Migration : Paradoxes et dualités (J.Larere, 2015)

Migration Paradoxes et Dualités cam p s . u rg e n c e . h o s p i t a l i t é . f ront i è re s Joséphine Larere

Joséphine Larere

Membres du jury Brent Patterson Directeur de diplôme de Septembre 2015 à Février 2016

Sébastien Chabbert Directeur de diplôme à partir de Février 2016

Alexandre Pachiaudi Enseignant de l’ESA

Nicolas Hannequin Professeur extérieur

Léopold Lambert Architecte DESA

Meriem Chabani Personnalité extérieure

Côme Debray Personnalité extérieure

Mémoire - Partie I École Spéciale d’Architecture

Introduction

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Infrastructure 19 Te m p o r a l i t é s 73 Autonomie 99 Habitat 111 Droit à la Ville 123 Conclusion 131 Bibliographie 137

Introduction 7

Migration, accueil, hospitalité, frontières, violence, urgence, survie... Si la question de la migration fait partie d’un assemblage pluridisciplinaire et complexe d’acteurs, suscitant depuis toujours de nombreuses réformes et débats politiques, sociaux, économiques (etc), ce mémoire est un questionnement sur l’espace migratoire, c’est-à-dire les territoires, les environnements urbains, spatialités, et architectures qu’engendrent des déplacements massifs de population. Le choix du sujet s’est concrétisé après une succession d’interrogations sur des modèles ou environnements urbains qui émergent parallèlement au statut des villes ou urbanismes dits occidentaux, formels, reconnus, permanents, légaux, acceptés.

Depuis toujours, les crises humanitaires, conflits économiques, politiques, guerres et catastrophes naturelles s’enchaînent, provoquant d’énormes vagues de populations déplacées cherchant à migrer vers des situations plus stables. Ces flux migratoires sont à l’origine d’environnements de survie et d’urgence qui ont modelé avec le temps différents types d’encampement et urbanismes subalternes, formant le cadre de vie de millions de personnes dans le monde.

Le parcours migratoire est saccadé par une succession de temps d’arrêt, d’attente et de transit dans différentes ‘typologies’ de camps qui, selon Michel Agier, peuvent être catégorisés en camps de réfugiés, camps de déplacés internes, camps d’étrangers (ou centres de rétention administrative) et campements auto-établis.1 Ces derniers, qui peuvent prendre la forme de bidonvilles, favelas, jungles ou ghettos, sont des campements par défaut résultant d’une faible, voire d’une absence d’acteurs extérieurs leur venant en aide. Considérés comme clandestins, les campements sont directement montés et improvisés par les habitants euxmêmes, pour des questions de survie. Mais ces campements auto-construits et minoritaires dans les pays occidentaux font en revanche partie, dans les pays en voie de développement, du processus même de l’urbanisation devenant de véritables villes d’un point de vue « économique, démographique et territorial.»2 Ces milieux informels, qui, selon les Nations Unis, constituent un tiers du monde urbain3 sont la résultante d’une absence d’attention et intentions politiques à leurs égards, les poussant à se développer dans l’ombre de la société. Pour Fran Tonkiss, «les techniques d’informalité dans les villes des pauvres sont une réponse à l’absence de l’Etat, tandis que dans la ville des riches, l’informalité est plus souvent un défi à la réglementation excessive de l’espace. Dans les villes sur-planifiées, programmées, où les démarcations entre les zones privées et publiques sont claires, la propriété et l’accès sécurisés (…), la marge de manœuvre spatiale est fortement limitée.»4

1 Michel Agier, Un monde de camps, (La découverte, 2014), p.14 2 Ma traduction de Marc Angélil & Rainer Hehl, Informalize ! Essays on the Political Economy of Urban Form Vol.1, (Ruby Press, 2012) p.56 3 ibid. p.102 4 ibid. p.66

9

Campements informels de migrants aux zones frontalières 5 000 000 1 000 000

Centres de rétention administrative pour étrangers >50 places Camps de réfugiés au statut formel (HCR, UNWRA, gougernements locaux)

100 000 Nombre de déplacés interne (fin 2012)

Sources : Australian Department of Immigration and Citizenship, The Border Consortium, Bosasa Group, Centre Libanais des Droits Humains, Codhes, Comision Nacional de los Derechos Humanos de Mexico, FIDH, Forces Migrations O International, Taiwan Association for Human Rights, TRAC immigration, UN Country Team Turkey, UNICEF, UNHCR, US Department of State, HCR

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LES CAMPS DANS LE MONDE

Online, Forcesd Migrations Review, Frontline, Global Detention Project, Hazara People International Project, IDMC, IRIN, Jesuite Refugee Service, JSFM, Mekong Migration Network, Migreurop, Qandil, Refugees

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Camps de réfugiés Plus 450 camps dansfrontalières le monde / 4 millions de personnes dans les camps de réfugiés Campements informels de migrants aux zones

1

Azraq, Jordanie (Crédit J Kohler)

Centres de rétention administrative pour étrangers >50 places Camps de réfugiés au statut formel (HCR, UNWRA, gougernements locaux) Camps de déplacés internes Dans plus de 50 pays du monde entier, quelque 24 millions de personnes sont déracinées et déplacées dans leur propre pays suite à un conflit ou à des violations des droits de l'homme.2 (2014) Nombre de déplacés interne (fin 2012) 6 millions d’entre eux sont dans des camps de déplacés internes.3

IranThe (Crédit of ImmigrationGarmawa, and Citizenship, BorderUNHCR) Consortium, Bosasa Group, Centre Libanais des Droits Humains, Codhes, Comision Nacional de los Derechos Humanos de Mexico, FIDH, Forces Migrations O 1 Michel Agier, Un Monde de Camps, (La découverte, 2014), p.11 for Human Rights, TRAC immigration, UN Country Team Turkey, UNICEF, UNHCR, US Department of State, HCR 2 «Personnes Déplacées Internes», UNHCR, http://www.unhcr.fr/pages/4aae621d3b0.html 3 Ma traduction de Eyal Weizman, The Least of all possible evils, humanitarian violence from Arendt to Gaza, (Verso 2011) p.58

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LES CAMPS DANS LE MONDE

CRA de Mesnil Amelot, France

Camps d’étranger ou centres de rétention administrative Les centres de rétention administrative, situés majoritairement dans les pays d’accueil ont été officialisés la première fois en France en 1981.

Ces derniers se comptent au nombre d’un millier dans le monde et 400 en Europe. Parmi les 35 000 places en Europe, plus de 500 000 personnes y sont en transit chaque année.4

Campements Auto-établis Un tiers du monde urbain5 200 000 favelas ou bidonvilles dans le monde Environ un milliard d’habitants dans ces lieux6 La France compte environ 350 campement informels, 17 000 occupants en 20147

Jungle Review, de Calais, France (Crédit 4 Michel Monde de Camps, (La découverte, p.317 Online, ForcesdLa Migrations Frontline, Global Detention Project, HazaraAgier, PeopleUn International Project, IDMC, IRIN, Jesuite2014), Refugee Service, JSFM, Mekong Migration Network, Migreurop, Qandil, Ref MAXPPP)

5 Ma traduction de Marc Angélil & Rainer Hehl, Informalize ! Essays on the Political Economy of Urban Form Vol.1, (Ruby Press, 2012) p.102 6 Michel Agier, Campement Urbain, du Refuge Naît le Ghetto, (Manuels Payot, 2013), p.8 7 Michel Agier, op.cit., p.11

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Au fur et à mesure des recherches et des rencontres effectuées, j’ai réalisé la complexité du sujet, et surtout les contradictions que tout début de prise de position pouvait engendrer. Ainsi, il m’est parut plus intéressant de présenter ce travail sous la forme d’une succession de paradoxes ou dualités inhérents au sujet, et qui ne cessent de me questionner. Différents thèmes sont alors ressortis : la relation de l’Homme à l’infrastructure; l’impact de la temporalité sur les camps, l’architecture et les politiques de logement; l’autonomie et le rôle de l’architecte lorsque les acteurs sont principalement politiques, militaires et humanitaires; la question du refuge et de l’habitat; puis un questionnement sur le territoire parisien, sa capacité d’accueil et le droit à la ville. Comment une ville structurée et dense comme Paris peut-elle se ‘flexibiliser’ pour l’accueil d’une population déplacée dans l’urgence?

Chaque chapitre est illustré par une série de photos, collages et surtout de dessins réalisés à la main. Ce choix fut une véritable prise de position graphique.

Premièrement, le dessin m’a permis de représenter et d’isoler chacun de mes arguments : chaque dessin illustre un aspect précis abordé dans le texte correspondant (l’ordre, la répétition, la trame par exemple). Deuxièmement, le dessin me permet de ne pas répéter des images et photos que les médias nous bombardent, et surtout d’éviter le voyeurisme malsain envers la misère. Dans la plupart des images, je n’ai volontairement pas représenté d’individus pour éviter de stéréotyper des identités et scènes de vie. Mais l’absence de représentation des corps, des sujets permet aussi d’appuyer par l’image, certains points que je critique sur les environnements, territoires et architectures de l’urgence, entièrement déshumanisés.

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Infrastr uc t ure Accueil I Exclusion Circulation I Frontières Humanitaire I Contrôle Quantité I Qualité Urgence I Standardisation Camp I Polis

Tem p ora l it é s Temporaire I Métabolisme rapide Temporaire I Appartenance Flux et mouvement I Destruction du Quotidien Temporaire I Délaissement et Insécurité

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THÉMATIQUES ET PARADOXES

Au ton o mie Esthétisation de l’Informel I Violence Spatiale Force I forme Habitant Acteur I Rôle de l’Architecte Flexibilité I Désordre Outil de la Grille I Standardisation

H ab i t a t Urgence I Habitat Minimum Home I House Conventions d’Habitat I Liberté d’Appropriation Adapter I Différencier

D roi t à l a vill e Hospitalité I Hostilité Rassembler I Disperser dans la ville Intégrer dans la Ville I Espaces à s’approprier

Utopie I Actualité Projet I Représentation

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Infrastructure 19

Ac c u eil I Excl usion

«La solution du camp sous toutes ses formes apparaît dorénavant comme la plus répandue pour tenir à l’écart ce qui dérange, pour contenir ou rejeter ce qui, humain, matière organique ou déchet industriel, est en trop. L’encampement du monde se présente ainsi comme l’une des formes du gouvernement du monde, une manière de gérer l’indésirable.” 5 La notion d’encampement de manière générale peut être étudiée à des degrés divers comme la juxtaposition de trois plans : l’extraterritorialité sur le plan spatial, l’exception sur le plan juridique et politique et l’exclusion sur le plan sociétal.6 5 Michel Agier, Un monde de camps, (La découverte, 2014), p.11 6 ibid. p.20

20

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Extraterritorialité L’extraterritorialité consiste en la mise à l’écart des camps d’un point de vue spatial, souvent situés dans des environnements hostiles et inhabitables à la frontière des pays, c’est en particulier le cas des camps de réfugiés et de déplacés internes. Ce sont des environnements artificiels, souvent déconnectés des grandes villes et non identifiables sur les cartes officielles du pays.

