Journal Officiel des Banlieues#3

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Journal officiel des

Banlieues Février 2013 - 4 euros

N°3

Dossier

avoir 20 ans

dans les banlieues Stéphane Troussel : “ L’avenir de la République se joue en Seine-Saint-Denis ”

René Vautier • Banlieues vertes • Amiens Guyane • Battle au Blanc-Mesnil • Une “ Fondation quartiers ” ?


Sommaire 12

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Kit de survie pour les associations

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Jules Ferry

Dossier Avoir 20 ans dans les quartiers

04 . Culture

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07 . Mémoire

34 . Médias de quartiers

05 . Écologie

28 Portrait Zouina Meddour

. Entretien avec Stéphane Troussel

33 . Appel pour une Fondation quartiers

08 . En mode RER Photo de couverture : Willy Vainqueur

D’où venons-nous ? Journal officiel des banlieues n’est pas né en 2012. Il est le fruit de l’expérience d’une équipe plurielle, engagée dans une presse d’un nouveau genre, qui existe pour exprimer ce que les médias traditionnels ne veulent pas entendre : le récit de l’émergence d’une France nouvelle qui se bat pour être reconnue à part entière. Qui sommes-nous ? Ce média fait le pari d’une presse qui ne prête aucune allégeance à l’endogamie délétère des rédactions françaises, et revendique d’être produite par des journalistes issus de banlieue ou y travaillant depuis plus de dix ans. Que voulons-nous ? Produire les discours et récits qui nous permettront de ne pas nous enfermer dans des ghettos réels ou imaginaires ; sortir des marges de la société française pour en transformer le cœur. La rédaction Journal officiel des banlieues est édité par Presse & Cité, association loi de 1901, qui a pour objectif de réduire la fracture médiatique entre les banlieues et l’ensemble de la société française. Presse & Cité est une communauté d’une vingtaine de médias implantés dans les quartiers populaires. Elle défend ces médias et les habitants des quartiers auprès de la presse et des institutions, dans une logique d’intérêt général, et afin de changer le regard porté sur ces quartiers et populations. Presse & Cité organise chaque année des rencontres Médias-Banlieues et Université de la communication et des Banlieues. Presse & Cité est à la fois un média et un acteur social dont la vocation est de relier, dans un objectif de lien social, de participation démocratique et d’émancipation.

Flash code

Directeur de la publication : Farid Mebarki • Rédacteur en chef : Erwan Ruty • Rédaction : Erwan Ruty, Charly Célinain, Chloé Juhel, Nadia Henni-Moulaï, Dounia Ben Mohamed, Max Lebon, Meriem Laribi, Fatima Aït Bounoua, Mérième Alaoui, Natacha Maltaverne, Dolpi, Tifenne Hamonic, Karim Madani, Salim Ardaoui, Cyril Pocréaux • Infographie pages 18, 19 : JC Besson / Stigmates (avec Carmen Firan, Méva Raharisaina, Charly Célinain, Erwan Ruty) • DA : CE, ER • Maquette : Charles Eloidin • Administration : Carmen Firan • Chargée de développement : Méva Raharisaina • Imprimé par : Imprimerie 34 (Toulouse ) Siège commercial : Presse & Cité 25, rue du Chateau Landon 75010 Paris • Tél : 01 42 05 53 02 Site internet : www.presseetcite.info • E.mail : developpement@presseetcite.info • Numéro de commission paritaire : En cours

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Presse & Cité

Le Journal Officiel des Banlieues 3 tient à remercier l’AFEV pour les textes de la


Edito rubrique

Wafaa El Yazid

Participer et après? L’agenda 2013 va probablement inscrire la Marche pour l’égalité et contre le racisme dans la mémoire officielle de la République. Tous sont dans les starting blocks ; marcheurs qui n’ont pas fini de marcher, associations, historiens et peut-être officiels. Pour la première fois, le gouvernement réfléchit à la reconnaissance d’un évènement dont la mémoire reste éminemment conflictuelle… sans pour autant convaincre dans sa refonte de la politique de la ville. La marche, si elle a en 1983 constitué l’irruption de la jeunesse des banlieues dans le débat public avec son cortège de remises en cause, d’élans fraternels et de prises de conscience, reste aussi un héritage problématique tant les dynamiques et les combats qu’elle charriait demeurent aujourd’hui d’actualité. Le droit de vote des immigrés, les contrôles de police au faciès et ces quartiers où 36% de la population vit avec des revenus en deçà du seuil de pauvreté et où parfois 40% de jeunes s’abîment dans une vie dictée par le chômage, soulignent que 1983 était un début et non un achèvement.

Deux marches qui se croisent

Hasard des agendas, la mémoire de la marche va certainement percuter une autre marche. Celle du redéploiement à moindres coûts, de la mutualisation avec le droit commun, du ciblage et des nécessaires restructurations, en matière de politique de la ville. C’est dans la douleur née du redressement des déficits publics que le gouvernement remet en chantier la cette politique, en bousculant les fragiles repères que la RGPP n’avait pas encore mis à bas. Un pari risqué dans un contexte social saturé d’urgences. Cette autre marche justifiant un périmètre d’intervention resserré, une plus grande responsabilité des crédits de droit commun, des leviers de péréquation entre collectivités, et une plus grande participation des habitants.

Participation incantatoire ?

S’il est louable d’inciter à plus de considération de la parole des habitants dans la conduite des politiques publiques, il serait illusoire de la solliciter dans un contexte où les moyens, les cadres et les leviers de la politique de la ville accusent un net reflux. Les besoins et les envies de participer et d’être écoutés appellent à la définition d’objectifs partagés, à l’émergence de temps et d’espaces dédiés au dialogue et à la confrontation, à la mobilisation d’élus, d’administrations, de professionnels et inévitablement à des moyens. Sans ces engagements, la participation des habitants pourrait se résumer à une incantation ; à un contre-feu malhabile pour masquer les baisses de crédits.

Irruption des habitants

La marche de 1983 vient nous rappeler que la participation des habitants ne peut se contenir dans une technique qui viendrait agrémenter le cahier des charges des politiques publiques. Le parcours des marcheurs et de leurs émules, souligne que l’empowerment n’est pas uniquement la compilation de savoirs méthodologiques qu’il suffirait de porter à la connaissance des acteurs locaux. La participation des habitants est d’abord engagements et volontés de transformation dont l’expression n’a pas toujours suivi les cadres normés de la démocratie représentative. L’histoire de la participation des habitants reste irruption et effraction dans le débat public, car trop longtemps tenue à distance. Le reconnaître sans lui accorder de réels moyens pour la prendre en compte et l’imposer, serait bien pire que de l’ignorer. Farid MEBARKI Président de Presse & Cité

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CULTURE

Bataille mythique de duos

au Blanc-Mesnil

Toujours plus loin, toujours plus haut ! La 6ème édition du “ Battle Duo mythique ” a attiré une fois de plus les fans de danse “ All styles ” au mois de novembre dernier, au Blanc-Mesnil. Tous styles confondus, mais une constante : le duo, qui favorise la complémentarité entre danseurs. Texte et photos Yannis Tsikalakis

Block Party en intérieur

L’atmosphère chaleureuse à l’intérieur de la salle polyvalente du Deux-Pièces Cuisine, contraste avec l’ambiance déserte de l’avenue Paul Vaillant Couturier du Blanc-Mesnil, un peut trop calme pour mettre “ la fièvre du samedi soir ”. “ Une Twingo bleue et une Opel Zafira bloquent l’entrée. Ca existe encore les Twingo ? ” entonne au micro Rajdi, ancien d’Aktuel force et spécialiste francilien de l’animation de battles, fidèle à sa gouaille vanneuse.

Les règles c’est les règles

Ici on ne badine pas avec les règles : 2 passages éclairs de 45 secondes par groupe et un choix aléatoire entre deux catégories : “ Break” et “ Hip hop ”, pour la musique, qui peut aller du rap oldschool à la house en passant par la funk et le breakbeat. Avec un triple collège de votants : le public, les autres danseurs et l’arbitrage final d’un danseur confirmé : Ange, aka “ El Funky Juice ”, en l’occurrence. “ Le concept est une compétition entre duos tous styles confondus. Ce qui compte, en plus de la technique, c’est la complicité entre les danseurs. L’autre

particularité du concept est que le public participe activement au jury avec les autres danseurs et le garde-fou ”, explique l’organisateur Mehdi Slimani, danseur depuis 1995, artiste multicasquette et chorégraphe au sein de la Compagnie No Mad.

Diversité et bonne ambiance

Au fil des affrontements du premier tour, on est frappé par la diversité de la compét’. Diversité homme-femme, diversité dans les styles de danse, du Break au Krump en passant par la House dance et toutes les variantes de danse debout, mais aussi diversité des styles vestimentaires, qui varient entre le style dreadlocks camouflage, le style b-boy à l’ancienne ou encore les jeans slim et le look décalé de hipster new yorkais. Dans l’assistance on retrouve, bien sûr, le reste des crews régionaux qui ont dû se contraindre à désigner deux représentants, beaucoup de candidats à la relève parmi les plus jeunes et quelques darons qui ont l’air agréablement surpris de la créativité de leur progéni-

ture. Les transitions entre deux joutes et les séances de vote se font dans la déconnade savamment orchestrée par Rajdi, qui ne manque pas de titiller les participants sur leurs origines : “ C’est quoi Ton blaze ? Karambar ? avec un w ? ”, lance-t-il au danseur locksé et… blasé. Mais les rires de la salle l’emportent sur ce regard qui signifie “ t’es lourd ”.

And the winner is…

En finale, le match est serré. D’un côté, les Real Underground et leur Krump survitaminé tout en convulsions et saccades, de l’autre, le style technique et polyvalent des Badness crew. Le verdict du public se joue dans un mouchoir de poche. Ca sera à Ange, le “ garde-fou ” de la soirée de trancher : “ Les Badness ont plus mélangé les styles, ils avaient plus de variantes. Real Underground j’ai bien aimé, mais ils sont restés un peu sectaires dans leur truc de Krump. ” Le fait que le Krump, ce style de L.A arrivé plus récemment en France que son cousin le Break, aille malgré tout jusqu’en finale, montre bien la vitalité du mouvement Hip hop et sa capacité à se renouveler.

“ Le Street Art, c’est la poésie de la ville ” Fin novembre, le street art prenait ses quartiers là où on ne l’attendait pas forcément, le Musée de La Poste. Le public pourra découvrir les créations d’artistes français et internationaux dont c215, qui a répondu à nos questions. L’exposition “ Au-delà du street art ” propose de découvrir l’évolution de cet art apparu en France dans les années 60. Présentant des travaux des pionniers (Ernest Pignon-Ernest et Gérard Zlotykamien), d’artistes précurseurs (Jef Aerosol, Blek Le Rat) mais faisant surtout une large place aux artistes actuels (Obey/USA, Banksy/Angleterre, Dran/France...), cette exposition se révèle très variée tant dans les styles présentés que dans les techniques utilisées par chaque artiste. L’artiste français Christian Guémy, plus connu sous le pseudo de c215, dont les portraits au pochoir sont placardés sur les murs du monde entier, a partagé avec nous sa vision du street art .

Pochoirs de C215 Lire l’entretien avec C215 sur : www.presseetcite.info/d001

Charly Célinain 4


écologie

Tunnel à Villebon ( avec l’aimable autorisation de la Maison des banlieues et de l’architecture )

La vraie nature de la banlieue

Non, la banlieue n’est pas juste un environnement grisâtre dominé par des barres insalubres. L’exposition “ La vraie nature de la banlieue. Exemples essonniens ” montée par la Maison de Banlieue et de l’Architecture (MdBA) d’Athis-Mons, nous le montre parfaitement. Nous connaissions sa diversité démographique, la banlieue connaît également une grande diversité des espaces naturels. “ C’est une exposition qui va à l’encontre de certaines idées reçues. On aime bien ça, à la Maison de Banlieue. Notamment sur le fait qu’il n’y aurait pas de nature ici, en banlieue parisienne ”, nous explique d’emblée Marie Lemoine, chargée de communication et de médiation de la MdBA. En allant à Athis-Mons, ville vallonnée où se trouve la MdBA, il est aisément vérifiable que cette idée reçue est erronée. “ Même si la banlieue a détruit des écosystèmes en se développant, elle en a aussi fabriqué un certain nombre. ” C’est exactement ce que le visiteur peut découvrir tout au long de l’exposition qui revient, de manière chronologique, sur l’urbanisation de la banlieue depuis le Moyen-âge. De cette époque jusqu’à la fin du 19ème siècle, la nature était domestiquée pour nourrir Paris. Mais tout va changer avec la révolution industrielle.

Début de l’urbanisation

Avec la révolution industrielle, le visage de la banlieue va changer petit à petit. Les activités industrielles vont même co-habiter pendant un moment avec les activités rurales, agricoles. La banlieue va même devenir un endroit très couru : “ Ce cadre très champêtre va attirer de nombreux parisiens. Dans les années 30, c’est la marée pavillonnaire. De plus, les provinciaux aussi viennent s’installer

près de Paris. Ils vont essayer d’y recréer un petit morceau de campagne”, nous précise Marie Lemoine. Une maquette comparant un pavillon de banlieue en 1907 et en 2007 est très parlante. En 1907, le pavillon n’était pas très grand, le jardin potager servait à nourrir la famille et on trouvait des enclos avec des lapins des volailles... En 2007, le pavillon s’est agrandi, le jardin est devenu un jardin d’agrément, les lapins et volailles ont disparu, certainement bien emballés et présentés au rayon frais de l’hypermarché voisin...

L’apport des paysagistes

En 1948, dans la France d’après-guerre, le paysagiste Albert Audias contribue à l’aménagement de la “ Cité de l’air ” à Athis-Mons. Construite sur le modèle des banlieues pavillonnaires américaines, elle était destinée aux employés d’Air France. “ Ici, beaucoup de gens pensent que ce sont les américains qui ont construit ce quartier ! ” s’amuse la chargée de communication de la Maison de Banlieue. Par la suite, les paysagistes ont beaucoup travaillé avec les architectes sur la conception des quartiers. L’architecte Emile Aillaud a développé toute une réflexion sur l’épanouissement de l’enfant, dans sa conception de la Grande Borne à Grigny (196771). Ou encore Michel Andrault et Pierre Parrat, qui dotent chaque

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terrasse de chaque logement d’un jardin, dans le quartier des Pyramides à Evry (à partir de 1971).

“Zones naturelles urbaines”

Les années 90 sont marquées, elles, par une prise de conscience de la situation écologique de la planète. En 1992, le sommet de la Terre à Rio de Janeiro, adopte un plan d’action pour le XIXème siècle, l’agenda 21. Athis-Mons est une des premières communes de France à se doter d’un agenda 21, avec des recommandations sur la gestion des espaces verts, des ressources en eau, sur la pollution... Le conseil général de l’Essonne y protège même des zones “ naturelles ” urbaines : “ Le Coteau des vignes, anciens vignobles transformés en petits jardins ouvriers, a fait l’objet d’un projet d’immeuble. Mais le temps que le promoteur rachète tous les petits jardins, la nature a repris ses droits, et donc on a un bois assez sauvage en plein milieu de la ville. La tulipe sauvage, qui est une espèce très rare, y pousse. Donc, ça a été classé en espèce naturelle sensible ”, précise Marie Lemoine.

Charly Célinain Lire la suite sur : www.presseetcite.info/d002

Grigny, espace vert de la Grande borne ( avec l’aimable autorisation de la Maison des banlieues et de l’architecture )


kit de survie

Comment le réseaux sociaux

peuvent-ils aider les associations ?

Maison du peuple Guy Môquet, à La Courneuve. Les 8 et 9 octobre derniers, Presse & Cité tenait sa seconde “ Université des banlieues et de la communication ”. En présence de quelques cadors des nouvelles technologies, des réseaux sociaux, du web, des blogs et des communautés virtuelles ou réelles, comme Pierre Haski (directeur de Rue89), Lamine Djaziri (directeur de Fansfoot), Bally Bagayoko (conseiller général de Seine-Saint-Denis en charge des NTIC), Nordine Nabili (directeur du Bondy blog), Benjamin des Gachons (directeur de change.org) et, last but not least, Maze Jackson, community organizer à Chicago. Une seule question : comment le virtuel peut-il doper le réel, en terme d’organisation des communautés et associations, en banlieue en particulier ? Dounia Ben Mohamed, Nadia Henni-Moulaï et ER - Photos : Anglade Amédée

L’enjeu : “ Ecrire sa propre histoire médiatique ” Premier précepte prodigué : créer une communauté, ou “ identifier et circonscrire les groupes, pour mieux répondre à leurs besoins ”, glisse Maze Jackson, qui sait de quoi il parle, puisqu’il fut le chargé de communication du rappeur Jay-Z pendant une décennie. Ensuite, “ à vous de trouver un intérêt commun à défendre à travers les médias sociaux. Si c’est drôle et interactif, tu passes un message. ” Troisième précepte ? Identifier les leaders. “ J’ai passé une année dans un quartier ; les 6 premiers mois, j’observais, j’identifiais les meneurs. C’est un travail lent, mais il ne faut pas être pressé. Jalonnez votre parcours de petits objectifs avant d’espérer d’emporter l’adhésion collective. ” Mais “ Comment être sûr de la mobilisation des gens ”, s’enquiert une responsable associative ? “ Les médias sociaux sont un outil parmi d’autres dans une boîte à outils. Vous devez être sûr que les gens vous reconnaissent, mais surtout que vous nourrissez des intérêts communs. ”

“ Un réseau social, c’est d’abord social, pas technique ! ” Indirectement, Lamine Djaziri lui répondra, à un jour de distance : “ Avant de monter un réseau social, il faut construire sa légitimité. ” Et pour ce faire, lui-même a commencé par créer un blog dédié aux fans et tribunes de foot : “ J’y publiais des articles ou des post sur les groupes de supporters à travers le monde. Ce qui marche très bien, ce sont les interviews. Surtout avec des people ! ” Mais surtout, “ un réseau social, c’est d’abord social, pas technique ! Pas besoin d’être un pro de la technique ! ” Des sites comme Wordpress vous mâchent le travail, prévient l’initiateur de Fansfoot : “ L’essentiel c’est de trouver votre niche. L’aspect technique, c’est le dernier point. Google +, c’est magnifique, pour nous c’est un concurrent plus beau, plus technologique, plus riche… tout. Mais en deux mois et demi, on les a fumés en terme de followers ! ”

Les blogs ne résolvent pas les problèmes sociaux Mais il ne faut pas confondre réel et virtuel : “ La storytelling du Bondy blog est réelle, raconte Nordine Nabili. Le BB est né dans un très mauvais moment social. Dans son ADN, il y a la mort de Zyed et Bouna ” à Clichy-sousbois. A contrario, il cite l’exemple d’Amiens : “ On y a coupé les têtes de réseau associatif depuis des années. Et aujourd’hui, le maire d’Amiens nous contacte pour nous proposer de créer un BB dans sa ville, comme si c’était cela qui allait régler les problèmes sociaux ! Le Bondy Blog est perçu comme ça. On ne veut pas être les singes d’une société qui va mal. La notoriété du BB prend sa source dans la culpabilité de la presse française qui, de temps en temps, ouvre la fenêtre et regarde ce qu’il y a en bas. ” Si le web a pu porter l’aventure, il n’en est pas la source : “ Au départ, il y a une revendication sociale. Une jeunesse de France qui avait envie de s’exprimer. Ce ne sont pas les Technologies de l’Information et de la Communication qui créent cela. Mais si vous vous avez une association de quartier, un blog est un moyen de la faire émerger. ” Reste que, en France et hors de France, la plupart des gens qui dorénavant connaissent la ville de Bondy le connaissent grâce au Bondy blog, un véritable label, et un héraut pour une petite ville de banlieue… Mais cet exercice a des limites : “ 90% de mes followers sur Twitter sont des journalistes ”, tempère Nordine Nabili. “ Qui peut produire des slogans en 140 signes ? Les partis politiques, le marketing. ” Et ils n’ont par leur pareil pour inonder les réseaux sociaux de leurs messages. Ultime mise en garde sur la saturation médiatique, qui a ses effets pervers, Nordine Nabili rappelle : “ Le patron de Fiat disait : Ouvrez les archives de nos usines aux grévistes! Plus vous informez les gens, plus vous les désinformez ! ”… en les débordant d’informations. Produire et diffuser de l’information est une chose. La traiter en est une autre…

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De gauche à droite : Lamine Djaziri, Ladji Réal, Nordine Nabili

Maze Jackson


mémoire

Le mouvement

des sans-papiers

United colors of lois Pasqua Jeunes écolos alternatifs solidaires / Génériques

D

ans un contexte de crise économique, la fin des années 1970 ouvre la voie des politiques voulant “ maîtriser ” les flux migratoires. En 1980, la loi Bonnet fait de l’entrée ou du séjour irrégulier un motif d’expulsion. Abrogée pour un temps après l’arrivée au pouvoir de la gauche en 1981, elle est restaurée par le gouvernement Chirac en 1986. Ainsi la loi Pasqua rétablit le régime de l’expulsion tel qu’il existait antérieurement, tout en restreignant la liste des étrangers qui obtiennent de plein droit une carte de résident et celle des étrangers protégés contre les mesures d’éloignement du territoire. La seconde loi dite Pasqua de 1993 durcit encore les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. En 1996, des occupations d’églises et de lieux publics par des étrangers en situation irrégulière donnent naissance au “ mouvement des sans-papiers ” qui appelle à leur régularisation. Le 18 mars, environ trois cents personnes, majoritairement africaines, occupent l’église Saint-Ambroise à Paris. En raison des risques sanitaires, le curé demande l’évacuation des lieux qui est faite par les forces de l’ordre le 22 mars. Ces personnes, et les associations et collectifs qui les soutiennent, décident alors d’occuper l’église Saint-Bernard à partir 28 juin. Le 23 août, les forces de l’ordre évacuent de force les occupants de l’église Saint-Bernard après avoir défoncé la porte à la hache : 228 personnes sont interpellées et la plupart des “ sans-papiers ” sont conduits au centre de rétention de Vincennes. Le mouvement, très médiatisé, est soutenu par plusieurs collectifs et 5 000 personnes défilent à Paris le 28 septembre en soutien aux “ sans papiers ”. Toutefois, dès novembre 1996, le gouvernement Juppé annonce le projet de loi Debré, portant diverses dispositions relatives à l’immigration ; la loi est promulguée en avril 1997. Durcissant encore la législation en vigueur, cette loi suscite à nouveau de fortes réactions parmi les défenseurs des droits de l’Homme. Après l’élection d’une nouvelle majorité au printemps 1997, le nouveau gouvernement de Lionel Jospin lance un processus de régularisation d’étrangers en situation irrégulière : la circulaire Chevènement régularise ainsi 80 000 sans-papiers.

Tifenne Hamonic / Génériques NB : L ‘association Génériques a traité le fonds d’archives du Troisième collectif de sans-papiers créé en août 1996.

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B

DOSSIER

En mode

RER…

Entre les banlieues pavillonnaires du sud et l’aéroport de Roissy au nord en passant par le centre d’affaires de la Plaine Stade de France, les villes d’Aulnay-sous-Bois ou de Sevran sans oublier le centre névralgique des halles… Le RER B offre un véritable voyage dans le monde des styles. Rencontres. Photos par Anglade Amédée - Textes par Mérième El Alaoui

Minas, 18 ans, étudiante styliste, Paris “La modeuse” “Je change de style tous les jours… Un jour en veste militaire et Doc Martens argentées, comme aujourd’hui, ou jupe et talons… Je transforme ma coupe chaque mois. Le style est très important pour moi. Je veux même en faire mon métier ! Je veux être conseillère en image”

Danielle, 38 ans, Pierrefitte “La féministe” Mini short rouge, coupe afro et maquillage très coloré, elle détonne au milieu de la morosité du RER. “ Je suis militante féministe, pour moi il est important de mettre en valeur sa féminité sans complexe… Et gare à celui qui m’embête ou qui me fait une réflexion dans les transports ! Ma coiffure est aussi un choix car je suis antillaise. J’assume mes cheveux métissés et je refuse de les transformer chimiquement “.

