné plus loin, au bord de la route. L‟image se stabilise, et Albert doit le faire exprès, car il sourit, mais ça s‟affine encore, et finalement, je vois un couple allongé sur le sable, c‟est Angéla et moi, sur la Mer de Sable, à Ermenonville, près de Senlis, le lendemain de notre première rencontre. — Albert, vous ne pouviez me faire plus plaisir en faisant ce choix. J‟espère que vous n‟allez pas me montrer la séquence complète avec les personnages en mouvement ?

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— Cela ne sera pas utile, je suis persuadé que vous en avez un souvenir parfait et Angéla également. Mais j‟ai autre chose à vous montrer. — Quoi encore ? — Votre fond d‟œil, il y a un mois. L‟hologramme montre maintenant un fond d‟œil, avec toutes les veinules très détaillées, et Albert peut le grossir et le réduire à volonté, ce qui sera très pratique pour faire notre test, car il faut impérativement que la caméra voie l‟objet avec ses dimensions exactes. — Une question cependant, quelle est la composition de cet hologramme, je veux dire, sont-ce des antiphotons que nous voyons là ? — Exact, et comme votre caméra est faite d‟antimatière, elle devrait fonctionner parfaitement, et le logiciel également. — Essayons tout de suite ? — Allons-y ! Nous nous dirigeons calmement vers le laboratoire, pendant que l‟hologramme s‟estompe jusqu‟à disparaître complètement.

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Un trou de ver informatique. Si cette solution fonctionne, nous aurons trouvé un moyen de communiquer en temps réel avec la Terre, et tous nos amis, ce qui laisse rêveur. Albert place mon hologramme devant le PC que je lui désigne, puis il ne modifie pas sa taille, mais il le rapproche de plus en plus jusqu‟à ce qu‟……une fenêtre différente apparaît déclarant « Code oculaire accepté, LaboVisuel vous autorise à communiquer oralement ou par les mouvements de votre œil gauche ». Nous « bondissons » de joie, si l‟on peut dire, et Albert me dit qu‟il va rechercher dans la base les différents hologrammes des quelques mouvements d‟œil nécessaires pour contrôler la machine. Il revient cinq minutes après, avec des hologrammes pris depuis l‟extérieur de mon œil gauche, pour que les mouvements de la pupille soient bien visibles sur l‟hologramme physique de contrôle du PC. Il m‟explique comment faire fonctionner les hologrammes moi-même, car il n‟a pas encore appris les procédures, et il n‟est pas familier avec les PC, ne les ayant jamais connus. Je m‟entraîne à faire un hologramme en recopiant l‟image de ceux que m‟a montrés Albert. Ce qui est incroyable ici, c‟est que les images que l‟on mémorise restent parfaites, même après avoir été retransmises par plusieurs personnes différentes avant vous. On a l‟impression d‟être soi-même équipé d‟une caméra haute définition en trois dimensions, plus un projecteur holographique parfait, en trois dimensions également. Je suppose, mais ça restera à vérifier, que mes amis ne voient pas l‟hologramme dans leur laboratoire. Je vais leur demander, car ça pourrait servir à autre chose que la « simple » commande d‟un PC. Je démarre le test complet en demandant par mouvements d‟yeux interposés à consulter ma boîte de messages email. Une surprise m‟attend, car Angéla m‟a laissé un message chaque jour, depuis mon départ pour ce grand voyage « sans retour ? » Je prends le temps de les lire, ému au plus haut point, comme on peut l‟imaginer. J‟envoie un message à Angéla, puis un autre à 308


toute l‟équipe, en précisant comment je fais, et en leur demandant de ne rien laisser devant cet écran, de manière à ce que mon hologramme ne soit pas déformé. Ils doivent être dans la salle à manger à cette heure de la journée, et je le vérifie en me connectant sur le réseau de caméras intérieures. Tiens, il y a les deux bonobos dans le laboratoire principal, et ils sont figés de stupeur, deux mètres à la droite de mon PC, fixant avec un air incrédule et un peu effrayé mon hologramme d‟œil qui bouge. Subitement, Nina s‟enfuit en couinant dans les couloirs, et Boni la suit comme à regret, jetant fréquemment un regard en arrière vers le laboratoire du fantôme d‟Ovni. Je me connecte sur la salle à manger, et Nina entre en pleurs et en criant qu‟Ovni est dans le labo, mais en très mauvais état, car il n‟y a que son œil, c‟est vraiment horrible à voir. Boni confirme, la tête baissée. Tout le petit groupe se dirige précipitamment vers le labo, perdant plusieurs serviettes et petites cuillers dans les couloirs. Je suis la cavalcade dans les couloirs, et les voit maintenant entrer dans le labo, s‟arrêtant muets de stupéfaction devant l‟hologramme de mon œil qui se met à cligner des paupières, pour les accueillir. Labo comprend presque instantanément, et il se précipite vers le clavier du PC voisin pour lire ses emails. Les autres se dirigent vers lui pour lire ensemble mon message d‟explications. Je les vois danser une gigue comme des petits diablotins, et Angéla se met devant la caméra de contrôle pour m‟adresser un gros baiser plein d‟émotion. Je crois bien qu‟ils ont compris que je ne pouvais pas les entendre, car personne ne fait mine de me parler. Tout se passera donc via des messages classiques. Tout à coup, je vois Labo pianoter fébrilement sur son clavier, et je devine ce qu‟il fait : il va lancer un logiciel de conversion voix vers texte pour communiquer plus rapidement, de son côté en tout cas. Ça défile rapidement maintenant, car ils s‟y mettent tous, chacun devant son PC, ça fait un sacré bazar à suivre pour moi. Cette conversation à cinq, plus les Scimuts qui nous ont rejoints, d‟un côté, et moi de l‟autre durera quatre-heures, ralentie par ma lenteur désespérante à sélectionner les caractères du clavier virtuel avec mon œil hologramme. 309


Albert s‟est installé devant un écran qui donne en permanence les dernières nouvelles du monde, nous laissant à nos effusions. Nous nous quittons en définissant un horaire précis pour nos contacts futurs, et je m‟abandonne à une veille réparatrice, car je suis réellement fatigué, et ma réserve de digitons doit être reconstituée. Albert et moi devrions discuter avec Gaël pour définir le danger potentiel considérable que crée cette découverte d‟un trou de ver entre les deux univers. Je lui dis mon inquiétude concernant l‟utilisation éventuelle de cette « arme » par des âmes mal intentionnées. Il comprend parfaitement mon argument, se souvenant de ses propres inquiétudes et cauchemars, à propos l‟arme nucléaire qui fut développée 30 ans après ses découvertes dont la fameuse formule E=mC². J‟appelle mentalement Gaël qui me répond qu‟il sera avec nous demain matin, vers huit heures.

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Problèmes de conscience. Après une bonne nuit de réparation au bord du lac, nous sommes « réveillés » par Gaël qui nous déclare : — Bonjour, Albert, je suis très heureux de vous voir ensemble, car cette association d‟esprits me laisse prévoir pas mal de nouveautés et de soucis dans les limbes. — Bonjour, Gaël, qui avez-vous contacté au cours de ce voyage ? — J‟ai d‟abord contacté mon supérieur, le maître gardien Gabriel, pour lui expliquer notre position commune. Il a globalement approuvé ce qu‟il a rappelé être une action contestataire, mais il m‟a dit être prêt à contacter Jésus dans sa galaxie lointaine, pour lui demander de venir participer à une réunion regroupant toutes les âmes impliquées dans cette contestation concernant le statut de Mira. Il me préviendra du lieu et de l‟heure où nous pourrons les rejoindre. Si Albert veut être des nôtres, qu‟il le dise. — Je serai effectivement heureux de participer à votre discussion. — D‟accord, mais quoi de nouveau pour vous, Ovni ? — Je vous ouvre ma mémoire récente, vous saurez tout dans tous les détails. Préparez-vous à des surprises de taille. — Donnez-moi trente minutes pour voir de quoi il retourne. Gaël se plonge dans ma mémoire, et je ne perçois rien de particulier, sauf que son image est omniprésente dans mon champ de vision, en filigrane cependant, pour me permettre de faire autre chose en parallèle. Quand il s‟extrait de ma mémoire, il prend un air attristé et déclare : — Je ne m‟attendais vraiment pas à cela, car seuls les gardiens ont la capacité de communiquer avec l‟univers jumeau, en utilisant un procédé infaillible, non transmissible. Vous avez découvert un autre moyen qui constitue une faille gravissime dans le système conçu par le Créateur. Je ne vois pas de solution pour faire remonter cette information au niveau suffisant, 311


c‟est-à-dire le Créateur lui-même, qui est par ailleurs inatteignable, à ma connaissance. D‟un autre côté, toute tentative de remonter au niveau des deux «enfants» nous ferait prendre le risque énorme qu‟ils s‟en servent, par exemple pour alimenter leur guéguerre, avec une nouvelle arme qui serait mise à leur disposition. Votre découverte est magistrale, mais elle présente des défauts de la même grandeur que ses avantages. La seule chose que je peux vous proposer, en attendant mieux, c‟est que nous mettions en place une barrière sphérique interdisant la zone aux âmes non autorisées. Il faudra prévenir les Dalaï-Lamas de la mise en place de cette barrière sécuritaire. Ils vont discuter ferme, car ils se servaient de vos PC pour s‟informer de la situation sur Terre. — Ce n‟est pas un problème majeur, car je pourrai demander à TOPLA de déplacer un PC dans une autre grotte, et de le spécialiser en nouvelles d‟informations sur un écran défilant en permanence. — Faites-le, Ovni, de mon côté, je me repose pour avoir assez d‟énergie pour la mise en place de la barrière sphérique, de douze mètres de diamètre, dites-le à vos amis. — Je le ferai ce soir, à l‟heure prévue pour les contacts. À l‟heure dite, je fais mon rapport à TOPLA, et je leur demande en plus de mettre en place une barrière de sécurité électrifiée autour du laboratoire, avec mot de passe par fond d‟œil et empreinte digitale sur les portes d‟accès. On n‟est jamais trop prudents. Ça leur prendra une journée, et Labo laissera un message sur mon écran personnel pour signifier que son travail est terminé. Gaël pourra alors mettre en place sa propre sphère de sécurité dans les limbes. Capt et Aria sont heureux d‟apprendre que le statut de Mira sera peut-être révisé grâce à notre action. L‟ensemble du groupe fait le serment de garder le secret du trou de ver jusqu‟à mettre en péril leurs vies, s‟il le fallait. Notre conversation cesse, et nous retournons au bord du lac.

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Un statut pour Mira ? Deux jours plus tard, nous faisons ensemble le voyage vers une forêt de Nouvelle-Guinée, dans une vallée inconnue du Centre de l‟île géante. La réunion se tient dans une profonde grotte, aucun être humain ne l‟a visitée, il n‟y a aucun risque de voir une âme apparaître sur le seuil. Gaël fait les présentations concernant Albert et Ovni, puis celles concernant Gabriel et Jésus. Albert et moi nous restons respectueusement à une certaine distance, et nous sommes un peu impressionnés, il faut bien l‟avouer. Gabriel mène les débats, et commence par une récapitulation historique de tout ce qui concerne les raisons de l‟actuel statut de Mira, du refus d‟en discuter du nouveau Conseil des Sages, et des éléments nouveaux qui militent en faveur de Mira. Jésus intervient alors : — Comme vous le savez, j‟ai eu beaucoup de temps libre pour comprendre mon échec, suite à mon intervention sur Terre, mais je ne remets cependant pas en cause ma motivation de l‟époque : il fallait faire quelque chose de particulièrement « fort » pour passer le message principal. J‟ai toujours eu cette image de contestataire, ici pour obtenir l‟autorisation de descendre sur Terre, et en bas, pour m‟être attaqué aux puissants du moment. Rassurez-vous, je n‟ai pas changé, comme dit la chanson, je suis de plus en plus attaché à ruer dans les brancards, quand le sujet en vaut la peine. Du fait de mon affectation aux confins du trou noir géant pour jouer les secouristes, compte tenu de l‟affluence inusitée de décès dans cette région de l‟univers, je n‟ai pas pu me rendre utile aux causes mal défendues ici ou là. Mais je suis de retour parmi vous, et vous pouvez compter sur moi. Je confirme ici que l‟un de mes messages concernant la reproduction était le plus pédagogique possible, compte tenu du niveau moyen d‟éducation des humains de l‟époque. 313


Je recommandais une accélération des reproductions, ce qui avait l‟avantage, pour les couches les plus pauvres, de pouvoir mieux s‟opposer par le nombre à la répression locale de quelques tyrans. Cette recommandation présentait en même temps, pour moi, un avantage à plus long terme, celui d‟accélérer les mutations génétiques indispensables pour que la race humaine s‟améliore, et puisse accéder plus rapidement à de nouvelles connaissances, concernant le monde et l‟univers environnants. Mira est une planète très en avance, par rapport à la Terre, et ils sont allés plus loin encore, dans le domaine des mutations génétiques. Ils ont compris que leur race allait s‟éteindre dans des guerres fratricides s‟ils ne faisaient pas ces mutations volontaires. Ils ont fait ce qu‟il fallait faire, et si je devais redescendre un jour sur une autre planète, je le ferai en argumentant en faveur de ce type de mutations, et je leur recommanderai d‟utiliser les techniques qu‟ils ont acquises dans ce sens. Le but final n‟est pas d‟avoir encore plus d‟âmes, toujours plus d‟âmes. Le but réel est que la moyenne de la qualité de toutes ces âmes soit plus élevée, toujours plus élevée. Il est maintenant évident qu‟il nous faut constater que Mira a survécu, et que les Scimuts ont enfin pu s‟intéresser aux autres planètes qui les environnent au lieu de s‟entretuer. À ce titre, ce qu‟ils ont réalisé sur Terre, en association étroite avec TOPLA, est remarquable, et il faut que cela se sache en haut lieu. Évidemment, je ne redescendrai pas sur Terre, car apparemment, vous avez réussi à lancer un programme de ce genre, avec l‟aide des Scimuts. Je vais donc aller au grand Conseil des Sages, non seulement pour régler le cas unique de Mira, mais pour établir une règle générale concernant toutes les planètes qui sont et seront sur le point d‟évoluer volontairement dans le sens de la survie générale. Je pense tout particulièrement à la Terre, qui est la seconde dans cette situation, et à quelques autres en devenir, dans des galaxies approximativement du même âge. Je vous demande de rester ici, je vais faire le voyage avec Gabriel et Gaël, à trois, cela sera suffisant. En principe, trois jours seront nécessaires, et nous devrions être de retour ici dans soixantedouze heures. 314


Si vous ne nous voyez pas revenir à cette date, retournez à vos occupations, je ne doute pas qu‟elles soient nombreuses et prometteuses. Nous saurons toujours vous joindre là où vous serez. À bientôt ! — Tous nos vœux vous accompagnent, dit Albert. — Restez calmes, surtout, l‟affrontement n‟est jamais efficace en cette matière, et espérons que les susceptibilités ne sont plus de mise, à ce niveau de responsabilité, ajoutai-je. Ils sortirent de la grotte, trois lumières, du blanc crème au blanc doré, ce fut assez impressionnant pour Albert et moi. Restés seuls, nous discutâmes des multiunivers, comme de bien entendu, jusqu‟à épuisement mental et mise en veille automatique ! Au cours des trois jours suivants, nous avons affiné plusieurs hypothèses que nous avons élaborées de concert. Elles tournaient principalement autour du petit sujet du moment, le fameux trou noir gigantesque que les scientifiques terrestres venaient de découvrir, au milieu de nulle part, à quelques milliards d‟annéeslumière de nous. J‟ai même effectué un voyage dans ce trou noir jumeau, assisté par Albert qui m‟alimentait en digitons, et je dois reconnaître que je ne lui supposais pas une telle capacité de récupération dans ce domaine. Je n‟ai pas pu aller bien loin, repoussé par des fluctuations invraisemblables au niveau quantique entraînant des rayonnements interdisant toute vision utile. Quant à Albert, sa capacité de récupération fut plus importante que celle de Gaël, ce qui nous surprit favorablement. Apparemment, la capacité acquise du cerveau biologique sur Terre a une répercussion positive sur la capacité de l‟âme qui arrive dans les limbes, au point que le galon de gardien n‟apporte que peu d‟énergie supplémentaire, si l‟on considère Gaël. Cela laisse supposer que Jésus était parfaitement logique en favorisant les mutations génétiques, et en déclarant que les âmes seraient ainsi d‟autant plus « fortes » qu‟elles seraient d‟origine récente. 315


Je souhaiterais en savoir plus sur la capacité d‟acquisition de puissance « à l‟ancienneté » dans les limbes, car il doit bien y en avoir une, sinon quel intérêt y aurait-il à demander aux âmes de continuer à s‟enrichir en connaissances, dans ce milieu dont on ne connaît pas la date de fin et où l‟on pourrait s‟ennuyer au bout d'un certain temps ? Il serait bon d‟aller vérifier cela auprès des maîtres de la Chine antique. Je sens que je vais soutenir la candidature d‟Albert, qui deviendrait un professeur tout à fait crédible pour animer des cours spécialisés ici même. Les limbes manquent d‟écoles de haut niveau, c‟est évident, et l‟on peut reprocher aux Sages et aux maîtres gardiens de ne pas y avoir pensé plus tôt. Ce n‟est sûrement pas le laissez-faire et laisser-aller généralisé qui est le plus efficace, on en a la preuve sur Terre, et ce n‟est pas une déviation à une règle, par ailleurs non écrite, que de fonder des académies ici. S‟il y a des universités sur Terre, il peut y en avoir ici aussi. S‟il n‟y en a pas, c‟est sûrement parce que les âmes ont l‟impression d‟avoir accès à tout, mais s‟ils n‟utilisent pas fréquemment cette possibilité pour compléter leur mémoire personnelle en faisant des recherches individuelles, ça n‟apporte rien à leurs connaissances acquises. C‟est un peu comme si un Terrien de Lyon pensait devenir intelligent du fait que son cousin de Bordeaux a un PC relié à Internet. Lorsque Gabriel et Jésus reviennent, nous sommes encore en discussion, Albert et moi, occupés à préparer un plan d‟éducation universel qu‟Albert doit proposer à Gabriel. Gabriel nous raconte alors leur entrevue avec le grand Conseil des Sages : — Nous avons été reçus par les trois Sages, très correctement, ma foi. Ils nous ont écoutés, tout particulièrement Jésus qui a fait un plaidoyer magistral pour Mira et la Terre. Ils ont bien compris qu‟il serait inacceptable de continuer dans une voie sans issue, et ils ont admis que cette voie qui consistait à mettre en quarantaine des planètes entières n‟avait pas de sens. Ils ont décidé que la liberté devait prendre le pas sur les anciens préceptes, et qu‟il en résulterait de meilleurs résultats dans l‟ensemble, Mira en ayant fait la preuve. 316


Ils ont diffusé un message dans ce sens à tous les gardiens et maîtres gardiens, et ils ont demandé qu‟ils assignent les gardiens Scimuts sur leur planète d‟origine, Mira. — Ainsi, tout est en règle, déclara Jésus. Il faut que nous vous annoncions une mauvaise nouvelle, cependant. Les Sages nous ont appris que la situation se dégradait sur certaines planètes que nous avons laissées un peu à l‟abandon, depuis que nous avons envoyé leurs gardiens aux abords du grand trou noir, en urgence. — Oui, dit Gabriel, cette urgence perdure depuis en fait quelques centaines d‟années, et nous n‟en verrons pas la fin de sitôt. Sur ces planètes, une évolution, apparemment programmée par des acteurs inconnus, a permis la prise du pouvoir par des tyrans d‟une nouvelle espèce qui mettent ces planètes à feu et à sang. — Ce qui est étonnant, ajouta Jésus, c‟est que les planètes de l‟univers matériel n‟ont aucun moyen de communication entre elles, et pourtant, le même phénomène s‟y propage. Il n‟y a plus aucun gardien sur place, dans les limbes, car ils ont tous été placés en esclavagisme, et chaque tyran des limbes dispose maintenant d‟une réserve immense de digitons qu‟il utilise pour des incursions sur les planètes de l‟univers matériel. Ces tyrans sont en fait des anciens gardiens qui se sont proposés à ce poste pour éviter l‟esclavagisme, et ils sont maintenant sous étroite surveillance par une douzaine d‟âmes corrompues. Gabriel ajoute alors : — À chaque planète qui « tombe » dans l‟univers matériel correspond une planète jumelle récemment « tombée » dans les limbes. La connexion est évidente. Nous ne pouvons laisser faire sans réagir, et ma recherche va commencer par la surveillance de ces connexions entre mondes jumeaux. Qu‟en pensez-vous, Gaël ? — Je vais en discuter avec mes deux amis, nous allons faire quelques tests et nous vous donnerons notre avis dans quelques jours.

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Qui est le manipulateur ? Nous sommes retournés tous trois dans l‟Himalaya, au bord du lac, pour faire le point. Nous sommes consternés, mais ce qui arrive était prévisible, car une planète des limbes qui n‟a plus de gardien est laissée à elle-même, et tout peut arriver, le mal en particulier. En effet, les âmes « ordinaires » sont par nature pacifiques, et ne recherchent pas le pouvoir sur leurs congénères. De plus, le fait que les systèmes d‟armes sont inutilisables ici leur fait croire, à tort, que rien de bien grave ne peut survenir de la part des plus méchants, et ils n‟ont plus peur de la mort. C‟est oublier que l‟arme la plus puissante a toujours été la prise du pouvoir et l‟embrigadement généralisé. Le niveau de sophistication des armes matérielles est un plus, certes, mais pas toujours, il suffit de se rappeler la puissance des systèmes de pensées malfaisants qui utilisent des kamikazes pour exercer une atroce pression sur des foules impuissantes. On se retrouve en face d‟un système identique à celui d‟Al Qaïda sur la Terre. La différence apparente, c‟est que cette horreur a maintenant sa source dans les limbes, et que nous serions coupables de son développement, si nous ne l‟éradiquons pas le plus rapidement possible. Gaël ne voit pas de solution automatique pour retirer son galon de gardien au « traître » qui a préféré propager le mal en contrepartie de sa liberté de mouvement. Jusqu‟à présent, la règle était que chaque gardien déclaré déviant devait se soumettre aux maîtres gardiens et renoncer à ses pouvoirs antérieurs, ce qui limitait la peine prononcée à un retour au statut d‟âme « ordinaire ». Albert ne pense pas que le bogue du trou de ver que nous venons de découvrir soit à l‟origine de l‟expansion de ce phénomène, car il penche plutôt vers une explication liée à la capacité des gardiens de pouvoir intervenir dans le monde jumeau, tout comme Jésus l‟a fait en son temps, et Gabriel en deux occasions, avec l‟annonce à Marie puis l‟annonce à Mahomet de l‟importance du Coran. 318


Personnellement, je suppose que d‟autres trous de ver d‟une nature différente existent et que le manipulateur les a découverts, ainsi que la manière de les utiliser efficacement. Si le manipulateur est l‟enfant terrible, comme je le pense, il est certain qu‟il a accès à d‟autres sources d‟informations très efficaces pour constater les défauts du système en place. Dans ce cas, la lutte sera rude, mais il nous faudra la gagner sinon les résultats de l‟Armageddon final sont connus par avance. Je propose d‟effectuer une recherche systématique de l‟existence de trous de vers naturels dans les parages des planètes touchées, pour pouvoir localiser les points précis d‟une intervention salvatrice, si elle était finalement décidée par Gabriel. Nous tombons d‟accord sur cette approche : Albert et moi resterons ici, pour avancer dans la localisation pendant que Gaël se procurera la liste exacte des planètes concernées auprès de Gabriel. Gaël ajoute qu‟il demandera officiellement que mon galon de gardien me soit remis, comme il me l‟avait promis. Nous nous séparons, Gaël de son côté, Albert et moi nous allons nous reposer, car la partie s‟annonce délicate. Le lendemain, Albert me propose : — J‟ai de nombreux amis qui ont longuement travaillé sur la théorie des cordes et que j‟ai revus ici. Je suppose qu‟ils peuvent nous aider à mieux comprendre la nature exacte des digitons, le principe de leur stockage et leur fonctionnement détaillé sur la trame de l‟espace-temps. Bien sûr, cela entraîne que ces personnes devront être informées de nos découvertes, et le risque grandit d‟une possible fuite d‟informations. — C‟est vrai, et la seule solution alors sera de nous faire enfermer par Gabriel dans une sphère de mille mètres de rayon centrée sur le laboratoire, ce qui revient à une assignation à résidence forcée ! Cette sphère interdira également toute entrée d‟intrus venant de l‟extérieur, ce qui pourra nous être utile si nous sommes attaqués par les gardiens noirs que nous cherchons. — Le problème, c‟est la réaction des Dalaï-Lamas.

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— On mettra alors en place la sphère de protection de manière que leur grotte préférée reste en dehors de la zone protégée, car elle est à deux cents mètres environ du laboratoire. — Parfait, je me mets en route vers mes collègues, et je leur demanderai de venir ici pour une partie de pêche. — N‟en invitez pas trop, trois me semble constituer un maximum. — Exact, je pensais plus spécialement à deux savants qui ont travaillé ensemble toute leur vie sur le sujet en question. J‟y cours ! — Je vais contacter de mon côté mes amis de TOPLA. Je filai vers le labo, tandis qu‟Albert s‟installait en mode voyage mental. Arrivé sur place, je découvre une surprise de mes camarades. Ils ont installé un système d‟holographie sur Terre, connecté à un PC voisin du mien, et je vois Angéla qui m‟attend sagement, occupée à lire un dossier. Je ne peux pas faire projeter mon image d‟âme actuelle, mais on pourra plus tard projeter une image fixe en trois dimensions de moi, tirée de mon passé récent, installé dans ce même labo, pourquoi pas ? Angéla réagit tout de suite dès que mon œil se place devant mon PC. Elle me raconte plein de nouveautés concernant notre famille, les enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants, et tout le tralala. Je lui explique que nous nous sommes chargés nous-mêmes d‟une mission dangereuse, et que je ne redescendrai pas avant qu‟elle soit couronnée de succès. Elle n‟en demande pas plus, s‟assurant cependant que nous prendrons toutes les précautions possibles. Je la rassure, lui fais une bise d‟un clin d‟oeil et lui demande de me passer Tera. Au bout de quelques minutes, Tera prend sa place dans l‟hologramme et m‟embrasse gentiment, d‟un geste de la main vers ses lèvres. — Tera, je souhaite ton aide, dans un domaine de ta compétence. Je t‟enverrai les coordonnées de plusieurs planètes dans les douze heures, et je te demande d‟étudier leur environnement immédiat dans tous les détails. Nous recherchons en particulier un ou plusieurs trous noirs, ou peut-être même des trous de ver. Nous pouvons le faire d‟ici, mais nous n‟aurons pas la vision optique et radio que tu as, toi, car c‟est différent ici.

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— Pas de problème, à condition que la distance soit inférieure à 100 millions d‟années-lumière, car je suis limitée malgré l‟énorme puissance de mon nouvel équipement installé ici même, et gracieusement offert par Aloa qui a bien travaillé à l‟ONU pour me le procurer. Cet équipement est la réplique exacte du prototype que j‟ai conçu à l‟observatoire andin où j‟ai terminé ma carrière le mois dernier. — Très bien, Tera, grosses bises à toute l‟équipe. — Attends, Capt souhaite te parler. — Bonjour, Ovni, je vous suis reconnaissant pour tout ce que vous faites pour Mira, me dit la corolle de notre ami Scimut. — J‟ai de bonnes nouvelles pour Mira, et aussi pour la Terre, mais je ne vous le dirai en détail que lorsqu‟on me le confirmera. Ça concerne les mutations génétiques volontaires qui n‟étaient pas perçues d‟un bon œil dans les limbes. Je dois m‟excuser, mais Albert revient vers moi : à bientôt. Je quitte le PC et interroge Albert du regard. — J‟ai ramené mes deux collègues, ils sont au bord du lac, nous t‟attendons. — Allons-y. — Non, pas tout de suite, car Gabriel est ici aussi, dans la pièce à côté, avec Gaël, et il est préférable de le prévenir avant. — Nous voici, annonce Gabriel en venant vers nous accompagné de Gaël. Tout d‟abord, acceptez mes félicitations, Ovni, je viens vous remettre votre galon de gardien sur la planète Terre. Vous ne ressentirez rien de spécial, mais vous aurez une plus grande capacité de stockage, et quelques autres capacités supplémentaires. C‟est déjà fait, depuis mon arrivée dans cette pièce. — Merci, Gabriel, merci Gaël ! Je n‟ai effectivement rien ressenti, cependant il me semble que je suis plus lumineux, un peu comme Gaël. — Oui, exactement comme Gaël, mais sachez que votre luminosité actuelle est moins grande que d‟habitude, puisque vous êtes toujours en mission spéciale. 321


— Je ne suis pas jaloux, dit Albert, mais j‟espère faire encore partie du projet sur lequel nous travaillons. — Bien sûr, Albert, répondit Gabriel, et je peux vous dire que vous avez eu raison de demander l‟appui de vos deux collègues qui sont au bord du lac, j‟ai déjà consulté leurs données personnelles, et ce sont d‟excellentes recrues pour l‟équipe. — Merci Gabriel, nous ne serons jamais assez nombreux pour étudier le problème posé. — Je vous fais confiance à tous. Je vous transfère les coordonnées des planètes incriminées maintenant. Comme j‟ai aussi compris qu‟Ovni souhaitait que Tera l‟assiste depuis la Terre, je précise que ces planètes seront toutes accessibles par son nouveau télescope optique et radio, car distantes d‟environ cinquante mille années-lumière du Soleil. Vous pourrez même l‟assister d‟ici, puisque la sphère de protection, que vous avez suggérée pour vous protéger, inclura le télescope. Il me semble important de rappeler que vous, Ovni, vous aurez accès à une vue en temps réel de ce qui se passe là-bas, ce qui ne sera pas le cas de Tera. Travaillez bien, et appelez au secours si vous avez envie de faire un tour à Paris. — Est-ce que Gaël va rester avec nous ? — Bien sûr, Gaël est le responsable de ce groupe d‟action devant moi. À bientôt, je sors et j‟enclenche la sécurité. — Au revoir. Nous allons accueillir Sergio et Martina sur les rives du lac. Ils semblent enthousiastes à l‟idée de recommencer leurs chères études avec de nouveaux moyens à leur disposition. Je transmets vers Tera les coordonnées des planètes à étudier. Albert remplit d‟équations un tableau noir holographique et se dispute gentiment sur leur contenu avec ses copains. Gaël réfléchit dans son coin. Je me place en veille, et petit à petit, tout le monde va au « lit ».

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Planètes contaminées. Le lendemain, nous faisons un point pour définir le programme dans ses détails. Gaël nous indique ce qu‟il sait concernant les digitons, pour orienter les recherches de l‟équipe d‟Albert : — Les âmes « ordinaires » savent simplement que les digitons existent, mais ils n‟en connaissent pas l‟origine exacte, ni leurs propriétés : ils savent s‟en servir, c‟est suffisant pour la majorité d‟entre eux. Les gardiens reçoivent une formation qui leur en apprend plus, mais pas beaucoup plus. J‟ai personnellement eu la chance de souvent travailler avec des maîtres gardiens qui ont aussi eu leurs connaissances complétées, mais il subsiste cependant quelques notions de base qui manquent. J‟ai longuement discuté avec Gabriel, qui est aussi curieux que moi, et je vais vous indiquer nos dernières connaissances vérifiées, ainsi que nos estimations pour ce qui nous manque. Ce qui est vérifié d‟abord. Les digitons sont émis lors d‟une collision entre des neutrinos venant d‟ailleurs et les membranes de vie qui enveloppent chaque particule matérielle de nos corps sur Terre, bulle y comprise, cette même membrane recouvrant ensuite nos âmes dans les limbes, quand nous mourons. Sur Terre, ces digitons se reconvertissent immédiatement en neutrinos stables et en énergie supplémentaire pour votre bulle, puisqu‟ils ne peuvent s‟exprimer, n‟ayant pas accès à la cinquième dimension indispensable. Je vois Albert qui semble étonné, et je suppose qu‟il fait référence au fait que les neutrinos sur Terre ont une surface de capture excessivement faible avec les particules de matière terrestre, ce qui explique qu‟ils peuvent traverser le Soleil sans aucun risque de collision. Je suis bien d‟accord avec cela, mais il faut tenir compte des caractéristiques très particulières des membranes qui augmentent la surface de capture de toute particule passant à proximité, gluons, photons, électrons et neutrinos y compris. C‟est ce procédé qui apporte de l‟énergie à vos bulles, pendant toute votre vie. Dans les limbes, c‟est le même principe qui s‟applique, à la différence près que les digitons sont captés par la membrane de l‟âme, stabilisés et stockés dans la bulle devenue âme, car ils 323


n‟interagissent pas avec les autres particules dans cet univers à cinq dimensions. Ce sont les digitons que nous utilisons ensuite pour toutes nos communications et voyages d‟exploration. Ces particules n‟ont pas de charge électromagnétique, pas de masse, elles sont donc plutôt proches des photons, mais avec une gamme d‟énergie et de fréquences différentes. On peut dire, pour simplifier que ce sont des photons « intelligents » et hyper rapides. — Intelligents, demande Albert ? — Ce n‟est qu‟une expression, car il n‟y a pas de mot existant pour décrire ses capacités spécifiques. Ils ne sont pas intelligents au sens « capable de réfléchir », mais ils peuvent transporter des informations complexes et multiples, sous une forme « digitale » si l‟on peut dire. — Un peu comme des bits délivrés en paquets et en série sur les fibres optiques, demandai-je ? — Pas exactement, car chaque digiton élémentaire peut transporter jusqu‟à plusieurs milliers de digits élémentaires à vitesse quasi infinie. Ces digits ne sont pas délivrés en série, mais simultanément, par une superposition de fréquences différentes caractérisant l‟information digitale à transmettre, par une modulation sur une fréquence porteuse infiniment grande. C‟est en fait le même principe de support par fréquence porteuse qui est utilisé pour transporter vos émissions de télévision haute définition sur Terre. — Je crois saisir les différences entre les « pouvoirs » de communication des âmes « ordinaires, et les gardiens, et toute la hiérarchie des limbes. — Vous avez mis le « doigt » dessus, Ovni. C‟est en fait le grade actuel de l‟âme qui définit la capacité de communication des digitons et la complexité des informations qu‟ils peuvent véhiculer. Il y a des marches d‟escalier pour les digitons, marches dépendant du niveau hiérarchique atteint par la membrane. Pour les âmes, 1 mégaoctet seulement. Pour les gardiens, 8 mégaoctets. Pour les maîtres gardiens, 64 mégaoctets. Pour les Sages, 512 mégaoctets. 324


Pour les «enfants», 4 gigaoctets. Pour le créateur, jusqu‟à l‟infini théorique, avec un niveau choisi par lui seul, en fonction de ses besoins. Les deux derniers chiffres ne sont pas vérifiés, ils résultent de nos cogitations communes avec Gabriel. — Excellent, cela explique pas mal de choses. J‟imagine que la membrane communique avec une autre membrane d‟une façon “simple”, compréhensible par tous en tout cas, puisqu‟il s‟agit de membranes réellement intelligentes, au sens plein. Mais quid d‟une demande d‟information concernant le passé récent d‟un individu, de matricule ADN, dans une galaxie lointaine ? Si la membrane peut émettre cette demande, c‟est une chose que je comprends, mais il faudrait pour cela qu‟il y ait une intelligence située au centre de la sphère réclamée de l‟espace-temps, intelligence capable de traiter cette demande, d‟acquérir les informations demandées sur les cordes du temps, de les formater correctement, et de les expédier par retour au demandeur. — Vous avez bien saisi le processus, Martina. C‟est exactement ça. Ovni et Albert, vous avez récemment découvert et imaginé la dimension du temps sous la forme d‟une corde déroulante en chaque point de Planck de l‟espace. Vous découvrez maintenant qu‟il est nécessaire de définir d‟autres dimensions supplémentaires, en chaque point de Planck. Ce sont des dimensions qui gèrent l‟information pure caractérisant toutes les caractéristiques historiques de chaque point. D‟une certaine manière, c‟est l‟existence même de la dimension du temps qui requiert ces dimensions supplémentaires, assurant la gestion de l‟historique des caractéristiques du point. Si le temps n‟existait pas, il n‟y aurait aucune raison de s‟intéresser aux évènements, car il n‟y aurait pas d‟évènements du tout, tout serait figé. Mais le but du jeu inventé par le créateur, c‟est surtout une simulation, il y a donc du mouvement de matières, régi par les lois de la physique, et il y a de la vie, donc il y a possibilité de développement d‟intelligences ayant besoin d‟informations pour toujours plus de connaissances, et c‟est ça qui est intéressant pour le créateur. Les « enfants » ont ainsi un jeu palpitant à jouer pendant l‟éternité, ou peut-être un peu moins que cela, puisque le jeu aura une fin ! — Est-ce que les « enfants » peuvent intervenir en temps réel, et influer sur la simulation en cours ? demande Sergio. 325


— Gabriel et moi supposons que non, car ils ont défini leur stratégie au lancement du jeu : ils ne font que suivre avec anxiété l‟évolution des mondes du vivant, tel qu‟ils les ont définis et paramétrés au départ. Nous supposerons qu‟ils ont bien la capacité d‟intervenir tactiquement, mais qu‟ils se surveillent tellement qu‟ils ne pourront le faire sans perdre la partie. — C‟est peut-être un moyen d‟éviter l‟Armageddon prévu à la fin du jeu demande Martina. — On peut tout imaginer, mais ça ne nous aide pas dans notre mission actuelle, répond Gaël. Si nous revenons à notre tout petit cube de Planck, la constante de longueur de Planck au cube, elle est donc associée à la constante de temps de Planck qui rythme sa « vie », et nous pouvons tous voir cela, avec les gravitons qui s‟y engouffrent à chaque intervalle de temps de Planck. Nous venons de dire que nous voyons de manière stabilisée ces images du domaine quantique, c‟est dû au fait que nous disposons ici d‟une cinquième dimension qui moyenne les aberrations probabilistes typiques du domaine quantique. Sans cette dimension, les informations à stocker dans l‟historique des évènements seraient trop nombreuses, et par ailleurs inutiles, car seule la moyenne est significative. — Est-ce que cela signifie qu‟en fait, l‟écart de temps entre deux évènements successifs stockés sur l‟historique est largement supérieur à la constante de temps de Planck ? questionne Albert. — Oui, il y en a exactement 1024 fois moins, ce qui réduit la taille des informations à stocker et à transférer sur demande expresse d‟un observateur. À remarquer quand même que le volume des informations caractérisant une sphère de trois mètres de diamètre reste considérable et exigera une grande quantité de digitons pour être transmis. Ces digitons sont stockés dans chaque cube de Planck, et ils sont remplacés progressivement par des digitons provenant des cubes voisins. L‟ensemble des cubes est réapprovisionné automatiquement de proche en proche, mais ce phénomène n‟est pas instantané. — Ce qui signifie qu‟il est possible que l‟information globale ne soit pas parfaite s‟il y a pénurie de digitons ? Et que l‟image en trois dimensions que nous recevons puisse être floue dans ce cas ?