La notion d’enclave est aussi accentuée par la limitation des accès aux camps, écartés des réseaux d’infrastructure et de transports nationaux. Certaines formes de campements et urbanismes auto-construits, comme les jungles, bidonvilles ou ghettos s’installent de la même manière aux périphéries des villes. «L’extraterritorialité est une condition «temporaire » de précarité, de marginalisation et d’exclusion.»7 Colin McFarlane utilise le terme d‘ombres urbaines pour caractériser ces espaces aux « frontières des théories urbaines. »8 7 Michel Agier, Un monde de camps, (La découverte, 2014), p.197 8 Ma traduction de Colin McFarlane, « Urban Shadows, Materiality, the ‘Southern City’ and Urban Theory, » Geography Compass 2.2 (2008), p.341

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Exception

Exclusion

L’exception, ou plus précisément « l’état d’exception » est une situation qui selon le philosophe Giorgio Agamben est à la limite entre le juridique et le politique naissant de l’état d’urgence. «L’état d’exception est le processus par lequel le gouvernement accepte de suspendre la loi en raison d’une situation spécifique.»9 Le camp, quelque soit sa forme, est la matérialisation directe de l’état d’exception.

L’exclusion est une résultante de l’extraterritorialité et de l’exception sur le plan social. «Le fait d’ostensiblement n’être pas comme les autres, n’être pas intégrable, est la forme sensible d’une altérité qui résulte des deux modes de mise à l’écart précédemment cités.»10

9 Ma traduction de R. Kimball, “What is a state of exception?,” last modified October 08, 2015, http://www.wisegeek.com/what-is-a-state-ofexception.htm

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10 Michel Agier, Un monde de camps, (La découverte, 2014), p.20

Ces trois plans sont étroitement liés au concept des « zones grises », désignant des «développements, enclaves, populations ou transactions positionnées entre la ‘blancheur’ de la légalité, de l’approbation, et de la sécurité et l’obscurité de l’éviction, de la destruction et de la mort.»11 Ces espaces constituent une nouvelle géographie politique d’informalité et d’émergence de nouvelles relations urbaines, et «permettent une vision critique envers la fabrication d’espaces urbains dans l’environnement actuel de globalisation, marqué par des mobilités croissantes, mixités ethniques et des incertitudes politiques.»12 En effet, les populations souvent catégorisées comme ‘informelles’ et concernées par les zones grises sont les acteurs de nouveaux modèles urbains émergeants, construisant leur environnement grâce à des techniques innovantes de survie, de mobilisation et de négociation.

11 Ma traduction de N.J. Brenner, P. Marcuse, M. Mayer, Cities for People, Not for Profit, Critical Urban Theory and the Right to the City, (Routledge, 2012) p 153 12 ibid.

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Camps de Dagahaley

Camps de Ifo

5.3 km

Ville de Dadaab Kenya

7 km

Camps de Hagadera

25

9.3 km 10.5 km

14.3 km

Circ u lation I Frontières

Hongrie / Serbie 175 km de frontières Bulgarie / Turquie 30 km de frontières

France / Angleterre 32 km de frontières Grèce / Turquie 12.6 km de frontières

Melilla 11.5 km de frontières

26

Frontière Autriche / Slovénie Crédit Reuters / Stoyan Nenov

Frontière Grèce / Turquie Crédit MAXPPP

Frontière Ceuta / Melilla 27

Crédit Reuters

1m

3m

Frontière Grèce / Turquie 28

Mirador

Vidéo surveillance

Eclairage Haut parleur

Clôtures Diffuseur de gaz 1 à 3m de hauteur Piquets mobiles

Frontière Ceuta / Melilla 29

ferry pour l’Angleterre

le port

CALAIS : CONTRÔLE ET ENFERMEMENT DES MIGRANTS

Deux rangées de barbelés et zone des 150 mètres séparant la N216 de la jungle

Machine d’identification des migrants à l’entrée du C.A.P. (Centre d’Accueil Provisoire)

zone des 150m paysage de barbelés et camions de police

la Jungle

sortie fermée

N 216

31

Grille séparant la jungle et le C.A.P.

550 policiers et gendarmes français déployés sur place

32 km de frontières

Février 2016 5350 migrants dans la jungle de Calais

Février 2016 326 mineurs dans la jungle de Calais

Source : France Inter, L’OBS

80 % des migrants de Calais renoncent à leur départ en Angleterre et déposent une demande d’asile en France

L’Etat a investi 18 millions d’euros pour le C.A.P. de Calais

Deux rangées de barbelés et zone des 150 mètres séparant la N216 de la jungle

Machine d’identification des migrants à l’entrée du C.A.P. (Centre d’Accueil Provisoire)

Eurotunnel affirme avoir intercepté plus de 37 000 migrants par ses propres moyens en 2015

1500 places dans les containers du C.A.P. : 300 disponibles en Février 2016

Grille séparant la jungle et le C.A.P. 33

Hu m anitaire I Contrôl e Quel est le lien entre l’action humanitaire et l’action militaire lorsqu’on analyse différents types d’encampement? L’une est-elle dépendante de l’autre? Peuventelles agir séparément? En quoi la dualité entre le secteur humanitaire et le secteur sécuritaire modélise l’infrastructure des camps?

La dualité entre humanitaire et contrôle concerne en particulier les camps de déplacés internes et de réfugiés, dont les acteurs principaux sont en général des agences internationales comme l’UNHCR (L’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés), l’UNRWA (Office de Secours et de Travaux des Nations Unies pour les Réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) et des administrations nationales.

L’humanitaire est selon Eyal Weizman un véritable espace, on parle alors d’espace humanitaire, qui se matérialise en donnant naissance aux camps. Pour le médecin Israélien Rony Brauman, «les espaces humanitaires ne sont pas des zones territoriales, mais plutôt des ensembles de catégories opératoires, ou des conditions circonstancielles liées à l’espace, qui rendent l’indépendance du travail humanitaire possible.»13

13 Ma traduction de Eyal Weizman, The Least of all possible evils, humanitarian violence from Arendt to Gaza, (Verso 2011) p.57

34

Le secteur humanitaire répond au ‘statut’ de l’état d’urgence, par un processus machinique, prônant l’efficacité maximale par une organisation fonctionnelle et optimale des espaces.

La machine humanitaire, C.A.P. de Calais 35

Les camps sont majoritairement des endroits clos sécurisés et organisés suivant une trame orthogonale pour optimiser les circulations, services et la surveillance des lieux. L’entreprise humanitaire est donc complétée par un système de contrôle aigu, marqué par une présence militaire ou policière. Par conséquent, si l’intention d’aide humanitaire n’est pas à remettre en question, il est important de voir l’autre facette du camp de réfugié, celle de la logique sécuritaire. Par ses dispositifs de contrôle, le camp devient vite une enclave qui permet aux gouvernements de contrôler et isoler les populations déplacées dans le pays d’accueil. Le philosophe Asi Ophir appelle ‘technologie morale’ l’ensemble des «organisations spatiales, instruments physiques, standards techniques et procédures et systèmes de suivi» des camps, devenus «des moyens de la pratique contemporaine de la violence et de la gouvernance des déplacés (...)»14 14 Ma traductin de Eyal Weizman, The Least of all possible evils, humanitarian violence from Arendt to Gaza, (Verso 2011), p 3,4

source photo Mohammed Hannon - crédit AP

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ENCLAVE

37

Les dualités entre humanitaire et sécuritaire ont un impact direct sur l’organisation spatiale des camps de réfugiés et déplacés internes. De manière générale, les camps se ressemblent tous, quelque soit leur position géographique, contexte politique, et les populations pour lesquelles ils sont construits. Tous les camps ont comme origine un «unique schémas des Nations Unies, appliqué et adapté à différents contextes. Ces camps sont planifiés selon des principes médicaux, une combinaison d’hôpitaux de fortune pour traiter en masse d’importantes populations, et de camps militaires pour la discipline et le contrôle. L’hygiène, l’infrastructure sanitaire, la gérance, la circulation des services, l’approvisionnement en eau, électricité, médicaments et nourriture, avec l’élimination des eaux usées et des déchets, tout cela devient des principes organisationnels d’un nouveau régime spatial aux multiples séparations et disciplines de temps et de l’espace, recroisant des principes quasi-militaires et quasi-médicaux.»15 15 Ma traduction de Manuel Herz, ‘Refugee Camps or Ideal Cities in Dust and Dirt’, in Ilka and Andreas Ruby (eds), Urban Trans Formations, Berlin: Ruby Press, 2008

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ORDRE

39

Camp d’Azraq et de Mrajeeb al Fhood, Jordanie

Camp de Suruc, Turquie

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RÉPÉTITION

Camp MSF de Grande Synthe, France

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«Les unités des camps sont généralement dessinées en zones orthogonales, créant une hiérarchie de matrice d’espaces depuis l’unité de la tente à la globalité du camp. De plus étroits passages, non motorisés, séparent les clusters des blocs, tandis que des routes accessibles aux véhicules motorisés accèdent aux différents secteurs.»

Ma traduction de Manuel Herz, New Issues in Refugee Research, Refugee camps in Chad: Planning Strategies and the Architect’s Involvment in the Humanitarian Dilemma, 2007 p.5-6

Vue aérienne d’un camp de Dadaab, Kenya 42

TRAME STANDARD UNHCR

trame habitations 8 x 13m trame espace public 70 x 86m

trames extérieures 34 x 86 m et 34 x 126 m trames intérieures 26 x 74 m et 26 x 114 m circulation 4m et 6m de largeur

trame extérieure 210 x 210m trame intérieure 190 x 190m circulation 10m de largeur

trame extérieure 218 x 218m trame intérieure 182 x 182m circulation 18m de largeur

Source InterWorks Europe Limited

43

Tente et terrain 8m x 13m

Cluster 48m x 26m

Bloc 200m x 200m

1 famille 6 personnes 8 à 12 terrains 1 latrine/ 4 terrains 48 à 72 personnes 12 clusters de 12 terrains 8 clusters de 8 terrains 208 terrains = 208 tentes 1 accès central à l’eau potable 2 blocs centraux de latrines communes (H/F) 1248 personnes environ

«Les différentes unités sont organisées de façon hiérarchique, et sont numérotées et équipées avec des services spécifiques qui constituent les bases de la planification des camps, basées sur des notions d’hygiène et d’ordre: latrines, centres de nutrition, points de distribution, centres médicaux et hôpitaux. Chaque cluster a un nombre précis de latrines et containers de déchets, chaque bloc a un espace central avec un point d’eau potable, et chaque secteur contient une école.»

Ma traduction de Manuel Herz, New Issues in Refugee Research, Refugee camps in Chad: Planning Strategies and the Architect’s Involvment in the Humanitarian Dilemma, 2007 p.5-6

44

UNITÉS DE CAMP UNHCR Secteur 600m x 800m 600m x 1000m

8 blocs 1 bloc de services 10000 personnes environ

9 blocs 1 bloc de services 12000 personnes environ

Source InterWorks Europe Limited

45

Espace par personne dans un camp 45m2/ personne > 35m2 = acceptable 30 - 34 m2 = inacceptable < 29m2 = critique Logement (espace couvert) 3,5m2 / personne Hauteur sous plafond = minimum 2m au point le plus haut Sécurité incendie Coupe feu de 30m tous les 300m Minimum de 2m entre les structures Latrines communes 1 latrine pour 20 personnes en situation d’urgence Homme / Femme séparés Douches 1 douche pour 50 personnes Homme / Femme séparés Eau 20 Litres / personne / jour Robinet 1 robinet pour 80 personnes 1 par cluster 200 mètres maximum Déchets 1 containers de déchets de 100 Litres / 50 personnes 1 containers / 10 familles Fosse de déchets de 2m x 5m x 2m 1 fosse pour 500 personnes 1 fosse pour 100 familles Centre Santé 1 / 20 000 personnes Hôpital 1 / 200 000 personnes Centre de distribution 1 par secteur source : UNHCR

46

STANDARDS UNHCR

La trame de l’extension du camp de Hagadera à proximité de la ville de Dadaab au Kenya, en 2014.

