Journal Officiel des Banlieues#4

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Journal officiel des

Banlieues Juin 2013 - 4 euros

N°4

Dossier

Tribune Médias des quartiers : “Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés ”

Abdellatif Kéchiche • Grigny wood

L’Acsé en mode sursis ? • On mange au théâtre • Né quelque part


Sommaire 10

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Culture Quinzaine du Hip Hop

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Jacques Toubon et l’éxception culturelle

Dossier Cinéma : regard de banlieue

05 . Théâtre et cuisine : « Le frichti de Fatou » 1 6 06 . Rendez-vous avec Naïma Charaï

32 Portrait Paméla Diop

. Mantes-la-Jolie vue par Saïd Bahij

29 . Tribune : « Ils ne mourraient pas tous... »

07 . Mémoire : « Hexagone »

30 . Kaina TV / La Cathode - R2B

09 . Y’a Bon Awards Photo de couverture : Maro Sylla (modèle)

D’où venons-nous ? Journal officiel des banlieues n’est pas né en 2012. Il est le fruit de l’expérience d’une équipe plurielle, engagée dans une presse d’un nouveau genre, qui existe pour exprimer ce que les médias traditionnels ne veulent pas entendre : le récit de l’émergence d’une France nouvelle qui se bat pour être reconnue à part entière. Qui sommes-nous ? Ce média fait le pari d’une presse qui ne prête aucune allégeance à l’endogamie délétère des rédactions françaises, et revendique d’être produite par des journalistes issus de banlieue ou y travaillant depuis plus de dix ans. Que voulons-nous ? Produire les discours et récits qui nous permettront de ne pas nous enfermer dans des ghettos réels ou imaginaires ; sortir des marges de la société française pour en transformer le cœur. La rédaction Journal officiel des banlieues est édité par Presse & Cité, association loi de 1901, qui a pour objectif de réduire la fracture médiatique entre les banlieues et l’ensemble de la société française. Presse & Cité est une communauté d’une vingtaine de médias implantés dans les quartiers populaires. Elle défend ces médias et les habitants des quartiers auprès de la presse et des institutions, dans une logique d’intérêt général, et afin de changer le regard porté sur ces quartiers et populations. Presse & Cité organise chaque année des rencontres Médias-Banlieues et Université de la communication et des Banlieues. Presse & Cité est à la fois un média et un acteur social dont la vocation est de relier, dans un objectif de lien social, de participation démocratique et d’émancipation.

Flash code

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Presse & Cité

Directeur de la publication : Farid Mebarki • Rédacteur en chef : Erwan Ruty • Rédaction : Erwan Ruty, Charly Célinain, Claire Diao, Nadia Sweeny, Abdessamed Sahali • Infographie pages 16, 17 : Saïd Bahij, Charles Eloidin, Méva Raharisaina, Erwan Ruty • Corrections : Lionel Chetret • DA : CE, ER • Maquette : Charles Eloidin • Administration : Carmen Firan • Chargée de développement : Méva Raharisaina • Imprimé par : Imprimerie Grenier (Gentilly) Siège commercial : Presse & Cité 25, rue du Chateau Landon 75010 Paris • Tél : 01 42 05 53 02 Site internet : www.presseetcite.info • E.mail : developpement@presseetcite.info • Numéro de commission paritaire : En cours


Edito rubrique

Le 24 avril 2013 à l’Élysée, François Hollande reçoit une dizaine d’acteurs des quartiers, dont Moïse, Gomis secrétaire général de Presse & Cité (troisième rang à gauche). On est sur la photo mais est-on vraiment dans le game ? © Présidence de la République / C. Alix

Marches à l’ombre Il est des évènements dont la signification est source de malentendus. Dans son action en faveur de la politique de la ville, le gouvernement a signifié sa volonté d’inscrire à l’agenda le souvenir de la Marche pour l’égalité et contre le racisme. Que peut bien signifier ce soudain engouement pour un évènement dont la promesse reste toujours à accomplir ? Ce matin d’octobre à Marseille, ils n’étaient qu’une quinzaine à se frotter au macadam qui les conduira triomphalement à Paris le 3 décembre 1983 où le cortège, gonflé à 100 000 participants, ne pouvait être ignoré de François Mitterrand. Les manifestations de joie, les élans de fraternité, la force du nombre et l’ivresse de cette prise de pouvoir symbolique, captés par les médias, allaient marquer une courte trêve dans les représentations négatives qui frappaient, et à l’occasion tuaient, la jeunesse de banlieue, les immigrés et leurs enfants. Enfants que l’on s’empressa de baptiser « génération beur », comme pour mettre à distance ces immigrés des anciennes colonies que la crise économique, impitoyable, effaçait du récit national. Côté gouvernement, se souvenir de la marche, c’est comme se rassurer sur l’état de cette alliance hypothétique entre la gauche et les quartiers populaires. Pour beaucoup de membres imminents du Parti socialiste, c’est aussi un revival, un retour aux sources de leur engagement. Manière un peu simpliste, sinon naïve, de montrer sa solidarité avec ces quartiers plombés par le chômage et la pauvreté et qui n’attendent plus rien des politiques. Côté banlieues, l’année 2013 a un curieux air de 1983 : les noms de Toufik Ouanès, Habib Grimzi ou de Laouari Ben Mohammed, ont été remplacés par ceux de Zyed Benna, Bouna Traoré ou Hakim Ajimi ; le chômage et le mal logement s’y pavanent plus qu’ailleurs ; à la rubrique album photo de l’Elysée, le visage émacié de Toumi Djaidja a été remplacé par le regard sévère de Mohamed Mechmache ; les immigrés ne votent toujours pas et le Front National, à Dreux ou ailleurs, reste le Front national. Se remémorer la marche, moment suprême d’éclat dans le ciel ô combien terne des banlieues, c’est constater, amer, l’échec des politiques mais aussi celui des organisations qui ont lutté pour de nouvelles perspectives. Que de semelles usées depuis 1983. Que de combats lancés pour se perdre dans un non-lieu cinglant ou dans les slogans consensuels et si peu contondants de la diversité. Se rappeler la marche, c’est sortir de l’ombre la mémoire de toutes les marches, de toutes les injustices, de tous ces combats ayant mobilisé les quartiers et n’ayant jamais atteint l’Elysée, mais qui attendent toujours leur chapitre au roman national. Un devoir de mémoire semblable à un incontrôlable prurit sur l’épiderme d’un présent à la peine pour esquisser de nouvelles perspectives. « Ma colère n’a pas d’écho ici », écrivait Djamel d’Argenteuil en 1981 avant de se donner la mort. Depuis, les quartiers ont fini d’attendre ce plan Marshall qui ne viendra jamais et leurs marches n’ont pas véritablement rencontré le succès de celles organisées par un Gandhi ou un Luther King. Seule la colère semble marquer la continuité avec 1983 et pourrait augurer d’un débat. Un de plus pourrait-t-on dire dans un contexte franchement morose et si peu enclin à définir de nouveaux élans. Ne pas le faire et verser dans cette indifférence dont les quartiers sont souvent coutumiers, serait assurément pire. Farid MEBARKI Président de Presse & Cité 3


CULTURE

Bruno Laforestrie :

« On est les derniers à pouvoir parler aux plus durs des jeunes, bien plus qu’un sous-préfet à l’égalité des chances ! » Depuis l’année dernière, Bruno Laforestrie, n’est plus à la tête de Radio Générations, tête de proue du festival Paris Hip-Hop... Ce touche-à-tout au tempérament commercial émérite est un passionné de politique - milieu qu’il fréquente depuis la campagne en faveur du traité de Maastricht, en 1992... très loin donc des figures qu’il fait défiler sur les scènes, de Snoop dog aux Roots. Il a toujours eu plus d’un fer au feu. Instinct de survie de l’entrepreneur culturel en milieu hostile ? Texte : Erwan Ruty

Faire un festival comme Paris Hip-Hop, est-ce plus facile en 2013 qu’en 2004 ? Dès 2004, on avait décidé que ce festival ne serait pas le festival de Radio Générations. Oui, Générations était la tête de proue, mais en 2012 déjà, le partenaire principal était radio Nova. Le réseau est dorénavant plus ouvert, de même que les partenaires média, comme Africultures, ou Métro. L’Île-de-France a besoin d’une action culturelle forte autour du hip-hop, et notre objectif est la banalisation de cette culture. On fait maintenant des allers-retours avec les origines : on a collaboré avec la Colombie, avec Rocca, avec les USA sur le rôle des managers et l’empowerment.... Notre festival est polymorphe. On n’est pas Rock-en-Seine. On

fait de la musique, mais aussi des débats, de la réflexion, du cinéma ; il y a du gratuit, du payant... Il faut différentes formes pour le hip-hop. Aux Etats-Unis, c’est un business. Ici, on en fait une culture. On veut être le festival d’Avignon du hip-hop. C’est-à-dire un moment de stimulation pour que les gens créent eux-mêmes leur projet d’événement. Vous vous ouvrez de plus en plus, même si la situation n’est pas favorable aux cultures émergentes : les budgets se resserrent, en période de crise... Au niveau commercial, il y a un public plus nombreux qu’il y a vingt ans. On ne remplissait pas un Zénith avec des danseurs, maintenant, si... Il

y a plus de filles, le public est plus expert. Même au niveau médiatique, ce n’est plus « les Zoulous parlent à la Nation ». Les journalistes ont intégré cette culture. Pierre Birnbaum, directeur du Monde des Livres, est fan de rap. Quand je vais à Radio France, plein de gens me disent que Radio Génération a changé leur vie... Maintenant, c’est vrai qu’au niveau institutionnel, il y a un problème par rapport aux cultures populaires. Et un problème de renouvellement des structures de décision, qui sont tenues par des gens qui sont là depuis trente ans. Et dans un périmètre budgétaire qui diminue, personne ne va prendre l’initiative de couper dans ce qui existe pour favoriser les derniers arrivés comme le hip-hop... Cette culture n’est pas installée dans les instances décisionnaires de la culture. Paris Hip-Hop n’a jamais été soutenu par le ministère de la Culture, et la Région ne nous a aidé qu’après cinq ans. On peut mettre 400 000 euros pour l’ouverture symphonique d’un événement que l’on veut national, ou à l’IRCAM sur les musiques nouvelles, pas dans le hip-hop. Et ça ne change pas avec la gauche.

© MarOne

Pourtant, cette culture touche une large partie de la jeunesse que le nouveau pouvoir veut soutenir... Le vrai débat de fond, que j’avais initié avec l’Appel du 21 avril [initiative pré-électorale appelant à à « l’alternance générationnelle », face au risque d’un nouveau 21 avril 2002, et incitant à des primaires de toute la gauche, ndlr], est celui de la rupture entre les élites et la culture dominante : nos élites ne vivent pas dans leur temps, que cela soit dans les modes de consommation, ou la musique. Obama rentre dans les diners de parrainage en clamant : « I’ve got 99 problems and now Jay-Z is one » ! Le big-bang n’a pas encore eu lieu en France. Ce que j’attends d’un pouvoir de gauche, c’est qu’il agisse au moins au niveau des symboles, de la culture, du soft power. Mais ça évolue : les Alliances Françaises nous ont demandé de faire une tournée dans le monde entier avec 20 artistes hip-hop, jusqu’en Mongolie, au Niger, au Sri-Lanka. Ils n’avaient jamais eu autant de demande, jusque dans les steppes ! Ils voulaient tous DJ Nelson [champion de France de scratch, ndlr], pas Houellebecq. Il y a bien une aspiration extérieure, et un vivier intérieur, mais le lien entre les deux a du mal à se faire. Le hip-hop s’autosuffit économiquement, mais ce qui manque, c’est que la réflexion aille au-delà de la simple consommation, vers ce qu’il y a dans la culture, dans l’éducation, chez les entrepreneurs de cette culture, si créative, si énergique... bref, tout ce qui pourrait faire comprendre aux gamins qu’il n’ y a pas que le biz dans la vie. Rachid Santaki, il est à la fois sur un ring et dans la littérature. Il peut servir d’exemple dans la rue. On pourrait créer une éducation populaire nouvelle à partir de ça. Profitons de cette énergie, de ces talents. On est les derniers à pouvoir parler aux plus durs de ces jeunes, bien plus qu’un sous-préfet à l’Egalité des chances !

La Quinzaine du Hip Hop : la culture Hip Hop dans toute sa diversité Chaque début d’été depuis 2006, la capitale vibre pendant 2 semaines au rythme, cadencé, de la culture Hip Hop. Pour sa huitième édition, la Quinzaine du Hip Hop reste fidèle à ses fondamentaux.

C

ette année, le festival invite l’Afrique. Une volonté de longue date : « Par le passé, nous avions déjà eu des échanges avec les organisateurs du festival Festa2H, mais nous n’avions pas eu l’occasion de réaliser ce rapprochement jusqu’à cette année » regrette Julien Cholewa, coordinateur et programmateur du festival. De plus, en 2013, l’Institut Français a mis en place le tandem Paris-Dakar, plateforme d’échanges culturels entre les deux capitales. Ce qui permet d’inviter des artistes dakarois comme les

rappeurs Didier Awadi (Positive Black Soul), Matador ou encore le graffeur Docta. Une des forces de la Quinzaine du Hip Hop est de réussir à mêler mainstream et underground. Accueillir Nas ou Snoop Dogg et dans le même temps offrir une scène à des petits groupes des quartiers du XXème arrondissement de Paris : « Nous restons underground dans le sens où nous voulons rester proche de la nouvelle scène. Cette année,

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nous avons Joke (Montpellier), A2H (Melun), Némir (Perpignan), Pumpkin (Rappeuse/Paris) », confie Julien Cholewa. Underground français mais aussi américain : « Dans la programmation, nous avons aussi des têtes d’affiche comme qui sont des légendes des ‘90s. Des groupes aujourd’hui reconnus qui à l’époque représentaient l’explosion du rap underground comme Mobb Deep ou Pharcyde ». Charly Célinain Lire la suite sur : www.presseetcite.info/e001


cuisine + théâtre

« Le frichti de Fatou »,

le goût du théâtre Mêler traditions, sexualité et gastronomie. Ce mélange, à première vue improbable, a donné une pièce pimentée intitulée « Le frichti de Fatou » créée en 2006. La comédienne Faïza Kaddour porte ce personnage haut en couleurs, qui parle avec humour de la sexualité des deux côtés de la Méditerranée tout en mijotant un frichti sur scène. « Le frichti est une tambouille que l’on prépare sur le pouce avec les ingrédients qui nous tombent sous la main. Le terme « frichti » vient du mot allemand « Frühstück » [petit déjeuner, ndlr]. C’est un mot utilisé couramment en Alsace et dans le Nord. Ma mère est franc-comtoise » confie Faïza Kaddour. Lorsque le directeur de la compagnie Tombés du ciel, Jean-François Toulouse, lui propose une pièce sur la sexualité, la comédienne franco-algérienne y voit l’occasion d’aborder le sujet en utilisant les deux faces de sa culture. Mélange de cultures, mélange d’aliments, le personnage de Fatou additionne les ingrédients, comme les événements de sa vie, qu’elle fait mijoter sur scène.

de l’univers, des étoiles et des planètes à grand renfort de pains aux raisins, cookies, crèmesdesserts et autre saucisses-comètes. « Il y a eu un deuxième spectacle avec des bonbons. J’ai fait une pièce où je faisais un gâteau au chocolat, qui était comme une madeleine de Proust » nous dit Faïza Kaddour. « En Occident, nous pouvons nous permettre ce genre de mise en scène, il y a de la nourriture en abondance, ce n’est pas tabou. Chez les touaregs nous ne pourrions pas, de la nourriture, il n’y en a pas ! » note tout de même la comédienne. « Le frichti de Fatou » est donc un spectacle qui s’inscrit dans la continuité du travail de la compagnie.

La sexualité

Une pièce conviviale « Le frichti donne envie de faire des soirées autour, de continuer le repas commencé sur scène. C’est un spectacle qui crée du lien, autour duquel interviennent des associations » raconte Faïza Kaddour. La nourriture et les rencontres créées autour de la pièce, apportent un côté convivial permettant aussi d’atténuer les problématiques lourdes abordées dans le spectacle : « Nous parlons de viol, de déracinement, de condition de la femme (…) c’est trash mais rendu drôle par la personnalité et la légèreté de Fatou. Après les représentations, il y a souvent une possibilité de prise de parole. C’est intéressant d’échanger avec des personnes qui ont vécu les situations évoquées dans le spectacle ». Aller au théâtre puis discuter de la pièce autour d’un bon repas préparé sur scène, c’est cet ensemble qui redonne le goût d’aller au théâtre.

Le personnage de Fatou raconte sa vie, de son enfance à sa vie adulte. La question de départ posée par la petite Fatou à ses parents en Algérie et qui lance toute la réflexion du spectacle est la suivante : « Comment fait-on les enfants ? ». Faïza Kaddour évoque ses souvenirs par rapport à cette question : « Nous ne parlions pas de sexualité dans ma famille algérienne ». Ce monologue dramatique est très critique. Pour cette pièce, la comédienne dit s’être « inspirée de comédiens comme Philippe Caubère ou encore Fellag. Ce dernier a une vision très critique et en même temps très amoureuse de l’Algérie ». Le spectacle est donc aussi l’occasion d’aborder des thèmes comme la condition de la femme, l’intégration mais avec beaucoup d’humour et de légumes...

La vie c’est comme un frichti

Reprendre goût au théâtre

© Tombés du ciel

En même temps que Fatou raconte ses aventures, elle cuisine. Tout au long du récit, le personnage utilise des métaphores culinaires. Chaque nouvel événement ajouté à sa vie étant figurer par un nouvel ingrédient venant compléter le frichti. La vie c’est comme un frichti : « J’aime beaucoup les oignons. Ca ressemble aux relations entre les hommes et les femmes. Tu pleures beaucoup et tu te régales après. Sauf qu’avec les fitnas (femmes très belles qui font tourner la tête des hommes et les abandonnent sans moelle dans les os) c’est le contraire : tu te régales d’abord et tu pleures après » selon les termes épicés de Fatou. Petit à petit, à mesure que cette dernière trouve des réponses à ses interrogations, son plat (ou sa vie) qui a commencé comme un frichti se transforme en Tajine. Plat qui est partagé avec le public à la fin de la pièce.

Aller au théâtre puis discuter de la pièce autour d’un bon repas préparé sur scène, c’est cet ensemble qui redonne le goût d’aller au théâtre.

Sciences et nourriture « Sur cette pièce, qui est un long monologue, je craignais de ne pas trop savoir quoi faire de mes mains » avoue Faïza Kaddour. Mais le

choix de mêler théâtre et nourriture n’est pas si anodin. Pour la compagnie Tombés du ciel, une des problématiques de départ était de savoir

comment intéresser les gens aux sciences. Dès 1999, la compagnie met en scène « La recette de l’univers », une pièce expliquant la formation

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« Quand on a joué dans une salle des fêtes, nous avons pu avoir des commentaires comme : “ C’est du théâtre, mais c’est pas chiant ! ” » relate Faïza Kaddour. Cette dernière déplore la mauvaise image du théâtre et espère redonner envie aux gens d’y aller : « Le théâtre n’est plus populaire. Les gens n’osent plus y aller. Il faut donc que nous allions là où les gens ne vont pas au théâtre. Nos pièces sont pédagogiques, elles ne sont pas conceptuelles ». Rapprocher le théâtre de la base populaire. Changer les mentalités, essayer de changer cette image élitiste qui colle au rideau du théâtre, la compagnie Tombés du ciel a encore... du pain sur la planche. Une problématique sérieuse, une pincée d’humour et un plat : la recette conviviale qui pourrait permettre de démocratiser le théâtre.

Charly Célinain

Grigny, espa

( avec l’aim la Maison


rendez-vous avec...

Naïma Charaï

L’Acsé en mode sursis ? La nouvelle présidente de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, nommée par François Hollande, a un profil atypique pour une responsable d’agence d’état. Va-t-elle résister à la fusion prévue de l’Acsé dans un machin administratif informe, ou au contraire devoir l’accompagner ? C’est ce que 5 médias du réseau Presse & Cité, lui ont demandé. Entre autres choses.

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Akli Aliouat , Kathalyn Belair, Anne Bocandé, Moïse Gomis, Gabriel Gonnet, Jean-Fabrice Tioucagna, Erwan Ruty - Photos : Anglade Amédée

n l’absence d’un des piliers de Presse & Cité, Med In Marseille (en raison de soucis de financement), notre collectif, avec Kaïna TV (Montpellier), radio HDR (Rouen), Regards2banlieue (Saint-Denis) et Afriscope, a rencontré la nouvelle présidente de l’Acsé. Quelle politique pour cette agence en voie d’être convertie en administration, ce qui la ferait factuellement disparaître, tout comme la Halde a disparu dans le poste du Défenseur des droits ? L’Acsé, dont bien des agents ont l’impression d’être devenus de simples banquiers, retrouvera-telle un jour son Adn : du terrain, de la participation et des idées pour les politiques publiques ? Mystère, mystère… partiellement dévoilé par une Naïma Charaï qui sait ne pas se laisser marcher sur les pieds. Kathalyn Belair (Regards2Banlieue, Saint-Denis) : Avec le rapprochement avec le SGCIV (Secrétariat général du comité interministériel à la ville) voulu par le ministère de la Ville, l’Acsé existera-t-elle encore en 2013 ? L’Acsé a été créée après la révolte sociale et populaire de 2005, et la mort de Zyed et Bouna. Il y avait une volonté de réforme de la politique de la ville. Cet organisme a créé des outils comme le programme de réussite éducative (PRE), pour 120 000 jeunes quand même… Mais en pleine crise, le ministère de la Ville veut faire des économies, tout en étant plus efficace. C’est légitime. Mais la banlieue ne peut pas souffrir de plus d’économies, avec 22% de sa population au chômage, des services publics pas toujours présents… Néanmoins, je ne suis pas sûre que recentraliser une agence qui était au plus près du terrain, serait plus efficace et plus utile. L’Etat n’est pas toujours le plus efficace. Mais rien n’est acté. Cependant, la RGPP (Réforme générale des politiques publiques), il est vrai, a éloigné les agents de l’Acsé des territoires. Notre politique doit être portée par des agents qui ressemblent à la banlieue, avec une diversité de parcours et d’origine. Pas par des fonctionnaires qui n’ont jamais pris le RER. A l’époque du FAS, les agents avaient des parcours atypiques, ils travaillaient après 20 heures le soir, le week-end… Ils sont maintenant 600 dans des bureaux. Ils doivent revenir sur le terrain. Akli Aliouat (Kaïna TV, Montpellier) : L’accompagnement scolaire n’est pratiquement plus soutenu par l’Acsé, alors que beaucoup d’associations faisaient ce travail, en bonne entente avec les familles, ce que l’Education nationale n’arrive pas toujours à faire… La mise en place des PRE a peut-être un peu trop voulu professionnaliser ces acteurs, avec une individualisation à marche forcée. Et en même temps, l’Education nationale a en effet mis en place de l’aide aux devoirs en interne. Mais le PRE a fait ses

est pour un « 1% mémoire-histoire » dans les programmes de rénovation urbaine, qui permettrait de tourner des films sur l’histoire des quartiers. Le CIV a aussi proposé de travailler sur les anciens combattants avec le ministère de la Défense, au sujet des chibanis… Mais vous avez raison : les agents vont devoir se redéployer sur le terrain.