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DOSSIER

Grace, 21 ans, prépare les concours d’infirmière, Aubervilliers “La Rockeuse” “Oui, j’avoue, j’ai obtenu cette coupe grâce à un tissage… J’aime le style Rock avec une touche de glamour et d’ethnique. Un peu comme la chanteuse Rihanna. Elle a su rendre populaire le style rock et ça me parle ! Mais j’aime avant tout être à l’aise… !”

Jimmy, 21 ans, vendeur dans une boutique de vêtements, Paris “Le mannequin” “Je suis vendeur de vêtements mais je veux être mannequin ! Je cherche d’ailleurs activement un agent. C’est simple, je vis pour la mode ! Malgré mon âge, je suis toujours en costume ou pantalon à pince. Jamais de jeans, encore moins de baggy ou de survêtement ! J’aime le style classe à toutes épreuves”

Vincent 26 ans, ingénieur d’étude à L’Oréal à Aulnay-sous-Bois “le working boy” “Je fais attention à mon style, je trouve cela important. En semaine je suis toujours en costume mais parfois, je m’autorise un jean le vendredi. Je viens de Toulouse, et depuis que je suis à Paris, je trouve qu’il y a beaucoup de mixité dans les styles en Île-de-France. C’est très plaisant quand on aime la mode comme moi !”

Gaëttan, 20 ans, préparateur de commande, Neuilly-Plaisance “Style swag…” “Mon style est le swag, à l’américaine. Je fais très attention à mon style et je le soigne en regardant les clips, les magazines fashion… J’adore ça. Je fais aussi très attention à ma coiffure, aux accessoires, tout est important en fait ! Je suis de près le style de David Beckham, du chanteur Usher… “

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histoire DOSSIER

Jules Ferry Fondateur de l’école gratuite, laïque et obligatoire comme instrument de formation de “ bons citoyens ” et d’émancipation vis-à-vis de la religion (catholique), il est aussi le promoteur des expéditions coloniales. Ce paradoxe aurait-il pour cœur la volonté de diffuser le modèle républicain, par tous les moyens, parfois les meilleurs, parfois les pires ? Jules Ferry, ou la République ambiguë.

“ La société humaine n’a qu’un but, qu’une loi de développement, qu’une fin dernière : atténuer de plus en plus, à travers les âges, les iné ga lité s pri mi tives données par la nature ”. Discours de Jules Ferry à la Société pour l’éducation prim aire, le 10 avril 1870

“ Pour que la réforme démocratique se propage dans le monde, quelle est la première condition ? C’est qu’une certaine éducation soit donnée à celui qu’on appelait autrefois un inférieur, à celui qu’on appelle encore un ouvrier, de façon à lui inspirer ou à lui rendre le sentiment de sa dignité (…) Dans une société qui s’est donné pour tâch e de fonder la liberté, il y a une grande nécessité de supprimer les distinctions de classes (…) Je vou il n’y a plus de distinction de classes ? Je dis qu’il en existe enc s demande si, en réalité, ore damentale, et d’autant plus difficile à déraciner que c’est la dist ; il y en a une qui est foninction entre ceux qui ont reçu de l’éducation et ceux qui ne l’ont point reçue. Or, messieurs, je vou ces deux classes une nation égalitaire (…) si, entre ces deux clas s défie de faire jamais de ses rapprochement, la première fusion qui résulte du mélange des , il n’y a pas eu le premier riches et des pauvres sur les bancs de quelques école. ” Discours de Jules Ferry à la Société pour l’éducation prima

ire le 10 avril 1870

races supé “ Je répète qu’il y a pour28 les juillet 1885

rieures un

ir de civiliser les rac vo de le t on es Ell . es ell ur po ir vo de un a droit, parce qu’il y

es inférieures. ”

utés,

Discours à la Chambre des dép

(…) La famille et la e qu vi ci n io ct tru ns l’i et e al or m n à vos élèves l’éducatio er nn do de ée nfi co t es us ’elles attendent de vo i qu qu re n di t es C’ . ns ge es “ C’est la missio êt nn ho s de ire leurs enfants, à en fa er ev él en bi à r de ai s le de nt ière dont vous vivrez de an an m m la r pa e vr vi en société vous de bi à e dr en pr ap pté sur vous pour leur m co a On ) (… s te ac s de s ai m s le ro vous non des pa avec eux et devant eux. ” vembre 1883

Lettre aux instituteurs, 17 no

“ Par son œuvre de législateur, Jules Ferry a fait de l’école publique ce

François Hollande, 15 mai 2012, discours au jardin des

Tuileries

qu’elle est : un droit. ”

s déchaînés, l’oppresme cri les s tou , ce len vio la z rre ve y us que vous dites barbares et vo les up pe s ce de Combien de crimes atroces, te uê ...] nq ! [ co on la ati de ilis e civ oir ist tre vo de e oir ist “ Regardez l’h l’h ilà en France dans , tyrannisé par le vainqueur ! Vo er mé tifi pri jus op de z ble ye fai sa le es ts, us flo vo à e nt qu ula me co stè ng sy sa l sion, le civilisation [...] Et c’est un parei la de et e tic jus la s de droit, de devoir. La de pa m ns no rlo au pa is Ne . mm on co ati ilis civ de te cri po effroyables ont été de revêtir la violence du nom hy s pa s on ay ss N’e les civilisations rudimentaires ! r me su e om qu l’h tifi de ien its sc dro on s ati ilis civ la la patrie de e nn do le droit, c’en est la s pur et simple de la force que s bu pa l’a st st n’e c’e , Ce ez ur. nis ate co ilis pré civ us du vo e ten qu pré te du uê conq te la force qui est en lui au profit tou ire tra ex en er, tur tor le , me om l’h r pour s’approprie lence, l’hypocrisie. ” vio la à re nd joi st c’e , on ati ilis civ de s oir de civilisation ” négation. Parler à ce propo celui de Jules Ferry sur le “ dev Georges Clemenceau, discours

à la Chambre des députés, 30

juillet 1885, en réponse à

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rendez-vous avec...

Stephane Troussel : “ L’avenir de la République se joue ici en Seine-Saint-Denis ”

Ces propos de Stéphane Troussel, successeur de Claude Bartolone à la tête du conseil général de Seine-Saint-Denis, à la presse locale nous avaient touché : d’où venait une telle assurance, concernant un département si souvent décrié ? Communication, ou conviction profonde ? On a rencontré l’auteur de cette belle déclaration, avec Afriscope et Regards2banlieue. A vous de juger. Propos recueillis par Carole Dieterich, Gabriel Gonnet et Erwan Ruty Photos : Anglade Amédée - Image : Karim M. Emprunts toxiques : “ La responsabilité des banques est engagée ” On est passés de 92% à moins de 60% de notre dette, en emprunts toxiques. Il y a une négociation pour sortir de ces dettes, parfois avec des contentieux, dans onze cas, où on ne paiera plus la totalité des “ prêts bonifiés ”. Mais les prêts de cette nature concernent 5000 collectivités en France. La responsabilité des banques est engagée, avec Dexia en particulier. Nous sommes d’ailleurs au Tribunal de Nanterre contre l’une d’entre elle le 09 février...

“ Créer un choc éducatif : c’est ici que la République joue son avenir ” On est le département le plus jeune et le plus pauvre de France. On a donc mis le paquet sur la formation : on ne peut pas avoir des taux de réussite de 10% inférieurs aux autres. Les partenariats public-privé dans la construction des collèges, pour 700 millions d’euros avec Claude Bartolone, c’est une prise de risque, qu’il fallait prendre pour créer un “ choc éducatif ”, pour dire aux jeunes qu’ils peuvent réussir ici. C’est ici que la République joue son avenir. “ La politique de la ville ne peut pas réparer tout ce que les autres politiques ont dégradé ” L’Anru n’est pas un échec : il n’y a qu’à voir les transformations à Clichy-sous-bous ou La Courneuve, Epinay... Les 23 000 logements de l’office HLM de Seine-Saint-Denis ne pourraient pas être rénovés sans l’Anru ! Ce n’est pas la politique de la ville qui est un échec : elle ne peut réparer tout ce que toutes les autres politiques ont dégradé. Quand vous avez depuis dix ans attaqué l’école avec des journées de quatre jours, dont on sait à quel point c’est dramatique dans les quartiers populaires en particulier, que vous avez des suppressions de postes d’enseignants, et qu’en face vous mettez trois francs six sous pour la réussite éducative, ce n’est pas sérieux ! Pôle emploi est aussi démuni de moyens.... Ce sont d’abord les politiques de droit commun qui doivent jouer leur rôle, et doivent même le faire plus qu’ailleurs ! On pourrait même

s’appuyer sur quelques réussites de la politique de la ville, quand par exemple elle transforme l’action publique en obligeant les bailleurs sociaux à travailler avec les associations, les entreprises de bâtiment et les collectivités locales. Mais qu’on n’ait pas assez mené ces politiques de rénovation urbaine avec des programmes de santé, d’éducation etc, tout cela est vrai.

de péréquation. Les crédits de l’Acsé en matière de politique de la ville, c’est 66 euros par habitant dans l’Essonne, 70 dans les Yvelines, et 35 en SeineSaint-Denis. 41 en moyenne régionale ! Ca ne va pas. On a quand même obtenu que notre territoire cesse d’être contributeur, jusqu’alors à hauteur de 15 millions d’euros en 2013, dans ce système de péréquation... On va même toucher trois millions.

Les crédits de l’Acsé en matière de politique de la ville, c’est 66 euros par habitant dans l’Essonne, 70 dans les Yvelines, et 35 en Seine-Saint-Denis. “ La Seine-Saint-Denis va cesser d’être contributrice dans le système de péréquation ” On peut attendre de la deuxième étape de l’Anru qu’elle obtienne un fléchage des crédits de Vincent Peillon [ministre de l’Education nationale], de Manuel Valls [ministre de l’Intérieur] ou d’Aurélie Filippeti [ministre de la Culture], vers la SeineSaint-Denis. Qu’il y ait plus d’emplois d’avenir ici qu’ailleurs, plus de professeurs. Par ailleurs, il ne faut plus saupoudrer, l’Etat doit faire un choix, concentrer les moyens. Et renforcer les mécanismes

Un fond de 170 millions a été créé pour venir en aide aux départements en difficulté, on va tout faire pour pouvoir obtenir des crédits de cette enveloppe. Comme le disait le président de la République, “ il va falloir que Neuilly-sur-Seine paie pour Bondy ”. Les habitants de Seine-Saint-Denis vont travailler à La Défense. Ils y créent de la richesse. Quand des bus brûlent à Clichy-sous-bois, les bureaux ouvrent en retard à La Défense ! Mais les crèches, les logements sociaux, les lycées, c’est en Seine-SaintDenis qu’on les créé ! Il faut plus de solidarité entre ces départements.

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“ Les bobos sont bienvenus, mais les prolos doivent rester ” Je ne crois pas à un pays sans industrie. La SeineSaint-Denis est encore motrice économiquement. Elle est même créatrice d’emplois, comme à La Plaine Saint-Denis. Le problème est que ces emplois ne profitent pas aux habitants du territoire, notamment les plus jeunes. Parce qu’on a une population active dynamique, avec beaucoup d’entrées sur le marché du travail, et des taux de qualification faibles. Mais je suis toujours partagé entre la nécessité de mettre en avant ces problèmes, et nos atouts, réels : pour l’ensemble de l’Ïle-de-France, c’est ici que ça se passe. Il y a des terrains disponibles et pas chers, des projets de transports... Qui plus est, le modèle de développement façon La Défense s’essouffle. On a de quoi accueillir l’industrie, mais aussi les nouvelles start up du numérique qui ne peuvent pas se payer le loyer à Paris, ou encore des sièges sociaux d’entreprises des services et de la finance. Avec donc des profils d’emplois très différents. Les bobos sont bienvenus, mais les prolos doivent rester. C’est vrai qu’il y a une course de vitesse avec le marché, comme dans toutes les capitales européennes, et avec l’augmentation des prix du marché foncier que cela provoque. Mon idée de la mixité, c’est que les gens qui connaissent une amélioration de leur situation, se disent encore “ on a tous notre place en Seine-Saint-Denis ”.

Voir la vidéo de l’entretien sur : http://tinyurl.com/cgeu22f


Willy Vainqueur credit

DOSSIER

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avoir 20 ans dans les banlieues “ Est-ce que nos enfants vivront mieux que nous ? ” C’est ce doute, reconnaissait François Hollande lors de ses vœux à la jeunesse du 23 janvier, qui assaille bien des adultes. Et de préciser à quel point la jeunesse a besoin de repères, d’accompagnement. Or les adultes ont peur de la jeunesse. Certes, pas de toute jeunesse : selon le dernier rapport de l’Observatoire de la jeunesse solidaire, six Français sur dix ont une image négative de la jeunesse des quartiers populaires (alors qu’ils sont deux sur dix à avoir une image négative de la jeunesse dans son ensemble…) A ce titre, on pourra juger qu’il était de bon ton pour le président de présenter ses vœux à la jeunesse à Grenoble, là même où Nicolas Sarkozy, deux ans plus tôt, avait opéré son “ tournant sécuritaire ”, en “ déclarant la guerre aux trafiquants et délinquants ”. Bien des jeunes s’étaient sentis concernés… Bien souvent, depuis novembre 2005, dans une France “ fatiguée psychiquement ”, le “ jeune ”, et surtout le “ jeune de banlieue ”, charrie une flopée de sentiments confus : rap, délinquance, émeutes, islamisme… Et donc : alerte, danger !

Mais pas de démagogie : les jeunes, ce sont les vieux qui en parlent souvent le mieux. Ainsi, il y a quelques années, un journaliste interrogeait quelques anciens jeunes : “ Vous dîtes souvent que le propre de la génération de vos parents, c’était de courber l’échine. Quel est le propre de votre génération ? Jamel Debbouze : Lever l’échine. Journaliste : Et de la nouvelle génération ? Jamel Debbouze : Brûler l’échine. Roschdy Zem : Et le jour où l’échine s’éveillera… ” La jeunesse est un déracinement, et ce déracinement peut faire mal, être vécu comme une lutte, une fête permanente, une fuite en avant ou encore (plus rarement) une promenade de campagne. Ce déracinement produit aussi de la créativité culturelle, de l’énergie sportive, de l’innovation sociale, de l’engagement politique, de la faim de biz. Bref, de la création de richesse ; et du dynamisme. C’est là, dans les entrailles bouillonnantes de la jeunesse des quartiers qui crie “ si ! ” quand on lui dit “ non ! ”, que se forge l’avenir de toute la société française.

Le jour où l’échine s’éveillera…

Pourtant, qui connaît vraiment le quotidien de cette jeunesse, au-delà des clichés ? Qui sait à quel point elle tient le mur de la cité ? Navigue à l’aveuglette en zone de turbulences universitaires ? Touche le plafond de verre de stage en stage ? Esquive l’intérim pour tomber dans le temps partiel ? Part prendre l’air du pays sans savoir si le pays rêvé correspond au pays réel ? Sort en boîte s’éclater ou touche le fond du canapé ? Se marrie pour exister, aime pour vivre, sprinte pour fuir ou pour arriver plus loin plus vite ? S’engage un peu, beaucoup ou passionnément ? Attrape le mic pour faire vibrer la night !?

Mais quand des adultes trop dévalorisés n’osent pas dialoguer avec elle pour la guider… rien ne va plus. 100 00 emplois d’avenir, un RSA jeune et des contrats de génération y suffiront-ils? Rien n’est moins sûr. Car le jour où l’échine s’éveillera… Erwan Ruty

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Les gardiens de la cité Lorsqu’on m’a demandé d’écrire un article sur ceux qui galèrent à la cité le samedi soir, j’étais ravi : je me demandais pourquoi des jeunes en pleine possession de leurs moyens physiques et sans doute intellectuels préfèrent rester à tenir le mur, la barrière ou encore le hall de leur immeuble plutôt, que d’aller au théâtre, au cinéma, se promener ou aller voir ailleurs s’ils y sont. Un vrai travail d’enquêteur, voire de sociologue.

A

près avoir maraudé dans plusieurs quartiers de banlieue, c’est dans la capitale que j’atterris. Je repère enfin un groupe de garçons dans le 19e arrondissement. Cinq ados entre 15 et 17 ans, qui se protègent du froid dans le hall de la MJC de leur quartier. On dit que les jeunes ne se préoccupent pas de l’actualité et pourtant j’entends que ça parle du “terrible” conflit que traverse la France en ce moment.

-Toi, quand on sera champion, j’veux pas te voir sur les Champs ! Ensuite ça s’agite autour du portable de l’un d’entre eux. Le seul qui semble être en couple en ce moment. -Tu fais trop le canard avec cette meuf ! Tel que je te connais, normalement, t’es pas comme ça. Si elle t’envoie des SMS comme ça, c’est qu’elle ne te respecte pas ! Chacun tente de faire monter la sauce à sa manière. Il devra même se battre pour récupérer son bien afin d’éviter un malencontreux envoi de message “ involontaire ” à sa dulcinée. Je ne connaîtrai jamais la teneur des propos de cette jeune demoiselle, mais lui paraît loin de la vendetta que ses potes souhaiteraient le voir mener contre elle. Quand Moussa lance : “ J’ai faim, moi ! ” Mon ventre réplique : “ Moi aussi ! ” Je décide donc de rentrer chez moi, pas franchement désabusé, mais pas non plus franchement emballé par la soirée que je venais de passer.

L’un d’entre eux a des nouvelles fraîches du front. -Trop fort, trop mortel, il les a tués ! Moi qui disais à qui veut l’entendre que cette “guerre” faite de clashs successifs entre les trois plus gros vendeurs de disques du rap français était uniquement marketing… Djib était encore sous le choc de la dernière salve de Booba qui, selon lui, suffirait à enterrer La Fouine et Rohff dans le même cercueil. Quand Moussa a arrêté tout le monde, pour déclarer : “ Ce soir j’ai envie de faire quelque chose. Qui me suit ? ” j’ai su que je ne m’étais pas trompé et que j’avais enfin trouvé ceux que je cherchais : les gardiens de la cité.

C’est en rentrant chez moi que je m’aperçois que tout était dit dans la commande : la galère des samedis soirs, où l’on ne fait rien. Alors que je suis en train d’écrire mon papier, j’apprends qu’un de mes meilleurs amis est atteint d’une très grave maladie. Je pense à lui. Je pense à Djib, Moussa et aux autres. Je pense à lui et je me dis que mes premiers souvenirs avec lui sont ceux des soirées que nous avons passées ensemble sur un banc à la gare d’Aulnay-sous-Bois. Des soirées entières à parler du passé, du présent, du futur. Des discussions sans doute pas plus passionnantes que celles de mes sujets d’un soir. Il aurait d’ailleurs fallu une étude plus approfondie pour saisir les notions philosophiques débattues par ces péripatéticiens des halls et des cages d’escalier.

-Moi ce que je dis d’habitude, lui répond un autre : dès qu’il y a quelque chose, je suis. -Ah je préfère ça ! C’est tout ? Oui, oui, c’est tout. C’est à ces mots qu’on les reconnaît. C’est eux qui ont les meilleurs plans, les meilleures adresses, connaissent tous les potins, parlent de tout ce qui se passe à l’extérieur, mais sous aucun prétexte ils ne laisseraient leur place dans le hall, à la barrière, contre le mur. Ce soir, certainement comme les autres soirs, ils ne bougeront pas. Il ne manque que celui qui lance le fameux: “ Eh les gars, si on allait sur Paname ?! ” Et pour cause ! Le problème avec ce genre de sujet, c’est qu’a priori, on se dit que c’est la meilleure idée qu’on aie jamais eu, mais a priori seulement. Tendre le micro à des gens qui habituellement ne l’ont pas n’est pas forcement gage d’originalité. Souvent, comme ce soir, surprise ! Il ne se passe rien ! Tous les sujets qui en valent la peine y passent. Ceux qui s’en prennent aux qataris ou au PSG se font rapidement zlataner par Moussa : -A Paris, l’important, c’est plus le foot. Y’a pas de supporters, que des spectateurs.

Mais je sais que si parfois ils font un peu de bruit le soir, au pied des immeubles, quand les honnêtes gens veulent dormir, c’est peut- être pas uniquement une question de galère. Peut-être passent-ils leurs soirées à ne rien faire d’autre que de forger une solide amitié.

R 2 Rien

Le bon Max

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Les adultes et les jeunes,

le malaise

Bruno Van Der Borght a été directeur de Prévention Spécialisée en Seine-Saint-Denis pendant 9 ans ; il est aujourd’hui directeur d’un Institut Thérapeutique, Educatif et Pédagogique et d’un SESSAD en HauteSavoie. Il revient sur les liens, pour le moins distendus, entre le monde de l’adolescence, les institutions, et les On regarde souvent la jeunesse, surtout celle des quartiers populaires, défavorablement… pourquoi ? Cela dure depuis l’antiquité et c’est valable pour toute la jeunesse! Ces petits êtres étranges qui ne sont pas finis, et dont on ne sait pas où ils vont, on ne les comprend pas. Pas plus qu’on ne connaît ces quartiers, qu’on juge dangereux…

On mêle souvent dans une même désapprobation les jeunes et leurs parents… Oui, tout cela n’est pas favorable à l’épanouissement des adolescents ! Avec le développement de la famille monoparentale, on retrouve souvent des familles construites autour d’une maman seule. Le système judiciaire favorise encore cela, dans les séparations conflictuelles. Or, pour la société, les pères incarnent la loi. Le père disparaît, et la fonction paternelle doit parfois être incarnée par la mère… c’est une gageure ! Et cela brouille les cartes. Prises entre les contingences du quotidien et la nécessité d’être efficaces certaines mamans peuvent nourrir un rêve de toute puissance. Elles n’ont pas forcément le choix et cela à un coût…

Les pères eux-mêmes sont souvent disqualifiés par la société… Oui, avant, le père préservait la sécurité, défendait la famille, offrait un toit… maintenant, c’est souvent le frère aîné, qui est l’homme de la famille. Cela nourrit des relations ambiguës, notamment avec la mère : l’aîné est-il soumis à l’autorité de la mère, ou peut-il s’en affranchir ? L’aîné pouvait être un soutien, quand, dans des familles élargies, l’oncle, le grand-père étaient là aussi sous le même toit. Mais quand ce cadre macro-familial est resté au pays, dans le cas d’enfants d’immigrés, cela ne peut se faire. Il y a un vrai problème

avec la masculinité. Ce qui la fondait n’est plus là : la terre, le travail…

N’y a-t-il pas aussi un flou entre le monde des adultes et celui des enfants ? Oui, avant, il y avait l’école, l’armée et le monde du travail, qui permettaient autant de rites de passage, ça s’est dilué.

D’autant que l’école a changé… On disqualifie le corps enseignant, et les parents eux-mêmes le considèrent comme un prestataire de service. On est encore un peu dans le règne de l’enfant-roi, qui est la règle depuis le baby-boom… Pourtant, les parents, plus encore ceux qui n’ont pas été eux mêmes à l’école continuent à l’investir comme un mythe : ils sont très demandeurs d’école pour leurs enfants. Ils en font un enjeu trop lourd. Ils pensent qu’elle sauvera les enfants. Or l’école a changé, elle ne peut répondre à ces attentes. Elle est moins un ascenseur social qu’avant. Quand l’enfant échoue, c’est aussi un échec pour les parents : l’enfant s’oppose à eux, et au regard qu’ils portaient sur l’école. Ce qui fait que beaucoup d’enfants fuient l’école. Cela n’apparaît pas dans les statistiques.

rapports homme/femme, elles sont souvent soutien maternel. Elles s’occupent des petits frères et sœurs, de la maisonnée. Jusqu’à un certain âge, cela ne pose pas de problèmes, et reste cohérent avec certaines valeurs vieilles France. Les soucis peuvent arriver à l’adolescence, quand elles veulent sortir de la famille. Ca peut provoquer des conflits, avec les mères en particulier. Les filles peuvent alors refuser les délégations maternelles ou les détourner. Dans ce type de contexte, l’école devient une opportunité valorisée par la famille. Elles s’y investissent beaucoup. Et du coup, souvent, ont de meilleurs résultats. Elles y conquièrent une nouvelle liberté. Le clash peut pourtant aussi survenir. Certaines se mettent à intérioriser la violence qu’elles subissent, à déprimer, ou à se comporter comme des garçons. Elles ne vont pas bien, vivent mal leur corps… tout cela en secret, y compris dans leurs relations avec leurs amoureux (qu’elles fréquentent hors du quartier, dans des caves dans certains cas…)

Il semble que les adultes aient du mal à transmettre un certain nombre de valeurs

Et pour les jeunes filles, justement ?