Seulement un douzième du «tracé préventif» est alors occupé par les populations déplacées.

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Secteur Secteur

600m

800m Canalisations d’eau 63mm ou 75mm Réserve d’eau de 70m3 Point d’eau : 6 robinets

«Dans sa globalité, une image commence a émerger de cette ‘agglomération’, une image qui, dans sa croyance en l’organisation structurée, faible densité et en la nette séparation des fonctions et usages, suggère une ville idéale, similaire à celles du mouvement moderne dans les années 1920. Le concept de l’hygiène modélise directement le camp de réfugié, dans lequel l’attention est centrée sur des conditions médicales, sanitaires, de transmission de maladies, et de contrôle.

Les distances minimum entre les familles de réfugiés, ainsi que la densité de population sont définies en fonction de leur impact sur des questions médicales.»

Ma traduction de Manuel Herz, New Issues in Refugee Research, Refugee camps in Chad: Planning Strategies and the Architect’s Involvment in the Humanitarian Dilemma, 2007 p.5-6

48

INFRASTRUCTURE UNHCR

Bloc

Bloc d’habitation

9m

4m

4m

10m

4m

4m

6m Terrain de jeu Point d’eau

10m H

F

Latrines communes 2 fois 8 toilettes (situation ‘temporaire’) 6m

9m 200m

49

200m

Secteur Secteur

18m Logistique Services médicaux Administration Reception

600m

Cimetière

Espaces communautaires

Terrain de jeu

1000m

«Les réfugiés sont tenus à une distance spatiale des travailleurs humanitaires et leurs zones d’opération, souvent situées sur le périmètre du camp afin de pouvoir s’échapper facilement en cas d’agitation.»

Ma traduction de Manuel Herz, New Issues in Refugee Research, Refugee camps in Chad: Planning Strategies and the Architect’s Involvment in the Humanitarian Dilemma, 2007 p.5-6

50

SERVICES UNHCR

Bloc des services Bloc des services

9m

9m

86m

10m

86m

9m

Zone de distribution Halls pour déchets 86m

Services médicaux

Containers pour objets de valeur

Entrepôt 10m Zone d’attente Homme Réception Zone de procédure 86m

Administration Parking pour camions Zone d’attente Femme

9m 18m 6m Latrines communes

6m = sécurité incendie

Point d’eau

6m

Source InterWorks Europe Limited

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1 enregistrement 2 dépistage 3 distribution

Mais si la balance entre humanitaire et contrôle est en tension permanente, quel type d’environnements spatiaux se crée lorsque le contrôle dépasse l’humanitaire?

On se rapproche alors du modèle des centres de rétention administrative, dont le degré d’enfermement et de contrôle est largement supérieur. De typologies complètement différentes de celles des camps de réfugiés, ce sont des lieux de véritable enfermement pour contrôle et identification des migrants. Aux frontières nationales et urbaines, ces centres sont de véritables «check points» qui permettent de réguler les flux migratoires. Certains centres de rétention, comme à Lampedusa en Italie, permettent l’identification des migrants qui arrivent par la Méditerranée, arrêtés pour prise d’empreinte et interrogation. En fonction de la cause de leur départ du pays d’origine, ils sont alors identifiés comme «réfugiés» ou «demandeurs d’asile» avant d’être envoyés dans un pays d’accueil. «La rétention est, par définition, partagée entre des principes a priori contradictoires de contrôle des ‘corps’ qu’il faut immobiliser et de prise en charge des personnes, tant sur le plan sanitaire que logistique et juridique. (…) Le cas de Lampedusa, où le sauvetage en mer constitue aussi une arrestation et où les premiers secours se combinent à la détention, en est un exemple saillant.»16 Nous retrouvons ainsi dans les centres de Lampedusa une dualité entre des logiques humanitaires et sécuritaires. Mais ces centres n’ont pas seulement un rôle d’identification à l’entrée dans un territoire, ils sont aussi des centres d’expulsion pour les migrants ‘clandestins’ et sans papiers qui, n’ayant pas reçu d’autorisation de séjour, ont l’obligation de sortie du territoire.

Hospitalité, aide humanitaire ou contrôle, le camp a donc «un effet d’enfermement, de privation de liberté et crée un sentiment de souillure qui rejaillit sur la vie et l’identité des encampés.» 17

16 Michel Agier, Un monde de camps, (La découverte, 2014), p.317 17 ibid. p.16

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RÃ&#x2030;TENTION

Lampedusa, Italie

Source Meltingpot.org

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Qu a ntitĂŠ I Qual itĂŠ 125 containers de 28m2

11 containers de 28m2 pour les familles

8 containers de 10 WC + 2 lavabos

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INFRASTRUCTURE DU C.A.P. CALAIS

8 citernes de stockage des eaux usées

300 m

3 salles de ‘convivialité’ de 110m2 3 préaux de 65 m2 (avec prises électriques)

C.A.P. Centre d’accueil Jules Ferry

Accès douches et repas

Accès cuisines et douches à 300m Salle de réunion 80m Bureaux pour associations 110m2 2

Source Logistic Solutions

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«La force de Logistic Solutions est d’apporter une solution «clé en main», livrée, installée, y compris allée de circulation, énergie, gestion des fluides (purification de l’eau entrante, station d’épuration en container) sécurité, balisage etc... avec des produits professionnels de qualité. (...)

De la conception à la fabrication, avec nos équipes de montage, nous réalisons bien souvent dans des délais très courts, des solutions très adaptées. L’intelligence de conception, le souci des petits détails, la vision globale sont nos priorités pour que le camp fonctionne dès son lancement avec une efficacité opérationnelle remarquable et une simplicité de maintenance. Nous privilégions la robustesse de nos produits: solutions à partir de containers neufs, fournisseurs français et européens, fabrication française, montage par nos équipes.» Logistic Solutions, concepteurs du C.A.P.

«Les gravillons donnent un aspect très propre au CAP» Logistic Solutions

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C.A.P. CALAIS

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Urgenc e I Sta ndardisation Est-il possible de traiter l’urgence et l’inattendu sans tomber dans un modèle universel et standardisé?

En lisant le travail sur les camps de réfugiés au Chad, réalisé par l’architecte Manuel Herz, j’ai alors découvert que l’implication des architectes dans les stratégies de planifications urbaines des camps, peut se résoudre à onze pages seulement dans un livre de l’UN, une réponse universelle applicable à 30 millions de déplacés internes dans le monde (en 2007).

Les stratégies urbaines des camps, cadrées par les organismes humanitaires, sont basées uniquement sur des principes techniques, et non sociaux, à travers l’outil du masterplan. Le manuel «UNHCR Handbook for Emergencies», est fondé sur la croyance que «les droits et besoins de l’homme sont identiques partout dans le monde, les approches de planifications sont donc fondamentalement caractérisées par la neutralité.»18 C’est justement cette neutralité et standardisation des modèles de camps qui mène à des processus violents d’instrumentalisation et politisation une fois appliquée à un territoire et un contexte précis: «les disjonctions et incompatibilités du processus de planification neutre apparaissent alors.»19 Dans le rejet de toute spécificité, localité et individualité dans la réponse architecturale, le processus machinique de l’urgence développe aussi ce que j’aimerais appeler un «monde de KIT.» «La mise au point d’un système d’habitat d’urgence modulaire et livrable sous forme de kit apparaît comme une alternative à la tente sanitaire. Dans la phase initiale de l’urgence, le sac de couchage et la tente présentent souvent les seules alternatives possibles.»20 Si le kit est une solution fréquente dans l’urgence, c’est parce qu’il permet d’être conçu, et fabriqué en amont de toute crise ou déplacement massif de population. La production en masse permet de réduire les coûts de fabrication, de stockage , de transport et de construction, puisque ce sont les personnes concernées même qui montent le kit directement.

Mais si l’habitat d’urgence sous forme de Kit est peut-être un des meilleurs rapport budgétaires par rapport à la rapidité de sa fabrication, est-il vraiment la seule solution à l’urgence? J’aimerais penser que non.

18 Ma traduction de Manuel Herz, New Issues in Refugee Research, Refugee camps in Chad: Planning Strategies and the Architect’s Involvment in the Humanitarian Dilemma, 2007 p.4 19 ibid., p.6 20 «L’Action Post Catastrophe», la fabrique, http://www.lafabrique.com/concours/regions/yougoslavie/kosovo/projets0001/ eq4txt.htm

58

KIT UNHCR Set de cuisine (5pers)

Chauffage au Kérosène Ventilateur

Container portable

2 Bidons (eau/kérosène) par famille

Tente familiale (seulement) 4 personnes Durabilité: 1 à 3 ans

Bâche en plastique

Couverture thermique

Couverture

Source Refugee Republic par Submarine Channel

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16.5 m2 = 4 personnes 1 porte 4 fenêtres 2 bouches de ventilation

Habitat minimum?

Durabilité

4 m2 / personne 5.5 x 3 x 2.1 39 kg

1 à 3 ans

Source UNHCR

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TENTE UNHCR - MODÃ&#x2C6;LE 1

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23 m2 = 16 m2 + 2 vestibules of 3.5 m2 5 personnes 2 portes 4 fenêtres 2 bouches de ventilation Poches de stockage

Habitat minimum?

Durabilité

4.6m2 / personne 55 kg

1 à 3 ans

Source UNHCR

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TENTE UNHCR - MODÃ&#x2C6;LE 2

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17,5m2 = 5 personnes 140 composants

Habitat minimum?

Durabilité

Montage

3.5m2 / personne (standards) 5.68 x 3.32 x 2.83m 169 kg 638$

3 ans

4 à 8 heures par 4 personnes Pas d’outils additionnels nécessaires 1 : Fondations 2 : Toit avec panneau solaire et ventilation 3 : Parois avec fenêtres et porte

PANELS SHADE NET

FRAME PV KIT

Sol Bâche en plastique Structure Sections en acier Modulaire Facilement assemblable Résistante au vent et à la neige Toit Panneaux de mousse polyolefin interchangeables et légers Filet métallique qui protège de la chaleur la journée et la stock la nuit Panneau solaire qui permet d’allumer une LED pendant 4 heures et câble USB Parois Panneaux de mousse polyolefin pour parois interchangeables et légers 1 porte pouvant se fermer à clef et dont la position est flexible 4 fenêtres avec moustiquaire 2 bouches de ventilation avec moustiquaire Rideaux

01 02

03 04 05 06 07 08 09 10

Source Better Shelter by Ikea

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KIT BETTER SHELTER UNHCR, IKEA

05

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28m2 =

Habitat minimum?

2.3m2 / personne 10 x 2.8 x 2.8m 30 480 Kg (contenance max)

12 personnes 6 lits superposĂŠs 2 radiateurs 12 casiers 3 fenĂŞtres 1 porte

2,8m

10m

Source Logistic Solutions

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KIT C.A.P. CALAIS

MADE IN FRANCE 67

Ca m p I Pol is Un camp peut-il devenir une ville sans citoyenneté?