Notre politique doit être portée par des agents qui ressemblent à la banlieue, pas par des fonctionnaires qui n’ont jamais pris le RER. preuves. On ne reviendra pas l’époque du Fasild.

l’intégration de la sécurité… Il faut séparer aussi la question des primo-arrivants de celle de l’intégration. Il faudrait sans doute un grand ministère de l’Egalité : aujourd’hui, l’enjeu est la lutte contre les discriminations. Le rapport Wahl veut aller vers un Haut commissariat à l’Egalité…

Akli Aliouat : Mais les gamins qui ne sont pas suivis par l’Education nationale, et qui avant participaient à d’autres activités en plus de l’aide aux devoirs, on a peur qu’ils soient récupérés par des « nébuleuses »… On veut soutenir le monde associatif, citoyen, laïc. Le Premier ministre a dit que la République devait revenir dans les quartiers. Cela passe par l’Acsé. Le monde associatif traditionnel est un rempart contre ces « nébuleuses ». On accompagne 7000 associations. On va faciliter la vie des associations, et développer nos actions autour de la laïcité. Erwan Ruty (Presse & Cité, national) : Il y a 4 ans, c’était 12 000 associations. Mais les budgets stagnent, alors que ceux dédiés au bâti, à l’Anru, sont considérables… Le budget est stabilisé, et réorienté, il faut voir que dans beaucoup de ministères, les coupes sont de l’ordre de -10%. L’Acsé ne financera plus les internats d’excellence, qui coûtent un argent fou ; et on fera par contre plus de lutte contre les discriminations.

Anne Bocandé (Afriscope, national) : Quel soutien à ceux qui, dans la culture, travaillent à une autre représentation de ces questions ? J’ai écrit à la rédaction de France télévisions, qui a fait, au 20 heures, un reportage sur le « Parler banlieue », à cause duquel les jeunes n’arriveraient pas à trouver un travail… L’interview de ces jeunes était traduit par des bulles, comme dans les BD. C’est inacceptable ! De même que d’avoir une chaîne dédiée à la diversité [France Ô, ndlr]. Tout cela devrait être traité dans le champ de la télé normale ! On devrait avoir des Noirs et des Arabes à « C dans l’air » ou chez Taddeï ! Sans ces changements, la lutte contre les discriminations ne fonctionnera pas. A quand des campagnes d’information et de lutte contre les discriminations comme il y en a sur les inégalités faites aux femmes ou sur la santé ? Heureusement, quand on accompagne des films comme Indigènes, on sort de notre « ghetto » ! Par contre, il faut se demander si on a intérêt à accompagner des super-productions, ou plutôt, par exemple, l’aide à l’écriture de petits films…

Moïse Gomis (radio HDR, Rouen) : La question de l’intégration est traitée par le ministère de l’Intérieur. C’est violent ! Vous vous battez contre des gens, dans ce ministère, qui continuent à défendre cette particularité… Dans le rapport Tuot [pour l’instant rangé dans un placard fermé à double tour, ndlr], il est dit que l’intégration devait nous être confiée. Il y a une mission qui négocie cela avec le ministère de l’Intérieur. Mais j’ai une marge de manœuvre réduite. Je reconnais que ça aurait été un signe politique fort de séparer

Moïse Gomis : On n’a plus affaire directement à vos agents. Il faut juste bien remplir un dossier. Et vous n’êtes plus repéré comme une agence qui impulse des politiques publiques. Que restet-il de l’Adn de l’Acsé ? Plus beaucoup ! On a été assimilé ! Mais la pratique des questions d’histoire et de mémoire est là. On

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Erwan Ruty : La question de la participation est évoquée par tout le monde, mais en même temps les moyens sont plus faibles et les logiques de centralisation infirment cette volonté… En juin paraîtra le rapport de Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache sur la participation. Il faudra que l’Acsé aille dans les villes, les départements, etc, pour repérer les bonnes pratiques, et faire un annuaire. Puis des Assises, à l’automne sans doute. Avec des propositions. On a aussi intérêt à regarder ce qu’il se passe chez nos voisins. On ne doit pas être dans l’entre-soi… Anne Bocandé : Est-il bon qu’on aille chercher de l’argent au Qatar ou ailleurs ? On travaille aussi avec les Etats-Unis et le programme des jeunes ambassadeurs. Mais c’est surtout la France qui doit rester à la manœuvre. Il faut reprendre la main politiquement. Comment… ? Gabriel Gonnet (Regards2Banlieue, Saint-Denis) : Quel levier pour augmenter les crédits dans les quartiers défavorisés ? Le budget de l’Acsé sur la Seine-Saint-Denis a été augmenté… Comme celui de Paca ou du NordPas-de-Calais. Erwan Ruty : Vous êtes une femme, jeune, de province [Bordeaux], d’origine maghrébine et issue du milieu associatif. Ce profil est souvent celui de personnalités qui ont été choisies pour des organismes en charge des quartiers (Fadela Amara, Salima Saa…). Au final, ces qualités sont-elles des atouts, dans le milieu politique dominant ? On n’arrive pas à l’Acsé par hasard. C’est une qualité d’avoir un parcours atypique. J’ai vécu dans une banlieue rurale, à côté d’une usine sidérurgique avec 300 immigrés marocains qui y travaillaient. Je vivais de manière enclavée. Enfermé, au milieu des champs de maïs. Après avoir vécu ça, est-ce facile de traiter avec des hauts fonctionnaires quinquagénaires Blancs, énarques, ayant vécu dans l’hyper-centre… je ne sais pas. Ce parcours peut parfois les déstabiliser, d’autant qu’il ressemble à celui des habitants des quartiers… Mais j’ai surtout la foi dans l’utilité des politiques publiques dédiées aux quartiers.


mémoire

Hexagone

de Malik Chibane

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’historien Alec G. Hargreaves distingue trois âges cinématographiques des Maghrébins en France, inspirés des « trois «âges» de l’émigration algérienne en France » définis par le sociologue Abdelmalek Sayad dans son livre éponyme. Le chercheur montre ainsi comment la présence sur les écrans des populations immigrées ne cesse d’évoluer depuis les années 1970. D’un regard extérieur porté par des réalisateurs français, nous passons au cours des années 1980 à un regard de transition, celui des premiers réalisateurs issus de l’immigration maghrébine tel Mehdi Charef avec Le Thé au harem d’Archimède (1985), pour enfin adopter un regard inclusif par lequel la figure de l’immigré est peu à peu intégrée à la société française. C’est dans le second regard qu’Alec G. Hargreaves situe l’oeuvre du réalisateur d’origine kabyle Malik Chibane, auteur entre autres du film Hexagone. Ce regard est celui qui laisse les jeunes de l’immigration « devant les portes de la société qui leur sont injustement fermées ». Dans son film, en forme de chronique sociale, Malik Chibane met en scène Ali, Slimane, Staf, Nacera et Samy, cinq jeunes de banlieues que l’on va suivre pendant cinq jours, à la veille de la fête de l’Aïd-el-Kébir, dans une cité du quartier populaire de Goussainville, celui dans lequel Malik Chibane a passé sa jeunesse. Ce premier long-métrage, réalisé avec des bouts de ficelles, est tourné au format 16mm avant d’être transféré sur un support en 35mm et de sortir en salles en 1994 . « Je me suis lancé dans Hexagone avec pour seul viatique les films que j’avais vus. Je me suis donc contenté de vouloir faire un film politique qui, d’ailleurs, n’était pas prévu pour sortir en salles, c­ ’était une production locale, une cassette vidéo à tout casser », explique le réalisateur dans un entretien accordé aux Inrocks en 1995. Le film recevra un accueil positif de la part du public et de la critique et Malik Chibane poursuivra sa carrière en réalisant l’année suivante le film Douce France, cette fois-ci dans des conditions professionnelles. Claire Tomasella

Note : Génériques a édité en 2011 un numéro de Migrance intitulé « Images et représentations des Maghrébins dans le cinéma en France ».

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histoire

Jacques Toubon

Premier jalon de 30 ans d’exception culturelle et de diversité en France Lors des négociations du GATT en 1993, Jacques Toubon, ministre de la culture et de la francophonie, se fait le défenseur de « l’exception culturelle », contre les Etats-Unis. Il convainc les pays européens de faire prévaloir que la culture n’est pas une marchandise et, qu’à ce titre, le marché international des produits culturels doit être régulé. Une politique qui permet à la France de préserver prix unique du livre, quotas (40%) de diffusion de productions françaises à la radio et européennes à la télévision, compte de soutien à l’industrie cinéma et télé, droits d’auteur, interdiction de la propriété extra-européenne des chaînes de télévision françaises…

« Le combat que mènent les Français sur l’exception culturel le circulation des oeuvres de l’esprit (...). Mais les oeuvres amé au sein du GATT est souvent mal compris. On nous dit : que vive la libre ricaines occupent 80 % des écrans européens, les oeuvres euro des écrans américains. Où est le protectionnisme ? » péennes 1 % Jacques Toubon, Mostra de Venise, 1993 [Aujou rd’hui , Jacques Toubon est président du conseil d’orie

ntation de la Cité nationale de l’histoire de l’imm

igration]

e stratégique fondamentale dans la stri indu une it sera ma ciné du ie ustr l’ind que nce scie « La prise de con m’a raconté avoir assisté à une réunion dans llles We n Orso rre. gue la nt ava elt sev Roo de date le sièc fin du ma est détruite [en Europe, ndlr], et il ne faut pas le Bureau ovale où le président a dit « L’industrie du ciné 1946, ndlr], qui a fait le tour des gouver[en es Byrn oyé env a l qu’i là t c’es et ; » uise nstr qu’elle se reco sauver, mais vous allez laisser circuler ses films. » s vou va ue ériq l’Am : dire r pou (…) ns pée euro ents nem 1996 , Festival des films du monde (Montréal), Daniel Toscan du Plantier, producteur

« Le film américain est non seulement le meilleur contact, mais aussi le meilleur représentant de l’Amérique. On dit que le commerce britannique suit le drapeau, mais je pense que le commerce américain suit le film ; si Clark Gable décide de ne pas porter de chem ise, alors la jeunesse de tous les pays ne portera pas de chemise ».

Eric Johnston, Président de la Chambre du comm

erce pendant le dernier mandat de F.D. Roosevelt

« [Sans l’exception culturelle], il y aurait un déferlement de sous-produits culturels américains à très bon marché, parce qu’ils arriveraient amortis, qui submergeraient les télés et même le cinéma, et qui feraient que nous disparaîtrions dans les cinq ans. » Gérard Oury, réalisateur, s’emporte un peu au Journal Télévisé d’Antenne 2 du 13

octobre 1993

En 1998, Lionel Jospin se retire de l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI, de nouveau en négociation avec les EtatsUnis), en raison du blocage sur « l’exception culturelle ». Après l’adoption en 2001, par la conférence générale de l’UNESCO, de la Déclaration universelle sur la diversité culturelle, en 2005, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles est à son tour ratifiée à l’UNESCO. L’initiative du projet vient de la communauté francophone, à la demande de Jacques Chirac. s audiovisuels»] soient «Je veux que ces domaines [«les normes sanitaires» et «l’exception culturelle, notamment les service exclus du champ de la négociation». ent en cours de négociation entre l’Union européenne et les Etats-Unis

En mai 2013, François Hollande menace de bloquer l’accord de libre-échange actuellem

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événement

Y’a Bon Awards

Le combat anti-raciste continue Comme chaque année depuis cinq ans, la cérémonie des Y’a Bon Awards viendra récompenser les personnalités les plus « créatives » en terme de propos racistes. Les Indivisibles y pointent du doigt, avec humour et selon les codes du monde du divertissement, les propos xénophobes. « C’est la cinquième année d’existence des Y’a Bon Awards (YBA), c’est déjà cinq de trop ! » s’exclame d’entrée Gilles Sokoudjou, président de l’association Les Indivisibles, organisatrice de l’événement. Politiciens, présentateurs TV, « polémistes », sportifs, journalistes, nul n’est à l’abri d’un « dérapage », version politiquement correcte du propos raciste. Sous le gouvernement de Nicolas Sarkozy, les « dérapages » étaient de plus en plus fréquents, effet d’une banalisation des idées xénophobes. Presque un an après l’arrivée de la Gauche au pouvoir, l’équipe des Y’a Bon a-t-elle moins de travail que les années précédentes ? Gilles Sokoudjou répond sans détours...

Musulmans et Roms en tête de gondole « Je ne suis pas raciste, j’ai une amie plus noire qu’une arabe ! » citation de Nadine Morano, cuvée 21 juin 2012. Voici une des phrases non-retenues pour la prochaine édition des YBA, autant dire que le niveau sera très élevé. « Il y a toujours eu matière, ce n’est pas ce qui nous manque. (…) Nous avons tout ce qu’il nous faut de propos xénophobes et surtout islamophobes », précise le président des Indivisibles. Les musulmans sont encore classés parmi les premiers à subir des attaques frontales plus ou moins nauséabondes. Quoique cette année la concurrence est rude selon Gilles Sokoudjou : « Les petites phrases concernant les Roms sont de plus en plus récurrentes dans le débat public ».

Le racisme n’a pas de couleur... politique ! Comme chaque année, la créativité des personnalités coupables de propos racistes va obliger l’équipe des YBA à trouver de nouvelles catégories de classement comme confie Gilles Soukodjou, entre dépit et ironie : « Nous créons de nouvelles catégories sous le prisme de l’humour. Nous essayons de les agrémenter sous différentes appellations mais dans le fond c’est toujours la même chose ». « C’est une façon de ne rien laisser passer, de dénoncer un racisme, une xénophobie d’Etat qui porte atteinte à la dignité humaine » rappelle Mireille Fanon Mendès-France, membre du jury, à propos de cette « compétition ». Les YBA sont aussi une façon pour les Indivisibles de rappeler que « le racisme n’a pas de couleur... politique ! »

Premier Y’a Bon Awards sous un gouvernement de Gauche Gauche ? Droite ? Quels seront les plus récompensés aux prochains YBA ? Gilles Sokoudjou balaie la question d’un revers de main : « Nous n’allons pas commencer à quantifier. Nous parlons d’une classe

politique homogène (…) qui fait les lois et qui ne sanctionne pas les propos racistes. Une classe politique trop représentée [aux Y’a Bon] ». La question du bord politique n’a finalement que peu d’importance pour le président des Indivisibles : « Ce sont des débats qu’il ne faut pas voir par le prisme du positionnement politique caricatural « Les gentils sont à Gauche, les méchants à Droite ». Jusqu’ici la Gauche n’a pas vraiment été meilleure que la Droite pour les minorités. Il suffit de regarder l’état d’avancement du droit de vote des étrangers, la politique sécuritaire, l’anti-racisme... ».

ciation qui, existant depuis plus de cinq ans, a dorénavant la possibilité de se constituer partie civile pour d’éventuelles poursuites.

Changer les mentalités La dénonciation des propos racistes soulève des questions. Et ce, même des mois plus tard : « J’ai rencontré des personnalités qui ne comprenaient pas pourquoi Caroline Fourest avait été « récompensée ». Un an après ! Les YBA ont un vrai impact ! » nous explique le président des Indivisibles. Si une équipe de football gagne trois fois la Coupe du Monde, elle gagne le droit de garder le trophée. Si on appliquait cette règle aux Y’a Bon, celui qui garderait à vie la banane d’or serait Eric Zemmour. Concernant ce dernier Gilles Sokoudjou a l’impression que

Où est passée la gauche ? Mireille Fanon Mendès-France se montre également peu complaisante quand on évoque « l’espoir » suscité par le retour de la Gauche au pouvoir : « Espoir !? Quand on repense à la Gauche entre 81 et 94, les privatisations... ? Cette fois je n’avais aucun espoir. Un an après, les expulsions, vers l’Afrique no-

le travail des YBA n’a pas été vain : « Aujourd’hui, il est moins présent sur les plateaux télé, ses sorties sont plus calculées. Je ne dis pas que ce n’est que grâce à nous mais nous avons pointé du doigt un problème : son discours sur l’islamisation reprenant une rhétorique d’extrême-droite ». Dans cette guerre déclarée au racisme, les YBA ont gagné une petite bataille. Le chemin est encore long, voire interminable, dans cette lutte, mais le président des Indivisibles garde sa ligne conduite et ses convictions : « C’est notre travail anti-raciste. Il y a un devoir d’exemplarité sur la parole publique. C’est le minimum acceptable. »

Charly Célinain

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« Je ne suis pas raciste, j’ai une amie plus noire qu’une arabe ! » (Nadine Morano) tamment, sont toujours aussi musclées, les invisibles sont marginalisés. Concernant la guerre au Mali, le gouvernement est dans la droite ligne de la politique de Nicolas Sarkozy. Si les gens ont voté à Gauche c’est surtout parce qu’ils en avaient marre de Sarkozy. Il n’y a pas de Gauche. Il y a une crise des intellectuels de Gauche », note la fille de l’éminent Frantz Fanon.

Une attente de plus en plus grande D’un côté, de plus en plus de propos à relever, de l’autre un public de plus en plus exigeant : « Au fil des éditions, l’attente du public est de plus en plus grande. Les gens nous challengent sur la sélection, ils sont plus attentifs et nous disent parfois “ Vous n’avez pas fait de focus sur telle phrase... ” » confie Gilles Sokoudjou. Ce dernier a bien conscience, qu’aujourd’hui, les spectateurs des YBA attendent plus qu’une simple dénonciation : « Les YBA se doivent donc d’être au plus près des préoccupations des spectateurs, de coller à l’actualité. De plus, ces derniers sont dans l’attente de voir sanctionner les gens qu’ils exècrent » une responsabilité de plus pour l’asso-

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Anglade Amédée

DOSSIER

DOSSIER

Regard de banlieue : la bataille de l’image

Vers où Cannes regarde-t-il en 2013 ? Vers son nombril ? Au fond de son verre de mousseux ? Ou enfin droit dans les yeux d’une une époque qui a offert à Intouchables près de vingt millions d’entrées ? Que pensent les festivaliers de ce cinéma qui se penche sur les quartiers et les minorités et où le rire semble avoir remplacé « La haine » ?

O

nt-ils remarqué que des cinéastes issus des marges du récit national, qu’ils s’ap- Rues des cités »… sensibles ; sensibles aux images surtout. Des marges qui s’y connaissent en la pellent Abdellatif Kéchiche, Djamel Bensalah, Rachid Bouchareb, Lucien Jean- matière, à force justement d’être brûlées par les images du quotidien des JT. Si bien que les plus Baptiste touchent maintenant le grand public, contrairement aux premiers : Malik grands s’y intéressent : Besson et sa « Cité du cinéma » de Saint-Denis, épaulée d’une « Ecole de Chibane ou Mahmoud Zemmouri ? la cité », ou Gondry et son « Usine à films » rêvée à Aubervilliers... S’est-il aperçu que la vision sociale (chez Kassowitz, Ameur-Zaimeche ou Richet) semble avoir Au milieu des années 60, une Nouvelle Vague s’était imposée, puis avait été supplantée par une vision « raciale », dirait-on aux Etats-Unis, accompagné une révolution des mœurs et des consciences. Elle avait c’est-à-dire où la couleur de peau paraît être le principal critère de bouleversé jusqu’au-delà de l’Atlantique, le « Nouvel Hollywood ». Au différence ? Que dit-il des images qui ont envahi l’univers policé Une nouvelle génération moment où un nouvel accord de libre-échange fait planer un risque du cinéma de papa, via les blogs, les réseaux sociaux : Facebook, Skyrock, via Dailymotion et Youtube et on en passe ; et dont se émerge qui filme comme de remise en cause de « l’exception culturelle », la France saura-t-elle s’abreuver à la Fontaine de Jouvence de sa diversité culturelle, afin de sont emparés les jeunes générations, qui dorénavant font aussi le elle respire. se créoliser et d’ainsi pouvoir mieux parler à l’ensemble de la « francomonde de l’image et ne se contentent plus de le regarder ? phonie », et de réussir à s’exporter dans le monde entier, avec de nouveaux messages ? Reste à définir lesquels, tel est l’enjeu pour le pays.

Là est pourtant aujourd’hui le cinéma du réel. Entre la télé, la vidéo numérique, le web, le mobile. Des formats plus courts. Des projets cosmopolites, métisses. Des supports nouveaux. Des canaux de diffusion inédits. Et des langages plus rugueux souvent. Une nouvelle génération émerge qui filme comme elle respire. Partout dans les quartiers, la jeunesse qui n’a pas accès à la Fémis (pourtant dirigée par l’incroyable Raoul Peck, cinéaste haïtien) s’empare de ses petites caméras numériques pour des productions low cost mais haute intensité. Des Djaïdani et son « cinéma RSA », des Carrénard et son « cinéma guérilla », des associations, des maisons de quartier, des collectifs de réalisateurs se lancent tous les jours dans la bataille de l’image, mais vue des marges. Des Générations Courts, des Engraineurs, des Cité Arts, des Urban Prod, des R Style, des Alakissmen, et même des Kaïna TV qui racontent leur quartier grâce au webdocumentaire, courent les «

En un temps où l’audiovisuel a pris le pas sur les autres formes de communication, notamment dans l’expression médiatique issue des quartiers (la presse étant jalousement protégée par une élite qui s’enferme dans un très rassurant entre-soi), un enjeu paraît crucial pour les quartiers : parvenir à parler de soi à la première personne du singulier (ou du pluriel), pour s’imposer dans le récit que notre pays fait de lui-même. Ces minorités arrivent sans doute mieux à se faire entendre, à se faire voir. Dans les périphéries prolifère le cinéma du futur. Peu de gens les « calculent » aujourd’hui ; ils sauront se faire voir demain. Erwan Ruty

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DOSSIER

Du noir et blanc au noir et beur C’est un fait : des films policiers du début du XXe siècle aux films de gangsters du XXIe siècle, les banlieues ont toujours eu une place dans le cinéma français. De l’échappatoire romantique au cadre de vie pesant, retour sur une évolution cinématographique qui fit passer ces territoires d’une lutte des classes à une lutte des places.

1995

et la bourgeoisie déprécie déjà la classe ouvrière « C’est charmant, on ne peut plus aller nulle part sans croiser une putain » (Casque d’Or).

HLM et grands ensembles

Pourtant, à l’époque, pas question de couleur ni de diversité. Le cinéma se tourne en N&B, caméra sur pied, comme dans L’amour existe de Maurice Pialat (1961), court-métrage mélancolique sur les banlieues d’après-guerre et leur pauvreté, Mon Oncle de Jacques Tati représentant les mutations architecturales de l’urbanisme ou Terrain Vague de Marcel Carné (1960) où des petites bandes de jeunes révoltés évoluent aux pieds de barres HLM déjà surpeuplées. Puis viennent les grands ensemble des années 1960 et les films en couleur, tels que 2 ou 3 choses que je sais d’elle de Jean-Luc Godard (1967) où les mères de famille appâtées par la société de consommation succombent à l’endettement et à la prostitution. Trois ans plus tard, Michel Drach dénonce déjà le racisme que l’on retrouvera souvent dans les films tournés en banlieue : Élise ou la vraie vie dépeint les amours impossibles d’une française et d’un algérien en proie au racisme et au travail à la chaîne sur fond de FLN et de guerre d’Algérie.

D’humour en drame de vie

Victorien-Hippolyte Jasset (1862-1913) fut l’un des premiers réalisateurs de films policiers français. Bien avant les films à saga que l’on connaît, son héros Nick Carter (1908,1909) était déjà tourné en épisodes dans la banlieue parisienne. Pour Louis Feuillade (réalisateur de la série Fantômas de 1913 à 1914) - dont les spécialistes se demandent si, sans lui et Jasset, « les foules auraient pris le chemin des salles obscures » - ou plus tard Jacques Becker (Casque d’Or, 1952), les banlieues sont représentées comme des lieux de refuge pour les bandits ou leur bien-aimée, espaces vierges et paisibles où l’on peut se refaire une santé (au couvent dans Fantômas) ou danser (dans les guinguettes de Casque d’Or).