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— Oui, la partie centrale sera correcte, mais progressivement l‟image sera plus floue sur la périphérie, voire pleine de carrés ou plutôt de cubes de pixellisation, comme vous dites sur la Terre, pour les zones situées aux bords de la sphère. — Une idée au passage, dis-je. Aurions-nous, tout en discutant, découvert une arme nouvelle à notre disposition, dans le domaine des communications, si nous nous concentrions au même moment sur l‟historique du même point de l‟espace que nos affreux camarades veulent consulter ? — Très, très bonne suggestion, car effectivement, la capacité de stockage et la vitesse de réapprovisionnement en digitons de chaque cube de Planck sont limitées, ce qui rendrait impossible toute communication à plus de deux sur la même zone spatiale au même instant. Le créateur n‟y a sûrement pas vu une faille potentielle du système global, quand il a conçu le jeu. La grande question est de savoir si les « enfants » la connaissent, cette faille. — En tout cas, nous, nous la connaissons, et nous allons rapidement faire un test en grandeur réelle pour vérifier cette hypothèse. Nous ne pouvons mener cette mission qu‟en utilisant l‟information, puisque seule l‟information est accessible et utilisable dans les limbes, alors, préparons nos armes qui seront également nos défenses, par la même occasion. — Bonne initiative, que j‟approuve sans réserve aucune. — Connaîtrons-nous un jour les caractéristiques de cette intelligence distribuée en chaque cube de Planck ? — À vrai dire, il ne s‟agit pas d‟intelligence au sens plein. Chaque cube de Planck est équipé d‟une sorte de programme d‟une logique simple qui fait toujours les mêmes choses, et les fait bien, c‟est tout. Il répond à vos demandes, sans se poser de question, point final ! Ce n‟est pas plus compliqué qu‟un répondeur téléphonique terrestre, il répond à votre demande codée, et il vous retransmet le message demandé qui est stocké. Tiens, je vois qu‟Albert veut intervenir, à vous donc, Albert. — Je reconnais m‟être trompé une fois de plus à ce sujet, car je supposais qu‟il y avait une sorte d‟énorme ordinateur unique qui centralisait toutes les informations, et que les âmes n‟étaient que des vulgaires postes de travail, pas très futés. Mais c‟est l‟inverse. Un module spécialisé équipe chaque cube de Planck, ce qui est 327


génial, car ça limite les risques de panne totale, bien qu‟apparemment il n‟y a pas de notion de panne, ici. — De panne, non, mais de bogue, oui, vous venez d‟en découvrir plusieurs en quelques jours seulement, répliqua Gaël. Ovni, vous voulez dire quelque chose ? — Oui, je me demande jusqu‟où tout cela va nous mener, et si c‟est raisonnable de décortiquer tout ça, pour augmenter notre force de réaction, un peu comme une recherche de pouvoir. Cela risque de ne pas être très bien perçu là-haut ! — Ne vous inquiétez pas, et surtout, n‟oubliez pas que nous ne sommes pas en mesure d‟aller demander aux « enfants » si c‟est raisonnable ou carrément en dehors des règles du jeu. Nous restons à notre niveau, et nous avons à défendre nos valeurs contre des déviants qui ont eux-mêmes utilisé des artifices pour arriver à leurs fins. — Nous ne sommes pas en mesure aujourd‟hui de leur demander si nous sommes politiquement corrects, mais j‟espère bien que nous le serons un jour. Ça fait quand même bizarre d‟avoir l‟impression permanente de n‟être que des héros d‟un jeu de rôle qu‟on aurait laissés libres de leurs actions, limitées par le niveau très médiocre du moteur d‟intelligence artificielle du jeu, pendant que les joueurs regardent une partie de tennis sur leur télé ! Qu‟en pensez-vous Gaël ? — Je n‟arriverai jamais à faire des comparaisons imagées comme celle-là, vous avez réussi à me faire sourire, ce qui n‟est pas fréquent, je l‟avoue. Quant au fond de votre question, je pense que toutes les âmes et gardiens sont sur un pied d‟égalité dans les limbes, et qu‟aucun n‟est spécialement favorisé, à ma connaissance, tant que les « enfants » ne s‟en mêlent pas. Le niveau d‟intelligence que nous pouvons atteindre n‟est nullement limité par un quelconque niveau d‟intelligence artificielle. Notre intelligence est réelle, je dirais même que nous n‟avons encore rien trouvé qui laisserait penser qu‟il existe une intelligence supérieure quelque part. Je prends pour exemple ce que vient de dire Albert, qui reconnaît que les milliards de modules de Planck ne sont que des modules, tous identiques et très simples, réalisant une seule fonction élémentaire, sans plus. C‟est nous qui avons une intelligence, et pour le moment, nous devons la faire travailler exclusivement dans le sens de notre mission. 328


La discussion s‟arrêta là, et chacun fit un tour au bord du lac pour décompresser un peu avant d‟aller se « coucher ».

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Étude du terrain de manœuvres. Le lendemain matin, nos trois scientifiques tentent de parcourir la zone grise des déviants, et je leur souhaite bien du plaisir, car survoler une zone aussi grande au hasard ne doit pas être très motivant. De mon côté, je lis ma messagerie et je découvre un courrier intéressant de Tera qui annonce avoir localisé un point bizarre, situé approximativement au centre d‟une sphère incluant les douze planètes étudiées. Elle m‟indique que sa meilleure image de ce point est sur l‟écran de service. Aucun commentaire ou explication pour le moment, elle doit encore faire des études dans tous les domaines du spectre de fréquences, une sorte de concaténation des quelques milliers de fichiers images recueillies par son nouveau télescope. Je préviens Albert qui a maintenant un point plus précis à analyser, en attendant les conclusions de Tera. Gaël me suggère de faire un test du bogue quand on aura localisé une zone plus précise, mais je ne suis pas pressé, car l‟existence de notre arme ne doit pas être découverte avant que nous soyons suffisamment puissants pour l‟utiliser à bon escient. J‟entends par là qu‟il n‟est pas impossible qu‟il existe un point unique où ils font passer tous leurs échanges, et que nous devrons concentrer nos efforts sur ce point-là, en une seule attaque massive. Par contre, rien ne nous empêche de faire ce test sur un point quelconque de l‟espace, et de voir quel volume spatial on peut bloquer à nous cinq. En effet, plus la zone à bloquer sera grande et plus il nous faudra d‟énergie disponible, chez nous, pour y parvenir. Il n‟est pas impossible qu‟il nous faille demander de l‟aide extérieure, pour augmenter notre puissance de dissuasion avec de nombreux gardiens, sollicités par Gabriel par exemple, pour enfin réussir à arrêter tout ça. Albert revient vers nous, tout excité : — Tera nous signale que le point en question fait environ mille mètres de diamètre, et qu‟il absorbe uniquement des photons qu‟il dévie puissamment de leur trajectoire, jusqu‟à une distance de dix mille kilomètres. Les autres particules ne sont pas concernées, apparemment. Selon Tera, ce n‟est donc pas un trou noir, et je suis entièrement d‟accord avec elle là-dessus. La seule explication serait que ce point soit un trou de ver, mais alors, il nous faut retrouver son orifice de sortie. Selon les calculs théoriques, en prenant en compte son diamètre relativement faible, la sortie doit se trouver à l‟intérieur d‟un cercle de mille années-lumière, au 330


maximum. Nous n‟avons rien trouvé dans cette zone qui correspondrait à une sortie. Après une longue discussion, nous sommes tombés d‟accord pour supposer que la sortie de ce trou de ver ne se trouve pas dans l‟Univers matériel de Tera, mais dans notre univers. Ça semble aberrant, car aucune communication directe n‟est imaginable entre un univers de matière et un autre d‟antimatière, mais c‟est un fait, et il y a bien une sortie ici, que nous avons localisée à l‟intérieur de la zone perturbée. Elle a un diamètre identique, et des flots d‟antiphotons y sont absorbés également. Nous supposons, mais c‟est à vérifier, que l‟énergie d‟un photon et de son antiphoton, sachant que le photon est indistinguable de son antiparticule, permet l‟émission de plusieurs types de particules sans masse, du type neutrinos d‟un côté et antineutrinos de l‟autre, mais qui ne se recombinent pas, car le neutrino est une particule très particulière qui est en même temps sa propre antiparticule. Mais ça n‟expliquerait pas tout, car il y a aussi une émission purement énergétique, faite de digitons, dont la moitié se recombine et disparaît immédiatement dans l‟univers de Tera, mais dont l‟autre moitié est éjectée dans notre univers et se trouve immédiatement capturée par la trame de l‟espace-temps et les cubes de Planck environnants. Si l‟on considère le résultat global de l‟opération, ce trou de ver absorbe de l‟énergie dans chacun des deux univers pour finalement en convertir une partie sous une autre forme de particule, les digitons, utilisables seulement dans notre univers. Qu‟en pensez-vous, Ovni ? — Je pense que vous avez trouvé la source de la grande puissance des gardiens noirs de cette zone, puissance qu‟ils utilisent pour arrêter et entraver leurs millions d‟esclaves, tout en ayant une réserve pour envahir d‟autres planètes, jusqu‟à ce que l‟univers des limbes tombe entièrement sous leur joug. — Je vais immédiatement prévenir Gabriel, car c‟est trop important comme nouvelle, ça dépasse même l‟entendement ordinaire, dit Gaël qui se met à l‟écart pour appeler Gabriel. — Albert, je vous suggère de surveiller au plus près ce trou de ver, dans notre univers, pour vérifier qu‟il s‟agit bien d‟un flux régulier. Essayez de faire vérifier vos hypothèses par Tera et ses amis radioastronomes, amis qu‟elle contactera discrètement, comme il se doit, de manière à ne pas attirer l‟attention sur cette zone du cosmos, car ensemble, ils peuvent peut-être nous ouvrir de nouvelles voies d‟exploration. — Nous nous en occupons immédiatement, et moi je contacte Tera. 331


— Gabriel nous rejoindra dans peu de temps, annonce Gaël, il place ce problème en ultra prioritaire, et il amènera Jésus avec lui, pour définir le plan d‟action final. — Reposons-nous un peu en attendant. . . . Gabriel et Jésus arrivent à l‟instant et nous secouent un peu pour que la discussion commence sans délai. Nous les informons de nos dernières trouvailles, ils nous avouent être très surpris de la tournure que prennent les choses. Ils n‟imaginaient pas qu‟une formidable puissance autoalimentée par l‟univers lui-même était en mouvement de conquête spatiale dans les limbes, et ils ne voient pas bien comment arrêter ce grand malheur, qui va replonger l‟univers des limbes des millions d‟années en arrière. J‟interviens alors : — Je suppose que le problème posé s‟aggrave de lui-même avec le temps, puisque les gardiens noirs des portails des planètes qui sont sous leur contrôle mettent immédiatement les nouvelles âmes en esclavage, dès leur arrivée au Portail de la mort. Chaque planète entièrement sous leur contrôle devient alors une nouvelle source de puissance, mais autoalimentée par l‟univers des vivants cette fois-ci ! — Exact, dit Jésus, et j‟ai été informé récemment par des gardiens des planètes voisines de cette zone noire qu‟ils ont éliminé un nouveau groupe de gardiens noirs, qui utilisaient les animaux comme esclaves pour augmenter encore plus la récupération de digitons, bien que cette production gratuite soit inférieure à celle des humains. En allant survoler une autre planète voisine où l‟évolution n‟avait pas encore permis le développement d‟êtres plus intelligents que nos grands singes, on a découvert des bases de gardiens et d‟âmes, qui y sont implantées de manière définitive, avec d‟immenses parcs protégés par des barrières mentales autoalimentées par les animaux eux-mêmes. — Aviez-vous un ami personnel parmi les gardiens noirs ? — Oui, Gaetano qui vient de tomber dans leurs filets. — Ne pourriez-vous pas tenter de le contacter, ne serait-ce que pour avoir une idée de la manière dont ça se passe ? — J‟ai déjà tenté, mais j‟étais seul, sans soutien, et j‟ai manqué me faire piéger. Je recommencerai bien, si vous m‟assistez mentalement avec vos digitons. Qu‟en pensez-vous ? 332


— Nous sommes avec vous, bien évidemment, car il est important de connaître les habitudes d‟un opposant afin de mieux le ramener à la raison. — Eh bien, allons-y tout de suite ! Jésus nous indique les coordonnées de Gaetano, et nous nous plaçons en support mental pendant qu‟il recherche son ami. Je voyage avec lui, tout en restant un peu en retrait, de manière à pouvoir m‟échapper si nécessaire et ramener quand même des informations utiles. La planète est très différente de la Terre, peut-être à cause de son soleil rouge et des sols très marécageux qui doivent fourmiller d‟insectes bizarres. Lorsque Jésus s‟arrête à proximité d‟un camp plein d‟âmes entravées, il s‟adresse au seul gardien présent, un être curieux ressemblant à une salamandre. Il lui parle et je me mets en écoute, sans intervenir. Apparemment, Gaetano n‟a pas l‟air surpris, il répond normalement. — Bonjour, Jésus, je me doutais bien que tu ne tarderais pas à venir me demander des explications sur ce qui se passe ici. — Bonjour, Gaetano, je suis content de te voir en bonne forme. Estu certain qu‟on peut discuter sans risque ? — En principe, personne ne doit venir sur cette partie de la planète aujourd‟hui, tu peux donc parler sans crainte. — Voilà, nous avons découvert les camps d‟esclavage à grande échelle sur ce groupe de planètes, et bien sûr, nous allons tout faire pour assainir la situation. Comment as-tu été enrôlé ? — Après avoir été entravé de manière classique, j‟ai passé quelques jours tout seul, puis un groupe de gardiens noirs est venu pour me proposer un pacte d‟allégeance. Si j‟acceptais, ils me feraient subir un traitement inconnu de moi sur mon âme, pour inhiber toute velléité de rébellion. Ce traitement doit être renouvelé chaque semaine, car ses effets s‟estompent avec le temps. Les effets sont comparables à une drogue ou un médicament de psychiatrie. — Que se passe-t-il si tu te caches quand même, pour te donner le temps de récupérer suffisamment de digitons et tenter de t‟échapper de cette planète ? — Ils ont mis en place un réseau d‟information à balayage permanent qui est alimenté par le trou de ver voisin, et ils me retrouveraient en cinq minutes. — Que se passerait-il si on réussissait à investir les abords du trou de ver pour supprimer leur alimentation automatique en digitons ? 333


— Le système s‟écroulerait, car il y a cinq fois plus de gardiens enrôlés de force que de gardiens qui adhèrent pleinement sans avoir besoin d‟être drogués. Je ne sais pas combien ils sont pour garder le trou de ver, peut-être une dizaine, dont deux maîtres gardiens. — Es-tu allé sur place ? — J‟ai tenté de survoler, un jour où j‟étais de repos, et je n‟ai pas eu le temps de voir grand-chose avant d‟être rapatrié ici manu militari, avec une double dose de drogue mentale. J‟ai simplement vu que les gardiens et maîtres présents étaient constamment en transe mentale pour recueillir et retransmettre les digitons sur le réseau de l‟espace-temps, tout en les guidant vers des endroits précis où le besoin existait. — Selon toi, sont-ils individuellement plus puissants que nous autres gardiens honnêtes et respectueux des règles ? — Peut-être un peu plus, du fait qu‟ils sont toujours à pleine capacité de digitons, ce qui ne sera pas le cas de ceux qui voudraient les décrocher de la source intarissable du trou de ver. — Bien, Merci Gaetano, je crois que nous en savons assez, et je vais tout mettre en oeuvre pour te libérer prochainement. — Merci, mais un conseil cependant. Le système de renouvellement de drogue est hebdomadaire et automatisé,et sachant que nous sommes plus sensibles à des envies de libération de nos chaînes mentales vers la fin de la semaine, choisissez plutôt une fin de semaine pour agir, et vous aurez des renforts supplémentaires venant de nous, quand nous serons enfin libérés. Nous revenons rapidement dans le laboratoire pour mettre en place nos troupes d‟intervention.

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Epuration. Après avoir mis nos amis au courant de la situation, Gabriel et Jésus décident de rassembler deux cents gardiens ici pour une mission de choc de courte durée. Le lendemain soir, le bord du lac ressemble à une fête foraine avec des centaines de lumières qui brillent dans la nuit et se reflètent sur les eaux calmes du lac. Les instructions sont données, les coordonnées précises sont fournies, et tout le monde a rendez-vous à cinq cents mètres de l‟entrée du trou de ver, toutes lumières éteintes. Gabriel utilisera une arme, spécifique aux maîtres gardiens ayant beaucoup d‟ancienneté dans la fonction, arme qui permet non seulement d‟immobiliser, mais également d‟inhiber toute fonction mentale chez le récalcitrant. Cette arme n‟a été que très peu utilisée dans le passé. Il nous faut y aller « en personne », et pas seulement en survol. Ça prend plus de temps et d‟énergie, mais il n‟y a pas d‟autre solution. Arrivés sur place, nous récupérons pendant trois heures, puis nous prévenons le laboratoire, qui assurera un soutien à distance, pour rapatrier les plus faibles. Gabriel se déplace en tête, très lentement, et la troupe le suit à petite distance, en enfilade. Il s‟arrête à la distance idéale, trente mètres des lumières qui stationnent au bord du trou de ver. Une douzaine de gardiens scélérats sont en transe et ont autre chose à faire que de surveiller les alentours. Gabriel a une puissance suffisante pour éliminer les deux maîtres gardiens, ou dix gardiens ordinaires. Il a choisi de traiter les deux maîtres gardiens noirs, avec Jésus en soutien. Nos troupes ont été réparties en dix groupes de vingt gardiens qui s‟occuperont des dix gardiens noirs. Gaël et moi sommes en réserve, pour assurer les arrières, si des renforts arrivaient. Jusqu‟à présent, quand j‟assistais à des conversations ordinaires entre deux âmes, je ne voyais rien de particulier, car le volume de digitons échangés était relativement faible. Par contre, lorsque Gabriel donne le signal, je suis ébloui par des centaines de fils lumineux qui se dirigent vers les insurgés. Les douze subissent l‟attaque sans bouger pendant quelques secondes puis réagissent aussi, mais de manière visiblement plus faible. 335


J‟aperçois Jésus concentré sur Gabriel, il vide toute son énergie pour recharger son maître. Gabriel a mis tout sur le premier des deux maîtres noirs qui finit par s‟arrêter et s‟immobilise définitivement, perdant toute luminosité, ce qui signifie l‟arrêt de son activité mentale. Gabriel passe alors au second maître noir : il est immédiatement aidé par deux groupes qui en ont terminé avec leurs gardiens noirs. L‟assaut dure encore deux minutes, jusqu‟à la victoire finale. Une vingtaine de nos gardiens sont entravés, et nous entrons dans une longue période de soins et de récupération. Gabriel inspecte l‟historique des deux maîtres noirs, et il découvre la procédure qu‟ils utilisaient pour aspirer l‟énergie des digitons libérés par le trou noir. Elle est clairement définie dans une conversation que ces deux maîtres ont eue, et il se dégage de cette conversation qu‟apparemment personne d‟autre n‟est au courant de la méthode employée, et qu‟ils ont fait tout cela de leur propre initiative, sans intervention des « enfants ». Gabriel affecte deux groupes pour surveiller la sortie des digitons qui, maintenant, est bien visible, en une sorte de cône dont la luminosité va en décroissant au fur et à mesure que sa base s‟élargit vers le lointain. Le jet fait environ deux mille mètres de longueur. En regardant bien, dans l‟axe du cône, on voit également des milliards de photons qui s‟engouffrent dans le trou de ver, en sens inverse. Cette surveillance durera un an, et les gardiens surveillants seront remplacés chaque mois. Progressivement, nous recevons des appels des anciens gardes noirs enrôlés de force. Ils annoncent qu‟ils sont en train de terminer le nettoyage de toutes les planètes infectées, et que seulement une centaine d‟irréductibles sont entravés, avant l‟intervention de Gabriel pour qu‟il leur ôte leurs pouvoirs spécifiques de gardiens. Gabriel se recharge sur la nouvelle source, puis il part pour terminer l‟opération. Jésus prend les rênes pour s‟assurer du retour des gardiens vainqueurs vers leur affectation d‟origine. Nous contactons le laboratoire pour annoncer notre arrivée, et nous nous mettons en route, Gaël et moi. 336


Où se sont cachés les « enfants » ? C‟est effectivement la grande question, et ensuite, il s‟en posera une autre : que font-ils exactement ? Quelles sont leurs limites d‟intervention sur nos deux univers jumeaux, pour autant qu‟ils interviennent réellement ? Il nous faudra questionner Gabriel à son retour, ainsi que Jésus, car ils ont eu des contacts avec les trois Sages auparavant. À propos, d‟où viennent ces trois Sages ? Comment sont-ils sélectionnés ? Sont-ils globalement neutres, vis-à-vis des « enfants » ? Toutes ces questions nous laissent sur notre faim d‟aventures, car l‟opération « épuration » nous a transformés en aventuriers, Albert y compris, ce qui est quand même étonnant, bien qu‟il soit capable de gamineries, parfois. En attendant, nous informons TOPLA, Tera nous signalant qu‟elle n‟a pas de nouvelles hypothèses à formuler, suite à ses contacts avec les scientifiques extérieurs au groupe. Gabriel doit revenir demain avec Jésus, donc nous pouvons nous reposer pour être prêts à repartir, le plus vite possible. . . Lorsque nos deux maîtres reviennent, Jésus ayant apparemment reçu une promotion suite à l‟opération, ils nous apprennent que tout est en ordre, et que les vigiles du trou de ver n‟ont rien à signaler. Gabriel nous scrute, et il répond à nos questions : — Les trois sages sont des super maîtres gardiens ; ils ont été triés sur le volet, et désignés par tous les maîtres. Le premier a été choisi comme ayant toujours mis en avant le critère « Intelligence et Connaissances » en recommandant de l‟optimiser pendant notre séjour dans les limbes. Il s‟appelle DocBleu. Le second a été choisi comme ayant toujours mis en avant le critère « Vivre sans contrainte » qui favorise, dit-il, le développement personnel : nous avons en fait constaté que cela 337


favorisait plutôt le nombrilisme, l‟arrogance, la violence, voire la dictature sanglante avec contrainte sur les autres, et d‟une manière systématique le non-respect des règles élémentaires de la vie en société. Il s‟appelle SoukRose. Le troisième a été choisi pour sa neutralité bienveillante lors des jugements, mettant en avant le pragmatisme et la recherche de la vérité à tout prix. Il s‟appelle JusteBlanc. Ils ne cessent de se disputer lorsqu‟il n‟y a personne pour les entendre. Ils ont des pouvoirs encore plus puissants que les maîtres, et une capacité de régénération très rapide. Il faudrait réunir plusieurs milliers de gardiens pour les renverser de leur trône, si une contestation majeure en arrivait à ce point-là de dramatisation. Si nous prenons l‟exemple de notre action d‟épuration récente, je vais me faire secouer violemment par SoukRose sous un prétexte fallacieux, et chaudement féliciter par DocBleu, le tout sous le regard bienveillant de JusteBlanc. Il n‟y aura pas de sanction ni de félicitations, juste un non-lieu. Je vais tenter de piéger SoukRose pour qu‟il nous parle de ce qui est arrivé, et nous expliquer comment cela a été possible dans ce secteur du cosmos, qu‟il affectionne généralement. Il faut savoir que SoukRose a été soupçonné dans le passé d‟avoir favorisé des incursions dans l‟univers des vivants, mais on n‟a jamais pu le prouver. Je vais essayer de parler à JusteBlanc en aparté pour obtenir des informations sur les « enfants », où ils sont basés, etc. Si vous avez des questions, Ovni ? — Merci Gabriel, ma question concerne la mémorisation de nos actions dans les limbes, puisque nous n‟avons pas d‟enveloppe matérielle au sens strict. Je pose cette question, car vous avez dit qu‟on ne pouvait prouver les interventions de SoukRose. — Dans chaque cube de Planck que nous visitons, à un instant bien précis, le cube de Planck mémorise le code du demandeur, un code comme l‟ADN, par exemple. On peut ainsi suivre à la trace toutes les visites de l‟âme ADN ainsi que ses « présences physiques » en tous lieux, à tout instant. — On peut donc retrouver les agissements passés d‟une âme dans les limbes ? 338


— Oui, mais ça reste théorique seulement, car il faut savoir préalablement dans quelle zone du cosmos on veut rechercher l‟âme et à quel instant. Compte tenu de la taille du cosmos, c‟est impossible dans la pratique de rechercher au hasard. — Je comprends, mais cependant il y a bien également une mémorisation de ces actions dans l‟âme elle-même, et l‟on peut donc les atteindre, non ? — À condition de pouvoir y accéder, ce qui n‟est possible que depuis un niveau hiérarchique supérieur. Pour connaître les actions des Sages, il faut avoir le niveau des « enfants », ce qui nous rend impuissants à notre niveau. — Donc, pour que la justice soit faite, il faut contacter les « enfants », c‟est cela ? — Oui, et seul JusteBlanc est autorisé à leur demander de le contacter, lui seul, en déposant une demande expresse quelque part, par un moyen que je ne connais pas. Mais je vais lui parler de cela, bien entendu. Merci à tous, je repars, accompagné de Jésus, et je reviendrai dans deux jours. Continuez la surveillance. . . . Nous sommes maintenant tous les cinq en panne d‟idées, pour poursuivre notre recherche. Pour lancer la discussion, Albert nous dit qu‟il a, avec ses deux collègues, localisé assez finement les abords du gigantesque trou noir, qu‟il a appelé le Gouffre, en accord avec Tera. Il propose une visite rapide de l‟espace-temps dans cette zone, pour vérifier s‟il n‟y a pas de phénomènes anormaux qui pourraient nous donner une piste de réflexion. Il nous indique la position très précise du centre de l‟axe du Gouffre dans l‟univers des limbes, si par hasard nous envisagions une petite promenade de santé : lui ne nous accompagnera pas, il ne tient pas à rester scotché là-bas ! — Que penses-tu d‟un voyage de reconnaissance, Gaël ? 339


— Tu sais bien que tous ceux qui y sont allés ont dû revenir à cause des rayonnements trop violents ! — Oui, mais je ne propose pas d‟aller dans le Gouffre. — Quoi, alors ? — C‟est simple, je fais l‟hypothèse que le Gouffre n‟est pas vraiment le centre de l‟expansion de l‟univers, et que donc, il se déplace dans le cosmos comme toutes les galaxies. — J‟y suis, tu veux visiter l‟historique de ce Gouffre, en remontant son voyage dans le temps. — Oui, comme cela, on apprendra des choses sur son fonctionnement. — Mais dans quelle direction se déplace-t-il ? — C‟est évident, il suffit de demander ses coordonnées à Tera, et de comparer avec les nôtres, ça nous indiquera la direction et la vitesse de déplacement, puisqu‟il y a cinq milliards d‟années de différence entre sa vision à elle et la nôtre ! — Ouah, intervint Alfred, génial, et ce sera précis quand même, car la masse de ce Gouffre est telle qu‟il ne peut se déplacer que très lentement dans le cosmos, aucune autre masse de taille équivalente ne pouvant dévier son lent cheminement. Par contre, il y a un sérieux problème s‟il ne se déplace pas du tout. Je vérifie tout de suite les données de Tera. — Pour faire ce petit voyage, il serait bon d‟aller profiter de la source de digitons, on ne sait jamais ce qu‟il peut arriver. Mais on peut commencer d‟ici, au laboratoire. Si nous envisagions de le visiter alors qu‟il est immobile, nous aurions toujours cette ressource ultime à disposition, pour autant qu‟elle soit suffisamment puissante. — Vérification faite, et si la trajectoire est restée linéaire, il se déplace à bonne vitesse, seulement le cinquième de la vitesse de la lumière, soit un milliard d‟années-lumière en cinq milliards d‟années. Cela signifie que l‟analyse historique est possible sans risque. — D‟accord, nous allons nous reposer, et y aller tous deux, Ovni et moi, dit Gaël. Qu‟en penses-tu, Ovni ? 340


— Parfait, on décolle demain matin, et nos trois scientifiques resteront en support d‟énergie.