On est dans une société… qui valorise l’individu. C’est contradictoire, c’est absurde ! Une société, par définition, c’est collectif ! Le rapport à l’autre devrait être structurant, donner des repères. L’autre est le moyen du bien-être de l’individu : celui qui paie, qui aime, qui forme, qui accompagne... La consommation veut se substituer à l’autre, comme moyen de bien-être ! Or, la consommation, c’est la toutepuissance : je me nourris de moi-même, de mes envies… jusqu’à la folie ! La société de consommation valorise la loi du plus fort, du plus beau, du plus riche… tout ce que les sociétés s’efforçaient de réguler, avant. Les mannequins qui s’auto-détruisent, c’est ça la société de consommation ! On voit bien que le problème est là, loin, très loin de la présupposée démission des parents des quartiers ou d’ailleurs!

Quand on est dans des familles issues de l’immigration organisée avec des modèles familiaux traditionnels, notamment dans les

Propos recueillis par Erwan Ruty

Quels modèles ont les enfants, les jeunes, les adolescents ? Quand les pères sont absents, pour les garçons, la référence principale devient le groupe de jeunes. Les potes sont là, souvent dans la rue. Et la rue, c’est une société hyper-structurée et en même temps, une société qui touche à tout, qui zappe. Certains des adultes qui la parcourent peuvent faire prendre, aux plus jeunes, les vessies pour des lanternes. Il peut y avoir captation des plus jeunes. Y compris par les religions, selon des modèles différents de ceux que valorisent la République, notamment par rapport aux femmes. Et selon des modèles plus transgressifs.

Alain Vulbeau : “ La France a peur de sa jeunesse ” Alain Vulbeau est Professeur en sciences de l’éducation à l’Université Paris Ouest. Il est aussi responsable de l’équipe de recherche “ Crise, École, Terrains sensibles ”. Il travaille depuis une trentaine d’années sur les thèmes de la jeunesse, de la ville et des politiques sociales et territoriales. Pour lui, l’emploi du mot “ jeune ” dans les medias revêt toujours un caractère politique. En quoi les jeunes des quartiers sont différents du reste des jeunes en France ?

ne sais quoi... etc. On a eu du mal à les nommer mais cela ne nous empêche pas de les enfermer. Les programmes d’aide et d’accompagnement qui leur sont destinés le font souvent à partir de certaines représentations. On propose aux jeunes des quartiers des ateliers rap/slam assez systématiquement. Cela permet de les valoriser certes mais aussi et surtout de les enfermer. Au même titre que ça en gêne certains de voir quelqu’un comme Joey Starr jouer un policier sur grand écran...

Sociologiquement, il n’y a pas tant de différences que cela. A part peut-être le critère des diplômes. Dans les quartiers, le niveau de diplômés est plus faible qu’ailleurs. C’est sur le plan des représentations que tout se joue. Il est d’abord important de définir ce que l’on entend par “ jeune ”. On a du mal avec le langage parfois. Et je m’inclue dans ce “ on ”. Personne ne sait comment les appeler : les enfants de la deuxième génération d’immigrés, les Français d’origine je

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Petits frères (Jacques Doillon, 1998)

Le petit Malik (Mabrouck Rachedi, 2008)

Une jeune fille se fait avoir par quatre garçons de Pantin, qui lui volent

Mabrouck Rachedi déroule les tranches douces-amères de la vie de Malik,

sa chienne pour la revendre. La jeune fille n’a d’autre solution que de

du gamin attachant à l’adulte en manque de repères. Regard tendre sur les

partir à la recherche de l’animal. Comme dans son précédent film Le

vicissitudes d’une bande d’amis aux destins contrastés, ce roman initiatique

petit criminel (1990), Jacques Doillon s’intéresse à des jeunes issus de

nous plonge dans un monde où derrière les apparences percent spontanéité,

milieux défavorisés. A noter qu’Oxmo Puccino a travaillé sur le bande

humour, humanité. Le tout illustré par El Diablo, créateur des Lascars.

originale du film.

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DOSSIER

Une fracture française :

les deux faces du lycée 23% des élèves de Zus sont en filière générale, contre 44% hors Zus. Le début d’une inégalité ? Oui, tant que les filières pros et techniques seront aussi mal vues. Zoom sur ce décalage à travers deux lycées ordinaires. Textes : Meriem Laribi.

“ Y’a pas de soucis ” : l’ordinaire en banlieue

Le lycée pro : “ On leur a tellement dit qu’ils ne valaient rien… ”

Anthony, Dorian, Katheline et Annabelle sont âgés de 16 à 17 ans. Ils sont élèves de 1ère et de seconde au lycée Evariste Galois à Sartrouville (Yvelines), un lycée ordinaire. La ville, à la population socialement diversifiée, paraît loin de celle du début des années 90, au moment d’échauffourées, et dont le maire avait fait mettre en cause le gouvernement d’alors pour “ non assistance à banlieue en danger ”. Le lycée Evariste Galois est un établissement d’enseignement général très tranquille. A l’image de nos quatre interlocuteurs, calmes, souriants et prenant le temps de réfléchir avant de parler. Ils ne sont pas suffisants ni moqueurs comme peuvent l’être bien des adolescents. Entre eux, on sent le respect : on ne se coupe pas la parole, et les réponses sont mesurées.

Olivier Roulin est professeur de Maintenance industrielle à l’Institut d’éducation motrice, à Voisenon (Seine et Marne). Il a suivi le même parcours que ses élèves : BEP d’entretien des systèmes mécaniques. Prof depuis 2002, on lui propose un poste de professeur de Mécanique pour une formation d’ascensoriste.

Valoriser les métiers manuels Les lycées pros et les élèves difficiles n’ont presque plus de secret pour lui : “ Mon public est composé d’une majorité de garçons en échec scolaire qui ont été orientés “par défaut’’. Nous sommes dans un système qui veut les meilleurs en [enseignement] général, et les autres en “ pro ”. Les rares bons élèves qui veulent choisir le lycée “ pro ” parce qu’ ils souhaitent faire un métier manuel, en sont dissuadés par la ritournelle habituelle qui consiste à dire que c’est la voie des nuls. Ils finissent donc par renoncer, et aller en Général, par crainte. Ce phénomène s’explique par le fait qu’en France, c’est une tradition de valoriser les métiers intellectuels et de dédaigner les autres. Mais l’intellectuel, il faut bien qu’il ait quelqu’un pour lui déboucher son évier ou réparer son ascenseur, non ? ”

Les problèmes de discipline ? Ils sont rares : “ Il y a bien des groupes par quartier et par ville, ça ne se mélange pas trop. Parfois il y a aussi des séparations d’un autre genre, comme les filles d’un côté et les garçons de l’autre, ou alors le groupe de reubeus, celui des blacks, mais nous, dans notre groupe, c’est le seul, il y a de tout ” assure Anthony.

L’encadrement ? Ils disent ne croiser le proviseur ou le CPE que s’il y a de gros problèmes (mais là encore, ils assurent que c’est rare). Ils ne se sentent pas non plus oppressés par les règles de discipline : “ La grille ouvre toutes les heures, alors c’est facile de sécher les cours. Mais quand on s’absente, quand on crée un problème ou qu’on a des mauvaises notes, c’est écrit dans le Pronote, un site pour la relation avec les parents dont eux seuls ont le code ”. Et si les parents ne savent pas utiliser Internet ? “ Eh ben tant mieux ! ” répond spontanément Katheline.

“ Ils finissent par chercher à s’exclure ”

C’est au cas pas cas : “ Il y en a qui manquent trop d’autorité, ils ne savent pas se faire respecter, note Anabelle. Certains sont démissionnaires. L’année dernière, on avait un prof proche de la retraite, les élèves mettaient de la musique en classe et il n’arrêtait pas ça. Il disait : “ je ne fais pas cours tant qu’il y a un bruit ’’ ; et le bruit ne s’arrêtait jamais, évidemment, alors il n’y avait souvent pas cours. Il y en a au contraire qui sont très stricts, mais ça ne marche pas toujours ”. “ Si c’est un prof qui vire de la classe, on fait gaffe. Ça dépend aussi des matières, si c’est une matière à faible coefficient je m’en fous un peu ” avoue Anthony, un peu gêné.

Willy Vainqueur

Les profs ?

L’image des lycées de banlieue n’est-elle pas exagérée ? Réponse de Dorian : “ On n’est pas vraiment un lycée de banlieue comme on l’imagine. Il y a beaucoup de gens qui ne viennent pas de quartiers populaires. On est de différentes classes sociales mais y a pas de soucis. C’est certainement aussi parce qu’on est en lycée général. Par contre les lycées pros c’est autre chose ! ”. Anthony embraye : “ On connait des gens du lycée professionnel Jules Verne, là-bas ça n’a rien à voir. Déjà, il n’y a que des personnes de Sartrouville, donc très peu de mixité sociale. Et puis les lycées pros, c’est pour ceux qui avaient des mauvaises notes et qui foutaient la merde au collège. Eh bien, là, ils se retrouvent tous ensemble, donc c’est la jungle là-bas ”. On l’aura compris : on est quand même loin du Bégaudeau d’Entre les murs !

Pour ce qui est de la relation avec ces jeunes “ difficiles ”, Olivier assure réussir à désamorcer les choses avec facilité. Même s’il reconnait que, parfois, il faut savoir garder son sang froid, se remettre en question : “ La seule chose que je demande est le respect. Moi, je respecte mes élèves. Si, à un moment donné, ils sortent de leurs gons, ils sont exclus. L’exclusion est une mesure à laquelle on arrive malgré toutes les bonnes volontés. L’effet de groupe tire vers le bas ; donc, quand tu as un fruit gâté, soit tu gardes le panier, soit c’est tout le panier qui y passe. Mais en général, les jeunes qui en arrivent là sont dans des situations psychologiques graves. On leur a tellement dit qu’ils ne valaient rien qu’ils finissent par chercher à s’exclure ”. L’empathie dont fait preuve Olivier est profonde : “ Globalement, j’ai des élèves qui ne sont pas communs, ils ont tous de fortes personnalités, parfois extrêmes, mais d’un autre côté ils sont très attachants. Si tu parviens à nouer un lien avec eux, cela peut devenir une jolie histoire. Ils sont souvent drôles et pertinents. Avec ce public, si tu prends la posture du prof tout puissant, tu vas au clash direct. Et le môme, ça ne va pas le déranger de monter sur la table ou de te jeter une chaise car de toute façon, sa scolarité, c’est pas un problème ! ”

Hexagone (Malik Chibane, 1993)

De bruit et de fureur (JC Brisseau, 1987)

L’histoire d’Ali, Slimane, Staf, Nacera et Samy, cinq jeunes beurs qui

L’histoire de Bruno, enfant furieux des banlieues et des H.L.M., plongé dans

habitent un quartier populaire de Goussainville que l’on va suivre pendant

la violence de son milieu, et dont la vie va se consumer comme une étoile

cinq jours a la veille de la fête de Aid-el-Kebir. La jeunesse des quartiers,

filante. Le film dépeint la banlieue des années 1980 : celle de la violence,

son errance et ses errements en banlieue parisienne. Brut, brouillon et

de l’exclusion, de la solitude, des bandes délinquantes, de la misère sociale

décoiffant. Une claque.

et de l’échec scolaire.

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DOSSIER

Quand les grandes soeurs prennent le relais Familles nombreuses, déficit de structures de garde, des parents qui travaillent tard… les aînées peuvent être amenées à prendre en charge leurs cadets. Cette solidarité familiale est une pratique répandue en Guyane. Une responsabilité plus ou moins bien vécue selon les contextes familiaux. Amandine a 25 ans. Elle est enseignante dans un collège de SaintLaurent du Maroni, à plus de 200 kilomètres de son quartier d’enfance, Cogneau-Lamirande, à Matoury. Un quartier cosmopolite et défavorisé qui s’est construit dans l’illégalité. Des villas côtoient des bidonvilles. La municipalité tente de l’aménager depuis plusieurs années. “ La famille occupe 80% de ma vie ”, juge Amandine. L’année prochaine, elle espère enseigner dans un établissement de l’île de Cayenne pour se rapprocher des siens et relancer son association de quartier, Kognotopia. “ Je l’ai créée à cause de mon petit frère. Il subit les mauvaises influences du quartier, et il a eu des problèmes avec la justice. Il faut que les jeunes puissent s’investir dans des activités ”.

Deux familles à charge

Vivant avec sa mère divorcée, très tôt Amandine a du prendre en charge son petit frère durant les week-end et les vacances scolaires, car sa mère travaillait. “ Ma sœur aînée était plus détachée et elle a quitté la maison à 14 ans car elle a eu un enfant ”. Deux autres naissances ont suivi, et la sœur aînée a regagné le domicile familial avec ses trois enfants. Amandine a aussi veillé sur eux pendant que sa sœur travaillait. “ C’est normal d’aider sa famille. Je leur inventais des activités ”. La jeune fille concède tout de même que cela n’a pas toujours été facile. “ Mon frère avait mauvais caractère, et parfois, le soir, les enfants ne voulaient pas s’endormir ”, se souvient-elle. Si Amandine estime avoir eu peut-être moins de

Quartier Cogneau-Lamirande

S

temps pour elle, pour autant, sa scolarité n’a pas eu à pâtir de cette situation. “ Très tôt j’ai eu des facilités à l’école. Ma mère a bien compris que, pour moi, c’était sacré et que je devais assurer les cours ”.

“ Je n’avance plus ”

L’une de ses amies, Naudine, résidant également dans le quartier de Cogneau-Lamirande, ne peut pas en dire autant. Âgée de 18 ans, elle est l’aînée d’une fratrie de sept enfants âgés de 16, 15, 12, 10, 3 ans et 8 mois. Naudine, qui est en terminale, ne va presque plus au lycée. Dès l’âge de 12 ans, elle épaule sa mère qui, depuis deux mois, est aux Etats-Unis pour des soins. La charge de travail à la maison s’est amplifiée. “ Quand je suis en cours, mon esprit est ailleurs. Je pense à mes frères et sœurs. J’ai peur qu’ils sèchent les cours ”. Naudine et son père assurent, chacun leur tour, la garde de la petite dernière, “ c’est du 50-50 ! ”, lâche-t-elle. Elle assure la préparation des repas la veille, afin que tout le monde ait de quoi déjeuner en rentrant à midi. “ C’est moi la maman ! Je me consacre entièrement à eux et je n’ai pas l’impression qu’ils se rendent compte de tous les sacrifices que cela représente pour moi. Je n’avance plus ”, avoue l’adolescente, qui souhaiterait poursuivre normalement sa scolarité. Une situation dont elle n’a pas encore fait part à ses professeurs.

Natacha Maltaverne

Comment j’ai conquis Marseille

eptembre 2009, c’était concret : ma formation d’éducatrice spécialisée débutait à Marseille. Mais pour cela il a fallu que je voyage. Douze heures, à vol d’avion, de l’endroit où je suis née, où j’ai grandi, où je me suis construite depuis vingt-et-un ans : la Réunion. A onze milles kilomètres de ma famille et de ma culture. C’est là que les choses se sont corsés. Tout était différent, et pour commencer … moi-même au regard des autres qui ne manquaient pas de me le rappeler. Ainsi à chaque nouvelle rencontre ces mêmes questions qui étaient jusque-là inédites : “ Tu viens d’où ? ” ; “ Tu es de quelle origine ? ”…

Personne ne parle à personne

Bien sûr j’aurais pu y répondre assez aisément et sans être déstabilisée. Sauf qu’à la Réunion c’est un peu plus compliqué. Ma mamie énervée nous disait toujours : “ Ben zenfans bâtards ! ” Bâtards parce que lorsqu’on est Réunionnais on vient d’un peu partout. L’île est ce qui nous

rassemble. Bien d’autres choses sont différentes. Les moyens de transports par exemple. A Marseille, je prends le métro. Et malgré toute la proximité qu’il peut y avoir dans une rame, personne ne parle à personne. A la Réunion quand je suis en voiture je peux même parler avec le piéton qui traverse !

Ma langue maternelle… le créole

J’ai commencé ma formation avec le sentiment que dans cette grande ville qui compte a peu près le même nombre d’habitants qu’à la Réunion, j’allais me sentir bien seule. Un jour, un formateur de mon école me rend un écrit me disant qu’il n’a pas lu et ne lira pas mon devoir, car il y a trop de fautes : “ Hé ben ! Y a encore du boulot en ce qui concerne le français ”. Ou encore, quand je dis à une amie : “ Allons au ciné demain ”, elle pense que je parle un langage soutenu, alors que pour moi “ allons ” veut plutôt exprimer “ et si on allait ”, c’est une proposi-

tion. Tout ça, c’est normal, je suis Réunionnaise, ma langue maternelle c’est le créole pas le français !

Comme une trahison

Tout était motif à me dire que ma place n’était pas ici. Je commençais à vivre la formation, et mon mode de vie ici comme une trahison. Moi qui viens d’une île où nous sommes très attachés aux valeurs familiales, et dans ma famille, aux partages et au rapport avec la nature, c’est cette famille même et cette culture que j’avais laissées derrière moi. Je me sentais bloquée, pas à ma place. Aussi quelle idée de vouloir suivre cette formation en France, quand celle-ci existe chez moi !

Ingrid, 24 ans, étudiante, Marseille Lire la suite sur : http://blog-trendy.letudiant.fr/zep/tag/dom-tom/

Petit frère (extrait de l’album L’école du micro d’argent, IAM, 1997)

Suis-je le gardien de mon frère ? (Extrait de l’album Suis-je le gardien de mon frère ? Sefyu, 2008)

Ce morceau du groupe marseillais IAM sur la jeunesse des quartiers reste,

Tiré du deuxième album du rappeur d’Aulnay-sous-bois, ce titre revient sur la

aujourd’hui encore, d’actualité. Le quintet de la planète Mars décrit avec

place et l’influence du grand frère. Le rappeur met en avant le côté inévitable de

justesse cette situation qui, en quinze ans, est loin de s’être améliorée. Sur

ce mimétisme qui conduit les plus jeunes à reproduire, en pire, les erreurs des

tout l’album, IAM aborde des thèmes sociaux qui rendent ce disque intemporel. A écouter également :

plus grands. Extrait d’un album qui contient des morceaux sur des sujets aussi variés que l’immigration

Nés sous la même étoile ou Demain c’est loin.

française, la pédophilie...

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DOSSIER

Sport : les jambes et (aussi) la tête Loin des excès du haut niveau, le sport enseigné dans les assos de terrain offre souvent aux jeunes un cadre où se développer, apprendre le sens des mots “ exigence ” et “ persévérance ”. Une structure où grandir, en somme.

D

ans les quartiers, le fantasme du fils d’immigré qui réussit dans le rap ou le sport, nourri par quelques exemples en Une des magazines, masque une réalité du terrain : oui, le sport reste un creuset fondamental d’insertion sociale dans les quartiers populaires. Un moyen, quand les outils républicains sont cassés, de grandir, d’avancer, de trouver ses repères et sa place.

“ Avant, je n’avais rien à faire de la journée ” Demandez à Angi. A Chauffailles, dans la grande banlieue lyonnaise, il a osé, voilà six mois, pousser la porte du Battle Combat Club, une association qui enseigne plusieurs sports de combat. Dans ce territoire semi-urbain, le tissage n’a plus la cote, délitement économique oblige. “ On voit arriver des publics en situation de grande précarité qui quittent Lyon, glisse Jean-Noël Charollais, président du club. D’où l’idée de s’orienter, peu à peu, au-delà du sport, vers les cultures urbaines et le hip hop. ” Voilà pour le décor qu’a découvert Angi, 16 ans, débarqué là “ par hasard, parce qu’un copain m’en avait parlé dans une soirée. Avant, je n’osais pas y aller, ça m’impressionnait. Je voulais pas d’un club où les autres ne feraient pas attention à toi et te taperaient fort dedans. Mais là, tout de suite, j’y étais. J’ai été surpris, oui. J’ai pas été mis à part… ” Depuis quelque temps, l’adolescent était fâché avec l’école, où il faisait “ un peu le fou ”. Le bahut ne l’avait plus revu depuis le mois de juin. “ Franchement, je n’avais rien à faire de la journée, à part réparer des motos. J’attendais toujours l’entraînement avec impatience. Heureusement que j’avais quelque chose à faire le soir. ” A

raison de quatre séances par semaine sur le ring, version boxe thaï et pancrace, il apprend… à se calmer. “ Avant, voilà, quoi… J’étais un peu speed. Là, je me défoule là-bas, et après, je suis tranquille. ” Précision : Angi a repris le chemin de l’école. “ Et quand je vois les autres faire des conneries, je me vois comme j’étais avant… ” “ Il y a dans les arts martiaux des valeurs, une philosophie, une éthique, contrairement à l’image qu’on a parfois d’eux. Et comme d’autres sports, ils amènent à un ado un cadre, une structure, une régularité. ” Mickaël Grundman est professeur de karaté à l’ÎleSaint-Denis, au nord-ouest de Paris. Du genre à s’être construit depuis tout jeune par et pour son sport, et à transmettre aujourd’hui ce qu’il a appris aux autres. L’intérêt de la démarche, il l’a vécu par l’exemple : “ Vous êtes un jeune adulte, vous traînez un peu, quelques conneries, vous pouvez vite vous laisser tenter par la vie de la cité. Mais le sport vous régule. Quand vous savez qu’il y a entraînement le samedi matin, vous ne traînez pas le vendredi soir. ” Ajoutez à cela la confiance en soi que peuvent acquérir des gamins en manque de repères, les progrès qu’ils effectuent sur les plans psychomoteur ou du développement corporel, et on comprend vite que le club devienne aussi un lieu éducatif. “ On le sent dans la relation qu’on a avec les parents, reprend Mickaël. Quand un gamin dévie, ils viennent me voir, me demandent si je peux lui en toucher un mot. L’Île-Saint-Denis est une ville toute petite, on connaît les profs des écoles, on parle des jeunes avec eux. Certains parents nous envoient leurs enfants parce qu’ils savent que nous portons ces valeurs. On a un rôle d’éducation. On est d’ailleurs éducateurs sportifs, pas préparateurs physiques au niveau national. ”

20 ans (Extrait de Rue case nègre, Neg’Marrons, 1997)

Le sport-éducation populaire

Même constat à Belley, près d’Annecy, où Antoine Banal est entraîneur d’un club de boxe. “ Ici, certains adolescents qui ont arrêté leur scolarité, qui n’avaient plus de situation sociale stable, ont pu profiter de ce que leur apprenait la boxe. Une estime de soi, un rythme et une hygiène de vie. Un enfant qui avait des problèmes de motricité ou un autre hyperactif ont eux aussi fait de gros progrès. ” Le tableau, évidemment, n’est pas toujours aussi idyllique. Le sport n’échappe pas, dans les quelque 170 000 clubs (pour 16 millions de licenciés), tous sports confondus, qui maillent le territoire français, aux dérives de la compétition à outrance et de la marchandisation des talents que beaucoup de médias imposent comme modèles. Le football, calé en première ligne des disciplines les plus télévisées, prend souvent de plein fouet le décalage entre les excès du haut niveau et les difficultés d’expliquer aux jeunes que ce n’est pas forcément la voie à suivre. Mais même là, il est des cas où les éducateurs, souvent bénévoles, se retroussent les manches pour assurer leur mission de lien social au gré des rebonds d’un ballon. “ Nous travaillons sur d’autres principes que le modèle de la compétition qu’on voit à la télé ”, prévient Rheda Cherrouf, entraîneur au comité de Paris du foot FSGT, une fédération multisports qui a fait de l’éducation populaire un cheval de bataille. Où les matchs, les courses, les combats et les entraînements, la sueur, les victoires et les larmes ont beaucoup plus de valeur, finalement, que les millions qui circulent tout en haut de la pyramide.