Malgré leur isolation territoriale, certains camps de réfugiés ou camps autoconstruits se rapprochent avec le temps de l’image qu’on associe à un environnement urbain, grâce à des caractéristiques communes, comme «la densité, l’échelle, l’échange, les services et la vie sociale».21 Mais un camp ne deviendra jamais une ville, dans le sens de la polis, à cause de son statut d’exception et de gouvernance sans citoyens. En effet, les camps sont des espaces entièrement dépolitisés et non démocratiques, dans lesquels les réfugiés n’atteignent jamais un statut de citoyen. « Ce sont des espaces gouvernés qui manquent d’une possibilité politique d’auto-gouvernance, et qui ne peuvent être considérés comme des polis, des villes. Michel Agier soutient avec conviction que la nature dépolitisée des zones humanitaires exclut inévitablement les réfugiés de la politique. »22 Par leurs statuts d’extraterritorialité, d’exception et d’exclusion, les différents types d’encampements mondiaux «n’ont pas besoin de démocratie pour fonctionner.»23 Cela a un impact direct sur la représentation et l’image créée de la figure du migrant, du réfugié. En effet, le mouvement de masse qui les accompagne provoque une désubjectivisation de chaque individus, devenus alors des corps «réduits au rang de marchandise»24 , ou déshumanisés selon Hannah Arendt. La déshumanisation est «cette disparition sociale de l’étranger encampé associé à l’anormalité et à une moindre humanité. C’est le camp qui fait l’étranger et cet étranger là restera inaccessible à la société tant qu’il restera encampé.»25 Pour Judith Butler, l’état d’exception est composé «de sujets soumis à une suspension de leur statut ontologique, lorsque l’état d’urgence est lancé.»26 Etrangé et exclu, le migrant se rapproche de la violente définition d’Agamben de l’homme nu, Homo Sacer, un statut issu du droit Romain, désignant toute personne qui peut être tuée mais ne peut pas être sacrifiée aux Dieux car non citoyenne.

21 Ma traduction de Eyal Weizman, The Least of all possible evils, humanitarian violence from Arendt to Gaza, (Verso 2011), p.60 22 ibid.

23 Michel Agier, ‘humanity as an identity and its political effects (A note on camps and humanitarian government)’, in Humanity, Fall 2010, p.29 24 Giorgio Agamben, La Communauté qui vient, (Seuil, 1990) 25 Michel Agier, Un monde de camps, (La découverte, 2014), p.25 26 Ma traduction de Judith Butler, Precarious Life : The Power of Mourning and Violence (New York :Verso, 2004), p.96,67

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C.A.P. CALAIS

Cette image produite par le phénomène d’encampement a donc de lourdes conséquences sur les individus, qui, en exil ou déplacés ont perdu toute citoyenneté et identité reconnue par les pays d’accueils. « Les camps mettent en scène, ou plutôt ‘en espace’, la condition de l’étranger comme déraciné, dépaysé, délocalisé, dénationalisé. L’immigré est d’abord un émigré, (…) arrivant dans le camp après un ensemble de pertes – perte, intégrale ou partielle, de ses lieux, de ses biens et de ses liens. (…) Cette perte est l’empreinte majeure de sa désidentification. »27 Les camps sont donc l’environnement quotidien d’individus en quête d’un état, de citoyenneté et de reconnaissance identitaire.

Marquage sur chaque container du C.A.P. de Calais = le migrant devient un «corps, un poids, une marchandise»...

27 Michel Agier, Un monde de camps, (La découverte, 2014), p 24

69

Pour conclure cette première partie, il est important de comprendre les processus d’encampement sous différents angles: le territoire, l’humanitarisme, le contrôle, et la citoyenneté. Si l’aide internationale apporte une aide médicale aux populations déplacées, elle crée aussi, lorsque matérialisée sous forme de camps aux marges des sociétés, des espaces de gouvernance et de contrôle violents, qui prennent le dessus sur les intentions humanitaires. «Les réfugiés se fraient un chemin à travers les frontières vers les villes, ou alors s’installent et en construisent d’autres.

L’aide, si nécessaire, devrait les suivre dans ces lieux, plutôt que de construire des environnements de contrôle global pour faciliter sa mise en oeuvre.»28 Par leur standardisation internationale, l’organisation des espaces humanitaires traite le problème de l’urgence d’un point de vu global et reculé, sans prendre en compte , ou alors au minimum, le contexte local et les individus: «la question de la politique des réfugiés, leurs revendications, leurs droits et actions potentielles, leurs souhaits, leur pratique et évasion du pouvoir, leur retour potentiel.»29

28 Ma traduction de Eyal Weizman, The Least of all possible evils, humanitarian violence from Arendt to Gaza, (Verso 2011), p.61 29 ibid. p.62

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C.A.P. CALAIS

71

Les camps sont aussi la manifestation de temporalités incertaines variant entre des situations de transit et donc temporaires, à des installations plus ancrées qui évoluent et se stabilisent avec le temps. Quel impact peuvent avoir les différentes temporalités de la migration sur les camps, l’architecture, et leurs habitants même?

TRANSIT

URGENCE PERMANENCE

CYCLE DE TEMPORALITES

SEDENTARISATION

ATTENTE

Te m p o ra l i t é s 73

Te m p ora ire I Métabol isme R apide Est-ce le statut du temporaire et de l’exception qui permet une évolution si rapide des camps dans le temps?

Certains camps établis à l’époque dans l’urgence ont évolué au fil des années par l’action même de leurs habitants et ont aujourd’hui une image bien lointaine de celle d’origine. C’est le cas particulièrement des camps Palestiniens au Liban qui ressemblent à de véritables villes, plus ou moins structurées. De manière générale, les camps évoluent sur des durées très longues : «plus de vingt ans (comme au Kenya), trente ans (au Pakistan, en Algérie, en Zambie, au Soudan)… ou soixante ans (au Moyen-Orient).»30 Mais si cette évolution paraît longue dans la problématique du camp, elle est extrêmement rapide si on la compare à l’évolution des villes.

«Herz démontre la rapidité avec laquelle les zones humanitaires se solidifient en un environnement quasi-urbain. En quelques jours, le troc et les commerces sont établis. A l’échelle de plusieurs semaines, des marchés se mettent en place pour échanger produits et main-d’œuvre entre les réfugiés et des habitants du pays d’accueil. A l’échelle de plusieurs mois, les groupes et districts se transforment en quartiers, les rangs d’abris préfabriqués et constitués de matériaux provisoires comme des bâches de plastique, se transforment en cabanes solides en bois, adobe, brique ou métal ondulé, disposées dans un dense tissu de quartiers condensés en de miniatures complexes géographiques selon l’origine des habitants.»31 Les camps connaissent donc un métabolisme de transformation rapide au cours duquel l’architecture et les espaces publics évoluent vers des typologies plus structurées, stables et permanentes. «Mais la permanence ne peut pas être considérée comme le résultat malheureux d’une évolution ayant mal tourné: elle semble s’inscrire dans le processus même du camp de réfugiés.»32

30 Michel Agier, Un monde de camps, (La découverte, 2014), p.13 31 Ma traduction de Eyal Weizman, The Least of all possible evils, humanitarian violence from Arendt to Gaza, (Verso 2011) p.59 32 Michel Agier, op.cit., p.111

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En effet, la notion ambiguë du temporaire et du permanent n’est pas qu’une simple ‘évolution architecturale’, c’est aussi la matérialisation de stratégies et négociations politiques du pays d’accueil, et de l’incertitude psychologique du statut même du réfugié. «Les tentes ne servent pas seulement à des fins utilitaires : elles affirment également une demande de retour au pays natal. Rares sont les infrastructures – routes, électricité, fourniture d’eau- qui sont installées de façon permanente : on préfère utiliser des systèmes mobiles. (…) Bien sur, cette situation n’est pas sans rapport avec le manque de ressources et d’argent ; mais à chaque fois qu’est préférée une solution temporaire et « cellulaire » en matière de service ou d’infrastructure, le désir de rentrer au pays natal trouve une expression concrète.»33 Le processus de la permanence est aussi important dans les milieux autoconstruits, qui connaissent des évolutions très rapides, que ça soit d’un point de vu matériel et physique sur la construction de la ville, ou la création de réseaux d’organisations sociales et économiques.34 D’un point de vu architectural, la ville informelle est constamment dans un processus de consolidation, jusqu’à dans certains cas (les favelas au Brésil par exemple) obtenir après négociations une reconnaissance légale, «donnant pouvoir et responsabilités à la sphère privée. (…)

Ainsi, les notions d’insécurité et de permanence peuvent coexister.»35

33 Michel Agier, Un monde de camps, (La découverte, 2014), p.11 34 Ma traduction de Marc Angélil & Rainer Hehl, Informalize ! Essays on the Political Economy of Urban Form Vol.1, (Ruby Press, 2012) p.55 35 ibid., p.65

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Dadaab 2016

Dadaab 1999

«En 1999, Dadaab au Kenya était encore une ville rurale de seulement quelques miliers d’habitants. Après que l’UNHCR ait établi une série de camps de réfugiés à ses alentours, Dadaab est devenu une des plus grosses concentrations mondiales de personnes déplacées, avec plus de 450 000 habitants, incluant aussi une multitude d’aide internationale (...).»36 36 Ma traduction de Eyal Weizman, The Least of all possible evils, humanitarian violence from Arendt to Gaza, (Verso 2011) p.59

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DADAAB , KENYA

Dagahaley 2007

Dagahaley 2013

Ifo 2007

Ifo 2013

Hagadera 2009

Hagadera 2014 77

Tem p ora ire I Appartenance Quelle place une situation temporaire laisse à l’appropriation?

Sur des générations entières, le camp devient un véritable lieu d’attente et d’incertitude sans fin, créant une dualité entre un futur énigmatique et un présent réel, l’espoir du retour au pays d’origine et l’installation quasi-permanente qui se matérialise par l’appropriation des lieux, entraînant la «reconnaissance de la vie construite dans l’exil.»37 Face à l’impossibilité de retourner au pays d’origine et la difficulté de se sentir chez eux dans leur nouveau pays d’accueil, le sentiment d’appartenance au lieu est difficile à acquérir, notamment par un manque de liberté d’action possible de la part des habitants des camps. Mais les temporalités de transit et d’installation ont un impact direct sur le degré d’appropriation du réfugié dans cet espace. « Partout, le paramètre du temps est indispensable pour comprendre la transformation de ces espaces vides en lieux anthropologiques. »38 Les dualités entre temporaire et quasi-permanent; passage et attente, l’espoir ou possibilité d’un retour futur au pays d’origine et accepter la situation présente, agissent sur l’appropriation spatiale et sentimentale des lieux par les habitants. «Les camps sont des ‘représentations de l’espace’, c’est-à-dire des espaces pensés par les urbanistes et les technocrates, dans une visée fonctionnaliste. Néanmoins, dans ce cadre contraignant, les migrants transforment cet espace de domination en espace vécu.»39 Ainsi, petit à petit, certains camps cherchent à perdre leur statut d’exception contre la création d’une vie quotidienne. « Les rythmes du camp constituent les repères d’une vie réglée par les besoins de l’entreprise où, malgré tout, les hommes font d’un espace étranger le leur.»40

37 Michel Agier, Un monde de camps, (La découverte, 2014), p.146 38 ibid., p.12 39 ibid., p.209 40 ibid.

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LA JUNGLE DE CALAIS

Regroupement de plusieurs tentes autour d’un espace commun central Février 2016

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Février 2016

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LA JUNGLE DE CALAIS

Février 2016

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Regroupement de plusieurs tentes autour dâ&#x20AC;&#x2122;un espace commun central FĂŠvrier 2016

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LA JUNGLE DE CALAIS

Février 2016

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Rue commerçante, Février 2016

Eglise, Février 2016

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LA JUNGLE DE CALAIS

Axonométrie de la jungle de Calais 8-10 Octobre 2015 - Secteur Sud Ouest Source: étudiants de ENSAPB, 2014 - C.Hanappe et P. Chombard enseignants

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Rue commerçante, Février 2016

Que l’on parle de camps de réfugiés ou de villes/quartiers informels, le processus de stabilisation d’un campement est accompagné par la mise en place progressive d’un sentiment de communauté, d’un lieu de vie social et économique. «A des degrés divers donc, ces hors-lieux deviennent progressivement de nouveaux milieux sociaux, incertains et toujours « en marge » de quelque chose (d’une ville, d’un état). Mais au fil du temps, ce quelque chose, ce centre référentiel, tend à disparaître de l’horizon de vie des encampés. Le lieu de la relégation, du stationnement, n’est plus alors (ou plus seulement) un lieu d’attente, souvent propice à la dépression et autres pathologies, mais il devient un lieu de vie, de resocialisation, parfois d’une certaine agitation sociale et politique.» 41 41 Michel Agier, Un monde de camps, (La découverte, 2014), p.16

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LA JUNGLE DE CALAIS

Rue commerçante, Février 2016

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F l u x et Mou vem ent I D estruction du Quotidien Quel est l’impact du flux, mouvement perpétuel sur la façon de s’approprier et de se représenter la ville d’accueil? Est-il possible de traiter le temporaire et le mouvement sans impact violent sur la destruction d’un quotidien mis en place par les individus?