Bandits et ouvriers

Pour être un lieu de refuge, les banlieues symbolisent un eldorado pour nombre de jeunes criminels parisiens, qu’ils soient des bandits masqués (tels que Fantômas) ou des Apaches de la Belle Époque (comme dans Casque d’Or). Avant Becker, un autre cinéaste – le grand Marcel Carné – plaçait un Jean Gabin mythique dans une banlieue reconstituée (Le jour se lève, 1939). Que dire de ce Gabin, enfant de l’assistance et ouvrier, qui devient bien malgré lui un assassin ? Qu’à l’exception de la bourgeoisie qui se protège ou se prélasse loin de Paris, les banlieues sont déjà un coin fameux – pour ne pas dire famé – pour la pègre et les sans-emploi (La Belle Équipe de Julien Duvivier, 1936). Travailleurs harassés (Jean Gabin en ouvrier sableur du Jour se lève, Serge Regiani en menuisier dans Casque d’Or), les banlieues sont déjà le reflet d’un espace ouvrier où l’on estime que « le travail c’est la liberté et puis c’est la santé » (Gabin). L’argot d’hier y remplace le verlan d’aujourd’hui

Casque d’Or J. Becker 1952

Tragédie romantique tirée de l’histoire vraie d’une femme qui a fait tourner les têtes des marlous de Belleville à la Belle Époque. Casque d’Or a été tourné entre Boulogne, Annet, Meaux et Ménilmontant. En banlieue, les Apaches dansent dans les guinguettes, font du canot, se réfugient.

À la gravité du sujet s’oppose la comédie Elle court, elle court la banlieue de Gérard Pirès (1973), sur la cohabitation de voisins de banlieue déjà caricaturaux et fatigués de vivre entassés. En 1979, Alain Corneau (Série Noire) et Bertrand Blier (Buffet froid) mettent en scène Patrick Dewaere (en employé faisant du porte-à-porte) et Gérard Depardieu (chômeur dépassé par les événements) dans des comédies loufoques à succès. Les banlieues y sont encore des espaces de rire et de fatalité, où les personnages subissent plus qu’ils n’agissent sur les rebondissements de la vie. Dans les années 1980, cette fatalité devient moteur dramatique. Les tours sont hautes, l’habitat petit et l’avenir embrumé. « Finie la grève, c’est le chômage maintenant » (Le thé au Harem d’Archimède, Mehdi Charef, 1984). Aux personnages de Godard et Éric Rohmer (Les nuits de la pleine lune, 1984 ; L’ami de mon amie, 1987), succèdent des univers masculins durs et malsains comme dans le premier film français d’un réalisateur maghrébin (Mehdi Charef) ou De bruit et de fureur de JeanClaude Brisseau (1988).

d’adultes déprimées et des espoirs d’enfants avortés. Mais l’humour est toujours là, les vannes et la tchatche restent rythmées. Seul le repli sur soi mène à l’arrêt ou à l’arrestation. La chronique sociale est devenue un genre à part entière, croquant le quotidien des banlieusards et des oppressions dont ils sont victimes. Les réalisateurs autodidactes s’emparent pour la première fois de leurs caméras pour signer des œuvres frappantes de sincérité. Lentement mais sûrement, les banlieues glissent d’un espace d’oisiveté à un espace d’enfermement, un pré-carré qu’il faut décrire pour mieux dénoncer.

Lutte des classes, lutte des places ? De la poésie au constat, c’est la rage, soudain, qui émane des quartiers. État des lieux de Jean-François Richet (1994) et La Haine de Matthieu Kassovitz (1995) secouent la France et le cinéma français. Le rap et les acteurs de couleur font ainsi leur entrée. La liste des films qui dépeignent des cités violentes (par les mots, par les actes), en proie à une profonde crise d’identité est longue (voir frise). Très longue. Et variée, allant du film d’auteur au film d’action et de gangsters largement inspirés par les américains.

Pourtant, si la lutte des classes a toujours été la marque des banlieues, le fait qu’aujourd’hui seuls ces films défendent des castings métissés laisse une trace. Celle que le cinéma français est encore frileux, malgré les succès et le temps qui passe, et cantonne certains acteurs et réalisateurs non à leur talent mais bien à leur place : celle de leur couleur de peau.

Claire Diao

2013

Les réalisateurs autodidactes s’emparent pour la première fois de leurs caméras pour signer des œuvres frappantes de sincérité. Violence et repli sur soi

Le chômage, déjà récurrent dans ces films-là, est alors vécu de l’intérieur comme une sombre déchéance vers le vol, la violence et la prostitution. Les cages d’escalier sont cassées, les murs tagués, les caves dépravées. L’espoir a laissé place à la déprime, l’exclusion, la folie. L’ intérieur des logements est investi, les origines variées (maghrébines dans Le thé au Harem, ukrainiennes dans De bruit et de fureur), la jeunesse désœuvrée. Le suicide, l’abandon ou les violences conjugales rythment des vies

2 ou 3 choses que je sais d’elle, JL. Godard, 1967

Godard filme les grands ensembles de La Courneuve pour adapter Le signe de Maupassant et parler prostitution. Dans cette fiction en couleur qui dépeint la noirceur de la société de consommation, le maître de la Nouvelle Vague chuchote d’une voix implacable des constats accablants.

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Elle court, elle court la banlieue, G. Pirès, 1973

L’apparition des banlieues comme univers stressant, aliénant : bruit, vitesse, promiscuité pour des banlieusards ordinaires dont les relations sont affectées par ce nouveau mode de vie.


DOSSIER

La vie d’Abdel

Quand Kechiche sublime la jeunesse D’abord acteur puis réalisateur, découvreur de jeunes premières (Sara Forestier, Hafsia Herzi, Yahima Torrès, Adèle Exarchopoulos) et directeur d’acteurs de talent, Abdellatif Kechiche est en passe de devenir un pilier du cinéma français après huit césars. Quant à la Palme d’Or… je n’aimerais pas qu’on récupère cette révolution [tunisienne] pour mettre un joug encore plus grand sur la jeunesse ».

Jeunesse débloquée ?

L’adolescence, justement, est un thème passionnant pour Khechiche. « C’est tellement un moment décisif de la vie… Je crois que j’éprouve une grande admiration pour la jeunesse d’aujourd’hui, en comparaison avec la mienne qui était tellement plus fermée, bloquée. J’observe une jeunesse tellement libre, ouverte, à l’écoute du monde, engagée... C’est cette émotion qu’elle me procure que j’ai envie de montrer. Que ce soit lorsqu’ils [les jeunes, ndlr] dansent, lorsqu’ils manifestent, lorsqu’ils se disputent ou lorsqu’ils rient ».

Au-delà de ce que l’on attend de lui

I

l est passé de la crise existentielle d’un mec débarqué du bled (La faute à Voltaire, 2001) à l’adaptation de Marivaux par des ados (L’esquive, 2004), la quête de financements pour ouvrir un restau (La Graine et le Mulet, 2007) et la dénonciation du traitement qu’a subi la sud-africaine Sartje Baartman (La Vénus noire, 2009). Cette année, Abdellatif Khéchiche aborde la découverte de l’homosexualité à l’adolescence (La vie d’Adèle, sortie prévue le 9 octobre 2013) dans un film adapté de la bande-dessinée Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh, situé loin des questions de représentation de la diversité.

Transcender la condition sociale

Car qui eût cru que ce réalisateur, arrivé de Tunisie à l’âge de six ans, s’attaque un jour à un sujet aussi tabou que l’homosexualité ? Personne. Peut-être encore moins lui qui a connu, dans les années 1980, une France marquée par le racisme, le chômage et la difficulté de s’affirmer. Mais ces thèmes, déterminants dans l’ensemble de sa filmographie, lui permettent aujourd’hui de transcender ses personnages au-delà de leur condition sociale ou culturelle, vers l’universel.

Un film bien dans son contexte

Que La vie d’Adèle soit présenté à Cannes l’année même où le Parti Socialiste a validé le mariage pour tous, n’est qu’une simple coïncidence. « Quand j’ai eu l’envie de raconter cette histoire, il n’y avait pas ce contexte politique » témoignait Khechiche lors de la conférence de presse de son film au Festival de Cannes, le 23 mai 2013. « Je n’ai pas eu envie de faire un film militant avec un grand discours sur un thème précis. Mais s’il est vu comme ça, cela ne me dérange pas ».

Des actrices plus qu’un sujet

Outre la révélation, une fois encore, d’une nouvelle actrice (Adèle Exarchopoulos), la magie du cinquième film de Khechiche est que l’homosexualité y est présentée, non comme leitmotiv du film mais comme toile de fond. « Ça faisait longtemps que je traînais cette idée de s’interroger sur ce qu’on appelle le coup de foudre, le désir », expliquait encore le réalisateur. De fait, la force d’interprétation des actrices fait oublier qu’il s’agit aussi d’homosexualité : le spectateur a davantage la sensation de se retrouver face aux enjeux de la vie à deux.

Pourtant, Khechiche était attendu au tournant. Après avoir abordé des sujets qui font mal comme dans La Vénus Noire, sortant ainsi des thématiques que l’on projetait sur lui (les maghrébins de France, la banlieue), celui que l’on surnomme aussi Abdel a choisi deux héroïnes blanches, non issues de quartiers, qui n’ont comme différences que celle de leur âge et de leur classe sociale. Certains critiqueront sans doute le fait qu’il aurait pu (dû?) profiter de son statut pour magnifier d’autres acteurs colorés comme Sami Bouajila dans La faute à Voltaire, Sabrina Ouazzani dans L’esquive, Hafsia Herzi dans La graine et le mulet ou Yahima Torrès dans La Vénus noire. Mais ce serait passer à côté de la subtilité avec laquelle Khechiche aborde aujourd’hui le sujet. Dans La vie d’Adèle, la classe multiculturelle d’Adèle est uniquement constituée d’élèves, pas de personnages portés par leur couleur de peau ou leurs origines. Le nom d’Adèle fait référence à celui d’Adel en arabe (qui signifie « justice ») et les maternelles dont s’occupe Adèle prennent des cours de danse africaine pour le spectacle de fin d’année. Sur leur route, les deux héroïnes rencontrent des personnages qu’un directeur de casting classerait dans la case « diversité » alors même que leur essence ne se réfère en rien à leurs origines. « C’est pour cela que je trouve aussi belle cette jeunesse. Elle ne regarde plus, ou moins, les différences sexuelles, raciales, économiques... Il n’y a plus cette crispation de différence sexuelle, communautaire, d’identité ».

Claire Diao

Révolutions

une révolution ne se fait pas sans être une révolution sexuelle

Série Noire A. Corneau, 1979

La fin déprimante d’un monde de petites gens prises dans un engrenage social fatal. Des acteurs inoubliables (comme Patrick Dewaere), un film polar lugubre et tragique sur lequel planent Georges Perec et Jim Thompson.

Un parti pris qui dame le pion à tous les détracteurs mais qui, surtout, permet à son auteur franco-tunisien d’affirmer par rapport à son pays de naissance qu’ « une révolution ne se fait pas sans être une révolution sexuelle » : « La révolution sexuelle, c’est aussi la liberté sexuelle. Je crois que toutes les libertés sont à défendre. C’est aussi une façon de dire que

Buffet froid B. Blier, 1979

Les villes nouvelles, version Créteil et La Défense, ne peuvent être que des lieux sans âme menant à des actes dénués de sens. Absurde, cruauté et humour très très noir pour une critique emprunte de surréalisme.

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Tchao Pantin C. Berri, 1983

Un jeune dealer poursuivi par la police se réfugie chez un pompiste avec qui il devient ami. Bensoussan est assassiné. Coluche dans le rôle du pompiste livre es prestation dramatique qui lui a valu le césar du meilleur acteur en 1984, le film e récoltera cinq.


DOSSIER

Ecrans toujours pâles : « On ne subventionne pas au kilo de beur ! »

En 2010, Bernard Spitz présentait à Yazid Sabeg, le « Monsieur diversité » de Nicolas Sarkozy, un rapport accablant sur l’état de la représentation des minorités dans les médias français. Une somme éloquente et très fouillée qui faisait ellemême suite à un intense travail de lobbying du club Averroès, de la part d’élites du monde des médias, de l’entrepreneuriat et du show-biz. Et à la propulsion télégénique d’Harry Roselmack au JT de 20 heures de TF1. Où en est-on aujourd’hui ? Réponse de la responsable de la culture à l’Acsé, Fadila Méhal.

Au début, on avait deux écueils : d’abord, la qualité. On nous disait que nos films étaient des films tracts. Après cinq ans, on a fini par faire comprendre que les cinéastes des quartiers populaires sont des cinéastes comme les autres. On a fait démarrer des Bouchareb, Bensalah... ces réalisateurs sont d’abord des auteurs, mais que personne ne voulait faire travailler. Quand Chirac a constitué la commission, il a dit : le CNC, c’est la culture, l’Acsé, c’est le social. Mais depuis, on a été reconnu par la critique, par Cannes etc. En parallèle, on a fait émerger de jeunes structures, comme DACP, qui fédèrent certains de ces auteurs. Le deuxième écueil, c’est : « votre cinéma est « segmentant » [comprendre « communautaire », ndlr], donc vous passerez en troisième partie de soirée. Mais parfois, le spécifique touche l’universel, dans le documentaire notamment, mais pas seulement : le public est prêt. La comédie, par exemple, est devenue un filon. On est bankable ! Et le premier épisode d’Aïcha, parfois décrié, a été l’une des plus grosses audiences de France 3. Un autre signe : les producteurs d’Intouchables ne sont pas venus nous voir, pas plus que ceux qui ont fait le film sur la Marche des beurs ! Les diffuseurs n’ont plus de mal à financer ces thématiques. On a réussi, et aujourd’hui, les auteurs nous considèrent presque comme un label, alors qu’avant, on n’avait que ceux qui étaient rejetés ailleurs ! »

Il y a une vraie évolution dans le paysage.

« Il y a un autre débat, qui est celui de la couleur, de la diversité. Certains viennent nous voir en faisant valoir qu’ils ont des Noirs ou des Arabes dans leurs projets. Mais on n’a pas à financer la couleur de peau ! On ne subventionne pas au kilo de beur ! On aide ceux qui ne sont pas dans les stéréo-

« En terme d’image, on est passé d’une image misérabiliste, un traitement social, à un traitement plus léger, avec de l’humour. Et on touche un public beaucoup plus large ». types. Mais il y a une vraie évolution dans le paysage. Le CSA y a aidé, avec ses baromètres (même si beaucoup peuvent se prévaloir de bons chiffres en raison des séries américaines, qui, elles, montrent plus de diversité. Et on peut se dire que cette question évolue aussi grâce à des Nabilla ou des Zahia !). De même que la commission diversité des France télévisions ou la fondation TF1. Quant à Canal +, ils disent clairement que leur public appartient à cette nouvelle France-là. Ces programmes sont naturels chez eux. Pourtant, on a l’impression d’arriver à un palier, après le rapport Spitz. Même si l’information fait maintenant partie de notre cahier des charges, et que du coup on aide le Bondy blog Café [porté par Nordine Nabili, NDLR] ou Egaux mais pas trop [porté par Rokhaya Diallo, NDLR]. »

change. Le cinéma français est nombriliste, avec ses histoires de couple, et son peu de prise en compte de la réalité sociale, de l’altérité. Y compris avec des héros issus de classes moyennes, ou des couples mixtes. Il y a un retour de la question de la mémoire, de la question coloniale : cela s’inscrit dans une nouvelle manière de voir l’histoire de France, et participe à l’émergence d’un inconscient collectif qui prenne en compte ces questions, par le truchement de portraits (avec La Vénus noire, Alexandre Dumas, ou le chevalier de Saint-George). » « Il y a encore des efforts à faire : consolider les sociétés de production, et changer l’exposition de ces films, pour ne pas être en troisième partie de soirée. Autre problème : on ne sait pas à quel point notre catalogue a contribué à faire évoluer les mentalités : Benguigui, pour Aïcha, a reçu autant de lettres d’insultes que de félicitations ! Mais on est passé d’une diversité quantitative à une diversité qualitative : c’est maintenant le contenu, le traitement qui compte. Et avoir un Roselmack qui cautionne des contre-vérités sur les quartiers est contre-productif ! »

Propos recueillis par Erwan Ruty Publicité

Une nouvelle manière de voir l’histoire de France

« En terme d’image, on est passé d’une image misérabiliste, un traitement social, à un traitement plus léger, avec de l’humour. Et on touche un public beaucoup plus large, sans être moralisateur. Le regard dominant

Safia Lebdi, présidente de la commission du film à la Région Îlede-France : « Je défends ceux qui ne sont jamais défendus » « Le problème, avec la banlieue, c’est l’aide à l’écriture. Difficile à obtenir au CNC, en raison de son caractère national. Les associations de banlieue ont été les premières au courant quand ce dispositif a été créé. Moi, c’est ça, mon rôle : quand je vois des projets qui viennent de banlieue, je les mets au-dessus de la pile. Je défends ceux qui ne sont jamais défendus. Ceux qui viennent de l’autre côté du périph’. J’aurais bien voulu faire autre chose, je tiens depuis toujours un discours républicain, mais le problème, c’est que ce que je fais, personne ne l’aurait fait à ma place. Dans les commissions du cinéma, c’est l’entre-soi. Chez nous, il y a plus de diversité, dans les jurys, dans les projets soutenus, notamment depuis que Julien Dray [élu en charge de la culture à la région Île-de-France, ndlr] est arrivé. Sans cette diversité dans le jury, on ne pourrait pas bien parler des contenus de certains projets. Notre commission est à moitié composée de politiques, à moitié de professionnels. La région a des discours généraux sur les objectifs en matière de cinéma. Mais il faut rendre ça concret. Sur 80 dossiers, 10 venaient de banlieue. C’est quoi, des dossiers qui viennent de banlieue ? Je les repère à la fois selon la zone, et par le réseau, les contacts personnels : DACP, les Pépites du cinéma, Gringy wood, 1000 visages (Uda Benyamina)... Maintenant, ça commence par se savoir : on a quatre ou cinq projets qui viennent de banlieue par commission, alors qu’il y a peu de communication vers les banlieues. Il faut « vendre » ces aides, et aider un certain nombre de gens à ne pas en être exclus. Il y a de plus en plus de films urbains, avec un patrimoine industriel comme à Aubervilliers par exemple. La Seine-Saint-Denis a été choisie pour être le « cluster de la culture ». Pantin, ça serait plutôt le luxe, Saint-Denis le cinéma... Il y a des investissements dans ce département sur ces questions, c’est aussi pour ça que Besson y est allé. Les infrastructures, les lieux de tournage très variés, la présence d’industries de techniciens de ces métiers... Et l’imaginaire qui s’est développé autour des banlieues y aide. »

E.R

Le thé au Harem d’Archimède M. Charef, 1984

Premier long-métrage d’un réalisateur maghrébin ayant d’abord été ouvrier puis écrivain, ce film a été tourné à La Courneuve et Gennevilliers. Chômage, la drogue, le malaise social et l’acculturation, mais Charef dépeint avant tout la tendresse, soulignée par une grande histoire d’amitié.

De bruit et de fureur JC. Brisseau, 1988

De bruit et de fureur présente une jeunesse violente et désorientée, livrée à elle-même, en rupture avec le système scolaire et la société. Porté par un François Négret survolté en cancre révolté, un Bruno Krémer flingueur et les tours de Bagnolet, voilà un film frappant impossible à oublier.

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1,2,3 soleils B. Blier, 1993

Dans la banlieue marseillaise, une famille prolétaire se disloque. Un traitement étonnant des acteurs donne à ce film âpre une poésie pourtant surnaturelle sur les relations humaines, l’enfance, l’amour, la transmission et l’apprentissage de la vie. Aussi surprenant que décalé. Bouleversant.


DOSSIER

Business :

verra-t-il enfin le Nouvelles caméras numériques. Crowdfunding. Diffusion par les plate-forme participatives, vers de nouveaux supports de communication… autant de révolutions qui ébranlent le cinéma de papa. Mais cela signifie-t-il pour autant que les nouvelles générations ont pris le pouvoir dans un milieu si nombrilo-parisianiste ? Rien n’est moins sûr… On pense tout de suite à deux films qui ont défrayé la chronique de 20112012 : « Donoma », de Djinn Carrenard, et « Rengaine », de Rachid Djaïdani. Les deux ont été faits avec les moyens du bord. Films venus de la marge, qui se sont incrustés dans le milieu du cinéma comme par effraction, et qui ont bien braqué la critique, c’est un fait.

Philippe Ramos

Safia Lebdi

Cinéma à l’arrache fera-t-il des émules ? Mais les mêmes films, quelles que soient leurs qualités, et l’opiniâtreté de ceux qui les ont portés à bout de bras pendant des années, avec une énergie et une créativité inouïes, laissent néanmoins un goût amer. Ainsi, pour Safia Lebdi, turbulente élue EELV à la région Île-de-France et qui y préside la Commission du film, « Djaïdani, ok, quel courage, mais dix ans pour faire un film, j’ai pas envie de vendre cet exemple dans les lycées ! Tout s’est fait à l’arrache, sans cadre, sans code du travail, donc il n’a pas été financé, d’abord. C’est après qu’il est rentré dans le système. Les 500 000 euros qu’il a eus, ce n’est pas lui qui en a bénéficié, mais la productrice, qui connaît tout le monde, qui n’a pas de problèmes, qui défend dix projets par an et les fait quasi tous financer. » Jil Servant, producteur et réalisateur, actuellement replié en Guyane et responsable d’une petite société de production, Palaviré, n’est pas plus tendre : « Donoma n’a pas fait beaucoup d’émules. Comme Djaïdani. Leurs autres films seront sans doute mieux financés que les premiers. Mais communiquer en disant : « j’ai fait mon film avec 150 euros », c’est pas bien ! C’est pas vrai, et beaucoup de jeunes le croient, tentent de faire pareil et se pètent la gueule… Ceux qui sont les mieux financés resteront toujours les Ch’tis, les Cannet, les Astérix…»

Le cinéma, d’abord un business

Safia Lebdi n’y va pas par quatre chemins : « Les producteurs font du business. En général, c’est des riches. Il y a beaucoup d’argent, mais un énorme entre-soi. Pour autant, il n’y a pas de racisme. Ils savent que les gens des quartiers vont dans les multiplexes. Qu’ils achètent des DVD. Canal + investit et diffuse depuis toujours dans cette culture ». Pourtant, au niveau institutionnel, ça ne semble pas suivre : « Le discours d’Aurélie Filippetti [ministre de la Culture], c’était de remettre de l’égalité dans les territoires, en matière de culture. Mais elle est prisonnière des lobbies traditionnels de la gauche qui sont tous revenus, ces troupes de théâtre qui touchent automatiquement des deux millions d’euros de l’Etat par an.... On n’est pas dans le ré-équilibrage en faveur des quartiers,

« La Nouvelle vague voulait casser les règles, or on a abouti à un nouveau snobisme, un mépris du populaire ». Bye Bye K. Dridi, 1995

Un film chaleureux et émouvant bâti sur les drames de la vie d’enfants d’immigrés hésitant entre deux mondes, et prêts de basculer dans l’âge adulte, avec ses affres et ses joies (l’amour), mais aussi certains de ses dangers (la drogue). Une Marseille troublante, impitoyable et solaire.

mais dans l’accentuation du déséquilibre. Le seul projet culturel du Grand Paris, c’était l’Usine à films [portée par Michel Gondry, ainsi que la villa Médicis à Clichy-sous-bois, elle aussi abandonnée, ndlr]. L’Usine, c’est autofinancé, et ça fonctionne partout, à Sao Paulo, à Johannesbourg, à New York... il n’y a qu’ici que personne n’en veut, sauf la mairie d’Aubervilliers. Ici, en France, dans le cinéma, tout marche avec des lobbies et des syndicats qui n’en ont rien à faire des pauvres, sauf pour faire des films sur eux éventuellement. Quand on leur dit qu’ils vont devoir partager le gâteau en dix, ils ne veulent rien savoir : ils disent qu’ils ont créé des emplois, une industrie, et que si on y touche, ça va faire du chômage. Et du coup, les politiques ne font rien. » Voilà, ça, c’est fait : Safia Lebdi, ça fait mal et ça fait du bien.