Cyril Pocréaux

Dans leur premier album, les trois lascars des Neg’ Marron faisaient un

Je suis une bande de jeunes à moi tout seul (Extrait de l’album Laisse Béton, Renaud, 1977)

premier bilan à l’âge de “ 20 ans ”. Pour les sarcellois, à cet âge-là, ils

Dans son deuxième album Laisse béton, le titi parisien parle, comme à son

ont tout vécu, tout vu. Pour eux, 20 ans n’était pas un bel âge comme on

habitude, de la jeunesse de l’époque, des “ loubards ”, des quartiers... Le quotidien

a coutume de le dire. A peu près à la même époque, Ali (Lunatic) disait

d’une bande et les réalités de quartier bien avant les rappeurs, ce n’est pas un hasard s’il a été samplé par Booba pour son morceau Pitbull (sample de Mistral gagnant).

dans le morceau Esprits mafieux d’Oxmo Puccino : “ Mon expérience me donne l’impression à 20 piges passés, d’en avoir 50... ”.

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DOSSIER

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DOSSIER


DOSSIER

La fac

vue de Clichy-sous-bois

Avoir grandi à Clichy-sous-bois et faire des études de Sciences Politiques. Le genre de parcours qui met K.O les idées reçues. Nawufal Mohamed a conscience du fossé qui sépare les habitants des cités de “ ses collègues ” de Licence de Sciences Politiques. Si tout s’est toujours bien passé à l’université, le jeune clichyssois a tout de même noté quelques différences. Les conditions d’accès au fameux Institut d’Etudes Politiques, plus communément appelé Sciences Po, sont longtemps restées élitistes. Depuis 2001, à l’initiative du regretté Richard Descoings, le recrutement est ouvert aux lycéens des Zones d’éducation prioritaire. A la rentrée 2006, après les émeutes, des équipes de Sciences Po, du Conseil régional ainsi que le maire de la ville, Claude Dilain, à grand renfort d’équipes de télévision, étaient venus présenter une nouvelle façon de travailler : “ Les journalistes nous avaient demandé si nous voulions faire Sciences Po. J’ai répondu que je connaissais pas Sciences Po ” se remémore Nawufal Mohamed, alors scolarisé au Lycée Alfred Nobel, à Clichy-sous-bois. C’est ainsi qu’à la fin du lycée, il tente le concours pour entrer à l’IEP. Première épreuve réussie avec brio, deuxième épreuve... : “ J’étais déjà parti en vacances ! Une erreur de jeunesse… ” lance-t-il en souriant. Peu importe, il savait quelles études il voulait faire.

ramené tous ses potes lui, pour qui il se prend ? Il veut ghettoïser nos soirées ou quoi ?! ” donc j’en ramène un ou deux ! ” Concernant le mode de sélection de ses potes à inviter aux soirées étudiantes, c’est simple : “ Les gens que je ramène sont les moins pires de la banlieue. Ils sont comme moi, nous sommes les moins pires de la banlieue ! Je n’ai jamais ramené un bagarreur, un mec qui part au quart de tour qui va tabasser un collègue, ça le fait pas trop. ” Et quand on lui demande s’il n’y a jamais eu de problèmes avec ses potes, la réponse fuse : “ Ils n’ont pas intérêt ! ”

Les transports

“ Pas du même milieu que moi ”

Outre l’IEP, la seule université à proposer une licence de Sciences Politiques est celle de Paris 8 – Saint-Denis. Nawufal choisit donc “ la capitale du 93 ” : “ C’était mon premier choix [...] J’ai essayé un semestre, ça m’a beaucoup plu. Je me suis retrouvé avec pas mal de gens dont je sais aujourd’hui qu’il ne venaient pas du même milieu que moi. ” Sciences Po, même à Saint-Denis, reste Sciences Po, pour Nawufal. Le changement est assez radical : “ Dans mes autres classes, collège, lycée etc, il m’arrivait de compter les blancs, en disant “ ils sont minoritaires ” [...] Par contre, arrivé à la Fac j’avais l’impression d’être marginalisé, je regardais autour de moi et les gens comme moi, j’en voyais pas beaucoup. Et plus le temps passait [pendant les deux premières années de licence], moins j’en voyais. ”

Mon père...

Aujourd’hui, Nawufal est en 3ème année de Licence. Tout se passe très bien avec ses camarades, mais en début d’année, il a encore été étonné : “ A la rentrée, les gens ont commencé à se dévoiler, à raconter leur vie. Moi, on voyait déjà d’où je venais, mais les autres c’était “ Mon père est médecin, mon père est avocat, le mien ingénieur... ” ”. Le clichyssois en a encore découvert un peu plus sur ses collègues et y voit une différence fondamentale : “ Eux, ils ont des acquis, de la culture... moi je n’excelle pas mais j’arrive à me débrouiller. Mais je me dis si j’avais eu des bibliothèques ou des musées à Clichy-sous-bois, peut-être que j’aurais été aussi bon, voire plus fort qu’eux. ” Malgré tout, il considère quand même faire partie des privilégiés de son quartier...

Expérience lycéenne

Si Nawufal ne se sent pas si désavantagé que ça, c’est qu’il a eu la chance d’avoir été dans le bon lycée au bon moment : “ Sans l’expérimentation de la seconde, je n’aurais jamais fait Sciences Po.

À la Fac j’avais l’impression d’être marginalisé, je regardais autour de moi et les gens comme moi, j’en voyais pas beaucoup. Et plus le temps passait, moins j’en voyais. Dans ce programme, le mardi et le jeudi étaient des jours banalisés. Ce qui signifie que nous pouvions faire de l’histoire, des maths, mais nous pouvions aussi voyager, découvrir des choses. Par exemple, nous avons visité le Parlement européen et la Banque centrale européenne. Sans ce travail là, j’aurais été beaucoup plus en difficulté. ” Les cours se passent plutôt bien, le fait qu’il vienne d’une ZEP n’influe pas sur le comportement des professeurs : “ Avec les profs, c’est simple, ils ne vont jamais te faire chier si t’as la moyenne à leur cours.[...] Il y en a une avec qui j’ai du mal... mais parce que j’ai pas réussi à avoir la moyenne, ” confesse-t-il dans un éclat de rire.

Les soirées

Elles sont inhérentes à la vie étudiante. Évidemment, Nawufal a encore beaucoup d’amis à Clichy-sous-bois. Comment s’y passe la rencontre entre le quartier et le petit monde universitaire ? Il nous répond sans détour : “ Si je vais à une soirée où je sais que je peux inviter des personnes, je ramène mes potes de Clichy. Après je fais un peu gaffe, si je ramène six, sept de mes potes, ils vont dire “ il a

Jeune de banlieue (Extrait Les histoires extraordinaires d’un jeune de banlieue, Disiz la peste, 2005)

Quand on va en soirée, la question du retour à la maison est inévitable. Elle devient même un casse-tête quand on n’habite pas Paris intramuros : “ Quand on fait une soirée, mes potes me disent “ non tu ne rentres pas à Clichy toi, parce que si tu rentres tu vas plus revenir ”. Si la soirée commence à 23h ou minuit, je n’ai pas envie de me retrouver dans le froid en train de cailler pour rien à attendre un bus, j’y vais pas. ” Le problème se pose, même s’il ne s’agit pas de passer une nuit en boîte : “ Ce qui est blasant, c’est les apéros. C’est le week end, les gens prennent le dernier métro et ils arrivent chez eux. Moi, il faut que j’essaie d’avoir le dernier bus, le dernier RER et le dernier métro. Donc je suis obligé de partir plus tôt. Et ce qui m’énerve, c’est qu’ils restent plus tard, mais ils arrivent chez eux plus tôt que moi ! ” Heureusement que pour aller à Saint-Denis, c’est plus rapide : “ Pour aller à la fac, ça va vite ! Je prends un bus, un tram, un RER, un métro. J’en ai pour 45min – 1h ! ”

Changer les choses

Finalement, Nawufal regrette-t-il d’être à Paris 8 plutôt qu’à l’IEP ? Le jeune homme reste très pragmatique : “ Ça dépend. Je verrai peutêtre plus tard, une fois que j’aurai fini mes études, je verrai en quoi l’IEP m’aurait servi, et en quoi Paris 8 m’aura desservi... ” Que fera-t-il après sa Licence ? Il ne sait pas encore, mais le champ des possibles est vaste : “ Journalisme, collectivités territoriales dans les zones sensibles… Je pense que je pourrais me rendre utile. Ou éducation, ou diplomatie, relations internationales, ça peut être pas mal aussi... Si on veut gagner beaucoup d’argent avec les études de Sciences Po c’est possible, à moins d’être un idiot... Après est-ce que tu fais des études Sciences Po pour reproduire les mêmes schémas qu’avant ? Ca sert à rien. ” Nawufal Mohamed fait partie de cette génération des quartiers qui veulent changer les choses et qui s’en donnent les moyens, ce qui le rend optimiste pour la suite des événements : “ Tout seul je ne pourrai peutêtre pas changer les choses. Mais maintenant je sais comment ça se passe en politique. ”

Charly Celinain

Le thé au harem d’Archimède (Mehdi Charef, 1984) Passé directement de l’usine au cinéma, Mehdi Charef remporte un

Ce titre, extrait du quatrième album du rappeur originaire de l’Essonne,

succès inattendu avec Le Thé au harem d’Archimède (1985). Évitant le

est un hymne à la fierté banlieusarde. Après avoir revendiqué ses origines

misérabilisme, cette œuvre évoque avec sensibilité la vie d’adolescents

africaines dans le précédent album, il se revendique banlieusard. En 2006,

de banlieue confrontés à la crise économique. Mehdi Charef s’efforce de

cet album a reçu la Victoire de la musique du meilleur album rap de l’année.

gommer le label imposé de “cinéaste immigré” en construisant une œuvre originale inspirée des marges de la société.

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DOSSIER

Stage : la “mal adresse” Pour dégoter un stage, certains profs ont conseillé à Teddy Ambroise et john, étudiants résidant en banlieue, de renier adresse ou photo. Ils témoignent. “ Trouver un stage : ça a été le parcours du combattant ! J’habite une zone pavillonnaire, une petite maison avec un petit jardin; je suis issu de la classe moyenne, mais ça n’empêche pas… ” Sur son C.V. est inscrit “ Saint-Denis ” (dans le 93) ; et si ça ne dérange pas le facteur, l’adresse postale de Teddy Ambroise est par contre un facteur repoussant pour les entreTeddy Ambroise prises qu’il a osé solliciter. Pire : la date de stage obligatoire de son master I approchant, la goutte de sueur coule au front, tout naturellement, Teddy Ambroise se tourne vers ses profs. Mais, stupeur ou originalité dans l’enseignement de la dignité : “ J’ai eu un prof qui nous conseillait de retirer l’adresse. Ou d’utiliser l’adresse d’un ami sur Paris. ” Il se souvient aussi du super conseil “ visuel ” : “ Faut

mettre sa photo pour éviter un entretien désagréable ”. Si t’es Noir, “ le chef d’entreprise Blanc qui a l’habitude de discriminer ne t’appellera pas en entretien ”. C’est mieux. C’est mieux ? Ou alors changer l’adresse de la fac. Au lieu “ d’Université de Villetaneuse ”, mettre l’autre mention officielle : “ Université Paris XIII Sorbonne ”. Ça fait illusion. “ Ça fait mieux ”. En attendant, pas la peine d‘attendre d’être à la fac pour subir de rejet, n’est-ce pas John ? John a 17 ans. Ce gourmand des playgrounds de basket voulait faire menuiserie, mais il se retrouve en seconde année Bac Pro métallerie. Aujourd’hui, il a l’oreille accrochée au combiné : “ Bonjour (…) je suis à la recherche d’un stage… ” Jusqu’ici tout va bien, mais après vient le : “ Je suis élève au lycée professionnel Nicolas Ledoux de Pavillons-sous-Bois ”(93). Et là, c’est le drame. Parfois, il se mange des explications au goût amer : “ C’est pas possible, parce que la dernière fois, avec un de vos collègues… ” Mais le plus souvent, la conversation

s’arrête net. Sans aucune autre forme de procès. Quelques secondes avant la date fatidique, M. Ambroise, lui, finit heureusement par trouver. “ Son premier stage ”, il le doit à sa sœur, professeur des écoles à Epinay-sur-Seine (93). Elle l’a tuyauté auprès de la mairie. Pour son master II, il doit cette fois-ci son sursis de dernière minute à une copine “ qui avait déjà trois stages ”. Mais là encore, Teddy Ambroise a eu vraiment de la chance : “ Le mec qui m’a engagé venait du même lycée que moi, de la même fac que moi, et on avait des profs en commun… ” Détenteur d’un master II Evaluation des politiques publiques, il veut pourtant croire que “ postuler en banlieue, quand on a un tel bagage, devient une valeur ajoutée ”. A force, la mauvaise adresse deviendra peut-être un jour la bonne adresse ?

Dolpi

SOS Stages

Depuis deux ans, la Fédération nationale des maisons des potes porte un dispositif d’accompagnement des jeunes lycéens dans leur recherche de stage. Base de données accessible aux enseignants avec liste d’élèves (et leur expérience passée), enseignants, entreprises… L’enjeu, pour le coordinateur de la structure, Samuel Thomas, n’est pas mince : “ Les difficultés d’accès aux stages constituent une forme de discrimination. Celui qui est dans un bon lycée a des profs qui ont des réseaux d’entreprises pour accueillir des stagiaires. Pas celui qui est dans un lycée difficile. C’est un cercle vicieux : il y a beaucoup moins de conventions de partenariat avec des entreprises dans ces lycées, parce que les profs, voire même les proviseurs, tournent trop vite et n’arrivent pas à créer de lien avec les entreprises. Ce système ne fonctionne que dans les lycées d’excellence ”. Voire avec l’ENA, comme le faisait justement remarquer Jeannette Bougrab, secrétaire d’état à la Jeunesse et à la vie associative du gouvernement Fillon, dans Pote à Pote, le journal de la Fédération : “ Quand vous avez 15, 16, 17 ans, vous n’avez aucun réseau ! Il faut que ce soient les établissements qui trouvent les stages pour les jeunes. Quand vous êtes à l’ENA, le stage, c’est l’ENA qui le trouve ! On favorise toujours ceux qui en ont le moins besoin ! ” La Halde révélait que 53% des élèves ont des difficultés d’accès aux stages, faute de connaître des entrepreneurs. Samuel Thomas : “ Déjà, trouver une entreprise qui a du temps à consacrer à un jeune, c’est difficile, alors quand ce jeune vient de Villiers-le-Bel et s’appelle Mamadou… ” Villiers, dont le lycée Pierre Mendès France a passé une convention avec la Fédération pour qu’elle l’aide à trouver des entreprises. Alors que près de 30% de ses lycéens n’y avaient en 2011 pas encore de stage une semaine avant le démarrage de la session… Or, il paraît normal qu’il soit du rôle de l’Education nationale de trouver des stages, puisqu’il s’agit de formation. Amer conclusion de Samuel Thomas : en 2012, le gouvernement a baissé de 80% les aides à ce projet…

ER

A Pôle emploi,

E

je suis la K1802

n tant que jeune diplômée fraîchement débarquée de mon Master professionnel en Sociologie appliquée au développement local, je m’attendais à galérer. Car dans mon domaine au terme si flou de “ développement local ”, s’il y a du travail, il n’y a… “ pas d’argent ”… ou alors… “ c’est compliqué ”. Et puis surtout, il faut ce “ réseau ” dont tout le monde parle dans le monde des “ sans emploi ”, mais que personne n’a jamais vu. Oui, car s’il y a deux mondes qui ne se côtoient pas ou vraiment très peu, c’est celui des demandeurs d’emploi et celui de ceux qui sont déjà en poste. Ceux qui ont ou se fabriquent du réseau et les autres. Pour l’instant, mon seul réseau c’est celui du Pôle emploi, ou plutôt celui de la fiche qui m’y correspond parmi les fiches ROME. Moi, je suis la K1802. Une des nombreuses pour lesquelles il n’y a “ pas de profil de poste accessible ”. Pour vous le prouver, “ votre ” conseiller tapera à deux doigts sur son “ ordinateur fatigué de chercher sans jamais trouver ”, votre poste potentiel. Il fera par la suite pivoter son ordinateur pour que vous puissiez voir l’écran. A ce moment, l’ordinateur se

mettra certainement à ramer… assez pour qu’un petit malaise fasse place… Tout ça se terminera sur un : “ Ah voilà, bon vous voyez il y a des postes mais ce sont des CUI-CAE, et vous n’y avez pas droit… et là ils demandent de l’expérience… je vous clique sur l’icône et ça l’enregistre dans votre dossier personnel et vous verrez ça de chez vous… Nous, on se voit à notre prochain rendez-vous ”.

Enfin, rendez-vous, c’est une façon de parler. En fait, c’est une convocation… Oui à Pôle emploi on convoque, on rappelle à l’ordre, on radie… on galère (les demandeurs d’emploi comme les conseillers d’ailleurs). Mais Pôle emploi n’est qu’une figure symbolique. On n’y passe pas non plus toutes nos journées. La plupart du temps, on est face à Google et à tous les sites de recherche d’emploi où un millier de sigles s’entremêlent : AFIJ, APEC, ML, MJC, PRDS, indeed, CRDSU, Pôle emploi, Rhône-Alpes solidaire, les différents CG, CAF, etc. Si ça n’est pas devant un ordinateur, c’est au téléphone que ça se passe ou alors

à un “ forum ”, à une “ présentation ” ou encore à une “ rencontre employeur ”. Des fois, on fait dans l’exotisme et on va à la convocation “ Pôle emploi ” qui nous propose de “ rencontrer les professionnels de l’armée de terre ”. On envisage de reprendre une formation en CAP jardinier. On se demande si on est légitime pour un boulot saisonnier de grillardin à Aqualand ou de vendeuse en boulangerie dans un camping et on se retrouve dans la file d’un forum de l’emploi saisonnier avec un CV où on a effacé des lignes et mis en avant nos boulots d’été et alimentaires et en tout petit en bas les stages qu’on a aimé, les études dans lesquelles on s’est épanouie.

Elsa, 25 ans, en service civique, Perpignan

Lire la suite sur : http://tinyurl.com/bw8vl6e

Entre les murs (François Bégaudeau, 2006)

Chroniques de l’asphalte (Samuel Benchétrit, 2005)

Un jeune professeur de français dans un collège difficile n’hésite pas à

12 nouvelles autobiographiques écrites par un auteur né dans une cité de la

affronter ses élèves dans de stimulantes joutes verbales, comme si la

région parisienne : son enfance, ses copains voyous, ses voisins de palier...

langue elle-même était un véritable enjeu. Le film a été tourné au collège

Ecriture énervée, mais pudique : la critique dit qu’il “ était à la littérature ce que

Françoise Dolto à Paris dans le XXe arrondissement : tous les adolescents

le rock était aux Sex Pistols ”.

du film sont élèves à Dolto, tous les profs y enseignent, la CPE y travaille... Une expérience à part entière.

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DOSSIER

Insertion : contourner la fatalité

Dans les quartiers populaires, le taux de chômage des jeunes est de 38 %, contre 22 % ailleurs. A diplômé égal, les candidatures de ces jeunes sont rejetées près de 4 fois sur 5. Témoignages de deux jeunes qui ont poussé la porte de Mozaïk RH, cabinet de recrutement associatif travaillant à insérer des diplômés dits “ de la diversité ”, pour décrocher un emploi. Yanis Mamouri

Y

asmine Askri n’a que 26 ans. Cette jeune femme, originaire de la région lilloise, a pourtant déjà connu une double période de chômage. Yanis Mamouri, lui, est ingénieur commercial chez SFR. Ce jeune homme de 25 ans, vit à ChâteauThierry (Aisne). Deux CDI, mais finalement deux parcours très différents.

3 Licences et 1 Magistère, et employée dans une boulangerie. Avant son CDI, Yasmine Askri aura, à deux reprises, côtoyé les files d’attente de Pôle Emploi. Sa première période de chômage remonte à la sortie de l’université. Des études qui lui permettent de décrocher trois Licences (Histoire, Géographie et Sciences Economiques), puis un Magistère en Ressources Humaines. Juste après, Yasmine travaille dans une boulangerie pendant un an. Avant de venir tenter sa chance à Paris. Elle enchaîne alors plusieurs contrats chez GDF Suez avant de se faire remercier… et surtout remplacer par un stagiaire.

Yasmine Askri

S’ensuit alors sa deuxième période sans emploi. Yanis Mamouri, lui, fait partie de ces rares chanceux à ne pas avoir connu de période de chômage. Il a fait cinq années d’études après le bac. Et est parvenu à faire une transition sans anicroche entre études et premier job. Il a obtenu un BTS en Management des Unités commerciales. Puis a enchaîné avec une Licence en Gestion commerciale. Il est encore étudiant lorsqu’il croise la route de Mozaïk RH. Le cabinet de recrutement l’aide à trouver une entreprise pour son alternance.

Un CV exposé en quelques minutes sur Canal +

Le coup de pouce de Mozaïk RH pour Yasmine Askri aura peutêtre mis plus de temps à venir, mais il aura été plus fulgurant. Cette dernière a eu l’opportunité d’annoncer qu’elle cherchait un emploi... à plusieurs millions de Français en même temps. Ca

s’appelle la magie de la télévision. Elle a été invitée sur un plateau de Canal + pour parler de Mozaïk RH et de son parcours. Là, elle rencontre la PDG de MTB, une PME spécialisée en ingénierie des logiciels. “ J’ai sauté sur l’occasion. Une semaine après, je signais mon contrat ! ”, raconte celle qui occupe aujourd’hui un poste à cheval entre les ressources humaines et la gestion d’entreprise. Depuis son court passage à la télévision, les offres pleuvent. Encore aujourd’hui. Yasmine Askri utilise tous les contacts qu’elle peut se faire pour les redistribuer ensuite à des connaissances ou des amis. Pas revancharde pour un sou, Yasmine se retourne sur ses 300 CV envoyés qui n’ont, pour beaucoup, pas suscité de réponse. Les difficultés qu’elle a rencontrées sont surtout dues au manque de réseau, selon elle. “ Pôle emploi ne sert à rien quand on cherche du travail ”, tranchet-elle. Elle considère ne pas avoir été victime de discrimination, mais a bien conscience de l’existence du fléau. Aujourd’hui, elle pratique, lorsqu’elle embauche, la discrimination positive “ même si cela ne m’empêche pas de recruter Jean-Baptiste ”.

Une forme d’auto-censure

Pour Yanis Mamouri, c’est le flair de Mozaïk RH qui a provoqué le déclic. En 2010, la boîte de Saïd Hammouche a eu la bonne idée d’envoyer le jeune homme participer à une séance de speed dating organisée par SFR (une collaboration entre SFR et Mozaïk RH qui dure d’ailleurs depuis 4 ans). De l’aveu de l’entreprise de téléphonie mobile, cela permet d’ouvrir ses portes aux jeunes des quartiers populaires, qui n’auraient pas spontanément candidaté auprès d’un groupe comme SFR. “ Ils ont visé juste en m’envoyant là-bas. Sans Mozaïk RH, je n’aurai jamais trouvé ce job. Peut-être une forme d’auto-censure ”, confie Yanis Mamouri, qui reste toujours sur ses gardes. Avec un Master 1 puis 2 en poche : “ Après la Licence, j’ai tout de même continué. Il fallait que j’aille jusqu’au bout... par sérénité. On ne sait jamais ”.

Chloé Juhel

Faire taire tous ceux qui nous rabaissent

J

’me présente : Sémilia. 17 ans. Fille de chômeurs à plein temps. Mes parents ont fait des études mais n’ont jamais travaillé. A eux deux, ils gagnent moins de 800 € par mois. Tu dois te dire que ma vie n’a pas du être tout l’temps facile. C’est vrai. Mais j’ai des parents en or qui m’ont toujours apportée tout ce dont j’avais besoin. J’suis donc issue de ce qu’on pourrait qualifier de “ famille de k-sos ”, un pur produit de banlieue comme le diraient certains. J’savais lire avant de rentrer à l’école, j’me suis toujours ennuyée en classe. Alors rapidement, j’ai commencé à faire des conneries. Puis, l’arrivée au collège : t’es la première à foutre le bordel, t’as pas une thune. T’as 17 de moyenne, t’es toujours première partout, mais les profs s’en foutent… De toute façon, tes parents pourront pas payer tes études, alors trop d’profs sont persuadés qu’tu partiras en apprentissage après la 5e. T’as 12-13 ans, mais tu comprends vite que personne sera là pour t’aider à l’école, alors tu sèches les cours, tu fais la grande. Le CPE a dû me répéter des millions de fois que j’aurai même pas le brevet. J’l’ai eu avec mention.

