Journal Officiel des Banlieues#4

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portrait

Pamela Diop “ Bref, je crois que je suis… ” Paméla Diop pourrait bien être une figure qui monte, qui monte, même dans un monde où le plafond de verre revêt des formes toujours plus sophistiquées. La jeune femme et son mari ont créé en 2012 un énorme buzz sur Internet avec une parodie fendarde de « Bref », la pastille qui cartonnait naguère sur Canal+. Intitulé « Bref, je crois que je suis raciste », le film, réalisé avec zéro moyens mais par la grâce de l’incroyable fraîcheur d’une bande d’amis, comptabilise plus de 1 570 000 vues aujourd’hui. Et témoigne de la vision totalement décomplexée du business ou des questions identitaires… bref, elle exprimait la manière d’être de la jeunesse multiculturelle française qui monte, qui monte, on vous le dit.

Bref, enfin un peu d’auto-dérision

31 ans, 2 sociétés, 2 enfants

« Je suis née à Cannes, j’ai grandi à Nice, vécu à Bordeaux, et puis à Dakar. Jusqu’en 2008. Cette mobilité m’a donné une ouverture sur les autres ». Un état d’esprit qu’elle s’est attachée à restituer dans la production phare qui lui a mis le pied à l’étrier. La jeune productrice et son époux, Ibrahim Koudié, ancien basketteur converti à la vidéo à l’occasion de leur séjour commun au Sénégal, et qui signe la réalisation, ont réuni un casting hétéroclite pour réaliser un petit bijou auto-parodique : l’acteur haïtien Jimmy Jean-Louis (de la série à succès Heroes), la chroniqueuse radio Enora Malagré, le très jeune humoriste Stéphane Bak, Abdel Alaoui, cuisinier et chroniqueur gastronomique sur Canal +, ou encore Fred Royer, journaliste et présentateur des Gérard du cinéma… Bref la fine fleur d’une culture vidéo simple et funky. A partir d’un texte jubilatoire écrit à six mains, en une nuit, sur un coin de table dans leur appartement de La Garenne-Colombes (92), et laissant une large place aux qualités d’improvisation de leurs acteurs. Un projet qui est l’acte fondateur de leur toute nouvelle société de production « + l’infini ».

Mais la jeune femme n’en est pas à son coup d’essai. Elle est déjà gérante d’une société d’export-import basée au Sénégal. « Autour de l’artisanat », glisse-t-elle : « Ma mère travaillait dans le marketing. Elle achetait des produits d’artisanat locaux. Pendant six mois, je suis allée voir les artisans, dans le cuir et tout ce qu’il y avait autour. Tannerie, bois, peinture sur sable… Le fait d’être français, les gens se disent qu’on peut te faire confiance, que tu as des compétences, mais aussi que tu as de l’argent, et donc qu’on peut te faire payer plus cher. » Elle démarre avec 150 euros, ne gagne rien pendant quelques mois. « On peut s’inventer des métiers, là-bas, personne ne vérifiera. Il n’y a pas le côté institutionnel. Tout est une question de réseau. Ce n’est pas très différent d’ici, à ce niveau. Les grosses entreprises qui réussissent sont aussi liées à l’Etat, elles obtiennent des marchés de manière plus ou moins magique, mais là-bas, ça se voit plus ! » Petit à petit l’oiseau français fait son nid au pays des flamants, et devient donc grossiste… en exportant l’artisanat sénégalais vers la France, et même l’Inde.

Le Sénégal, incubateur d’entreprises ?