Comment fonctionne la boutique cinéma Tout a-t-il toujours été aussi noir ? Pas forcément. « Par exemple, il y a eu une belle époque pour le documentaire, assure Jil Servant. Dans les années 80, les chaînes de télé explosent, il y a Arte etc… Aujourd’hui, c’est plus difficile. Il y a plus de jeunes qui peuvent se lancer avec de nouvelles caméras. Il y a environ 900 courts-métrages par an, souvent autoproduits, seuls une centaine avec le CNC et une télé. Et les films les mieux financés sont aussi les mieux diffusés. Là, il y a une sorte de plafond de verre : pour financer, il faut avoir un diffuseur… et les diffuseurs sont dans les jurys du CNC ! C’est un cercle vicieux, ou vertueux pour ceux qui touchent ! Arte, France 2 et Canal +, c’est eux les rois ! Ils se retrouvent même dans les commissions régionales ! S’ils disent non, ton film a peu de chance de se retrouver même dans les festivals ! Dans la production de court-métrage, par exemple, c’est environ dix boîtes qui vivent très bien, sur deux cents… Et en outre-mer, c’est encore plus difficile, même s’il y a un CNC local. Tous les financements sont à Paris. Mais les pires dérives françaises, c’est par rapport aux « fils de », ce qui a été

Raï T. Gilou, 1995

Amours et vie stable contrariés au milieu d’une cité difficile. Réalisme sans fard, tchatche, coups tordus, trafics, police, et tragédie au bout du tunnel pour quelques jeunes en déshérence.

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très visible cette année aux Césars, avec les Higelin, Doillon, et après avec Bohringer. » Notre producteur d’outre-atlantique concède quand même que « la France, c’est le pays où il y a peut-être le plus d’argent pour faire des films : des aides, le statut d’intermittent… En Angleterre, en Belgique, en Italie, en Allemagne, on nous envie ».

Besoin d’une nouvelle nouvelle vague ? Après Studio Canal, Laurence Lascary, fondatrice de la société de production DACP, De l’autre côté du périph, a travaillé à New York, pour UniFrance, organisme en charge de l’exportation du cinéma français. Elle témoigne d’un autre regard : « Ici, je ne dirais pas que je rencontre des résistances. Peut-être un certain mépris, mêlé à de la condescendance, sur le mode : « elle n’y arrivera jamais, est-ce que quelqu’un va lui dire ? » Entreprendre fait peur, c’est pas dans notre culture ! A New York, monter sa boîte « c’est génial », ici « c’est risqué » ! Là-bas, il y a moins de hiérarchies qu’en France. Cependant, aujourd’hui, les films coûtent moins cher, l’argent est mieux dépensé. Avant, beaucoup était consacré aux monda-

« Aurélie Filippetti est prisonnière des lobbies traditionnels de la gauche ». nités. La Nouvelle Vague voulait casser les règles et démocratiser, or on a abouti à un nouveau snobisme, un mépris du populaire. Ca a finalement recréé des codes. Djaïdani lui, a justement ce côté Cassavetes. Mais il y a maintenant une plus forte division entre les films low cost et les films avec stars.»

État des lieux JF Richet, 1995

Coup de poing politique, vision prolétarienne de la banlieue. Bon nombre de scènes sont d’anthologie. Une violence et une énergie incroyables, contenues et prêtes à exploser. En substance : fuck le système !


DOSSIER

le 21è siècle

cinéma se démocratiser? Laurence Lacary

portable, tu les as toujours sur toi. Tu as ta maison, ta vie avec toi, tout le temps. Avant, moi, la musique, je la pompais gratuite via Internet. Maintenant, tu rentres ton numéro de Carte bleue une fois sur ton portable, et après, tout ce que tu télécharges est prélevé automatiquement. En plus, tu peux réduire les coûts de production : la qualité technique n’est pas très bonne ! » Là encore, à en croire Jil Servant, les Etats-Unis innovent : « Il y a un vrai laboratoire pour des nouveaux films gore, ou fantastiques, comme Paranormal Activity, pensé comme une production marketing pour les jeunes qui regardent les films dans de mauvais conditions, sur leur portable ou qui passent par Facebook : ils n’en ont rien à faire du cinéma avec de belles images et de grands acteurs. Là, on peut donc faire des films à moindre coût, mais au niveau qualité… » Il y aurait donc un bel avenir pour le cinéma low cost, en quelque sorte. Reste que le numérique, auxquels les financements du CNC sont dorénavant ouverts, s’impose. Une période de transition s’ouvre. « Le 5D [appareil photo qui fait caméra] a explosé via les clips et les pubs, on va arriver à une vraie démocratisation », juge quand même Jil Servant.

Jil Servant

Financements participatifs et réseaux sociaux Quelques belles histoires ont doré le blason des financements participatifs utilisant Internet, via les plateformes de crowdfunding comme Kiss kiss bank bank ou Ulule. Mais là encore, pas de panacée. Philippe Ramos, directeur de Tuttle films, et notamment producteur de « Les Yeux dans la banlieue », remarquable webdocumentaire sur un club de foot de Thiais raconte : « On a essayé le crowdfunding sur « US Caravana », un film qu’on a financé à 50% de ses maigres 10 000 euros par ce système, via Ulule. Les fondations, le CNC, les chaînes n’ont rien donné ! Le crowdfunding ne peut être qu’un complément. D’abord, c’est coûteux : 5-7% sont retenus par les organismes qui le promeuvent, et tu dois retirer un cinquième de TVA sur les fonds obtenus ; il y a ensuite les frais liés aux contreparties que tu fournis. Et c’est pas un financement sûr. En plus, il faut une histoire à raconter, avec des textes, des éléments visuels, des vidéos pour faire teaser, bref, beaucoup de contenus pour animer une

« Ici, en France, dans le cinéma, tout marche avec des lobbies et des syndicats qui n’en ont rien à faire des pauvres, sauf pour faire de films sur eux éventuellement. » mobilisation en amont. Qui plus est, c’est une histoire de réseaux : pour US Caravana, nos financeurs nous connaissaient directement ou indirectement. Si tes proches sont riches, autant qu’ils te donnent de l’argent directement ! Rares sont encore ceux qui vont sur ces sites pour finan-

La Haine M. Kasovitz, 1995

Quelques jeunes qui ne sont pas des cailleras, mais juste désœuvrés, pris dans la spirale d’un monde qui part en vrille. Un film de maître qui a mis le quotidien d’une certaine jeunesse à la portée du grand public. On ne peut l’oublier. Jusqu’ici, tout va bien.

cer des projets qu’ils ne connaissent pas : ils ne sont pas encore assez connus du grand public. C’est donc beaucoup de travail… Par contre, l’avantage, c’est de créer une communauté qui va parler de ton projet, cela créé un outil de participation. » Pour lui, dans cette activité, « le vrai enjeu, c’est l’éditorialisation. Cela signifie avoir un community manager, avec des posts réguliers, pour aller au-delà de tes amis. Et donc avoir tous les jours des choses à poster. Il faut aussi parvenir à être interactif. Oasis a réussi une véritable success story sur Facebook grâce à des posts réguliers et rigolos. Pour que ça marche, il faut soit des choses rigolotes (les petits chats), soit du cul ! Il faut que le sujet soit vu, il faut donc porter une histoire. Pour le webdocumentaire, il faut des sites de journaux pour la diffusion, et des réseaux sociaux. Mais le buzz marche surtout par le sensationnel, ou par les news. Quant à Twitter, l’enjeu est bien de toucher les prescripteurs d’opinion, les blogueurs , les décideurs. A partir du moment où tu fais un projet web, tu dois passer par là. Mais il n’y a pas de business model avec Internet. Internet, c’est le gratuit, et ça ne changera pas.» Jil Servant tranche : « Les sous restent dans le cinéma de papa ».

Webdocumentaire, tablettes, mobiles : laboratoires du cinéma ? « Pour « Les Yeux dans la banlieue », on a été voir les grands équipementiers sportifs, Addidas, Baniston etc. Ils n’ont rien donné, et on ne demandait pas grand-chose ! relate Philippe Ramos. Il n’y a pas d’entreprise mécène. Le CNC ne te finance un webdocumentaire que si tu es diffusé sur une chaîne ou un journal. Personne ne diffuse un projet qui n’est que sur Daily Motion. Par contre, si tu fais un projet dessus, tout seul, et que ça fait un buzz, tu pourras être financé sur un projet suivant. » Autre nouveauté, les smartphones et les applications dédiées, qui offrent un modèle économique aux producteurs et diffuseurs : « avec les applications pour la téléphonie, par contre, tu touches quand même 70%, poursuit Philippe Ramos. Apple, Google, Microsoft sont tous là-dessus. La tablette ou le

Petits frères J. Doillon, 1999

Des enfants des quartiers peuvent-ils rester longtemps des enfants ? Blessures affectives, cruauté de la société, humanité et enfance qui veulent s’exprimer pourtant… Parfois caricatural, mais bon dieu, laissez-les vivre !

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« la France, c’est le pays où il y a peutêtre le plus d’argent pour faire des films : des aides, le statut d’intermittent… En Angleterre, en Belgique, en Italie, en Allemagne, on nous envie ». Conclusion « Il faut encore faire de l’institutionnel pour faire ses heures d’intermittent, et des projets à prix cassés à côté, insiste Philippe Ramos. Il n’y a pas de business model, et de plus en plus de réalisateurs. Un jour, il faudra une solution politique internationale : que l’on fasse payer des impôts aux fournisseurs d’accès Internet, pour remettre un peu d’argent dans l’économie du cinéma… » Même son de cloche du côté de Jil Servant : « Les jeunes auront peut-être un nouveau style, avec de nouveaux talents, mais ça ne sera pas grâce à un nouveau matériel. Les bases resteront les mêmes : si tu ne sais pas écrire, tu ne feras rien, sauf exception. Dans ce métier, il faut d’abord écouter l’expérience des autres au départ. Un réalisateur a toujours besoin d’une équipe, d’un producteur, qui ont confiance en lui. Beaucoup ont trop d’exigences, veulent tout de suite faire LE film… si tu as un ego surdimensionné avant de faire ton premier film, ça va être plus difficile… » Le cinéma restera le cinéma. Nouveaux outils numériques ? Nouveaux modes de financement et de diffusion ? Voilà peut-être l’avenir, certainement pas le présent.

Erwan Ruty

Le ciel, les oiseaux et ta mère D. Bensalah, 1999

A l’occasion d’un voyage à Biarritz, un groupe de copains d’une cité s’évade de son univers : comédie légère sur le décalage entre les milieux sociaux et la découverte de l’autre.


DOSSIER

Cartes postales

du Val-Fourré

Une ville dans la ville vue par un des siens

Silence et dors...

Terrassée par le temps, apr ès avoir vécu sa belle épopée , La plus grande terrasse urb aine de classe première Est devenue une silencieuse machine infernale. Les restes suspendus du gra nd Val Fourré se recyclent sur le terreau usé, Désormais labellisé territoir e d’expérimentation. Parfaitement homologué, jum elé avec les autres cités, Avec lesquelles il est confiné . Génération, après génération , Les jumelages de symptôme s s’installent. Economiquement reliée en zone de troisième classe,

Les « gens » Racin

e

ssé : Histoire du pa à venir notre présence

re aurifère. Les pères firent la filiè des temps glorieux urs ille tira Les nouveaux industriels patrons des chantiers Adaptés aux grands t de la chaîne, Armé , A l’ouest combattan Au nord chair à mine balles d’une solde à 7000 s. ur éviter les déprime po me Parfois une pri à armes inégales 0 4/1 ; 3/8 taillons de Pour affronter les ba ts moraux ? physiques et d’impac Combien de blessures

Du raide

E

eux d’un tat des li

at

étau d’ét

eil destin d’accu Enfants de ce ce coloniale. sans ordonnan parqués entassés, em Nés français machine. A bord de la e... Le temps pass succèdent de parents se ns tio ra né gé Les ses rurales le de ses clas up pe dé se té La ci sociale ve de la mixité Bye bye le rê

Associations de communau té à mouvements limités à la conso-nation à bon march é pour atténuer les masse devant les guichets de banque s, de retraits alimentaires Nécessaires aux étalages de mini-prix sans label sans g Au goût pervers qui prolifèr e La survie : humaine bra derie. Les rendre économ sédentaires

c

haussée La jolie pro au XXè menade rési me siècle dentielle du Ses champ Val Fourré fl s de rondse urit points Ses poteau x d’orientatio n sociale m Ses lacs, se édico-répre s parcs artifi ssive, ciels, ses b Architecture e lles structu s pénitentia re s sportives, ires pour m Sous les sa ieux tourne isons des re r en rond gards, une inquiétude partagée.

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Un trop ple in de rien du tout envah le quotidien

Les rêves numér otés se reflètent encadrés sur les L’ombre au refle murs figés. t fragile reste fid èle à son filamen Le ciel du vingtièm t. e étage s’illumine de pleines lunes La voie lactée de carrées s insomnies Pour les dormeu rs du Val...


Marlène Mauboussin

DOSSIER

re hes de peintu fausses couc s? ur m s Combien de le supportent es llé co s ue « Et de briq « faux projets hecs couleur re Façades d’éc ai én ill du nouveau m Faux tableaux s nité. pa es somm t de la moder Que nous ne silence néan au és ur m és, em Fixés, encadr

Tour-Anosa

ure

Agressivus Les souvenirs de la masse que l’on tasse, puis que l’o ramassent à coup n explose, se de pelleteuse. A qui la Tour ?

es de colère s garanties

miquement

es des . Les âm ent déjà plus m r ne do

L’impa s des ma se des mots ,c ux…cra Colonisati tiques ritique on, Emigra tio

n, Natura On conna lisation, C ît la musiq onservati ue, Berceuse on à coup de Black-Beu Tant qu’ils r h is ne dépas sés au ra sent pas ng de sta Le quota rs de fausse intégratio Sur des p n réussie ublicités d pour faire érisoires Que les c rêver qui tenten ités d’art t de faire c s ont encha Comme le ro ire înées s cultures , déjà enfe rmées pa r le passé dans les m usées.

« Les Héritiers du silence »

Face aux oubliés de l’histoire, il était essentiel de combler ces manques, d’écrire les pages oubliées du guide, celui de Mantes-la-Jolie bien sûr en donnant une place au Val-Fourré, mais aussi, le guide historique : à travers l’histoire d’une banlieue, la première, parler de toutes les autres, autrement que par des faits divers. Les enjeux de ce documentaire sont donc simultanément pédagogiques, historiques et culturels. L’objectif, quant à lui, est double et ambitieux : d’une part, il s’agit de faire re-connaître et transmettre la valeur du patrimoine humain, la culture et l’histoire des hommes pour re-donner des repères et du sens. Cette reconnaissance, cette renaissance permettrait aux habitants de retrouver la fierté et le plaisir de vivre là, non seulement au Val-Fourré, mais en banlieue. D’autre part, ce travail est une entreprise de dévoilement et de dénonciation. Il s’agit de donner à voir les formes subtiles de discriminations, et comment celles-ci s’insinuent dans l’espace géographique : « La violence invisible » (dont parle Saïd Bahij). Cartes postales tirées du documentaire «Les Héritiers du silence » (2010) de Saïd Bahij et Rachid Akiyahou / Yade French Connection www.frenchcx.com / contact : saidbahij@yahoo.fr Textes de Saïd Bahij « S’ bien rezonable »

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Cool Z

hit

s’efface. e, rme ni ne fe n ’e s l’ignoranc e n rdée. rt me contre th ry e désacco Mais... l’a m le ê t a m b é , lit te a o n ré , s u sur la Il vit en no vrai regard sance au is a . n le a e g n n lé Do toire d’échappa e rm a , le e u Se e silenc héritage d Il brisera l’ r... . Patience.. cités d’o


DOSSIER

Hip-hop cinéma Les clips, les documentaires, les reportages et quelques fictions ont porté le hip-hop français à l’écran. Puis, les rappeurs se sont investis eux-mêmes dans le cinéma. Mais des rappeurs acteurs ou des BO de rap suffisent-elles à créer un cinéma hip-hop ? Les rappeurs acteurs, il y en a. Beaucoup même. De La Fouine à Mokobé en passant par Rohff et MC Jean Gab’1 (tiens, Jean Gabin...), les plus (re) connus du milieu du cinéma demeurent Joey Starr (Polisse, Le bal des actrices) et Stomy Bugsy (Aliker, Gomez & Tavarès).

nous a rencontré. Lui n’a pas grandi dans une culture hip-hop mais avec Led Zeppelin et The Doors. Sa relation avec Akhenaton est donc davantage cinématographique que musicale même si la BO de Comme un aimant, alliant soul, rap US et musique italienne, déroge à la règle selon laquelle un film français tourné dans les quartiers (de Marseille, en l’occurrence) devrait obligatoirement être illustré par du rap français.

Les rappeurs compositeurs ne manquent pas non plus. De la bande-originale de La Cité Rose en 2012 (Soprano, Youssoupha...) à celle de La Haine en 1995 (Assassin, La Cliqua...), en passant par l’incontournable Taxi en 1998 (3e Oeil, Chiens de Paille...), allier musique et image satisfait autant les rappeurs avides de cinéma que les producteurs appâtant les amateurs de rap.

L’esprit hip-hop existe. La mise en scène hip-hop, pas tout à fait.

Les rappeurs réalisateurs, eux sont moins nombreux. Akhenaton d’IAM (Comme un aimant, Conte de la frustration) et Hamé de La Rumeur (De l’encre, Ce chemin devant moi), en sont les plus connus au parcours presque commun, tous deux étant passés par la co-réalisation et le téléfilm, soulignant ainsi l’intérêt que la télévision, plus que le cinéma, porte aux auteurs venus du rap. Mais si Hamé s’est finalement lancé seul après avoir étudié la réalisation à New-York, l’autodidacte Akhenaton s’est jusqu’ici toujours fait épauler.

Argumentant que le hip-hop et les cultures urbaines ont souvent été associés au cinéma violent (Boyz in the Hood, New Jack City), Kamel Saleh a d’abord rejeté le fait que Comme un aimant soit considéré comme « issu de la culture urbaine » avant de l’accepter : « Je pense que la culture urbaine est un pont vers le septième art. Grâce au hip-hop, en France, on a pu se familiariser avec des visages à travers des clips, des émissions télé, des personnalités qui ont émergé des quartiers et ont facilité l’accès d’autres personnes issues des quartiers vers le cinéma ».

Hip-hop montage

A l’exception du conte musical Conte de la frustration de Kamel Saleh et Akhénaton (2010) alliant fiction et épisodes chantés (par Amel Bent ou Faf Larage) – un parti pris déjà choisi en 2002 par le producteur de rap Benny Malapa dans son court Rap Bizz avec entre autres Stomy Bugsy – la spécificité de ces deux « réali-rappeurs » est que tous deux s’alignent dans une mise en scène classique du cinéma, le hip-hop étant davantage un leitmotiv thématique qu’un enjeu d’invention stylistique.

Made in 9-3

Côté Ile-de-France, ce n’est ni du côté du Ministère A.M.E.R. ni de NTM qu’il faut chercher des metteurs en scène mais plutôt via La Rumeur (Hamé) ou le groupe normand La Cellule (Jean-Pascal Zadi) aujourd’hui établi à Paris. À son actif, trois longs-métrages auto-produits (Cramé, African Gangster, Sans pudeur ni morale), largement inspirés de la vie des quartiers, des Noirs, des gangsters et de la culture urbaine (jeux vidéos, effets spéciaux, parodie, montage rythmé). Car pour Jean-Pascal Zadi, le cinéma hip-hop ne se résume pas à une manière de mettre en scène ou d’illustrer musicalement un film : « Ça va plus loin que ça. C’est une manière de vivre, de réfléchir. C’est dans la conception de voir, de raconter ».

A ce jour, cette transgression des codes du cinéma appliqué au hip-hop n’a été revendiqué que par un seul cinéaste : l’américain Darren Arronofsky, qui, dans son film Requiem for a dream (2000), a inventé la notion de montage « hip-hop » (montage cut d’images accélérées accompagnées d’effets sonores pour décrire une action complexe) que l’on retrouvera par la suite dans certaines séquences de films anglophones tels que Snatch (2000), Shaun of the Dead (2004) ou Hot Fuzz (2007).

Considérant que Django de Tarantino est un film hip-hop où « l’esclave devient héros et règle ses comptes à la fin sur du Tupac », JeanPascal Zadi inscrit ses films dans un esprit rebelle hip-hop « comme les punks à l’époque » : « Pour moi, le cinéma hip-hop existe ou en tout cas il arrive parce qu’on a grandi là-dedans, on a été éduqué comme ça ».

Made in Marseille

En France, si Hamé s’est lancé seul dans la réalisation après avoir étudié le cinéma à New York, l’autodidacte Akhenaton s’est jusqu’ici toujours fait épauler. La sortie du nouvel album d’IAM (Arts Martiens) occupant le temps d’Akhenaton, c’est Kamel Saleh, co-réalisateur de Comme un aimant qui

Alors, ainsi soit-il. L’esprit hip-hop existe. La mise en scène hip-hop, pas tout à fait. Mais au moins la voie est libre pour inventer. Et la médiatisation des rappeurs, utile pour créer, financer et promouvoir ces projets, permet avant tout l’essentiel de ce mouvement, de ce métier : exister.

Grâce au hip-hop, en France, on a pu se familiariser avec des visages. La squale F. Genestral, 2000

Histoire d’amour sur fond de chronique de cité. Fabrice Genestral, ancien professeur de français Sarcelles, filme la réalité des cités avec sincérité, les bons côtés comme la violence non édulcorée mais pas banalisée pour autant. Le bande originale est signée Cut Killer et DJ Abdel

Claire Diao

Comme un aimant K. Saleh et Akhenaton, 2000

Un film qui fait du bon à l’œil et à l’oreille : BO de qualité (Isaac Hayes, Cunnie Williams...), accents du Sud et décor marseillais (quartier du Panier). Première réalisation d’Akhenaton, cette histoire de potes mêle magouilles, rigolades et mauvaise drague ainsi qu’une scène d’anthologie dans un restau italien.

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La ville est tranquille R. Guédiguian, 2001

Portrait tragique et nostalgique de Marseille, une ville qui vieillit et oublie son passé populaire, et entre en friction avec son présent multiculturel.


DOSSIER

« La mort de Danton » par Alice Diop

Alice Diop a quitté Aulnay-sous-bois, la cité des 3000. Elle y retourne pour filmer un de ses proches, Steve, entre Paris (les Cours Simon, temple de l’aristocratie du théâtre, où il est entré), et cette cité d’où ils viennent tous les deux. Il est physiquement massif, parle cash, a le regard sombre. Et il est Noir. Le décalage entre ces deux mondes est physique, social. Le plafond de verre si souvent évoqué, il le subit, on le voit, on le sent dans chacune de ses paroles. A presque chaque plan du documentaire. Une violence sourde qui humilie, une fracture béante qui vous frappe encore plus cruellement dès que vous tentez de sortir du ghetto. Trois extraits nous font toucher du doigt cette réalité. Dans un bistrot

-Les gens comme nous, de la té-ci, on n’est pas dans leur programme. Ils nous voient peut-être rappeurs, footballeurs, faire le même boulot que papa ou maman, ramasser des papiers et tout... La preuve, ils savent pas nous choisir des scènes (…) Ils me disent de chercher des scènes de Noir ! Attends, c’est moi ou toi le prof ? C’est pas à moi de chercher des scènes ! Il me dit « vous connaissez pas des auteurs noirs ? » pour jouer ses scènes ! Le mec il est du-per ! Tu peux plus te contenter des p’tites scènes à un moment (…) J’ai attendu un an pour faire une scène ! Il a fallu qu’j’attende un an qu’y ait une scène avec un Noir pour jouer. -Il fallait un autre Noir pour donner la réplique ? Demande Alice Diop -J’lui dis « attends, j’vais chercher un p’tit renoi d’la cité, et on va la faire, la scène ! Il a dit « on va maquiller un Blanc en Noir et on va la faire la scène ! Un truc de gue-din ! Vl’a la pensée, tu vois c’que j’veux dire ? Les mecs, ils sont encore à l’ancienne ! Danton j’peux la jouer ? « Non, y’avait pas de Noirs à l’époque » !