Arrivée au lycée général, j’disais que j’voulais voyager, on m’disait : “ Dans tes rêves Sémilia, faut d’l’argent pour ça ! ” Puis en première et en term’, j’suis tombée sur un prof qui m’a littéralement sauvée la vie. J’allais plus en cours, mais j’passais mon temps devant le lycée à boire des 8-6 et à fumer des gros joints. Mais ce prof-là m’a fait comprendre, et rien qu’en donnant ses cours de littérature, que tous ces gens qui n’croyaient pas en moi, c’était ma force. J’ai compris que j’allais sortir de ma merde et tout déchirer rien que pour les rendre malades, pour leur prouver qu’ils sont trop cons. Aujourd’hui j’ai 17 ans, j’suis à la fac, et mon bac, j’l’ai décroché avec mention. C’est déjà une réussite de ouf. Preuve qu’on peut v’nir de la cité et arriver à faire taire ceux qui nous rabaissent.

Sémilia, 17 ans, étudiante, Poitiers.

Les roses noires (Hélène Milano, 2011)

Kiffe kiffe demain (Faïza Guène, 2004)

14 adolescentes de Seine-Saint-Denis et Marseille vues à travers des

La vie quotidienne et le regard caustique d’une ado sur son entourage :

témoignages dépourvus de tout cliché. La différence du langage des

portraits caustiques et écriture vivifiante. Un vrai bol d’air, loin des clichés

jeunes femmes (le “wesh”) fait ressortir leur rapport à la cité, à la France,

misérabilistes sur les banlieues

au monde, au genre opposé et à leur propre féminité, en pointant leur sentiment d’exclusion.

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DOSSIER

Ouvrier à 20 ans, “ c’est mieux que rien ” Amiens, capitale de la Picardie, est très touchée par le chômage des jeunes (environ 50%), malgré une zone industrielle et une pépinière d’entreprises. Ceux qui arrivent à décrocher un poste à l’usine sont considérés comme des privilégiés.

Ouvrier grâce à son père

Fouad, 21 ans, a abandonné son BEP comptabilité avant même de passer l’examen. Depuis, il enchaîne missions d’intérim et CDD à l’usine. “Cela peut paraître galère, mais il faut savoir que je suis très chanceux par rapports aux autres jeunes du quartier… C’est grâce à mon père qui a travaillé dans plusieurs usines de la zone industrielle. Il me pistonne, sinon j’aurais pu rêver !” raconte ce grand gaillard, cigarette à la main. Il estime qu’à cause de la réputation du quartier, les jeunes du nord ont du mal à décrocher un travail sur la ville. Le taux de chômage des jeunes du quartier est estimé a 50%.

Obligé de travailler

Pourtant, la ville dispose d’une zone industrielle et une zone franche est nichée au milieu des immeubles. Elle compte aussi de nombreux centres d’appels comme Intracall center, Coriolis France, ou encore Médiamétrie, implantés grâce aux aides des institutions publiques (Ville, Région et Etat). Tout comme Fouad, Giovanni estime aussi avoir de la “ chance ”. Originaire du quartier Saint-Maurice, à proximité d’Amiens-nord mais considéré déjà comme un quartier rural, il a pu signer un CDI au bout de quelque mois. Après avoir raté son bac scientifique plusieurs fois, il est contraint de travailler. “Mais surtout, je suis devenu papa récemment. Je suis obligé d’avoir un salaire pour faire grandir ma fille… J’ai obtenu ce poste au départ grâce au piston, il faut le dire ! Sans cela, c’est très difficile à Amiens ”. Visage rond, fine barbe taillée et coupe à la mode, il est chargé de ramasser les déchets industriels pour une entreprise sous-traitante de Goodyear et Dunlop. “On porte un bleu, et un masque car parfois les odeurs chimiques sont très fortes…” poursuit le jeune homme. Il fait partie de l’équipe du matin qui commence le travail à 6 heures, jusque 13h30. “Au départ c’était très dur, mais on s’y fait. Je n’ai pas le choix de toute façon”. Si Giovanni peut se sentir rassuré d’avoir un emploi stable, son embauche intervient peu

avant l’annonce de la fermeture de Goodyear le 31 janvier dernier. “Les anciens employés vont se battre c’est sûr. Pour les derniers arrivés comme moi, ça peut être tendu. On verra bien…” Et d’ajouter : “De toute façon je ne me vois pas toute ma vie à l’usine”.

“ Nos pères ont tout accepté ”

Les ouvriers, des courageux

Contrairement à la région Île-de-France, relativement dynamique, les jeunes chômeurs de province ont moins d’opportunités. La chaîne et le travail pénible à l’usine semblent être ce qu’il y a de plus accessible. Mais rares sont ceux qui envisagent d’y passer toute leur carrière, comme à la génération précédente. “Mon père a travaillé toute sa vie à l’usine, depuis très jeune je le vois partir à l’aube avec son casse-croûte et ses chaussures de sécurité… Moi je ne veux pas de cette vie-là” lance Fouad. Et d’ajouter : “J’ai beaucoup de respect pour les gens comme mon père, mais ils n’ont pas pris assez de risques, ils ont tout accepté. Mon objectif est de lancer ma propre affaire !”. Le jeune homme économise afin d’investir avec des amis dans l’ouverture d’un garage ou d’un kebab. “L’idéal serait une sandwicherie car il n’y en a jamais assez. Et c’est le seul endroit pour les jeunes pour se retrouver” ajoute-t-il. Giovanni, lui, n’est pas un fils d’ouvrier “mais je n’ai jamais eu d’a priori sur la profession. Au contraire j’ai toujours imaginé les ouvriers comme de grands bosseurs, des courageux. Et c’est vrai ! D’ailleurs je ne sais pas si je tiendrai plusieurs années comme ça…”. Le jeune papa pense déjà à se former pour trouver un nouvel emploi. Pour lui, l’idéal serait d’obtenir un poste à la mairie. Contractuel ou fonctionnaire, la municipalité reste l’eldorado pour la plupart des jeunes des quartiers populaires. Si de nombreux emplois d’avenir sont à pourvoir dans la ville, la demande est telle que les élus sont personnellement sollicités. Lucien Fontaine, élu (PS) à la Jeunesse et à l’éducation populaire, est régulièrement assailli de demandes. “Parfois je suis obligé d’être ferme et dire simplement “ non ” sans tourner autour du pot… Cette ville a longtemps été tenue grâce au clientélisme, et je ne veux pas de cela” lance l’élu d’origine comorienne. “J’ai parfois l’impression que ce sont mes origines qui créent de la proximité avec certains jeunes des quartiers qui me confondent avec un agent de Pôle emploi…” plaisante-il. La mairie, une façon comme une autre d’échapper au travail de l’usine, considéré comme ingrat.

Dominique Cros

A

miens, ville semie-rurale, semie-urbaine de 130 000 habitants a fait la une de l’actualité cet été, suite aux émeutes au quartier nord. Quartier emblématique de la ville, qui compte à lui seul 25 000 habitants. Une zone qui alimente les fantasmes et les préjugés, et que l’image de ces émeutes, passée en boucle sur les chaînes d’info en continu, n’ont pas aidée à atténuer.

Mérième El Alaoui

Zim and co (Pierre Jolivet, 2005)

Le ciel, les oiseaux et ta mère (Djamel Bensalah, 1998)

Un jeune et ses quelques potes essayent de s’en sortir en magouillant,

A l’occasion d’un voyage à Biarritz, un groupe de copains d’une cité s’évade

dans un monde de magouilles, tout en essayant de rester “ des gens biens

de son univers : comédie légère sur le décalage entre les milieux sociaux et

”. Ironique, frais, tonique… et une jolie pirouette finale !

la découverte de l’autre.

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DOSSIER

Indigné, engagé, tempéré Il a 27 ans. Nordine Idir est le nouveau responsable du Mouvement des jeunes communistes, un parti qui n’est plus que l’ombre de lui-même dans les quartiers populaires, mais qui attire encore à lui de jeunes gens en quête d’idéal (12000 en 2012, deux fois plus que d’habitude, année électorale oblige). Un engagement des plus classiques dans l’un des plus anciens partis de France ? Sans doute. Mais aussi un profil nouveau : un jeune diplômé d’origine maghrébine, mesuré, et qui a grandi dans un quartier pavillonnaire. Georges Marchais est loin, très loin. Le “ rouge ” au couteau entre les dents encore plus loin. Quel est votre parcours ? Comment êtes vous entré en politique ? Je suis né à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), j’ai fait des études de Sciences politiques à Saint-Denis (niveau Master), une fac où il y a beaucoup d’étudiants étrangers, et une forte solidarité avec eux. C’est une fac ouverte sur son environnement. C’est là que j’y ai fait mes débuts dans l’engagement. J’ai adhéré en 2006. J’avais 20 ans pendant les émeutes de 2005, et j’habitais dans un quartier pavillonnaire, plutôt calme, de Deuil (95). Il n’y avait pas de transports, c’était parfois tendu. Alors que certains politiques mettaient tout le monde dans le même panier, j’ai ressenti une forme d’identification avec ces jeunes, même si je n’approuvais pas leurs actes ; ils auraient aussi bien pu être des gens que j’avais connu

plus jeune... Mais c’est après que j’ai pris ma carte, au moment du CPE. Si le mouvement a pris cette ampleur, c’est parce que les lycées de Seine-Saint-Denis s’étaient mobilisés. Ce n’étaient pas que des petits blancs favorisés. Je n’ai pas connu les structures d’éducation populaire traditionnelles. Mes parents étaient plutôt de gauche... J’ai ressenti une forme d’indignation parce qu’on nous faisait comprendre qu’on n’était pas à notre place ici : à Deuil, alors que mes parents avaient difficilement économisé pour acheter un pavillon, on ne nous regardait pas comme des pauvres, mais plutôt comme venant d’ailleurs... Nos opinions se forgent par notre vécu, ce n’est qu’après, avec les études et les livres, que se structure une pensée.

Comment fait-on du militantisme dans des quartiers qui en ont perdu l’habitude ? Comme les conditions de vie se sont dégradées depuis trente ans, c’est normal qu’il y ait de la colère contre les partis. Les gens ont envie qu’on soit utiles pour eux, tout de suite. C’est pour ça qu’ils s’engagent plutôt dans des associations. Du coup, on les sensibilise par des démarches d’éducation populaire. Des “ réunions de crise ” en bas d’immeuble, devant les lycées, “ à la criée ”, dans les soirées étudiantes, par du porte-à-porte... Il faut organiser des tournois de foot, s’intéresser aux loisirs, à la culture. On fait des tournois mixtes entre hommes et femmes, ou avec des thèmes (discriminations, Palestine...) Les communistes n’ont pas à rougir de ce qu’ils ont fait dans les quartiers, même s’ils ont raté des coches... Au conseil général, ce sont les seuls, avec les apparentés, à avoir des élus “ de

Cité en mouvement : une étiquette PS (trop) collante ! S’unir dans le but de faire avancer la jeunesse des quartiers populaires, c’est exactement ce qu’a fait le collectif Cité en mouvement. Ce dernier rassemble de nombreuses personnes engagées, parfois politiquement. L’engagement politique de certains peut-il nuire au collectif ? Cité en mouvement rassemble des militants du 17ème arrondissement de Paris, de Saint-Ouen, d’Epinay... Le groupe mène de nombreuses actions concrètes, sur le terrain, à destination des jeunes des quartiers populaires. CEM a notamment participé à la campagne Stop le contrôle au faciès, dont les premières maraudes ont eu lieu dans le 17ème. Depuis, le collectif s’est transformé en association dans le but d’affirmer son indépendance.

“ Indépendants ” “ Non, nous ne sommes pas encartés ! ” clame clairement Adama Ouattara, président de l’association Cité en mouvement. “ Certes, au lancement du collectif, les relations de Bolewa Sabourin au sein du MJS nous ont permis d’avoir des contacts bien placés, mais

c’est tout ! ” admet-il. La constitution en association avait deux buts : donner un cadre solide et organisé au mouvement, mais aussi acquérir une indépendance en s’affranchissant de l’étiquette socialiste qui continue à leur coller aux baskets. “ On a pris notre envol ! ” clame Adama Ouattara, qui est par ailleurs responsable de l’association Rythme Tout Terrain depuis dix ans, et n’a jamais été encarté. Dans l’association CEM, il existe une certaine diversité politique, certains étant plus proches des Verts (EELV), d’autres du PS. D’autres enfin n’ont rien à voir avec les partis politiques mais Adama l’assure : “ Chacun apporte sa pierre à l’édifice ”.

Compliqué d’être assimilé à un parti “ Ma mairie, dans le 17ème arrondissement de Paris, est UMP. Si on me croit PS, ça risque de me compliquer les choses. Si je l’avais été, je l’aurais assumé ; mais en l’occurrence je ne le suis pas ”, nous explique le président de CEM, en pensant notamment à l’attribution de subventions. Être assimilé à un parti peut également poser des problèmes de collaboration avec d’autres associations : “ Quand on a commencé à travailler sur Stop le contrôle au faciès, certains n’ont pas voulu bosser avec nous parce qu’ils pensaient que nous étions PS. On a toujours eu ce problème. Après, quand les gens nous voient travailler sur le terrain, ils constatent que nous sommes sincères ”. Être considéré comme appartenant au PS, symbole des

Nos opinions se forgent par notre vécu, ce n’est qu’après, avec les études et les livres, que se structure une pensée. la diversité ”. Moi, on m’a élu sur le fond de ce que je portais, plus que pour ce que je représentais (un jeune issu de l’immigration et des quartiers). Même si je suis aussi un peu une “ tête de gondole ” pour certains, c’est un truc à prendre en compte ! Mais il ne faut pas s’arrêter à ça, même si ceux qui font la politique dans ce pays sont blancs, cinquantenaires, hétérosexuels et professions libérales! Ceux qui ont besoin de changement sont peu présents. On parle beaucoup du fait qu’il n’y a pas de “ diversité ” à la télévision, mais il y a encore moins d’ouvriers [2% dans les débats, pour 14% dans la société ; contre 79% pour les cadres et professions intermédiaires qui ne représentent que 5% de la population active, ndlr]. Nos pères ont été exploités, comme tous les ouvriers, un peu plus même sans doute... C’est là qu’il faut agir, comme sur la question des femmes. Des gens issus de l’immigration, il y en a aussi à l’UMP, mais on ne porte pas les mêmes valeurs.

Erwan Ruty Lire la suite sur : www.presseetcite.info/d004

espoirs déçus pour la jeunesse des quartiers, ne serait donc pas un bon point pour une association qui s’occupe de ces populations ? “ Cette étiquette, c’est pire qu’une épine dans le pied ! On a même pensé à changer de nom, mais finalement non. ”

2014 en point de mire Les élections municipales auront lieu en 2014. Certains membres de l’association sont des élus ou briguent des postes d’élus, et ça ne pose aucun problème : “ On y va ! Saint-Ouen, Villetaneuse, Epinay-sur-Seine... Chaque personne a son positionnement politique. L’important, c’est de travailler pour les quartiers. Je suis partisan de travailler de l’intérieur ”. Entrer dans le système pour le changer, cela n’empêchera pas l’association CEM de mener des projets sur le terrain en 2013, comme “ Des quartiers et des livres ” qui mettra en avant des livres des quartiers ou qui parlent des quartiers. Si dans la vie de tous les jours les rumeurs courent, dans les quartiers, elles galopent. Ceci explique certainement pourquoi l’association Cité en mouvement a du mal à se défaire des étiquettes passées. Et Adama Ouattara l’assure : “ Nous n’avons jamais fait quelque chose qu’on nous aurait obligé à faire. ”

Charly Célinain

Total souk pour Nic Oumouk (Manu Larcenet, 2005)

L’évasion, Berthet One

Enfin une BD sur un petit jeune à casquettes qui mêle humour cinglant,

La jeunesse, c’est hélas ! aussi parfois la prison. L’auteur la connaît de

critique sociale et même fantastique ; sur les péripéties d’une victime de

l’intérieur, il la croque rapidement en une caricature à traits forcés, avec

la loi des quartiers, mais avec tendresse ! Une rareté.

impertinence, dans son quotidien le plus anodin, mais aussi souvent de manière rigolarde.

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DOSSIER

“ Les institutions

ont un rapport anxiogène aux jeunes ” “ Aujourd’hui, on ne parle plus entre petits et grands / Les interphones sont cassés / Pour s’appeler on doit se siffler ”. Ces quelques lyrics d’un jeune habitant de Grigny, qui a participé au projet “ Moi, maire de ma ville ” cernent bien le problème : les jeunes sont à rapprocher de leurs aînés.

U

Vous menez des actions d’éducation populaire d’un nouveau genre, non ? L’éducation populaire, ça me parle parce que c’est un concept dont m’ont parlé des gens plus âgés, mais il n’y a plus ça aujourd’hui. On le voit dans les Maisons de quartier : on leur propose seulement de jouer au Uno et à Puissance 4 ! D’habitude, on leur propose soit des actions de consommation, soit des activités civiques, chiantes, qui ne les intéressent pas. Il faut trouver la bonne forme : nous, on utilise des activités qui les intéressent, en y mettant du fond. On a redonné aux jeunes le pouvoir des mots. T’es obligé d’avoir un avis quand toute ta vie change tout autour de toi, avec la rénovation urbaine, par exemple. Les institutions veulent la participation citoyenne, mais les projets sont déjà préparés, quand ils arrivent sur le terrain. Et quand il y a des moyens, ils sont confiés à des gens qui ne sont pas forcément compétents pour travailler avec les jeunes.

n certain nombre rêvent peut-être de rapper, mais la plupart veulent surtout parler, à qui veut bien les entendre... Un projet de rap d’éducation populaire, pour ainsi dire, a mobilisé pendant des mois toute une cité de l’Essonne, Grigny la Grande-Borne : mettre des jeunes en situation de réfléchir à ce qu’ils feraient s’ils étaient maire de leur ville. Ateliers d’écriture, accompagnement par des “ grands ” de la cité et d’ailleurs, le tout pour recréer du lien et faire prendre la parole à une jeunesse trop souvent laissée à elle-même. L’initiateur de ce projet : Omar Dawson, accompagné de ses accolytes Mounir et Myssa. Celui-ci n’est pas un ancien. A 34 ans, il arrive à faire le lien entre les générations, celles d’hier, et les plus jeunes d’aujourd’hui.

Quel est le constat qui en est à l’origine de votre projet ? On s’est rendu compte que la jeunesse changeait très rapidement. C’est facile de décrocher et de ne plus la comprendre. Grigny est la ville la plus jeune du 91 (Essonne). En plus, cette jeunesse est de plus en plus délaissée. Il faut comprendre la psychologie des jeunes, et après, il faut des institutions pour cadrer les choses. Le problème est qu’on a d’un côté des gens qui disent “ les jeunes ne sont pas responsables ”, et de l’autre des jeunes qui disent “ on ne fait rien pour nous ; si on avait ci et ça... ” Les institutions ont un rapport anxiogène aux jeunes, parce qu’elles n’arrivent pas à se mettre à leur place. Quand tu les sollicite à un moment où il n’y a aucun problème, elles ne font rien. Elles font du crisis management, donnent des crédits à la va-vite quand il y a des problèmes. Il n’y a aucun courage politique. Avant, il y avait des érudits qui savaient à la fois écrire et parler aux gens, se prendre la tête avec eux. Maintenant, les institutions ont même peur des mots de cette jeunesse, comme ceux qui sont dans les textes qu’on pouvait écrire dans notre concours ! Certains profs aimeraient faire des choses avec nous, mais si tu veux travailler avec le rectorat, pfiouh ! C’est la Reine d’Angleterre ! Les institutions savent mieux gérer ceux qui crament des voitures : elles envoient les CRS et donnent des budgets politique de la ville pour reconstruire des immeubles !

Est-ce qu’il n’y a pas quand même un certain fatalisme de la jeunesse ? Si tu leur donnes le pouvoir ne serait-ce que de s’exprimer, les jeunes vont te suivre de A à Z. Au début, ils vont te faire des textes pour dire “ moi, maire de ma ville, il n’y aura plus de police ”. Mais quand tu leur dis : “ Mais quand tes parents voteront, ils demanderont de la police ”, ça leur parle !

Les institutions savent mieux gérer ceux qui crament des voitures : elles envoient les CRS et donnent des budgets politique de la ville pour reconstruire des immeubles !

Quel regard portes-tu sur cette jeunesse ? A mon époque, on avait beaucoup moins de moyens. On avait une voiture pour six, des tatoos, et on allait dans des cabines à carte...! Maintenant, plein de petits ont des Smartphones, il y a une démocratisation de tout ça. A l’école, d’accord, il y a des tableaux numériques, mais les gens sont plus mauvais en orthographe qu’à l’époque où on n’avait que des craies de merde ! Il n’y a plus d’encadrement. Tu as plus d’opportunités, plus de possibilités, mais tu dois toi-même les concrétiser. Les gens ont de plus en plus besoin de réseaux pour réussir, mais la fracture s’aggrave entre ceux qui en ont et les autres...

Erwan Ruty

Je danse le Mia (IAM, 1993)

L’esquive (Abdellatif Kechiche, 2003)

Premier gros succès commercial d’IAM. Le groupe marseillais décrit avec

Les rapports difficiles entre garçons et filles à l’adolescence, vu de la

humour et nostalgie les soirées en boîte dans les années 80. Un morceau

banlieue. Vocabulaire parfois caricatural, mais vraie sensibilité. Où sont les

qui doit une grande partie de son succès au sample de “ Give me the

parents ? Chez les spectateurs, au mieux.

night ” de George Benson, ainsi qu’au clip de Michel Gondry.

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DOSSIER

La jeunesse

investit la mosquée

Dominique Cros

A 20 ans Houssemeddine est un studieux étudiant en licence de maths. Il est aussi le community manager du Centre culturel musulman de Bagnolet. Rencontre avec la nouvelle génération de musulmans 2.0.

D

iscrète djellaba blanche, il ne quitte pas son manteau en cet hiver rude. Juste après la prière du vendredi, Houssemeddine, 21 ans, fait la visite du Centre culturel musulman l’Olivier de la Paix-Zeytouna les yeux fermés. Un lieu qu’il connaît par cœur pour avoir participé aux travaux avant son ouverture officielle en 2004. Visage poupin mais personnalité bien affirmée, le jeune étudiant en licence de mathématiques parle calmement et sereinement. “Chaque vendredi, je place des centaines de fidèles avant la prière et je m’occupe de la collecte de dons…”

Communauté musulmane… version Facebook A proximité de petits immeubles, niché entre des commerces de proximité, le centre est venu compléter l’offre des quelques mosquées de Bagnolet. Cours de langue arabe, conférences, prêche du vendredi… les activités sont nombreuses. Des animations millimétrées, orchestrées par de jeunes bénévoles. “ Le vendredi, je peux dire que 40% des fidèles ont moins de 35 ans. Il y a vraiment un intérêt pour la religion et un retour aux sources. De plus, l’accès au savoir est facilité : si l’on compare avec 20 ans en arrière, qui fréquentait les mosquées ? Combien assistaient à la prière du vendredi ?” lance Houssemeddine. Dans sa famille, l’éducation religieuse est une priorité. Enfant, il intègre l’école arabe de La Réussite, à Aubervilliers, jusqu’à l’âge de 14 ans. Une fois que le centre de Bagnolet a ouvert ses portes, il y a poursuivi son apprentissage de la langue et des textes religieux. Son implication est donc toute naturelle. L’autre responsabilité qu’il assume à la mosquée est celle de community manager. “J’anime une communauté d’utilisateurs sur le site du centre, et sur Facebook. Cela va des simples réponses aux mails reçus, à la production de contenu, mais aussi la mise en ligne de vidéos des prêches ou d’informations. Mon

objectif est de produire du contenu de qualité plutôt que de la quantité”. Fan d’informatique et de nouvelles technologies, c’est un peu le “ geek ” de sa famille et de son entourage. Du haut de son jeune âge, il arrive même à tirer un revenu de la création de sites web et de supports de communication, via son agence Heizenberg-agency. Egalement passionné de photographie et de vidéo, il a réalisé lui-même quelques documentaires, dont un avec Islamotion.tv, “ Un esprit sain dans un corps sain ”.

