"Marolles: Trajectoires, identités, territoire" Livret 2

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no.

Carnet

Louis-Jean Je viens de Malines, je suis arrivé dans le quartier en 1947. Ma mère, elle avait 19 enfants et ma grand-mère 11. J’étais un gamin des rues. Il y avait des garnies. C’était une chambre où il y avait un poêle, une table, deux chaises et un lit.


Et quoi ça ne coûtait rien du tout ? Si si si c’était cher, entre 1500 et 3000 francs belges. Les gens se retrouvaient dehors et ils allaient au café ? Oui il y en avait qui étaient dans la rue, alors certains venaient ici dormir sur les tables. Naturellement pour dormir sur les tables ici et un peu plus loin près de

la maison Bruegel, tu étais obligé de donner 5 francs belges.

et coupait les cordes. Tous ceux qui dormaient dessus tombaient par terre.

J’avais entendu dire que certains dormaient sur des « fils ».

Sur le quartier de la Samaritaine il y avait 9 cafés et 5 marchands de légumes et 2 revendeurs de charbon.

Oui le patron mettait des cordes à croiser. Les gens posaient leur tête dessus et alors ils dormaient et les petits pareil sur les genoux de leur mère. A 06h du matin, le patron venait avec un ciseau

On vendait des sacs de charbons dans le papier. Ici la porte (Rue du temple 14), c’était la fille de Catherine qui en vendait: pour 5 francs belges, tu avais un bon sac

rempli de charbon, soit des boulettes ou de l’anthracite. Maintenant, tout ça, c’est rénové. Et là c’est la sortie de l’Espace Samson, à côté tu avais un bistrot « chez Carbure », c’est la famille de mon copain qui habite au 48, Edouard Dobs. Qu’est-ce qu’on buvait « chez Carbure » ? Louis-Jean : De la bière, du



café. De ce côté-ci, c’était calme. Allez, la rue de la Samaritaine et Temple, c’était plus calme que la rue des Chandeliers. Parce que rue des Chandeliers par où on va redescendre tantôt, c’était de la bagarre, rien que de la bagarre et encore de la bagarre. Des gens qui étaient ronds et qui se battaient contre les choses. Mais avant ceux des Marolles venaient par ici se battre contre nous. La semaine d’après, nous, on était là-bas. On allait même jusqu’à Molenbeek-Saint-Jean pour se battre. Et pourquoi vous vous battiez ? Louis-Jean : Pour notre plaisir. Après on partait boire un verre tous ensemble.

Je me suis marié le 25 octobre 1980. Celui qui a fait mon mariage, c’est Michel Demaret. Tu le retrouves à la Petite Maison et dans le Brol, sur le dos d’un éléphant. Lorenzo c’est le propriétaire du 34 rue de la Samaritaine. Tout ça est rénové. Mais si tu ouvres la porte du 34, tu ne peux plus rentrée là-bas hein, parce que le propriétaire, il veut pas. Il y avait le corridor avec des chambres garnies là-bas et puis tu rentrais sur la cour. Tu montais les escaliers, tu avais un petit jardin. Et tu avais encore deux petites maisons derrière. Mais le propriétaire il ne veut plus que tu rentres.

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Louis-Jean : Le logement social je l’ai eu en 1989 – mais c’est très difficile d’avoir un logement parce qu’il faut un certificat de bonne vie et mœurs et si tu as fait de la prison c’est très difficile d’avoir un logement– moi j’ai été à cause d’une bagarre avec le fils de ma femme. Lui voulait me casser une télé sur ma tête, elle était déjà cassée. Et dans la bagarre, je lui ai pris la gorge. Son avocat m’a demandé « Monsieur tu sais ce que tu as fait, J’ai dit non, d’abord lui il était déjà agressif et moi aussi si tu me fâches je deviens agressif » « Moi de ce jour je ne me rappelle rien du tout ». Je suis allé au tribunal, à la salle des pas perdus. Naturellement, quand nous sommes passés tous les deux au tribunal, il y a avait deux gendarmes de mon côté et de

son côté pour ne pas qu’on se bagarre. Wourtel et Merksplas c’étaient les destinations pour les gens qui vivaient dans la rue. On était obligé d’aller au contrôle de police tous les mois, chez Mr Wellens. Et si on y allait pas, le lundi matin il arrivait en camionnette et « oupsla tabernacle ! » dans la camionnette direction Merksplas Moi je vais te le dire, j’ai été avec le père de Johnny Halliday à Merksplas. Pour sortir de Merksplas il fallait fabriquer 1800 francs belges de palettes en bois. Il fallait à peu près deux à trois semaines pour le faire. Mais comme il y avait beaucoup de bistrots chez nous dans le quartier, on


sortait de Merksplas et boum on buvait et tout et le lundi d’après on était de « retour partie ! ». Parce que Johnny Halliday, c’était pas son vrai nom, son vrai nom c’est Jean-Philippe Smet. Son père c’est Léon Smet il a fait tout le bordel ici Rue Aarschot près de la gare du Nord... Mais quoi il dormait dans la rue le père de Johnny Halliday ?