Aux bords d’un ground de basket, assis sur une table de ping-pong, dialogue pris à la volée

-Bien ou quoi, frérot ? -Pourquoi tu m’as fait descendre ? J’suis pressé, il faut vite que tu m’dis qu’est-ce-qu’il se passe là... -Ok, on va parler doucement alors. Tu vois, j’t’avais dit que j’faisais une formation dans l’audiovisuel, tout ça, là ; en fait, depuis trois piges, j’fais une école de théâtre et là c’est ma dernière année, j’termine demain, tu vois, j’passe dans un théâtre parisien, au Gymnase, t’as vu, tu ramènes les te-tés si tu veux, tu viens, t’as vu... -Nooooon ? Ah, ouais, stylé mon frère ! Check, check [ils tombent dans les bras l’un de l’autre] ! Tu vas faire l’comique ? C’est quoi l’coaching ? -Non, non, c’est pas comique, c’est pas pour être humoriste et tout, c’est pour être acteur carrément, comédien... -T’aimes bien ? -J’suis au top ! -T’as raison, fais c’que t’aime mon frère ! C’est stylé, la vie d’ma mère ! Tu m’as fait plaisir, là ! Petit cachotier ! (...) -Tu sais comment c’est à la té-ci mon frère, comment tu vas déclarer ça ? Tu vas l’dire aux gens, ils vont dire « t’es au top », et quand tu vas tailler, ils vont dire « ouais allez, vas-y »... Tu crois que j’pouvais dire ça comme açe ? T’es guedin (…) Jai trouvé un agent, y’a un agent qui m’a repéré sur scène, tu vois... -T’as bien raison ! Moi j’ai eu mon permis poids lourd, et ça m’intéresse pas d’être dans les poids lourds ! C’est bien mon frère, ça fait plaisir. Et quoi alors, maintenant, mon frère, tu vas jouer avec des stars connues ? -J’sais pas, pour l’instant, c’est creux... On verra au fil du temps. Ca vient pas comme açe... -Ouais, petit à petit, l’oiseau fait son nid ! Et toi il te faut un gros nid ! -Un nid d’abeilles, avec plein de miel dedans ! [ils se marrent] -Ca fait plaisir, ouallaï j’suis content pour toi, la vie d’ma mère, félicitations ! Au moins t’as pas dormi ! Ca c’est bien ! 27 balais, on rentre dans les 28 piges, si t’as rien fait de ta carrière, t’es mort la vie d’ma mère ! T’as bien anticipé ! Tu m’diras en un sens, t’as bien fait de garder ça pour toi, t’as vu, à la fin, t’as fini, ouallaï j’me rappelle quand tu disais « t’inquiète, tu verras à la fin ». J’pensais pas qu’c’était n truc comme ça ! T’as bien fait, la vie d’ma mère, stylé, j’te souhaite que du bonheur ! T’as vu, au moins, quand tu quittes le bitume comment ça paie ! T’arrêtes le teush, t’arrête toute cette merde, t’as vu comment t’augmentes ! La vie d’ma mère tu vois plus les choses pareil, pour moi, dès qu’t’arrives à ce niveau-là, pour moi t’as réussi ! C’est pas tout l’monde il va s’engager dans un truc comme ça ! -Ouais, mais t’as vu, c’est 310 euros par mois... -Et alors ? Tu les aurais niqués dans l’bedot, tu les aurais niqués dans n’importe quoi, dans l’alcool ! Pour moi, t’as investi dans quelque chose, même si tu réussis pas, t’as vu, le dialogue il change, les contacts ils changent, tu t’fais des nouveaux contacts, la vie d’ma mère ça sert ! Ouallaï, félicitations ! Ouallaï, j’suis content pour toi ! Yeaaaaaaah ! Hé ! J’espère qu’tu mets pas les collants et tout... ! -Si tu savais mon frère, un moment, j’ai une scène, faut pas qu’j’te la dise !

Dernière scène

Steve voulait jouer Danton ? Il regardera la pièce depuis les coulisses... habillé dans sa livrée de chauffeur de Miss Daisy, le rôle qu’il incarnera finalement... Celui du serviteur noir d’une société qui peine à sortir du racisme. « Non, m’ame », « Oui, m’ame », « Je ne sais pas lire m’ame »... à la sortie de la représentation, ses potes le taillent : « Oncle Ben’s », « t‘as bien joué ton rôle de négro ! » etc, etc... Ce n’est que face à la caméra d’Alice Diop qu’il jouera son rôle, dernière scène du film : « Nous avons mis fin aux monopoles de la naissance, de la fortune (…) Nous avons déclaré que l’homme le plus humble de ce pays est l’égal des plus grands. Cette liberté que nous avons acquise pour nous-mêmes, nous l’avons affectée aux esclaves ; nous confions au monde la mission de bâtir l’avenir sur l’espoir que nous avons fait naître (…) Cette aspiration, ce souffle pour tous les hommes, partout et en tout lie, cet appétit, cette soif de liberté, jamais personne ne pourra l’étouffer. » [Danton, dernier discours, 1794] Rideau.

Wesh Wesh qu’est ce qui s’passe R. Ameur-Zaïmeche, 2002

Une vision où la banlieue, somme de tous les abandons, devient le réceptacle de toutes les violences : symboliques, physiques et policières.

Neg marrons JC Flamand-Barny, 2004

Les errements d’un jeune antillais habitée sans le savoir par le passé de l’esclavage. Sujet rare, traitement sobre et percutant.

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Voisins, voisines M. Chibane, 2004

La vie quotidienne d’une cité, loin des clichés médiatiques. Ode naïve, mais parfois drôle et pleine d’humanité, au multiculturalisme.


DOSSIER

Ciné banlieue

Le cinéma en banlieue

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Urban film festival

Les rencontres de passeurs d’images

Lieu : Cité nationale de l’histoire de l’immigration, Paris Dates : 3 au 6 octobre 2013 Concept : Présenter une programmation de films autour de thématiques ayant trait à la problématique de la diversité. Aucune compétition n’est organisée, l’idée est simplement de rassembler un certain nombre d’œuvres abordant le sujet de manière probante. Les points forts : Premier festival encré sur une thématique transversalle : la diversité. Des débats sont organisés avec certains réalisateurs et le public. Ils en parlent : « Nous avons créé ce festival car il manquait véritablement un évènement cinématographique qui traite de la diversité. Naturellement, nous nous sommes installés à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. Notre festival s’articule autour de deux éléments : la fiction et le documentaire, la double image de l’histoire de l’autre. » Samia Mesaoudi, présidente. Site Internet : www.lefidel.com

Le FIDEL : Festival images de la diversité et de l’égalité

Lieu : Paris Dates : Mai Le concept : Festival de films consacré aux cultures urbaines, l’Urban Film Festival montre la rue, qu’elle soit le sujet des films ou le décor. L’idée est de mettre en avant les arts de rue et ainsi, porter un regard particulier sur la ville. Le festival est divisé en trois catégories, le courtmétrage, mais aussi la « performance » : un contenu impactant en moins de 5 minutes, et enfin le documentaire. Points forts : parrainé par Jamel Debbouze, le festival est parti prenante de l’opération Talent en Court du CNC qui permet notamment aux producteurs de courts- métrages de toucher la Bourse des Festivals, pouvant aller jusqu’à 15 000 euros. Ils en parlent : « On ne défend pas la banlieue en tant que telle, mais la culture développée par toute une génération urbaine. Le festival permet de découvrir les cultures urbaines façon cinéma. La zone géographique a finalement peu d’importance, c’est la qualité artistique qui nous intéresse. Tout le monde a sa place dans ce festival. » Franklin Roulot, responsable de la communication et du développement. Site internet : www.urbanfilmsfestival.com

Lieu : Aubervilliers / Paris Dates : Octobre / novembre Concept : Créé en 2005 et porté par l’Office Municipal de la Jeunesse d’Aubervilliers (OMJA), il s’agit de promouvoir les jeunes talents de la région parisienne. Le festival se divise en deux parties, l’une locale dans laquelle les films de jeunes suivis en ateliers sont proposés. La seconde, au niveau national concerne un ensemble de courts métrages recueillis dans le cadre d’un appel à film. Le lauréat local voit son film diffusé lors du festival national Les points forts : Parrainé par Luc Besson, l’ensemble du processus qui aboutit au festival annuel permet aux jeunes de se professionnaliser dans les métiers du cinéma. Le lauréat local, sélectionné pour son assiduité et son sérieux, reçoit 3 ans de formation à l’École Internationale de Création Audiovisuelle et de Réalisation (EICAR). Ils en parlent : « On n’attend pas forcément les jeunes des quartiers dans le cinéma. Or, c’est un moyen d’expression qui fait appel à leur imaginaire, qui les sort des clichés. Ils parlent de sujets qui n’ont rien à voir avec la banlieue. Les films qu’ils font sont loin d’être ce qu’on imagine. C’est souvent très personnel. Ils se dévoilent beaucoup. Et puis, toute la mise en place de leur projet cinématographique recrée du lien social. Les gens s’intéressent, ils participent. Il y a un véritable décloisonnement. » Mirela Ibisevic, coordinatrice de projet culturels à l’Office Municipal de la Jeunesse d’Aubervilliers. Site Internet : www.generationcourt.com

Génération courts

Nadia Sweeny

un festival de festivals

Lieu : Saint-Denis / Saint-Ouen / Paris Dates : Du 13 au 14 nov 2013 Concept : Offrir, par le biais d’une programmation spécifique, une autre vision de ce qu’est la banlieue en montrant cet espace comme un lieu d’inspiration et d’épanouissement artistiques et non plus comme source de tensions et de destruction. Le but est de montrer la banlieue par le biais de ses richesses sociales et culturelles. Chaque année, un thème spécifique est proposé. Les points forts : Le festival diffuse principalement des films sans ou avec peu de budget. L’idée étant de promouvoir de nouveaux talents qui n’ont pas eu la chance d’être soutenu ailleurs. Le festival est parti prenante de l’opération Talent en Court du CNC. Ils en parlent : « On a commencé ce Festival en 2006, peu après les émeutes dans les quartiers. Au même moment, je faisais un mémoire sur l’image de la banlieue au cinéma. Créer cet évènement s’est présenté pour moi comme une évidence. On ne se reconnait pas dans le cinéma d’aujourd’hui. Or, le cinéma est le miroir de la société, il capte le quotidien. Nous voulons que ceux qui habitent la banlieue en parle pour casser cette domination intellectuelle qui nous enferme dans des clichés. » Aurélie Cardin, déléguée générale. Site Internet : www.cinebanlieue.org

Les pépites du cinéma Lieu : La Courneuve / Saint-Ouen Dates : Ouverture le 27 septembre 2013, puis du 2 au 10 octobre Concept : Soutenu par Michel Gondry, l’association Talents urbains cherche à promouvoir l’accès à la réalisation vidéo par le biais d’ateliers. Il n’y a pas de compétition, pas de thématique annuelle ni encore de prix afin 78 de véritablement permettre la rencontre entre les équipes. Le but du festival est de faire des ponts entre les cinéastes des quartiers et les professionnels du cinéma. Les points forts : Un réseau underground. Aider à la production et promouvoir des films qui n’ont jamais été diffusé. Labellisé par le Centre National du Cinéma. Ils en parlent : « J’ai souvent entendu des gens me dire que ce qu’on faisait n’était pas du cinéma. Les réalisateurs qu’on défend sont souvent hors du système. Or, ils ont des choses à dire que le système n’est pas près à entendre. Se sont des nouveaux talents qui sont plus représentatifs de la société française. Notre but est de les faire entrer dans le système pour porter leur voix. C’est aussi pour ça que dans le nom du festival, n’apparait pas la notion de banlieue ou d’urbain, même si finalement, c’est un peu ce qu’on défend. » Aïcha Belaïdi, Déléguée générale. Site Internet : www.lespepitesducinema.com

Festival Il parait qu’eux : contre les préjugés

Lieu : Juvisy-sur-Orge, Athis Mons, Massy, Paray vieille poste, Dates : Février Concept : Après avoir voyagé à travers le monde pour promouvoir ses propres films, l’équipe de Ya Fouei propose de découvrir le meilleur des courts métrages sur la thématique des préjugés, idées reçues et discriminations. Les courts métrages sont aussi le point de départ de débats animés par l’association auprès d’élèves de collèges et de lycées partenaires. Point fort : Tous les films sont sous-titrés en français pour permettre l’accessibilité aux sourds. Les lauréats sont sélectionnés par un vote du public et auprès de 600 élèves de collèges et lycées partenaires. A reçu l’agrément de l’Éducation nationale. Ils en parlent : « c’est important de recueillir le ressentis des gens. D’autant que les jeunes sont les citoyens de demain. J’ai réalisé que chez les ados, dans toute la France, les stéréotypes sont sensiblement les mêmes. Nous travaillons beaucoup à décortiquer les mécanismes de l’exclusion, de l’imagerie populaire. Le Festival est organisé avec des partenaires locaux, notamment des associations de jeunes qui récoltent des fonds pour leurs propres activités. » Greg Ruggeri Directeur Artistique du Festival. Site internet : http://festivalilparaitqueux.edoo.fr

Lieu : non encore déterminé Dates : 13 et 14 décembre 2013 Concept : Créer du lien entre tous ceux qui s’investissent dans le domaine de l’éducation à l’image. Une journée est réservée à la réflexion avec des tables rondes et une journée consacrée aux films réalisés par des jeunes en atelier. Le point fort : La seule manifestation qui regroupe des animateurs de quartiers, des éducateurs, des relais des milieux hospitaliers ou pénitentiaires, des fédérations d’éducation populaire et des professionnels du cinéma, qui parle des pratiques des jeunes et allie cinéma et social. Ils en parlent : « Nous, nous savons faire du cinéma, nos partenaires savent faire du social, travaillons ensemble ! Nous sommes dans une démarche systématique de partenariats. Nous développons des ateliers d’initiation à l’image sous toutes ces formes. Une éducation qui, aujourd’hui, devrait être ouverte au plus grand nombre tellement la présence de la télévision, par exemple, est importante dans nos sociétés. Nous n’avons pas vocation à être un lieu de repérage de talents, nous voulons faire comprendre comment fonctionne l’image. » François Campana, Directeur de Kyrnéa International, association en charge de la coordination nationale de Passeurs d’images. Site Internet : http://www.passeursdimages.fr

Dans un futur proche, la banlieue (à force de le répéter) est enfin devenue une zone de non droit où les bandes exercent leur tyrannie et où les rhétoriques sécuritaires trouvent une application… et une justification aux tentations du présent.

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Les aventures caustiques d’un jeune de la Goutte d’Or à la veille d’un match FranceAlgérie. Un des meilleurs portraits des contradictions d’une jeunesse « entre deux chaises ».

Un jeune et ses quelques potes essayent de s’en sortir en magouillant, dans un monde de magouilles, tout en essayant de rester « des gens biens ». Ironique, frais, tonique… et une jolie pirouette finale !

Beur, blanc, rouge M. Zemmouri, 2006

Zim and co P. Jolivet, 2005

Banlieue 13 P. Morel, 2004


DOSSIER

Le documentaire est-il un sport de sociologue ?

Si vous voulez voir des jeunes de banlieue à casquette, il y a Spécial investigations. Si vous voulez voir les mêmes, mais sans floutage et sans que le journaliste soit embarqué avec une meute de policiers armés de flashballs, il y a « La tentation de l’émeute » ou « Les bandes, le quartier et moi ». Notamment. Deux documentaires-ovnis dans le Paf. Pourquoi ? Leurs auteurs, respectivement Marwan Mohammed (sociologue spécialiste de la jeunesse) et Atisso Medessou (réalisateur de films documentaires et de fiction), nous livrent quelques recettes subtiles d’une télé-vérité bien loin de la télé-cliché qui sévit habituellement sur les écrans.

1/ Les objectifs Atisso Medessou : « Je voulais surtout rendre compte de la diversité des regards sur la notion de bande : avec le point de vue des jeunes, celui des parents, des élus, de la police et de la justice…L’intérêt était aussi de rendre compte des différences entre les générations. Je suis né en 1973, et j’ai parfaitement conscience que les choses ont évolué. Les jeunes vivent des réalités que je ne connaissais pas à leur âge. Mon parcours fait que je n’étais pas « assigné à résidence » comme eux : j’allais à l’école à Boulogne, au cinéma à Paris, etc... Il y a un vrai travail à faire sur l’analyse de l’image dans les quartiers, car les habitants s’approprient souvent des étiquettes qui ne sont pas les leurs à la base. Mon film est un travail de décodage, l’histoire se base sur la géographie pour adopter des points de vue différents, notamment quand les jeunes assurent ne pas pouvoir aller au-delà de telle ou telle frontière. Je visualise cette idée à l’image sur une carte de la ville. Dans la réalisation, j’ai choisi de ne pas associer mon travail à celui des reportages sensationnalistes d’où les partis pris de se mettre en scène et de ne pas flouter les visages sauf quand la loi l’exigeait. »

choisi les personnages, notamment dans mes connaissances qui ont une histoire de la rue. Quand on a montré notre film a Arte, ils ont dit : « Ce n’est pas le film que nous avons acheté, mais il est très bien. » Il faut dire qu’on était après « La cité du mâle », c’était un contexte de besoin de réhabilitation pour Arte !» Atisso Medessou : « Le point de départ du film c’était un rapport du ministère de l’Intérieur qui a vu le jour à la suite d’une série d’évènements alarmistes décrivant les bandes comme un phénomène nouveau. Or je savais que le phénomène des bandes existait depuis bien longtemps. Quand je citais «Les bandes de jeunes, des blousons noirs à nos jours», le recueil de Laurent Mucchielli et Marwan Mohammed, France Télévisions craignait que je réalise un film historique avec des archives. Et moi je voulais m’éloigner d’un angle spectaculaire. Juste l’envie de faire un film documentaire. »

3/ Faut-il connaître son sujet (les « quartiers ») de l’intérieur ? Atisso Medessou : « J’ai fini par décider de ne parler que d’un lieu précis,

Kevin in «La tentation de l’émeute »

Atisso Médessou Marwan Mohammed : « On n’avait pas pour intention initiale de casser les clichés, mais de questionner les émeutes, cinq ans après. »

2/ Bien négocier avec les producteurs et diffuseurs avant de dégainer la caméra Marwan Mohammed : « Notre film s’est fait suite à un appel d’offre d’Arte sur « les violences urbaines ». Samuel Luret, le réalisateur, est venu me chercher. Je lui ai dit que je trouvais ce projet très cliché : aller à Clichy-sous-bois, s’intéresser aux trafics, avec potentiellement des caméras cachées, des visages floutés etc… C’était très orienté TF1, pas Arte ! Samuel était très ouvert à la discussion. Je lui ai dit : « tu devrais te positionner par rapport aux anciens émeutiers ». Et, sur le ton de la boutade, puisqu’il voulait s’entretenir avec moi avant le tournage : « je voudrais être derrière la caméra ». Finalement, on a réécrit, à trois, le scénario. La production a accepté. On a déterminé ce qu’on voulait montrer : les tendances de fond, une réalité sociale ; et, en fonction de ça, on a

Entre les murs F. Bégaudeau, 2006

L’ordinaire tragi-comique d’un professeur de français. Dans ce roman écrit au plus près du réel, François Bégaudeau révèle et investit l’état brut d’une langue vivante , la nôtre, dont le collège est la plus fidèle chambre d’échos.

face au mur, comme de ce que c’est que de faire chier la police, ou d’être dans un petit groupe… Autre avantage : on connaît les codes, on sait vite décrypter les situations. Ca me permettait de dire à l’équipe, qui ne comprenait pas toujours pourquoi : « on arrête maintenant », quand je remarquais certains signes. Ca peut aussi faire gagner du temps, le temps de l’implantation, de l’acceptation. Mais j’ai une distance maintenant par rapport à ces groupes : j’ai 37 ans, et j’étais l’animateur de Kevin [l’une des personnes interviewées]… il avait alors 4 ans… Mais l’intuition peut aussi être un piège, quand on est trop proche. Qui plus est, on peut manquer de recul, être pris dans des embrouilles, des clivages… »

4/ Prendre le temps

Atisso Medessou : « Le film a commencé à s’écrire en 2008, nécessité un an d’enquête, tourné et monté entre 2009-2010, puis diffusé en 2011… Pour réaliser un documentaire, et comprendre un phénomène de société, le temps compte. Quand tu tournes en banlieue, il y a de nombreux sujets à traiter, tu peux être happé par des milliers d’histoires tout le temps. Or le spectateur, a besoin d’avoir un récit clair, en 52’. Il se fout du reste. »

Marwan Mohammed

à un moment précis : Courcouronnes, dans les années 2000. Le parti pris d’avoir une vision de l’intérieur ne s’est pas mis en place d’entrée de jeu ; et être « à l’intérieur » n’est pas primordial. Je suis peut-être perçu comme un mec « de l’intérieur » de ce sujet, mais avec une caméra, tu es tout de suite perçu comme quelqu’un d’extérieur par les personnes que tu vas voir ! On est jamais en terrain conquis. Certains jeunes me voyaient comme « un grand », des parents plutôt comme un journaliste, la police me présentait comme un collègue, alors que moi je ne faisais que mon travail de réalisateur. »

5/ Tisser un rapport de confiance avec les personnes interviewées

Marwan Mohammed : « J’avais fait 150 entretiens avant, pour mes recherches ; je ne découvrais pas cette situation. Pour la découvrir, un journaliste devrait rester trois ans ! Forcément, il y a un parti pris dans notre film, fondé sur 10 ans de travail. Mais in fine, bien connaître les gens n’est pas déterminant. Même quand on fait une thèse de sociologie. Le « je connais, j’en viens », ou « j’en viens, donc je suis légitime », je n’y crois pas. L’avantage de connaître, c’est qu’on a des intuitions construites par l’expérience. On est sensible au ressenti, à ce que c’est qu’être humilié, de se prendre des baffes par la police, de se retrouver

Marwan Mohammed : « Dans le floutage, il n’y a pas de rapport de confiance. Le choix d’avoir des gros plans et des entretiens sur fond noir, c’est un choix esthétique, mais qui a aussi mis les personnes interviewées en confiance. Personne autour de nous, le silence… Certains de leurs potes nous ont dit : « je ne pensais pas qu’il pouvait s’exprimer comme ça ! » Le dispositif leur a permis de se révéler. On n’a choisi personne en fonction de ses capacités à bien s’exprimer ! »

La graine et le mulet A. Kéchiche, 2007

Un vieux chibani quasi retraité et sa fille vivent modestement mais au milieu d’une communauté affectueuse, à Sète, et tentent de réaliser leur rêve. Mais la fatalité menace de d’emporter ce rêve. Reste la passion. Un film bouleversant sur la transmission et la trahison.