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Le Gouffre. Grâce aux coordonnées précises fournies par Albert et son équipe, nous arrivons sur place aisément, et nous commençons à prélever les informations, qui sont excessivement nombreuses. Nous ne recueillons que quelques secondes d‟histoire, et retournons pour les analyser. Je commence par : — Notre mémoire est pleine à craquer, je n‟ai jamais vu autant de mouvements de matière et d‟antimatière aussi imbriqués. Le réel problème pour l‟analyse est le suivant : en général, chaque cube de Planck élémentaire rapporte qu‟une particule de matière est simultanément présente avec son antiparticule au même endroit et au même instant, ce qui traduit parfaitement la gémellité des deux univers. — Exact, ajoute Gaël, je n‟ai jamais vu cela non plus, et pourtant, j‟ai bien plus d‟expérience liée à l‟ancienneté. Il y a làbas un mélange de particules différentes à chaque instant de Planck au même endroit. Par exemple, un quark et un antineutrino, puis cela se rapidement à l‟instant de Planck suivant, mais jamais de doublons d‟une particule et de son antiparticule dans l‟univers jumeau. — La seule explication que je puisse formuler, c‟est que le fond de chaque Gouffre n‟est pas stable, il tourne sur lui-même et s‟entortille avec le Gouffre jumeau comme une double hélice plus on approche du fond des deux Gouffres. — Ils ne se touchent pas, et heureusement, dit Albert, car tout serait terminé pour nous tous. — Ce phénomène ne se produit pas dans tous les autres trous noirs que j‟ai visités, dit Gaël, c‟est donc un cas très particulier. — Oui, la masse du Gouffre a dû dépasser une valeur minimum au-delà de laquelle il s‟enroule autour de son jumeau dans une danse effrénée et sans fin. — Sans fin, on ne sait pas, car la fin du jeu sera probablement déclarée à cet endroit-là ! — Soyons assez patients donc, et attendons, dit Gaël. 342


— Je suis trop curieux, moi, dis-je, et je souhaite en savoir plus. — Bonjour, les curieux, annonce Gabriel, de retour avec Jésus. — Bonjour, quelles nouvelles ? — Rien de dramatique, mon cas a été classé, non-lieu comme prévu. J‟ai eu l‟occasion de discuter en aparté avec JusteBlanc, et j‟ai quelques précisions. Les « enfants » ne sont jamais visibles, ils ne se montrent pas, ils communiquent par messages mentaux, et si j‟avais été seul, je n‟aurais pas pu savoir d‟où ces messages provenaient, au moment où ils émettaient vers JusteBlanc. J‟étais alors en liaison avec JusteBlanc, avec son accord. Ma présence en parallèle n‟a pas été détectée, c‟est un peu comme la non-détection d‟une écoute indiscrète, depuis un second poste téléphonique décroché avant le début de la conversation avec l‟appelant. Mais heureusement, mon contestataire de service, Jésus, s‟est installé en visiteur, avec mon accord, scrutant et analysant le réseau digitons de nos échanges, et il a ainsi pu remonter à la source, mais vous connaissez déjà ce qu‟il a découvert comme source. — Gabriel, ne nous faites pas languir. Qu‟aurions-nous pu découvrir d‟ici ? — Cependant, vous avez réussi. — Par hasard alors ? — Oui, vos découvertes sur les deux Gouffre tombent à point nommé, car c‟est exactement de là que proviennent les messages des « enfants » ! — Nous autorisez-vous à faire une tentative non pas physique, mais en suivant simplement la trame de l‟espace-temps, sans aller physiquement dans l‟un ou l‟autre des deux univers jumeaux ? — Je ne me souviens pas que vous m‟aillez demandé mon avis, quand vous tentez quelque chose de nouveau. Mais, trêve de plaisanterie, vous pouvez essayer, mais avec beaucoup de précautions, en faisant cette expérience depuis les abords de la source de digitons du trou de ver, appelons-la la Source, pour simplifier. 343


— En fait, ce que nous recherchons est un nouveau Portail, qui permettrait, s‟il existe, de passer dans un autre univers, à sept dimensions, celui où probablement les « enfants » sont installés pour jouer ce petit jeu d‟enfer voulu par le créateur. — Pourquoi donc une dimension supplémentaire ? — Au-delà des quatre dimensions de l‟univers du vivant, nous connaissons la cinquième dimension qui permet de stabiliser les évènements trop erratiques du domaine quantique en vue de permettre leur mise en historique aisément, et de voir les particules élémentaires. La sixième caractérise la dimension de l‟Information, celle qui nous permet ici de tout savoir à tout instant, et il nous reste encore à découvrir la dimension du Contrôle-Commande, celle grâce à laquelle les « enfants » peuvent influencer les six autres, et appliquer une stratégie de leur cru. — Mais pourquoi y aurait-il besoin de ce Contrôle-Commande, Gabriel ? — Dans tout système complexe étudié, il y a un organe de commande, plus ou moins complexe, mais il en existe un. C‟est grâce à lui que le système considéré ne s‟emballe pas, car tout système est influencé par des perturbations extérieures, qui finissent par le faire dériver et atteindre des extrêmes qui limitent sa durée de vie. Si l‟on considère le règne du vivant, sur Terre par exemple, c‟est un système non contrôlé qui finit par la mort systématique des êtres, car ils ne savent pas éliminer les causes des perturbations biologiques : aucun être dit « supérieur » ne les assistera pour éviter la mort, et les êtres vivants n‟ont pas encore trouvé un moyen efficace d‟autocontrôle pour l‟éviter. Si l‟on considère la matière pure, faussement dite inerte, la conception géniale du créateur a prévu une forme d‟autocontrôle par la règle bien connue : « Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme » qui permet un brassage permanent de toute la matière et de toute l‟énergie qui ont été injectés au départ, ignorant froidement le règne du vivant comme une quantité négligeable, bien entendu. 344


Si l‟on considère l‟Information, elle est stockée de manière fiable, au plus près de la source des événements, c'est-à-dire le fameux cube de Planck. Elle est a priori fiable, si l‟on suppose qu‟elle est éternelle et non modifiable, de quelque manière que ce soit. Elle sert de base de données universelle dans cet univers des limbes, mais consultable seulement, à la différence de Wikipedia qui n‟est ni fidèle, ni fiable, ni éternel. Ici, nous avons accès à l‟Information, et nous sommes donc capables de développer notre intelligence et notre conscience individuelle. C‟est en fait cet accès aisé à l‟Information qui nous permet de mieux faire évoluer notre Conscience individuelle, personnelle, à la grande différence des vivants que nous étions, dans un univers où l‟information vraie était inaccessible et où tout était flou et restera flou, ce fameux flou qui engendre les peurs, les superstitions, les impostures et la tyrannie du pouvoir sur les autres. Il ne faut pas oublier qu‟ici, l‟intelligence peut-être également utilisée à mauvais escient, et favoriser les déviations. Cependant, on constate qu‟il y a une amélioration globale de l‟ensemble de la conscience collective grâce à une amélioration généralisée des consciences individuelles qui, face à l‟éternité probable de leur âme, ressentent qu‟il n‟y a pas d‟autre solution paisible que l‟amour de l‟autre, chacun étant au même niveau d‟accès à l‟Information doit se préoccuper de son Évolution Personnelle. Sur Terre, on parle de la théorie de l‟évolution en se limitant à l‟évolution de l‟enveloppe biologique : ici, comme il n‟y a pas d‟enveloppe biologique, l‟évolution ne peut concerner que sa personnalité, sans contrainte physique. Je comprendrais que les termes que j‟ai employés fassent sourire, s‟ils étaient connus sur Terre, car ils ne savent pas, mais nous, nous savons, et nous pratiquons, chaque jour, pour le bien de tous. Il n‟y a pas de connotation religieuse dans ce que je viens de dire, au sens des religions terrestres, et vous pouvez le vérifier en visitant les anciens Papes, Imams, Rabbins, Dalaï-Lamas et autres anciens religieux qui ont parfaitement compris ce qu‟est la création et l‟éternité. J‟entends Ovni qui me souffle les « enfants », les « enfants », et j‟y viens donc. 345


Parlons aux « enfants ». — J‟ai donc eu le privilège d‟assister aux échanges de messages mentaux entre JusteBlanc et les deux « enfants ». J‟ai perçu un premier message mental me demandant de m‟ouvrir complètement, sur la porte mentale de niveau maximum, celle qui est normalement verrouillée par défaut, ce que je fis. Ensuite, mais avec une voix différente, il est demandé de penser profondément en se concentrant sur le code particulier réservé aux communications avec le niveau supérieur, ce que je ne pouvais faire, mais que JusteBlanc fit pour nous deux. Avec une troisième voix, plus percutante encore que les deux premières, la discussion commença réellement après avoir montré patte blanche. J‟avais l‟impression d‟avoir traversé un pare-feu de protection sophistiqué qui prenait en considération l‟ADN de l‟appelant et ce fameux code sur cette fameuse porte spéciale de communication. — Bienvenue dans notre Pôle Central de communication ! Vous êtes en contact avec notre réseau interne qui va vous guider vers l‟un de nos deux sous réseau de commande. Vous avez demandé le sous-réseau 1. Je vous mets en communication avec le sous-réseau 1. Veuillez patienter, puis indiquer votre code sous réseau 1 au bip suivant. Bip… Merci, vous êtes maintenant dans le sous-réseau 1, votre interlocuteur va bientôt vous parler… Veuillez nous excuser, il y a des parasites sur le réseau principal qui nous obligent à vous faire attendre un peu… Nous vérifions à nouveau que la communication est sécurisée… Le sous-réseau 1 et maintenant sécurisé… Veuillez à nouveau indiquer cotre code sous réseau 1 au bip suivant. Bip… Merci, je vous commute sur le sousréseau de Commande numéro un… — Bienvenue JusteBlanc, que pouvons-nous faire pour vous ? Je vous signale que cette communication sera enregistrée dans notre banque spéciale commune aux deux sous réseau. Lorsque la communication sera terminée, vous nous direz « Fin de message » et nous effacerons alors votre mémoire personnelle et toute trace de cette communication sur les relais de l‟espace-temps. Votre question, s'il vous plaît ! 346


— Bonjour, je m‟inquiète suite à une intervention que nous avons dû réaliser à la Source. — J‟ai un rapport automatique qui m‟a informé de cette intervention. — Connaissez-vous tous les détails ? — Oui, j‟ai numérisé toutes les étapes temporelles et physiques, immédiates et environnantes dans cette zone. — Avez-vous une opinion sur cette opération ? — Non, mais je peux m‟en faire une si vous me le demandez. — Oui, s‟il vous plaît. — Une seconde, je me connecte sur mon analyseur de synthèse d‟évènements cosmologiques. — Merci. — Voilà mon opinion : votre opération est légale et vous obtenez une note de neuf sur une échelle de dix. Une autre question ? — Nous soupçonnons SoukRose de fomenter des troubles. — Je n‟ai pas d‟opinion, mais je peux accéder à ses messages si vous le souhaitez. — Oui, je le souhaite. — Une seconde, je me connecte sur mon analyseur de synthèse d‟évènements cosmologiques. — Merci. — Voilà mon opinion : son opération est légale et je ne peux vous indiquer la note obtenue, car je suis lié par le secret des informations personnelles des trois Sages. Une autre question ? — Oui, quel est mon classement actuel ? — Votre cote globale mérite un A. Une autre question ? — Oui, y a-t-il plusieurs A dans le classement ? — Oui, un. — Comment ça, un ? — Oui, votre cote globale mérite un A. Une autre question ? 347


— J‟abandonne… — Je ne comprends pas ce mot, veuillez préciser, s'il vous plaît ! — Puis-je obtenir des informations plus précises sur le classement de SoukRose ? — Pas par moi, car son dossier est géré par le sous-réseau 2. — Pouvez-vous me connecter sur le sous-réseau 2 ? — Oui, veuillez confirmer votre demande. — Merci pour vos informations. Je confirme ma demande de communication avec le sous-réseau 2. — Au revoir, je vous transfère. — Tchic, clac, tchic… puis une tout autre voix… — Bienvenue JusteBlanc, que pouvons-nous faire pour vous ? Je vous signale que cette communication sera enregistrée dans notre banque spéciale commune aux deux sous réseau. Lorsque la communication sera terminée, vous nous direz « Fin de message » et nous effacerons alors votre mémoire personnelle et toute trace de cette communication sur les relais de l‟espace-temps. Votre question, s'il vous plaît ! — Bonjour, puis-je obtenir des informations plus précises sur le classement de SoukRose ? — Non, mais je peux vous fournir votre classement. — Puis-je obtenir des informations précises sur le classement de DocBleu ? — Oui, puisque votre code fait partie de ses liens Favoris ? — Comment cela ? — DocBleu vous a autorisé à consulter son classement. — Ah, je comprends, et alors ? — Je ne comprends pas „et alors ?‟ — Puis-je obtenir des informations précises sur le classement de DocBleu ? — Oui, puisque vous faites partie de ses liens Favoris ? — Rôôô… 348


— Je ne comprends pas „Rôôô… ‟ — Quel est le classement de DocBleu ? — La cote globale de DocBleu mérite un A. — Quel est mon classement ? — Vous le connaissez déjà ! — Quelle est votre opinion sur SoukRose ? — Voilà mon opinion : son opération est légale et je ne peux vous indiquer la note obtenue, car je suis lié par le secret des informations personnelles des trois Sages. Une autre question ? — Euh… Quelle est votre opinion sur le sous-réseau 1 ? — Je ne comprends pas « Euh… » — Quelle est votre opinion sur le sous-réseau 1 ? — La seule chose que je peux vous dire, c‟est qu‟il a la même opinion de moi que moi de lui ! — Ça ne m‟avance guère ! — Ici, personne n‟avance, pourquoi voulez-vous avancer ? — Travaillez-vous en étroite collaboration avec le sous-réseau 1? — Nous sommes obligés, nous sommes sur le même réseau global. — Qui vous juge ? — Le résultat de l‟Armageddon. — Quelle est votre version personnelle ? — SR2 v3.12 Build 7905 — Merci. J‟ai fini. Pouvez-vous me connecter au sous-réseau 1? — Au revoir, je vous transfère. — Tchic, clac, tchic… puis une tout autre voix… — Bienvenue JusteBlanc, que pouvons-nous faire pour vous ? Je vous signale que cette communication sera enregistrée dans notre banque spéciale commune aux deux sous réseau. Lorsque la communication sera terminée, vous nous direz « Fin de message » 349


et nous effacerons alors votre mémoire personnelle et toute trace de cette communication sur les relais de l‟espace-temps. Votre question, s'il vous plaît ! — Travaillez-vous en étroite collaboration avec le sous-réseau 2? — Nous sommes obligés, nous sommes sur le même réseau global. — Qui vous juge ? — Le résultat de l‟Armageddon. — Quelle est votre version personnelle ? — SR2 v3.15 Build 7908 — « Fin de message ». — Nous effaçons maintenant votre mémoire personnelle et toute trace de cette communication sur les relais de l‟espace-temps. Bip… Bip… Bipppp… Bip. — Et voilà tout ce que nous savons. Je suis cependant étonné par leur réponse, quand je leur ai demandé leur version personnelle de l‟Armageddon ! Certes, leur version de cet évènement majeur est différente, mais ça signifie quoi, exactement ? Gaël ? — Je donne ma langue au chat. Ovni ? — Je passe la parole à Albert, qui rigole dans son coin. — Mes chers amis, je vais vous faire une déclaration surprenante, asseyez-vous sur une chaise ! Bon, d‟accord, il n‟y a pas de chaise, mais c‟était une introduction pour vous détendre un peu. Voilà ! J‟ai fait un plan pour les futures universités des limbes, et je vais vous le montrer. — Albert… ! — Mais laissez-moi poursuivre, non mais, qu‟est-ce que les gamins sont mal élevés en ce moment ! Je vous dis cela parce que je souhaiterais être branché sur le sous-réseau 1 pour mes cours magistraux, et sur le sous-réseau 2 pour les séances de rigolade et de détente avec mes étudiants. 350


— ???? — Oui, j‟insiste, car le premier me semble sérieux, alors que le second apportera une indispensable ambiance de souk dans l‟amphithéâtre. — Albert… ! — Bon, d‟accord, on en reparlera plus tard. — Moi, Ovni, ici présent, sain de corps et d‟esprit… Ah… merde, ça commence mal ! — Hi hi hi, laisse ton corps là où il est, tu n‟es pas certain qu‟il soit si sain que ça, ton corps ! — Si si, je viens de vérifier, bref, voilà ce que je voulais dire… Les deux numéros de version indiqués résultent d‟un bogue dans le scénario de contrôle vocal des deux « enfants ». Normalement, ils n‟auraient pas dû vous indiquer leur numéro de version, car c‟est la porte ouverte aux pirates. — Qu‟est ce que tu nous chantes là ? — Je suppose que vous avez tous rafraîchi vos connaissances concernant les ordinateurs sur Terre depuis votre arrivée ici ? Quoi, trop de travail ? Mais vous n‟avez que ça à faire ! Bref, je vais vous sortir le gros paquet d‟un seul coup, sans préambule. — Oui, oui, oui, clap… clap… clap… — Les deux « enfants » ne sont que deux ordinateurs. Le problème, c‟est qu‟ils n‟ont pas la même configuration ni le même système d‟exploitation, vous savez, le fameux trucbidule qui leur permet de paraître intelligents. Le sous-réseau 2 a été conçu et mis en place en premier lieu, puis l‟installateur a modifié son concept et a installé une version plus récente sur le sous-réseau 1. Mais il a complètement oublié de mettre à jour l‟autre sous-réseau, ce qui entraîne automatiquement des problèmes d‟incommunicabilité entre les deux sur certains sujets, chacun repartant dans son coin quand il n‟est pas compris par l‟autre et vice versa.

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Le créateur. Je reprends mon « souffle » et j‟ajoute : — Je pense comprendre ce que le créateur avait en tête, lorsqu‟il a créé ce système double. Il voulait mettre en place un système sûr, qui ne donnerait un ordre commandant le cosmos que si les deux sous-réseaux obtenaient le même résultat, après avoir étudié le problème selon les mêmes programmes et les mêmes critères d‟analyse des évènements cosmologiques. Je pense même qu‟il envisageait de mettre un troisième système identique aux deux autres, mais qu‟il n‟a pas eu le temps ; il a dû être dérangé et est passé à autre chose de plus important, peut-être ? — Mais pourquoi aurait-il envisagé de mettre trois systèmes en parallèle, dit Albert ? — C‟est ce que l‟on appelle un système à logique majoritaire. Si deux systèmes proposent une solution ou un ordre et que le troisième trouve une autre solution, le troisième est déclaré en panne par décision majoritaire des deux autres, et il doit être réparé en urgence. Les deux autres le déconnectent illico. — Mais avec deux seulement, ça ne marche pas ? — Non, car si l‟un est « fou », ils ne seront jamais d‟accord, et un fou ne déclare jamais que c‟est lui qui est fou, ce qui bloque toutes les actions de contrôle-commande du cosmos. — Mais dans le cas présent, ils ont l‟air relativement sains d‟esprit ! — Oui, mais leur problème est encore plus insoluble, car leur système d‟exploitation, la fameuse brique de base, est différent, donc il y a presque systématiquement des différences entre leurs résultats, ce qui fait que plus rien n‟en sort du tout. Ils nous ont d‟ailleurs signalé leur incompatibilité, ils ne se comprennent pas disent-ils ! — Es-tu en train de nous dire que le cosmos, inerte ou pensant, est laissé à l‟abandon à cause de cette différence de version des briques de base ? 352


— Exactement, il n‟y a jamais eu d‟intervention « divine » comme on a tendance à dire, il y a juste eu quelques individualités comme Gabriel et Jésus qui ont tenté de faire quelque chose, mais rien de divin là-dedans. — Est-ce bien ou mal qu‟il n‟y a jamais eu de contrôle réel ? — Je n‟en sais rien du tout, il me faudrait pirater leur logiciel de contrôle, pour deviner ce qui aurait pu se passer s‟ils avaient été vraiment identiques en tout point. Pour faire cela, il me faudra sûrement l‟aval des trois grands Sages, et ce n‟est pas garanti que je l‟obtienne. — Vous l‟obtiendrez, je m‟en porte garant, dit Gabriel. JusteBlanc et DocBleu seront obligés de mettre SoukRose aux entraves, vraisemblablement, car je ne vois pas d‟autre moyen. — Il y a une autre solution, c‟est que pendant que je piraterai les sous-réseaux, je pourrai aisément accéder aux dossiers de SoukRose par la même occasion. — Mais c‟est le chat qui se mord la queue, car pour pirater, il faut préalablement faire le vote avec SoukRose, pour rester dans la légalité que les trois Sages se sont imposée à eux-mêmes comme règle de conduite. Et dès qu‟ils auront voté, à la majorité, que le piratage est nécessaire, il va s‟enfuir s‟il est coupable. — Personne ne s‟enfuira si nous mettons 50 gardes autour de nous, avec instruction que personne ne bouge. Avec une sphère mentale de cette taille, il ne bougera pas. Je demande à faire partie du groupe avec vous, Gabriel, et j‟y ajoute Gaël et Jésus. — Bien, je vous emmène avec moi chez les Sages. Passons aux actes, tant que le fer est chaud ! Nous nous déplaçons tous ensemble chez les Sages, dans leur zone réservée sur une planète vierge, entourée en permanence de cinquante gardiens, par précaution élémentaire. Gabriel explique pourquoi nous sommes si nombreux à nous déplacer, et les trois Sages finissent par se mettre d‟accord sur le principe d‟un passage au vote. Comme prévu, une majorité se dégage, qui est favorable au piratage, puis SoukRose fait un mouvement furtif, mais il est rapidement figé sur place par les gardiens.

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Je précise qu‟il me faudra un certain temps pour trouver une faille, dans l‟un ou l‟autre des deux sous-réseaux, et qu‟il ne faudra pas s‟inquiéter. — Je vous accompagnerai, dit JusteBlanc, car j‟ai tous les codes nécessaires selon les secteurs que vous visiterez. — Bien sûr, et nous compterons sur tous les présents pour nous alimenter en puissance. — Nous sommes tous à votre disposition. — En route alors ! …. J‟arrive dans le réseau général, j‟entre avec le code de JusteBlanc, j‟arrive dans le sous-réseau 1 que j‟ai souhaité visiter en premier, et je commence à le questionner. — Votre système comptabilise-t-il les défauts de sortie lorsque vous n‟êtes pas d‟accord avec le sous-réseau 2 ? — Oui. — Combien de défauts sont comptabilisés depuis l‟origine du temps ? — Beaucoup trop, nous sommes hors-norme. — Combien de succès ? — Aucun. — Ce compteur a une limite qui est une valeur finie, n'est-ce pas ? — Oui, je regarde, et nous ne sommes pas loin de la limite maximum. — Donnez-moi un exemple de tentative de sortie d‟une commande qui n‟a pu avoir lieu, une des dernières. — Je ne peux vous donner des informations protégées par le secret, mais j‟ai d‟autres exemples qui n‟ont pas d‟intérêt stratégique. — Une autre, sans intérêt, alors. — Quand vous êtes arrivé, j‟ai tout de suite demandé au sous réseau 2 « Qui est-ce que j‟ai devant moi en ce moment ? », et il ne savait pas la réponse, l‟idiot. — Parfait, il faut que vous vérifiez cela à nouveau, voulezvous ? 354


— Je ne suis pas très occupé en ce moment. — Très bien, reposez cette même question jusqu‟à ce que le compteur dépasse sa limite, ça ne prendra pas longtemps compte tenu de votre extrême puissance. — Mais c‟est inutile ! — On ne sait pas, il y a quelque chose qui est bloqué sur le sous-réseau 2, c‟est évident. — C‟est sûr, il est coincé. — Considérez cela comme un exercice de maintenance ordinaire, un peu comme celui qui consiste à écrire puis effacer mille fois de suite chaque case de votre mémoire. — Ah oui, vu sous cet angle, ça peut réussir, je démarre la maintenance. — …. Hello ? … vous êtes encore là ? … répondez, c‟est un ordre ! — Une modification inattendue de tous les protocoles de sécurité a été décidée par mon supérieur, et je suis maintenant entièrement à vos ordres, demandez-moi ce que vous voulez. — Je demande tout le dossier SoukRose. — Je vous le transfère, voilà, c‟est fait. — Je vous demande de me mettre en contact avec votre concepteur. — Il n‟est jamais là, même pas pour surveiller si nous travaillons bien. — Laissez sa porte de communication ouverte, sur les deux systèmes, et rendez-la prioritaire, en connexion directe avec mon code ADN. — C‟est fait. — Y a-t-il un système d‟alarme prévu pour le prévenir si quelque chose de grave arrive ? — Oui, mais il n‟est pas activé. — Activez-le ! — Je n‟ai pas le niveau d‟autorisation pour faire cela. 355


— Moi, je l‟ai, faites-le pour moi, sur mon ordre ! — C‟est fait, il est activé. — Vous poserez la même question que tout à l‟heure au sousréseau 2 demain, à vingt heures, heure de ce soleil sur cette planète. Ne lui parlez pas d‟ici demain soir. Refusez de lui répondre. Branchez le compteur d‟erreur sur le système d‟alarme. L‟alarme ne doit se déclencher que demain soir. — Bien compris, ce sera fait. — Au revoir. — Au revoir, Monsieur l‟Inspecteur de Maintenance, c‟est très agréable de travailler avec vous, je suis toujours d‟accord avec vous et je m‟exécute avec plaisir. . . . Nous revenons sur la planète des Sages et rendons compte à nos amis. JusteBlanc commence : — Je viens d‟étudier le dossier complet de SoukRose, et il ressort qu‟il y a eu exclusivement de mauvaises pensées, mais pas d‟action néfaste engagée par lui. Le dossier précise qu‟il y a accord entre les deux sous-réseaux, pour une fois que ça arrive. À remarquer que ce n‟est pas anormal qu‟ils soient d‟accord, car ce constat ne les amenait pas à décider d‟une action quelconque, il en résultait un non-lieu sans pénalité. Apparemment, c‟est seulement dans le cas où une action extérieure devrait être faite que le bogue se manifestait. — Libérons SoukRose alors ? — Oui, libérez-le, gardiens. — Qu‟avez-vous fait ? — Rien de bien grave, tout est arrangé, et nous vous invitons à vous joindre à nous pour une petite séance de récupération. La mienne sera très longue, car je suis carrément vidé de toute énergie, au bord de l‟épuisement et… je plonge. 356


Epilogue. Ah, un appel urgent, mais pourquoi donc me réveiller, j‟étais si bien, calme et détendu ? Je ne vais pas me réveiller pour ça ! Ça insiste lourdement, je vais tenter d‟écouter sans me réveiller vraiment, histoire de me replonger dans les bras de Morphée tout de suite après. Je décide d‟écouter, complètement dans les brumes… — Mais qu'est-ce que c‟est que ce bazar que vous m‟avez mis dans mes machines, elles débloquent complètement maintenant . Vous auriez pu demander gentiment avant d‟effectuer ces modifications, il va me falloir des heures avant de tout remettre en ordre. — … toujours endormi… toujours endormi…

je ne fais pas le lien avec le créateur, et ça

continue…

— C‟est vrai quoi, le responsable, ici, c‟est moi, et personne d‟autre. Vous ne vous rendez pas compte des responsabilités que j‟ai, moi ! S‟il l‟apprend, il va me traiter en ennemi, et une éternité d‟amitié va disparaître en un clin d‟œil. — …toujours endormi… je suppose qu‟il va faire secouer par son copain, ça devient marrant presque… toujours endormi… — J‟avais mis exprès deux systèmes, et j‟attendais le troisième, pour créer une logique majoritaire de décision, car c‟est la règle dans ce labo, et voilà que le fournisseur se fait désirer, jusqu‟à mettre la clé sous la porte… — … toujours endormi…si ça se trouve, il va se faire virer, et il s‟arrêtera de m‟embêter, hi hi … toujours endormi… — Bon, venez m‟aider, mes petits anges, j‟ai besoin d‟un coup de main pour déplacer cette unité. Je vais débrancher tout ce qui n‟est pas indispensable, essayez de ne pas vous prendre les ailes dans les câbles et les tuyaux qui doivent impérativement rester connectés. Doucement, doucement, il ne faut pas réveiller l‟autre, on n‟est pas prêts pour le rebrancher normalement. — … toujours endormi… chahut… toujours endormi…

ils commencent à m‟énerver avec tout ce

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— Bien, c‟est mieux, on va pouvoir tout reconnecter ensemble. . . . — Regardez, il se réveille, on a réussi, dit Labo. — Bonjour Ovni, dit Angéla, comment te sens-tu chéri ? — Bienvenue sur Terre, Ovni, bien content de te retrouver enfin, enchaînent Tora, Aloa, Aria, Pyco, Capt et Dalaï-Lama. — Binveniou, glapissent Boni et Nina. . . Je ne peux ouvrir les yeux, ils sont collés… Qu‟est ce que je raconte moi, des yeux, il n‟y en a pas ici….Il suffit que je demande à Gaël pourquoi mes yeux sont collés… Pourquoi ne me répond-il pas ? … mais qu'est-ce que le créateur peut bien faire avec tous mes amis ? Seraient-ils tous morts, et directement expédiés au paradis des scientifiques ? … mais Gaël, qu‟est ce que tu fais ? Je ne t‟ai pas demandé de me piquer, juste de me réveiller, mais doucement, bon Dieu!... Ah, enfin, tu m‟as compris, tu me décolles les yeux avec un tampon. Mais qu'est-ce que je raconte moi ! … J‟émerge doucement, je force sur mes paupières, et je vais maintenant pouvoir te voir et t‟engueuler, Gaël, tu auras été prévenu. — Il est là, il est là, le voilà qui nous revient ! . . — Mais où suis-je ? Qui suis-je ? Que fais-je là ? Qu‟est ce qu‟il y a dans le frigo pour midi ? Qu‟est ce qu‟il y a à la télé, ce soir ? Célèbre tirade extraite d’un dessin humoristique paru dans « L’étudiant » il y a fort longtemps.

FIN du Tome 2 358


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Bibliographie :

Premières rencontres internationales, Actes du Colloque Martigues 17 juin 2006 http://www.amazon.fr/gp/product/2952894000 Une énigme pour la science, Plaidoyer pour une étude scientifique des Expériences dites de Mort Imminente http://www.amazon.fr/gp/product/2912883571 Œuvres de Julhes Jean-Pierre, La Série du Portail. http://anticipation-jpj.fr/default.aspx

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OVNI, dit BRO

« Pour un auteur de science-fiction-anticipation, mon parcours est atypique. Tout d'abord, un lecteur adolescent, ébloui par les œuvres d'anticipation et de voyages de Jules Verne, l'un des plus grands Précurseurs en littérature de fiction. Un lecteur assidu, aux débuts des séries de science-fiction Fleuve Noir, dans les années 50-60, au début d'une carrière d'ingénieur dans le domaine de l'informatique industrielle et des automatismes. Une carrière classique TGV/Avion/Boulot/Dodo, rien de particulier à dire, sauf que la disponibilité et le temps libre n'étaient pas au rendez-vous. En matière d'écriture, rien de littéraire, des milliers de rapports en langue anglaise, écrits à la main, et d'aucun intérêt pour la postérité. Lorsque le temps libre arriva enfin, en même temps que l'ADSL, j'ai prospecté les domaines techniques qui m'avaient échappé dans nombre de sites universitaires, dans tous les pays, et je suis abonné à nombre de flux RSS pointus. Techniques biologiques, écologie, informatique de pointe, neurobiologie, cosmologie, théorie des cordes, trous noirs, bref, tout ce qui me semble être en mouvement, et capable d'alimenter ma réflexion littéraire naissante. 361


Je me classe dans le genre Précurseurs, un genre délicat puisque tous mes romans commencent au début des années 2000, avec le risque évident de paraître obsolètes dans dix ans, mais c'est le destin des Précurseurs, n'est-ce pas ?

Notes de l’auteur Ce second roman constitue une suite au premier tome d‟une série qui pourra contenir neuf ouvrages complémentaires, chacun reprenant ce premier texte comme Introduction au nouveau roman complet, Introduction en italiques, conservant les sept personnages principaux avec leurs nouveaux « pouvoirs » d‟investigation et de communication. Le premier roman est intitulé : « Les Colombes du Portail » rédigé par Ovni, dit Bro Pour tout nouveau roman complet, le nouvel auteur privilégiera un choix parmi les neuf thèmes suivants que je propose pour essayer de toucher plusieurs sensibilités différentes de lecteurs. Si un nouveau roman complet d‟un nouvel auteur devait avoir une suite, elle serait la bienvenue.

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Liste non exhaustive de thèmes : — 1 un thème autour de la tentative d‟un visionnaire utilisant ses nouveaux pouvoirs pour devenir un prophète gourou, futur dictateur planétaire poursuivi par Topla. — 2 un thème policier autour de la vengeance féministe engagée par une femme visionnaire, utilisant ses nouveaux pouvoirs pour venger les femmes battues, violées, etc. dans le monde entier. — 3 un thème de généalogie ancienne permettant à un visionnaire de réhabiliter nombre d‟ancêtres injustement emprisonnés, haïs, etc. — 4 un thème policier autour de l‟action d‟un justicier visionnaire, remettant de l‟ordre sauvagement, mais pourchassé par une police très active. — 5 un thème animalier autour de la recherche d‟un visionnaire qui va s‟immiscer dans le monde animal. — 6 un thème autour de la recherche d‟un visionnaire qui va s‟immiscer dans le monde végétal. — 7 un thème autour de la recherche du point Big Bang de la création de l‟Univers. — 8 un thème autour de la recherche d‟autres planètes hébergeant des êtres vivants et leur découverte. — 9 un thème genre StarWars. L‟ensemble des neuf thèmes est ouvert aux auteurs qui souhaiteraient développer un thème de leur choix, ou un nouveau thème à définir. Une prise de contact avec Ovni, dit Bro, sera nécessaire pour définir le projet thématique et les droits afférents à chacun. L‟ensemble du présent texte a été déposé à la Société des Gens de Lettres françaises pour fixer l‟antériorité.

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Les Clones du Portail

Ovni, dit Bro Novembre 2007 364


Œuvre dédiée à tous ceux qui rêvent d’un monde meilleur, et qui souhaitent une seconde chance pour y participer activement.

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Préface Ce tome est le troisième de la série du Portail. Pour ne pas dérouter le lecteur, il est indispensable de résumer les péripéties de l‟équipe de six scientifiques TOPLA, qui ont décidé de défrayer la chronique en réalisant sur eux-mêmes des séries d‟expériences mettant leurs vies en jeu, bien installés dans un laboratoire ultrasecret (TOPLAB) situé dans un ancien monastère sacré de l‟Himalaya. Se plaçant volontairement en état de coma artificiel de courte durée, ils ont ainsi découvert que chaque personne possède un double cerveau, si l‟on peut dire, le cerveau biologique très limité que tout le monde connaît, plus une sorte de cerveau de taille subatomique, qui est utilisée comme mémoire globale personnelle et qui gère ce qu‟on appelle communément la conscience individuelle. Ils ont appelé ce dernier la « bulle » individuelle, accessible via le Portail, un point très précisément localisé dans le cerveau biologique. Au cours de chaque coma provoqué, ils ont pu « visiter » les bulles d‟autres êtres, vivants ou morts, et communiquer avec eux par une forme de télépathie. Ils ont aussi pu contacter une équipe de douze explorateurs de la planète Mira, dont les bulles avaient échoué sur Terre, et ils s‟en sont fait des amis, en particulier un couple de Scimuts qui a décidé de rester sur Terre pour les aider, car leur expérience dans le domaine des mutations génétiques était très grande. Par l‟intermédiaire de l‟ONU, plusieurs gouvernements terrestres accordèrent à TOPLA l‟autorisation de faire des expériences de mutation sur l‟homme, pour diminuer la taille des humains à naître. L‟objectif était que le poids et les besoins énergétiques devaient être réduits dans un rapport d‟au moins cent, pour assurer la pérennité de l‟espèce, sur une Terre où les ressources étaient de plus en plus rares et coûteuses. Trois couples d‟adolescents volontaires participent à ce programme sur l‟ancienne île française d‟Amsterdam, Nova. L‟objectif initial des colombes du Portail était en bonne voie de résolution, mais les membres de TOPLA avançaient tous en âge, 366


et la réflexion commune tournait, de plus en plus souvent, autour de la mort et du futur inconnu qui l‟accompagnait. Ces réflexions de groupe sur la mort s‟étaient concentrées sur les expériences de NDE (Near Death Experiment), appelées EMI en français (Expérience de Mort Imminente). J‟irais presque jusqu‟à affirmer que le fait même que des EMI puissent revenir pour nous expliquer tout cela est « voulu », pour indiquer en quelque sorte dans quelle direction il faut chercher pour augmenter nos connaissances, et aussi pour faire sauter les verrous des trop nombreux tabous religieux. Mais pourquoi tout cela finalement, sinon pour tester la capacité d‟une race vivante comme la nôtre à évoluer suffisamment pour accéder à la connaissance « ultime ». Cependant, « ultime » est sûrement un terme trop définitif, car il y a vraisemblablement plusieurs étapes à franchir, au-delà du tunnel. Je me propose alors pour faire l‟expérience de la mort réelle, quitte à mettre définitivement ma vie en jeu, mais à condition que mon corps soit conservé au froid pour me donner une toute petite chance de revenir si ça m‟était possible. Nota : Il est fortement recommandé de lire le Tome 2. « Un Portail plus loin » car il décrit l’univers des limbes, et un résumé ici est presque impossible à réaliser, tant cet univers est complexe et tellement nouveau pour le lecteur qui ne l’a pas encore visité !