Mais non parce qu’il a toujours travaillé avant. Il travaillait à la Taverne du Passage, Galerie de la Reine. Johnny n’envoyait jamais d’argent à son père c’est Sylvie Vartan qui envoyait. A la fin le père de Johnny Halliday il est allé au service social du CPAS Rue Haute, et il a demandé au CPAS « tu peux pas m’aider parce que je suis sans appartement, sans rien du tout ». Le père de Johnny Halliday il est mort entre la rue des Fleuristes et la rue des Tanneurs, juste en face où on mange au Poverello, là. Il est mort sur une palette !

Sur une palette ! Il avait trop bu ? Non il s’est laissé aller ! Parce que le CPAS, il a toujours dit, « toi tu reçois rien de nous parce que c’est quand même rien que pour boire ». //////////

Ici on a commencé en 1969 le Centre médical, au 51 de la rue Samaritaine, il y avait une petite salle d’attente. Là, on a créé la communauté de la Samaritaine avec Armand Van Eck, moi, Jean Paul Carton, mon père, mon deuxième père et ma mère. C’était un quartier de gens qui étaient tuberculeux. C’est une maladie, c’est une tâche sur les poumons. Ca peut aller si tu te soignes mais sinon tu peux mourir. Pourquoi les gens étaient tuberculeux ?

C’était à cause de la boisson et des maisons qui étaient trop humides. Avant ici il y avait l’Armée du Salut, il y avait ici les docteurs Véronique Du Parc, Geneviève Oldenhove, Véronique Morale, elles ont toutes travaillées avec nous. Tu vois je me suis battu pour le droit de santé, je me suis battu pour mon copain Jean-Paul Carton qui vivait dans mon appartement. Moi je vivais avant au 1er étage rue de la Samaritaine avec ma femme. Et le médecin



de quartier il l’a trouvé mort sur un matelas autour du poêle. Parce que lui dans sa chambre, c’est comme chez moi, c’est trop humide et le froid il vient de la cour. Mais maintenant les appartements ils sont salubres non ? Attention il y a encore plein d’appartement cachés, qui sont insalubres. Et le vrai propriétaire de la maison il profite de ça.

Que c’est-il passé ici rue de la Samaritaine, il y a eu des luttes ? En 1978, le bourgmestre Van Halteren avait déjà fait fermer beaucoup de maisons ici. En 1989, c’est moi qui ai dit « maintenant stop » contre Brouhon. J’ai noté tous les numéros des maisons que donnait Brouhon, et qui devaient être fermées le lundi matin. J’ai donné la liste avec les numéros à Geneviève

Oldenhove. J’ai parlé aux gens et je leur ai dit, si il y a un prémice vous dormez dans la rue. Je suis parti pour le mouvement ATD Quart Monde. C’est un mouvement créé par un prêtre polonais Joseph Wresinski, qui disait que les gens avaient pas besoin de nourriture ou de couvertures mais d’une bibliothèque de rue, d’une école, d’une église. Moi, je suis parti à Rome en 1989 comme représentant du groupe belge et quand on

est revenu ici c’était plein de matelas. C’est marqué clairement dans le petit livre sur la Samaritaine, M. L, il avait bien compris ses oreilles. C’était dans le temps du bourgmestre Brouhon. C’était en 1989, le 18 juillet, ça a duré un mois. En 1991, on a refait l’opération matelas, pour les infirmières de quartier. A ce moment là le directeur du CPAS c’était



Talon, et moi je lui ai dit : « Si tu veux que les infirmières elles restent tu le marques par écrit ». Il était obligé de m’envoyer une lettre avec le nom, la date, quand il l’avait envoyé la lettre. Dans ce temps-là c’était Michel Demaret le bourgmestre. Et cela a duré 50 jours. Et maintenant ça marche le Comité de la Samaritaine?

Ben oui hein, il y a des gens qui viennent de la ville et tout ça et surtout des gens comme moi et Patrick, on vient tous les jours manger ici. Pour le prix qu’on paye ! 2,20€ avec le potage. Paraît qu’il y a une plaque ici qui commémore la bataille des matelas ? Tu parles de la peinture ?

Elle est dans le comité de la Samaritaine //////////



Qu’est-ce qui s’est transformé selon toi dans les Marolles? Louis-Jean : Les bâtiments. Ca m’emmerde un peu parce qu’il y a beaucoup de gens qui demandent des logements sociaux. On ballote les gens d’un côté à l’autre et cela ne me plait pas. On doit être bien avec les étrangers et les français ou n’importe quoi, on doit rester solidaire. Et quoi tu trouves qu’il n’y a plus de solidarité ici ?

Louis-Jean : Non, entre nous et les jeunes, je vais avoir 64 ans, ils n’ont plus de respect, ni nous ni eux. Moi je le comprends les jeunes. Je suis un enfant des rues. Il aurait besoin de quoi les gens dans le quartier aujourd’hui ? Louis- Jean : Quand tu donnes une bibliothèque à un gamin, il fait pas faire de bêtises dans le quartier.



Donc il leur faut une meilleure éducation ? Louis- Jean : De notre jours, on peut plus s’en passer. On a vaincu et maintenant c’est aux jeunes de récupérer ce qu’on a fait avant.




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