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Atisso Medessou :« J’ai expliqué à tous les intervenants du film que je ne faisais pas un film sur les trafics de drogue ni un documentaire sur eux mais plutôt, avec eux. L’enjeu n’était pas de faire un film sur la banlieue en général ni sur les bandes, mais au fond il s’agissait de décrire la réalité dans laquelle elles évoluent. »

Propos recueillis par Erwan Ruty

Les lascars A. Pereira-Lazaro et E. Klotz, 2007

Après une série de très courts animés sur Canal+, un film narrant les déboires foutraques de deux potes pas fins. Crescendo dans le trash et dans le n’importe quoi, jusqu’à un final de haute voltige.


DOSSIER

Castings

En être ou pas ? Quelle est la part de fantasme et de réalité dans le déroulement des castings de cinéma ? Rencontre avec un directeur de casting spécialisé dans le recrutement de jeunes des banlieues, Mohamed Belhamar.

L

e dernier baromètre annuel sur la représentation de la diversité à la télévision publié par le CSA pointait une stagnation* des efforts des chaînes. A l’heure où France 2 s’apprête à lancer en prime-time, Chérif, un feuilleton policier avec l’acteur Abdelhafid Metalsi dans le rôle principal, comment un acteur issu des minorités peut-il aujourd’hui crever l’écran ? Nous avons posé la question à Mohamed Belhamar, responsable de casting sur des films comme Un Prophète, de Jacques Audiard. Il nous livre une première piste : « Pour moi, les choses ont tout de même beaucoup bougé. Mais surtout au cinéma. A la télévision, les rôles proposés sont plus souvent caricaturaux. Je connais plein d’acteurs qui y vont mais uniquement parce qu’il faut bien gagner sa vie. »

Des castings encore tenus par les anciens Qu’apporte donc de plus le septième art ? « Par exemple, j’ai proposé pour le film Les Hommes libres, deux jeunes que j’avais dirigé dans un court-métrage. Lors du rendez-vous avec l’équipe, ils ont été retenus de suite tellement ils avaient fait impression. Les responsables n’avaient même pas besoin de regarder ce qu’ils avaient fait auparavant et depuis, ils enchaînent les rôles. » Un enthousiasme qu’il modère toutefois un peu : « Les castings sont encore tenus par des anciens. Ils ont souvent une image décalée des jeunes de banlieue. On ne leur donne pas de rôle intéressant de premier plan. C’est plutôt quand j’ai affaire directement aux metteurs en scène que je peux plus facilement imposer mes choix. »

Et de relater une mauvaise expérience sur le film Tête de Turc, de Pascal Elbé, où on lui demandait de chercher un Blanc qui ressemble à un Arabe. « J’ai préféré renoncer. Depuis je suis plus attentif aux personnes avec qui je vais travailler. »

Une culture urbaine très cinématographique Mais à la question centrale de savoir si les jeunes des banlieues sont plus facilement recrutés, il estime que ces derniers se mettent aussi des bâtons dans les roues. « Au bout de trente vestes, ils abandonnent. Là où d’autres, issus de catégories sociales différentes, continueraient encore. Ce découragement participe aussi à leur non-présence sur les écrans.

« Au bout de trente vestes, ils abandonnent. Là où d’autres, issus de catégories sociales différentes, continueraient encore. » Sur Un Prophète, il y avait un jeune qui voulait faire du théâtre, tous les autres le charriaient, en lui faisant comprendre que ce n’était pas fait pour un type comme lui. Je leur expliquai alors qu’ils pourraient tous être à ma place si seulement ils le voulaient. Moi. Autodidacte. Arrivé là

un peu par hasard. Pour que les jeunes soient repérés et sollicités, il faut aussi qu’ils donnent envie aux responsables de casting. Le discours blasé ne fonctionne pas. Je dirais même que ce ressenti imprègne l ‘apparence d’un apprenti comédien là où certains dégagent une image qui se détache de ces contingences. » Un point de vue iconoclaste qui en dit long toutefois sur la volonté de réussir que tout acteur en herbe doit avoir chevillée au corps. Peut-être plus que dans n’importe quel autre métier. « Le cinéma rattrape les gens. L’envie d’y percer est fondamental à la réussite. » Mais cela n’explique pas tout, la nécessité pour les productions de refléter l’ensemble du corps social devrait aussi sauter aux yeux de tous. « Hélas, il reste quelques barrières. Pourtant les gens sont parfaitement conscients qu’il est important de rendre cohérent la vision de la France au cinéma. » Avec, de plus, des atouts importants pour des médias où les critères artistiques jouent à plein : « La culture urbaine, précise Mohamed Belhamar, est très cinématographique. Le langage de banlieue est fluide, dynamique, moins corseté... Et puis, les gens sont beaux, ça colore l’image, l’avantage esthétique est indéniable. Sans compter qu’on parle de populations qui pour exister doivent se battre. C’est un point de vue assez fort en termes de richesse humaine et romanesque. » A ce dernier titre, une chose est sûre, pour lui, l’avenir du cinéma passera, plus précisément, par les femmes de banlieue : « Ce sont les meilleures comédiennes. »

Abdessamed Sahali * 12% de personnes perçues comme « non-blanches » dans la catégorie fiction

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13 mètres carrés B. Grossmann, 2007

Polar métaphore de l’enfermement des banlieues

L’année suivante I. Czajka, 2007

Une jeune fille de classe moyenne a du mal à trouver sa place dans une banlieue sans âme où l’homme n’a pas sa place.

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Regarde-moi A. Estrougo, 2007

A travers des histoires d’amours en banlieue, le film analyse les différences qu’il existe entre le fait d’être un garçon en banlieue et le fait d’être une fille en banlieue. Le mal-être des filles en banlieue est un sujet important du film.


DOSSIER

Coûte que coûte

le cinéma comme urgence Cinéma « guerilla » ? Cinéma « RSA » ? Un florilège de nouveaux vocables est né, porté par des réalisateurs issus des marges du cinéma. Reste que, au-delà de la question de l’argent, un nouveau cinéma se fabrique. Revue de détail autour de « Rue des Cités », le premier film de Carine May et Hakim Zouhani, en salles le 5 juin.

C

ela fait quelque temps maintenant que l’on voit surgir au cinéma des films un peu inattendus. Produits à l’arrache, réalisés par des trentenaires aux parcours atypiques, ces œuvres se fraient un chemin vers les salles en produisant au préalable leur propre légende urbaine. On se souvient en 2011 de Donoma de Djinn Carrénard, le « film à 300 euros » et l’an dernier, de Rengaine, tourné sur neuf ans par Rachid Djaïdani. Une frange de plus en plus nombreuse de francs-tireurs qui, année après année, donne des nouvelles d’un monde qui semble ne plus exister dans un cinéma traditionnel, perclus par des travers industriels et un réseautage consanguin. La société française a certainement besoin d’un miroir moins déformé, ne serait-ce que pour panser les plaies et les fractures. C’est ce que propose en substance, le « cinéma guerilla », pour reprendre l’expression consacrée. Mais quelle que soit l’étiquette que journalistes et auteurs voudront coller à cette nouvelle vague issue des banlieues, il y a fort à parier, révolution technologique aidant, qu’elle soit appelée à durer.

peut avoir avec le film de Djaïdani par exemple. « On a choisi aussi un mélange de fiction et de documentaire pour faire ressentir une parole multiple et trans-générationnelle. Le tout en noir et blanc. On a écrit les séquences avec des jeunes et on voulait à tout prix des témoignages des

habitants des quartiers. Le plus difficile a été de trouver l’équilibre entre ces deux pôles. C’était un risque qu’on nous a parfois reproché mais le parti-pris est assumé. »

Quelle que soit la méthode, la conception d’un longmétrage reste chronophage. Plusieurs mois d’écriture et de tournage, un an et demi de montage. « Le paradoxe est que malgré l’urgence à tourner, le processus créatif reste très lent. Mais c’était peutêtre le temps qu’il fallait pour mûrir notre montage et centrer notre propos. Il faut dire aussi qu’au début, le film était porté par une association puis il a fallu créer une société de production pour pouvoir le sortir correctement. » Par la suite, la chance des deux réalisateurs est d’avoir été repéré par l’ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) qui a sélectionné le film dans sa section parallèle du Festival de Cannes. « On ne savait pas même que ça existait. C’est Aïcha Belaïdi, de Talents Urbains, qu’on avait invitée à une projection pour voir si notre film tenait la route, tellement on était paumés sur le montage, qui nous a conseillé de leur envoyer notre film. » De l’utilité de confier son bébé au regard extérieur d’une personne bienveillante. « Ce n’est pas un film évident, continue Hakim Zouhani. Il fallait par exemple que la langue et la culture des quartiers existent. Pour certains, c’est de l’agressivité, pour nous, c’est de la poésie. »

Blockbusters vs low cost ? Voilà donc que sort aujourd’hui, Rue des Cités. Une œuvre auto-produite par Carine May et Hakim Zouhani, deux habitants d’Aubervilliers, impliqués dans leur ville, qui se sont lancés dans l’aventure du long-métrage en réaction au fameux reportage bidonné de France 2 sur un vol de moto. L’occasion était trop belle de voir avec eux quel est le processus à l’oeuvre, et comment ils comptent à leur tour s’attaquer à la citadelle cinéma. En commençant par la fameuse question du financement. « Le budget, même riquiqui, n’était pas une contrainte pour nous, nous explique Hakim Zouhani, le réalisateur. Le vrai souci, ce serait plutôt le fait de ne pas faire partie du sérail, de ne rien connaître à la production, de n’avoir pas de réseau... Comment fait-on un film de cinéma ? On en avait l’envie mais surtout l’énergie. C’est le plus important. » La volonté plutôt que l’argent. « Chaque film possède ses contraintes. La nôtre était financière mais ce n’était pas un frein. Les blockbusters ont aussi leur type de contraintes. C’est une loi canonique du cinéma. » Avec quelles conséquences sur le film ? « En termes de style, on a une manière traditionnelle de faire un film. On ne partait pas en tournage sans avoir écrit un scénario. On découpe, on répète, il y a une équipe sur le plateau. » Zouhani pointe là les différences qu’il

« Les distributeurs qu’on rencontraient ne savaient pas comment défendre le film. On s’est mis à dos une bonne partie de la profession. C’est simple, les projections dans les quartiers, les gens rigolent. Ailleurs, ça les déprime. »

Cramé Jean-Pascal Zadi, 2007

1er long-métrage auto-produit dans le 9-3 par le rappeur JP, ce street film rend hommage à la culture urbaine. Acteurs et rappeurs noirs à gogo (Doudou Masta, Alpha 5.20...), jeux vidéos, graphisme clipesque et montage cadensé pour accompagner les 24h qu’il reste au héros endetté. Un pavé dans la mare.

La langue et la culture des quartiers

Du coup, une fois le produit achevé, comment toucher tous les publics ? « Les distributeurs qu’on rencontrait ne savaient pas comment défendre le film. On s’est mis à dos une bonne partie de la profession. C’est simple, les projections dans les quartiers, les gens rigolent. Ailleurs, ça les déprime. » Que faire alors ? « Le but était surtout de ne pas trahir le regard de ces quartiers car on y habite, on y vit, c’est ce qui nous a nourri. L’image véhiculée par les médias continue à faire beaucoup de mal. Mais ce qui est intéressant c’est de voir que tout le monde a un regard sur les quartiers, même ceux qui n’y ont jamais mis les pieds. » Une façon de ne pas rentrer dans le rang ? « Maintenant qu’on a un pied dans le milieu, on est encore plus traditionnels. Avec le dernier court-métrage que j’ai réalisé avec Carine, on a pu bénéficier d’aides du CNC, de la Ville de Paris et d’un préachat de Canal+. On a aussi produit ensemble un court d’un artiste grenoblois d’origine asiatique. Le piège c’est de s’enfermer dans un propos qui risque de s’essouffler. Mais tant qu’on parle cinéma et politique, tout va bien. »

Abdessamed Sahali

Dernier maquis R. Ameur-Zaimeche, 2008

La vie des nouvelles classes populaires vue à travers les relations sociales conflictuelles d’une petit usine de palettes. Lutte des classes, poids de la religion, radicalisme social, un des films les plus fins de son temps sur les déchirements d’une partie de la population française.

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La journée de la jupe JP Lilienfeld, 2008

Très décrié pour avoir trop copié le style de « Ni putes ni soumises », rude huis-clos paroxystique dans une classe d’école pour dénoncer le sexisme dans les quartiers.


DOSSIER

Paso doble

pour deux amoureux de l’image Ils se sont rencontrés et appréciés grâce à La Cathode, n’ont plus trop l’occasion de se recroiser, et avaient envie de se revoir. Ils sont d’origines et de milieux très différents, portent un regard différent sur leur activité et sur le monde, et pourtant leurs chemins les ont amenés à apprécier ces différences. On les a réunis.

Jean-Claude Boussard : 72 ans. Producteur, réalisateur, formateur (La Cathode)

Vos papiers !

Anglade Amédée : 24 ans. Journaliste, photographe (Africultures)

Parcours JCB : Mon père voulait que je sois médecin. Ma mère était couturière. Mon père ingénieur. Mon père avait une caméra à manivelle, et mon frère était réparateur électronique. J’ai commencé à travailler sur de l’argentique. La pellicule était chère, on ne pouvait en consommer beaucoup. Je suis rentré à l’Idhec [ancêtre de la Fémis, ndlr], on m’a tout de suite demandé de faire de la formation. J’ai formé, à Maisons-Laffitte (studios Ocora), beaucoup de directeurs de la photo africains et malgaches, suite aux indépendances.

AA : Ma mère est paysanne, mon père travaillait dans une entreprise de distribution d’eau, puis ils ont tenu un magasin. Nos parents africains qui n’ont pas fait d’études disent toujours : « tu dois devenir quelqu’un ». En général, c’est médecin, avocat, ingénieur… Je suis arrivé d’Haïti en Guyane à 14 ans, en France en 2004, après cinq ans là-bas. Je voulais faire médecine, être sage-femme ! Puis, en formation en alternance, j’ai été viré par une sorcière. Je suis tombé à la Cathode via le Pij de Stains où j’habite. J’ai commencé par l’écrit d’abord.

Un film JCB : The Grandmaster de Wong Kar Waï ; c’est un film d’esthète. Ou Gondry : l’Ecume des jours, c’est le film que j’aurais aimé faire à 24 ans ! A l’époque, ce livre nous avait tellement plu…

AA : Tarantino, en ce moment. Mais le tout est de trouver l’équilibre entre ses différents modèles.

Qu’attendre de la jeunesse ? JCB : Qu’elle soit plus audacieuse ! Elle peut et doit se prendre en main ! Il suffit de lire un mode d’emploi de caméra pour sen sortir ! De mon temps, il fallait tout comprendre : la lumière, sa chimie, avec l’argentique, pour réussir à faire quelque chose… tu étais regardé comme un manitou quand tu sortais de l’Idhec, parce qu’on savait faire des choses que personne ne savait.

AA : La facilité est là, tout le monde fait de l’image, mais du coup la concurrence est là aussi : il y a un déséquilibre, on doit faire quatre boulots à la fois : son, image, montage, écriture… c’est pour ça que l’originalité ne peut venir que de ce qu’on a vécu, comme on a tous le même matériel… Les anciens doivent nous regarder avec les conditions de notre temps, pas du leur. Je les invite à venir dans notre monde ! C’était pas mieux avant, j’en suis sûr ! Mais on doit nous ouvrir la porte. Il y a une demande énorme.

JCB : Le gros décalage avec avant, c’est le chômage. En dix ans, la plupart des sociétés de prod on disparu. Les progrès ont réduit les emplois, et les vieux sont les mieux payés. Mais les gens veulent trop tenter leur aventure tout seul. Ils restent isolés les uns des autres.

AA : Les vieux ne lâchent pas l’affaire ! A France 3 nationale, les vieux gardent les places pour leurs proches.

Que voudriez-vous faire ? JCB : Créer une bourse de matériel pour lancer des jeunes cinéastes dans des projets multimédia, et les aider à se monter en coopérative de cinéma, qui pourrait créer des petites séries télé, des news, et des formats courts, sur la même base, mais chacun pour un support différent donc : télé, ciné, Internet…

AA : Travailler en Haïti : il y a tout à faire là-bas. Faire quelque chose qui commencerait comme des news, et le terminer comme un documentaire…

L’avenir ? JCB : Internet se met en place de façon anarchique. Ça se cherche. Dailymotion, etc, ça ne rétribue pas, et ça appartient à de grosse firmes qui doublent tout le monde parce qu’elles appartiennent aux élites politiques et sociales. Avec ces grosses machines, tout est truqué, comme les appels d’offre. Je le sais : j’ai été entrepreneur, j’ai pris des risques !

Khamsa K. Dridi, 2008

Les tiraillements de la double culture dans les marges de Marseille pour un gamin turbulent, entre univers Gitan et Maghrébin. Un film rare dans un univers trop méconnu, tourné en décors réels.

AA : On créé de la technologie pour gagner du temps, et on passe son temps à dire qu’on n’a pas le temps ! C’est difficile d’avoir la foi… tu crèves avec ta foi ! On est en stage tout le temps, on travaille sur trois postes…

La 1ère étoile L. Jean-Baptiste, 2008

Une famille antillaise de la banlieue parisienne, emmenée par un père dépassé mais bien intentionné, s’évade vers les cimes enneigées. Place structurante de la mère, confrontation à d’autres univers et milieux sociaux, culturels... Un film à la fois léger et fort, une comédie de mœurs réussie, succès public considérable.

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Aide-toi et le ciel t’aidera F. Dupeyron, 2008

Petit film léger sur une famille saisie par un événement inattendu traité de manière encore plus inattendue dans une cité de banlieue. Hésite entre satire et comédie sociale.


DOSSIER

Mohamed Hamidi

De l’injustice du lieu de naissance Avec son premier film, Mohamed Hamidi explore le conflit identitaire de sa génération sous la forme d’une salutaire et drôlatique thérapie. Prof, militant, journaliste, musicien, directeur artistique, metteur en scène, Mohamed Hamidi est partout. Un parcours iconoclaste que le petit frère d’Ahmed Hamidi (auteur des Guignols pendant douze ans) complète aujourd’hui par la réalisation de Né quelque part. Avec son pote Jamel Debbouze en guest-star de luxe, il raconte les mésaventures d’un jeune beur bien sous tous rapports qui voit sa vie changer en partant au bled régler les problèmes immobiliers de son père. Entretien à quelques jours du Festival de Cannes où le film est présenté en sélection officielle hors compétition. arabe. Mais l’important c’est de ne pas se poser de questions. Tomber amoureux d’une Blanche, ça fait partie de la vie. Chacun fait ce qu’il veut mais je suis tout aussi contre le volontarisme intégrationniste. Le personnage traverse tout de même une expérience qui le ramène à des difficultés qu’il n’imaginait pas. On ne se rend vraiment pas compte que dans d’autres circonstances, une vie prend un autre sens. Le personnage vit bien son côté français car il est bien dans sa vie, c’est presque un bobo, il occulte effectivement une bonne part de ses origines, de l’histoire de son père notamment. D’où l’importance que le personnage se fasse voler ses papiers en Algérie. Sans eux, d’une certaine manière, il est comme les autres, en témoignent ses difficultés au consulat. Cet électrochoc le rend un peu con, il se dit qu’au fond, c’est un petit bourgeois qui se plaint, alors que son père, lui était un vrai bonhomme.

Farid, le héros du film, avec un chibani du village de son père. Comment est venue l’idée du film ? J’ai eu un déclic avec l’âge. Quand j’ai commencé à réfléchir à cette histoire, j’avais encore mes deux parents. Je savais que mon père construisait une maison en Algérie. J’y étais allé, enfant, en 1984 mais je m’y ennuyais, il n’y avait rien, c’était la campagne. Après, ado, je n’avais pas envie d’y retourner. Puis est venue la « décennie noire » de la guerre civile. Puis, un jour, mon père était malade et j’ai ressenti le besoin de me reconnecter avec l’origine de mes parents. Je suis retourné en Algérie et en voyant mes cousins, je me suis dit que j’avais de la chance. Que me serait-il arrivé si mon père était resté là-bas ? C’est l’intention donnée par le titre ? Le titre est venu à la fin de l’écriture du scénario. Au début ça s’appelait Nedroma City. Si tu interroges vingt personnes sur le lieu où ils sont nés, ils n’en prennent pas pleinement conscience. Je sais que mon père a hésité à immigrer entre Paris et la Belgique. J’ai d’ailleurs un oncle qui vit en Belgique. Mon père a emmenagé en banlieue, à Aulnay-Sous-Bois, au 3000. Et un jour, il rencontre un pote au marché qui lui dit, « viens à Bondy, il y a Talbot-Simca qui recrute et en plus, ils filent des apparts’ ». Du coup, je nais là, dans une cité de babas-cool. J’aurais grandi aux 3000, je n’aurais peut-être pas eu les mêmes fréquentations. Bien sûr, il y a la structure familiale mais l’environnement dans lequel tu grandis est très important. Et cela reste très hasardeux, cette histoire d’injustice du lieu de naissance. Il y a donc une grosse part autobiographique dans le film ? Tout le questionnement du film est autobio. Le personnage, c’est un peu

Adieu Gary N. Amaouche, 2008

Un film pudique sur la transmission familiale, et le vide béant laissé par l’effondrement de la classe ouvrière dans un village du sud de la France. Acteurs étonnants (Bacri, Belmadi), histoire douce et triste, musique magnifique, rarement on aura montré le désarroi avec une telle force, une telle humanité.

moi, sauf qu’il est beau gosse ! Les rapports familiaux, les rapports avec les cousins sont très inspirés de la réalité aussi. Mon co-scénariste, un vieux briscard de la profession, voulait absolument aller en Algérie. On a rencontré là-bas beaucoup de gens qui ont nourri les personnages. L’histoire n’est pas réelle mais elle aurait pu m’arriver. J’ai un cousin de mon âge, un peu voyou, qui aurait pu me faire le même coup que dans le film. J’ai aussi un cousin qui est mon homonyme. Donc tout est plausible.

C’est aussi le drame de beaucoup de jeunes, et de moins jeunes, cette difficulté à se situer. Notre génération l’a résolue avec l’âge, on va dire. Les jeunes d’aujourd’hui ont plus de mal. Et la France a du mal à régler ce malaise, elle ne sait pas ouvrir les portes alors qu’elle devrait travailler sur ce qui les éloigne du sentiment d’être français. Nous, on cachait notre arabité, aujourd’hui, on surjoue la religion et la culture. Les deux extrêmes me semblent ne pas être les bonnes solutions.

Propos recueillis par Abdessamed Sahali

Venir de banlieue et réussir professionnellement est souvent représenté comme relevant du miracle ou du mérite républicain. Comment tu te situes sur cette question ? C’est un savant mélange de ça. Jeune, j’étais bon élève. En 1989, je m’oriente vers un DUT et l’un de mes profs me demande pourquoi je ne tente pas Sciences Po. Je ne savais pas ce que c’était et personne dans mon entourage non plus. Plus tard, j’ai créé l’association Alter’Egaux sur ces questions-là justement. Quand je demandais à des élèves ce qu’était une prépa, ils ne savaient pas répondre. On ne peut pas laisser le hasard décider de la réussite des gens. La réussite, c’est une suite d’événements et de rencontres. Et de travail bien sûr. Après c’est vrai aussi qu’il y a beaucoup de gens qui avaient les capacités de travail mais qui n’ont pas fait les bonnes rencontres. Sans réseau, tout est plus difficile. Le personnage du film, parfaitement intégré à la société française mais totalement en décalage avec sa culture d’origine (il ne parle pas arabe, n’est jamais allé en Algérie), paie-t-il le prix de sa réussite ? Je n’irai pas jusque là. Mais ma génération se disait « on est là, on va s’intégrer ». Je regrette aujourd’hui par exemple de ne pas bien parler

Un Prophète Jacques Audiard, 2009

L’ascension « sociale » d’un jeune détenu qui tombe sous la coupe d’un groupe de prisonniers corses. Le réalisateur filme avec hargne la merde qui grouille derrière les barreaux. Il nous propose un passage de relais entre l’ancienne et la nouvelle figure du film de gangster.