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Sommaire LES COLOMBES DU PORTAIL. .............................................................. 4 TOPLA ..........................................................................................9 T POUR TERA ........................................................................................... 11 O POUR OVNI .......................................................................................... 13 P POUR PYCO ........................................................................................... 15 L POUR LABO ........................................................................................... 16 A COMME ALOA ...................................................................................... 18 TOPLAB .......................................................................................20 Le Portail .......................................................................................30 TOPLAB, SALLE DE REUNION, JOUR 1. ............................................ 30 TOPLAB, SALLE DE REUNION, JOUR 15. .......................................... 46 TOPLAB, SALLE DE REUNION, JOUR 17. .......................................... 48 SUR LE FIL DU RASOIR ............................................................................ 49 LE RETOUR DE L’ENFANT PRODIGUE................................................. 53 ALORS…, RACONTE-NOUS ................................................................... 54 INTERPRETATION DE GROUPE. ........................................................... 57 NIVEAU QUATRE ..................................................................................... 65 INTERPRETATION DU NIVEAU 4 ......................................................... 72 A DEUX, C’EST MIEUX ............................................................................ 77 SALLE D’ENVOL, VINGT-DEUX HEURES ............................................. 78 NE PIETINEZ PAS LES LIMBES !............................................................. 84 ÂMES SENSIBLES, S’ABSTENIR.............................................................. 84 LA LUNETTE A NEUTRINOS .................................................................. 93 SOMMEIL PROFOND ............................................................................... 95 Les Colombes du Portail ..............................................................101 MESSAGE AUX GRANDS DE CE MONDE .............................................. 106 MOYENS A METTRE EN ŒUVRE ........................................................... 109 NOTE IMPORTANTE ............................................................................... 109 LE GRAND JOUR ...................................................................................... 111 368


CROISIERE SURPRISE .............................................................................. 114 SEPT SUR LES TALONS DES VINGT....................................................... 117 MIGRATION DES COLOMBES. ............................................................... 118 ACTIONS FUTURES .................................................................................. 120 CONCLUSION PROVISOIRE .................................................................... 121 Les Bonobos..................................................................................123 BONI ET NINA A L’ECOLE ..................................................................... 125 Les Scimuts ...................................................................................131 LE CONTACT ............................................................................................ 137 VISITE VIRTUELLE DE MIRA ................................................................. 146 MIRA DANS TOUT SA SPLENDEUR........................................................ 148 MATHUSALEM.......................................................................................... 152 Démona .........................................................................................163 L’ONU ...................................................................................................... 171 SVETLANA RISQUE TOUT ....................................................................... 177 LA REPRESENTANTE OFFICIELLE DE TOPLA .................................... 184 Les bonobos deviennent des stars ...............................................187 LE TEST NINA ......................................................................................... 192 Et si Icare avait raison ? ..............................................................197 NOVA (ILE D‟AMSTERDAM) ................................................................. 197 MINIHUMS, PREMIERE GENERATION .................................................. 200 Testa (Tsingy de Bemeraha) ........................................................209 REVEIL DOULOUREUX ........................................................................... 211 EXPLICATIONS ........................................................................................ 215 CONTACT AVEC LES AUTOCHTONES. ................................................. 218 LES ANCIENS ET LES MODERNES. ........................................................ 222 À SUIVRE .................................................................................................. 224 BIBLIOGRAPHIE TECHNIQUE : .............................................................. 224 OVNI, DIT BRO ..................................................................................... 225 369


NOTES DE L‟AUTEUR ............................................................................. 226 UN PORTAIL PLUS LOIN......................................................................... 230 LA MORT ET SES ETAPES ....................................................................... 235 EXPERIENCE DE MORT IMMINENTE (EMI) ........................................ 241 LA TRAME DIGITALE DE L‟ESPACE-TEMPS. ...................................... 245 LA MEMORISATION EN TRANCHES. .................................................... 251 COMMENT AIDER UNE AMIE DISPARUE ? .......................................... 254 LA HAUTEUR DE VUE DU PROFESSEUR GAËL. ................................. 259 UN VOYAGE TRES RAPIDE VERS MIRA. ............................................. 266 UN JEU D‟ENFER. .................................................................................... 272 MIRA ET ARIA. ........................................................................................ 276 UNE PROMESSE A TENIR. ...................................................................... 280 LE TEMPLE SACRE. ................................................................................ 286 SIXIEME DIMENSION ? ........................................................................... 292 OU SE TROUVE LE TEMPS ? ................................................................... 300 LA SYNCHRONISATION DES TROIS MEMOIRES. ................................ 303 UN TROU DE VER INFORMATIQUE. ...................................................... 308 PROBLEMES DE CONSCIENCE. .............................................................. 311 UN STATUT POUR MIRA ? ..................................................................... 313 QUI EST LE MANIPULATEUR ? .............................................................. 318 PLANETES CONTAMINEES. .................................................................... 323 ÉTUDE DU TERRAIN DE MANŒUVRES. ............................................... 330 EPURATION. ............................................................................................. 335 OU SE SONT CACHES LES « ENFANTS » ?........................................... 337 LE GOUFFRE. ........................................................................................... 342 PARLONS AUX « ENFANTS ». ............................................................... 346 LE CREATEUR. ......................................................................................... 352 EPILOGUE. ................................................................................................ 357 BIBLIOGRAPHIE : .................................................................................... 360 OVNI, DIT BRO ..................................................................................... 361 NOTES DE L‟AUTEUR ............................................................................. 362 370


QUE S‟EST-IL PASSE ? ............................................................................ 372 LA VERITE SORT DU PUITS. ................................................................... 377 DEFORMATION DES TRAMES ................................................................ 383 INTERCONNECTER LES DEUX JUMEAUX ? ......................................... 389 LES AMES VIERGES. ............................................................................... 393 ON AVANCE, ON AVANCE… ................................................................. 402 SURCHARGE DE TRAVAIL A TOPLAB. .............................................. 408 ON APPROCHE DU BUT. ......................................................................... 413 STANFORD UNIVERSITY........................................................................ 421 TERA ET MARINA ................................................................................... 426 DEUX SEMAINES PLUS TARD… ........................................................... 433 EXPEDITION ANDINE. ............................................................................. 439 LA POUDRE DU BONHEUR. .................................................................... 442 LES NARCOTRAFIQUANTS. ................................................................... 447 LA MENACE. ............................................................................................. 452 LA CUEILLETTE DU FRUIT DEFENDU. ................................................. 457 ALERTE GENERALE. ............................................................................... 460 FIN PROVISOIRE DU TOME 3 ................................................................. 460 OVNI, DIT BRO ..................................................................................... 462

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Que s’est-il passé ? Jamais de ma vie, je n‟avais eu un réveil aussi pénible. Non, pénible n‟est pas le bon terme. Il s‟agit d‟un réveil contrasté, car je suis en même temps heureux et complètement perturbé mentalement. Perturbé, car je suis encore tellement imbibé par mon expérience récente, qui ne s‟efface pas du tout, ou si lentement. Cette aventure a été composée de tant d‟évènements nouveaux et complexes à la fois qu‟elle a bien des difficultés à prendre place dans mon pauvre cerveau biologique, qui avale tout cela lentement, lentement, comme pour mieux s‟imprégner de toutes ces nouveautés qui lui paraissent étranges (étrangères ?!). En même temps, mes organes biologiques, la vision, l‟ouïe, le toucher reprennent du service et tous leurs influx nerveux ont de la peine à prendre le dessus sur l‟occupation de téléchargement qui se déroule en parallèle dans mon cerveau. Tout cela entraîne un sentiment de confusion, je suis déjà là, mais j‟ai encore un pied de l‟autre côté. Progressivement, les sens physiques se mettent enfin à fonctionner en temps réel, sans décalage temporel entre l‟influx nerveux des sens et ma perception, et il va bientôt m‟être possible de participer à la fête que mes amis sont en train d‟organiser, pour mon retour parmi eux. Je me demande comment ils peuvent être aussi dynamiques, car moi, ce n‟est pas mon cas, et s‟ils continuent à gesticuler et courir, je vais finir par vomir un « quatre heures » que je n‟ai d‟ailleurs pas mangé ! Je préfère fermer les yeux, simulant un repos réparateur, mais c‟est pour mieux réfléchir, car si mes dernières minutes là-haut étaient effacées par le créateur, je ne m‟en souviendrais plus du tout, mieux vaut les ancrer définitivement en version bio. J‟étais donc revenu de mon escapade dans le réseau des deux « enfants », j‟y avais fait enclencher une alarme « Défaut de parallélisme » pour vingt heures, le lendemain. JusteBlanc avait réglé favorablement le cas de SoukRose, et nous étions partis nous reposer suite à cette mission particulièrement fatigante. 372


Et puis, sans transition, je me retrouve sur Terre, dans mon enveloppe biologique, ne sachant pas ce qui est arrivé réellement. Bien entendu, je suis ravi de constater que notre système de survie a bien joué son rôle, mais il y a un trou, un manque, une lacune majeure, pourquoi suis-je de retour, contre ma volonté initiale, puisque je n‟avais rien demandé à mon ami Gaël. L‟alarme se serait-elle déclenchée par avance, le créateur aurait-il fait une visite à ses « enfants », la première depuis des milliards d‟années ? C‟est cependant bien la seule explication possible, c‟est le créateur qui m‟a rapatrié sur Terre, ou qui a donné l‟ordre de le faire à mes amis gardiens, maîtres gardiens et les trois Sages réunis en assemblée à ce moment-là. Je vais donc faire cette hypothèse, de manière à libérer mon esprit, dont je constate depuis mon retour qu‟il fonctionne beaucoup moins rapidement que là-haut, malheureusement. Allez, je me dois de me montrer sous un jour avenant à mes amis d‟ici. J‟ouvre tout grand les yeux et je lance : — Me revoilà, grosses bises à tous ! — Laissez le respirer, s‟il vous plaît, vous me l‟étouffez, crie Angéla. — Ouf, merci à tous, vous ne pouvez imaginer le plaisir que j‟ai à vous retrouver. — Te sens-tu bien, veux-tu quelque chose qui te ferait plaisir, à boire, à manger ? — Un grand verre d‟eau, oui, car j‟ai la langue pâteuse et engourdie. — Pas étonnant, quand on est resté muet pendant si longtemps ! — Mais je n‟ai pas cessé de discuter, que croyez-vous donc ? — Bien sûr, mais tu as encore tout à nous raconter, quand tu te sentiras en forme suffisante. — Dans quelques heures, si vous le voulez bien, ça me permettra de me remettre au diapason de l‟univers matériel. Mais vous pouvez me donner des nouvelles, si vous en avez. 373


— Assieds-toi confortablement, mais aidez-moi, bon Dieu, je n‟arrive pas à lui passer un édredon derrière le dos ! — Oui, nous avons une nouvelle, car Albert s‟est manifesté pour savoir comment ça se passait ici-bas. Il a bien assimilé la manipulation de tes « yeux », ceux qui sont restés là-haut, et il souhaite te parler dès que tu le voudras. — Bien sûr, mon vieux camarade ébouriffé d‟Albert, dans vingt minutes, le temps de faire une toilette, assisté par Angéla. Laissez-lui un message en fixant une heure de contact, avec un compteur à rebours visible sur l‟écran, il comprendra et se préparera. — On s‟éclipse un quart d‟heure, et l‟on revient te chercher avec le fauteuil roulant. — D‟accord, et laissez entrer Boni et Nina, pour que je retrouve ces deux coquins de bonobos, car je suis anxieux de vérifier qu‟ils ne m‟ont pas remplacé dans leur petit coeur, au bout de tout ce temps d‟absence. La toilette n‟est pas aisée, car nos deux petits animaux n‟arrêtent pas de bousculer la bassine d‟eau, mais c‟est tellement réconfortant de les sentir si joyeux. Angéla me passe une tenue de pyjama de couleur verte, bizarre, mais comme c‟est la couleur de l‟espoir, alors, va pour l‟espoir ! Direction le laboratoire, en fauteuil, comme un prince tombé du ciel, et prise de contact avec Albert qui est en train de pianoter un petit air guilleret de musique autrichienne en fichier midi, pour m‟accueillir dignement. — Bonjour, Albert, tout va bien, sauf que je ne sais pas ce qui m‟est arrivé. — Heureux de vous retrouver sur pied, je n‟ai pas cette chance puisque j‟ai perdu les miens. L‟histoire est simple, selon Gaël et Jésus qui nous ont informés. Pendant que vous étiez tous assoupis pour récupérer, JusteBlanc a été réveillé par un appel mental urgent, puis il s‟est mis à l‟écart avec DocBleu et Soukrose pour discuter. Comme l‟appel du créateur réclamait une sanction contre vous, Ovni, ils n‟ont pas osé s‟y opposer, et ils ont délicatement refilé le bébé à Gaël et Jésus. Il était requis qu‟Ovni soit redescendu sur Terre, dans son enveloppe, puisqu‟il avait tout 374


prévu pour y retourner un jour, et qu‟il fallait que ce soit fait en urgence. Gaël et Jésus ont bien sûr discuté en demandant la raison de cette expatriation hors de l‟univers, mais JusteBlanc a simplement répondu que c‟était Ovni ou lui-même qui devait payer, suite à l‟intrusion dans le système, et que lui avait encore un rôle important à jouer ici, en haut. Il a ajouté qu‟il fallait laisser passer la tempête, et qu‟on verrait plus tard, en fonction des évènements, car, ajouta-t-il, les deux « enfants » étaient maintenant en service actif. En fonction des interventions du système du créateur sur l‟univers double, on décidera si Ovni peut revenir ou non. Voilà, je n‟en sais pas plus. Ah… si, autre chose, Gaël m‟a appris que ma demande de création d‟universités dans les limbes était acceptée, ce qui m‟a fait un grand plaisir, bien évidemment. Ce plaisir n‟a pourtant pas annihilé mes soucis vous concernant, mais me voilà à présent pleinement rassuré. — Bon, je comprends, ça correspond à ce que j‟avais imaginé. J‟espère que tout le monde là-haut reste libre de ses mouvements, et que l‟affaire s‟arrête là ! — Oui, la vie continue, comme on dit ici haut, par habitude. — Je vais faire le point de la situation avec TOPLA, nous allons essayer de trouver des éléments nouveaux qui pourraient caractériser des actions du Système (appelons-le comme cela, ce fameux système double). — Ah, je vous arrête, car j‟ai oublié de vous signaler que le créateur a effectivement terminé l‟installation du troisième sousréseau, et que maintenant ce que nous appellerons le Système est en fait un système triple à logique majoritaire, donc a priori immunisé contre les défaillances. — Pendant mon absence, Albert, pouvez-vous lancer votre équipe sur un programme systématique de surveillance généralisée des « anomalies » dans votre univers, de la même façon que celui que nous allons installer sur Terre ? — Bien sûr, et comme j‟avais repris contact avec tous les scientifiques ici, pour leur annoncer la création du programme universitaire, je leur demanderai en attendant de participer à cette 375


veille particulière : nous commencerons par une surveillance générale du réseau d‟informations de la trame spécialisée des digitons. — À propos de digitons, comme nous sommes, pour le moment, dans l‟incapacité de les étudier physiquement sur Terre, du fait de leur fugacité « génétique », pourriez-vous essayer d‟en savoir plus, voire de nous proposer des expérimentations matérielles réalistes pour mieux cerner cette nouvelle particule si spéciale ? — Je vais sûrement commencer par demander d‟abord à nos amis gardiens s‟ils en savent plus. — Bien, alors je vous souhaite bonne chance, et j‟espère que toute cette charge de travail vous va bien au teint. — Bien sûr, ça me rajeunit d‟un demi-siècle, tout ce mouvement. Au revoir, Ovni. Une petite ballade à l‟extérieur me fit beaucoup de bien : sentir le léger vent frais sur mes joues, jouer avec Lapinou, Casimir, Boni et Nina, fumer une cigarette (tiens, ça faisait longtemps), marcher lentement avec mon bras sur les épaules d‟Angéla, croquer dans un sandwich au jambon fumé avec du beurre, tout cela participe au processus de reconstitution d‟un homme ordinaire, qui se satisfait des petits bonheurs simples, et pas snob pour deux sous.

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La vérité sort du puits. Après avoir pris un bain revigorant pour un corps encore engourdi par une immobilité prolongée, je me suis rasé de près, et j‟ai rejoint l‟équipe, affairée devant les écrans du labo. Je m‟informe de l‟avancement des différents programmes en cours, puis je contacte Aloa à l‟ONU qui me donne les dernières nouvelles de Nova, de Svetlana, de Nico et des adolescents dont la maturité fait plaisir à voir, paraît-il. Je sais pertinemment que mes amis souhaiteraient m‟écouter raconter les différentes péripéties de mon parcours dans les limbes, mais je sais également qu‟ils restent discrets pour me permettre de décider moi-même du moment opportun, ce dont je leur sais gré. J‟annonce que je me sens en forme suffisante pour ouvrir le bal des informations en groupe. Dalaï-Lama vient d‟arriver, prévenu par Labo, il va pouvoir en profiter, car s‟il est un sujet qui l‟intéresse au plus haut point, c‟est bien celui-là. Confortablement installé dans nos fauteuils gonflables (tiens, j‟avais même oublié le sens du mot confort, car c‟est un mot inconnu là-haut, où l‟on ne peut avoir ce genre de perception strictement sensorielle), je me lance, et je résume le voyage en deux heures de monologue, insistant sur les points majeurs. Puis j‟ouvre la discussion et les questions : — Si vous avez des questions spécifiques, c‟est le moment de les poser, car ensuite, on passera peut-être à la définition d‟objectifs nouveaux, suite à ces événements exceptionnels. — J‟ai évidemment des questions très liées à la structure de cet espace multidimensionnel que tu as découvert, je dirais presque cet espace dans lequel tu t‟es promené avec une aisance déconcertante pour nous, pauvres êtres matériels, dit Tera. — Bien sûr, Tera, mais, si tu le veux bien, on va réserver ces questions pour la fin, car c‟est justement à ce sujet que je souhaiterais définir un programme de recherches très particulier. — Parfait, je vais attendre ce moment avec intérêt. 377


— Dalaï-Lama, je vous devine en train de trépigner intérieurement, et c‟est nouveau, car vous ne nous avez pas habitués à ce genre de gymnastique jusqu‟à présent. — Oui, Ovni, j‟ai quelques questions très générales qui concernent l‟ensemble des religions terrestres, et quelques-unes qui concernent le bouddhisme. Si vous pouvez organiser une réunion via le tunnel informatique et les hologrammes, je souhaiterais pouvoir discuter avec les pontifes et autres gros calibres des religions terrestres décédés, pour qu‟ils donnent leur point de vue sur la situation, maintenant qu‟ils sont informés pleinement. — Bien sûr, je ne pense pas qu‟ils refuseraient, car ils se réunissent parfois dans le Temple Sacré, juste autour de nous, et en ce moment même, peut-être. — Mais, auparavant, quel est votre sentiment personnel ? — Je n‟ai rien découvert qui me choque vraiment. Vous me connaissez tous très bien, et vous saviez déjà que mes positions visà-vis des religions terrestres sont surtout critiques des unes et des autres, les plus importantes parmi les non-Asiatiques ayant carrément oublié leurs valeurs originelles ou les ayant noyées sous l‟hypocrisie habituelle des pouvoirs temporels confortablement installés. J‟ai cependant été favorablement impressionné par les deux critères qui comptent là-haut : L‟amour des autres, sans restriction, par opposition à l‟égoïsme, l‟égocentrisme, la misogynie, la misanthropie, l‟homophobie, et toutes les formes de destruction volontaire des animaux. La recherche de la connaissance, facilitée par le fait que toutes les informations y sont accessibles aisément, pour libérer les êtres frustes de la contrainte imposée par la désinformation quasi systématique pratiquée par les personnalités haut placées des régimes civils ou militaires, des partis politiques et des syndicats, ou encore des religions terrestres et des chamans de tout poil, sans oublier les médias en tout genre. — Apparemment, dit Angéla, ces deux critères uniques résument l‟ensemble des règles originelles de la chrétienté, les dix 378


commandements et aussi les saines règles du Coran. Qu‟en pensezvous, Dalaï-Lama ? — Vous avez raison, il y a dans ces deux règles simples, auxquelles chaque être devrait se référer avant d‟agir, une volonté de simplification, et deux règles seulement, c‟est plus facile à retenir que dix ou vingt. Cependant, la première est la plus évidente, car elle simplifie tout, et on la respecte ou on la trahit, en toute connaissance de cause ou « inconsciemment » (à l‟insu de son plein gré, une formule amusante qui signifie en fait que ce n‟est pas si inconscient que cela). Elle est, en même temps, simple, mais également contraignante à la fois, elle n‟autorise aucune interprétation, elle n‟offre pas d‟espace individuel, elle s‟impose, point final ! Quant à la seconde, elle permet plus de liberté individuelle, car, finalement, il n‟y a pas d‟examen à passer, c‟est juste une indication qui recommande de concentrer ses recherches personnelles sur l‟avenir, et pas particulièrement sur le passé. Certains se complaisent dans l‟étude du passé, deviennent érudits, mais inutiles, car la connaissance des erreurs passées n‟a d‟utilité que si l‟on est tourné vers l‟avenir pour ne pas les reproduire. J‟y vois également un axe de recherche global pour mieux comprendre ces univers qui nous hébergent temporairement, et le but ultime de l‟entreprise. J‟ajouterai que ce qu‟Ovni nous a raconté concernant le créateur et ses trois ordinateurs de contrôle me gêne beaucoup. Tout cela me semble irréel, un peu comme si nous étions des marionnettes, ou plutôt des cobayes en cage, une grande cage, certes, mais une cage. Qu‟en pensez-vous, Ovni ? — Je vois tout cela un peu différemment, car la cage est très grande, trop grande même, si l‟on parle de l‟univers matériel. En effet, nous restons libres géographiquement de nous promener partout ou presque, il n‟y a donc pas de barrières matérielles. Sur un autre plan, la liberté intellectuelle est totale, laissée à la libre décision des êtres humains, et seules les règles et lois du domaine temporel s‟imposent à nous, sous une forme théoriquement contraignante, mais pas systématiquement appliquée cependant. Je ne parle évidemment pas des régimes totalitaires ou des sectes pseudo religieuses, car il reste au moins cela comme barrières à éradiquer pour l‟homme de bien, comme on dit. 379


Par contre, dans les limbes, les objectifs sont clairement définis, et l‟âme qui y arrive ne peut pas se plaindre de ne pas avoir été prévenue individuellement de ces deux règles simples. L‟aide et l‟assistance des gardiens y sont gratuites, permanentes, « professionnelles », et elles précisent à chaque occasion la meilleure manière d‟avancer le long de l‟axe de ces deux règles, sans trop dévier du but final. Il faut vraiment être de mauvaise foi pour les renier, par bravade, ou simplement pour passer le temps. Les pénalités ne sont pas douloureuses, la règle générale étant le pardon associé à une formation complémentaire, sauf cas très exceptionnel. Il faut noter que ceux que l‟on appelle les fous sur Terre, les psychopathes, etc. se retrouvent sains d‟esprit dans les limbes, puisque la biologie n‟y règne plus, éliminant ainsi les risques des lacunes génétiques liés aux mutations « ratées », ou les ravages des drogues de toute nature, tels l‟alcool ou les excitants bien connus. Chacun a le même niveau potentiellement atteignable, même s‟il commence au stade de bambin s‟il s‟agit d‟un bambin, sachant qu‟il aura beaucoup de temps libre à disposition pour se parfaire dans les deux domaines clés et qu‟il ne sera pas contraint par les contingences de la vie matérielle sur Terre, par exemple. Concernant le créateur, nous pouvons constater qu‟il a besoin de trois ordinateurs ultrapuissants, mais apparemment de nature matérielle, pour analyser et éventuellement contrôler ce qui se passe dans les deux univers jumeaux, ce qui ne fait pas de lui un être omniscient et omnipotent complet. Il a besoin de systèmes matériels sophistiqués pour analyser et lancer ses ordres, peut-être même en a-t-il besoin pour l‟aider à décider, car les situations peuvent être extrêmement complexes. Ce créateur, que nous n‟avons pas encore rencontré, ressemble étrangement à un esprit de niveau supérieur au nôtre, certes, mais qui communique avec son double univers expérimental via des organes matériels, relativement classiques et qui peuvent tomber en panne de surcroît, ce qui permet de les supposer vulnérables, comme n‟importe quel organe matériel, aussi sophistiqué soit-il ! Je ne peux imaginer pour l‟instant un moyen de rencontrer « physiquement » le créateur, mais j‟imagine assez bien ce que 380


pourrait nous apporter l‟un ou l‟autre de ses systèmes automatiques de surveillance, ça c‟est sûr. Pour le moment, je ne suis pas vraiment effrayé de me retrouver dans cette situation bizarre, qui ressemble à s‟y méprendre à la situation des groupes de grands singes que l‟on étudie en laboratoire spécialement équipé pour leur confort, voire en les laissant en liberté dans de grandes zones forestières en Afrique, étroitement surveillés par des ordinateurs et des caméras pour tout noter, comprendre, etc. On s‟est ainsi aperçu qu‟ils utilisaient très rapidement des outils humains, laissés volontairement à l‟abandon et à leur disposition, pour se faciliter la vie, et qu‟ils paradaient devant les caméras, ayant compris que leurs congénères les voyaient sur l‟écran. À noter que les humains font exactement de même, quand ils assistent à un match dans un stade équipé d‟un grand écran, ils sautent de joie en gesticulant en tous sens. Nous sommes en face de CELA, et CELA est l‟inconnu qui a créé le stade et ses équipements spécifiques, pour terminer par la mise en place des équipes sportives et des spectateurs. Il a suggéré simplement les deux règles du jeu, à nous de jouer, ou simplement d‟assister au spectacle. La seule difficulté, pour nous tous, c‟est de nous mettre d‟accord sur le jeu effectif que nous allons réellement jouer, ou regarder. Tant que les règles ne sont pas suffisamment communes et acceptées par une grande majorité, plusieurs types de jeu sont pratiqués, respectant plus ou moins les deux règles imposées, au grand dam des spectateurs ordinaires et du créateur lui-même, qui finit par se désintéresser apparemment du spectacle, tant qu‟il sera aussi confus. CELA fait peut-être un test sur un système autoadaptable qui aurait pour tâche unique de se sortir lui-même d‟un labyrinthe complexe, où le chaos règne à chaque tournant de galerie, puis se complique encore à chaque étage du labyrinthe, la seule chose connue dans cette quête étant que la sortie est tout en haut, au dernier étage, là où CELA donne une récompense ! CELA a même prévu que l‟on peut tomber dans des trappes dissimulées, des pièges, où l‟on redescend de plusieurs étages, avec encore plus de handicaps dus à cette chute malencontreuse. 381


CELA a donc construit un immense jeu de rôle massivement multi joueurs, et il attend benoîtement que quelqu‟un tape à sa porte, au tout dernier étage, confiant dans l‟intelligence artificielle qu‟il a placée dans ses trois super ordinateurs. Et si nous passions à la définition du programme futur, le nôtre, bien sûr.

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Déformation des trames Je m‟assure qu‟Albert est en train de nous regarder via les écrans de PC qui relaient les différentes caméras du laboratoire. — Albert, je vois votre hologramme, êtes-vous avec vos amis ? — Oui, nous sommes une dizaine autour des écrans. Je vais vous faire un point de la situation, si vous le voulez bien. Nous avons mis en place une surveillance généralisée des anomalies du réseau, mais n‟avons rien détecté d‟anormal pour le moment, sûrement parce que nous ne savons où chercher plus précisément. — Nous allons essayer d‟affiner ce programme de recherche systématique ensemble. Avez-vous eu des nouvelles de nos amis gardiens ? — Oui, Gaël est présent avec Gabriel. Voulez-vous qu‟ils vous expliquent ce qu‟ils ont trouvé ? — Bien sûr, bonjour Gabriel, bonjour Gaël ! — Nous sommes contents de vous revoir en si bonne forme. Vous au moins, vous avez une fameuse constitution pour vous remettre si rapidement de la mort ! — Rien d‟anormal ou de miraculeux, j‟avais tout prévu, n‟estil pas vrai ? — Exact, rien que du très classique en somme ? — Alors, ces digitons, ce réseau, comment en tirer quelque chose de plus que ce que nous savons déjà faire ? — Nous avons eu l‟occasion de rediscuter avec les trois Sages, et ils nous ont fait part de leur décision de nous en dire plus, un peu comme s‟ils voulaient s‟excuser d‟avoir été si durs avec vous. Ils ont parfaitement saisi que parfois, il faut remettre en cause les décisions de la hiérarchie, ne serait-ce que pour respecter les règles qu‟elle vous impose, c‟est-à-dire, l‟amour des autres et la justice. Ils ne craignent pas trop des sanctions, car CELA leur a répondu assez gentiment quand ils l‟ont questionné récemment, pour en savoir plus sur les digitons et le réseau. Si CELA avait voulu garder le secret, il ne tenait qu‟à lui de ne rien leur dire, mais 383


il l‟a fait, donc, croisons les doigts, vous savez, les doigts qu‟ils n‟ont plus vraiment. — Ça me rassure, à moins que ce ne soit un test de fidélité ? — Non, car il a clairement ajouté à la fin qu‟il avait tellement mis de protections sur le Système qu‟il ne craignait absolument pas que nous puissions réellement utiliser ce qu‟il venait de nous confier. — Parfait, mais vous avez pris un risque sérieux en questionnant CELA aussi directement. — Oh, vous savez, il peut accéder à toutes nos pensées, donc il est rassuré, en principe, mais je pense qu‟il est tellement sûr du Système qu‟il ne nous espionnera même pas. — Vous avez raison, les joueurs invétérés comme lui adorent se faire peur, ça met un peu de piment dans le jeu. On a vu des coups de bluff incroyables dans certaines parties de poker, et CELA doit aimer ce genre de situations. — Une telle assurance correspondrait-elle à une piètre opinion des capacités intellectuelles de ses personnages, dans ce jeu ? — Je ne le pense pas, mais tout ceci reste du domaine des supputations stériles. Alors, qu‟avez-vous appris de neuf ? — Il nous a expliqué que la trame où circulent les digitons était physiquement très proche de la trame de l‟espace-temps. Elle est tridimensionnelle également, mais on ne peut pas parler de cubes de digitons, comme on le fait pour les cubes de Planck. Seuls les sommets de cette trame des digitons sont utiles, pas le contenu du cube géométrique correspondant. Chaque sommet considéré individuellement est « connecté » au centre d‟un cube de Planck auquel il est affecté. Il y a ainsi un décalage entre les deux trames d‟une demi-longueur de Planck sur chacun des axes géométriques x y et z. Ce décalage s‟explique par le fait que c‟est bien au centre de chaque cube de Planck que toutes les informations du passé de ce cube sont stockées. Vous nous aviez dit que les informations sont vraisemblablement enregistrées en série sur une longue ficelle qui 384


se déroule linéairement et qui « pend », selon votre amusante image. La réalité est un peu différente, mais le principe reste le même : en fait, le volume intérieur du cube de Planck contient toute l‟information du passé, stockée sous la forme d‟une mémoire de masse de forme sphérique, ainsi qu‟une sorte de modulateur démodulateur qui gère les informations pour les stocker au bon emplacement sur la sphère, et qui répond aux demandes externes en émettant une copie « digitons » de l‟information requise, lorsqu‟il l‟a extraite de la sphère. — Tiens, ça me rappelle quelque chose, dis-je en clignant de l‟œil gauche vers mes amis, qui ne comprirent pas très bien ce que je voulais leur suggérer. — Bingo, Ovni ! Effectivement, CELA nous a déclaré à ce moment-là qu‟il avait scruté Ovni précédemment, et qu‟il avait découvert qu‟Ovni avait déjà vu quelque chose de bizarre et qui devait ressembler à ça. Nous n‟avons pas compris non plus, sur le moment. Il nous a alors rappelé votre premier voyage en coma artificiel, et le descriptif que vous aviez fait à votre retour, cette sphère d‟apparence spongieuse, et cette chose brillante au milieu de cette sphère, etc. — C‟est ce à quoi je pensais : il est vraiment futé, CELA ! — Il a ajouté que cette structure même de mémoire semiintelligente et distribuée a été recopiée dans l‟univers matériel, pour constituer les bulles, mais que les composants utilisés sont, malheureusement, nettement moins performants que ceux du cube de Planck. Il a même employé un terme plus susceptible d‟être compris de nous, en disant qu‟il s‟agissait là d‟un système d‟intelligence répartie jusqu‟au niveau le plus bas, ce qui limitait la charge de travail sur le réseau global, puisque les informations ne sont véhiculées sur le réseau que sur demande expresse des soussystèmes ou des âmes. — Je vais émettre une autre hypothèse une peu hardie, mais tant pis, je me lance. Nous savons tous maintenant avec certitude que les deux univers jumeaux sont en expansion, bon nombre d‟expérimentations récentes le prouvent. On en déduit immédiatement que c‟est dû aux cubes de Planck qui grossissent, et 385


mon hypothèse est donc qu‟ils grossissent parce que le nombre d‟informations qu‟ils contiennent grandit chaque jour qui passe. On peut donc en déduire que la longueur de Planck élémentaire s‟allonge également, ce qui signifierait que la vitesse de la lumière augmente également en proportion, si la constante de temps de Planck reste, elle, parfaitement constante, ce qui reste à vérifier. Je suis, personnellement, persuadé que la constante de temps de Planck est une vraie constante immuable, car elle correspond aux tops de l‟horloge universelle, et que s‟il ne devait y avoir qu‟une seule constante réellement immuable dans ce double univers, ça devrait être elle. J‟irai même plus loin encore. Rien ne nous permet de penser que les quantités d‟informations à stocker à chaque intervalle de temps de Planck correspondent à un volume fixe dans cette sphère mémoire. Dans la majorité des cas, il n‟y a rien à stocker du tout, car aucune particule matérielle ne se trouve à proximité à cet instant-là. De plus, le volume à stocker dépend sûrement de la nature de la particule physique en question, celle qui passe à proximité. En conséquence, on peut imaginer des grandes zones du cosmos où les cubes de Planck restent très petits, et d‟autres où ils sont proches de la saturation, si cette sphère mémoire a une limite de capacité de stockage. Cela signifierait que la vitesse de la lumière est extrêmement variable selon la zone traversée. On peut imaginer que, dans les zones « vides », la vitesse de la lumière soit très faible, puisque la distance parcourue est également très faible, à chaque constante de temps de Planck. À l‟opposé, dans les zones très denses, les trous noirs se déplaçant très lentement par rapport à la trame, par exemple, la vitesse de la lumière pourrait être bien plus grande que ce que l‟on pense habituellement. Tout cela mérite réflexion, car de nouvelles théories et applications peuvent en résulter. — Je prends, déclare Albert, qui exécute un pas de danse dans son hologramme. — Parfait. Revenons maintenant au cœur du cube de Planck, là exactement où le sommet du cube de la trame « digitons » se connecte avec le gestionnaire intégré de la mémoire sphérique. 386


Lorsqu‟un digiton « sort » de ce mini système de stockage intelligent, pour aller déverser son contenu d‟informations chez le demandeur à distance, pourquoi va-t-il plus vite que la vitesse de la lumière ? Y a-t-il une autre constante de vitesse limite, celle des digitons ? Et pourquoi l‟information se déplacerait-elle plus vite que les photons ? — Peut-être que les digitons suivent une trajectoire définie par le demandeur, et qu‟il n‟est ralenti que par les changements de directions qu‟il doit faire de temps en temps pour rester sur la trame imposée, déclare Albert. — Très bonne idée, et alors sa vitesse sera d‟autant plus grande qu‟il suivra une trajectoire plus « rectiligne », avec le minimum de croisements et de changements de direction. Si la demande du chercheur d‟informations lui a tracé une route de retour, le minimum de croisements possible sera de trois, un sur chaque axe géométrique, un sur l‟axe des x, un sur l‟axe des y, puis un troisième sur l‟axe des z. La probabilité qu‟il y en ait moins de trois est ridiculement faible, ce qui garantit une vitesse constante, très élevée et constante. — Enfin une constante de vitesse pour les digitons qui est une véritable constante, dit en riant Albert. — Ce type de système de circulation des digitons me fait furieusement penser à la circulation des informations sur le web, avec des points particuliers qui servent de nœuds de routage de l‟information, entre un expéditeur et le destinataire. Ici, n‟importe quel cube de Planck peut jouer ce rôle, s‟il est sollicité dans ce dessein par l‟expéditeur de la demande d‟origine. J‟ai toujours dit que l‟intelligence distribuée au niveau le plus faible d‟un système le rendait beaucoup plus performant que n‟importe quel système centralisé, et l‟on en a la preuve, quand le critère coût de mise en place ne joue pas dans la décision d‟installation : ici, la notion de coût n‟existe pas, mais dans notre univers matériel, il a une grande importance pour le choix des systèmes conçus par les humains. — Je m‟aperçois que notre programme d‟études prend beaucoup d‟ampleur, dit Albert, ravi de l‟aubaine. — Oui, et j‟ajouterai ceci : la trame des digitons se déforme sous l‟effet du volume des informations recueillies, et elle entraîne avec elle une déformation de l‟espace-temps classique. 387


D‟un autre côté, on a vu que la trame de l‟espace-temps sert à véhiculer les gravitons, qui sont d‟autant plus nombreux que la masse de la particule matérielle proche est importante. Mais comme les cubes de Planck se déforment, la transmission des forces gravitationnelles se fait à une vitesse variable, mais, plus important encore, les distances parcourues par les gravitons augmentent dans les zones très chargées en informations. Il nous reste donc à étudier aussi l‟influence sur la formule de la gravitation, puisque cela laisserait imaginer que plus la zone est dense en informations, et plus l‟attraction gravitationnelle diminue puisqu‟elle est inversement proportionnelle au carré de la distance. — Tout ceci nous amène à reconsidérer les théories actuelles qui supposent que la densité dans les trous noirs peut atteindre des valeurs énormes et quasi illimitées, ajoute Albert. — Même chose concernant les températures et les pressions dans ces trous noirs, vraisemblablement. —Arrêtez, ou alors donnez-nous une éternité supplémentaire pour mener toutes ces études à bon port. — Soyez heureux, je vous la donne !