De mère française et de père sénégalais, Paméla finit par s’implanter à Dakar pendant 7 ans, alors qu’elle ne comptait y rester que quelques semaines. Elle a alors 21 ans. Tout a commencé un été : « J’avais deux mois de congés payés. J’ai décidé de partir loin. J’ai hésité entre l’Australie et le Sénégal. Puis j’ai eu envie de découvrir le pays de mon père, je ne connaissais pas l’Afrique ». Les premiers temps, elle se la coule douce. « C’était le paradis. Il faisait chaud. On mangeait le poisson tout juste pêché. C’était une sorte de Friends à la plage. J’avais une vision ancienne de l’Afrique, une Afrique pauvre, malade. Alors que j’y ai rencontré beaucoup plus de riches, même jeunes, qui achètent leur Mercedès à trente mille euros comptant ! J’ai pris une claque en arrivant là-bas. Je suis arrivée dans un pays où tout est faisable, où les gens sont débrouillards. Tu veux faire un café ? Tu peux ! Il n’y a pas de pétrole ou de cacao, c’est donc un pays d’entrepreneurs, une espèce de mentalité à l’américaine, qui aime beaucoup la nouveauté. Ce sont des gens qui voyagent beaucoup, qui vont à Dubaï, il y a des réseaux internationaux incroyables. Il y a beaucoup d’émulation. Les gens ne te parlent que de business. Ceux qui travaillaient avec moi avaient aussi une activité parallèle, tisser des tresses, enfiler des perles... Il y a parfois un faible rendement, mais ils sont très courageux. Tout va vite. Même s’il y a aussi d’énormes disparités, c’est vrai. Et pour se développer, c’est compliqué : les gens achètent à crédit, il faut vendre au détail, c’est un commerce façon Tupperware. » Reste que Paméla et son mari on bien rencontré un Sénégal incubateur de projets susceptibles de s’implanter ensuite en France… bien loin donc des clichés misérabilistes de l’Afrique vue de la télé française !

Ceux qui font la télé et ceux qui la regardent

A l’écouter, rien dans son adolescence ne permettait pourtant de déceler un potentiel d’entrepreneuse : « J’étais assez absente, je faisais souvent l’école buissonnière ! » Elle est donc aiguillée vers un BEP comptabilité ; une orientation qui la pique au vif et lui donne le déclic attendu par ses professeurs. Bac STT gestion, puis BTS Compta, travail de nuit dans un internat… Une structure solide. Aujourd’hui encore, Paméla vit de son entreprise d’artisanat sénégalais/indien et son mari dans le truquage vidéo. « C’est une force, cela nous permet de ne pas être dans l’urgence vis-à-vis de notre boîte de production et de travailler sur des projets qui nous plaisent vraiment, qui nous ressemblent ». Reste une ambition : « Faire que la télé appartienne à tous. Sur les plateaux, ils sont dix, toujours les mêmes, ils parlent du Smic sans jamais inviter de Smicards ! Aujourd’hui il y a une classe qui fait la télévision et une qui la regarde ! »

© Ibrahim Koudié

Mariée, mère de deux enfants, elle cumule ses différentes casquettes avec aisance. Elle s’occupait notamment des relations publiques de la journaliste-chroniqueuse Rokhaya Diallo et d’Awa Ly, une chanteuse française. Une Black Fashion Week, est en train de se monter de même qu’un festival du film Noir à Paris le « Paris Black Film Festival », « africain, européen, américain… », avec une vision large de ce qu’est « être Noir », donc. « Nous avons envie de montrer une image plus réaliste des Noirs de France, c’est pour ça que nous avions à cœur de réaliser notre propre clip de la chanson « Niggas in Paris » [Kanye West et Jay-Z, à la base, ndlr] parce que… c’est nous ! Il y a Django mais aussi bien d’autres ». Il y a bien une « musique Noire, avec aussi bien Ella Fitzerald que Amy Winehouse, pourquoi est-ce qu’il n’y aurait pas un cinéma Noir ? Mais on ne sera pas dans l’underground. Il faudra que ce soit glamour. Et il y a un marché ! Il faut juste l’aider à se structurer. » A ceux à qui ça ne plaît pas, Pamela Diop dit juste : « passez votre chemin nous y arriverons sans vous ! »

Erwan Ruty avec la contribution de Nadia Hathroubi-Safsaf 32


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