La philosophie des mouvements de l’existence de Jan Patocka repose sur le fait que toute existence est «prise dans une dynamique d’enracinement d’abord, de constitution d’une maison, d’un univers au sein duquel une vie peut se constituer, puis d’un déracinement, qui peut être par exemple la figure de l’exil.»42 Le processus d’enracinement et de déracinement est à mettre en parallèle à celui de la déterritorialisation et reterritorialisation, c’est à dire au rapport au territoire, au sol.

Lors de l’arrivée de la dernière vague de migrants à Paris (depuis 2014), j’ai essayé de comprendre les différents sols mis a disposition par la «ville de Paris», pour les «abriter», les «réfugier», puis d’analyser leurs mouvements dans le territoire et les temporalités de chaque «arrêt». Une étude sans fin, difficile à cartographier car toujours changeante. Mais ce qui en est ressorti et spécialement grâce des associations, professionnels, et migrants que j’ai rencontré, c’est justement les troubles que de tels processus développent chez les individus. Les déplacements ont souvent un impact violent sur les personnes concernées, détruisant à répétition des débuts d’attachement au lieu. Plusieurs témoignages ont évoqué la mise en place de petits regroupements communautaires, réseaux et habitudes quotidiennes lors des campements de la Chapelle ou à Austerlitz. Lorsque l’État est intervenu pour reloger les migrants dans des centres d’hébergement d’urgence (CHU), la plupart situés en dehors de Paris, ils ont alors été détachés d’un premier quotidien qu’ils s’étaient forgés dans Paris. Je ne me sers pas de ces constats pour critiquer l’action de relogement, les conditions des campements dans les rues étant extrêmement précaires et dangereuses, mais j’aimerais plutôt requestionner l’impact que le mouvement forcé et répété a sur l’individu, son expérience et son intégration au territoire. L’idée est donc ici de comprendre la ville de Paris comme un nœud de transit de différentes populations migratoires. Si la ville peut être représentée par ses flux, cette représentation doit tenir compte des différentes étapes, caractéristiques, paramètres de ces derniers : trajectoire, vitesse, points d’arrêt et durée. Selon Deleuze, la subjectivité de chaque individu aujourd’hui est justement définie par sa mobilité et sa vitesse.

42 «Philosophie de la Condition Migrante - Etienne Tassin (2015),» 26 Septembre 2015, https://www.youtube.com/ watch?v=XZqn78xCMxA

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PARCOURS DE MIGRANTS Ã&#x20AC; PARIS

89

OQTF

squat bâtiments désaffectés

CHU

CRA

campement dans la rue

bidonville associations

camps de réfugiés

logements/ foyers sociaux

chez l’habitant CADA CHRS

CHU : Centre d’Hébergement d’Urgence CHRS : Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale CADA : Centre d’accueil de demandeurs d’asile CRA : Centre de rétention administrative OQTF : Obligation à quitter le territoire Français

Prise en charge par l’Etat Prise en charge par le milieu associatif ou humanitaire Absence de prise en charge

90

CYCLE D’HÉBERGEMENT DES MIGRANTS

TEMPORAIRE

Centres de rétention La Jungle de Calais

C.H.U. Loiret Hôtels sociaux

Campements informels dans Paris

Squat Lycée Jean Quarré

Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale

Cendre d’Accueil pour demandeurs d’Asile Squats de Maliens à Bagnolet C.A.P. de Calais

AUTO-GESTION

Camps de réfugiés Foyers Sociaux

CONTRÔLE

Foyers de travailleurs migrants Logements Sociaux

PERMANENT

SURVIE URGENCE Informel Squat Centre d’Hebergement d’Urgence

TEMPORAIRE

PERMANENCE

Camps de réfugiés Cendre d’Accueil pour demandeurs d’Asile Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale Hôtels sociaux Hébergement chez l’habitant Centres de rétention

Foyers Sociaux Logements Sociaux Foyers de travailleurs migrants

91

Flux et campements informels des migrants de Juin 2014 Ă Novembre 2015

92

FLUX DES MIGRANTS À PARIS

Relogement des migrants par l’État en région parisienne

93

Te m pora ire I D éla isse ment et Insécurité Dans le contexte de la migration, le temporaire peut-il être anticipé sans devenir une solution par défaut? Y-a-t-il une temporalité à l’urgence?

Les politiques de logement temporaire des migrants, prenant la forme de camps, centres ou foyers d’accueil, peuvent selon moi être mises en relation avec ce que disait le philosphe Marshall Berman à propos du droit à la ville : «La bourgeoisie n’a qu’une méthode pour résoudre la question du logement à sa manière – ce qui veut dire : la résoudre de telle façon que la solution engendre toujours à nouveau la question.»43 Lorsqu’on commence à s’intéresser à «l’accueil» des migrants à Paris, et surtout aux lieux mis à disposition pour les héberger, des espaces désaffectés dont la fonction de base est souvent loin de celle de l’hébergement (des lycées, écoles maternelles, gymnases, centres de loisirs, etc), on associe facilement la notion d’urgence temporaire à une solution par défaut. Puis à une sorte de «prétexte politique» visant à camoufler la réalité insalubre et parfois dangereuse des conditions de logements temporaires, car justement c’est du temporaire, ça relève de l’exception et «ce n’est pas censé durer». Ainsi, la position de Michel Agier est intéressante : arrêtons de penser que la condition du réfugié est un problème qui se réglerait uniquement par le retour au pays d’origine.44 C’est justement ce retour potentiel qui sert de prétexte à la condition temporaire, à l’extraterritorialité et à l’exception, une situation de «temporaire permanent, à la fois tolérée et condamnée, et en attente perpétuelle d’être ‘corrigée’.»45 A Paris, c’est l’infrastructure hôtelière sociale qui est la plus sollicitée dans l’hébergement temporaire. Elle se différencie en deux catégories : les hôtels meublés, et les hôtels de tourisme qui dédient une partie de leur locaux aux services sociaux. En 2007, suite à de nombreux incendies dans ces hôtels, une investigation a été lancée par la ville de Paris. Cette dernière en a conclu que la majorité d’entre eux ne respecte pas les normes sociales, sanitaires et sécuritaires. Un projet de réhabilitation et de remise aux normes a alors été instauré, visant à transformer les hôtels meublés en logements sociaux.

43 Ma traduction de Marshall Berman, All that is Solid Melts into Air, (New York, Simon and Schuster, 1982) 44 Michel Agier, Un monde de camps, (La découverte, 2014), p.197 45 Ma traduction de N.J. Brenner, P. Marcuse, M. Mayer, Cities for People, not for Profit, Critical Urban Theory and the Right to the City, (Routledge, 2012) p.154

94

PARIS : L’HÔTEL SOCIAL

L’hôtel social comme réponse pour logement temporaire Hôtels de tourisme utilisés par les services sociaux

Hôtels meublés utlisés par les services sociaux

Economie illégale

Marchands de sommeil

Pas aux normes Insalubrité Enfermement Hygiène Insécurité Incendie Absence d’endroit pour cuisiner

Pas de suivi social

Pas d’aide de réinsertion

95

Hôtels pratiquant de l’hébergement social en 2007 Hôtels de tourisme non utilisables par les services sociaux Hôtels de tourisme par les services sociaux Hôtels meublés non utilisables par les services sociaux Hôtels meublés utilisables par les services sociaux 0

1

2 km

Sources : Observatoire des Hôtels pratiquant de l’hébergement Social, APUR

96

PARIS : L’HÔTEL SOCIAL

50 000 45 000 7219

Insertion

4951

Stabilisation

27298

Hôtel

Urgence

40 000 7214

35 000 30 000

7039

25 000 20 000 15 000 10 000

6914

7036

4406

4336

6713 6173 3469

6610 4375

4335 20737

4165 10246

7191

8286

4963

4259

2007

2008

15161

12191

12804

5161

5042

5371

6751

6771

2010

2011

2012

2013

2014

5 000 5065 2009

4243

EVOLUTION DES CAPACITES D’HEBERGEMENT EN ÎLE-DE-FRANCE (Hors demandeurs d’asile - CADA) Source : DRIHL (Direction Régionale et Interdépartementale de l’Hébergement et du Logement, Avril 2015

97

Autonomie 99

E st h ét i s a tion d e l’ I nfor mel I V iol ence S patial e Plus d’un tiers de la population mondiale vit dans des camps ou urbanismes subalternes. «La crise de l’habitat humain reflète clairement l’échec de notre économie urbaine actuelle lorsqu’il s’agit de combler les besoins primaires d’une population en constante évolution.»46 Ce constat a engendré beaucoup de débats, études et mouvements de pensée chez les architectes, chercheurs en urbanisme, sociologues, anthropologues, etc, sur le processus d’urbanisation complexe et dynamique de ces environnements informels ou d’exception, comme nouveaux modèles d’intervention pour repenser nos villes occidentales. Ananya Roy par exemple définit le subalterne comme «un facteur de changement, (...) un espace qui se définit par un urbanisme entrepreneurial et une action politique dynamique,»47 une «logique d’organisation qui émerge sous un paradigme de libéralisation.»48 Vyjayanthi Rao parle alors de la «théorie du bidonville»: «le passage du bidonville perçu comme une population et un terrain, au bidonville vu comme un nouveau principe territorial de l’ordre.»49 Ces sujets sont à traiter avec subtilité car dans le cas contraire, ou alors lorsque mal interprétés, leur tournure peut vite être associée à une esthétisation de la misère, où des conditions malheureuses vont jusqu’à devenir «spectacle» et inspiration pour les architectes, écrivains, photographes, et parfois même l’industrie touristique.

Il est vrai que la limite entre l’analyse d’un processus d’urbanisation informel, et l’embellissement des conditions de vie misérables pour des raisons commerciales et esthétiques, peut être ambiguë et dangereuse. Cependant je suis persuadée qu’en tant qu’architecte nous pouvons apprendre beaucoup sur ces environnements urbains pour repenser le futur de nos villes occidentales: l’habitant acteur de son environnement, le droit à la ville, l’architecture incrémentale, la flexibilité fonctionnelle et conventionnelle, la résilience, l’autogestion, la vie collective, etc.