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Neuilly sa mère G. Julien-Laferrière, 2009

Sami Benboudaoud, 14 ans, vit tranquillement dans sa cité jusqu’au jour où il obligé d’aller vivre chez sa tante à Neuilly. Gentille comédie qui montre le choc des cultures avec humour. Sur une idée originale du réalisateur Djamel Bensalah.


DOSSIER

Grigny wood

ou l’exception culturelle grignoise Et si la Californie ne se trouvait qu’à quelques stations de RER de Paris ?! Direction l’Essonne où une ville, ou plutôt une cité, a adopté les codes des G’z de L.A. Bienvenue à la Grande-Borne aka Grigny-Wood.

T

oute consonance avec le nom du mythique district de Los Angeles n’est absolument pas fortuite. Croisé au détour de déambulations sur la toile, le blog Grigny-Wood, tenu par un grignois, décrit le lifestyle de sa ville, un vrai état d’esprit. Il est très possible qu’aux abords de la Grande Borne, vous ayez entendu parler de l’Essonne-Gelesse. Dans cette version frenchy de la cité des anges, Compton, LBC, South Central ont fait place aux quartiers de La Grande-Borne, Tuilerie ou encore Grigny 2. Pas de Californie ensoleillée, mais le style reste soigné. Dickies, chemises à carreaux, des codes vestimentaires qui ont traversé l’Atlantique dans des clips des N.W.A [Groupe de Dr Dre, Ice Cube et Eazy-E notamment] et dans les films de John Singleton (Boyz n’the hood) et autres frères Hughes (Menace 2 society), dans lesquels la musique tient un rôle prépondérant. Crachée des ghettoblasters des quartiers de Los Angeles, la G-Funk envahit le monde entier et squatte le 9.1. Oui, tous ces codes, appartiennent à une autre époque, ce début des années 90, âge d’or de la fameuse West-coast.

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Grigny-Wood témoigne d’une réalité, d’autres habitants en donnent également leur vision comme Kizo. Issu de l’ancienne génération, ce dernier est un ex-membre de gang, en France pas à L.A. Parce que l’Hexagone n’a (presque...) rien à « envier » aux Bloods et aux Crips. Pour autant, aujourd’hui Kizo ne fait pas l’apologie de la violence, bien au contraire. Réalisateur de la série Grigny Glen Park (visible sur Youtube), il s’attache à montrer sa ville et ses quartiers sous un autre jour, son vrai jour. Depuis deux ans, cette série vidéo suit la jeunesse de la Grande- Borne. Pas en train de traîner en bas des barres, mais en pleine séance de skateboard ou autre street workout [musculation de rue, ndlr]. Et boom ! Il a suffit d’un nouveau fait divers dans le RER D en avril 2013 pour que les médias jettent la jeunesse de Grigny au bûcher, sous le feu d’autres projecteurs.

Depuis deux ans, cette série vidéo suit la jeunesse de la Grande Borne. Pas en train de traîner en bas des barres, mais en pleine séance de skateboard ou autre street workout Auto-sabotage d’un travail qui redonnait le sourire et une vraie fierté aux grignois ? Kizo nous fait découvrir une autre version « lascars » de la jeunesse de la Grande-Borne. Dans un parc, avec aucun autre décor que ce que l’on devine être une oeuvre contemporaine, quatre jeunes enchaînent les saltos devant une dizaine d’autres assis sur une barrière. Les acrobates se surnomment les MFG : Moustiques Family Gang. Pourquoi des saltos ? Réponse : « Comme on galérait, on s’est mis à faire des saltos. Je savais les faire, j’ai appris aux autres ». Comme ses aînés, la jeunesse de Grigny se démarque, mais d’une façon différente. Par le langage, les expressions : « Bails » (les affaires), « Bougs » (les gars), ces mots sont devenus une vraie marque de fabrique. Made in Grigny et plus largement 91. Des expressions qui se sont exportées dans la France entière avec les textes du rappeur de Corbeil Ol’Kainry. Expressions qui ont contaminé le reste de la région parisienne. Du coup, il n’est pas rare d’entendre des « bougzères » dans la « streetzère » dire « C’est quoi les bails ? ». C’est un peu l’exception culturelle grignoise. Certains antillais feront remarquer que « boug » est un mot créole, qui vient du français « bougre ». N’en déplaise au boug’Toubon, Grigny, à l’instar des banlieues françaises, apporte sa contribution à la langue française !

Charly Célinain http://grigny-wood.skyrock.com

Le conte de la frustration, Akhenaton et D. Darwin, 2010

Un téléfilm musical (réalisé par un clippeur et un rappeur) marseillais, exercice original, relate le basculement dans la tragédie d’un couple rattrapé par le destin de certaines lois de la cité. BO d’Amel Bent, Oxmo Puccino, Faf Larage et Soprano, avec casting de grande classe…

Tout ce qui brille G. Nakache, H. Mimran, 2010

Deux amies qui vivent dans la banlieue proche de Paris veulent «passer le périph’» et vivre dans la capitale. Comédie «rose bonbon» mais acidulée avec Leïla Bekti et Géraldine Nakache, également réalisatrice du film...

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Il reste du jambon ? A. Depetrini, 2010

Une journaliste parisienne et un chirurgien habitant à Nanterre tombent amoureux, ce dernier est «issu de l’immigration». Histoire vécue par le couple Ramzy Bedia (acteur) et Anne Depetrini (réalisatrice). Une comédie sympathique sur le poids des traditions sur les couples mixtes.


DOSSIER

Regarde le cinéma te regarder

© Voltajazz / Brigitte Sombié

© S. Kacioui

Rokhaya Diallo et Ali Arhab sont des enfants de l’image. L’une a travaillé dans la production, elle est maintenant journaliste et chroniqueuse, notamment à la télé pour Egaux mais pas trop ; l’autre est réalisateur et monteur, depuis plus de vingt ans -il a tourné un très grand nombre de clips de rap et des sketches pour des chaînes de télé (Canal +, Comédie…). Ils portent tous deux un regard mi-figue, mi-raisin sur les grandes productions cinématographiques qui ont marqué la manière de filmer les quartiers et les minorités. Deux fans de l’image regardent le cinéma les regarder, en quelque sorte.

Ali Arhab en plein tournage d’un film pour le Mobile film festival

P

lus jeunes, leur perception du cinéma était impactée par leur lieu de vie : « A l’époque de La Haine, j’habitais à Courneuve, confie Rokhaya Diallo. Ce qui se passe dans ce film, ce n’était pas ce que je vivais. C’est un concentré qui, au milieu de représentations inexistantes de ces réalités, a donc un côté caricatural qui est forcément amplifié. Mais on ne voyait pas cela de manière problématique à l’époque. C’est un film important qui fera date. » Ali Arhab, lui, a grandi a Gennevilliers. Et ils ‘est reconnu dans ce film : « On tourne en rond, on est dans la cité, on n’a pas d’argent, il n’ y a pas de loisirs. Alors on prend le métro pour aller à Paname. On se reconnaît dans le langage, les attitudes etc. » Son premier contact avec le cinéma est provoqué par le tournage du Thé au Harem d’Archimède, qui se fait dans son immeuble, au Luth. Le genre de hasard qui vous trace un destin, visiblement : il se lancera dans la réalisation d’une… centaine de courts-métrages, avec et pour les potes et la famille (avec un collectif, « Intermythos » ; un peu à la manière d’un Malik Chibane, finalement). La génération d’aujourd’hui n’a pas connu les films comme La Haine : elle est gavée par les réseaux sociaux, l’entertainment. » Alors que pour lui, un cinéma d’auteur aurait pu naître dans la foulée de La Haine : « Pour faire un film, il y a toute une cuisine. Peut-être que La Haine est arrivé au bon moment. Le rap naissant a accompagné ce film. Il y avait Rapline d’Oliver Cachin le soir, tard. Mais ça avait aussi une connotation un peu racaille ! »

d’identitaire dedans pour qu’ils se reconnaissent quand même, mais pas trop, il ne faudrait pas trop faire comme Le thé au harem d’Archimède ! On leur offre des films aseptisés. C’est un cinéma à la Besson. En France, ça a commencé avec Yamakasi, puis Banlieue 13 etc. Bensalah est aussi dans ça maintenant. Ce sont des films tous publics. Il faut faire rire. » Rokhaya Diallo est plus nuancée sur ce genre de films : « La comédie sur ces sujets, c’est une bonne chose, on surligne le personnage d’Omar Sy qui se départit de ses soucis par l’humour. Mais les Américains par exemple sont étonnés de voir ça en France : c’était leur cinéma il y a trente ans ! »

Un cinéma commercial avec une dose d’identitaire

« Il y a de plus en plus de films pop-corn. »

Selon eux, cependant, le cinéma sur les quartiers prend une nouvelle tournure. Ali Arhab : « Il est maintenant très influencé par les grosses productions américaines, il y a de plus en plus de films pop-corn. Cela a suivi le développement des multiplexes. Les consommateurs de ces salles sont majoritairement des banlieusards, on leur met un peu

Intouchables E. Toledano, O. Nakache, 2011

Un riche aristocrate paraplégique engage un jeune de banlieue comme aide à domicile. Film basé sur une histoire vrai, près de 19 millions d’entrées. Omar Sy, s’est retrouvé catapulté à Hollywood grâce à sa performance.

Un cinéma populaire… et réaliste ?

Pour autant, on ne peut dire qu’il n’y a pas eu de cinéma populaire et réaliste parlant des quartiers. L’esquive, Entre les murs par exemple. Deux exemples contraires selon nos interlocuteurs : « Entre les murs, c’est un concentré de clichés, avec des adolescents qui ont participé à un atelier d’écriture, mais ont reproduit tous les clichés qui leur sont associés. C’est une fausse situation. Le professeur qui passe sa journée à débattre, la Blanche première de la classe, l’Asiatique sérieux, les Noirs et les Arabes au fond de la classe… »

Et demain ?

Quel est alors l’enjeu, aujourd’hui ? Pour Rokhaya Diallo, c’est « de voir Aïssa Maïga dans des films comme L’écume des jours, dans le rôle de n’importe quelle actrice française. Il ne faut plus forcément

Les Kaïra F. Gastambide, 2012

Trois losers de Melun ont des rêves blingbling et porno. Le fond de soupe d’un certain esprit Canal +. Commercialement, ça a marché…

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attendre de voir des personnes qui nous ressemblent dans ces films dédiés aux quartiers. Tout ce qui brille est un excellent exemple d’un film grand public, qui parle d’une banlieue moyenne avec des jeunes filles qui ont envie de faire la fête par tous les moyens. Audiard n’a jamais été en prison, il a fait Un prophète. Quand on vient d’un quartier populaire, on n’a pas toujours envie de parler de son origine sociale ou ethnique. » Pour Ali Arhab, « maintenant, tout le monde connaît les codes de la banlieue, on ne peut plus consommer n’importe quelle image sans a priori, la violence, le chômage, l’ennui, les préjugés, la violence etc. Des personnages plus positifs émergent, avec des films comme l’Esquive ou Tout ce qui brille. Mais il ne faudrait pas cacher les problèmes de fond qui persistent sous des films de distraction. Je reconnais que faire entre les deux est compliqué ! » Entre Djaïdani et Intouchables, en quelque sorte ? Restent que le cinéma de quartier change : des tars apparaissent dans des films qui ne sont estampillés « quartiers ». A en croire Ali Arhab, il y a un côté « tête de gondole » avec les stars à la Sy ou Merad : « Il a fallu des années à Omar Sy pour s’imposer, et sans doute maintenant, il n’est plus vu comme Noir par même par des racistes du fin fond de la France. Et puis, il faut quand même tenir des années avant d’y parvenir, tout le monde n’en a pas les moyens, ou l’énergie ! Après, il y a aussi le cas des femmes, pour qui c’est plus facile : dans Aïcha, par exemple, ça marche, comme dans le monde du travail en général. On les aseptise, on leur met un tailleur et du coup on oublie qu’elles s’appellent Nacera ! » Pas d’accord du côté de la présentatrice d’Egaux mais pas trop : « La plupart des films de ce genre de cinéma sont très masculins ; d’ailleurs, le cinéma lui-même est très sexiste. Il n’y a qu’une seule femme sélectionnée à Cannes ! »

Erwan Ruty

La cité rose J. Abraham, 2013

Mitraillette vit à la Cité Rose, entouré de son grand frère étudiant à la Sorbonne et de son cousin qui gliss sur la mauvaise pente. Le film a été tourné dans la Cité Rose, quartier de Pierrefitte-sur-seine, où a grandi l’acteur principal.


DOSSIER « Il y a du cinéma tout court »

« Il y a un cinéma en banlieue »

Eric Garandeau, directeur du Centre National de la Cinématographie et de l’image animée « Quand un cinéaste fait un film, il veut qu’il soit universel. S’il habite en banlieue, il ne veut pas faire qu’un film de banlieue qui ne sera vu qu’en banlieue. Il veut qu’il soit vu par tous. De la même façon, les femmes se plaignent qu’on dise « un film de femmes ». Ou quand on dit « film parisien », ce n’est pas forcément positif. Je dirai surtout qu’il y a un cinéma en banlieue qui est formidable, très créatif et qu’il mérite d’être aidé et vu par tout le monde ».

François Hassan Guerrar, attaché de presse, Guerrar & Co « Il n’y a pas de cinéma de banlieue, il y a du cinéma tout court et c’est la qualité d’un film qui parle. Les journalistes ne font pas de pseudo-racisme. Quand j’appelle un journaliste, que je lui dis qu’un film est très bien et qu’il vient, c’est qu’il me fait confiance. Après, si le film est mauvais, ce n’est pas forcément parce qu’il vient de banlieue».

« C’est un peu dommage de le cataloguer comme tel »

« Il y a des films qui s’adaptent à la clientèle »

Sébastien Hussenot, producteur, La Luna Productions « S’il y a un cinéma de banlieue, c’est un peu dommage de le cataloguer comme tel. Le cinéma est un mode d’expression que beaucoup de créateurs utilisent pour parler de sujets qui leur sont proches, notamment ceux qui n’ont pas des accès privilégiés aux formations du cinéma. C’est quand même un milieu de réseau très fort et pour quelqu’un qui vient de nulle part, qui a une envie de s’exprimer et d’avoir un vrai regard cinématographique, c’est compliqué, mais pas que pour les gens de banlieue».

Alain Roulleau, directeur du cinéma Studio28 « Quand je programme ma salle, je dois programmer des films en fonction de ma clientèle. Je suis une salle Art et Essai, de proximité, plutôt axée sur la VO, sur les films d’auteurs. Est-ce qu’il y a des films de banlieue ou des films de ville ? Je pense qu’il y a des films qui s’adaptent à la clientèle. Quand on dit « Un film tourné en banlieue, ça va pas plaire aux Parisiens », non ! C’est le thème en lui-même qui fera qu’on ira voir un film ou pas ».

« On ne peut pas répondre par oui ou non »

« Le cinéma est toujours d’un départ particulier »

William Jehanin, distributeur, UFO Distribution « A priori on ne peut pas répondre par oui ou par non directement. Est-ce qu’il y a des cinémas de banlieue, peut-être. Est-ce qu’il y a des cinéastes qui viennent de banlieue ? Oui. Est-ce qu’ils parlent spécifiquement de la banlieue ? Pas forcément. Mon métier tel que je le définis, c’est d’essayer d’apporter aux films quelque chose en plus qui leur permettra d’aller au-delà des cases qui leur seraient naturellement dévolues ».

Marianne Dumoulin, productrice, JBA Production « Je crois que le cinéma quand il est grand, quand il est beau, il est toujours d’un départ particulier et universel. Il n’y a pas un cinéma de banlieue comme il n’y a pas un cinéma régional. Il y a du cinéma. Oui, il y a des sujets qui viennent de la banlieue, oui il y a des écritures différentes mais l’écriture reste différente dans tout type de cinéma. Je suis toujours un peu mal à l’aise quand on veut enfermer les choses. Un film, c’est un bon ou un mauvais film ».

Débat

Y a-t-il un cinéma de banlieue ?

Il y a le western, le polar, la Science-fiction, etc, etc. Y aurait-il un genre « banlieue », avec ses codes, ses auteurs, ses références, ses acteurs, son rythme, son style, sa musique, et même ses clichés ? Pas sûr, à en croire un petit panel de professionnels du milieu que nous avons interrogé, et qui porte presque exclusivement un regard très artistique, ou professionnel sur la question. Un regard tout sauf politique, donc. Comme si les banlieues n’existaient pas ? Propos recueillis par Claire Diao

« Ça commence à bouger »

« Je ne sais pas quelle serait sa définition»

« Le seul pays du cinéma, c’est le cinéma »

« Un rebeu qui fait un film sur les Esquimaux, on lui dit qu’il s’est trompé de sujet. »

Charles Tesson, Délégué Artistique de la Semaine de la Critique « Il y a des films en banlieue, sur la banlieue. Il y a des films qui vont dans le sens de ce que les jeunes veulent voir. On comprend parce qu’ils sont en manque de représentation dans le cinéma français et se sentent un peu exclus, c’est légitime. La génération des réalisateurs beurs autour de Mehdi Charef date des années 1980, les cinéastes africains avec Djinn Carrénard commencent un petit peu avec presque vingt ans de décalage par rapport aux cinéastes d’Afrique du Nord. Mais ça commence à bouger ».

Loïc Magneron, vendeur international, Wide Management «Je dirai non car je ne sais pas quelle serait sa définition. Je dirai qu’il y a un cinéma qui peut plus intéresser la banlieue parce que diffusé dans les multiplexes. Ce que j’appellerai cinéma de banlieue, c’est un cinéma américain, commercial et populaire car il y a souvent un déficit d’intérêt et de lieux pour les cinémas Art-etEssai en banlieue. La jeunesse est plus à même de voir des films grands spectacles avec des acteurs connus, mais il s’agit plutôt d’un phénomène générationnel ».

Aurélie Chesné, programmatrice courts-métrages, France 3 « Je pense que le cinéma n’a pas de frontières de pays, de quartiers, de régions. Le seul pays du cinéma, c’est le cinéma. Il peut y avoir des cinéastes de banlieue qui racontent d’autres sujets et justement, il ne faut pas ghettoïser et stigmatiser en disant qu’il y a un cinéma de banlieue. Il y a des thématiques mais il n’y a pas d’étiquettes et il ne faut surtout pas en poser une car on ne fera qu’appuyer des clichés déjà existants ».

Safia Lebdi, élue EELV à la région Île-de-France, présidente la Commission du film « Le cinéma, c’est une industrie d’élite, c’est pour ça qu’il n’y a pas de cinéma de banlieue. Ou alors c’est un cinéma qui existe parce qu’il est exclu du cinéma traditionnel, des écoles traditionnelles, et quand il s’en sort, c’est pour rentrer dans un moule. Quand un rebeu fait un film sur les Esquimaux, on lui dit qu’il s’est trompé de sujet. Alors qu’on pourrait en développer un, compte tenu de la diversité des métiers : son, image, écriture, production post-production, comédie etc... D’autant qu’il y a des idées super qui naissent dans les banlieues, ancrées dans la réalité... Mais peu importe : elles vont niquer tout le monde ! »

« Un cinéma, des banlieues (et inversement) »

Jean-Michel Frodon, critique de cinéma « Si la banlieue comme phénomène urbain moderne date des grands programmes immobiliers qui, après la phase de la reconstruction de l’après-guerre, ont transformé les villes et les modes de vie au tournant des années 50-60, le cinéma en a témoigné : L’amour existe de Pialat, Le Joli Mai de Marker, 2 ou 3 choses que je sais d’elle de Godard, Les Nuits de la pleine lune et L’Ami de mon amie de Rohmer. Si la banlieue est le nom de pub de phénomènes de violences liées à l’exclusion sociale, le cinéma en a témoigné, sous une forme racoleuse et manipulatrice avec La Haine de Kassovitz, sous une forme interrogative et complexe avec Etats des lieux de Richet et Dell’Isola. Si la banlieue est le territoire de visibilité des tensions et complexités qui construisent le pays contemporain dans son ensemble, le cinéma en a témoigné, grâce à Douce France de Chibane, L’Esquive de Kechiche, Wesh Wesh d’Ameur Zaïmeche. Et si la banlieue est un environnement social paupérisé et marginalisé mais fécond, le cinéma en a témoigné, exemplairement avec Donoma de Carrénard. Bien sûr, il y a aussi Neuilly (sa mère) et Versailles (Rive gauche) ».

Propos recueillis par E.R

« De bonnes histoires qu’il faut rendre universelles »

Laurence Lascary, fondatrice de la société de production DACP « Des personnes venant de banlieue doivent investir le cinéma. Faire un « cinéma de banlieue » serait réducteur, donnerait une image négative. Ça ne doit pas être un genre en soi, mais il y a nécessité de raconter des histoires particulières, qui en sont issues, mais pas seulement. Les auteurs de banlieue ont envie de parler de tout : Djaïdani a fait un film sur la grossesse. Neuilly sa mère, Intouchables, tout ça va dans le bon sens. Ce sont de bonnes histoires, qui font un million d’entrées. Il faut les banaliser. Les rendre universelles. On regarde encore trop souvent ces rôles à travers le prisme de la cité, de l’origine. »

Propos recueillis par E.R

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tribune

Médias des quartiers :

« Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés » En 2005, la France s’embrasait. 300 cités en périphérie du récit national et en marge de l’hexagone s’insurgeaient contre la dégradation de leur quotidien. Une presse nouvelle émergeait alors de ces zones. Elle est à l’agonie aujourd’hui. Pourtant, elle donne à voir une France nouvelle. La gauche va-t-elle l’enterrer ? Achever les embryons qui incarnent le monde de demain, c’est ça, le changement ?

T

oute la presse s’est émue des émeutes de 2005. Elle s’est esbaudie de l’émergence du Bondy blog. Nouveaux médias, nouveaux journalistes, nouveaux points de vue… Pendant ce temps, la presse traditionnelle continuait de boire la tasse. En particulier pour une raison : le lectorat populaire ne s’y intéressait plus. Et pourquoi s’y serait-il intéressé, puisque cette presse elle-même ne se préoccupait pas à ce lectorat ? Pendant que les élites et leurs médias s’enfermaient dans l’entre-soi, elles fustigeaient l’enfermement des quartiers.

La cruelle réalité est là : « Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés », disait Jean de La Fontaine dans Les animaux malades de la peste. Les vrais « pigeons » ne se cachent pas dans les nuages du numérique, mais dans les coursives des cités en rénovation. En guise de peste, on leur a inoculé un nouveau virus : ils sont devenus les pestiférés du récit national, les galeux des plateaux télé, les parias des partis, les misérables de la culture, les indignes de l’emploi ! Mais qui veut la peau des banlieues ? En haut lieu, on psalmodie tous les jours le retour du « droit commun » pour les quartiers. Pour ceux qui sont en charge de ce droit commun en direction des médias, c’est l’exact contraire qui se passe : on l’éradique.