Loin du cliché du “fou de Dieu” Houssemeddine est avant tout une jeune hyper-actif, et surtout bien dans ses basquets. Justement, le basket-ball fait partie de ses passe-temps favoris. Le vendredi est aussi jour des matchs entre amis et chaque soir, il suit les matchs de NBA… “Dieu merci, je n’ai jamais eu de problème d’identité. A chaque fois que je me suis posé des questions, j’ai eu des réponses…” explique-t-il simplement. Mais à 20 ans, à l’âge où la plupart des jeunes disent ne pas avoir assez de temps à passer avec leur propre famille entre les sorties entre amis, les loisirs… qu’est ce qui motive Houssemeddine à s’engager autant pour la mosquée ? “Je trouve un réel plaisir à aider. Voir le sourire des anciens lorsque j’échange quelques mots avec eux, c’est quelque chose de spécial. Et de toute façon, je suis convaincu que je serai récompensé pour tout ce temps consacré à ma religion” explique-t-il. Houssemeddine n’est pas une exception, le centre Culturel de Bagnolet non plus. Les récentes mosquées qui ont fleuri ces dernières années en Île-de-France sont très fréquentées par les jeunes. Résultat, les outils évoluent et s’adaptent au public. On ne compte plus les nouvelles applications Iphone pour trouver la mosquée la plus proche, avoir les horaires de prière ou la traduction du Coran… Ou même des quizz pour

tester ses connaissances. Une génération qui a grandi avec le boom de l’Internet et du web 2.0. Rares sont ceux qui ne sont pas inscrits à un réseau social. Tout comme d’autres institutions officielles ou de loisirs, les organisations religieuses répondent à la demande et exploitent ce support pour mieux communiquer.

Mérième El Alaoui Mobilisation des jeunes dans les “ khoulouges ”

Les khoulouges, mot arabe que l’on peut traduire par “ sorties ”, sont des virées organisées de musulmans, qui vont prêcher la bonne parole. Un groupe se forme et s’organise avec la mosquée d’une autre ville, qui s’engage à les accueillir. Les fidèles bénévoles partent plusieurs jours en immersion dans une ville qu’ils ne connaissent pas, pour aller à la rencontre des fidèles, visiter les malades ou rendre visite aux familles dans le besoin. L’occasion d’avoir des conseils et avis de personnes extérieures qui ne connaissent pas forcément le parcours ni la famille du fidèle visité. Au programme : échanges, prêches, prières collectives et discussions informelles avec la jeunesse… Car les “ cibles ” privilégiées des prêcheurs sont les jeunes des quartiers, parfois tombés dans la délinquance et en manque de repères. Entre jeunes du même âge, on est plus à l’aise pour échanger sur certains points… Dans une ambiance décontractée, les khoulouges sont aussi l’occasion de partager des repas avec des fidèles soit chez eux, soit à la mosquée.

Les lascars (Albert Pereira-Lazaro et Emmanuel Klotz, 2007)

La journée de la jupe (Jean-Paul Lilienfeld, 2008)

Après une série de très courts animés sur Canal+, un film narrant les

huis-clos paroxystique dans une classe d’école pour dénoncer le sexisme

déboires foutraques de deux potes pas fins. Crescendo dans le trash et

dans les quartiers.

Très décrié pour avoir trop copié le style de “ Ni putes ni soumises ”, rude

dans le n’importe quoi, jusqu’à un final de haute voltige.

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DOSSIER

Le mariage à 20 ans : à la recherche d’un statut

Le mariage est une étape importante dans la vie des jeunes des quartiers populaires. Grande fête, cortège princier, le moment de révéler au grand jour son bonheur… réel ou supposé. Unis pour le meilleur et pour le pire, mais pourquoi si jeune ?!

A

Saint-Denis (93) comme dans les autres villes populaires, les mariages sont très attendus. Les parents mettent leur réputation en jeu en offrant aux invités un repas très copieux et une belle soirée ambiancée. Les jeunes mariés rivalisent d’originalité pour marquer les esprits et obtenir le trophée du “ mariage de l’année ”. Pour cela, rien n’est assez grand, rien n’est assez beau : voitures de luxes à 3000 euros le week-end, location d’hélicoptère pour 30 minutes, location de chevaux… Sans oublier la décoration de la salle des fêtes, aux couleurs des Mille et une nuits… Une soirée qui permet aux mariés de changer de statut. “ Une vie rangée ” C’est le cas de Leila, 21 ans, qui a épousé l’année dernière Omar, 27 ans. “ Depuis que je suis mariée, on me regarde dans la rue… Les mamans du quartier font attention à moi et demandent de mes nouvelles. Avant, je n’étais qu’une gamine. Aujourd’hui je suis une femme ” raconte fièrement la jeune fille. Et de se rappeler du jour de son mariage, des étoiles dans les yeux : “C’était le plus beau jour de ma vie ! Toutes mes amies et ma famille étaient là, c’était une soirée réussie ! J’avais mis près d’un an à tout organiser ”. Son mari

est boulanger, elle, est à la recherche d’un travail. Elle a quitté les bancs de l’école après le lycée puis a enchaîné des petits boulots. “ C’est pour cette raison que j’ai voulu me marier rapidement… Je ne voulais pas faire trop d’études, et je n’avais pas d’idée de métier, d’ailleurs. Je me suis dit qu’après le mariage, ma vie serait plus simple ”, se rappelle-t-elle. Elle est heureuse d’avoir désormais “ une vie rangée ”. “ Au départ c’était difficile de gérer le ménage, les courses, la lessive, mais aujourd’hui je gère et je suis rassurée ”. Marié, mais dépendant de la famille Contrairement à Leila, dont le mari a un emploi stable, la plupart des couples mariés très jeunes ne sont pas encore bien installés professionnellement. Malgré une vie de couple et des responsabilités, ils vivent au crochet de leur famille. Difficile d’assumer du jour au lendemain un loyer et des factures… “ Mes parents m’ont toujours dit qu’ils m’aideraient jusqu’à ce que je trouve un travail… Mais il ne faut pas que ce soit trop long ” espère Amina. La jeune mariée vient de fêter ses 22 ans. Elle est encore étudiante, et son époux, de trois années son aîné, est un jeune comptable à la recherche d’un emploi. “ Je fais quelques missions, parfois j’accepte du travail au

noir. Mais je n’ai pas encore réussi à trouver de poste fixe ” raconte Ali, 25 ans. Crise économique oblige, les offres d’emplois se font rares. “ Je me suis mariée aussi pour avoir mon indépendance et voler de mes propres ailes… Mais concrètement, c’est difficile sans l’aide des parents et des frères et sœurs ”, avoue le jeune homme. Quand Amina va chez sa mère, elle repart systématiquement avec un sac garni de conserves, de fruits et légumes du jardin ou de viande. Du coup, elle cherche du travail à côté de ses études. “ J’aimerais surtout valider ma licence mais si je trouve un bon travail d’ici là, il se pourrait que j’arrête pour travailler… ” Malgré tout, le couple ne regrette rien. “ Il est vrai que si je ne m’étais pas mariée si jeune, je serais encore chez mes parents. Au lieu de payer les factures, je m’achèterais des fringues avec mon argent, comme mes copines… Mais je suis fière d’être mariée, contrairement à certaines filles qui sont encore célibataires à plus de 30 ans. Je peux commencer par fonder une famille. J’ai tout mon temps pour finir mes études et travailler ! ” résume Amina, pour qui “ la vie de famille est le plus important ”.

Mérième El Alaoui

Nous, princesses de Clèves (Régis Sauder, 2009)

Beur, blanc, rouge (Mahmoud Zemmouri, 2006)

Au moment où Nicolas Sarkozy bâchait ce classique de la littérature

Les aventures caustiques d’un jeune de la Goutte d’Or à la veille d’un match

française, un réalisateur veut lui prouver au contraire à quel point il est

France-Algérie. Un des meilleurs portraits des contradictions d’une jeunesse

utile à toutes les générations de jeunes de tous les coins de France (ici :

“ entre deux chaises ”.

Marseille).

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DOSSIER

Un samedi soir sur la terre … de banlieue

“ Le soir s’approche ça s’tape des barres // Ça fume des s’bars comme si c’était légal // Les gars veulent serrer des meufs // Les meufs serrer des gars // C’est qu’ça la night // Les soirées d’samedi soir // Quelquefois ça m’déçoit // Pour quelques billets d’ cent // Ça part en giclée d’sang ”

wii branchée pour une boîte de nuit sur mesure avec battle de danse dans le salon. Les parents descendent parfois jeter un coup d’œil ou un sourire mais restent en haut.

“ Kiffer ” la vie avec Barbara

Il faut dégainer la tenue de fêtarde, une bouteille et de l’énergie pour suivre Barbara : “ Je ne peux pas passer une vraie bonne soirée en boîte si je suis sobre car je n’arrive pas à me lâcher. ” Un immense regard clair, le sourire rose et une envie de profiter de chaque minute de ses 21 ans. Le rituel : apéro et boîte. “ On boit toujours avant d’arriver en boîte ! ” Seul leitmotiv : rencontrer de nouvelles têtes, ne pas s’ennuyer et profiter de la vie. La légèreté heureuse de Barbara est contagieuse : “ En boîte, on s’en fiche de tout, comme si rien n’avait de conséquences dans notre vie, comme si rien n’était grave ! ” Sa tenue de guerre : “ Robe de soirée et talons ” et direction les boîtes branchées avec une prédilection pour les sons du style électro/house ou pop. L’année dernière, dans le 91, elle “ allait au Métropolis (ou au “Loft”) car ce n’était pas loin ” mais elle préfère le Queen, le Red Light ou les Planche à Paris. Cette année, Barbara vit à Sidney en Australie pour améliorer son anglais. Sa vie est une succession de soirées notamment au Ivy’s et au Hugo’s. Mais même si notre fêtarde aime la nuit, elle reste prudente : “ En Australie, la plupart des gens que nous rencontrons en boîte sont défoncés, pas bourrés. On m’a déjà proposé des drogues, marijuana bien sûr, mais surtout des cachets ”. Elle refuse et continue de danser.

Si, pour vous, les samedis soirs d’un jeune de banlieue ressemblent au refrain de ce titre de “ Sexion d’Assaut ”… eh bien, je vous invite à passer une soirée avec Anaïs, Moha, J R, Barbara, Mélodie, Olivia ou Karim. Ils ont entre 18 et 25 ans, viennent de banlieue parisienne et passent des soirées aussi différentes qu’ils sont différents ; sur les pistes, dans les chichas, devant leur écran de la Play, ou encore concentrés sur “ Just Dance ”, un bon plat ou le monde à refaire. Allez, venez, on rentre le ventre, on cache nos rides et on a vingt ans, l’espace d’une virée. Saturday night fever, 2013 !

On a 18 ans avec Anaïs sur le dance floor, reggae, ragga, dance hall…

Leçon de drague avec Moha

1 mètre 90, polo Boss sur épaules massives, jeans Diesel choisi avec soin et chaussures Armani, Moha sort. Deux, trois fois par semaine, ce brun de 24 ans au visage encore poupin dégaine les chaussures “ qui le font sans trop en faire ”, son parfum Rochas et surtout du culot et des vannes pour draguer et s’amuser. Soirée en deux parties : chicha pour démarrer, boîte pour finir. 22 h : il quitte son 93 natal pour se poser dans les fauteuils parisiens du “ White ” ou du “ Min’t ” pour rejoindre le “ Bim Kim ”, à Ivry-sur-Seine. Posé dans les volutes de fumée d’une des chichas des quais de Seine, iphone à la main, boisson sans alcool, Moha prépare la suite de la soirée. Beaucoup d’habitués, mais parfois de nouvelles têtes : “ on se pose, on fume tranquille. Dans les chichas, toutes les femmes se croient à un mariage, c’est grave ! ” Moha, l’œil vif, fait un tour d’horizon des grappes de filles. Teint bronzé voire orangé, tenue sexy des clips R’n’B sans clips, sacs de marque et talons faits pour s’asseoir. Il repère sa proie et lui sourit : “ Si elle ne répond pas au sourire je laisse tomber, si elle sourit j’y vais, je m’assois à côté et j’enchaîne direct ! ” Et ça paye ! Moha et son sourire sont entourés de filles, d’amies ou d’ex. Il sait qu’elles sont une clef : “ Au Garden, sur les Champs, tu rentres seulement si tu es accompagné de filles. Ils te font comprendre qu’à trois gars, c’est mort. ” Ce soir, Zahouania chante. A 23 h, il n’y a déjà plus de place. Les derniers arrivés, bons joueurs, resteront debout. 02 h : Fermeture. Moha file au Milliardaire, sur les Champs. Il arrive, toujours accompagné d’amies très belles : “ Ça fait augmenter la cote d’un mec quand les autres filles le voient avec une bombe. Elles se disent : Qui c’est lui pour être avec elle ?! ” La techno comme les 100 euros de la bouteille, finissent par lui donner mal à la tête. Il trouverait sans peine une main douce pour le cajoler, mais Moha se méfie des mineures !

Direction le Palacio dans le 94 après avoir hésité entre le Cap Antillais et le Club section Zouk. Peu importe la piste pourvu qu’on ait le pas. Leur point commun ? Au milieu des corps qui ondulent et des yeux qui se baladent, vous pouvez croiser le sourire d’Anaïs. A 18 ans, elle connaît l’essentiel : le prix des bouteilles, où sont les toilettes et quels sont les tables et les dragueurs à éviter. Sourire d’enfant, corps de femme, peau métissée et jambes qui veulent danser, Anaïs sort depuis qu’elle a l’âge de faire l’âge requis. Elle sort beaucoup, danse beaucoup et rit plus encore. Samedi dernier, pour la soirée “ Secrétaire ”, Anaïs joue le jeu. Jupe, lunettes, talons et assurance, elle vit encore chez sa maman mais on lui donne 25 ans. Un dragueur approche, fait semblant de danser pour se rapprocher. Technique du requin affamé. Anaïs esquive d’un coup de hanche et continue de danser avec ses amis d’enfance. Des tours de Clichy-sous-Bois au dance floor, ils dansent toujours ensemble. Passionnée de hip hop, la danseuse expérimente de nouveaux pas et profite de l’espace tant qu’il y en a. Transpiration froide et son chaud mêlés.

“ Just dance ” avec Olivia

Olivia, elle, ne zouke plus en boîte. Vous ne verrez plus ses cheveux bruns frisés vibrer sur les pistes de l’Acropole ni dans les boîtes antillaises qu’elle a pu fréquenter à 19 ans : “ Il y a trop de monde et puis trop de dragueurs ! On ne peut pas danser tranquille. ” Pour cette étudiante de 21 ans, les bonnes soirées sont chez son amie. Grande maison du côté d’Evry Courcouronnes, plat africain préparé par la maman, et bande d’une dizaine de potes. La soirée commence à 19 h. Tenues décontractées et

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DOSSIER Les “ Zahias ” et les soirées-galères

son dégoût. Selon lui, les “ recalages de boîtes de nuit sont un passage obligé pour un banlieusard … ” Dans le 93, le Chris, une boîte où se retrouvent aussi bien des fêtards de Villepinte, d’Aulnay que de Sevran, sélectionne aussi. Les videurs refoulent souvent des jeunes venus de Clichy-sous-Bois, en prétextant les bagarres passées. Les jeunes refoulés protestent : “ Ils mettent tout le monde dans le même sac ! ”. “ Le videur te jette et forcément, parfois, ça dégénère. J’ai ma fierté, je ne peux pas me laisser humilier. ” L’alcool aidant, les bagarres démarrent aussi, souvent, à l’intérieur, pour un regard ou un geste déplacé : “ Un mec qui tire sur le bras de la meuf qu’est avec moi, devant moi, forcément c’est l’embrouille. ”

Yanis, 25 ans, regrette : “ En boîte, maintenant, y a trop de petits ! C’est abusé ! Les filles, elles ont 15 ans, mais je ne sais pas ce qu’elles mangent, elles font 25 ! ” L’âge disparaît derrière la lumière tamisée, le maquillage, la tenue ou les verres bus par celui qui la rencontre : “ Après, quand tu parles avec elle, tu te rends compte que c’est une gamine ! T’es vert ! ” Si les petits rentrent, d’autres ne rentrent pas. La soirée de Saïd, 22 ans, finit avant d’avoir commencé. Il vient de se faire recaler d’une boîte parisienne. Les poitrines et les gloss passent devant toute la file. Il rentre chez lui avec ses chaussures vernies et

Soirée trop chères … plan garçonnière

Blasés des boîtes qui les jettent, des bouteilles trop chères, et des mineures déguisées en femmes, certains jeunes banlieusards sont des adeptes des soirées à domicile. Des soirées plus économiques : “ C’est top, t’as pas trop de dépenses, juste de quoi boire et grignoter... Rien qu’tu rigoles et qu’tu vannes ! ” Direction l’appartement de JR. Ses trois amis le retrouvent chez lui. F3 dans le 93 : “ On est 4 mecs et chacun ramène des copines que les autres ne connaissent pas. T’as le choix, c’est trop bien ! Ça fait des soirées top … et ça peut même finir en “ soirée pyjama ” ! ” Pour draguer, JR vanne : “ Je dis à une belle nana qu’elle est moche, qu’elle a de la moustache ! ” Cette “ garçonnière ” collective leur permet de draguer et danser comme en boîte, mais avec une note nettement moins élevée. Deux grands fauteuils, un grand canapé et un matelas triangle venu de Thaïlande : le groupe mixte joue à la Play, à “ Just dance ” sur la wii. Ils s’amusent même à chanter en karaoké de vieux hits. Des soirées à 8 ou 10. Les quatre mecs restent les mêmes, mais les filles changent souvent. Le dimanche, en revanche, c’est soirée sans filles, l’heure du bilan : “ On se raconte ce qui s’est passé avec les filles du vendredi et du samedi, qui a serré qui ”.

Viens chez moi, j’habite chez Mélodie

Du côté de Montlhéry, Mélodie, jeune étudiante aux airs de Marylin Monroe, version engagée et tatouée, n’aime pas les boîtes de nuit non plus. Elle a pourtant “ essayé ”, mais se sentait mal à l’aise au milieu d’inconnus et n’arrivait pas à être elle-même. Le rendez-vous est pris dans la grande maison de notre étudiante en Arts. Sa maison est divisée en deux grandes parties. Quand ses parents reçoivent leurs amis, elle reçoit les siens. Musique pop rock, tenue décontracte et comité restreint. Comme le coin est mal desservi et ses amis n’ont pas encore le permis, Melody les invite à dormir chez elle après. Famille d’amis. Autour de la grande table du salon, ils refont le monde à 6, rient et jouent aux cartes. Soirée posée autour d’une pizza, de quelques verres et de projets artistiques. Adepte du body painting et des tatouages, Mélodie rêve de vivre de sa passion. Un samedi soir, en banlieue, à 20 ans, on sort, on boit, on danse, mais on rêve aussi souvent de qui on sera à 30 ans. Banlieue ou non, c’était juste un samedi soir sur la terre… Fatima Aït Bounoua

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DOSSIER

Les vacances au bled

d’une célibattante endurcie Cela faisait plusieurs années que je n’avais pas mis les pieds au Maroc. J’avais profité de congés pour visiter d’autres parties du globe, et j’étais beaucoup trop investie dans un boulot de “ créative ” dans une grosse boîte de pub, suffisamment en tout cas pour ignorer les objurgations de mes cousines, qui me recommandaient de revenir me “ ressourcer ” dans la région de Tanger. Comme une cénobite. Mais je ne suis pas une cénobite, je suis une célibattante. Endurcie.

U

ne yuppie de 28 ans qui n’a toujours pas trouvé le mec idéal, mais qui ne le cherche pas non plus. J’ai essayé toutes sortes de manœuvres dilatoires, mais j’ai finalement cédé à la pression de mes cousines et j’ai pris un billet. La notion de célibattante endurcie n’est pas très claire pour le marocain typique… Originaire des quartiers populaires de Montreuil, j’avais réussi à me hisser sur l’échelle sociale et à accéder à la propriété, ce qui ne fait pas de moi une de ces beurgeoises manucurées et précieuses, mais une jeune active qui bosse dur et qui a le droit à sa pause café-latté Starbucks à 17 heures.

ados, à l’entrée du port, qui veulent tenter leur chance en Occident. L’ennui guette partout. Les jeunes désoeuvrés sont assis sur des bancs, une partie de la journée. Je me pose alors la question de ces vacances au bled. Mais de quoi s’agit-il en fait ? De retrouver la première impression, celle du premier voyage, comme le fumeur de cannabis passe une partie de sa vie à essayer de retrouver la sensation de son premier “ hic” ? On me propose du sexe, de la drogue et des cornes de gazelle. Le lendemain, j’éconduis tous les mâles invités par les amies de ma cousine. “Elle est trop difficile”, lâchent les mamans, dépitées. Je leur explique que je suis venue en vacances, que je ne suis pas venue me marier, que je n’ai pas envie de me marier. Un rictus désapprobateur sur le visage d’une vieille rifaine tatouée m’indique qu’elle pense que je suis une lesbienne.

À peine arrivée chez ma cousine, j’ai cru comprendre que les voisins de notre petite ville, à quelques kilomètres de Tanger, me considéraient comme un “ bon parti “. Quelques mères avaient la ferme intention de marier leur progéniture et m’avaient invitée à déjeuner. Elles me firent remarquer que j’étais déjà trop vieille pour me marier, trop maigre (selon les standards locaux) et que j’avais la chance de venir dans cette petite ville, où les mamans n’étaient pas trop exigeantes quant au choix d’une partenaire légale pour leur rejeton. Je me suis sentie en décalage dès le premier jour de ces vacances. Je suis une Occidentale pur jus, je ne peux pas utiliser les “ toilettes “ situées derrière le puits, et encore moins les toilettes turques. Je n’aime pas nager et être entourée de cinq garçons qui évoluent sous l’eau autour de moi comme dans un mauvais remake des Dents de la mer.

Mais que signifient donc ces vacances marocaines ? J’aurais aimé trouver quelque chose qui fasse sens. Le retour aux sources. Mon pays d’origine. Mais je ne peux pas faire semblant de m’enthousiasmer. Je ne suis pas à ma place. J’explique même à Sabrina que je ne me sens pas chez moi ici. Sabrina me toise avec indignation et sévérité et m’explique à quel point je suis acculturée. Mais je ne le suis pas. Je peux me sentir chez moi partout dans le monde. Mais cette histoire de racines, je n’arrive pas à trop à saisir. Ma mère me bassinait avec cela tous les jours : n’oublie pas tes racines. Je n’oublie pas. Mon miroir et mon gros peigne à dentelure d’ivoire me le rappellent tous les jours. Je n’arrive pas ou plus à croire en ce retour “ mythique “ au pays. Je ne suis qu’une touriste dans ce pays d’origine. Je suis née à Montreuil.

Ma copine Sabrina, que je n’avais pas vue depuis des années, est elle aussi à Tanger. Elle est du genre à idéaliser le bled, un peu comme ces rappeurs qui parlent de l’Afrique comme d’un continent vierge et incorruptible. Pour ma part, j’ai cessé d’idéaliser le pays de mes parents depuis l’âge de 16 ans. Sans verser dans la caricature, être une célibattante est très compliqué dans certaines parties de la ville. Les propositions de mariage fusent à tous les coins de rue. Des jeunes types me disent qu’ils sont tombés amoureux à la première seconde, ce qui me semble un peu… improbable. J’ai cette impression d’être une carte de séjour ambulante. Love at first bite. Tu parles. Je n’ai pas envie, aussi, que mes cousines m’accompagnent à chaque fois que je sors.

Autrefois, à table, mon père ne supportait que je dise “je suis française” quand quelqu’un me posait la question. “Non, tu es Française de papier. Tu es Marocaine. “ Tout cela me semble maintenant très étrange. Les vacances tournent vite au psychodrame avec mes cousines. Elles m’encouragent à manger plus et à faire un gros bébé. Avec un rifain dont je ne comprends même pas le dialecte. Il est peut-être mignon, mais nous n’avons aucun atome crochu. J’explique à ma cousine que j’opterais pour la fécondation in vitro. Elle dit une prière et menace même d’appeler un imam pour m’exorciser. C’est enfin mon dernier jour. Je reprends le boulot le lendemain. Et je s’en suis ravie.