Fran Tonkiss a réussit a détourner la subtilité de cette limite en énumérant une série de thèmes naissant de l’étude de l’informel : «Habitats organiques versus bidonville, flexibilité versus désordre, auto-gestion versus abandon, capital social versus racket, usage temporaire versus insécurité, vie en communauté versus public envahissant.»50

46 Ma traduction de Marc Angélil & Rainer Hehl, Informalize ! Essays on the Political Economy of Urban Form Vol.1, (Ruby Press, 2012) p.9 47 ibid., p.16 48 Ma traduction de Ananya Roy and Nezar AlSayyad, Urban informality : Transnational Perspectives from the Middle East, Latin America and South Asia (Lanham :Lexington Books, 2004), p.26 49 Ma traduction de Vyjayanthi Rao, « Slum as theory : The South/Asian City and Globalization, » International Journal of Urban and Regional Research 30.1 (2006), p.227 50 Ma traduction de Marc Angélil & Rainer Hehl, op.cit., p.14

100

D’un autre point de vu, lorsqu’il s’agit de reloger les habitants d’un campement précaire, refuser ou ignorer les impulsions et processus informels développés, peut à l’extrême provoquer des environnements dont la spatialité devient violente.

Pour cela je m’appuie sur ce qu’il se passe dans la jungle de Calais où un nouveau C.A.P. a récemment été installé pour reloger quelques centaines de personnes de la jungle. Des conditions «meilleures» et plus «sûres» selon les politiques locales, mais pour lesquelles les personnes relogées perdent toute liberté d’action sur leur nouvel environnement, toute vie en communauté créée dans la jungle, tout quotidien et réseaux construits. Ainsi, ce nouvel ordre spatial du C.A.P. de Calais, est-il la conséquence directe au refus d’un processus informel d’urbanisation?

La Jungle Versus le C.A.P., Calais 101

Forc e I Forme En quoi les flux et interactions sociales peuvent modeler l’architecture et la ville, et non le cas contraire dans lequel les formes architecturales et urbaines dictent l’action de leurs habitants? Est-il possible d’imaginer un modèle urbain, autre qu’informel ou illégal, dont les formes suivent les forces qui les rencontrent?

Dans cette logique, le sociologue urbain Manuel Castell définit l’espace du XXIème siècle comme celui du flux, «une logique définissant un nouveau contexte d’interactions, dans lequel les objets, le bâtit et les villes deviennent des nœuds qui connectent différents types de flux. (…) La question n’est plus alors de quoi sont composés les objets mais avec quoi ils interfèrent.»51 Cette théorie du flux met donc en opposition deux types d’espaces : l’espace du lieu et l’espace du flux. Si le premier consiste en une unité, l’espace matériel qui compose la ville (bâtiments, objets, infrastructures, etc) l’espace du flux est celui avec lequel la ville interfère : cette dernière perd alors son statut d’unité pour devenir un nœud de convergence/divergence entre différents flux culturels, économiques, humains, sociaux, technologiques, etc. L’espace du flux est donc une force spatio-temporelle dynamique en perpétuel mouvement, faisant partie de la quatrième dimension de l’espace, contrairement à l’espace du lieu, formel, statique et représentable par la vision Euclidienne, et donc trois dimensionnelle, de l’espace. Ces théories sont directement reliées à l’image du corps sans organes de Deleuze et Guattari.52

51 Ma traduction de Gilles Delalex, Go with the Flow, Architecture, Infrastructure and the Everyday Experience of Mobility, (Gummerus Printing, 2006), p.12 52 Deleuze and Guattari, A thousand Plateaus: Capitalism and Schizophrenia, (University of Minnesota Press, 1987)

102

FORME Espace du lieu

FORCE Espace du flux

Composition d’un espace

Interférences avec un espace

Unité

Noeud

Statique

Mobile / dynamique

Lieu

Temps

3 dimensions

4 dimensions

Mesurable / calculable Espace Euclidien

Virtuel / experience Cartographie / mapping / topologie

103

H a bita t Ac teu r I Rô l e de l’Architecte La question précédente de la force de l’habitant sur son environnement bâti pose alors la question de l’habitant acteur face au rôle de l’architecte et de l’urbaniste.

Jusqu’à quel stade et comment les concepteurs de la ville et de l’habitat doivent dessiner et ordonner des espaces pour laisser une liberté possible d’intervention et d’appropriation aux habitants?

Cela rejoint la vision que Max Weber se faisait de la société moderne, «un processus en attente d’un contenu qui viendrait du choix de ses citoyens.»53 Un siècle plus tard, Henri Lefebvre théorise un mouvement social sur la démocratisation du droit à la ville, dans le but que les «dépossédés puissent reprendre le contrôle de cette ville dont ils sont exclus depuis si longtemps.»54 Ces courants de pensée et réflexions sur l’habitant acteur de son environnement ont été appliqués à l’architecture, caractérisée alors d’incrémentale, d’évolutive par l’action de ses utilisateurs. L’architecte se délaisse alors de son rôle de «délivreur» d’un produit fixe et final, pour celui de l’accompagnateur et coordinateur d’une démarche de construction et d’urbanisation dans un contexte et pour une population précise. En effet, pourquoi vouloir figer un espace dans le temps, alors que ce dernier traverse continuellement de nouveaux enjeux, crises, demandes différentes?

Dans le cas des campements informels ou des camps de réfugiés tramés et fonctionnels, l’appropriation des habitants se développe non par choix mais par défaut, cela étant dû à l’absence du droit d’habiter la ville, à une absence de prise en charge (ou au contraire à un excès de réglementations et de contrôle), de moyens, de reconnaissance légale. Si je me positionne dans une réflexion de projet, serait-il possible d’imaginer des micro urbanismes incrémentales adaptables à une ville comme Paris par exemple, pour des populations migrantes, sans que ça prenne la forme d’un manque d’intérêt, d’un délaissement à leur égard ou d’une sorte de différenciation par l’architecture?

53 Ma traduction de David Kolb, The Critique of Pure Modernity: Hegel, Heidegger and After, (Chicago:University of Chicago Press, 1986) 54 Ma traduction de David Harvey, Le Capitalisme Contre le Droit à la Ville, Néolibéralisme, Urbanisation, Résistances, (éditions Amsterdam, 2011), p.33

104

Flexib ilité I Désordre Lorsqu’on parle de droit à la ville, d’habitant acteur et producteur de son environnement dans le cadre des urbanismes subalternes, ce qui m’intéresse le plus est la résilience de l’urbain, c’est-à-dire sa flexibilité, son aspect évolutif et sa capacité à s’adapter (encore une fois par défaut et non par choix) à de nouvelles «forces» qui viennent l’interférer, à l’imprévu, au provisoire.55 Pour David Harvey, le droit à la ville est le « droit de produire de l’espace, un droit à un développement géographique non homogène. »56 Ici encore, la frontière entre flexible et désordre est très fragile: flexibilité est-elle forcément synonyme de désordre? Mais les relations entre flexibilité, résilience et désordre ne sont-elles pas au final interdépendantes entre-elles? Richard Sennett par exemple associe justement le désordre dans une ville à un potentiel social, un potentiel de liberté créé par «des rencontres improbables et des espaces non réglementés,»57 des espaces donc flexibles et résilients puisque non réglementés légalement. Mais ces pratiques spatiosociales de campement, quelqu’en soit leurs échelles, sont « toujours soumises à des règles. En effet, des normes tacites et conventions sociales peuvent être bien plus efficaces dans l’organisation des comportements et des espaces que certains systèmes légaux.»58 Les dualités entre réglementations, ordre, désordre, flexibilité et liberté d’action possible de la part des habitants peuvent être mises en relation avec la différence que je faisais auparavant entre la forme d’une ville (ou d’un espace) et les forces qui l’interfèrent, ou alors entre la solidité de l’état qu’Elizabeth Grosz oppose à la fonction transitoire des villes, . «Si la fonction de l’état est d’encadrer, organiser, hiérarchiser et coordonner les flux et activités, les villes, elles, fonctionnent comme des zones de transit chaotiques et dérégulées, traversées et activées par les flux. »59 A partir de là, est-il possible de concevoir un espace flexible et évolutif sans ordonner un minimum les espaces au préalable? Et si oui, tout acte de conception n’est-il pas associé directement à l’ordonnance d’un espace, et donc, même si la réalisation en est des plus subtiles, l’acte de concevoir ne devient-il pas, par définition, paradoxal à celui d’une flexibilité future? Un espace pensé pour l’inattendu est-il donc réalisable, ou est-il un simple «fantasme» des architectes?

55 Ma traduction de Karen Franck and Quentin Stevens, eds., Loose Space : Possibility and Diversity in Urban Life (London : Routledge, 2006) 56 David Harvey, Le Capitalisme contre le droit à la ville, Néolibéralisme, urbanisation, résistances, (éditions Amsterdam, 2011), p.93 57 Ma traduction de Richard Sennett, The Uses of Disorder : Personal identity and City Life (New York : Knopf, 1970) 58 Ma traduction de Marc Angélil & Rainer Hehl, Informalize ! Essays on the Political Economy of Urban Form Vol.1, (Ruby Press, 2012), p.60 59 Ma traduction de Gilles Delalex, Go with the Flow, Architecture, Infrastructure and the Everyday Experience of Mobility, (Gummerus Printing, 2006), p.184

105

L’O u t il d e la Gr ille I S tandardisation Si la grille est un outil de conception utilisé par les architectes et urbanistes pour ordonner un espace, peut-elle être utilisée sans tomber dans un modèle urbain standardisé, comme celui des camps de réfugiés ou des masterplans du mouvement moderne par exemple?

Pour répondre à cette question j’ai décidé d’analyser le projet urbain de Fedala El Alia par Michel Ecochard au Maroc, dans le contexte d’une forte exode rurale dans les années 1959. Dans son approche, Ecochard a créé un urbanisme évolutif, confrontant «la tension entre la pratique transnationale de l’urbaniste et les dynamiques de la croissance et du développement local.»60 De cette façon il cherche à combiner des pratiques informelles et traditionnelles, engageant alors les acteurs locaux, avec des pratiques de la vision fonctionnaliste du mouvement moderne. «Ces nouvelles attitudes n’idéalisent ni une vision finale de la ville moderne, ni le contrôle de la vie quotidienne des habitants, (...) mais au contraire questionne le rôle possible de l’architecte et de l’urbaniste face à l’engagement direct des habitants.»61 Pour Michel Ecochard, la grille n’est ici pas considérée comme un simple outil de contrôle et d’ordre, mais plutôt comme un support «dans lequel les diverses transformations physiques et sociales futures peuvent avoir lieu.»62 La trame de 8m2 permet donc de délimiter au niveau du sol les espaces publics et privés ainsi que les différentes échelles de circulation. A partir de ce tracé, les habitants ont la liberté de s’approprier les niveaux supérieurs privés selon leurs besoins.

Ainsi, le projet se base sur le souhait de concevoir un environnement flexible et adaptable à des formes et besoins de logement qui ne cessent d’évoluer.

60 Ma traduction de Marc Angélil & Rainer Hehl, Informalize ! Essays on the Political Economy of Urban Form Vol.1, (Ruby Press, 2012), p.41 61 ibid., p.20 62 ibid., p.42

106

LA TRAME Ã&#x2030;COCHARD

104m

80m

8m

107

La grille est aussi une réponse au paramètre indéterminé du nombre de migrants issus de l’exode rural qui arrivent alors à Casablanca : la trame est capable d’évoluer et d’accueillir différentes vagues de populations et écarts de densités à travers le temps. Elle permet «de supporter à la fois une planification à court et à long terme, combinant une nouvelle infrastructure à des approches plus traditionnelles du logement.»63 Ce projet reprend donc les bases de conception urbaines du mouvement moderne, tout en les critiquant et détournant l’aspect statique en un environnement évolutif.