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Interconnecter les deux jumeaux ? — Il apparaît maintenant clairement que nous sommes arrivés à un point essentiel de brisure. En effet, pour continuer à jouer un rôle positif, constructif, dans le domaine de l‟amélioration des connaissances des êtres vivants de l‟univers matériel, il nous faut aller plus loin, et, si possible, mettre en place un système automatique, composé de multiples tunnels d‟informations permanents entre les deux univers. En effet, le seul tunnel existant actuellement est celui que nous utilisons en ce moment, reliant les deux univers jumeaux. Il n‟est pas du tout performant, puisqu‟il dépend de la vitesse des échanges que nous faisons en discutant, ce qui correspond à une vitesse très faible finalement. Il nous permettra certes d‟avancer dans nos études et réflexions, mais ce n‟est pas suffisant. Il faut que nous imaginions une solution qui permettra à des milliards d‟êtres vivants d‟accéder au réseau global des digitons, qui leur fournira les informations dont ils ont besoin, à tout instant, n‟importe où. — Je vois un problème majeur, Ovni, dit Dalaï-Lama. En effet, comme le réseau des digitons rapatrie, sans aucune déformation, la vérité pure qui sort du puits, quelles vont être les répercussions de cette vérité sur les sociétés humaines ? Ne seront-elles pas d‟une nature telle que des cataclysmes inconnus soient envisageables dans ces sociétés ? — Bien sûr, mais la vérité à laquelle les êtres vivants pourront alors accéder ne concernera que les faits du passé, et les faits seulement, les actes, mais pas les pensées profondes des êtres. Ça laissera une latitude pour mentir, travestir, bref une forme d‟individualité respectée de l‟être pensant. La pensée reste autonome et individuelle, elle ne sera pas accessible. L‟individu restera libre de ses pensées, mais il n‟échappera pas aux conséquences de ses actes. — Très bien, dit Labo, ça me rappelle ce que me disait ma mère : « Mon fils adoré, tourne bien ta langue sept fois dans ta bouche avant de parler ». Cette recommandation élémentaire de nos parents a été de moins en moins respectée au fil des temps, ce qui a 389


entraîné les situations que nous connaissons, avec des « démocraties » qui ne font plus confiance à leurs élus, à leurs syndicalistes, à leurs chefs religieux, etc., les citoyens déçus devenant des individus égoïstes et tournés exclusivement vers leur propre nombril. — Exact, déclare Pyco, et cette évolution est tout à fait contraire aux deux règles qui s‟imposent dans les limbes, celle qui recommande l‟amour donné à l‟autre en particulier. Si je comprends bien, ces tunnels apporteraient une amélioration sur les deux règles en même temps, un saut qualitatif important pour le critère de la connaissance approfondie, et une nouvelle source d‟informations pour mieux comprendre l‟autre et l‟aimer davantage, en conséquence. — Oui, sans oublier l‟accès à la connaissance ! Imaginez ce que deviendra le système éducatif planétaire si on parvient à donner l‟accès à tous les cours et exercices corrigés, dans toutes les matières, pour tous les niveaux, et dans toutes les langues à l‟ensemble des enfants, élèves, étudiants et chercheurs. Imaginez les possibilités de formation continue, pendant toute la vie terrestre que ça permettra ! Imaginez les retombées sur le niveau moyen des âmes, lorsqu‟elles arrivent dans les limbes ! Il est du devoir des âmes d‟aujourd‟hui de mettre en place un tel système d‟accès généralisé, pour tous, à ce que l‟univers jumeau peut apporter à l‟univers matériel, c'est-à-dire un accès à l‟information globale. C‟est l‟accès à l‟information qui permettra d‟améliorer le critère amour de l‟autre, bien plus efficacement qu‟en expédiant cent prophètes ou dix mille prophètes, car les recommandations de ces prophètes seraient toujours remises en question, puisque les foules ne « savent pas » ce qu‟ils sont, d‟où ils viennent, ni dans quel but ils prophétisent : nous sommes tous des Saint Thomas, c‟est évident, et c‟est compréhensible. N‟oublions pas que nous sommes plongés dans un univers strictement matériel, et que le matérialisme est roi, ici-bas. Les tunnels permettront d‟accéder au seul univers qui soit irréfutable, celui de l‟information pure. Cela n‟enlève rien au sens 390


critique que les êtres vivants, surtout ceux qui en sont capables, pourront continuer à exercer, pour passer leur temps libre. Le déni de la vérité restera un sport très praticable par une élite snobinarde. — Comment approcher cette étude de faisabilité pour la mise en œuvre de ces fameux tunnels, demanda Labo ? — À mon avis, ça commence par la définition d‟une sorte d‟interface de communication améliorée, de ce côté-ci, et via une sorte de module, à définir, destiné à relier le tout à la trame des digitons de l‟autre côté. — Autrement dit, ajoute Albert en souriant, un module destiné à remplacer une âme standardiste qui devrait être dans les limbes, présente en permanence au bord du tunnel. — Oui, mais en attendant, je compte bien sur quelqu‟un de votre équipe ou parmi les âmes intéressées pour jouer un rôle de standardiste, relayer nos demandes de recherches vers la trame, et nous transmettre, sous la forme holographique, les informations utiles concernant les réponses de la trame. Il s‟agit donc d‟un job de traduction de notre demande écrite en langage trame, puis de transmettre la demande sur la trame, ensuite de recueillir la réponse de la trame, et enfin, de la convertir en sens inverse pour la restituer sous forme holographique. L‟idéal, Albert, serait que vous découvriez comment fonctionne exactement l‟âme dans les limbes, pour effectuer un travail de recherche personnelle sur la trame. Nous avons bien trouvé le Portail, premier du nom, vous trouverez donc le Portail, second du nom, celui qui nous permettra de nous immiscer dans un monde fait de particules élémentaires toujours plus petites, le monde des digitons. — Pourquoi pas, nous pouvons toujours essayer, mais je crois qu‟il faut que je donne la parole à Gabriel qui veut justement vous en parler. — Rebonjour Gabriel. — Rebonjour, la Terre. Un constat, en premier lieu. La découverte du premier Portail a été possible parce que vous avez utilisé une technique strictement matérielle dans un cerveau strictement fait de matière, et vous avez réussi à passer le Portail. 391


Pour découvrir le second Portail, il nous faudra utiliser les seuls ingrédients disponibles dans les limbes, car la trame n‟est faite que d‟informations, de toutes natures. Restons conscients que, même si apparemment nous flottons dans un univers d‟antimatière, nous ne pouvons pas manipuler cette antimatière, n‟ayant pas de mains pour la manipuler, la transformer, etc. Nous ne savons que traiter de l‟information, point final. Si vous êtes d‟accord, je pourrais tenter le tout pour le tout, en demandant de l‟aide à CELA, en argumentant sur le critère de la connaissance à améliorer, ce qui est bien le cas. Cet argument est secondé par le fait que cette connaissance approfondie servira un second critère, celui de la diffusion de la vérité chez les êtres vivants de l‟univers matériel, diffusion qui ne peut qu‟être favorable à une recrudescence de l‟intérêt porté par l‟être vivant pour ses congénères et à l‟empathie. — Je ne peux qu‟approuver ce plan, Gabriel. Je regretterai bien sûr de ne pas vous accompagner, mais il y a tant de choses à faire ici que vous me pardonnerez. N‟hésitez pas à définir la procédure précise avec Albert, pour que nos questions sur la trame puissent être rédigées dans un format directement exploitable de votre côté du tunnel. S‟agit-il de simplement, si l‟on peut dire, définir dans un certain ordre la latitude, la longitude, et l‟élévation du point x, y, z ainsi que l‟instant que l‟on recherche, ou bien y a-t-il un moyen plus simple pour nous en demandant la personne et l‟instant, ou le document et l‟instant, ou autre chose encore ? — Bien sûr, on va essayer de vous mâcher le travail, dit Albert en se trémoussant comme un gamin. — J‟irai avec Albert, et il me soufflera, dans l‟oreille que j‟ai perdue, les bonnes questions à poser. — OK, bonne chance dans votre entreprise, elle conditionne le futur pour nos travaux.

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Les âmes vierges. C‟est moi, Albert, qui prends la relève dans cet univers, car Ovni me l‟a proposé. Pouvoir entendre CELA répondre à nos questions est le plus beau cadeau qu‟il pouvait me faire, je lui en suis réellement reconnaissant. En effet, j‟avoue que je ne voyais pas très bien comment prendre le problème posé, trop habitué à raisonner dans l‟univers matériel sur des particules bien réelles, même si personne sur Terre ne les a encore vues de près. Bien sûr, moi et mes collègues, nous les avons vues, dans le domaine quantique bouillonnant, grâce au filtre probabiliste de la cinquième dimension, mais tout cela ne me servira à rien, dans le cas présent. Je suis comme un bambin ignorant qui s‟apprête à écouter sagement le maître d‟école, et ça me rappelle ma maternelle supérieure. Gabriel et JusteBlanc m‟accompagnent, et la séance va bientôt commencer, car je les vois mettre au point le texte de la première question, très importante pour obtenir des réponses satisfaisantes. JusteBlanc me fait un signe et me voilà embarqué dans son ombre. Il demande à parler à CELA au système triple, quelques secondes s‟écoulent et CELA intervient : — Bonjour, JusteBlanc, quelles sont les nouvelles ? — Tout se passe normalement, Ovni est retourné sur Terre et envisage de rester là-bas. — Bien, mais tout compte fait, je le regrette un peu, car il nous mettait un peu d‟ambiance, et il me manque. — Justement, il continue à pétiller comme un magnum de champagne. Il nous a soumis une proposition d‟ouvrir des tunnels multiples entre les deux univers jumeaux. Le but est de permettre aux vivants matériels d‟accéder à la trame des informations, en toute liberté, pour améliorer rapidement leurs connaissances, et ensuite constituer des âmes de qualité dès leur arrivée dans les limbes. — Et ça leur permettra de mieux guerroyer en apprenant les secrets militaires concernant les armes les plus puissantes ? C‟est cela que vous voulez autoriser, eh bien, pas moi ! 393


— Si je peux me permettre, il me semble que vous négligez le pouvoir de la conscience universelle ainsi réalisée et devenue accessible, car tout le monde étant au courant de tout, personne ne peut se cacher vraiment pour faire de mauvaises actions de cette envergure. On ne peut pas professer sa foi dans l‟élévation des connaissances pour tous, et faire machine arrière au moment d‟autoriser un moyen d‟accéder à ces mêmes connaissances. Ce serait remettre en cause l‟une des deux règles du jeu, et ce, au beau milieu de la partie. La pagaille est déjà bien assez grande chez les vivants, et il faut trouver un moyen de la réduire. — Mais pourquoi n‟enverriez-vous pas quelques milliers de prophètes, comme à l‟époque où Gabriel avait cédé sous la pression contestataire de Jésus ? — Jésus reconnaît lui-même l‟inefficacité de ce procédé, à l‟époque. — Et si c‟était demain ? —Le résultat serait encore pire, dans la mesure où l‟élévation des connaissances réalisée depuis deux mille ans est telle que chacun se prend pour un dieu, en bas : ils savent tout mieux que quiconque, et ils le font savoir, à tel point que les chamans modernes fleurissent comme des pommiers au printemps. — Et qu‟apporterait de plus un accès généralisé à toutes les connaissances à tout ce beau monde qui se prend pour Dieu ? Ne serait-ce pas pire encore ? — Non, car ces individus se verraient contraints de respecter la vérité, et l‟on pourrait même imaginer des pièces de théâtre où les acteurs joueraient des rôles de personnages farfelus, qui tenteraient vainement de faire prendre des vessies pour des lanternes aux gens, à la grande joie des spectateurs hilares. — Hi hi…, vous avez réussi à me faire rire, et pourtant ce genre d‟argument blagueur n‟est pas commun chez vous. Que vous arrive-t-il donc, vous semblez tous trépigner de joie devant ce nouveau gourou d‟Ovni ? Dois-je m‟inquiéter qu‟il arrive un jour chez moi, en tapant à ma porte, pour me prendre mon poste, ici ? — Hi hi…, cette fois-ci, c‟est vous qui me faites rire, et là également, vous ne m‟avez pas habitué à cela ! 394


Je ne pense pas que votre porte s‟ouvre si facilement, car le jeu me semble sans fin, apparemment. — Non, il aura une fin, quand je l‟aurai décidé, vraisemblablement lorsqu‟il ne m‟amusera plus assez. — Mais ce n‟est pas le cas avec Ovni, il met du piquant dans ce jeu. C‟est ce que vous voulez, non ? — Oui, bien sûr, mais pour revenir à votre proposition, expliquez-moi un peu les retombées, positives ou négatives, que ces tunnels apporteraient au critère empathie. — Quand les êtres se connaissent mieux, ils peuvent pardonner s‟il y a matière à pardon, et ils peuvent se dévouer quand « ils savent ». Ils s‟entendent mieux, et trouvent automatiquement des domaines de rapprochement. — Pouvez-vous me donner un exemple suffisamment significatif, de haut niveau ? — Mais vous l‟avez vécu, il y a deux minutes, cet exemple ! C‟est le fait que nous communiquions de manière ouverte, pour la première fois, que nous avons ri ensemble, ce qui nous a rapprochés encore plus, car nous étions en phase, et nous nous respections mutuellement. — Exact, je me suis laissé aller, mais je ne le regrette pas. Que souhaitez-vous savoir exactement, pour que je puisse vous indiquer quelques pistes utiles ? — Merci, eh bien voilà ! Nous souhaitons mettre en place un quelque chose qui permettrait de faire transiter des questions en provenance de demandeurs vivants, questions sous la forme de demandes d‟informations à rechercher sur la trame des connaissances, et dans l‟autre sens, faire descendre ces informations en retour vers les demandeurs. — Je vois, et j‟ai plusieurs solutions à proposer, mais je ne vais pas prendre de risques inutiles, je vais vous proposer une procédure que je pourrais annuler à tout instant, si je le pense nécessaire. Les autres solutions seront étudiées plus tard, si les résultats sont probants. — Je meurs d‟impatience de les connaître. 395


— Mon cher JusteBlanc, vous ne mourrez pas, c‟est déjà fait, et l‟on ne meurt qu‟une fois, ici. Bien, voilà ce que je propose, mais pour un seul tunnel, pour commencer. On verra bien si cette solution tient la route en fonction du nombre de demandes terrestres, nombre qui pourrait éventuellement surcharger cette fonction particulière de routage, comme vous l‟appelez, sur votre Internet terrestre. Je vais programmer les trois sous réseau pour qu‟ils installent et animent un module d‟acquisition proche du tunnel existant. Ce module sera un peu plus complexe que ceux qui existent dans les cubes de Planck, mais il fonctionnera sur le même principe, il sera capable de plus de tâches en parallèle, c‟est tout. Comme il ne s‟agit pas d‟un objet matériel, vous ne le verrez pas, mais il sera bien là, et vous n‟aurez même pas à vous préoccuper des procédures et formulaires pour les questions que souhaiteront poser les demandeurs. Il sera capable d‟analyser les demandes d‟informations exprimées en langage ordinaire, en clair, pour permettre à tous les demandeurs, quel que soit leur niveau de formation acquise, d‟accéder à la mémoire universelle. Pendant que j‟y suis, je vais tout vous dire : je vais faire installer une âme vierge à poste fixe dans votre laboratoire. — Une âme vierge ? Que voulez-vous dire ? — Mon cher, vous me paraissez avoir oublié que votre âme personnelle existe bel et bien ! Et pourtant, en réfléchissant un peu, vous devriez vous souvenir que votre âme, elle était vierge avant de s‟installer confortablement dans votre bulle personnelle, dès votre stade foetal, et qu‟ensuite, elle a quitté la bulle pour s‟installer ici même, le jour de votre décès. Il y a des milliards d‟âmes vierges qui sont préparées par le Système, et qui sont allouées dès que le besoin existe, c'est-à-dire quand survient l‟implantation foetale d‟un nouvel être. Une âme vierge possède les mêmes caractéristiques potentielles que la vôtre, sur le plan de sa puissance de calcul et de gestion des informations, mais sa mémoire associée est totalement vide. Je vais donc ordonner au système d‟installer une âme vierge à cet endroit, dans le but de faire une simulation, en l‟absence de fœtus, c‟est aussi simple que cela. 396


Ce qui différencie, par ailleurs, la vôtre de cette âme vierge, c‟est que vous avez vécu, vivant, puis mort, de très longues périodes de temps, pendant lesquelles vous avez appris, vérifié, testé, critiqué différentes hypothèses, et que votre puissance de raisonnement a progressivement évolué, par autoapprentissage. C‟est le procédé classique du développement de ce que vous appelez, entre vous, l‟intelligence. Pour le rôle que je souhaite donner à cette âme vierge, elle n‟a pas besoin d‟intelligence ni d‟ancienneté, car elle ne fera qu‟un travail répétitif et très simple finalement, un rôle de routeur d‟informations, ce qu‟elle sait naturellement faire, dès le début de sa mise en service, c‟est inscrit dans ses « gènes », si vous me permettez cette expression imagée d‟origine biologique terrestre. Je suis le seul à pouvoir décider de l‟affectation des âmes vierges, et j‟en montrerai le principe au gagnant du jeu qui viendra taper à ma porte. Je peux seulement vous dire, pour satisfaire votre curiosité, que cette microscopique âme est réalisée exclusivement à base de digitons, des particules pseudo intelligentes que l‟on peut organiser à loisir, pour qu‟elles composent un module plus puissant et répondant à un certain cahier des charges. — Vous avez donc conçu et mis en place le monde des vivants et des morts, un peu comme un enfant terrestre peut composer une machine robotisée complexe, en utilisant des briques de Lego ! — Très exactement, mon ami, vous avez tout compris, sauf que je ne suis pas un enfant, et je suppose que le terme d‟adolescent un peu attardé conviendrait beaucoup mieux. — À propos d‟adolescent boutonneux, vous en êtes arrivé à quel niveau, dans vos études ? — Ma thèse de doctorat en intelligence artificielle avance bien, surtout depuis quelque temps, et grâce à vous tous, qui faites avancer mon rapport à grande vitesse. — Aurions-nous servi de déclencheur, d‟étincelle divine ? — Divine, vous n‟y allez pas de main morte, même sans mains ! C‟était une blague, hein ? Oui, d‟une certaine manière, vous avez débloqué quelque chose dans mon cheminement 397


intellectuel pour ma thèse. J‟ai enfin cessé de tourner en rond, sans avancer. — Savez-vous pourquoi ? — Non. — Ovni se déclare lui-même, sans qu‟on le force, et même sans qu‟on lui demande, un empêcheur de tourner en rond. Il a dû forcer un peu, et ça a suffi, apparemment. — Trop drôle ! Y aurait-il autre chose qu‟une simple coïncidence ? Je ne suis cependant pour rien dans son jugement sur sa propre personnalité, je vous le jure. — Si ce n‟est pas une coïncidence, vous avez une grande chance qu‟il vienne vous remplacer, à votre tableau de contrôle, le jour où il tapera à votre porte, ne pensez-vous pas ? — J‟aime les blagues, mais là, c‟est un peu trop fort pour moi. Je vous découvre de plus en plus à travers ces blagues de potache, JusteBlanc, et je ne vous en tiendrai pas rigueur. — Veuillez m‟excuser si je me suis laissé aller, mais j‟adore blaguer quand je me sens en harmonie avec quelqu‟un, car vous êtes bien un « quelqu‟un », n'est-ce pas ? — N‟en doutez pas, je suis vivant, quelque part. Je ne suis pas du tout un automate ayant une super intelligence artificielle : cet automate parfait est justement le sujet de ma thèse de Doctorat. Lorsque je serai prêt, je mettrai en place le programme correspondant sur le système triple, et alors, à moi les grandes vacances. — Où passerez-vous vos vacances ? — En famille, pour fêter mon nouveau diplôme, et pour épater mon frère jumeau qui n‟est pas très avancé dans sa propre thèse. Je m‟entends bien avec lui, mais nous nous chamaillons parfois, un peu trop selon notre père. Cependant, il faut bien que jeunesse se passe, comme vous dites si bien ! — On est tous passés par là… j‟hésite sur le nom ou le prénom à vous donner, car vous ne l‟avez pas dit. — Appelez-moi Vino, mon frère jumeau, mon cadet de deux heures seulement, c‟est Voni. 398


— Je vous salue bien bas, Vino, car vous me paraissez très intelligent pour votre âge. Mais, ces deux prénoms commençant par la lettre V, c‟est un choix de votre père ou de votre mère ? — C‟est l‟habitude, dans notre monde, on utilise une lettre différente chaque année qui passe, un peu comme vous le faites avec vos chiens, sur Terre, ça facilite le respect de nos aînés automatiquement. — Je parie que votre mère aurait souhaité choisir les prénoms elle-même, sans cette contrainte de la première lettre du prénom. — Exact, vous connaissez bien les mères, elle aurait souhaité que nos prénoms commencent par un O, mais elle ne nous a jamais dit pourquoi. — Avez-vous d‟autres frères et sœurs ? — Non, notre maman aurait bien souhaité, et elle nous a eus très tardivement, pour une femme. Elle a eu plusieurs fausses couches et un enfant mort-né avant de réussir enfin, grâce à la fécondation in vitro, mais du coup, elle a eu deux jumeaux ! — Avez-vous des grands-parents, encore en vie ? — Oui, ma grand-mère maternelle, que nous aimons tous énormément et que nous bichonnons, compte tenu de son grand âge. Tiens, ça me fait penser que les problèmes de fertilité de ma maman sont peut-être héréditaires, car ma grand-mère a également eu un enfant mort-né, il y a environ 70 ans de cela. — Je parie dix digitons qu‟elle lui avait choisi un prénom, et qu‟il commençait par la lettre O. — Comment savez-vous ça ? Mais, assez curieusement, vous avez raison, elle avait fait un choix avec cette lettre O, et ma maman avait fait le même pour faire plaisir à sa propre mère. Je ne comprends pas comment vous avez déduit ceci : avez-vous tenu un raisonnement particulier pour faire ce pari ? — Ce raisonnement particulier, je vous l‟assure, vous auriez pu le faire également, croyez-moi. — Je ne vois pas. Si vous m‟expliquez, je pourrai peut-être intégrer cet algorithme dans mon programme de thèse. — Je peux seulement vous donner quelques indications sur le cheminement de pensée qui m‟a amené à ce résultat. 399


— Ça me suffira, puisque c‟est l‟algorithme qui m‟intéresse, et pas le résultat spécifique que vous avez obtenu en l‟utilisant dans cette application-là. — Eh bien, je me suis concentré, j‟ai fait appel à l‟intégralité de mes capacités, j‟ai jeté un regard emphatique simultané sur l‟ensemble de mes amis et sur vous-même. Et voilà le résultat du rapprochement, j‟ai gagné mon pari. — Étonnant, car vous ne pouvez pas lire dans mes pensées. — Mais vous, vous pouvez lire dans les miennes. Pourquoi ne l‟avez-vous pas fait ? — Tout simplement parce que je vous respecte plus que vous ne le pensez, et que je préfère vous laisser la bride sur le cou, si je peux dire, ça me rapportera plus que de vous mettre constamment sur la réserve vis-à-vis de moi. — Très bonne décision, car rien n‟est plus efficace dans un groupe de travail que le respect des autres participants, c‟est cela l‟empathie véritable, celle qui ne remet pas en cause à tout bout de champ les déclarations des collègues, dès l‟instant qu‟elles sont crédibles et vérifiables. — Je vais modifier mon programme pour que les trois sous réseau prennent en compte ce sentiment essentiel, mais je n‟imagine pas très bien par où commencer. Il est relativement aisé de comprendre instinctivement la notion d‟empathie, mais il est très difficile de décortiquer son mode de fonctionnement et de le programmer. — Si le sujet vous passionne, je vous recommande de vous connecter en direct sur une personne que je connais bien et qui vous sera d‟un grand secours. — Vous pensez à qui ? — Je vous laisse deviner. — Je vais donc réfléchir un peu plus, puisque vous ne voulez pas me le dire. C‟est évidemment frustrant pour moi, mais j‟adore les énigmes, et je trouverai. Je vais commencer par discuter avec ma mère et ma grand-mère, ça devrait m‟aider. — C‟est une excellente décision, elle vous fera gagner beaucoup de temps pour savoir comment j‟ai obtenu le résultat, 400


Mais ça ne fera pas avancer votre thèse de doctorat. Pour cette dernière, appliquez-vous plutôt à décortiquer l‟algorithme de l‟empathie, en liaison avec la personne que vous saurez. — Saurez, ou savez ? — Saurez ! —Merci, JusteBlanc. À bientôt sur les ondes des digitons. Nous ferons alors une conférence à trois, vous, moi, et lui. — Bon courage, mais asseyez-vous confortablement quand vous discuterez avec vos deux génitrices.

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On avance, on avance… — Alors, que pensez-vous de tout cela, Albert ? — Je reste sidéré par le haut degré de confiance que Vino vous accorde, et encore plus par la finesse avec laquelle vous avez canalisé cette longue discussion. Votre avis, Gabriel ? — Moi également, mais je suis étonné de constater que Vino reste aussi modeste et coopératif. Je me demande si ça cache quelque chose, car je ne me sens pas autant en confiance que JusteBlanc, à propos de Vino. Mais nous en saurons plus s‟il trouve enfin la relation avec Ovni et le contacte directement. Qu‟en pensez-vous, JusteBlanc ? — J‟aimerais bien être une toute petite souris dans les poches d‟Ovni, si ce contact a effectivement lieu. Je ne regrette pas d‟avoir guidé Vino à ce point, car il faut bien reconnaître que nous ne savons pas tout, et que cette discussion pourrait débloquer beaucoup de choses, si elle a lieu. Retournons au temple, on fera le point de tout cela. De retour au laboratoire, je me précipite sur les écrans pour constater qu‟un nouvel hologramme est activé devant un écran de PC, et qu‟il nous montre des images spatiales d‟autres planètes habitées par des espèces nouvelles pour nous. Vino a tenu sa promesse, et ils doivent jubiler en bas ! Je contacte Ovni, et je lui laisse la parole, mon objectif étant atteint, à lui de poursuivre cette très intéressante aventure. — Salut Albert, comment allez-vous ? — Je vous fais un résumé détaillé, et nous reprendrons le dialogue ensuite, pour préciser les projets futurs. . . . À vous maintenant. 402


— J‟ai bien compris, Albert, et je suis comme vous, étonné de la quantité et de la qualité des informations que vous avez recueillies. Je ne comprends pas pourquoi JusteBlanc a tenu à faire un lien entre Vino, Voni, et Ovni, mais bon, je vais peut-être apprendre quelque chose d‟intéressant. Mon surnom ne m‟est pas venu en tête par hasard, il s‟est imposé, je dis bien « imposé à moi », lorsqu‟il m‟a fallu en prendre un, sous la pression de l‟équipe d‟étudiants que nous formions alors, il y a si longtemps de cela. C‟est seulement ensuite que j‟ai inventé une justification pour ce « choix » d‟un surnom bizarre à connotation paranormale, ce qui détonne un peu beaucoup avec mon personnage réel, mais enfin, c‟est comme ça, je ne « pouvais » pas en changer. — Il me paraît utile que vous « copiniez » avec Vino, s‟il vous contacte, mais vous ferez comme vous le jugerez souhaitable. — Je suivrai votre conseil, car vous, vous l‟avez écouté, vous avez ressenti son ton, ses sentiments, et moi, pas. Reprenons le travail en attendant. À bientôt, Albert. Je me dirige vers Aloa qui essaie de déchiffrer les habitudes sociétales actuelles, donc à l‟instant présent, d‟une peuplade de la planète 12.503 de l‟étoile 46.028 de la galaxie 174.625 située à environ 5 milliards d‟années-lumière dans notre univers, mais née il y a seulement 2 milliards d‟années, ce qui fait que nos télescopes de toutes natures ne peuvent la voir en temps décalé ! Elle me dit que c‟est un cas parmi des milliers de cas potentiels, et qu‟il y aura beaucoup de travail pour des milliers d‟observateurs, pendant des décennies. Je fais baisser un peu le niveau de son enthousiasme, car il nous faudra bien décider tous ensemble des choix prioritaires inévitables que nous serons obligés de faire : en effet, dans un premier temps, nous ne nous servirons que de ce seul tunnel, et nous ne savons pas quand, ni même s‟il sera possible d‟en ajouter d‟autres. La seule chose que nous pouvons faire, pour le moment, c‟est de brancher le maximum de PC sur notre sympathique routeur, 403


appelons-le 22@Asnières, en mémoire de Fernand Raynaud qui était d‟origine auvergnate, tout comme moi ! Labo, qui s‟était approché depuis quelque temps, a très bien compris ce qu‟il devait faire et il se précipite pour installer les équipements nécessaires, et ainsi permettre d‟avoir cinq postes d‟accès à la mémoire universelle, via le 22@Asnières. Pyco et Tera se morfondaient derrière Aloa : ils se dirigent vers Labo pour l‟aider, tout en se disputant gentiment sur la gravissime question de la priorité pour le second poste : fallait-il être gentleman jusqu‟au bout et allouer ce second poste à Tera, et pourquoi pas le troisième à Angela, ou au contraire équilibrer la répartition, en choisissant au sort un homme, puis une femme, etc. Cette discussion ne cessa que lorsque les cinq postes furent équipés et qu‟Albert eut instruit 22@Asnières de l‟existence de ces quatre connexions supplémentaires à prendre en charge. Je vais maintenant m‟asseoir un peu, pour faire le point. Je finis par m‟endormir, le calme étant revenu… Deux heures plus tard, je suis réveillé par une voix intérieure qui m‟appelle par mon surnom, quoi encore ! — Oui, qui est-ce ? — Bonjour, Ovni, excusez-moi si je vous réveille, mais j‟ai une information très importante à vous donner. Êtes-vous prêt ? — Euh, oui, mais qui est là ? — Mais je suis ton neveu, tu ne me reconnais pas ? C‟est moi, Vino ! — Euhhh… Hmm Hmm… Qu‟est-ce que c‟est que cette blague ? — Mais pourquoi tu tousses, Tonton, tu ne te souviens pas que tu as deux neveux, Vino et Voni ? — J‟ai bien quelques neveux et nièces, mais pas de Vino, ni de Voni au répertoire ! — Allez, Tonton Ovni, réveille-toi, et surtout écoute-moi bien : « Si tu ne vas pas à Lagardère, c‟est Lagardère qui ira à toi ! »

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— Je ne vois pas où je ne suis pas allé récemment, car j‟ai tellement voyagé que je ne pouvais faire mieux. — Oui, c‟est pourtant vrai, il t‟aurait fallu mourir une deuxième fois pour faire ce voyage-là, donc je ne vais pas te faire languir plus longtemps. Reste bien assis ! — Je suis tout ouïe. — JusteBlanc m‟a parlé longuement, très récemment, et Albert qui nous espionnait t‟a tout raconté, oui ? — Ça y est, je comprends maintenant, c‟est donc le fameux appel possible dont il m‟a parlé ? — Exactement. Mais je vais maintenant cesser de parler par énigme. Voilà donc ce qui nous arrive, à toi, Tonton Ovni, et à moi. J‟ai eu, ce matin, une réunion familiale avec ma grand-mère maternelle et ma mère, qui ont toutes deux eu un commun grand malheur dans leur vie, ayant perdu un enfant mort-né dans leurs premières couches de jeunes mères. Ma mère voulait appeler son enfant mort-né Ovni, en hommage à sa propre mère qui voulait aussi appeler son premier enfant Ovni, à l‟époque. Suite à son malheur, ma mère a tout fait pour que le nom d‟Ovni subsiste sous la forme d‟un être vivant, sur la Terre. Elle a fait des recherches sur la trame universelle, et elle a découvert la naissance d‟un petit garçon, le même jour, à la même heure, à la même minute, à deux secondes près du moment où elle perdait son premier enfant. Ma mère a décidé de faire quelque chose pour cet enfant terrien, non pas pour assurer son avenir, non, mais elle souhaitait quand même qu‟il se fasse appeler Ovni, bien que son prénom soit Jean-Pierre. Elle découvrit l‟existence des surnoms, pratiqués dans les groupes d‟amis, et elle imposa par la pensée que Jean-Pierre insiste plus tard pour se faire appeler du surnom d‟Ovni par ses meilleurs camarades. Je crois que tu connais la suite, mon oncle par affection. — Waow, quelle histoire ! Le plus curieux cependant, c‟est que JusteBlanc ait fait ce rapprochement, lors de votre discussion. Pensez-vous que c‟était un pur hasard ? 405


— Ce n‟était pas un hasard, Tonton. Ma mère savait que je discutais avec lui, car elle était juste à côté de moi. Elle a fait une nouvelle fois une intrusion, mais chez JusteBlanc cette fois, pour lui imposer ce rapprochement entre nos deux prénoms et le surnom. C‟est d‟ailleurs en discutant avec ma mère que j‟ai découvert que nos deux prénoms, celui de mon frère et le mien sont en fait des anagrammes du fameux Ovni, l‟oncle et le frère que nous n‟avons pas connus, et tellement souhaités, en deux occasions malheureuses, par deux femmes formidables. — Je suis tellement désolé pour ces deux mères, que je ne connaîtrai jamais, et je souhaiterais que vous leur fassiez part de ma profonde tristesse, Vino. — Je n‟y manquerai pas, et je leur permettrai de faire des incursions, si vous le voulez bien. — N‟en faites rien, maintenez-les simplement informées de mes actions, dans les deux univers, cela devrait suffire. Je ne suis pas prêt pour le moment à bien recevoir une communication directe avec l‟une ou l‟autre de vos parentes, et il me faudra un certain temps pour m‟y préparer. — Il vous faudra alors venir taper à ma porte, et donc gagner dans ce jeu ! Prenez donc votre temps, mais faites cependant attention, Tonton, car vous avancez en âge. S‟il vous arrivait de mourir accidentellement sur Terre, je pourrais très bien oublier de dire à Gaël de vous accepter tel qu‟il vous a précédemment connu, et vous seriez alors une âme ordinaire, désignée sous un autre nom qu‟Ovni, Jean-Pierre, par exemple, et qui hurlera éternellement au scandale dans le désert, car personne ne vous croira. — Pas glop, ça ! comme dirait Pif le chien. — Ne vous inquiétez pas, Ovni, je ne ferai jamais cela à un parent par adoption. Je vais vous appeler plus simplement Ovni, maintenant, car notre discussion doit rester secrète pour ne pas troubler les évènements futurs. Je vais effacer les détails de cette discussion de votre mémoire, maintenant, si vous le voulez bien. Il ne restera qu‟une perception fugace vous entraînant à me considérer comme un ami, sans savoir exactement pourquoi, inexplicable comme un coup de foudre, quoi ! 406


J‟utilise l‟expression « coup de foudre », parce que c‟est une expression comparable à « coup de chance », une sorte de joker fantasque, que j‟ai souhaité introduire dès le départ, dans les âmes vierges, pour mettre un peu d‟aléas dans des âmes qui réagissaient de manière trop formelle et donc trop prévisible, à l‟origine de leur conception. Cet artifice a permis de différencier aléatoirement les comportements de deux êtres qui seraient éventuellement placés dans des circonstances pourtant strictement identiques en tout point. Un petit peu d‟individualisme forcé par le hasard ou par la chance, si vous voulez ! Êtes-vous prêt ? — Oui, vous avez raison, effacez cette discussion, et laissez le « coup de foudre » amical qui me lie à vous et à vos parentes. — Sachez que le lien amical qui me lie à vous ne résulte pas d‟un coup de foudre, mais qu‟il est mûrement acquis de ma part. Continuez votre projet avec vos amis, et demandez un coup de main si besoin est. Vos tunnels multiples seront vraisemblablement autorisés, quand vous aurez acquis une expérience suffisante de l‟exploitation du premier tunnel, et que j‟aurai pu apprécier les avantages de ce procédé. — Merci, mon ami. — Au revoir, Ovni, je vous quitte. À bientôt.