Montreuil et Paris me manquent au bout de deux jours. J’essaie de me ressourcer, mais je n’y arrive pas. Je m’ennuie. J’aime bosser. À Tanger, je vois les mêmes enseignes de prêt-à-porter qu’en France. Je n’éprouve plus ce sentiment de dépaysement que je ressentais quand j’étais gamine. Je comprends ces gosses, ces

Karim Madani aka Karima Dani

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dossier DOSSIER Lille, ma Medina

Je me souviens... de mes 20 ans

Imagine un matin la ville de Lille Cette heure sonne ce matin en ville de Lille (x2) J’ai 17 ans, j’arrive ici en 1964 Une valise à la main, toujours prêt à me battre En descendant du bateau ils m’demandent de changer d’nom Mais j’leur dis : “ J’m’appelle Mohamed, pas Stephane ” et j’dis : “ non ” J’suis à la mine, zebda dans la chicorée noire est ma mine On fonctionne au salaire et la prime Entre les ch’tis, les polaks, drôle de langue qu’on m’baragouine On vit dans des baraques pour une France qui nous baratine Mais c’i pas grave, moi j’suis ici que pour l’oseille Dans c’drôle de pays où il n’y a jamais de soleil J’amasse et j’envoie l’flouse direct au pays Et puis j’rentre et direct j’me marie J’viens d’Maroc, du protectorat En France, ils disent qu’y’a du taff, des droits et des syndicats J’vais choisir la fille la plus Miedda, p’t-être pas la plus zwina Loin de Lille, Lille la médina. refrain:

Je fais partie de cette génération célébrée par Pierre Bachelet. Vingt piges : “ T’as toute la vie devant toi pour la réussir, mais t’as autant de temps pour la rater ”. On compte encore en franc et les paquets de dix dépannent bien les clopeurs en galère. C’était l’époque de Star Wars au dessus de Bagdad et des premiers Mcdo au bord des autoroutes de province. C’était les années 80.

D

ans le baladeur cassette auto-reverse, Rockin Squat nous parle de Malek Oussekine et de système à combattre. Parfois c’est difficile à suivre, alors on se laisse aller sur la G-Funk ou des gros sons de la côte Est des USA sans trop comprendre les textes. Ariel Sharon se ballade sur l’esplanade des mosquées, Poutine est élu président et on nous annonce un gros bug pour la fin de l’année : on est en 2000. C’est la fin des boys band, des décos futuristes sur les plateaux télés; la France remporte l’Euro et George W. Bush. devient le 43ème Président des States. Une seule question : comment se faire une place au milieu de tout ce monde ?

Imagine un matin, imagine, la ville de Lille Lille, Lille ma médina Cette heure sonne ce matin, en ville cette heure sonne de Lille Dans Lille ma médina Imagine un matin, la ville imagine de Lille Lille ma médina Cette heure sonne ce matin en ville cette heure sonne de Lille Dans Lille la médina.

“ L’université te rit au nez alors tu lui raconte des blagues ”

A la vingtaine, tu prends conscience qu’il faut te choisir un rôle avant qu’on ne le fasse à ta place. Certains optent pour l’intérim, peaufinent le CV entre 2 cafés et s’arment d’une pochette cartonnée qui prenait la poussière depuis les années brevet. D’autres, plus pressés, se retrouvent embarqués par la street et ses fourgons bleus. Allers-retours, avec la rue pas de sentiments, c’est juste une histoire qui dure et sert aussi de roue de secours. Rien d’extraordinaire, beaucoup de routine et toujours cette impression d’être seul même entouré. La vingtaine, c’est le moment où l’on doute le plus, où l’on reçoit le moins, où l’on ne réclame aucune aide. On se motive, se monte en assos’, pleins d’espoirs, inconscient du mur administratif qui nous attend. On se bouge pour les petits en espérant changer le monde. La conscience politique se développe et se consolide entre lectures de grands classiques et écoute assidue de rap français. L’université te rit au nez alors tu lui racontes des blagues : mentalité insolent et lâche-rien; le résultat ? Désespoir des enseignants et rattrapage de partiels en septembre.

Moi, j’ai pas d’année, j’arrive ici en 75 Un jour de pluie, ciel gris, sous le froid qui pince Né dans une de ces cités dortoirs, quartier où tu saisis très tôt où sont les nécessités A la maison on parle l’arabe et en dehors le français Je suis l’fils de Mohamed, à l’école, faut toujours qu’jsois le premier Ma mère aurait voulu qu’jsois docteur Je suis l’aîné donc tu vois, j’ai pas l’droit à l’erreur Mais savait-elle comment on nous parlait dehors ? J’m’appelle Hicham et pas Stéphane, voilà c’qui dérange les porcs Mais savait-elle comment mes potes partaient dans l’halam où tout autour s’écroulait, que j’pouvais pas trouver le salam J’ai eu d’la chance, j’suis passé au travers du filet J’me réfugiais dans la zic pour pas dealer Je choisirai p’t-être pas la fille la plus zwina Mais elle sera de Lille, Lille ma médina. Imagine un matin, imagine, la ville de Lille Lille, Lille ma médina Cette heure sonne ce matin, en ville cette heure sonne de Lille Dans Lille ma médina Imagine un matin, la ville imagine de Lille Lille ma médina Cette heure sonne ce matin en ville cette heure sonne de Lille Dans Lille la médina. J’m’appelle Tarek, j’naîtrai plus tard à Lille Mon père, c’est Axiom, un rappeur dans les années bissextiles Il est “ beur ” comme il aime pas qu’on dise Moi j’suis son fils et j’s’rai docteur, ouais, quoi qu’il en dise Paraît qu’cétait dur avant, que j’ai grandi dans l’confort Que maint’nant c’t’avec les slaves que les gens jouent les porcs Pour le taff, ils sont arrivés en masse de l’Est Maintnant c’est vrai, les gens les craignent comme la peste En vérité, moi j’suis français, j’me sens pas concerné Z’ont qu’à travailler et arrêter de faire chier J’suis en privé, j’travaille bien à l’école Loin du halam, mon père n’a toujours pas trouvé le salam Moi, quand j’s’rai grand, je m’barrai loin d’cette ville D’son ciel gris, d’sa pluie, à mille lieues, mille ! Et j’choisirai la femme la plus zwina Loin d’cette maudite ville, Lille la médina !

“ Rendons ici hommage à tous les frotteurs de parquet... ”

C’est le moment où tu commences à comprendre que tu fais partie intégrante d’un système. Les conseils pleins d’humanisme de tes profs sont bien loin derrière toi, et tu te rends compte que sans argent, tu n’es rien. Le téléphone, la meuf, la fac, le double expresso, tout ça a un coût, alors tu pars en quête du Graal. Ils sont nombreux, les motivés qui se lèvent pour gratter les plaques d’un restaurant pour un quart de Smic, alors rendons ici hommage à tous les frotteurs de parquet, accompagnateurs de sorties organisées par la mairie, trieurs à La poste, assistants de l’assistant du magasinier dans une usine qui flaire bon l’huile de vidange, à tous les galériens du soir, à tous les veilleurs de nuit dans des hôtels dégueulasses, les porteurs de cartons contenant une marchandise qui vaut huit fois leur salaire, récureurs de toilettes de luxe, tireurs de trans-palette émérites, bagagistes qui envoient des valises à l’autre bout du monde, fourgueurs de détail qui t’envoient aussi à l’autre bout du monde tout en restant scotché sur ton banc.

Imagine un matin, imagine, la ville de Lille Lille, Lille ma médina Cette heure sonne ce matin, en ville cette heure sonne de Lille Dans Lille ma médina Imagine un matin, la ville imagine de Lille Lille ma médina Cette heure sonne ce matin en ville cette heure sonne de Lille Dans Lille la médina. (x2) Imagine un matin, la ville de Lille Cette heure sonne ce matin, en ville de Lille.

Parce que la vingtaine te fait squatter aussi. Il faut bien tuer le temps et profiter du bel âge ! Alors, tu te poses dans un canapé à écouter des histoires à moitié vraies ; c’est la réunion des acolytes anonymes. Une télé, deux manettes, une canette et c’est parti. La Playstation est au squatteur, ce que le comptoir est au tiseur. On se retrouve autour, on se chambre, on se défie, on se confronte mais surtout, on se rassure. Savoir que son voisin connaît les mêmes galères et aspire aux mêmes joies que toi te donne des ailes. On se jure de devenir quelqu’un et de ne jamais oublier ces après-midis arrosées de Coca sans bulles où le festin se limite à un sandwich catalane frites. On se projette et on ne veut surtout pas avoir de regrets, prêt à assumer les conséquences de notre arrogance, on se jette dans la mêlée.

Axiom, album “Axiom”, 2006

Salim Ardaoui

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fight club médiatique

Avoir eu 20 ans dans les Aurès

Ancien résistant, René Vautier devient cinéaste après la guerre et filme “ la réalité ” de la colonisation, du Sénégal à l’Algérie. Son premier documentaire, Afrique 50, témoigne de cette forme de militantisme où la caméra est pensée comme “ une arme de témoignage ”. Récit d’une véritable odyssée cinématographique contre le système colonial.

Comment un ancien résistant de Quimper, d’à peine 20 ans, se retrouve à filmer les réalités de la colonisation en Afrique de l’Ouest ? La Ligue de l’enseignement m’avait demandé de filmer la vie réelle des paysans d’Afrique occidentale. J’appartenais alors aux Jeunes éclaireurs de Quimper, décorés par De Gaulle pour fait de résistance. A la libération, nous avions monté une petite troupe. Peut-être à cause de notre décoration collective, on nous a invités à présenter un spectacle en Algérie et au Maroc. Là-bas, nous avons été en contact des scouts musulmans qui nous ont appris un certain nombre de choses sur ce qui se passait dans les colonies. Quand j’y suis retourné avec mon diplôme d’assistant réalisateur de l’Institut des Hautes études Cinématographiques (IDHEC), je me suis dit qu’il fallait absolument donner la parole aux gens sur place. Mais quand j’ai commencé à tourner à Bamako, on m’ a interdit le tournage sous prétexte que je n’avais pas d’autorisation spéciale signée par le représentant de l’autorité française, le gouverneur et que je ne pouvais filmer qu’en présence d’un représentant de cette autorité selon le décret Laval de 1934. Alors là, j’éclate de rire et je leur dis : “ On m’a collé une Croix de guerre pour ne pas avoir respecté d’autres décrets de Laval, je n’ai pas l’intention de respecter celui-ci. Et je vais continuer à filmer. ” Ce que j’ai fait. Alors on m’a assigné à résidence. Je me suis enfui avec ma caméra.

demandant de filmer ce que je voyais. Ce que j’ai fait. Du Soudan français à Dakar.

A ce moment-là, vous allez bénéficier du soutien d’indépendantistes africains... Tout le monde me cherchait et moi je partais en direction d’Abidjan où des Africains m’ont dit que quelqu’un pouvait me renseigner. C’était le président du Rassemblement démocratique africain (RDA), Félix Houphouët-Boigny. En descendant j’ai vu, et filmé, des villages brûlés, des corps enterrés à la va-vite. Des Blancs m’ont expliqué que c’était parce qu’ils n’avaient pas payé l’impôt, alors on les punissait. Et je filmais ces morts, ces blessés. Et j’ai raconté à Houphouët ce que j’ai vu. Alors que j’étais recherché, des Africains, dont Ouezzin Coulibaly, qui était alors député africain siégeant à Paris, représentant la Haute Volta (l’actuel Burkina Faso), adjoint d’Houphouët au RDA, m’ont fait faire une promenade en me

Mais l’histoire étonnante de ce documentaire ne s’arrête pas là puisque il sera interdit en France jusqu’à une période récente. Comment allez-vous détourner la censure et le projeter ? On l’a projeté pour la première fois en 1950 au gymnase de Quimper devant 200 à 300 membres des mouvements de jeunes de la région. Ils ont alors envoyé une lettre aux Africains pour leur dire qu’ils étaient à leur côté dans cette lutte pour leur indépendance. A ce moment-là, on formait à Quimper des parachutistes pour les envoyer en Indochine. Deux officiers ont voulu intervenir pour interdire la projection, il y a eu un peu de bagarre et ce n’est pas eux qui ont gagné. Après, j’ai appris que j’avais été condamné à un an de prison à Abidjan pour violation du décret Laval, mais

comme j’étais en Bretagne pendant qu’on me jugeait là-bas, mes copains m’ont conseillé de prendre le large pendant un moment. Je me suis mis à l’écart, dans un bateau de pêche. Puis on m’a rappelé pour tourner un film à Brest sur les grèves au cours desquelles un ouvrier sera tué. Le film s’appellera d’ailleurs “ Un homme est mort ”, projeté dans tout Brest, pendant un mois, puis à Paris.

D’autres aventures vous attendent alors pour faire sortir vos bobines d’Afrique et les ramener à Paris ? Je savais que je serais fouillé à mon arrivée à Marseille, alors les bobines ont été dispersées entre des étudiants africains qui repartaient en France, tous plus ou moins membres du RDA ou du Parti socialiste sénégalais. Il y avait une cinquantaine de bobines. Elles sont toutes arrivées à Paris. Je les ai remises à La ligue de l’enseignement où elles ont toutes été saisies par la police qui a développé à ses frais toutes les pellicules ! On m’a demandé de signer sur chacune d’elles un papier où je reconnaissais avoir tourné sans autorisation. J’ai profité de la pause déjeuner pour aller chercher des bobines vides sur lesquelles j’ai signé et j’ai récupéré les pleines. Pas toutes mais 17 sur 50, de 3 minutes chacune. J’ai fait le montage. Finalement on m’avait offert le développement du film ! On m’a quand même envoyé chez un juge qui hurlait “ 13 inculpations à votre âge ! ” J’en avais 21 à l’époque, vous vous rendez-compte ! ” J’ai quand même réussi à faire le montage du film et pour aller jusqu’au bout de la provocation, j’ai demandé à un groupe de musiciens africains dirigé par Keïta Fodéba, qui deviendra ministre en Guinée après l’indépendance, de jouer la musique de fond.

ma conception personnelle du cinéma, qui est de faire un cinéma coup de poing, est de diffuser des films où l’on peut, quand un évènement le nécessite… Vous allez continuer à réaliser des documentaires, toujours très engagés, sur l’Algérie notamment, en pleine guerre d’Algérie... Au moment de la guerre d’Algérie, je tournais un film à la Bibliothèque nationale de France, où j’ai pu visionner des images d’archives sur la conquête de l’Algérie. Ça m’a mis la puce à l’oreille. Dans un documentaire que j’ai alors réalisé, “ Une nation algérienne ”, j’ai ajouté le commentaire suivant : “ Nous sommes en 1955, il y a des gens qui se battent pour l’Algérie indépendante, mais elle était déjà indépendante avant la conquête de 1830, il est normal maintenant que l’on discute avec ceux qui se battent”. Des mots qui m’ont valu d’être poursuivi pour atteinte à la sureté de l’Etat parce que je disais que l’Algérie existait en tant que nation. Je suis allé tourner en Algérie. J’ai filmé aux côtés des Algériens, y compris dans les maquis, et ça a donné “ Algérie en flammes ”. Et cette fois, ce sont les Algériens qui m’ont arrêté parce qu’ils voulaient projeter le film mais sans dire qu’il avait été tourné par un Français ! Mais les Algériens m’ont ensuite présenté comme le Français qui comprenait le mieux le problème des Algériens. J’ai montré mes films en France avec l’appui de quelques personnes qui commençaient à s’impliquer pour l’Algérie indépendante. Dans quelle mesure vos films auront un impact sur les mouvements anticolonialistes et la prise de conscience en France des réalités coloniales ? J’ai une conception très militante du cinéma. La mission que m’avait confié mon mouvement

Deux officiers ont voulu intervenir pour interdire la projection, il y a eu un peu de bagarre et ce n’est pas eux qui ont gagné 32

de jeune à Quimper, filmer la réalité, j’ai essayé de l’appliquer toute ma vie ! “ Afrique 50 ” a pu être réalisé grâce à l’appui de personnalités africaines qui ont ensuite été intégrées à la vie politique, notamment Houphouët et Ouezzin Coulibaly. Il a été présenté dans toute l’Afrique et a été projeté à l’ouverture du premier festival de cinéma panafricain, le Fespaco, au Burkina Faso. A la fin de la guerre, je suis resté un peu en Algérie, où l’on a créé en 1962 le Centre audiovisuel d’Alger, où ont été formés les premiers cinéastes algériens. L’autre destinée de ces films, en raison de ma conception personnelle du cinéma, qui est de faire un cinéma coup de poing, est de diffuser des films où l’on peut, quand un évènement le nécessite… et quand il en reste des morceaux. Pendant ce temps, “ Afrique 50 ” restera interdit en France jusqu’à une période très récente... J’ai reçu le visa il y a moins de six mois ! Il a été diffusé un peu partout. On a fait le calcul : il a été vu par un million de spectateurs. Ce qui est fou, surtout pour un court métrage. Aujourd’hui, il est diffusé par le gouvernement français pour démontrer qu’il y avait des mouvements anticolonialistes en France pendant la colonisation. C’est amusant.

Dounia Ben Mohamed

Film engagé et coup de poing sur les tragédies de la guerre d’Algérie, “ Avoir 20 ans dans les Aurès ”, sorti en 1972, primé à Cannes, créé aussitôt la polémique. Il est considéré comme un grand film humaniste.


appel au débat !

Pour une

“ Fondation quartiers ” Comment financer un nouveau développement des banlieues populaires, pour les réintégrer dans le tissu économique français ? La solution se trouve peut-être chez ceux qui rêvent d’aider et financer ces quartiers, mais ne savent pas par où commencer. Un fond de dotation ad hoc, géré de manière paritaire, pourrait les y aider. Un collectif d’entrepreneurs des quartiers veut lancer le débat. Des financeurs qui ne savent pas comment et où investir

Les financements publics ne profitent qu’indirectement à ceux qui en ont le plus besoin, et ils se font de plus en plus rares. Cet appel n’est donc pas un appel à de nouveaux financements publics, mais au mécénat privé. Or, le secteur privé ne sait pas toujours où investir, faute de relais identifiés dans les quartiers. Si bien que la philanthropie ne touche que difficilement les associations ou entrepreneurs de ces quartiers qui s’essaient à des projets d’envergure. Quant aux fonds souverains, comme celui du Qatar, ils peuvent semer le trouble. Et ne savent pas plus que les autres où trouver des interlocuteurs structurés dans les quartiers. Pourtant, un très grand nombre de français, parfois issus de ces mêmes quartiers, seraient prêts à aider. Parmi eux, un certain nombre d’entrepreneurs, d’artistes et de sportifs. Au-delà de traditionnelles actions de générosité, ceux qui en ont les moyens pourraient investir dans des projets de solidarité collectifs, socialement utiles. D’aucuns criaient naguère : “ Taxez-nous ! ” Nous souhaitons apporter une réponse à cet appel !

Constituer un fond de dotation pour drainer, flécher et accompagner les financements privés

Les pouvoirs publics pourraient faciliter la constitution d’un fond de dotation pour les quartiers, qui serait un organisme de collecte et de redistribution de fonds. Originalité : cet organisme pourrait être un fond de dotation paritaire, où siègeraient des associations travaillant sur les quartiers, qui oeuvrent sur le terrain tous les jours. Leur rôle consisterait à identifier les besoins. Par ailleurs, ce fond pourrait compter des représentants d’organismes publics comme l’ACSé ou la BPI ; et des fondations privées qui ont l’expertise, afin d’accompagner les projets. Ceux à fort impact social seraient éligibles, selon des modalités et des indicateurs à définir. Ainsi, ce fond pourrait être à la fois l’entonnoir par où transiteraient ces ressources ; l’organe qui analyserait où résident les besoins (innovation, entreprenariat environnementalement et socialement responsable…) ; et la matrice qui guide ces fonds.

Des quartiers laboratoire de la France de demain

Les quartiers ont un potentiel de créativité inouï. C’est là, dans le vivier des cultures urbaines, que bouillonne la culture populaire française du XXIè siècle. C’est là que les innovations sociales, économiques et institutionnelles se réalisent. C’est là, dans cette population jeune, que la France vieillissante aura besoin de puiser des ressources vives. C’est là aussi que s’esquisse une “ mondialisation par le bas ”, capable de contrer une dérégulation financière impitoyable, en lui substituant une mondialisation à visage humain : via l’incroyable vigueur des échanges portés par les français issus des minorités, notamment avec les continents les plus dynamiques économiquement : l’Afrique et l’Asie. Il faut relayer, auprès des décideurs, toutes ces initiatives qui viennent de la France du bas des tours. Aider ceux qui créent de l’activité, du lien social, qui diffusent une image plus juste de ces territoires. Il faut enfin replacer ces quartiers au centre de la société française, comme ils l’étaient jusque dans les années 70, avant l’effondrement de la société industrielle. C’est en ayant confiance en eux que nous ressouderons un pays guetté par le séparatisme social. La France étouffe. Or, justement, les quartiers ne manquent pas d’air. C’est un appel à la mobilisation économique de ceux qui en ont les moyens que nous lançons, depuis les quartiers orphelins de Marianne. Depuis le bitume où nombre d’entre ces personnalités qui pourraient les aider ont justement fleuri. Mettons-nous autour de la table pour réfléchir à quoi pourrait ressembler ce fond, cette nouvelle “ fondation quartiers ”. On n’ose imaginer, si rien n’était rapidement fait, à quel point la situation pourrait dégénérer dans un pays fracturé, fatigué, craintif et irascible comme la France. Dans les banlieues, le besoin de changement économique, c’est tout de suite.

Jérôme Bouvier (président de Journalisme et citoyenneté), Rokhaya Diallo (journaliste), Yacine Djaziri (président de la Nouvelle PME), Saïd Hammouche (directeur de Mozaïk RH), Daniel Hierso (président d’Outre Mer Network), Laurence Lascary (directrice de la société de production DACP), Farid Mebarki (président de Presse & Cité), Erwan Ruty (directeur de Ressources Urbaines), Beya Zerguine (présidente du Forum des auto-entrepreneurs) 33


sélection médias de quartiers Partenaire Presse & Cité

Procès de l’affaire Hakim Ajimi

Par :

“ N’ayez pas peur de la pression d’une certaine communauté ”, tance l’avocat de la police Le procès en appel des agents de la BAC de Grasse s’est terminé mardi après-midi à la Cour d’appel Aix-en-Provence. Les agents ayant été condamnés à des peines avec sursis pour avoir tué Hakim Ajimi, avaient fait appel pour tenter d’éviter une condamnation qui les conduirait à des sanctions disciplinaires et donc à perdre leur emploi. La famille Ajimi accompagnée du comité “ Justice et Vérité pour Hakim Ajimi ”, de militants et sympathisants, était présente pour montrer sa détermination dans sa quête de justice et de vérité.