L’image de l’architecture délivrée comme objet fini est alors remplacée par «un développement continu du processus urbain par sa transformation, appropriation et acculturation.»64 63 Ma traduction de Marc Angélil & Rainer Hehl, Informalize ! Essays on the Political Economy of Urban Form Vol.1, (Ruby Press, 2012), p.42 64 ibid., p.50

108

LA TRAME Ã&#x2030;COCHARD

109

Habitat 111

Urgenc e I Ha b itat M inimum URGENCE

TEMPORAIRE

Standard min 3.5 m2 / personne

Obsolescence

2.3 m2 / personne

1 à 3 ans

3 ans

TENTE UNHCR

TENTE UNHCR

modèle 1

modèle 2

16,5 m2 5.5 x 3 x 2.1 m 4 personnes 39kg

23 m2 16 m2 + 2 x 3.5 m2 5 personnes 55kg

ABRIS IKEA UNHCR

CONTAINER C.A.P. CALAIS

17.5 m2 5.68 x 3.32 x 2.83 m 5 personnes 169kg

28 m2 10 x 2.8 x 2.8 m 12 personnes 30 480 kg (contenance max)

112

PERMANENT PERMANENT

niv 2

niv 2

01 niv 1

2,8m

3m 2,8m

02 01 03 02 04 0305 0604

05 06

niv 1

3m

HABITAT ECOCHARD HABITAT ECOCHARD

ELEMENTAL ELEMENTAL ARAVENA ARAVENA

NORMES DUNORMES DU LOGEMENT SOCIAL LOGEMENT EN FRANCE SOCIAL EN FRANCE

64 m2 72 m2 : chambre parents 64 m2 72 m2 01 : chambre01parents 12 m2 min 12 m2 min + 36 m2 à s’approprier 02 : chambre02enfant : chambre 8 x 8 x 2.8 m8 x 8 x 2.8 m 36 m2 bâti +3636m2 m2bâti à s’approprier 9 m2enfant min 9 m2 min : pièce 1 famille 1 famille 6 x 6 x 2.55 6mx 6 x 2.55 m 03 : pièce à 03 vivre > 7m2à vivre > 7m2 : Cuisine 8 m2 1 famille 1 famille 04 : Cuisine 04 8 m2 05 : sdb 3 m2 05 : sdb 3 m2 06 : WC 1 m206 : WC 1 m2

01 113

01

10

10

Hom e I House A quel moment une personne déplacée enchaînant camps de réfugiés, campements, ghettos, hébergements d’urgence, foyers, etc, arrive-t-elle à se sentir chez soi dans l’espace qui l’héberge ou l’abrite?

Pour cela j’aimerais faire la distinction entre Home et House. Pour Groff Conklin, «the house n’est autre qu’une coquille vide,»65 proposant une protection contre l’environnement extérieur. Cette métaphore peut faire objet d’une vision possible de l’habitat minimum. En effet, dans les politiques d’hébergement des migrants et réfugiés, le but est de délivrer des «coquilles», qu’elles soient sous forme de tente ou de containers, qui permettent d’être protégé au minimum des températures et intempéries extérieurs. Dans l’article a Home Is Not a House, Reyner Banham explique que le terme house n’est autre qu’un support soutenant un complexe de «tuyaux, conduits, gaines, câbles, lumières, entrées, sorties, fours, éviers, réverbères broyeurs , Hi-Fi, antennes, conduits, congélateurs, chauffages.»66 C’est donc uniquement un assemblage technique fonctionnel, une machine réalisée par les standards et normes d’habitation d’une société. La notion de Home, de maison, de chez soi dépend en revanche d’une subjectivité dûe au sentiment d’attachement et d’appartenance de la part de l’individu. Mais de quoi dépend ce sentiment: de la spatialité, du confort, du sentiment de protection, de la durée de séjour, de l’ambiance sensorielle du lieu, de l’entourage? Cet attachement est une construction personnelle de l’individu dans son habitat.

65 Groff Conklin, The Weather Conditioned House, (Van Nostrand Reinhold, 1985) 66 Ma traduction de Reyner Banham, “A Home Is Not a House” (1965) in Architecture Culture 1943-1968, ed. Joan Ockman (Rizzoli, 1993), p.70

114

HOUSE

115

8m 2.6m

L’habitat comme la combinaison d’un besoin matériel (house) et d’un sentiment d’appartenance (home), est la base de la démarche adoptée par Alejandro Aravena dans son projet Elemental, un projet incrémental dans lequel il propose une partie fixe qui va contenir les services, les sanitaires, la machinerie de l’habitat et un espace sans fonction précise. Puis il délimite un espace sans le dessiner, pour laisser l’habitant même se l’approprier selon ses besoins et ses notions de l’habiter. Dans ce projet, Aravena propose alors une solution de l’habitat basée sur les besoins sanitaires et spatiaux minimum de l’homme. Cette démarche rejoint le concept de la «solution humide», qui consiste à dessiner un noyau permanent qui regroupe tous les éléments humides de l’habitat (WC, douches, cuisine, évacuation, etc.).

116

ELEMENTAL

R+2

6m 1.2m 6m

R+1

RDC

117

C o nvention s d ’ Ha b itat I Appropriation Comment construire pour des personnes en exil qui ont perdu tous leurs repères géographiques, culturels, spatiaux et sensoriels?

Au cours des rencontres que j’ai faites avec des associations et psychologues qui travaillent avec des immigrés et réfugiés, une situation récurrente est celle de troubles et blocages qui naissent des conditions et conventions européennes de l’habitat. Lorsque certaines familles sont relogées par l’assistance sociale dans des foyers, les typologies de logements qui forment notre quotidien, sont pour eux parfois trop rigides, divisées et fonctionnelles. En effet dans de nombreuses cultures, les espaces de logement ne sont pas divisés par rapport à leur fonction, ou alors en regroupent parfois plusieurs qui diffèrent en fonction des saisons et heure de la journée. Ainsi on peut associer à cela une certaine flexibilité dans l’usage que nos conventions françaises ne connaissent pas forcément. Alors comment se positionner spatialement, lorsqu’on ne connaît pas les cultures et pratiques de l’habitat du pays d’origine des migrants, sans tomber dans un modèle de dominant/dominé, en imposant des conventions standardisées ou propres au pays d’accueil? L’idéal serait de pouvoir imaginer un logement hybride entre le logement social français et leur logement d’origine, manifesté peut-être sous la forme d’un espace sans fonction précise et capable d’être approprié dans sa flexibilité. Cela rejoindrait le caractère poreux d’un espace, se modélisant justement par l’acte de l’appropriation et dont les relations entre fonction et espace, privé et public, intérieur et extérieur sont sans cesse changeantes et redéfinies, contredisant les lignes qui préservent un stricte ordre socio-temporel.

118

HABITAT ÉCOCHARD

8m

3,75m

4,05m

2,55m 3m

8m 4,20m

3,45m 4,70m 4,70m

5,20m 2,4m

8m

8m

R+x approprié par les habitants

2,8m

3m

RDC dessiné par Michel Ecochard

119

Ad apter I D i fférencier Comment l’architecte peut-il se positionner dans la conception d’un habitat pour les populations migrantes, sans avoir un rôle de détenteur de vérité, de dominant, de colonialiste?

Ce paradoxe rejoint (tout en le contredisant aussi) celui précédent sur les conventions d’habitat et d’appropriation. Adapter l’habitat pour des personnes qui n’ont pas les mêmes conventions d’habiter que «nous», français, peut, malgré les bonnes intentions, créer des différences entre les populations. Mais quelle est alors la limite entre des différences qui créent des milieux hétérogènes et des mélanges sociaux, et à l’inverse des différences qui vont créer des exclusions, isolements poussant à une ségrégation spatiale et sociale? N.J. Brenner différencie alors deux types de «différences» : «la différence minimale, ou induite, tend vers une identité formelle, qui fragmente la vie quotidienne et pousse les groupes sociaux aux périphéries des villes. La différence maximale, ou déduite, implique une transformation sociale fondamentale.» 67

67 Ma traduction de N.J. Brenner, P. Marcuse, M. Mayer, Cities for People, Not for Profit, Critical Urban Theory and the Right to the City, (Routledge, 2012), p.49

120

Prétendre qu'il existe des populations aux caractéristiques telles qu'il est nécessaire de construire pour elles des logements spécifiques c'est poser que ces caractéristiques sont données et qu'elles isolent et distinguent définitivement ces catégories du reste de la population. […]

Ainsi le thème d'une «nature» particulière supposée rejoint les thèmes principaux de l'idéologie raciste.

Mireille GINESY-GALANO | 1984 | Sociologue

121

Droit à la ville 123

Hosp ita lité I H ostil ité Comment une ville peut ou non être hospitalière?

Selon Derrida, il existe deux types d’hospitalité : conditionnelle et inconditionnelle.

Si la première se base sur l’acte de l’invitation, dans lequel l’invité ou l’arrivant respecte les traditions et les règles de son hôte, la seconde est définie par l’acte de visitation. Cette dernière engendre une situation incontrôlable car aucune règle n’est définie à l’arrivée de l’étranger : c’est alors à l’hôte de s’adapter à de nouvelles règles de cohabitation, abandonnant ainsi toutes formes de protections et défenses connues et familières. Cette hospitalité inconditionnelle est absolue car impossible dans la pratique, mais est indispensable pour mettre en pratique l’hospitalité conditionnelle. Plus précisément, le conditionnel détermine quoi «donner» à son invité, et l’inconditionnel est celui qui le rend possible car sans lui, rien ne serait dédié au nouvel arrivant.67 Mais si l’hospitalité est un sujet politique et social, elle a un lien direct avec le territoire et la ville. Dans les différents ‘points d’ancrage’ étudiés auparavant, on remarque que la majorité des populations migratoires est éloignée au maximum du centre de Paris, vers les périphéries, ou alors clandestinement implantée dans les interstices de la capitale : sous les ponts, autour des gares, rails abandonnés, etc. A partir de là se pose la question suivante: le centre de Paris est-il encore exploitable pour ‘accueillir’ et loger des populations d’urgence? Et si oui, lesquelles seraient les plus appropriées, intéressantes?

Quand on prend l’exemple du projet d’hébergement pour SDF et migrants au bois de Boulogne, plusieurs questions me viennent à l’esprit : est-ce vraiment rendre service aux personnes qui vont y être hébergées de se retrouver dans ce quartier, où les riverains sont majoritairement contre cette démarche, et risquent de rendre «l’accueil » et l’intégration difficile? Mais d’un autre côté, ce projet à caractère médiatique et de nature provocante n’est-il pas justement conçu pour détourner des idées toutes faites et stéréotypées, dans l’espoir de sensibiliser la population riveraine?

67 Jacques Derrida, De l’Hospitalité (Calmann-Lévy,1997)

124

C.H.U. BOIS DE BOULOGNE

Projet d’hébergement pour SDF et migrants au bois de Boulogne Par Moonarchitecture et AIR Architecture, avec l’association Aurore

125

R a s sem b ler I D isp e rser dans l a V ill e Quelle stratégie adopter quant au choix du site pour héberger les populations migratoires? Est-il possible de les rassembler tous à un endroit sans que ça prenne la forme d’un camp, d’une banlieue, d’un ghetto mis à l’écart? Serait-il plus intéressant de choisir différents sites dans la ville pour les intégrer à la population locale, sans que ça crée des tensions? Une personne étrangère n’a-telle après tout pas le droit à la ville?