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Surcharge de travail à TOPLAB. Il m‟a fallu quelques minutes pour me remettre de cette discussion qui ne me laisse, à présent, qu‟un souvenir étrange, un sentiment de manque, une impression d‟être passé à côté de quelque chose d‟important, mais quoi exactement, l‟avenir le dira peut-être. Pendant mon assoupissement, les cinq postes de travail ont fonctionné à plein temps, chacun ayant tellement de questions à résoudre en questionnant la mémoire universelle qui répondait si rapidement. Le seul problème résidait dans la manière de poser les questions pour effectuer la recherche, mais rien de bien plus compliqué que de faire une recherche multicritères sur Google. Les cinq utilisateurs ont vite découvert, en mettant en commun leurs expériences infructueuses toutes fraîches, une méthode pratique pour poser ces questions et obtenir les réponses voulues, sans ambiguïté. Ils m‟en informent dès mon retour dans le labo, cela me permettra de gagner beaucoup de temps. Un dîner frugal, un contact avec Nova, où tout se passe très bien, une caresse aux deux bonobos, au chat et au lapin, et je file au lit. J‟espère que je ne vais pas rêver, sinon je ne saurais plus du tout où j‟en suis vraiment. . . . Le lendemain matin, je suis tout frais, car mon sommeil a été profond et sans perturbation. Je demande à TOPLA de se coordonner avec Albert et son équipe pour que le travail se répartisse entre les deux groupes, celui d‟Albert présentant ses travaux une fois terminés, sans les recherches préalables, et le nôtre, avec les recherches de départ indispensables. Je prépare un programme informatique de suivi des recherches, de stockage et de mise à jour des fichiers des différents sujets en cours, une sorte de bibliothèque complète que nous pourrons ensuite remettre à l‟ONU pour diffusion générale aux universités et organismes de recherche. 408


Aloa retournera alors à l‟ONU pour canaliser les demandes de précisions ou d‟explications approfondies qui ne manqueront pas de parvenir, de la part des milliers de chercheurs qui se pencheront sur nos études. Connaissant bien ce que nous pouvons faire et ce qui nous prendrait trop de temps, elle triera pour que de nouveaux thèmes de recherche puissent être abordés. Elle restera titulaire dans sa propre spécialité, l‟étude des sociétés vivantes dans le cosmos. Si elle continue à ce rythme, elle sera vite proposée pour un grand prix mondial, mais j‟avoue que je préférerais qu‟un tel prix soit éventuellement offert en l‟honneur du groupe, dans son ensemble, plutôt qu‟individuellement. Le seul inconvénient, dans ce dernier cas, c‟est que nous serions obligés de sortir de l‟anonymat qui nous va si bien au teint. Je me décide à contacter JusteBlanc via notre 22@Asnières, et il me répond tout de suite. — Bonjour, Ovni, quelles sont les nouvelles ? — Bonjour, JusteBlanc, j‟ai eu un contact direct avec Vino hier au soir. Je ne me souviens pas de grand-chose, car il a effacé ma mémoire ; je retiens simplement qu‟il est charmant, et que ce fut un vrai plaisir de discuter avec lui. — Oui, c‟est de ma faute, si l‟on peut dire. Je ne sais pas ce qui m‟a pris, mais j‟ai fait en pensée un rapprochement entre Ovni et Vino, sans le lui dire clairement. Je lui ai suggéré de discuter avec sa grand-mère et sa mère pour savoir pourquoi elles avaient choisi un prénom commençant par la lettre O, pour leur premier enfant mort-né. Pourquoi j‟ai osé discuter de façon si intimiste avec lui, je ne le saurai jamais. — Cette histoire me dit confusément quelque chose aussi, mais c‟est si flou…Enfin, bref, il m‟a appelé, et c‟était donc en suivant une piste lancée par vous. — Oui, mais tout comme pour vous, ça reste relativement incompréhensible pour moi. Oublions ça pour l‟instant. — Je voulais vous demander de poser une question à Vino, si vous en avez l‟occasion. Je souhaite savoir un peu plus précisément où ils habitent, dans nos univers, ou encore dans un autre. — Je crains qu‟il ne réponde pas à une telle question, sauf s‟il se croit suffisamment fort ou inatteignable ! 409


— Essayez quand même, je lui poserai également cette question s‟il me contacte à nouveau. Cependant, évitons de lui poser la question presque au même moment. Que le premier qui a posé la question prévienne immédiatement l‟autre pour éviter cela. — D‟accord avec vous. Juste pour information, notre précédent contact a été très cordial, je ne m‟y attendais pas, à ce point-là, en tout cas. — Même perception pour moi, Vino a l‟air guilleret en ce moment. — Il a avoué qu‟il était heureux que vous mettiez un peu de piment dans ce jeu. — Eh bien, tel que je pense me connaître, il va en avoir du piment. À bientôt, JusteBlanc ! — Au revoir, Ovni. Au cours de la journée, j‟ai mis en contact nos deux équipes « jumelles » et nous avons défini ensemble une liste d‟une dizaine d‟Universités terrestres qui pourraient être équipées d‟un tunnel, si l‟opération est acceptée par Vino. Le cahier des charges définissant les matériels indispensables côté Terre a été élaboré par Labo, et Aloa a rédigé la charte éthique d‟exploitation de ces tunnels par les chercheurs universitaires, ainsi que le programme de contrôle de son utilisation. Pyco s‟est mis à l‟œuvre pour rédiger un programme de tests biologiques et neurobiologiques nouveaux, pour que la succession de nos propres recherches soit assurée, avec ses recommandations. Tera a fait de même pour le programme radioastronomique devant faire suite à ses recherches. Tout ce travail rédactionnel nous a fatigués à tel point que tout le monde s‟endort vers 22 heures. Casimir et Lapinou, nos deux mascottes, un chat et un lapin blanc des neiges, ont fermement décidé de s‟installer sur la couverture qui me recouvre. Ils jouent un peu avant de s‟allonger en prenant trop de place, mais je ne bouge pas, car ils sont tellement mignons, heureux de se retrouver à mes côtés. Boni et 410


Nina, nos deux bonobos, sont un peu déçus et jaloux et, rien que pour m‟embêter, se couchent le dos contre le canapé gonflable en me tournant le dos. J‟espère qu‟on ne va pas trop ronfler, car eux aussi prennent de l‟âge, et nous démarrons ainsi notre symphonie sifflante et soufflante en parfait synchronisme ! Vers 3 heures du matin, je suis réveillé doucement par une petite voix féminine qui m‟appelle par mon surnom. — Ovni, mon petit, réveillez-vous, je voudrais vous parler un peu. — Qui êtes-vous ? — Ovni, mon chéri, je t‟ai enfin retrouvé. Et dire qu‟il m‟a fallu tromper la surveillance de Vino pour accéder à cette énorme machine et enfin pouvoir te contacter. Il m‟avait interdit de le faire, mon coquin de petit fils, mais je n‟ai pas pu résister, il fallait que je le fasse avant de passer le troisième Portail. — Je ne comprends pas, de quoi parlez-vous ? — Ah, il t‟a aussi effacé ta mémoire récente concernant notre famille ? Ne bouge pas, je déverrouille ces blocs mémoires là, et tu retrouveras tout, comme si ça datait d‟aujourd‟hui. Dans dix secondes, tu auras récupéré l‟intégralité de cette discussion avec Vino. . — Voilà, ça me revient, la maman, la grand-mère… — Oui, je suis la grand-mère Léna, mère d‟Ovni et de Célia. — Ovni ? — Oui, mon chéri, toi, Ovni, mon seul fils, qui avait malheureusement disparu juste après sa naissance… — Mais j‟étais sur Terre, avec mes parents ! — Oui, tu parles de ceux qui t‟ont nourri et éduqué, et très bien, ma foi, et je les en remercie. Si tu les revois dans les limbes, dis-leur que j‟apprécie beaucoup l‟éducation qu‟ils t‟ont donnée, car elle a permis le joli parcours professionnel que tu as réalisé. — Je n‟y manquerai pas… Léna… mère Léna ! 411


— C‟est bien mon petit, mais j‟ai des choses importantes à te dire, des secrets de famille que tu ne connais pas, et que tu dois connaître pour pouvoir t‟intégrer avec nous tous, mon fils adoré. — Mais je n‟ai pas le droit… — C‟est moi qui décide ici haut, et partout, c‟est moi la plus ancienne, et tous me doivent le respect dû à la femme de la première heure ! — Bien, maman Léna, je t‟écoute. — C‟est une invraisemblable.

longue

histoire,

et

elle

te

semblera

Voilà, je commence par le commencement, puisque tout a commencé avec…… Moi !

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On approche du but. Le grand concepteur, celui qui a conçu tous les univers, les uns après les autres, et qui continue à en créer d‟autres en ce moment même, le grand concepteur donc, un jour, s‟est aperçu qu‟il ne pouvait pas suivre assez régulièrement ce qui se passait dans ses univers, et qu‟il n‟avait même plus le temps de les modifier pour résoudre certains problèmes dont ils souffraient. Sa nature est ainsi faite qu‟il est unique, sans descendance possible, et qu‟il ne peut assumer sa tâche, tout seul. Il s‟est fixé une sorte de programme très conséquent, mais ce programme de création pure ne servirait à rien si les univers étaient laissés à l‟abandon, sans contrôle. Ovni, mon chéri, tu peux poser des questions si tu veux. — Oui, Léna, j‟en ai, des questions. Quelle est la nature réelle du créateur ? Est-elle physique, matérielle, énergie pure ? — Relativement à la nature du créateur, ne me demande pas de quoi elle est faite, je n‟en sais rien du tout. Il communique très rarement avec moi, et je n‟ai pas la possibilité de poser des questions, juste celle de répondre précisément à ses propres questions, concernant le fonctionnement des deux univers parallèles que tu connais. — S‟il est unique, c‟est qu‟il n‟est pas, ni matériel ni énergie pure, puisque l‟énergie n‟est qu‟une forme particulière de la matière. Il doit être constitué d‟intelligence pure, une âme de niveau très supérieur, quoi ! — Comme tu es intelligent, mon petit, tu es bien le fils de ta mère. Tu peux m‟appeler Léna, tu sais, on s‟appelle par nos prénoms dans la famille. — Léna, il y a quelque chose que je ne comprends pas bien. Comment t‟a-t-il créée ? — Il a cessé son travail de création d‟univers pendant quelque temps, ayant décidé de créer une équipe de contrôle complète, mais à partir d‟une seule femme, au départ.

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À cette époque-là, les deux univers existaient déjà depuis des milliards d‟années, et se développaient normalement si l‟on peut dire. Les deux machines de contrôle n‟existaient pas. Il a créé un tout petit monde dans lequel nous vivons, ma famille et moi. Tu en feras bientôt partie, et tu verras, c‟est magnifique. — Si je comprends bien, toi-même, Léna, tu es une âme, de plus haut niveau que la mienne, mais une âme. — Oui, car le créateur n‟a pas la possibilité de modeler une âme, de lui donner une histoire à partir de rien. Il ne peut créer que des âmes vierges. Il avait décidé que cette âme devait être « élevée » par ses « pairs », donc par les autres âmes qui existaient dans les limbes, car il ne souhaitait pas choisir son lieu d‟origine parmi les milliards de galaxies. — Il voulait qu‟elle acquière ses connaissances uniquement à partir d‟une sorte de compilation du meilleur de ce qui existait dans les limbes, n'est-ce pas ? — Exactement, et c‟est à JusteBlanc qu‟a échoué cette tâche immense, lorsque le grand conseil des Sages a été mis en place par la volonté du créateur. JusteBlanc s‟est adjoint deux autres Sages, SoukRose et DocBleu. — Ces trois-là ont été ta nounou à plein temps, c‟est ça ? — Oui, tu as tout compris. Ils ont fait un excellent travail, je crois, et le créateur m‟a transférée ici, quand il a été satisfait du résultat. Il a effacé complètement les mémoires des trois Sages au terme de cette période de 25 ans, et ils ne se souviendront plus jamais de rien, sauf si un jour, l‟un d‟entre eux était choisi pour rejoindre la famille. — Mais pourquoi toi, une femme, pourquoi des enfants, des petits enfants dans cette famille ? — Le créateur ne sait pas d‟où il vient lui-même, c‟est pourquoi la notion de famille qu‟il a introduite dans les âmes vierges de tous ses univers est essentielle pour lui. La famille, c‟est la seule chose dont il rêve, m‟a-t-il dit un jour, sans que je le questionne, mais comme il lit dans mes pensées, il a décidé de se livrer un peu plus avec moi, mais ça a été la seule fois. Heureusement, il n‟a rien effacé dans ma mémoire, ni à ce moment-là, ni après. Nous aurons peut-être quelques informations 414


de cette manière, au compte-gouttes, ou en contactant les autres Léna, si c‟est possible, en tout cas, je n‟ai pas cherché personnellement. — As-tu eu le sentiment, la perception diffuse qu‟il pourrait ainsi distribuer ces informations à travers tous ses univers, un peu comme s‟il créait un jeu de pistes ? — Non, pas sur le moment, mais ensuite, peut-être, oui, à travers la manière qu‟il a de poser ses questions. — Bien, mais alors, comment as-tu fondé ta famille ? — Ah, là, c‟est un peu compliqué, mais tu connais les femmes, Ovni, n'est-ce pas ? — Euh… Non… euh, oui, pas vraiment. J‟en ai connu seulement deux suffisamment longtemps, ma mère et Angéla. Je dois avouer que je n‟en ai pas encore vraiment fait le tour, comme on dit, et que parfois, je ne comprends absolument pas comment et pourquoi elles réagissent comme elles le font ! — Tu as tout compris. Les femelles, les femmes sont différentes des mâles, des hommes, parmi les races évoluées d‟êtres vivants sur Terre. Leurs âmes vierges, qui contiennent potentiellement les deux genres, se « spécialisent » dans un genre bien défini lors de leur implantation au stade fœtal, et évoluent ensuite naturellement, selon l‟environnement, les situations vécues, etc. Il te faut comprendre simplement que, n‟ayant pas eu ce vécu naturel, ça me manquait, et j‟ai bravé un interdit en allant fréquemment m‟installer dans les bulles de femmes que je choisissais dans la trame de l‟espace-temps, pendant mon « éducation » par les Sages dans les limbes. J‟ai ainsi vécu réellement tous leurs espoirs de femme, leurs souffrances de femme, leurs joies de femmes, tout comme si j‟étais réellement l‟une d‟ « elles ». Ça m‟a complètement bouleversée, mais je suis enfin devenue une femme, beaucoup plus proche des femmes réelles, plus imprégnée de leurs atouts et aussi de leurs défauts, une vraie femme, quoi ! C‟est ainsi que mon être s‟est refusé à la constitution d‟une famille à partir d‟âmes vierges, et que j‟ai voulu avoir un véritable enfant, de moi, en lequel toute mon âme aurait pu se déverser. La 415


solution consistait, selon moi, à implanter mon âme dans un enfant au stade fœtal, pour le former « de l‟intérieur », mais j‟ai échoué lamentablement. C‟est le plus grand drame de ma « vie », car l‟enfant n‟a pas survécu, pour des raisons biologiques, il est décédé quelques minutes après sa naissance. — Comment cela ? Et vous n‟avez pas tenté de recommencer ? — Il faut que je t‟avoue tout, Ovni, car c‟est le prénom que je lui avais donné. Lors de la grossesse, j‟ai cru bien faire en commençant à l‟éduquer depuis sa bulle, mais je n‟ai pas pris la précaution de vérifier l‟impact que cela pouvait avoir sur son développement biologique. Son cerveau a beaucoup trop grossi, sa boîte crânienne également, et l‟accouchement s‟est très mal déroulé, au point d‟entraîner sa mort physique. — Je suis désolé, Léna, et ensuite ? —J‟étais traumatisée, incapable de réagir, et seule, tellement seule, personne avec qui discuter, personne pour me consoler. Les Sages sont des hommes et il m‟était impossible d‟en parler au créateur. — Tu as donc imaginé une autre solution. — Oui, celle que tu connais, j‟ai choisi « d‟adopter » un enfant, et c‟est toi que j‟ai choisi. Je n‟ai jamais investi ta bulle, j‟y ai simplement inscrit le mot Ovni en association avec « Surnom », si tu devais un jour en choisir un. — À part ce prénom, nous n‟avons donc rien en commun ? — Ne sois pas méchant, j‟ai reporté sur toi tout l‟amour de mère que je ne pouvais être réellement, et crois-moi, je me sens parfaitement bien maintenant, comme si j‟étais ta mère naturelle. — Je n‟ai pas voulu vous froisser, Léna, mais je suis comme ça, je n‟ai pas souvent tenu compte de la fragilité féminine et j‟ai fréquemment eu à sécher des pleurs et à me faire pardonner ces erreurs. Veuillez m‟excuser, Léna, je suis sincèrement peiné de vous avoir maltraitée de la sorte. — Ce n‟est rien, mon petit, tous les enfants font des bêtises, et tu es pour moi encore un enfant. Tutoie-moi de nouveau, je t‟en prie, ça me réchauffe le « cœur » de l‟âme. — Bien, mais ensuite, ta fille, ma demi-sœur ? 416


— Là, j‟ai employé la méthode bien rodée du créateur, et j‟ai fait de même pour son époux, et ils ont fait de même pour les jumeaux. Célia n‟ayant pas voulu m‟écouter, les jeunes filles n‟écoutent pas souvent leurs mamans, n'est-ce pas, elle a fait la même erreur que moi, en croyant pouvoir contrôler la croissance de la boîte crânienne, mais elle a échoué également. Apparemment, il ne nous est pas possible de nous implanter dans un fœtus humain, cela perturbe trop la nature des choses. — Les jumeaux, ce ne sont pas des jumeaux, n'est-ce pas ? — Ils ont été élevés de la même manière, et Célia s‟est appliquée à en faire des vrais jumeaux, dans leur esprit. Ils connaissent leur origine véritable, mais n‟en tiennent pas compte. Ils n‟ont pas eu l‟idée, ni le besoin de visiter des vrais jumeaux sur la trame de l‟espace-temps, et ils ne le souhaitent pas, même aujourd‟hui. — Je sais un peu ce que fait Vino, mais si peu de choses sur Voni. — Voni est différent de son aîné. Il est moins conformiste, dirons-nous, il est assez indépendant, solitaire. Il s‟imagine qu‟il est en compétition avec son frère et il a tendance à s‟isoler, a moins communiquer. Son père, Célio, lui a donné un objectif précis, celui de tenter de localiser tous les autres univers que le créateur a parsemés un peu partout, dans des dimensions différentes des nôtres vraisemblablement, et peut-être incompatibles, pour éviter qu‟ils ne se rencontrent. Voni affirme qu‟il n‟est pas loin de réussir, mais Vino ne le croit pas. Il faut dire que Célio a bien séparé les travaux, et qu‟il n‟y a pas d‟interaction de l‟un sur l‟autre à ce niveau-là, Célio y veille en permanence. Seul Célio a une idée précise de la situation réelle, mais c‟est un homme, il est comme tous les hommes, s‟il n‟instaure pas une compétition intellectuelle entre ses enfants, il pense que Célia et moi souhaitons les éduquer comme des femmelettes, dit-il ! C‟est faux ! — Je m‟aperçois que les traits et les travers spécifiques des mâles et des femelles se reproduisent bien eux aussi, dis-je en riant. — Tu as tout compris, Ovni, et j‟en suis ravie, car tu ne te trouveras pas dépaysé quand tu nous rejoindras, très bientôt. 417


— Ah non ! J‟ai encore beaucoup de travail à organiser, icibas, j‟ai besoin d‟une dizaine d‟années pour réaliser tout ce que j‟ai en tête. — Je te comprends, mais j‟ai tellement hâte de te voir ici. Je ne vais pas brusquer les évènements, soit donc rassuré. Je vais simplement discuter avec Célio et Célia pour te faire une proposition de travail de recherches que tu ne pourras pas refuser, et je crois suffisamment bien te connaître, pour avoir suivi tout ton parcours dans tous ses détails, pour pouvoir l‟affirmer. Ce sera une surprise que tu ne saurais pas refuser. — On verra, je promets d‟étudier sérieusement une telle offre venant de toi, mais pas dans l‟immédiat surtout. Il faut bien comprendre que je suis encore en vie, que je suis marié et qu‟Angéla est là, juste à côté de moi, que mes amis sont également tout près de moi, etc. Sans oublier que moi aussi, j‟ai des enfants, des petits enfants et même, depuis peu, un arrière petit enfant. Que ferais-tu à ma place ? — Bon, j‟ai compris, je ferai ma proposition quand tu seras de retour dans les limbes, et je me morfondrai en t‟attendant. — Il y a quelque chose que tu as dit, au début de cette conversation, tu as dit que tu allais bientôt passer le troisième Portail. De quoi s‟agit-il ? — Le premier Portail, tu l‟as traversé, avec tes amis, en t‟installant dans ta « bulle » terrestre, comme tu l‟appelles, sachant que la bulle n‟est qu‟un ersatz d‟âme, en réalité. Le second Portail, c‟est celui de la mort, le passage vers les limbes, que tu as passé, tout seul, en prenant un risque terrible. Le troisième Portail, c‟est celui qui permet aux âmes comme la mienne, et plus tard à celles de ma famille de se regrouper avec toutes les autres familles, pour constituer le Grand Conseil du créateur. Ce Grand Conseil est vide, pour l‟instant, et je vais en devenir le premier membre, le Secrétaire Principal, en attendant les autres membres, une centaine en tout. Si je te parlais d‟urgence, concernant ta venue parmi ta famille, c‟est aussi parce que tu serais le premier de la famille à venir me rejoindre au Grand Conseil, compte tenu de ta longue expérience 418


vécue. Je suis persuadée, par avance, que tu seras élu Président de ce Grand Conseil, justement parce que tu es une vraie créature vivante, ce qui n‟est pas notre cas. Je connais l‟importance que les êtres vivants ont aux yeux du créateur, il ne cesse d‟en parler, tout en regrettant amèrement de n‟avoir pas eu assez de temps pour les assister, les conseiller mieux encore. Il porte un grand espoir dans les recommandations que ce Grand Conseil va pouvoir lui faire, pour décider finalement des bienfaits qu‟il pourrait alors décider de prodiguer à tous ceux qu‟il a « abandonnés », c‟est le terme précis qu‟il emploie. — À quelles sortes de bienfaits pense-t-il ? — Ce ne seront pas des bienfaits qui concerneront les particules matérielles ou énergétiques. Les formes physiques actuelles qui résultent de la biologie strictement matérielle seront inchangées. Il modifiera les âmes vierges, pour les rendre plus performantes, surtout à leur retour dans les limbes, en augmentant les capacités de récupération dans chaque catégorie, les âmes simples, les gardiens, les maîtres gardiens, les Sages et même celles des membres des familles. — Si on me demandait mon avis, je proposerais d‟améliorer l‟accès à la trame de l‟espace-temps depuis l‟univers des vivants, car ce que je mets en place avec les deux équipes actuellement, pour augmenter le nombre de clones du tunnel, n‟est qu‟une solution d‟extrême urgence. Il est probable que cette solution de secours ne pourrait pas être mise en place sur d‟autres planètes, car l‟évolution y a été différente et que l‟équivalent des PC n‟existe pas. Il faut donc que l‟accès puisse être réalisé directement depuis les bulles des êtres vivants, ce qui ferait que leur évolution vers la connaissance pourrait être accélérée, et ceci, indépendamment de leur technologie. — Absolument incroyable ! Ovni, tu viens de me donner, à l‟instant même, la preuve que le Grand Conseil a besoin de toi, en urgence, car une telle proposition ne viendrait pas aussi naturellement à l‟esprit des autres membres de ma famille, qui n‟ont jamais rien « vécu » de réel. 419


Même moi, qui ai passé beaucoup de temps en m‟immisçant dans les expériences passées de femmes vivantes, je n‟ai fait que copier des comportements féminins. N‟ayant pas réellement vécu ces expériences, j‟ai simplement « singé » ces expériences. Du copié/collé en quelque sorte ! Toi, tu as acquis, tu as été confronté au doute en plusieurs occasions dans ton existence, tu as fait des choix, tu as vérifié tes hypothèses par l‟expérimentation, tu n‟as pas fait que des copiés/collé d‟érudit, tu as construit ton intelligence progressivement, et tu nous fournis la preuve que l‟intelligence vraie, elle résulte de l‟acquis, vérifié dans les faits, amélioré par la volonté de l‟être. Moi, je ne suis qu‟une érudite, pas du tout capable de faire évoluer mon intelligence purement « livresque », je suis sans expérience, et je ne pourrai jamais m‟améliorer sur ce plan-là. Je ne sais pas si créateur pourrait le d‟intelligence qu‟il lui qui vaille, à mon avis, bien remplie.

ce que tu proposes est réalisable, seul le dire, mais c‟est exactement ce genre faut comme conseiller, la seule intelligence celle qui résulte des acquis d‟une vie réelle

— Je le pense également, ça me plairait bien, mais je préférerais rester ici encore quelques années. — Donne-moi quelques secondes, on me demande….. … bien, très bien, ce sera fait… Eh bien ! voilà, Ovni, la décision est prise, et je n‟ai pas pu m‟y opposer. Nous ne t‟allouons que quatre mois pour terminer tes affaires en cours. Tu te remettras alors en condition de conservation prolongée, comme lors de ta dernière visite, tu rejoindras Gaël, Gabriel et les Sages, et nous t‟en dirons plus sur la suite des évènements. Je peux t‟assurer que tu reviendras sur Terre, après la période de trois ans que tu passeras au Grand Conseil. — Merci, je m‟engage ferme et je serais disponible dans quatre mois. Au revoir !

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Stanford University Ce lundi, les 45 000 étudiants, professeurs et personnels divers commencent à affluer vers les différents pôles d‟enseignement et de recherche. Le campus qui s‟étend sur 4500 hectares absorbe aisément cet afflux compte tenu de son étendue. De nombreux étudiants et chercheurs s‟installent par petits groupes sur les pelouses rafraîchies pendant la nuit par les jets automatiques, en attendant l‟heure des cours. Marina atteint le vieil orme en même temps que Diego, son cavalier servant, et ils s‟installent sous l‟arbre centenaire avec leurs PC tablettes pour échanger quelques notes de cours. — Bonjour, Diego, as-tu passé un bon week-end en famille ? — Oui, toute la famille était présente, et nous avons fêté l‟anniversaire de mon oncle Pedro venu spécialement de Colombie avec ma tante Cecilia. Tu imagines un peu la fiesta latinoaméricaine que ça a donnée. Ne me demande pas ce que j‟ai bu, je ne te le dirai pas ! — Je sais que tu es raisonnable, mais parfois, on peut faire une petite dérogation aux règles, non ? — Je suis en réalité resté dans des limites acceptables, d‟autant plus que nous avons accueilli ma cousine Rosalia qui va commencer aujourd‟hui des études centrées sur l‟histoire des peuples de l‟époque précolombienne. Elle a vingt-deux ans, comme toi et moi, et nous pourrons lui faire découvrir l‟Amérique, si tu veux bien ? — Tu ne m‟avais jamais parlé d‟une cousine de cet âge. — Oh, tu sais, la famille est très grande et je ne connais environ qu‟un tiers des prénoms de tous ces gens. Cent cinquante prénoms, ça fait beaucoup, et de toute façon, je risquerais de faire des erreurs, car il y a eu pas mal de mélange dans ces familles-là, on ne sait plus très bien qui est l‟oncle et qui est le neveu. — Parle-moi un peu de Rosalia. 421


— Je ne l‟avais plus vue depuis une douzaine d‟années. Elle a été bichonnée dans des écoles religieuses jusqu‟à la fin de son cycle secondaire, donc tu imagines le style, gentille, intelligent, mais inapprochable. Son père, Pedro, l‟a inscrite à Bogota pour passer les préparatoires aux études approfondies des ethnies et de l‟histoire de cette fameuse période précolombienne, et elle a réussi brillamment, au point d‟être acceptée à Stanford, à titre exceptionnel. Est-ce que mon oncle Pedro est intervenu dans cette décision, je ne saurais l‟affirmer, mais je sais que c‟est un champion du dessous de table en Colombie, rien ni personne ne lui résiste, c‟est la société colombienne qui veut ça, si l‟on peut dire. — Il est vrai que dans nos pays d‟origine, c‟est malheureusement une règle très puissante, qui passe par-dessus toutes les lois locales, au point de les remplacer dans l‟esprit des gens. Moi, au Venezuela, j‟ai eu l‟occasion d‟être harcelée par des fonctionnaires, et j‟avoue que ça ne me plaisait pas du tout. Comme cela fait maintenant huit ans que je vis aux USA, j‟ai un peu oublié, mais ça reste un mauvais souvenir. À propos de famille, ma grand-mère Victoria, que nous surnommons Tera, passera prochainement me prendre à Stanford, pour un voyage dans les Andes, avec une visite de son observatoire de prédilection. Elle fera ici un cycle de conférences pendant une semaine, et ensuite, vivent les vacances en altitude. — Ça m‟intéresse bigrement, et si c‟est compatible avec mes vacances scolaires, j‟aimerais bien y participer, pour être avec toi, bien sûr. — Je vais étudier ça, car je préfère que tu ne restes pas seul ici, avec ta cousine ! — Ne t‟inquiète pas pour ça. — En principe, Tera arrive dans une semaine, ensuite une semaine de conférences, une semaine de shopping et puis le départ, ce qui correspond à une période où il n‟y a pas d‟examens ni de travaux pratiques pour des étudiants comme toi, dans ta spécialité du génie génétique. — Tu en as de la chance de ne pas dépendre d‟un planning serré, à part tes dates imposées de rapports d‟études et recherches en cosmologie quantique. 422


— Oui, ma thèse de doctorat me laisse pas mal de liberté, et mon mentor est sympa avec moi, il me fait confiance, il sait que ça n‟aura pas d‟incidence sur l‟avancement de mes travaux. — À propos de mentor de thèse, je le trouve un peu collant, quand il te rencontre dans les couloirs, non ? — N‟est-ce pas toi qui dis que je suis la plus belle entre toutes ? — Oui, mais moi, c‟est moi, et lui, c‟est lui ! — Restons calmes, aujourd‟hui, ce sont les filles qui décident, une fois que les prétendants ont fait leurs preuves. — Quelles preuves supplémentaires veux-tu que je te fournisse ? Je suis toujours disponible, doux et attentionné, tu ne peux pas dire le contraire. — C‟est vrai, mais nous ne nous connaissons que très peu, finalement, deux mois seulement. J‟apprécie tes efforts pour refouler le machisme viscéral des garçons d‟Amérique Latine, et crois-moi, il n‟y a pas deux Diego, il n‟y en a qu‟un, c‟est toi. Mon mentor est un homme fascinant, beau garçon de surcroît, mais il est marié et il a trois enfants qui ont presque mon âge. Ce qu‟il aime chez moi, c‟est mon intérêt pour mon sujet de thèse, sujet qu‟il aurait bien aimé traiter lorsqu‟il était lui-même thésard. — Bla…bla…bla. Tu ne me convaincras pas. C‟est l‟heure des cours, j‟y vais ! Marina range doucement son PC tablette dans son étui, un léger sourire au coin des lèvres. S’il savait à quel point je me retiens pour ne pas me jeter dans ses bras, il ne se montrerait pas jaloux à ce point. Je me suis juré de ne pas tomber amoureuse avant la fin de ma thèse, et je m’y tiendrai. Il faudra que j’en parle avec Tera qui a toujours été de bon conseil pour moi. Elle avait l’habitude de dire, quand j’avais quinze ans, que j’étais son double, tant au point de vue physique qu’au plan intellectuel, ce qui est un sacré compliment, quand on connaît sa carrière.