Quelle reconnaissance des quartiers par le ministère de la culture ? Au même moment, une première génération de médias issus des quartiers, souvent en format magazine, passait de vie à trépas : Fumigène, Dawa, 5style, Orbeat, Vu d’ici… Pote à Pote souffrait aussi, et Respect mag se faisait racheter. Vous ne les connaissiez pas ? Pourtant, ils existaient, et ils ont transmis la parole des quartiers pendant des années, sans que personne ne les considère. Et, malgré bien des difficultés endurées par les quartiers sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, le bout du tunnel apparaissait : en fin de mandature, le ministère de la culture de Frédéric Mitterrand se penchait sur ces nouveaux acteurs de la scène médiatique, et leur permettait d’accéder aux aides à la presse numérique (Spel), et trouvait même de nouveaux interlocuteurs auprès de certaines Drac. En gros, pour une fois, une fraction des aides aux médias puissants étaient allouées aux médias émergeant des marges. Plusieurs jeunes médias de quartier avaient bénéficié de cette reconnaissance, d’autant qu’ils commençaient à tenter l’aventure du web, plus proportionnée à leurs moyens et à leurs lecteurs, représentatifs de cette nouvelle génération de digital natives. Med’in Marseille, Kaïna TV, No ghetto, Afriscope, Presse & Cité et tant d’autres pouvaient ainsi offrire de nouvelles perspectives à la « France moisie ».

Autisme des politiques publiques ? A qui la faute ? A la crise ? A une administration décidant de sacrifier certains de ses administrés les plus mal en point sous prétexte de RGPP ou de transfert d’une partie des budgets initialement dévolus aux associations (soutien scolaire, insertion…), vers des acteurs publics ? La faute à l’autisme des nouveaux cabinets ministériels, prisonniers des lobbies traditionnels de la gauche et de leurs mandarinats culturels ? A leur incapacité récurrente à s’intéresser à des quartiers populaires qui comptent pourtant près de dix millions de français ? Mais qui veut donc la peau des banlieues ? Qui peut aujourd’hui, dans la situation sociale que connaît le pays, se passer de certains de leurs porte-voix, qui sont aussi déshérités que jeunes et créatifs ? Aujourd’hui on parle de « gel des budgets » dans les institutions. Passer de près de 700 000 euros à 0 euros n’est pas un gel, c’est une amputation pure et simple ! Et le tout sans la moindre discussion, car que pèsent les banlieues ? De quels lobbies disposent-elles ? De quelle possibilité d’accès à la parole publique, médiatique ? On peut clairement les amputer sans débat, sans même l’once d’un arbitrage politique. Que ne peut-on même amputer la France de ses banlieues !

Pas d’émeutes, pas de sous Avec l’arrivée de la gauche, les médias des quartiers espéraient sortir définitivement la tête de l’eau. Et patatra ! Regards2banlieue (80 salariés passés par ses chantiers d’insertion depuis 2007) se voit retirer une bonne partie des aides (passant de 80 000 à 17 000 euros) : pourquoi existe Regards2banlieue ? Parce que France3, avec les émeutes de 2005, souhaitait filmer les quartiers vus par ceux qui y habitaient. La chaîne a proposé à ces spécialistes de l’insertion de former des habitants des quartiers au métier de journaliste. Autres exemples ? L’Acsé, localement fondue dans l’obscure et byzantine DRJSCS, arrête aussi de soutenir Kaïna TV (au cœur d’un réseau d’une centaine d’associations de quartiers montpelliéraines). Med’in Marseille (1995 articles depuis l’année 2007) boit la tasse épisodiquement, et menace de fermer ses portes. Radio HDR (18 ans d’activité, 30 000 auditeurs dans l’agglo rouennaise) se voit gratifier d’un plan d’apurement de dettes, et licencie ses responsables. Yahoo met fin à son partenariat avec le Bondy blog. L’avenir de Respect mag ? En suspend. L’EPRA ? Avec un budget amputé de 300 000 euros, ce groupement d’intérêt public portant 171 radios doit stopper son activité (en attendant qu’un médiateur trouve une solution). Conclusion ? On est au milieu d’un champ de ruines. Qui veut la peau des médias de banlieue ? La plupart de ces médias sont nés suite aux émeutes de 2005. Il n’y a plus d’émeutes ? Il n’y a donc plus de sous pour eux. En peu de chiffres, mais beaucoup de symboles : le ministère de la Culture de Mitterrand (droite) ? 280 000 euros d’aides à ce secteur en 2010 et 2011. Le ministère de la Culture de Filippetti (gauche) ? 0 euros. Oui : 0 euros. Les banlieues ? En haut lieu, on doit estimer qu’elles ne vivent que d’amour et de thé à la menthe.

Des médias qui relient Et pourtant ces médias insèrent des jeunes en difficulté. Forment de futurs journalistes, issus des quartiers et des minorités. Ils sont un tremplin vers d’autres médias, plus puissants. Ils donnent la parole à un peuple qui ne l’a guère. Ces médias créent du lien dans les quartiers. Sensibilisent à la vie locale, à la citoyenneté. Portent des idées et des cultures nouvelles, comme les cultures urbaines. Ont médiatisé bien des stars issues de cet environnement, bien avant qu’elles soient passées dans les radars de la presse traditionnelle. Inventent un style d’écriture, une manière de raconter, de filmer. Ils tissent un nouveau récit de la société française. Tentent de nouveaux modèles économiques, et de nouvelles manières de chercher un public qui s’esquive. En un mot, parce qu’ils ont faim, ces médias créent, innovent ; ils ont l’énergie de leur jeunesse et de leur rage. Pour cela, ils sont aussi l’une des solutions à la crise des médias.

© R2rien

Ces médias, baromètres sociaux des quartiers, indiquent que la température du volcan français s’approche de la fusion. Lors des prochaines émeutes, il ne faudra pas compter sur eux, qui sont parmi les derniers médiateurs des cités qui les ont vu naître, pour tenter de « recréer du lien » et de « renouer le dialogue » avec les institutions honnies, les policiers caillassés, les journalistes tabassés, et on ne sait trop qui encore. On ne pourra plus venir les chercher, ces damnés de la presse, puisqu’ils seront bientôt six pieds sous terre.

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sélection médias des quartiers Partenaire Presse & Cité

« On dit qu’à La Paillade... »

Par :

Kaïna TV, au cœur du quartier, lutte sans cesse pour rompre les préjugés et les clichés qui subsistent dans ce quartier, à travers des émissions, en donnant la parole aux habitants. Dans la ligne de ses projets, l’association a réalisé un web documentaire. L’intention est simple : présenter La Paillade à travers des personnes qui y vivent, qui la côtoient pour donner leur propre vision du quartier. Thérese Caubel (retraitée, habitante à La Paillade) : « On est très bien à La Paillade. Il faut y habiter pour savoir comment on vit à La Paillade. » Nourdine Bara (journaliste, habitant de La Paillade) : « La presse écrite est très lue dans le quartier (…) Le journal tourne, les gens s’intéressent et veulent savoir quel traitement médiatique on leur réserve. » Anne-Yvonne Le Dajn (élue politique, députée) : « A La Paillade il y a des gens comme tout le monde (…) ça veut dire que chacun existe et que chacun compte (…) Il faut avoir de la solidarité et avoir ce qu’on appelle de l’urbanité. D’une certaine manière, l’urbanité c’est la gestion par la politesse et le respect des relations humaines qui peuvent être conflictuelles. » Jérome Gountchev (artisan pâtissier, boulanger à La Paillade) : « C’est un quartier ouvert (…) après, c’est sûr que si on a des idées arrêtées il faut pas venir ici (…) On est dans un petit village ici (…) Si La Paillade était un gâteau, ça serait un millefeuille. » Julien Bouffier (metteur en scène au théâtre Jean Vilar) « Pour moi il y a un enjeu de société à faire du théâtre ici (…) Le théâtre c’est quelque chose qui peut nous rapprocher (…) parce que des fois on l’oublie qu’on vit tous ensemble dans la même société. »

Lire la suite sur : http://onditqualapaillade.kaina-tv.org/

Partenaire Presse & Cité

« La créativité face à la crise »

Par :

La Cathode et Regards2banlieue.tv portent un projet européen Grundtvig qui implique des associations de 5 pays (Belgique, Italie, Espagne, Hollande, France), toutes diffusant leurs vidéos sur leur WebTV. L’intérêt de cet échange est de former à l’outil vidéo de jeunes adultes qui habitent les quartiers, afin qu’ils puissent réaliser des films et apporter leur propre regard sur la réalité des banlieues.

Oukrih El Houcin :

Serge Glissant (réalisateur et membre fondateur du 6B) :

« Pour moi la crise, oui elle existe mais au moins je la vois pas. Je suis un débrouillard et je fais appel à des sociétés en leur demandant si elles ont des choses à jeter ou à vendre à un prix très bas pour que je puisse les revendre dans des brocantes ou sur des sites Internet (…) Le fait d’avoir côtoyé un bon nombre de gens, voyagé dans de nombreux pays c’est ce qui m’a permis d’être créatif. Aujourd’hui, j’accompagne des jeunes et toutes les tranches d’âge sur Saint-Denis, à la « Piscine de la Baleine » (…) Le service c’est (…) un accompagnement de tout ce qui est administratif, sportif, voyage (…) La France c’est là où tout se vend, ça veut dire même la petite babiole. En France les gens achètent tout et n’importe quoi. Si on réfléchit, on peut s’en sortir. J’ai pas mal d’amis qui sont partis à l’étranger, qui ont crée leur société. Pour moi ça a été un exemple qui m’a permis de me battre aujourd’hui, d’avoir la rage de réussir. »

« Le 6B est né il y a 3 ans, en 2010. On était un petit groupe d’artistes (…) et on a proposé aux propriétaires (Alstom) de leur payer un loyer (…) Donc au début c’était surtout pour des raisons économiques qu’on s’est ressemblé (…) Au départ on devait être une vingtaine, une trentaine, et maintenant on est 200. Le 6B a commencé à rayonner parce qu’on a fait depuis le début 3 festivals : c’est en fait un des plus gros festivals de la région parisienne, qui dure 3 mois, nonstop. On est aussi une vingtaine de salariés qui gèrent, car c’est un gros bateau : 200 personnes, 6000 m2. » Lire la suite sur : http://tinyurl.com/o242vfz

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équipe Farid Mebarki / Melun Originaire de Petit-Quevilly dans la banlieue rouennaise, participe à la création de Respect magazine, co-fondateur de Ressources Urbaines, président de Presse & Cité… un multirécidiviste. Spécialiste de la rubrique financement et trésorerie, s’interroge sur l’économie de la presse et s’échine à faire émerger dans un contexte de crise, un modèle de média en prise avec l’économie sociale et solidaire et l’actualité des banlieues. Tout reste à faire.

Erwan Ruty / Paris Directeur de Ressources Urbaines, l’agence de presse des quartiers ; fondateur et rédacteur en chef de Presse & Cité. Ancien directeur du service communication de la mairie de L’Île-SaintDenis ; ancien confodateur et secrétaire général de Respect magazine ; ancien rédacteur de Pote à Pote, le journal des quartiers ; ancien administrateur de l’association Survie ; ancien responsable du groupe Banlieues des Verts.

Méva Raharissaina / Trappes

Jil Servant / Kourou

Arrivée en France à l’âge de cinq ans, un jour de grande froidure du côté de Chartres. Elle posera plus tard ses valises dans le 78 et y effectuera des études littéraires à Trappes. Elle poursuit à la Fac de Nanterre des études de Sociologie de la Culture qu’elle clôturera par un diplôme en management de projet. Après des missions pour Malakoff Médéric et Eurodoc Systems, elle travaille pour des grandes agences de marketing (CPI Global, Groupe New York, Intervalles), elle trouvera son petit bonheur au sein de Presse & Cité en tant que chargée de développement

Parisien de naissance, Jil Servant a rejoint Lille pour finir diplômé de l’EDHEC, puis s’est frotté à la Martinique pour faire ses débuts dans le management musical et théâtral. Après un DESS Image et Société à Evry, il alterne entre réalisations de documentaires et productions de fictions à Paris, en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane, en Chine, à la Réunion et à Mayotte, au sein de la société Palaviré Productions. En outre, il produit des films institutionnels notamment pour Ressources Urbaines et s’implique dans l’administration de Presse et Cité à laquelle il appartient toujours, même si en 2012, il choisit de vivre en Guyane, renforçant

Carmen Firan / Paris

l’équipe de Tic-Tac Production.

Moïse Gomis / Hauts-de-Rouen 40 ans, co-fondateur et directeur de radio Hauts de Rouen (HDR) depuis 1995, ancien journaliste à Radio France (France Culture, France Inter, Radio-France Bleue Haute-Normandie). A travaillé pour radio Okapi (radio de l’ONU en République Démocratique du Congo). Rédacteur d’une étude en tant que consultant en communication pour le Groupe de Recherche sur le Développement Rural, intervenant en Afrique). Formateur en technique radio pour plusieurs radios de l’Afrique de l’Ouest.

Charly Célinain / Clichy (92) Après des études en Information et Communication, j’ai faite mienne l’obsession de Tony Montana “ The world is yours ” ! Le monde appartenant aux gens qui se lèvent tôt, j’ai commencé en 2005 en écrivant des chroniques (cinéma, livres, cultures urbaines...) pour l’émission matinale de la radio Générations 88.2 FM puis, de fils en aiguille, je me suis retrouvé derrière le micro. Dans le même temps, je réalisais des interviews filmés pour le site de la radio, j’écrivais des chroniques musique pour le site Orange.fr. J’ai été présentateur de live reports du festival Paris Hip Hop et rédacteur pour le site Canal Street.

Origine : transnationale Bio : Etudes en sciences sociales x 6 ans + immigrée x 8 ans + engagée dans l’associatif (Pro Democratia, Habitat-Cité, PlaNet Finance France... x 10 ans + théâtre x 3 ans Kiffe dans la vie : les beignets, P&C, sauver les pelicans (dans cet ordre)

Charles Eloidin / Paris Graphiste polyvalent ayant travaillé pour de nombreuses revues. De Pote à Pote en passant par Respect Mag, Tracklist, Get Busy et The Source France, il poursuit son chemin en bon passionné d’arts graphiques, d’images numériques et de street art. Homme multicasquette et touche à tout, il travaille pour des maisons d’éditions, chaînes TV, associations et autres labels pour lesquels il réalise des sites web, vidéos ou des créations destinées à l’impression.

Claire DIAO / Paris Globe-trotteuse cinéphile partagée entre deux cultures, deux pays, deux couleurs, j’aime valoriser les nouveaux talents du cinéma. Ma spécialité ? L’Afrique et les banlieues, deux univers qui ne bénéficient pas d’une bonne visibilité. Mon objectif ? Intégrer à terme des médias traditionnels pour faire sortir ces talents de la marginalité.

Abdéssamed SAHALI (Abdé) / Pantin Né à Paname au Xxe Siècle, fils d’Arabes, père de beaucoup de théories. Journaliste, formateur de journalistes et JRI web. Aime bien marcher et le métro et le vélo. Souhaite ardemment la destruction du périphérique parce que la voiture ça pue et ça fait du bruit.

Nadia SWEENY/ Paris Journaliste de formation, ce métier est pour moi une vocation. Après plus d’un an passé dans les territoires palestiniens en tant que correspondante en zone de conflit, je suis rentrée en France et me suis intéressée a la problématique des quartiers populaires. J’ai occupe le poste de directrice de la communication et rédactrice en chef du journal de L’île-Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis. J’ai aussi collabore en tant que pigiste avec le Bondy blog et encore aujourd’hui avec le Courrier de l’Atlas, la ville de Choisy-le-Roi ainsi que Presse & cite. Je tiens un blog, Kroniqueuse de vies, axé sur le quotidien des femmes.

ZEP : Zone d’expression populaire • Thraces : expérience visuelle et sonore compagnie passeurs de mémoire “le contraire de l’amour” Fanfare Monty Pistons • Compagnie Manifeste rien “La Domination Masculine” • Scène Jeunes Talents hip-hop ( Esprits d’Art, Ryaam, Peppairr + guests ) • Scène ouverte slam et poésie Groove catchers + beatbox Repas partagé organisé par Disco Soupe ( mise en musique par LES Voleurs de Poulpes ) De nombreuses activités associatives projections-débats, cabine d’expression, expos, ateliers graff, slaM photo, jeux. en compagnie des associations du quartier Feu Vert, Canal Marches, Tribudom, Slam Prod, Autremonde, Trajectoires, Catharsis, Relais Ménilmontant, Strataj’m,.. et des IRRUEPTIONS artistiques et citoyennes rdv belvédère du parc de belleville, rue piat, paris 20, metro pyrenees. Infos www.irrueption-belleville.fr

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portrait

Pamela Diop “ Bref, je crois que je suis… ” Paméla Diop pourrait bien être une figure qui monte, qui monte, même dans un monde où le plafond de verre revêt des formes toujours plus sophistiquées. La jeune femme et son mari ont créé en 2012 un énorme buzz sur Internet avec une parodie fendarde de « Bref », la pastille qui cartonnait naguère sur Canal+. Intitulé « Bref, je crois que je suis raciste », le film, réalisé avec zéro moyens mais par la grâce de l’incroyable fraîcheur d’une bande d’amis, comptabilise plus de 1 570 000 vues aujourd’hui. Et témoigne de la vision totalement décomplexée du business ou des questions identitaires… bref, elle exprimait la manière d’être de la jeunesse multiculturelle française qui monte, qui monte, on vous le dit.

Bref, enfin un peu d’auto-dérision

31 ans, 2 sociétés, 2 enfants

« Je suis née à Cannes, j’ai grandi à Nice, vécu à Bordeaux, et puis à Dakar. Jusqu’en 2008. Cette mobilité m’a donné une ouverture sur les autres ». Un état d’esprit qu’elle s’est attachée à restituer dans la production phare qui lui a mis le pied à l’étrier. La jeune productrice et son époux, Ibrahim Koudié, ancien basketteur converti à la vidéo à l’occasion de leur séjour commun au Sénégal, et qui signe la réalisation, ont réuni un casting hétéroclite pour réaliser un petit bijou auto-parodique : l’acteur haïtien Jimmy Jean-Louis (de la série à succès Heroes), la chroniqueuse radio Enora Malagré, le très jeune humoriste Stéphane Bak, Abdel Alaoui, cuisinier et chroniqueur gastronomique sur Canal +, ou encore Fred Royer, journaliste et présentateur des Gérard du cinéma… Bref la fine fleur d’une culture vidéo simple et funky. A partir d’un texte jubilatoire écrit à six mains, en une nuit, sur un coin de table dans leur appartement de La Garenne-Colombes (92), et laissant une large place aux qualités d’improvisation de leurs acteurs. Un projet qui est l’acte fondateur de leur toute nouvelle société de production « + l’infini ».

Mais la jeune femme n’en est pas à son coup d’essai. Elle est déjà gérante d’une société d’export-import basée au Sénégal. « Autour de l’artisanat », glisse-t-elle : « Ma mère travaillait dans le marketing. Elle achetait des produits d’artisanat locaux. Pendant six mois, je suis allée voir les artisans, dans le cuir et tout ce qu’il y avait autour. Tannerie, bois, peinture sur sable… Le fait d’être français, les gens se disent qu’on peut te faire confiance, que tu as des compétences, mais aussi que tu as de l’argent, et donc qu’on peut te faire payer plus cher. » Elle démarre avec 150 euros, ne gagne rien pendant quelques mois. « On peut s’inventer des métiers, là-bas, personne ne vérifiera. Il n’y a pas le côté institutionnel. Tout est une question de réseau. Ce n’est pas très différent d’ici, à ce niveau. Les grosses entreprises qui réussissent sont aussi liées à l’Etat, elles obtiennent des marchés de manière plus ou moins magique, mais là-bas, ça se voit plus ! » Petit à petit l’oiseau français fait son nid au pays des flamants, et devient donc grossiste… en exportant l’artisanat sénégalais vers la France, et même l’Inde.

Le Sénégal, incubateur d’entreprises ?

De mère française et de père sénégalais, Paméla finit par s’implanter à Dakar pendant 7 ans, alors qu’elle ne comptait y rester que quelques semaines. Elle a alors 21 ans. Tout a commencé un été : « J’avais deux mois de congés payés. J’ai décidé de partir loin. J’ai hésité entre l’Australie et le Sénégal. Puis j’ai eu envie de découvrir le pays de mon père, je ne connaissais pas l’Afrique ». Les premiers temps, elle se la coule douce. « C’était le paradis. Il faisait chaud. On mangeait le poisson tout juste pêché. C’était une sorte de Friends à la plage. J’avais une vision ancienne de l’Afrique, une Afrique pauvre, malade. Alors que j’y ai rencontré beaucoup plus de riches, même jeunes, qui achètent leur Mercedès à trente mille euros comptant ! J’ai pris une claque en arrivant là-bas. Je suis arrivée dans un pays où tout est faisable, où les gens sont débrouillards. Tu veux faire un café ? Tu peux ! Il n’y a pas de pétrole ou de cacao, c’est donc un pays d’entrepreneurs, une espèce de mentalité à l’américaine, qui aime beaucoup la nouveauté. Ce sont des gens qui voyagent beaucoup, qui vont à Dubaï, il y a des réseaux internationaux incroyables. Il y a beaucoup d’émulation. Les gens ne te parlent que de business. Ceux qui travaillaient avec moi avaient aussi une activité parallèle, tisser des tresses, enfiler des perles... Il y a parfois un faible rendement, mais ils sont très courageux. Tout va vite. Même s’il y a aussi d’énormes disparités, c’est vrai. Et pour se développer, c’est compliqué : les gens achètent à crédit, il faut vendre au détail, c’est un commerce façon Tupperware. » Reste que Paméla et son mari on bien rencontré un Sénégal incubateur de projets susceptibles de s’implanter ensuite en France… bien loin donc des clichés misérabilistes de l’Afrique vue de la télé française !

Ceux qui font la télé et ceux qui la regardent

A l’écouter, rien dans son adolescence ne permettait pourtant de déceler un potentiel d’entrepreneuse : « J’étais assez absente, je faisais souvent l’école buissonnière ! » Elle est donc aiguillée vers un BEP comptabilité ; une orientation qui la pique au vif et lui donne le déclic attendu par ses professeurs. Bac STT gestion, puis BTS Compta, travail de nuit dans un internat… Une structure solide. Aujourd’hui encore, Paméla vit de son entreprise d’artisanat sénégalais/indien et son mari dans le truquage vidéo. « C’est une force, cela nous permet de ne pas être dans l’urgence vis-à-vis de notre boîte de production et de travailler sur des projets qui nous plaisent vraiment, qui nous ressemblent ». Reste une ambition : « Faire que la télé appartienne à tous. Sur les plateaux, ils sont dix, toujours les mêmes, ils parlent du Smic sans jamais inviter de Smicards ! Aujourd’hui il y a une classe qui fait la télévision et une qui la regarde ! »

© Ibrahim Koudié

Mariée, mère de deux enfants, elle cumule ses différentes casquettes avec aisance. Elle s’occupait notamment des relations publiques de la journaliste-chroniqueuse Rokhaya Diallo et d’Awa Ly, une chanteuse française. Une Black Fashion Week, est en train de se monter de même qu’un festival du film Noir à Paris le « Paris Black Film Festival », « africain, européen, américain… », avec une vision large de ce qu’est « être Noir », donc. « Nous avons envie de montrer une image plus réaliste des Noirs de France, c’est pour ça que nous avions à cœur de réaliser notre propre clip de la chanson « Niggas in Paris » [Kanye West et Jay-Z, à la base, ndlr] parce que… c’est nous ! Il y a Django mais aussi bien d’autres ». Il y a bien une « musique Noire, avec aussi bien Ella Fitzerald que Amy Winehouse, pourquoi est-ce qu’il n’y aurait pas un cinéma Noir ? Mais on ne sera pas dans l’underground. Il faudra que ce soit glamour. Et il y a un marché ! Il faut juste l’aider à se structurer. » A ceux à qui ça ne plaît pas, Pamela Diop dit juste : « passez votre chemin nous y arriverons sans vous ! »

Erwan Ruty avec la contribution de Nadia Hathroubi-Safsaf 32


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