Prenons par exemple le cas des foyers de la SONACOTRA (Société Nationale de Construction de Logements pour les Travailleurs), les ancêtres des FTM (Foyers de Travailleurs Migrants). Ces derniers ont été créés en 1956, (alors appelés SONACOTRAL) pendant la guerre d’Algérie, pour héberger majoritairement les travailleurs Algériens. Atteignant approximativement un nombre de 400 en France, ils ont été conçus dans le but de rassembler, contrôler et encadrer les immigrés Algériens, suite à une politique de résorption des bidonvilles, abondants en régions Parisienne, Lyonnaise et Marseillaise. L’architecture devient alors un instrument colonial et ségrégatif, se présentant comme «de grandes bâtisses généralement en zones péri-urbaines fortement industrialisées, à l’écart de l’ensemble de la population et des commerces, construits sur les terrains dédaignés par les promoteurs, mal desservis par les transports en commun.»68 Dans les années 1960 ces foyers ont déclenché «la plus grande lutte dans le secteur du logement en France, et peut-être en Europe.»69 En 2007, la SONACOTRA change de nom pour ADOMA, société détenue par des acteurs publics gérant la majorité des FTM, résidences et foyers sociaux, centres d’hébergements, CADA, etc. Certains de ces foyers sont aujourd’hui situés dans paris intra-muros dans le but d’une réinsertion sociale par le droit à la centralité. Malgré leur position centrale, certains de ces foyers, par leurs statuts compartimentés (FTM, CADA, CHRS) ou regroupements communautaires, ont accentué les «différences» avec les populations locales, parfois des micro-ghettos à l’intérieur même de la ville.

68 Mireille Galano «Une lutte exemplaire», 17 Avril 2014, http://www.gisti.org/spip.php?article4197 69 ibid.

126

SONACOTRA Argenteuil (en haut) SONACOTRA Corbeil-Essonnes (en bas)

127

Int é g re r dans la Ville I Espaces à s’approprier Comment penser un univers pour des personnes qui n’ont plus de ‘chez soi’, et qui cherchent à s’intégrer dans une nouvelle société?

Jusqu’à quel stade les intégrer pour qu’ils s’habituent à une nouvelle ville, culture, quotidien, tout en leur laissant la capacité de s’approprier leur nouvelle vie, qu’elle soit temporaire ou permanente, avec leurs modes de vie d’origine?

Sur quel territoire intervenir, susceptible, par sa localisation et son manque (peut-être) d’identité, d’être plus flexible à l’appropriation par de nouvelles cultures ?

L’accès à la ville, et plus particulièrement au centre de la ville (la centralité ne se réduisant pas seulement à sa position géographique mais aussi à ses ressources et avantages sociaux et d’insertion qu’elle peut apporter) est difficile à atteindre par les populations migratoires. Les points d’entrée de la ville ne sont donc pas uniquement des accès mais peuvent agir comme de véritables frontières urbaines, obligeant certaines populations marginalisées à s’installer dans des campements, qui gravitent autour du centre, sur des terrains non investis, des lieux non constructibles car insalubres et indignes pour l’habitat. En effet, «la qualité de vie urbaine, de même que la ville elle-même, est désormais une marchandise réservée aux plus fortunés, dans un monde où le consumérisme, le tourisme, les industries de la culture et de la connaissance sont devenus des aspects majeurs de l’économie politique urbaine.»70 Lorsque Lefebvre théorise le Droit à la Ville et la quête de la centralité, il se prononce aussi sur le «Droit à la Différence,» définissant le concept d’hétérotopie comme «des espaces sociaux liminaux où non seulement «quelque chose de différent» est possible mais aussi où ces possibilités peuvent fonder des trajectoires révolutionnaires.»71 En effet, si la ville appartient à une élite sociale, elle est aussi un espace où «les différences se mélangent pour générer quelque chose de nouveau,»72 de nouvelles formes et pratiques de vie urbaine collectives.

70 David Harvey, Le Capitalisme Contre le Droit à la Ville, Néolibéralisme, Urbanisation, Résistances, (éditions Amsterdam, 2011), p.21 71 ibid., p.43 72Ma traduction de N.J. Brenner, P. Marcuse, M. Mayer, Cities for People, Not for Profit, Critical Urban Theory and the Right to the City, (Routledge, 2012), p.49

128

De la même façon que la centralité, on peut étudier la périphérie non pas comme un positionnement géographique aux frontières de la ville, mais comme un concept lié à un manque d’identité propre. Cette dernière peut être liée à une délimitation territoriale ambiguë ou alors tracée par les limites de ses parcelles mitoyennes : la périphérie devient donc un espace ‘par défaut’, une résultante spatiale fracturée et discontinue qui, souvent difficile à investir, devient un terrain d’accroche pour certaines populations marginalisées qui n’ont pas accès au logement. Mais si ces lieux sont sans identité précise, ils deviennent aussi des espaces à grand potentiel pour l’expérimentation architecturale et urbaine. Pour AbdouMaliq Simone, le concept de périphérie est multivalent, et peut désigner des « villes à la périphérie des analyses urbaines, (…) des espaces ‘d’entre-deux’, jamais vraiment amenés à une logique et trajectoire de développement caractérisées par un centre. La périphérie devient donc un potentiel espace générateur, une source d’innovation et d’adaptation.»73 Le statut de périphérie peut donc être tourné comme un avantage à un ‘potentiel de liberté’.

73 Ma traduction de AbdouMaliq Simone, City Life from Dakar to Jakarta (New York : Routledge, 2010), p.40

129

Conclusion 131

Actualité

Critique

430 000 migrants ont traversés la méditerrannée de janvier à Septembre 2015

camps de réfugiés

500 000 passages aux frontières de l’UE de Janvier à Août 2015 Statut d’exception

175 km de clôtures Hongrie / Serbie

Plus 450 camps dans le monde

Extraterritorialité

32 km de clôtures France / Angleterre

4 millions de personnes

Frontières

Non libre circulation

camps de déplacés internes

24 millions de personnes déracinées et déplacées dans leur propre pays

Economie créée par l’urgence

Standardisatio 6 millions de personnes

Normes humanitaires

Contrôle

Plus d’un millier dans le monde Centres de rétention 35 000 places en Europe

400 en Europe

Plus de 500 000 personnes en transit chaque année

59.5 millions de migrants dans le monde en 2015

59030 demandes d’asiles en France en 2014

213 000 demandes d’asiles dans l’UE mi 2015

La Jungle : jusqu’à plus de 6000 habitants

Sanitaire

Absence de liberté

Absence / faible prise en charge

Précarité

Environ un milliard d’habitants

France : environ 350 campement informels

D

Relogement par défaut

Un tiers du monde urbain Camps auto-établis

Obsolesc

200 000 slums, favelas ou bidonvilles dans le monde

Temporalités incertaines

D Déterritorialisation répétée

Dest

17 000 occupants en 2014

132

Proposition

Trois - dimentionaliser

Exclusion

Trame

Non droit à la ville

Flexibiliser Repenser / détourner le processus du KIT

n préfabrication

Architecture évolutive KIT

on

Architecture incrémentale

Architecte accompagnateur

Liberté d’appropriation

Déshumanisation Corps

Flux Mise en place d’une idéntité

Chiffre

Impulsion

Conventions d’habitat Habitats hybrides

cence

Mise en place d’une économie

Délaissement Esthétisation de la misère

Echelles d’intervention Disperser dans Paris

Destruction du quotidien

truction des communautés créées

133

Utop ie I Actual ité Quelle est la place pour l’utopie et l’idéal dans un sujet d’actualité si violent?

La question de la migration a toujours existé et existera toujours. Si aujourd’hui elle est d’avantage d’actualité dans de nombreuses villes Européennes, j’aimerais pouvoir penser que ces vagues migratoires puissent apporter une nouvelle façon pour les architectes et urbanistes de penser la ville et d’en explorer son potentiel pour l’urgence, la mobilité et les temporalités incertaines.

Selon Alex de Waal, «les urgences accélèrent les échanges socio-économiques.»74 Alors, au lieu de considérer la migration comme un risque ou un danger, pourquoi ne pas l’accepter en la considérant comme un nouveau potentiel urbain, social et économique pour le pays d’accueil? Et si, comme l’explique le philosophe Etienne Tassin, «migrer n’était pas qu’un exil forcé de son pays et une perte de sa terre, mais la possibilité d’inventer un nouveau rapport à l’identité, à la communauté, et un nouveau monde?»75

74 Alex de Waal, ‘Whose Emergency is it anyway? Dreams, Tragedies, and Traumas in the Humanitarian Encounter’, roundtable. kein.org/node/1078 75 «Philosophie de la Condition Migrante - Etienne Tassin (2015),» 26 Septembre 2015, https://www.youtube.com/ watch?v=XZqn78xCMxA

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Projet I Rep résentation Pour conclure cette réflexion, je pense qu’essayer d’apporter une solution au problème de la migration n’est pas la bonne piste à adopter pour le projet.

L’architecture n’a pas le pouvoir de résoudre un problème politique surtout pas de cette envergure. Et penser pouvoir résoudre par l’architecture la problématique migratoire, ne placerait-il pas l’architecte dans une position de dominateur, de détenteur de vérité? Si on regarde le problème objectivement, est-il réellement possible de dessiner un «bon» centre pour migrant ou centre de rétention administrative? Tout au long du mémoire, j’ai décidé d’analyser différents projets locaux et internationaux conçus dans le but de répondre à l’urgence de façon la plus optimale, idéale, efficace. Mais ces solutions n’ont-elles pas au final des conséquences inverses? Essayer de faire «mieux» peut être justement trompeur.

Quelles sont alors les limites de l’architecture et de l’architecte? Qu’est ce qu’il se passe lorsqu’on arrête de faire de l’architecture de manière dominante?

Cependant, si l’architecture ne peut pas prétendre résoudre un problème politique, elle peut certainement avoir un effet médiatique : représenter, dénoncer, faire parler, démontrer, etc. En quoi la représentation de l’architecture peut-elle faire réagir la population locale de manière positive ou négative sur l’accueil des migrants?

Le projet pourrait alors imaginer le potentiel d’une hospitalité inconditionnelle (Derrida), sans conditions, sans obstacles, sans barrières, sans déterritorialisation, etc. Quel impact cela aurait-il sur l’architecture? Comme énoncé dans l’introduction, le bidonville peut être la résultante de deux choses : un désintérêt total de l’Etat (principalement dans les pays du sud), ou un défi à la réglementation excessive de l’espace et la mise en place de «frontières», «obstacles» à la ville (principalement dans les pays du Nord). Que deviendrait alors la formalisation architecturale de cette hospitalité sans limites? Cette dernière se rapprochera alors peut être réellement d’une démarche incrémentale et évolutive. Et si les migrants et demandeurs d’asile pouvaient exercer une activité économique à Paris? Comment mettre en œuvre leurs capacités et leur savoir faire? Est-ce qu’il y a une structure, un investissement à mettre en place? En quoi l’architecture peut-elle générer une économie? Comment les migrants peuvent-ils faire partie du processus de production du logement, stimulant des impulsions socio-économiques?

A l’inverse d’un résultat final, le projet pourrait alors être représenté comme un déroulement, un processus avec plusieurs échelles d’intervention, prenant la forme d’une utopie critique, un contre-projet naissant des thèmes abordés dans ce mémoire.

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