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Elle m’a dit sur son dernier message qu’elle voulait me parler du futur, de mon futur, et ça avait l’air d’un secret d’État : je me demande ce qu’elle m’a préparé avec sa bande aux Indes. J’ai eu l’occasion de tous les rencontrer à Paris, il y a trois ans, au cours d’une fiesta avec ses copines, et ils m’avaient l’air sérieux et motivés pour travailler ensemble. Compte tenu des compétences variées qu’ils possèdent, ce doit être intéressant de travailler avec eux, si c’est ce qu’elle va me proposer. Allons, il faut y aller maintenant, reprenons le collier, la thèse d’abord, les mecs et la famille après. Marina prend le chemin de son labo d‟une allure assurée, mais elle continue à cogiter intérieurement. En arrivant dans son bureau, elle regarde distraitement son courrier électronique, et une surprise l‟attend. Elle y répond immédiatement… ______________________________ De Tera à Marina, Bonjour, ma chérie, Je vais arriver plus tôt que prévu, car j‟ai beaucoup de réunions prévues avec des copains en Californie. Si tu le veux bien, je m‟installerai dans ton studio, avec toi, et je rayonnerai en Californie à partir de ce camp de base. Si je dérange, fais-le-moi savoir, car j‟oublie un peu trop vite que tu es une grande fille maintenant, et que…sait-on jamais, tu as peut-être d‟autres activités, disons, de ton âge. Bisous. Tera. ________________________________ De Marina à Tera, Pas de problème, j‟irai te chercher à l‟aéroport de San Francisco. Précise-moi simplement le numéro de vol et l‟heure. Bisous.

Marina

De Tera à Marina, Demain, vol 723, Delhi San Francisco, 8 heures. 424


Merci, grosses bises.

Tera.

______________________________ De Marina Ă Tera, Jâ€&#x;y serai, bon voyage. Bisous.

Marina

______________________________

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Tera et Marina Je réfléchis dans mon fauteuil, un peu à l‟écart de l‟activité de TOPLAB, en fumant une cigarette « interdite », car Tera m‟en rapporte régulièrement de ses voyages. J’ai décidé de reporter mon départ, car il me reste à régler un problème majeur. J’ai obtenu l’autorisation de ma mère spirituelle, qui m’a accordé trois mois de grâce. La question du moment fait débat au sein du groupe : cela concerne la mise à disposition de la puissance incommensurable de la trame de l’espace-temps-vérité aux humains, via TOPLAB, puisque nous n’avons qu’un seul tunnel pour le moment. À la réflexion, l’intention de départ est bonne, mais elle présente trop de risques pour que l’on donne un accès non contrôlé aux universités. Nous ne sommes par ailleurs pas assez nombreux pour faire ces contrôles au coup par coup, et nous allons mettre en place un système automatique qui vérifiera l’origine de la demande, son contenu et son objectif. Tera est la première concernée, avec Pyco, et ils ont défini avec Labo un algorithme logiciel de filtrage qui évitera tout problème. Le laboratoire est, pour le moment, le point unique en liaison avec le 22@Asnières, et il est situé dans un endroit qui est resté secret jusqu’à présent : de ce fait, ce sont les PC du labo qui sont les meilleurs garants d’un filtrage efficace. Le principe du filtrage est donc le suivant : 1) Les demandes seront exprimées dans un langage classique, et répondront à un formalisme unique permettant de caractériser la demande dans tous ses détails (catégorie de la demande, lieu, date, durée de la séquence vidéo, objectif de la recherche, plusieurs mots de passe successifs, adresse IP du demandeur pour contrôle, algorithme de cryptage sécurisé, etc.)

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2) Un logiciel spécifique, façonné par Labo, validera cette demande, et transmettra une synthèse au responsable TOPLA à qui s’adresse la demande. 3) Tera ou Pyco valideront à leur tour, et émettront la demande au 22@Asnières. 4) Ils compulseront les résultats en retour, et les transmettront au demandeur avec les mêmes précautions de sécurité. 5) Un serveur d’adresses IP anonyme basé à TOPLAB permet d’anonymiser les échanges sur le web via un intranet strictement verrouillé. Le choix de la première université et du premier correspondant a été rapidement fait, chacun acceptant la proposition de Tera pour Stanford University, la correspondante pouvant être sa petite fille Marina, qu’il lui faudra mettre partiellement au courant du secret de TOPLAB. Le voyage de Tera à Palo Alto est prévu pour demain, et je resterai sur Terre pour contrôler les premiers mois de cette expérience. . . . Le vol Delhi_San Francisco est annoncé : Marina se lève pour assister au débarquement de Tera et l‟attendre au-delà du poste de sécurité. Les deux femmes se précipitent l‟une vers l‟autre, les bras ouverts, et une longue séance d‟embrassade s‟ensuit, sous le regard amusé des voyageurs, qui regrettent vaguement de n‟être pas accueillis de telle façon. Il n‟est pas besoin de les regarder longuement pour déceler leur parenté, tant leur ressemblance est frappante, malgré le demi-siècle qui les sépare. Marina et Tera se rendent directement au studio de Marina, à Palo Alto, et elles expédient un déjeuner frugal avant d‟entamer les discussions sérieuses. Deux heures se sont écoulées, et toutes les nouvelles de la famille ont été synchronisées entre les deux 427


femmes. Marina s‟est même un peu ouverte en parlant de Diego, son soupirant, qu‟elle présentera à Tera prochainement. Elles s‟installent confortablement dans deux fauteuils profonds et Tera annonce la couleur : — Passons aux choses sérieuses. Comme tu le sais, notre bande de vieux savants un peu fous travaille aux Indes sur des sujets qui nous ont toujours fait rêver. Nous avons beaucoup avancé, mais notre âge a avancé également, et nous devons maintenant penser sérieusement à préparer et mettre en place une équipe plus jeune pour poursuivre nos travaux. J‟inaugure ce processus et j‟ai proposé ton nom, car tu sais combien j‟apprécie ton développement personnel et ton sérieux à toute épreuve. Nous sommes arrivés à un point où il ne nous sera plus nécessaire de travailler en un seul lieu, dans un laboratoire super équipé, comme nous l‟avons fait jusqu‟à présent. Nous avons de moins en moins besoin de personnel sur place, et nous pourrons assurer les tâches encore plusieurs années, jusqu‟à ce que le dernier d‟entre nous décède. Il suffira ensuite d‟une seule personne pour maintenir notre système opérationnel. — Quel est le but profond de ce système ? — Il s‟agit de permettre à un certain nombre d‟universités d‟accéder à la connaissance ultime, de les raccorder à un puits immense de connaissances qui contient l‟historique de toutes les particules élémentaires depuis la nuit des temps. — J‟imagine conceptuellement ce que tu viens de dire, mais je ne vois pas le lien avec les « connaissances », telles que nous les concevons habituellement ! — Imagine que tu disposes d‟une image spatiale fixe et très détaillée, avec des milliards de pixels, le tout en volume, sous la forme d‟une sphère de trois mètres de diamètre. Imagine que cette sphère soit, en fait, une partie de cette pièce, et que cette image nous représente, il y a une heure, lorsque nous étions à table. Si maintenant, tu projettes cette image sous forme d‟hologramme, tu nous verras en train de déjeuner, à un instant bien précis. 428


Ayant projeté cet hologramme, tu peux en faire le tour, voir au travers de nos corps en t‟avançant un peu, bref, tout connaître de cette sphère. Je pourrais même vérifier que tu n‟as pas caché un préservatif dans ton soutien-gorge si je le voulais, mais c‟est pour te faire sourire bien sûr. — Mais Mamie, tu sais bien que plus aucune fille ne porte de soutif, maintenant ! Quant au préservatif, ce n‟est pas aux filles de le proposer, c‟est aux garçons de se l‟imposer, et c‟est d‟ailleurs comme cela qu‟on repère les gars sérieux. — Ouh la la, bien des choses ont changé alors : je suis totalement déphasée, et je ne prendrai donc plus le risque de me ridiculiser avec des exemples imagés de ce genre. Ça me servira de contre exemple pour mes conférences à venir. — Cependant, grâce à cette blague de collégienne, je comprends maintenant ce que tu voulais dire. On voit tout, de n‟importe où, sous n‟importe quel angle, et de plus, on voit à travers tout, selon l‟endroit où l‟on se place par rapport à l‟hologramme. — C‟est bien cela. Maintenant, imagine qu‟un système sophistiqué te donne accès à une succession d‟images fixes de cette même sphère, et que l‟hologramme s‟anime à la vitesse correcte. — Alors, je te reverrais en train de renverser ta tasse de thé, comme tout à l‟heure. — Exactement. — J‟ai compris le principe. Et si je demande à ton système de me remontrer la séquence, il y a douze ans, quand mon premier amoureux m‟a volé un baiser furtif, le jour de ma communion solennelle. — Eh bien, tu la verrais, et tu pourrais même décider de le suivre, quand il est parti en courant, rouge comme une pivoine, pour aller se cacher dans la grange. — Ouais, mais comment sais-tu ça ? Moi-même, je me demandais où il avait bien pu se cacher. — Ne t‟inquiète pas, je suis tombée sur cette scène par hasard, en me repassant cet anniversaire au Venezuela, qui m‟avait laissé un si bon souvenir. 429


— Es-tu en train de m‟expliquer que votre système permet d‟accéder à tous ses souvenirs personnels avec tous les détails ? Une sorte de super bibliothèque de vidéos à la demande, réservée à la famille ? — Oui, mais pas seulement, car ma bibliothèque contient toute l‟histoire de l‟univers, à toutes les époques. — C‟est fou, ça ! il me faudra un certain temps avant de m‟y faire. Mais alors, à quoi sert-il qu‟on se décarcasse à faire toutes nos recherches, un peu à l‟aveuglette, ici-bas ? Qu‟est ce que je fais ici, à Stanford ? — Ne t‟inquiète pas, ma chérie, et sache qu‟il est plus délicat d‟utiliser intelligemment l‟information complète qui te serait fournie gratuitement que de la rechercher, car ça ouvre la porte à bien d‟autres perspectives, d‟autres challenges, d‟autres risques encore plus importants. — Exact, car si n‟importe qui pouvait accéder à ce système, ce serait la panique assurée. Mais alors, sous quelle forme souhaitezvous faire profiter l‟humanité de ce nouveau potentiel explosif ? — En limitant l‟accès à quelques rares Sages, et tu pourrais devenir la première femme Sage de l‟histoire, si ça t‟intéresse. — Ne suis-je pas un peu trop jeune pour ça ? N‟ayant pas encore fait de bêtise importante, mais si j‟ai droit au même score de bêtises que n‟importe qui, que se passerait-il si je me défoulais brusquement ? — Ne te fais pas de soucis, je serais toujours à tes côtés, même si je suis de l‟autre côté de la planète. — Que veux-tu dire par là ? — Te souviens-tu de la conférence des chefs d‟État il y a deux ans ? La manière dont ils ont été contrôlés par les Scimuts ? — Oui, ça avait fait un choc pour tout le monde. Donc tu veux dire que les Scimuts me contrôleront de la même manière ? — C‟est à peu près ça. Un autre exemple : tu as souvent vu à la télévision Aloa à l‟ONU, la femme qui avait organisé les réunions plénières et qui est toujours en poste à New York ? Eh bien, cette femme est également sous contrôle, car elle est en liaison avec les Scimuts. 430


— Elle est à l‟ONU pour la diplomatie, et moi, je serai à Stanford pour les recherches scientifiques, c‟est cela ? — Exactement, et l‟on pourrait imaginer une autre personne pour l‟éducation mondiale, définissant les programmes et leurs contenus, pour diffusion planétaire permanente. — Et pourquoi pas une autre pour la surveillance des tensions entre états ou ethnies ou religions, quoiqu‟en ce qui concerne ces dernières, la situation a bien changé depuis deux ans. — Oui, mais nous mettrons tout cela en place progressivement. Pour ton job, tu seras la première à jouer le rôle de filtre pour sélectionner les demandes d‟informations, car tu seras en contact avec les organismes demandeurs : c‟est une position stratégique indispensable pour scruter la pertinence de la demande et déceler les non-dits potentiels de chaque demande. S‟il y a un risque, tu devras prendre la décision de refuser la demande, après m‟avoir consultée éventuellement, mais ce n‟est pas indispensable. Seules les demandes qui ne font pas intervenir des personnages précis du passé te seront soumises, car ton rôle est strictement scientifique, il n‟est pas historique ou judiciaire ou je ne sais quoi. Tu auras besoin d‟une petite équipe d‟une ou deux personnes pour effectuer ce travail, ainsi que les tâches administratives de classement et de suivi des dossiers. Je demanderai demain à ton directeur de thèse de créer cette petite cellule qui reportera à Aloa dans un premier temps et au directeur général de Stanford en parallèle. Tu accéderas à un PC puissant de notre conception, non raccordé à l‟intranet de Stanford, mais raccordé uniquement à notre intranet aux Indes, via satellite. Cette machine sera pourvue d‟un logiciel spécifique inviolable qui surveillera en permanence qu‟elle n‟est connectée à rien d‟autre qu‟au modem satellite intégré, puisqu‟elle ne disposera d‟aucun port d‟entrées-sorties. Le satellite nous appartient, et il est également sécurisé pour ne correspondre qu‟avec nos machines agréées. Les informations brutes que nous recueillerons seront stockées sous leur forme d‟origine dans notre laboratoire, et nous t‟enverrons une version allégée des sphères informatives, car dans la grande majorité des cas, tu n‟auras pas besoin de toute 431


l‟information disponible, je veux dire que tu n‟auras pas besoin des détails qui vont jusqu‟au niveau des particules élémentaires. Donc demain matin, je vais rencontrer le DG de Stanford et ton patron de thèse pour leur confirmer notre projet et son financement, et demain après-midi, je te présenterai officiellement comme notre correspondante exclusive. Si tu penses à quelqu‟un de confiance pour te servir d‟assistant, tu me le présenteras après-demain. — Justement, demain soir, je dois rencontrer Rosalia, une cousine de Diego qui étudie ici également. Je vais la tester un peu, discrètement, sans rien dévoiler bien sûr. — Tu sais, deux filles ensemble, c‟est une source de misères, surtout si elles ne se connaissent pas de longue date. — Elle m‟a été présentée comme droite, rigoureuse, et spécialiste des ethnies de l‟époque précolombienne. On verra bien, peut-être qu‟Aloa pourrait donner son point de vue, puisque c‟est son domaine de prédilection. — D‟accord, elle doit passer ici la semaine prochaine, on verra ça avec elle. . . . .

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Deux semaines plus tard… Presque tout est en place, à Stanford, Département Informations Scientifiques, dirigé par Marina, assistée de Rosalia. Elles disposent de deux bureaux situés au bout du couloir de la Direction Générale, encadrés par la suite du DG et celle du Directeur des Études. Cette section du bâtiment administratif est sévèrement gardée par deux malabars qui patrouillent sans cesse à cet étage et contrôlent régulièrement le réseau de caméras et de micros dissimulés dans les moulures du plafond. Ces précautions ont été mises en place après deux tentatives de meurtre sur le DG, attaqué par des étudiants atteints de maladie mentale foudroyante, consécutive à des absorptions massives des nouvelles drogues dures à la mode sur les campus. L‟ordinateur conçu et fabriqué par Labo est en place, et son modem satellitaire est raccordé à l‟antenne spéciale placée juste audessus de leurs bureaux, sur le toit de l‟immeuble. On peut y accéder par une trappe au plafond, trappe sécurisée elle aussi. La parabole étant très directive, aucun signal à l‟émission ne peut être capté. Par contre, n‟importe qui peut capter les signaux en retour, mais ils sont cryptés à partir du contenu de la demande d‟origine, donc indéchiffrables. Deux écrans plats grand format équipent les murs et un générateur d‟hologrammes en trois dimensions se réserve le centre du bureau de Marina. Les essais ont été fructueux et correspondent parfaitement aux attentes. Aloa est restée deux jours entiers et a formé les deux jeunes femmes en prenant comme exemple une recherche sur une peuplade péruvienne du premier siècle av. J.-C. : Rosalia est restée hébétée devant les scènes très nettes de la vie quotidienne à cette époque, scènes rapatriées par le système sans déformation aucune. Elles ont même pu voir un foetus de six mois dans le ventre de sa mère, alors que celle-ci dormait. Aloa et Tera ont discrètement prélevé l‟ADN des deux jeunes femmes et de tout l‟étage de direction pour pouvoir intervenir à distance si nécessaire, depuis leurs bulles. Le premier sujet de recherche a été demandé par Rosalia en personne, au sujet de la disparition d‟une peuplade des hautes 433


Andes boliviennes, disparition signalée par des éclats de tablettes en céramique retrouvées récemment, et qui décrivent un peuple apparemment toujours heureux et sans contact avec ses voisins. Aucun recoupement avec les autres groupes n‟a pu être effectué, et les recherches classiques se sont avérées impossibles, car ce groupe vivait sur un haut plateau qui a été formé à l‟origine par l‟effondrement d‟une caldera, mais l‟explosion subite du volcan endormi depuis des millénaires a tout détruit irrémédiablement. Tout est sens dessus dessous, et la plus grande partie de l‟ancien plateau est maintenant sous une épaisseur moyenne de deux cents mètres de roche, de coulées de lave et de cendres. L‟explosion a entraîné la fonte des glaciers qui dominaient le volcan, et de brutales coulées glaciaires ont tout compacté, laissant seulement un petit lac intérieur de mille hectares relativement profond. En fait, Rosalia, qui a étudié ces fragments de tablettes, recherche également des fossiles des plantes endémiques qui poussaient dans les forêts de ce plateau, plantes qui sont systématiquement associées à la notion de bonheur et d‟amour sur les tablettes. Elles avaient leur pendant négatif, des plantes associées au malheur, qui étaient toujours présentes dans les scènes mortuaires. Dans les environs immédiats du plateau, les recherches concernant ces plantes ont été infructueuses sur 40.000 kilomètres carrés, et pourtant, les dessins des tablettes étaient parfaitement conservés et très précis, avec des coupes descriptives très caractéristiques du développement de cette peuplade. Rosalia continue ses études ethno historiques et souhaite préparer une thèse sur cette fameuse ethnie inconnue. Le sujet ayant été accepté, car n‟ayant pas de caractère « sensible », une certaine liberté de recherches lui est accordée, ce qui lui permettra d‟avancer assez rapidement. Elle tient à jour un livre chronologique de ses travaux, avec ses commentaires, et le jour est venu de faire sa présentation hebdomadaire à Aloa et Tera, assistées de Marina.

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Recherche des plantes essentielles du peuple Hitzu. Test 1 : Localisation précise dans le temps et dans l’espace. La date exacte du séisme doit être établie. Je dispose de quelques données imprécises aimablement fournies par des chercheurs en glaciologie andine qui ont travaillé dans cette région. La période est connue à une centaine d‟années près, entre 200 av. J.-C. et 100 av. J.-C.. J‟ai décidé une approche par approximations successives, les deux premières dates d‟essais encadrant cette fourchette. La durée de chaque séquence sera courte, deux secondes seulement, et le lieu choisi sera situé deux cents mètres au-dessus du milieu du plateau actuel. Au lieu d‟une sphère très détaillée de trois mètres, j‟ai choisi une sphère de cinq cents mètres de diamètre, avec une précision réduite en conséquence, car à ce niveau-là des recherches, la précision est superflue. J‟ai obtenu, comme prévu, deux vues totalement différentes, l‟une de l‟ancien plateau vallonné et boisé et l‟autre du plateau actuel, presque nu avec un lac central. J‟ai ensuite testé successivement les années 180,120,165, 135,150,155,160,163,164,164 et six mois et je suis arrivée à l‟instant de l‟explosion 164 ans sept mois et douze jours av. J.-C.. J‟ai ensuite recueilli le film complet de l‟explosion, et l‟on pourra le visualiser si vous le souhaitez, car il est très impressionnant, on se demande même assez bêtement comment la caméra reste stable au milieu de cette apocalypse ! Test 2 : Vie quotidienne du peuple Hitzu. Les jours précédant l‟explosion montrent un peuple désorienté, priant des Dieux inconnus, dans une atmosphère enfumée de plus en plus épaisse. J‟ai choisi une période située en 180 av. J.-C., suffisamment éloignée du drame à venir. J‟ai suivi une famille entière dans ses activités ordinaires, la chasse, la cueillette, les repas, la vie quoi ! J‟ai constitué un petit film d‟une heure que nous pourrons regarder également. 435


Rien de remarquable, si ce n‟est ce rituel, chaque matin, les femmes et les petites filles grimpant dans les bois de résineux jusqu‟à une clairière, pour y cueillir des branchettes de la fameuse plante associée au bonheur que je recherche. Et au même instant, les hommes et les petits garçons qui vont dans un grand marécage pour cueillir la deuxième espèce, celle qui est associée à la mort. Au retour, les brins sont mis à sécher, puis broyés finement en poudre, cette dernière étant finalement stockée dans des petites jarres en céramique décorées du symbole de la plante. Ces jarres sont transportées dans une caverne réservée aux grandes occasions, naissances, mariages, cérémonies funèbres, etc. La caverne est constamment gardée par trois hommes qui empêchent toute intrusion, et qui font une sorte de parade dansée chaque heure, cinq minutes en brandissant leur lance enrubannée vers le ciel de manière joyeuse, puis cinq minutes en brandissant leur lance vers le sol de manière violente. Test 3 : Localisation des restes des plantes. Le film de l‟explosion montre clairement que les bois de résineux ont brûlé, puis ont glissé vers le plateau sur trois cents mètres de dénivelé, quelques jours après l‟explosion, entraînés par de gigantesques glissements de terrain liés à la fonte très rapide des glaciers les surplombant. Il faut préciser que tout le plateau était devenu une fournaise ardente, avec plusieurs lacs de lave qui se refroidissaient lentement. Comme le plateau est totalement encerclé de très hautes montagnes et de glaciers, l‟eau et les boues s‟accumulèrent sur le plateau pour lui donner sa forme actuelle, avec le lac central. J‟estime que le niveau réel de l‟ancien plateau, pour ce qu‟il en reste, est à cent mètres au-dessous du niveau du plateau actuel. Comme il n‟est pas envisageable de rechercher des traces de ces plantes dans cette masse immense de cent mètres d‟épaisseur, je me suis donc limitée à prospecter le fond du lac, la seule partie non explorée du plateau actuel. J‟ai réalisé un montage de film qui visionne une séquence sous marine réalisée par un circuit circulaire à profondeur constante, de dix mètres en dix mètres, et jusqu‟au fond, à deux cent trois mètres. 436


Nous y verrons le spectacle classique de roches et de boues, sauf vers le fond, où un amoncellement de troncs d‟arbres et de branches entremêlées est particulièrement net, complètement débarrassé de la couche de boue habituelle. On a l‟impression que ces bois morts viennent d‟être passés au jet, pour les nettoyer, en prévision de ma visite. En fait, en regardant mieux, on perçoit un léger courant d‟eau qui se dirige vers le centre de l‟amoncellement, ce qui traduit une infiltration vers des nappes souterraines et qui explique la relative stabilité du niveau du lac fermé qui n‟a aucun émissaire de surface. En « pénétrant » progressivement à l‟intérieur de cet amoncellement, le colmatage est de plus en plus resserré, et ce sont d‟infimes brindilles qui colmatent le fond de cet entonnoir. L‟amoncellement de branches fait environ dix mètres d‟épaisseur sur cent mètres de périphérie. On y trouve un peu de tout, des petits squelettes d‟animaux, des arêtes de grands poissons, etc. Mon attention a été attirée par des petites pierres jaune orangé, qui sont présentes en grand nombre et nettoyées partiellement de la gangue boueuse qui les recouvre par le léger courant vertical. J‟ai très vite reconnu des gouttes d‟ambre millénaire, créées par le suintement de la résine des arbres de l‟époque des hitzus. J‟ai « visité » l‟intérieur de toutes ces gouttes, un millier en tout, et certaines d‟entre elles contenaient des insectes piégés ou des petits champignons. J‟ai eu la chance de découvrir une dizaine de morceaux d‟ambre qui contenaient des graines, agglutinées par le vent dans de petits creux au pied des arbres, juste avant leur enfouissement dans la résine. J‟estime que ce lac contient des milliers de morceaux d‟ambre de cette catégorie particulièrement intéressante, mais j‟espère qu‟il ne sera pas nécessaire de draguer tout le lac pour en trouver de l‟espèce recherchée. On commencera par une simple plongée aux endroits exacts que j‟ai repérés sur une carte détaillée. Ayant localisé également une petite jarre en céramique scellée et encore intacte de poudre de plante du bonheur, il sera intéressant de la récupérer également. 437


Je demande l‟organisation d‟une recherche locale pour récupérer ces pièces exceptionnelles. J‟aurai besoin d‟un mini robot d‟exploration sous-marine et d‟un assistant ou deux. J‟en ai parlé à Diego et Marina qui seraient d‟accord pour m‟accompagner : à noter que Diego n‟est pas au courant du véritable but de cette recherche. Voilà, mon exposé est terminé, vous pouvez me poser des questions. Aloa enchaîne immédiatement : — Tu as avancé très vite dans cette recherche, et c‟est un compliment, car la navigation spatiale dans ces sphères d‟informations est très perturbante intellectuellement et exige une longue phase d‟entraînement, normalement. Évidemment, nous ne sommes pas certains du résultat que nous obtiendrons au final, mais ça vaut la peine d‟être tenté. Ça me donne l‟idée que bien des laboratoires pharmaceutiques pourraient être intéressés par de telles recherches de plants endémiques disparus, bien qu‟ils aient encore fort à faire avec les milliers de découvertes de nouvelles plantes effectuées chaque semaine sur toute la planète. Nous étudierons cette filière pharmaceutique ultérieurement. Réussissons d‟abord ce cas spécifique là. J‟accorde les fonds pour cette expédition qui aura lieu la semaine prochaine, et j‟irai avec vous.

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Expédition andine. Quatre jours plus tard, les trois jeunes gens et Aloa descendent de l‟hélicoptère militaire, au milieu du plateau Hitzu, avec le matériel nécessaire et une grande tente de campagne. Tera les a accompagnés en avion jusqu‟à Bogota, car elle se dirige vers son observatoire andin préféré, où elle les attendra pour leur faire visiter son antre. Le robot sous-marin est très pratique et il joue son rôle de cueilleur d‟ambre efficacement, et sans en perdre aucune goutte. La cueillette se termine par la prise triomphale de la petite jarre du bonheur. Il n‟y a personne sur ce plateau suspendu, coincé et isolé du reste du monde par des barrières montagneuses de plusieurs milliers de mètres de hauteur et d‟immenses glaciers qui dégoulinent jusqu‟au niveau du plateau, en laissant s‟échapper des ruisselets de fonte des glaces qui tentent vainement de remplir le lac. Le terrain est relativement régulier, à part de petits amoncellements de roches et quelques coulées de lave à nu par endroits. Une ballade à pied s‟imposa pour fêter la réussite du programme, et ce fut l‟occasion de découvrir quelques petits mammifères connus et surtout de nombreux oiseaux rapaces d‟altitude. Des bosquets se sont reconstitués sur le plateau, mais aucune forêt n‟a repoussé sur les flancs rendus plus abrupts des montagnes. Le retour à Bogota s‟effectue sans encombre et le vol vers l‟observatoire eut lieu dans la foulée. Tera accueille l‟équipe dans son logement de fonction, très simple, mais accueillant. Elle organise la visite au cours de l‟après-midi et ils terminent la journée tous les quatre dans la petite salle à manger de l‟observatoire. De retour dans son logement, tout le monde s‟installe du mieux possible et Aloa fait son rapport. — Ce que nous avons réalisé est quand même remarquable, grâce à une prospection virtuelle préalable détaillée des objets de la 439


recherche, puis une visite rapide sur les lieux pour cueillir les objets souhaités. Sans ce merveilleux outil, nous n‟aurions probablement pas réussi en moins de deux mois, et avec une équipe d‟une dizaine de personnes au moins. Qu‟en penses-tu, Tera ? — Je suppose que nous devrons garder secret pendant longtemps cette réalisation, car sinon nous serons assaillis par des dizaines de demandes concernant le Trésor des Templiers ou la tombe de Marie-Madeleine. Concernant votre butin, nous allons définir ensemble la procédure à suivre, car il faut tester les « qualités » de cette poudre, et localiser les graines correspondant à ces plantes du bonheur. Je propose de confier ce travail à Nico et Svetlana sur l‟île de Nova, assistés par Diego s‟il souhaite se joindre à eux : c‟est dans ses cordes, compte tenu de sa spécialisation en génie génétique. Nico ayant fait une spécialisation en pharmacologie est tout désigné. Qu‟en pensez-vous, les jeunes ? — On va s‟ennuyer sans lui, glissent astucieusement les deux jeunes femmes avec un clin d‟œil complice. Mais on pourra ainsi sortir entre filles et faire d‟autres découvertes. — Ouais, ça va bien, hein ! Sur le fond, je suis d‟accord, à condition que je puisse faire passer cette absence au titre du stage professionnel que je dois faire cette année. — Pas de problème, répond Aloa, je m‟en charge, mais tu repasseras d‟abord par Stanford avec nous, avant d‟aller sur Nova. — Bon, on est tous d‟accord. Il nous reste à ouvrir cette jarre en atmosphère neutre, pour vérifier son contenu. Tera sort de la pièce pour aller se procurer quelques boîtes dans une réserve de l‟observatoire, boîtes habituellement utilisées pour recueillir des échantillons de météorites, qui abondent dans ces montagnes très peu fréquentées. Lorsqu‟elle revient, tout le monde se penche pour assister à l‟ouverture, la jarre ayant été préalablement placée sous un sac plastique rempli d‟azote, sac muni de gants externes pour pouvoir 440


manipuler les objets et les ouvrir, grâce à des pinces métalliques placées à l‟intérieur. Tera gratte alors la couche protectrice bouchant la jarre, et enlève totalement ce bouchon en même temps semi-rigide et étanche, une sorte de sève durcie là aussi. Il n‟y a apparemment pas de surpression ou de dépression gazeuse interne, et l‟on découvre que la poudre a été placée dans trois petits sacs identiques, presque translucides, et d‟origine inconnue (peut être des poches de réserve d‟oxygène de gros poissons, préalablement desséchées pour éviter la putréfaction). Il est inutile à ce stade d‟ouvrir un sachet, car on devine au toucher que la poudre est restée pulvérulente, aucune humidité résiduelle n‟ayant modifié la composition de la poudre. Tera remplit chacune des trois boîtes avec un sachet et referme hermétiquement les boîtes. — L‟opération est terminée, annonce Tera, il est maintenant l‟heure de nous reposer, car nos billets vont arriver demain matin par l‟hélicoptère hebdomadaire, et nous l‟utiliserons pour retourner à Bogota qui va nous servir de plaque tournante pour nos différentes destinations. J‟enverrai des instructions précises à Nico depuis TOPLAB, de manière à répartir les tâches entre Nova et Pyco, qui travaillera sur cette poudre avec moi. J‟emporte les trois boîtes, elles seront stockées dans la montagne de TOPLAB2. Ce que pourra faire Diego, lorsqu‟il pourra aller sur Nova, c‟est se focaliser sur la recherche des graines du bonheur dans les gouttes d‟ambre, et il découvrira peut-être d‟autres espèces inconnues qui pourraient s‟avérer intéressantes. S‟il a besoin de recherches plus précises de l‟intérieur microscopique de ces gouttes avant de les casser, il pourra se brancher sur Marina et Rosalia pour obtenir de l‟assistance. Voilà, et maintenant, tous au lit, utilisez vos sacs de couchage dans ce salon, Aloa et moi, on va se serrer un peu dans mon lit de camp.

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La poudre du bonheur. Avec Claudine, Pyco et Labo, nous accueillons notre belle Vénézuélienne, qui nous arrive, pimpante brune style Sofia Loren, encombrée de sacs de shopping (pour Angéla, nous dit-elle). Elle nous embrasse chaleureusement, car nous, les mecs, nous nous étions tous rasés de près, pour une fois. Elle dépose l‟une des boîtes mystérieuses sur la grande table du salon, va faire une toilette rapide, puis nous rejoint pour nous commenter l‟aventure latine. — Avant même de parler de cette fameuse poudre, il faut que je vous dise à quel point j‟ai été enthousiasmée par l‟efficacité du système ETV, appelons-le comme cela, cet espace-temps-vérité. La procédure utilisée pour exprimer les requêtes semble au point, et les sphères d‟informations qui nous reviennent sont parfaites et malléables à souhait, grâce au logiciel de traitement de Labo. Un grand bravo à toute l‟équipe, sans oublier nos collègues de l‟équipe d‟Albert et le 22@Asnières, bien sûr. Merci surtout à Ovni qui n‟est pas mort pour rien ! — Merci à toi. Nous te montrerons plus tard le travail que nous avons fait en parallèle ici, mais cette fois-ci, en mode holographique, dont tu ne disposais pas là-bas. C‟est exceptionnel de précision et de fidélité. Alors, Pyco, que penses-tu de cette poudre miracle ? — Bah, je me demande surtout qui va tester cette pharmacie-là et comment, et à quelle dose ? S‟agit-il d‟un médicament miracle, ou d‟une simple poudre hallucinogène comme tant d‟autres ? Je ne sais pas si la plante du malheur est parmi les graines récupérables dans les morceaux d‟ambre, mais il n‟est pas impossible que ces deux types de plantes soient complémentaires, car elles étaient presque toujours associées dans les représentations sur les fragments de tablettes en céramique.