U

ciers pendant trop longtemps. Cette technique d’interpellation interdite en Belgique, en Suisse, à New York a déjà valu à la France une condamnation par la Cour Européenne des droits de l’Homme en 2007 pour une affaire qui s’était produite à Toulon en 1998. Il s’agissait de l’affaire Mohamed Saoud. Un appel national va être lancé pour interdire cette méthode d’immobilisation qui coûte la vie à de nombreux jeunes, interpellés par la police. Et une demande écrite sera faite auprès du ministre de l’Intérieur, Manuel Valls et du défenseur des droits, Dominique Baudis, a expliqué Walid Klai, du comité “ Vérité et justice pour Hakim Ajimi. L’Etat français a un rôle à jouer. A la sortie de l’audience, les militants restent choqués par les propos tenus par l’avocat de la défense Maître Beaudoux qui a osé lancer : “ Qui sème le vent récolte la tempête ”. Halima Boumedienne a trouvé ces propos scandaleux : “ Il a fait passer la victime comme responsable de sa mort mais en plus comme coupable ”. Dorsafe Briki, du comité “ Vérité Justice pour Hakim Ajimi ” a quant à elle dénoncé la contradiction de Maitre Beaudoux qui au cours de sa plaidoirie s’est dit pour la paix sociale. L’avocat de la défense ira même plus loin en s’adressant au juge avec ses mots bien à lui : “ N’ayez pas peur Monsieur le juge, de la pression d’une certaine communauté ” et en concluant : “ Monsieur le juge, lavons l’honneur de la France “.

ne certaine déception pouvait se lire sur le visage de Mr Boubaker Ajimi, père du jeune homme tué par les agents de la BAC. Les peines qui ont été requises contre eux, sont les mêmes que celles dont les policiers avaient été reconnus coupables d’homicide involontaire. Un des policiers municipaux a vu sa peine requise minorée de deux mois : quatre mois avec sursis contre six en février dernier. Contrairement aux deux agents de la BAC, ce dernier s’est excusé auprès de la famille Ajimi . La clé d’étranglement au cœur du débat Au cours de l’audience, les conditions d’interpellation d’Hakim Ajimi ont été longuement évoquées. Et notamment, la fameuse clé d’étranglement enseignée dans les écoles de police et longtemps dénoncée par des associations ou collectifs luttant contre les bavures policières. Les policiers répliquant qu’ils n’ont fait qu’appliquer les techniques apprises en école de Police. Et que leur responsabilité n’était pas engagée. Maitre Leclerc, avocat de la famille Ajimi, a contesté en affirmant que les agents avaient “ usé d’une force disproportionnée ”. La clé d’étranglement est une méthode qui consiste à ce qu’un agent de la police passe son bras sous la gorge de la personne pendant qu’un autre comprime la cage thoracique en appuyant son genou dans le dos. Cette pratique entraine l’immobilité immédiate. Selon les rapports d’expertise médicale, “ la mort lente et douloureuse ” du jeune homme est due à une asphyxie mécanique, conséquence d’une compression thoracique et d’une clé d’étranglement pratiquées par les poli-

Par Henda Bouhalli Voir les autres articles sur : http://www.med-in-marseille.info/ Ps : la condamnation des policiers a été confirmée le 5 février

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Le rap féminin est un “ reflet de la société ”

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L’une affiche un look utlra-féministe et se fait appeler Black Barbie. L’autre porte plutôt des jeans larges et des sweats à capuche. Elles font partie des rares femmes à évoluer dans le milieu majoritairement masculin du hip-hop. Ensemble, elles posent leur regard sur l’actualité et sur la place des femmes dans le rap et dans la société. Qu’est-ce que le féminisme vous évoque ? Black Barbie : Personnellement, je n’aime pas coller des étiquettes aux gens. Je comprends ce terme mais il me gêne car il a souvent été utilisé à mauvais escient. Le groupe N i putes ni soumises, qui se revendique féministe, est un bon exemple. Elles défendent une cause qui, à mon avis, n’existe pas ! J’aurais préféré une appellation du style : “ oeuvrer pour des meilleures conditions de vie des femmes ” ! Pand’or : Je partage l’avis de Black Barbie. Le féminisme est un mouvement dont je ne fais pas partie car il représente pour moi un extrême qui s’avère être anti-homme. J’entends souvent parler du groupe Ni putes ni soumises mais je ne me sens pas concernée ! BB : Je ne dirais pas que je suis féministe mais je suis pour que les femmes avancent dans la société. On sait très bien qu’il y a partout des inégalités à l’heure actuelle ! Je suis une femme. Je connais les problèmes qu’elles affrontent et je suis pour qu’on les résolve.

qui leur assurait l’ouverture des portes. Des filles qui ont avancé toutes seules il y en a peu. Il y a Casey mais sa féminité ne saute pas aux yeux de tous. Pourtant, des rappeuses il y en a plein mais à chaque étape, de l’édition d’une maquette à la première scène jusqu’à passer à la radio, l’effectif se réduit. Le rap n’est qu’un reflet de la société. Par exemple, il y a un million de secrétaires, un peu moins de responsables de département et encore moins de directrices. Alors des PDG… Allô ? Vous êtes où ? C’est exactement le même combat dans le hip-hop. Une nana PDG on va dire d’elle que c’est une tueuse, une “ mal baisée ”, une lesbienne. Alors que la nana s’est juste battue pour y arriver !

Par Samba Doucouré et Lansala Delcielo Lire la suite sur : http://www.afriscope.fr/Le-rap-feminin-est-un-reflet-de-la

Que pensez-vous du groupe féministe ukrainien, les Femen ? BB : Il y a d’autres moyens pour se faire entendre ! Leur méthode ne fait pas avancer les choses, mais je respecte leur engagement car elles se mettent en danger pour leurs convictions. PO : Justement, moi je ne suis pas prête à sacrifier mon existence pour la cause de la femme ! Je considère ce qu’elles font mais ce n’est pas vraiment ma priorité, ni politiquement ni socialement. BB : En tant que femme tu te sens obligée d’être concernée quand tu es confrontée à des inégalités ! Rien que le fait de répondre à un homme qui sort un truc déplacé sur les femmes, c’est oeuvrer pour la cause !

Anglade Amédée

Vous évoluez dans le milieu du rap qui reste très masculin. Pourquoi peu de femmes percent dans cet univers selon vous ? PO : Ce sont les mecs qui ont la main mise dans le rap, ce n’est pas dans leur intérêt de faire de la place pour les filles. BB : Longtemps j’ai entendu que les rappeuses n’avaient pas leur public. Or, dans mes concerts il y a beaucoup de filles et de garçons. Mais les nanas ont davantage de difficultés à être prises au sérieux dans ce milieu. La plupart de celles qui ont percé au début du rap avaient un pygmalion, quelqu’un derrière elles

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rubrique Farid Mebarki / Melun

Erwan Ruty / Paris

Originaire de Petit-Quevilly dans la banlieue rouennaise, participe à la création de Respect magazine, co-fondateur de Ressources Urbaines, président de Presse & Cité… un multirécidiviste. Spécialiste de la rubrique financement et trésorerie, s’interroge sur l’économie de la presse et s’échine à faire émerger dans un contexte de crise, un modèle de média en prise avec l’économie sociale et solidaire et l’actualité des banlieues. Tout reste à faire.

Méva Raharissaina / Trappes

Directeur de Ressources Urbaines, l’agence de presse des quartiers ; fondateur et rédacteur en chef de Presse & Cité. Ancien directeur du service communication de la mairie de L’Île-SaintDenis ; ancien confodateur et secrétaire général de Respect magazine ; ancien rédacteur de Pote à Pote, le journal des quartiers ; ancien administrateur de l’association Survie ; ancien responsable du groupe Banlieues des Verts.

Carmen Firan / Paris Origine : transnationale Bio : Etudes en sciences sociales x 6 ans + immigrée x 8 ans + engagée dans l’associatif (Pro Democratia, Habitat-Cité, PlaNet Finance France... x 10 ans + théâtre x 3 ans Kiffe dans la vie : les beignets, P&C, sauver les pelicans (dans cet ordre)

Arrivée en France à l’âge de cinq ans, un jour de grande froidure du côté de Chartres. Elle posera plus tard ses valises dans le 78 et y effectuera des études littéraires à Trappes. Elle poursuit à la Fac de Nanterre des études de Sociologie de la Culture qu’elle clôturera par un diplôme en management de projet. Après des missions pour Malakoff Médéric et Eurodoc Systems, elle travaille pour des grandes agences de marketing (CPI Global, Groupe New York, Intervalles), elle trouvera son petit bonheur au sein de Presse & Cité en tant que chargée de développement

Chloé Juhel / Paris Jil Servant / Kourou Parisien de naissance, Jil Servant a rejoint Lille pour finir diplômé de l’EDHEC, puis s’est frotté à la Martinique pour faire ses débuts dans le management musical et théâtral. Après un DESS Image et Société à Evry, il alterne entre réalisations de documentaires et productions de fictions à Paris, en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane, en Chine, à la Réunion et à Mayotte, au sein de la société Palaviré Productions. En outre, il produit des films institutionnels notamment pour Ressources Urbaines et s’implique dans l’administration de Presse et Cité à laquelle il appartient toujours, même si en 2012, il choisit de vivre en Guyane, renforçant

Journaliste et productrice. Elle a été rédactrice en chef de la radio Générations 88.2, animatrice de l’émission de débat politique “Générations citoyens” pendant six ans et co-animatrice de La Matinale, toujours sur Générations. En 2010 et 2011, elle a été co-rédactrice en chef de l’émission “Teum Teum” sur France 5 et productrice de l’émission “Sur le banc” pour France Culture. Elle a co-animé “La Matinale” du Mouv’ pour la saison 2010-2011.

Meriem Laribi / Paris Journaliste indépendante, 32 ans. Elle a contribué à Presse & cité, Politis, Rue89, Algérie Focus, Le Courrier de l’Atlas, l’Humanité, sur de nombreux thèmes : banlieues, sans papiers, Algérie, Palestine, tourisme, révolutions arabes, Venezuela.

l’équipe de Tic-Tac Production.

Charles Eloidin / Paris Graphiste polyvalent ayant travaillé pour de nombreuses revues. De Pote à Pote en passant par Respect Mag, Tracklist, Get Busy et The Source France, il poursuit son chemin en bon passionné d’arts graphiques, d’images numériques et de street art. Homme multicasquette et touche à tout, il travaille pour des maisons d’éditions, chaînes TV, associations et autres labels pour lesquels il réalise des sites web, vidéos ou des créations destinées à l’impression.

Fumigène ” où elle fut l’une des premières à proposer une rubrique origi-

nale d’analyses littéraires de textes de rap.

Mérième Alaoui / Goussainville Ancienne reporter pour RTL, je collabore au magazine le Point pour des articles “Société” mais aussi pour Salamnews. Très intéressée par le sujet de la mémoire immigrée maghrébine de France, je travaille aussi sur les problématiques liées aux quartiers populaires. Chroniqueuse pour la radio Africa N1 et pigiste pour Slate Afrique, je traite également de l’actualité de l’Afrique subsaharienne et du Maghreb

Dolpi / Paris Ce mystérieux journaliste d’investigation né à Brazzaville est diplômé de l’E.S.J. Paris. A travaillé à France 2, à L’Union de Reims, à Grioo. com. Rédacteur au magazine Pote à Pote, il est directeur des programmes de la future webradio culte Moveo. A réalisé Ceinture Noire pour Canne Blanche, un 26 minutes qui parle d’aveugles qui font du judo.

Cyril Pocréaux / France Après des études en histoire et sociologie avant l’école de journalisme, travaille dans diverses rédactions et en agence de presse. Aujourd’hui journaliste indépendant, en particulier sur les questions de sport et de société. Engagé dans diverses associations dans le champ de l’éducation populaire ou du sport.

Dounia Ben Mohamed / Paris Titulaire d’un DEA d’histoire (Paris VII) et d’un diplôme de journalisme (CFPJ), Dounia, 30 ans, née à Paris, a évolué dans les quartiers populaires du XIème arrondissement parisien. Après des débuts dans la presse quotidienne régionale, elle s’est spécialisée dans l’actualité du continent africain et des sujets qui ont trait aux diasporas africaines en France. Elle navigue ainsi entre le 9-3, Tunis et Libreville, avec pour seul visa sa carte de presse, multipliant les reportages sur des réalités humaines, sociales et économiques méconnues.

Charly Célinain / Clichy (92) Après des études en Information et Communication, j’ai faite mienne l’obsession de Tony Montana “ The world is yours ” ! Le monde appartenant aux gens qui se lèvent tôt, j’ai commencé en 2005 en écrivant des chroniques (cinéma, livres, cultures urbaines...) pour l’émission matinale de la radio Générations 88.2 FM puis, de fils en aiguille, je me suis retrouvé derrière le micro. Dans le même temps, je réalisais des interviews filmés pour le site de la radio, j’écrivais des chroniques musique pour le site Orange.fr. J’ai été présentateur de live reports du festival Paris Hip Hop et rédacteur pour le site Canal Street.

Willy Vainqueur / Aubervilliers Né en 1957, il vit et travaille en région parisienne. Suite à une formation Universitaire sur les outils et les techniques la communication audiovisuelle, il se lance dans la photographie documentaire, et base une grande partie de son travail sur l’actualité locale essentiellement dans le département de la Seine-Saint-Denis. Il inscrit son projet dans l’école humaniste du “ réalisme poétique ”. Les banlieues, souvent définies comme des mondes à part, sont pour lui le point de convergence du Tout monde. Ses photos font l’objet de publication dans la presse locale et nationale, et servent de support à des campagnes de communication dans le secteur institutionnel.

Presse écrite, télé et radio, Max est un touche à tout des médias. Après un apprentissage dans les médias nationaux comme France Inter, France 5 ou France ô, il se consacre désormais à des projets plus personnels pour choisir ses sujets et ne pas être esclave du sensationnel. Il anime actuellement l’émission “ Bienvenue chez oam ” sur FPP 106.3, dans laquelle il reçoit chaque semaine “ des gens qui font des trucs ” ! Slogan assez flou mais à la fois explicite pour dire que les vrais acteurs de la culture et de la société ne sont pas forcement ceux qui sont mis en avant dans les médias.

Yannis Tsikalakis / Saint-Denis

Natacha Maltaverne / Matoury Elle vit depuis six ans en Guyane. Journaliste indépendante, elle collabore avec le Kotidien, un site internet d’actualité. Elle effectue des reportages pour la rubrique société et santé de La Semaine Guyanaise. Et réalise également des reportages institutionnels audiovisuels avec Tic-Tac production.

40 ans, co-fondateur et directeur de radio Hauts de Rouen (HDR) depuis 1995, ancien journaliste à Radio France (France Culture, France Inter, Radio-France Bleue Haute-Normandie). A travaillé pour radio Okapi (radio de l’ONU en République Démocratique du Congo). Rédacteur d’une étude en tant que consultant en communication pour le Groupe de Recherche sur le Développement Rural, intervenant en Afrique). Formateur en technique radio pour plusieurs radios de l’Afrique de l’Ouest.

Max Lebon / Livry-Gargan

Fatima Aït Bounoua / Saint Denis Née à Poitiers dans la Vienne. Après des études en Classes Préparatoires (Hypokhâgne, Khâgne), sa Maîtrise de Lettres Modernes et son Capes en poche, elle part enseigner en Région parisienne. Professeur de Lettres Modernes, elle partage sa vie entre ses cours dans un collège du 93 et l’écriture. Son premier recueil de nouvelles “ La Honte ” a été publié en octobre 2010 mais vous pouvez également croiser ses nouvelles sur plusieurs sites littéraires, recueils collectifs et magazines, notamment au Maroc où elle collabore régulièrement avec le Magazine Littéraire. Egalement chroniqueuse, elle a, notamment travaillé pour le magazine “

Moïse Gomis / Hauts-de-Rouen

Nadia Henni-Moulai / Courbevoie Née en 1979 en Seine-Saint-Denis, elle grandit dans une cité populaire du Val d’Oise. Après une maîtrise de Lettres modernes à La Sorbonne, elle se tourne vers la communication politique. Elle décroche un DESS et rejoint la direction de la communication de l’Acsé. Après 4 années, elle fait une pause bébé. L’occasion pour elle de se relancer dans l’écriture, le journalisme, elle rejoint la rédaction du Bondy Blog et pige pour divers médias comme Salam news et Yahoo, Politicia. En avril 2011, elle crée Le Melting Book, un site qui propose les portraits de ceux qui font bouger les lignes.

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Après des études de droit et de sciences politiques, il se spécialise dans la question de la diversité culturelle et sociale dans les médias. Ce qui le conduit à un premier poste de chargé de mission à France Télévision. Passionné par les cultures urbaines et populaires, il rejoint le monde associatif dans les quartiers populaires en tant rédacteur et webmaster et participe à des projets de solidarité nord-sud.

Karim Madani / Ivry-sur-Seine “Born and raised in the Chinatown section of Paris”, tenté un temps par le crime, mais sauvé par les livres, aime se promener quand la Ville dort et toutes les “asphalt jungle” du monde constituent un bon terrain de jeu. Il aime la littérature noire bien (9) millimétrée et sait que pour avoir la paix, il faut préparer la guerre, si vis pacem para bellum... n’ignore pas que dieu se cache dans le détail, et que le diable se planque souvent derrière une bonne punchline... Ex journaliste pour la presse urbaine (RER, l’Affiche, Groove…), il est l’auteur de trois romans jeunesse, et de trois polars. Il intervient régulièrement dans les établissements scolaires pour y proposer des lectures et des ateliers d’écriture.

Salim Ardaoui / Saint-Denis Salim Ardaoui, 31 ans, dionysien originaire de Chambéry. Rédacteur spécialisé dans les questions de cultures urbaines. Etudiant en littérature moderne (“ Les emprunts littéraires dans le rap francophone ”). Professeur de français en Allemagne, testeur de jeux vidéo en France et chargé de qualité dans la veille médias.


portrait

Zouina Meddour, un chêne aux Tilleuls “ Personne ne pleure ! Y’en a marre ! On veut juste raconter quelque chose que personne ne veut raconter ! ” Une prise de parole forte, des mots qui claquent, un calme toujours de mise, mais une colère contenue. C’était à Toulouse, lors d’un débat, dans lequel Zouina Meddour intervenait en avril 2012. Pour rendre compte de ses 1001 combats ; que l’on pourrait résumer en un vieux concept qui fait rigoler les jeunes qui ne savent pas : éducation populaire. Ils ne savent pas, car avec elle, ça marche.

gens pour qu’ils s’engagent. J’ai découvert ça grâce au MIB. C’est eux qui m’ont appris la manière de faire avec les gens. ” Et puis, elle le reconnaît : “ On est le fruit d’une histoire où on est entrés dans les partis, et où on a vu qu’on n’avait pas de rapport de force en notre faveur dedans. Mais on ne doit pas les laisser tranquilles. On peut s’allier à eux, mais on ne doit rien lâcher. ” Rageuse ? Passionaria ? Pas du tout. Au contraire. La force tranquille de ceux qui n’ont rien à perdre, et qui sont sûrs de leur force. Une seule question qui vaille : “ Comment on fait pour que que les habitants investissent les lieux de pouvoir ? C’est ça, l’éducation populaire. Au début, on a peur de contester. De prendre une place. Mais il n’y a pas d’espace réservé pour qui que ce soit. Tout le boulot, c’est de déconstruire, ne pas s’enfermer soi-même. ” Pour le coup, elle ne se serra pas enfermée, en tout cas pas dans l’action sociale : elle a aura occupé bien des fonctions, passé bien des étapes, mais rarement seule. Toujours en emmenant d’autres gens avec elle.

Cécile Arfi

Comme ce groupe de femmes, rencontré à l’occasion d’anodins ateliers cuisine qu’elle avait monté au centre social des Tilleuls, à son arrivée en 2002. “ Elles étaient à la maison, à s’occuper des gamins. Beaucoup ne savaient pas écrire. Elles voulaient cet atelier. Mais on s’est retrouvées débordées dans temps qu’on consacrait aux discussions après l’atelier. On a travaillé sur des groupes de parole. Elles ont fini par dire que la cuisine était un prétexte, et que le plus important était un espace pour se retrouver. Maintenant, il n’y a plus d’atelier cuisine. Mais un atelier théâtre. ” Entre temps, il y a eu des projets et encore des projets. Et des émeutes, en 2005. “ On est restées devant le centre qui avait brûlé, dans la rue, la nuit parfois, avec des centaines de personnes qui sont passées. ” Une expo photo est née (“ Quelques unes d’entre nous ”). Puis un film (“ Ceci est notre quartier à 93° ”). Puis un journal, Vu d’ici. 15 numéros, accompagné par des pros du Monde diplomatique. “ Il fallait raconter en live ce qu’il s’est passé au moment des révoltes, prendre la parole, ne pas laisser les médias raconter n’importe quoi. ” Au milieu de ce maelström est née une pièce de théâtre (“ Le bruit du monde m’ai entré par l’oreille ”), puis une autre, s’appuyant sur la Double absence, ouvrage fondateur de la réflexion sur l’immigration, du sociologue Abdelmalek Sayad, compagnon de route de Bourdieu. Des semaines d’écriture, de formation. “ Quelques unes d’entre nous ” est né. Une troupe, un collectif. Au final une pièce avec 25 personnes, rémunérées, presque toutes des femmes, sans expérience initiale du métier. Elle le racontait, à Toulouse, en avril, encore : “ Il y en a marre que les habitants des quartiers prioritaires ne soient que dans des dispositifs sociaux. On a le droit au droit commun. La politique de la ville, c’est trois francs six sous qu’on rajoute en plus, c’est le seul financement qui existe pour ces quartiers, et le reste disparaît petit à petit. ” Un énorme succès, des salles combles. Une tournée. Et là, patatra ! Elles se prennent le fameux plafond de verre, du côté de la culture. “ On nous a dit : C’est trop identitaire, il faut que les femmes sortent de leur condition, arrêter d’être dans la plainte, qu’on puisse leur permettre d’accéder à autre chose. On veut bien vous aider, après ce spectacle, mais sur un texte d’un auteur contemporain ! Mais c’est ça qui plaît aux gens ! On fait ça parce que ça a du sens pour nous ! La culture, c’est donc défini seulement par ceux d’en haut qui décident pour nous ? ” Cet écheveau à peine entrevu de projets avec divers groupes de femmes et de jeunes, parias parmi les parias,

Z

ouina a grandi, vécu, et toujours milité aux Tilleuls, quartier du Blanc-Mesnil (93). Elle est devenue une des voix qui comptent dans cette ville. Et bien au-delà ; mais reste humblement “ sur le terrain ”, à où l’on agit beaucoup et l’on parle peu. Hervé Bramy, ancien président du Conseil général de Seine-Saint-Denis l’a un temps pris sous son aile, non pour la contrôler, mais pour la protéger de ceux qu’elle empêchait de tourner en rond. Aujourd’hui, elle publie un essai intitulé : “Femmes des quartiers populaires ”, notamment préfacé par le maire de la ville, Didier Mignot. Ex-Robin des bois ne court plus dans les bois, ex-Robin des bois travaille pour le roi, chantait naguère un groupe de rock.... Serait-ce le cas de Zouina, une fidèle du MIB, le Mouvement de l’immigration et des banlieues, rebelle parmi les rebelles des combats associatifs depuis plus de vingt ans ? Pas sûr : elle a un petit bureau au premier étage d’un petit pavillon qui regarde la mairie de côté, voire de travers. C’est là qu’on a décidé de lui attribuer le poste de chargée de mission “ Lutte contre les discriminations ”. Une réserve d’indiens turbulents ? Suffisamment près du patron de la ville pour qu’il garde un oeil sur elle, mais quand même pas trop près pour qu’elle ne l’enquiquine pas avec ses revendications permanentes ? Ca serait la sous-estimer. Car elle a sans cesse turbulé : “ Mon engagement a commencé à 18 ans, au pied des immeubles, aux Tilleuls, on ammenait des jeux de société aux jeunes. Déjà, la mairie de l’époque nous accusait de nuire à son travail ! Elle avait refusé de domicilier notre association au Centre social ! ”

Comment on fait pour que que les habitants investissent les lieux de pouvoir ?

Voilà comment naissent les carrières de rebelles. Un frangin à l’Union nationale des jeunes algériens. Un compagnon qui deviendra son mari et avec lequel elle “ bascule ”, selon ses mots, dans l’engagement au moment de la Marche pour l’égalité, en 1983. Elle a 18 ans. Elle atterrit quand même au Service municipal jeunesse, the place to be dans une mairie communiste, quand on veut faire parti du paysage politique et qu’on n’a pas encore l’âge d’être élue avec l’adoubement du parti. Elle aura bien entendu été syndiquée, représentante du personnel, bref, le grand chelem des compétences requises pour être élue. Mais non, c’est pas son truc : “ Le mandat politique ne m’a jamais attirée. Beaucoup de représentation, de visibilité, mais finalement, pas beaucoup de pouvoir. Comment tu fais, quand tu es élu au Logement, et qu’il manque 2000 logements dans ta ville !? Je ne parle pas, j’agis. C’est là qu’on voit les résultats, sur le terrain. J’arme les

à qui elle a permis d’occuper une place pour agir, à travers des vidéos, des débats, des occupations de centre social, des publications, des formations, des pièces de théâtre et des voyages et des tournées, cette effervescence filerait le tournis au plus chevronné des militants professionnels... Elle aurait pu elle-même perdre la tête dans la confusion de toutes ces batailles. Se brûler les ailes. Mélanger les genres. Se tromper de combat, passer du coq à l’âne. Mais non. Elle est restée là, solide. Au Blanc-Mesnil, toujours. Impassible, forçant le respect, fidèle à sa ville, aux siens. Avec un vrai ancrage. Bien enracinée, comme un chêne, au milieu des Tilleuls.

Erwan Ruty

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