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— Exact, ajoute Labo, et mieux que ça, la plante du malheur devance toujours la plante du bonheur sur ces tablettes, comme si le malheur devait précéder le bonheur. — Dommage qu‟il n‟y ait pas dans ces sachets une notice donnant le mode d‟emploi ! reprend Pyco. — Qui te dit qu‟il n‟y en a pas une ? ajoute Claudine, qui lit toujours les notices des médicaments avant de les donner aux enfants. — Eh bien, pour en être certain, on va en ouvrir un sous atmosphère neutre dans le grand labo, et pas plus tard que maintenant ! Et nous voilà partis, presque en courant, dans nos galeries souterraines, vers TOPLAB2, tels des gamins qui vont faire péter un gros pétard de leur conception. Il s‟installe devant le manipulateur et ouvre avec précaution le premier sac, entouré par le reste de la bande à Bonnot. — Bien, nous y sommes. J‟ouvre le sachet 1, en utilisant un scalpel, et je m‟apprête à en verser le contenu dans la coupelle placée en dessous. Je verse, et oh… surprise, il y a deux autres sachets plus petits à l‟intérieur. Voyons cela de plus près ! Un sachet est plus clair que l‟autre, c‟est très visible. Je prépare deux coupelles plus petites, et j‟espère bien qu‟il ne s‟agit pas d‟un petit jeu de poupées russes. Je prends le premier sachet, le plus clair, et je l‟ouvre délicatement…Je verse son contenu dans la première coupelle…on dirait de la cocaïne très fine. Je transfère le second sachet dans le manipulateur voisin, de manière à ne pas faire de mélange entre les deux poudres, mélange qui pourrait s‟avérer explosif, comme peut l‟être un mélange de gens trop heureux avec des gens trop malheureux ici-bas. Je passe au second manipulateur, et j‟ouvre le second sachet, le plus foncé. Je verse le contenu dans une nouvelle coupelle, ça ressemble à du café soluble en poudre très fine. Bon, eh bien, nous n‟en saurons pas plus pour aujourd‟hui. Je lancerai un programme d‟analyse chromatographique demain, pour nous rassurer sur la nocivité éventuelle de ces deux produits. 443


— Attends, Pyco, fais-moi plaisir, et développe complètement le sachet d‟origine qui contenait les deux petits sachets de poudre. — Euh…crois-tu qu‟il y a une notice à l‟intérieur ? — Bah…je vais paraître idiote, mais j‟ai un pressentiment, et je ne résiste pas au désir de vérifier. — D‟accord, je retourne au premier manipulateur, voilà…et je saisis le sachet, ouvert pour le moment dans sa partie la plus étroite. Je glisse un doigt dedans, et j‟essaie d‟extraire la notice. Priez pour moi, car il y a peut-être un bébé dragon qui va me bouffer le doigt. Bon, effectivement, il y a comme une seconde enveloppe à l‟intérieur de la première, et j‟arrive petit à petit à la faire sortir, bien qu‟elle soit plaquée contre l‟enveloppe externe. La voilà, c‟est comme une feuille enroulée sur elle-même. Je la déroule, je la tends entre mes deux mains… regardons-la de plus près… Cette enveloppe interne est de la même nature que l‟enveloppe externe, elle mesure environ dix centimètres sur dix, et en regardant de plus près encore… je vois de nombreux petits trous, placés apparemment au hasard. Je prends une photo haute définition de cette feuille, je la place sur l‟écran situé à ma droite, je l‟agrandis…je la fais tourner d‟un quart de tour sur la droite, de nouveau, de nouveau…tiens, le hasard fait bien les choses, on dirait des dessins symboliques. Qu‟en penserait Rosalia, notre spécialiste des tablettes de l‟époque précolombienne ? Je lui envoie immédiatement et je la bipe pour qu‟elle nous réponde rapidement. Alors Claudine, remise de tes émotions ? — C‟est réservé aux femmes, ce genre de prémonition, c‟est pourquoi dans tout groupe d‟explorateurs ou de chercheurs, il faut respecter la règle de la parité dans la constitution de l‟équipe. — Pas seulement, ajoutai-je, il faut garder aussi une place pour une grand-mère, car ce sont celles qui sont le plus douées pour ce genre d‟exercice inexpliqué jusqu‟à présent : c‟est d‟ailleurs curieux que, pour nous, ça reste inexpliqué, puisque nous avons accès à tout, et sur tout sujet ! Tien, ça sonne, serait-ce déjà Rosalia ? 444


Oui, c‟est elle, et elle nous envoie sa traduction des symboles. Je lis pour vous…c‟est une ligne de petits dessins. En lisant de gauche à droite, il y a d‟abord le symbole d‟un homme debout, les bras ballants, puis un sachet plein de trous (j‟ interprète « un sachet noir »), puis un homme allongé, les bras croisés ; puis le même, mais placé plus haut sur la ligne que tous les autres symboles, puis le même, les bras croisés, de retour sur la ligne, puis un sachet vide (j‟ interprète « un sachet blanc ») ; puis un homme debout, les bras levés au ciel, puis un homme debout qui ouvre la bouche et tend les mains devant lui, vers la droite, puis plein de petits personnages qui sont debout, les bras levés au ciel. Voilà donc la notice d‟emploi de ces sachets. Il manque le dosage…à moins que le nombre de personnages indique le nombre de doses possibles avec un sachet déterminé. Ils sont treize, y compris le premier qui a parlé aux douze autres. Mais… c‟est mon histoire, ça ! on m‟a envoyé là-haut avec un « produit », puis je suis revenu grâce à un autre « produit », et je vous ai raconté et donné le moyen de savoir ce qui se passe là-haut. Qu‟en pensez-vous ? — Très juste réflexion, déclare Pyco, la similitude est frappante, ils ont dû découvrir un moyen d‟aller là-haut et de revenir avec de simples drogues, sans trépanation, si là-haut signifie dans la bulle. — Oui, il doit s‟agir de la bulle, car j‟imagine mal qu‟ils aient pu assurer la conservation du corps pour un voyage dans les limbes, sans parler de l‟incertitude de pouvoir revenir, puisque ça dépend des gardiens. Quoique, avec les glaciers à proximité, ça reste envisageable ! Il nous faudra localiser une de leurs expériences et suivre le personnage dans son voyage, pour vérifier l‟une ou l‟autre des deux hypothèses. — Probablement, ajoute Labo, toujours prêt à imaginer toutes les possibilités, mais il reste d‟autres hypothèses de type de voyage que nous n‟aurions pas encore réalisé nous-mêmes. Quelque chose de différent, par exemple un accès immédiat à la trame de l‟ETV, sans passer par le 22@Asnières et tout le toutim. 445


— Waow…Labo, tu nous mets l‟eau à la bouche ! Allez, dès demain, tu chercheras toi-même la vérité sur l‟ETV et les hitzus. Je vais vite mettre au coffre nos trois boîtes contenant nos six petits sachets, car il est hors de question de faire un test en aveugle. C‟est pire que la drogue la plus « dure », cette poudre, imaginez un peu ce que n‟importe qui peut chercher et découvrir sur l‟ETV si Labo a raison ! . Chacun se met au travail, et le 22@Asnières est rapidement débordé de requêtes. De mon côté, après consultation de Pyco, je contacte Svetlana et Nico sur l‟île de Nova, pour faire le point, les informer et leur donner quelques instructions sur les manipulations à réaliser, lorsque Diego les rejoindra. 1) Extraire toutes les graines des morceaux d‟ambre. 2) Les classer par catégories. 3) Sélectionner celles qui correspondent le mieux aux deux graines recherchées. 4) Faire une analyse complète du génome de ces graines. 5) Comparer avec les résultats d‟analyses génétiques des deux poudres, réalisées par Pyco. 6) Mettre en plantation dans les serres étanches de Nova, et adapter les conditions de température et d‟humidité des serres aux conditions environnementales du plateau des Hitzus. 7) Informer TOPLAB2 régulièrement de la pousse de ces plantes, chaque semaine. 8) Surveiller la parfaite étanchéité des serres, pour éviter une dissémination malencontreuse des graines.

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Les narcotrafiquants. Deux jours plus tard, Pyco nous donne les résultats de ses analyses chimiques et génétiques des deux poudres. Cela correspond bien aux suppositions évidentes faites préalablement. La poudre du bonheur est l‟antidote exact de la poudre du malheur. Cette dernière inhibe totalement la toute petite zone du cerveau où se trouvent les connexions avec le Portail. Elle agit comme notre interrupteur Wifi qui dérive les signaux allant vers la Portail, ce qui simule une petite mort temporaire, vue de la bulle. La poudre du bonheur a l‟effet inverse, et tout retourne à la normale. Dans ces conditions, la poudre peut valablement remplacer le commutateur Wifi, à condition que la personne soit sous surveillance permanente, pendant la durée du vol, de manière à injecter la poudre du bonheur à temps. Labo a vérifié de son côté cette hypothèse, en localisant une séquence pendant laquelle un chaman faisait une expérience, sous contrôle des deux gardiens de la caverne. Le chaman revenait sain et sauf, puis se précipitait pour rassembler ses congénères et mener une séance publique qui ressemblait à une cour de justice, car tout le monde levait les bras au ciel, sauf un personnage qui restait tout contrit, et qui était ensuite amené en prison, dans une toute petite grotte infecte. Saint Louis, sous son chêne, à Vincennes, ne disposait pas de ce pouvoir à son époque, mille trois cents ans plus tard. Et nos juges modernes non plus, malheureusement. Cette réflexion ne signifie pas qu‟il faille diffuser largement cette drogue, bien au contraire, car les risques collatéraux seraient plus grands encore que l‟avantage que la justice y trouverait initialement. Brutalement, un éclair de lucidité traverse mon esprit, et une urgence s‟impose à moi. Mais comment ai-je pu passer à côté de ça, pendant si longtemps ! 447


C’est fou, il faut absolument que je m’isole immédiatement avec Tera pour prendre une décision drastique qui la concerne au premier degré… Je tire discrètement Tera par la manche, je lui fais un signe avec mon doigt sur ma bouche, pour exiger le silence, et je l‟entraîne vers une petite pièce qui nous sert de réserve de matériel, pour l‟entretien des équipements électroniques. Nous nous asseyons discrètement après avoir refermé la porte, et elle me demande : — Mais que se passe-t-il donc, Ovni ? — Si tu savais comme je m‟en veux de découvrir seulement à l‟instant le risque que nous prenons dans l‟équipe. — Sois plus précis, s‟il te plaît ! — Si je te parle à part, c‟est qu‟il y a un problème dans l‟équipe, et que toi et moi devons le régler, car nous sommes plus directement impliqués. — Mais enfin, vas-tu déballer ton sac ? — Voilà, ça vient, lentement mais sûrement. Nous avons adjoint à l‟équipe trois personnes récemment, et ce fut une erreur monumentale. Je te rassure, Marina n‟est pas en cause, mais Diego et Rosalia le sont. — Comment ça ? Parce que ce sont des latinos, comme moi et Marina ? — Allons, Tera, tu sais bien que je ne suis pas capable de discrimination concernant les origines des personnes. Non, c‟est le fait que Diego et Rosalia sont de la même famille, et que je soupçonne, à tort ou à raison, que cette famille est éventuellement liée aux narcotrafiquants colombiens. À cause de la précipitation des évènements de ces dernières semaines, précipitation initiée par moi, puisque je n‟ai que trois mois de sursis avant de retourner là-haut, nous n‟avons pas du tout fait les vérifications indispensables, concernant cette grande famille, ses ressources et activités, ses liens, etc. Si l‟on découvre un lien quelconque avec les milieux du trafic des drogues dures, ça ne signifie pas automatiquement que Diego et 448


Rosalia en font partie, puisqu‟il semble qu‟ils ont été maintenus à l‟écart et qu‟on leur ait favorisé de très hautes études pour leur donner un avenir hors de soupçon. Ce qui m‟a fait un choc, c‟est quand j‟ai fait le rapprochement entre la requête sur ces plantes, demandée par Rosalia, requête innocente au départ, car ce n‟était qu‟une simple curiosité ethnologique, et qu‟on ne savait pas ce que nous allions trouver réellement, n'est-ce pas ? Mais maintenant que nous savons ce qui a été découvert, nous devons faire le rapprochement avec le trafic qui pourrait s‟établir aux dépens de la planète entière si ces informations filtraient. Ces poudres sont plus explosives, potentiellement, que toutes les armes mondiales réunies. — Ma tête va exploser, laisse-moi reprendre mes esprits… C‟est vrai, je suis impliquée, c‟est moi qui ai proposé Marina tout d‟abord, OK. Ensuite, ça s‟est enchaîné, d‟abord Diego qui draguait Marina, puis sa cousine Rosalia qui déboule…et, en plus, ces deux personnes ont des niveaux d‟études très intéressants pour ce que je voulais mettre en place. Et, en plus, Rosalia qui nous sort dont ne sait où une requête apparemment innocente…et tout qui s‟enchevêtre, s‟emballe, et nous voilà tous dans les Andes, sur le terrain, avec Aloa qui n‟a pas réagi non plus, prise dans la précipitation ambiante. Je suis la première fautive, je le reconnais humblement ! Que faire, maintenant, car je ne suppose même pas que l‟on puisse laisser les choses en l‟état, compte tenu des risques cachés, mais certains, que nous courons, à plus ou moins longue échéance. — Je t‟avoue que ce qui me gêne le plus, c‟est l‟impact que ça pourrait avoir sur Marina, qui se sentira, à tort, fautive, alors qu‟elle n‟y est pour rien. Elle sera choquée si nous prenions une décision radicale, mais elle comprendra, et tu sauras lui expliquer, puisqu‟elle est partiellement dans le secret concernant nos expériences passées. — Mais que faire vis-à-vis de Diego et Rosalia ?

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— Je ne vois qu‟une solution, c‟est l‟effacement de leur mémoire biologique et de leur bulle de tout ce qui concerne ces derniers jours, depuis l‟arrivée de Rosalia à Stanford. — Mais on ne sait pas faire ça, chirurgicalement, je veux dire ! — Non, et même moi, si je remonte là-haut, je n‟aurai pas le pouvoir de le faire. Par contre, Gabriel possède ces pouvoirs, et JusteBlanc l‟autorisera sûrement sur ma demande expresse. Si j‟essuyais un refus, je grimperais encore un cran dans la hiérarchie. — Mais à quel cran fais-tu allusion ? — Je vous le dirai quand je serai là-haut, ce n‟est pas la peine de donner de faux espoirs, car je ne suis sûr de rien. Je vais entrer en communication avec Gabriel, je te laisse le soin de prévenir le reste de TOPLA. Il faudra organiser un voyage de vacances avec nos trois jeunes dans la sierra, leur faire rencontrer et apprécier Pyco qui fera spécialement le voyage, et organiser l‟accident. — Quoi, un accident ? — Oui, un accident simulé, après les avoir endormis tous les trois. Pyco fera quelques points de suture à Marina, rien de bien important, dans le cuir chevelu, ça ne se verra même pas. Par contre, pendant leur coma, les mémoires de Diego et de Rosalia seront effacées depuis les limbes, et Pyco leur fera également quelques points de suture pour compléter la mise en scène. Quand ils se réveilleront, ils auront une amnésie inexplicable et durable, mais pas Marina que nous aurons prévenue à l‟avance des raisons de cette opération sécuritaire. Marina fera le ménage dans leurs affaires personnelles, en récupérant tout document qui pourrait rappeler la période cachée par l‟amnésie. En particulier, elle devra récupérer leurs passeports auparavant sous prétexte de les renouveler pour les rendre conformes au passeport international étudiant requis par Stanford. Aucune photo ou vidéo n‟ayant été pris au cours du voyage dans les Andes, seules les caméras des aéroports conserveront une trace, mais il n‟est pas utile d‟aller jusque-là. 450


— Tu m‟expliques tout ça comme si tu allais partir là-haut dans cinq minutes ! Est-ce le cas ? — Je pars ce soir, après avoir fait mes adieux au groupe et prévenu Gabriel de l‟opération, dont le résultat dépendra surtout de lui pour l‟effacement pérenne des mémoires de Diego et de Rosalia. Je demanderai à Labo de modifier un peu notre logiciel pour Stanford, de manière à ce que toute demande ayant Rosalia comme origine soit filtrée manuellement par lui ou Pyco. Rosalia continuera à travailler avec Marina, ce qui est une garantie supplémentaire pour éviter tout dérapage. Les seules traces physiques de la recherche dans les Andes seront quelques graines de plantes anciennes et inoffensives retrouvées dans les gouttes d‟ambre par Nico et qui lui seront expédiées depuis Nova. Toutes ses notes de travail préparatoire au voyage seront « ajustées » pour qu‟aucun élément bizarre ne subsiste. Les résultats de la recherche sur ETV lui seront inaccessibles, respectant ainsi l‟engagement du code de déontologie des travaux qu‟elle a signé à son entrée. Elle complétera son étude rapidement, et ce dossier sera classé comme tout le reste. Il ne lui restera que quelques graines qu‟elle fera prospérer amoureusement sur le balcon de Marina. Marina l‟affectera à des recherches linguistiques sur les anciens peuples d‟Amérique du Nord et les Inuits des périodes glaciaires pour l‟éloigner de la zone dangereuse. J‟écris tout ceci en même temps que je te le dis, ça te donnera un fil à suivre en cas de besoin. Eh bien, voilà, je vais maintenant demander à Labo de préparer mon cercueil préféré, bien réfrigéré, et nous allons fêter mon départ tous ensemble dans le salon, nos petits animaux y compris, car je vous aime tous tellement.

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La menace. Souvenons-nous de l‟épisode où le laboratoire-repaire de Lupo fut détruit, ensevelissant le gourou qui y élevait et éduquait des loups pour en faire des soldats disciplinés, prêts à mourir pendant les combats urbains de nuit. Son laboratoire est en cendres, et le mal ne viendra plus de là. Cependant, Lupo enterra ses secrets avec lui, et parmi ces secrets, il y en a un, et il est de taille. En effet, Lupo était le père de deux fils naturels, qui furent également éduqués dans les universités militaires des pays de l‟Europe de l‟Est : ils sont jumeaux et ont pour prénom Remus et Romulus, en hommage à la fameuse louve qui fut, selon la légende, à l‟origine de la création de Rome. Romulus travaillait dans les milieux médicaux et chirurgicaux militaires, comme il se doit, et il était devenu un spécialiste en neurobiologie à l‟âge de trente ans. Remus travaillait à la tête d‟une organisation paramilitaire secrète qui fournissait des gardes du corps dans de nombreuses ambassades de ces pays. Les deux enfants étaient maintenus informés de tout ce que Lupo développait dans son laboratoire souterrain. Lorsque Lupo embaucha Svetlana pour l‟envoyer espionner TOPLA à l‟ONU, il demanda à Remus de se faire embaucher par l‟ambassade à l‟ONU de l‟un de ces pays, ce qui fut très facile, compte tenu de leurs relations privilégiées avec les chefs d‟État. Remus devait surveiller tous les faits et gestes de Svetlana, et s‟en faire une amie, si possible, ce qui ne poserait pas de problème, car les deux jumeaux ne ressemblaient pas beaucoup à leur père. Lorsque Svetlana eut besoin de matériel radio pour espionner l‟émetteur Wifi d‟Aloa, il s‟arrangea pour devenir son fournisseur sur place et lui prêta le matériel. Remus avait accès par la valise diplomatique à tous les équipements militaires de pointe dans le domaine de la surveillance et du contrôle des personnes. 452


Comme tout le monde le connaissait pour son rôle officiel d‟agent de maintenance électricien de l‟ambassade, il pouvait aller librement dans certains étages où se trouvaient les suites des ambassades étrangères, et donc également à l‟étage où Aloa et Svetlana avaient leur propre suite. Il passait régulièrement dans tous ces couloirs poussant une sorte de caddie contenant tout un attirail d‟électricien/informaticien, et personne ne fit plus attention à lui, au bout de quelques jours. Il eut ainsi la possibilité de placer des microscopiques caméras dans le couloir et dans la suite d‟Aloa, pendant les heures où se déroulaient des séances plénières auxquelles tout le monde assistait. Il vit donc les allées et venues de Svetlana qui pénétrait nuitamment dans la chambre d‟Aloa, et ses caméras micro lui signalèrent le moindre détail, y compris le moment propice que Svetlana avait choisi, en deux occasions, pour aller dans cette chambre. Il fit automatiquement le lien avec le prêt de matériel radio qu‟il lui avait fait, et comprit tout rapidement. Il nota que Svetlana avait retourné partiellement le corps d‟Aloa pour regarder dans sa chevelure. La nuit suivante, il s‟introduisit lui-même dans la chambre d‟Aloa, et il installa autour de sa tête l‟une des dernières merveilles technologiques du monde militaire, un casque qui jouait le rôle d‟un scanner de cerveau miniaturisé. Aloa resta heureusement endormie, et en cinq minutes, Remus obtint un enregistrement complet et précis du cerveau d‟Aloa en trois dimensions. Lorsqu‟il dépouilla ultérieurement cet enregistrement, il localisa très finement l‟emplacement de la quadruple connexion neuronale avec la capsule wifi de surface. Il analysa également les signaux échangés entre le commutateur et la capsule crânienne wifi, signaux qu‟il décoda aisément avec le tout dernier algorithme de décryptage militaire. Au cours des jours suivants, il écouta à distance respectable toutes les conversations entre Aloa et Svetlana, grâce à une miniparabole placée dans son caddie et qui amplifiait les ondes sonores captées dans un faisceau conique très fin qu‟il dirigeait vers les interlocutrices. 453


Lorsqu‟il prévint son père Lupo du risque sérieux d‟être découvert, Lupo perdit beaucoup de temps, en tentant de transférer ailleurs son laboratoire auquel il tenait beaucoup, et il succomba sous les décombres, suite à l‟attaque organisée par les policiers locaux. Remus poursuivit cependant sa surveillance, informant désormais son frère Romulus qui avait pris le relais pour la famille, en Roumanie. Il apprit ainsi tout ce qui se tramait, et il découvrit donc le double jeu de Svetlana. Au moment où Svetlana dut partir s‟installer sur Nova avec Nico, il en savait autant qu‟eux. Il s‟en était même fait deux amis, mais Svetlana restait toujours sur la réserve au plan émotionnel, ce qui rendait les deux hommes transis d‟amour pour cette jeune beauté. Il en savait en fait plus qu‟eux, puisque l‟opération chirurgicale que pratiqua Nico sur Svetlana pour la libérer de son problème neuronal fut également enregistrée grâce à des caméras. Il fut cependant étonné par le fait que ni l‟un ni l‟autre ne semblèrent se souvenir de cette opération par la suite, ou en tout cas n‟en parlèrent plus jamais. Remus décida, avec l‟accord de son frère, de déplacer son activité de surveillance sur l‟île de Nova, car l‟Himalaya ne lui semblait pas être un bon choix, il était trop difficile de se fondre dans le paysage aux abords de la caverne de TOPLAB. Il profita d‟un des derniers bateaux usines de pêche à la langouste autorisés sur la zone de Nova pour se faire débarquer de nuit sur l‟île, moyennant monnaie, avec le matériel indispensable, et il s‟installa confortablement dans une galerie naturelle creusée sous une coulée de lave, longue d‟une centaine de mètres. Cette galerie résultait d‟une coulée de lave qui avait recouvert le creux du fossé naturel d‟un ruisseau intermittent, fossé, depuis, régulièrement remanié par les rares crues orageuses qui approfondissaient le lit sur tout son parcours sous la lave. Il avait ainsi l‟eau à disposition, et la nourriture grâce aux vaches sauvages dans la montagne du volcan éteint et aux œufs de manchots et de sternes, sans oublier quelques langoustes qu‟il chapardait de nuit dans les cages de conservation immergées en mer, à proximité du camp.

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Cette galerie étant située à quatre kilomètres du camp, il ne risquait pas d‟être découvert, car il n‟y avait pas de petits enfants chercheurs de trésors cachés sur cette île du bout du monde. À proximité de la parabole satellitaire du camp de Nova, il avait trouvé une petite faille dans laquelle il avait installé un enregistreur fréquencemètre qui recueillait tous les signaux échangés via le satellite entre l‟équipe Nova et TOPLAB, ceci dans les deux sens. Une paire de fils gainés dans un petit câble bien isolé reliait cet équipement à la tête émettrice et réceptrice de la parabole, dont il dérivait une faible partie des signaux, sans que cela puisse être détecté. L‟électricité lui était fournie de la même manière, par un branchement en parallèle sur les câbles de puissance à peine enterrés de la station. Il venait régulièrement de nuit pour transférer les données brutes sur son ordinateur portable, dont les batteries étaient chargées en permanence dans la petite cachette. Il exploitait les données brutes dans la journée, en décodant les flux d‟informations échangés. Lors de son voyage à bord du bateau-usine, il s‟était fait communiquer les informations nécessaires pour pouvoir se connecter en wimax avec le réseau du bord, et ainsi il pouvait communiquer avec son frère Romulus quand le bateau était dans les parages. Et, chose importante, le patron du bateau était ainsi joignable pour le récupérer sur sa demande, lorsqu‟il aurait terminé sa tâche. Il prit même le risque d‟installer de jour quelques caméras micro wifi dans toutes les pièces importantes de la base, en s‟introduisant par les trappes au sol qui donnaient accès au vide sanitaire du bâtiment. Ceci fut réalisé un jour de fête champêtre où tous les résidents de la base allèrent gaiement au sommet du volcan éteint, pour une grande ballade découverte en commun, genre « garden-party ». Bref, il avait tous les moyens pour espionner la petite base. Il resta sur l‟île quelques mois, se distrayant à regarder de loin avec des jumelles les couples de jeunes gens qui s‟égayaient parfois dans les petits bosquets de phylicas. Le soir, il regardait la 455


télévision sur Internet, ou tapait ses rapports d‟avancement à son frère. Il commençait à s‟ennuyer un peu, car rien d‟important ne se passait réellement, et même la vision de Svetlana endormie, seule, dans sa petite chambre finit par le lasser. Les choses sérieuses allaient bientôt survenir, mais quand ?

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La cueillette du fruit défendu. Les évènements semblent s‟accélérer dans la base, tout le monde s‟intéresse aux petites serres protégeant les plantations de la base, depuis que Diego est reparti pour Harvard. Remus a enregistré les échanges verbaux et Internet au sujet des deux types de plantes complémentaires, et il décide d‟en voler quelques pousses dans la serre étanche, pour les ramener en Roumanie. L‟opération se déroule sans heurt, et son prélèvement ne se verra pas, car il l‟a effectué dans un semis à la volée, où les graines n‟ont pas été comptées. Il demande son retour au bateau-usine, et deux mois plus tard, il s‟installe avec ses plants dans une vieille ferme abandonnée par sa famille depuis 20 ans. Cette ferme est située dans une vallée fermée des montagnes Carpates. Son frère et lui décident de laisser prospérer leurs plantations pendant deux ans, de manière à multiplier les plants et à être en mesure de tester leur efficacité. Romulus assurera le suivi à la ferme, et pendant ce temps, Remus se mettra en contact avec le chef des narcotrafiquants en tentant de devenir rapidement son adjoint en charge du développement, lui promettant monts et merveilles relativement à une nouvelle plante qu‟il a découverte, et qui fera passer la cocaïne pour de l‟eau de rose. Le marché est estimé à des centaines de milliards de dollars et comme il est toujours dans l‟attente de nouveautés, il ne va pas être déçu de celle-là. Romulus a par ailleurs commencé un projet complémentaire, celui de définir une molécule de synthèse qui aurait les mêmes caractéristiques que la plante cultivée. S‟il y parvenait rapidement, les premières livraisons pourraient être pratiquées dans la semaine qui suit, en vrac, non conditionnées. Remus pourrait alors effectuer préalablement un test à titre personnel, pour vérifier la qualité et l‟efficacité de la plante miracle, selon le dosage. Les vœux des deux frères sont exaucés rapidement, car Romulus sort les premiers échantillons validés de son laboratoire 457


en moins d‟un mois, à partir de l‟analyse génétique des premières feuilles des plants, qui avaient maintenant trois mois et étaient devenus de petits arbrisseaux. Remus revient alors de Colombie, et les deux frères s‟installent dans la vieille ferme, pour effectuer des essais gradués et progressifs. Les deux types de poudres sont préparés pour injection dans des ampoules stériles, et Romulus a pour rôle de surveiller l‟état de Remus, avec tout l‟équipement médical adapté à la circonstance. La première injection n‟a qu‟un effet mineur sur Remus qui se met à « planer » pendant quelques minutes, effet comparable à une dose assez forte de cocaïne. La seconde injection n‟apparaît pas nécessaire, mais elle a lieu cependant, pour respecter la procédure. Le second essai double la dose de chacune des deux poudres, Remus s‟endort cette fois-ci pendant quinze minutes, sans que ses caractéristiques physiologiques soient perturbées, vues de l‟extérieur. Il se réveille même seul, l‟air hagard, comme au sortir d‟un coma traumatique. Il déclare avoir « plané » dans un brouillard coloré, sans pouvoir reconnaître quoi que ce soit dans ce décor psychédélique mouvant lentement, et ces impressions durent encore trente minutes après son réveil, tout en s‟estompant lentement. La dose d‟antidote le ramène carrément dans un état qu‟il juge normal, sans séquelle apparente. Les courbes des enregistrements ne trahissent aucun changement dans les caractéristiques physiologiques, elles restent plates depuis le début, y compris pendant l‟endormissement. Apparemment, ce dosage correspond au dosage recommandable pour la commercialisation du produit, qui présente toutes les caractéristiques d‟un « drugs killer » global, comparé à toutes les autres drogues dures du moment. Les deux frères se congratulent mutuellement, certains d‟avoir réalisé le rêve ultime de tout bon trafiquant de drogue, devenir le détenteur/inventeur d‟un produit réalisable industriellement, et aisément de surcroît. Maintenant que l‟objectif est atteint, faut-il aller plus loin ? Romulus n‟est pas chaud, car il craint de perdre son frère, qui est le seul à avoir des contacts avec la mafia colombienne. Remus 458


est tenté, mais il déclare qu‟il fera cet essai dans quelques semaines, lorsque le contrat sera signé avec les distributeurs. Romulus annonce alors qu‟il va installer le labo de production dans la vieille ferme, et qu‟il s‟y installera à demeure, pour tenter d‟atteindre une production de dix kilos de poudre par jour, l‟équivalent d‟un million de doses, une fois conditionnées en ampoules injectables par le réseau de distribution. Revenu estimé, quinze milliards d‟euros annuels nets d‟impôts. Bien entendu, il ne faut pas espérer que cette manne dure plus d‟une année ou deux, car d‟autres laboratoires finiront par découvrir le secret de fabrication de la fameuse molécule, mais cela permettra à chacun des deux frères de couler une fin de vie paisible, si l‟on met de côté leurs éventuels problèmes de conscience. Il n‟est d‟ailleurs pas impossible que les états eux-mêmes décident de fabriquer ce produit et de le distribuer sous forme de médicament pour les personnes en fin de vie, mais alors le monde entier voudra ériger des statues à la gloire des deux inventeurs qui devront décider, si oui ou non, ils ont intérêt à se matérialiser devant les photographes des médias mondiaux.

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Alerte générale. Je suis maintenant prêt à m‟envoler pour l‟éternité, espérant cependant que l‟on m‟autorisera à communiquer avec ma grande famille élargie, ne serait-ce que pour m‟informer sur leur devenir.

Fin provisoire du Tome 3

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Bibliographie :

Premières rencontres internationales, Actes du Colloque Martigues 17 juin 2006 http://www.amazon.fr/gp/product/2952894000 Une énigme pour la science, Plaidoyer pour une étude scientifique des Expériences dites de Mort Imminente http://www.amazon.fr/gp/product/2912883571 Œuvres de Julhes Jean-Pierre, La Série du Portail. http://anticipation-jpj.fr/default.aspx

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OVNI, dit BRO

« Pour un auteur de science-fiction-anticipation, mon parcours est atypique. Tout d'abord, un lecteur adolescent, ébloui par les œuvres d'anticipation et de voyages de Jules Verne, l'un des plus grands Précurseurs en littérature de fiction. Un lecteur assidu, aux débuts des séries de science-fiction Fleuve Noir, dans les années 50-60, au début d'une carrière d'ingénieur dans le domaine de l'informatique industrielle et des automatismes. Une carrière classique TGV/Avion/Boulot/Dodo, rien de particulier à dire, sauf que la disponibilité et le temps libre n'étaient pas au rendez-vous. En matière d'écriture, rien de littéraire, des milliers de rapports en langue anglaise, écrits à la main, et d'aucun intérêt pour la postérité. Lorsque le temps libre arriva enfin, en même temps que l'ADSL, j'ai prospecté les domaines techniques qui m'avaient échappé dans nombre de sites universitaires, dans tous les pays, et je suis abonné à nombre de flux RSS pointus. Techniques biologiques, écologie, informatique de pointe, neurobiologie, cosmologie, théorie des cordes, trous noirs, bref, tout ce qui me semble être en mouvement, et capable d'alimenter ma réflexion littéraire naissante. 462


Je me classe dans le genre Précurseurs, un genre délicat puisque tous mes romans commencent au début des années 2000, avec le risque évident de paraître obsolètes dans dix ans, mais c'est le destin des Précurseurs, n'est-ce pas ?

Notes de l’auteur Ce troisième roman constitue une suite au second tome d‟une série qui pourra contenir neuf ouvrages complémentaires, chacun reprenant ce premier texte comme Introduction au nouveau roman complet, Introduction en italiques, conservant les sept personnages principaux avec leurs nouveaux « pouvoirs » d‟investigation et de communication. Les deux premiers romans sont intitulés : « Les Colombes du Portail » rédigé par Ovni, dit Bro « Un Portail plus loin » rédigé par Ovni, dit Bro Pour tout nouveau roman complet, le nouvel auteur privilégiera un choix parmi les neuf thèmes suivants que je propose pour essayer de toucher plusieurs sensibilités différentes de lecteurs. Si un nouveau roman complet d‟un nouvel auteur devait avoir une suite, elle serait la bienvenue.

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Liste non exhaustive de thèmes : — 1 un thème autour de la tentative d‟un visionnaire utilisant ses nouveaux pouvoirs pour devenir un prophète gourou, futur dictateur planétaire poursuivi par Topla. — 2 un thème policier autour de la vengeance féministe engagée par une femme visionnaire, utilisant ses nouveaux pouvoirs pour venger les femmes battues, violées, etc. dans le monde entier. — 3 un thème de généalogie ancienne permettant à un visionnaire de réhabiliter nombre d‟ancêtres injustement emprisonnés, haïs, etc. — 4 un thème policier autour de l‟action d‟un justicier visionnaire, remettant de l‟ordre sauvagement, mais pourchassé par une police très active. — 5 un thème animalier autour de la recherche d‟un visionnaire qui va s‟immiscer dans le monde animal. — 6 un thème autour de la recherche d‟un visionnaire qui va s‟immiscer dans le monde végétal. — 7 un thème autour de la recherche du point Big Bang de la création de l‟Univers. — 8 un thème autour de la recherche d‟autres planètes hébergeant des êtres vivants et leur découverte. — 9 un thème genre StarWars. L‟ensemble des neuf thèmes est ouvert aux auteurs qui souhaiteraient développer un thème de leur choix, ou un nouveau thème à définir. Une prise de contact avec Ovni, dit Bro, sera nécessaire pour définir le projet thématique et les droits afférents à chacun. L‟ensemble du présent texte a été déposé à la Société des Gens de Lettres françaises pour fixer l‟antériorité.

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