Venise 2012

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Venise du 1er au 4 avril 2012


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Sommaire Sensations premières

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Le berceau, la lagune

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Histoire Premiers temps et Haut Moyen Äge

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Naissance de la République de Venise

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La 4ème croisade

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Organisation et expansion

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Venise, triomphante et menacée

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Venise, puissance terrestre, convoitée et cernée

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La bataille de Lépante contre les ottomans

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… et Venise s’épuise

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L’ivresse de la décadence au 18ème siècle

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Des ors et des fêtes

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La Fenice

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Fin de la République

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Venise à l’Italie

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Burano et Murano

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L’Ospedale di Mendicati

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Le Ghetto

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L’Accademia

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Place St-Marc et tutti quanti

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Ponts, ruelles, canaux et lagune

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Sonnettes et sornettes

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Annexe L’eau de consommation

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Les eaux usées

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Construire sur la lagune

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La gondole

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La vie quotidienne par les canaux

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L’Arsenal

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res Sensa ons premiè Le silence des ruelles et des bords de canaux frappe d’abord, au moins tant qu’on évite la fourmilière de la place St-Marc ; tout passe par l’eau. Mais aussi le pas des piétons et les voix qui résonnent et rebondissent entre les murs pieds dans l’eau et la surface des canaux. Que dire de cette ville sur l’eau ? Sa configuration vue du ciel fait pour certains penser à un poisson maladroitement dessiné. Avec le méandre du Grand Canal qui s’enroule un peu sur lui-même, on peut y voir les circonvolutions d’un puissant cerveau, ou bien un vigoureux fœtus prêt à naître dans une gloire triomphante. Le parti pris du fil conducteur est celui de l’histoire d’une part, et d’une sommaire description des seuls quartiers que nous avons visités d’autre part, plutôt par exemple que celui de l’art ou de l’architecture. Un parallèle peut être fait avec l’histoire de l’Arsenal de Venise à partir de sa création, levier d’expansion extraordinaire de la Sérénissime. e, bienheureuseprécaire et inconfortabl uge ref n d’u é, um rés En ident et orient, ence naturelle entre occ ment placé à la conflu dirigeants en génie commercial de ses le et ue itiq pol nce l’intellige celui-ci au connde, quand on limitait mo du nce ssa pui re ont fait la premiè Orient. tinent Europe—Moyen du monde tout court au du Nouveau Monde et e ert ouv déc la à qu’ Jus glas économique. omanes, en sonne le ott ons asi inv les ème c siècle 16ème, qui, ave sort ensuite dès le 17 res ne règ g lon au nce ssa pui te cet Mais de s dans lesquels Venise ire des fêtes et des art avec plus d’éclat la glo gie. sombrer dans la nostal ris’enivre pour éviter de , elle appartient au pat intact mais bien fragile ore enc au joy hui rd’ ins Aujou et la patine des semelle 1987) et subit l’usure moine mondial (depuis nde entier, ébahis. s d’ envahisseurs du mo lion mil 12 des s ble nombra ntès, des papes l’histoire Bayard, Cerva de s oin rec aux ise le Et l’on y cro et Casanova, la dentel r ghetto, Marco Polo mie pre t tou le x, ieu ambit utres choses... d’Alençon et bien d’a


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ne Le berceau, la lagu Genèse puis ensablement La position au fond de l’Adriatique, longue langue de mer en cul-de-sac, peu ouverte vers la pleine Méditerranée au sud avec l’étroit détroit d’Otrante au talon de la botte, la très lente dénivellation du fond marin (pas plus de 1mm/m jusqu’à 30 km au large), et l’effet des marées refoulant les alluvions ont formé le cordon littoral appelé lido, dont la longueur totale est ici de 50 km. Le delta du Pô qui traverse d’ouest en est le nord italien depuis les Alpes occidentales, et l’Adige qui se déverse directement depuis les proches Apennins au nord ainsi que d’autres plus petits fleuves (Piave, Brenta, Sile,…) et torrents ont créé cette immense région de lagunes dont on aperçoit les méandres en avion. Cette lagune occupe 550 km². D’où, avec l’accumulation progressive des limons, la création lente d’îlots et de digues naturelles en méandres sinueux et enchevêtrés. VENISE Les limons très fertiles des zones marécageuses étaient aussi initialement fixés par des plantes aquatiques et des algues à longues racines, qui maintenaient les sols et empêchaient l’érosion par les marées. Marées qui elles-mêmes venaient buter contre le lido.

Désensablement et érosion Au cours des siècles, la lagune commence à se désensabler du fait de la réduction des apports d’alluvions, des évolutions naturelles comme le détournement vers le sud du delta du Pô, mais aussi à cause des déviations entreprises par l’homme du cours des petits fleuves, principalement pendant la république de Venise. Aujourd’hui, le pompage de la nappe phréatique (affaissement de 20 cm des fonds), l’effet des phosphates et des nitrates (de nouvelles algues aux racines courtes ne sont plus en mesure de retenir les limons), l’érosion due aux vibrations des embarcations qui parcourent les canaux, érodent encore la lagune qui continue de se désensabler : depuis un siècle, 60 millions de tonnes de sable sont partis en mer. L’évolution de la lagune reste donc incertaine, son équilibre actuel très précaire est difficile à maintenir, malgré les travaux de renforcement des lidos et leur fermeture partielle, le curage régulier des canaux, le projet MOSE de mise en œuvre d’un système de protection contre l’érosion des marées.


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ne Le berceau, la lagu Et quand ici et là le sol s’affaisse, la verticalité des clochers s’en trouve affectée. On le constate nettement dans Venise (l’église des Grecs à gauche), et sur l’île de Burano. La lagune est aussi sujette à de grandes variations du niveau de l’eau, la plus visible de toutes (surtout en période automnale et printanière) provoque des phénomènes appelé l'acqua alta(« haute eau »), qui inonde périodiquement les îles les plus basses, ou l'acqua bassa (« eau basse »), qui rend impraticables cette fois les canaux moins profonds, et livre au regard les fonds nauséabonds et encombrés, tout de boue noirâtre, comme une vieille diva dont coule le rimmel, hideux corps découvert. Pour faciliter la navigation, les chenaux les plus profonds sont signalés par des Duc-d'Albe ou « bricole », terme italien désignant une structure formée de trois piliers liés entre eux et enfoncés le long des canaux pour indiquer la voie navigable. Ici, un bateau ambulance longe l’un de ces canaux balisés. Souvent, ces sortes de pieux de bois sont rongés jusqu’au moignon par l’eau de mer polluée, comme ceux de cette petite plateforme à droite.


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Premiers temps e et Haut Moyen Äg

Pourquoi ce site ? Déjà assez fortement peuplé surtout par des pêcheurs à l’époque romaine sur certains îlots, la population en est chassée vers les 5ème et 6ème par des mouvements hydrographiques naturels. De sorte que les ostrogoths décrivent la lagune en 537-538 comme un paysage de roseaux et de vase, où quelques pêcheurs mènent une vie chiche et étriquée. Mais c’est d’abord l'invasion des Huns (Attila) puis justement celle des Ostrogoths en Italie (à droite, le royaume ostrogoth de Théodoric le Grand au 5ème siècle) qui rabattent les premiers réfugiés vers la lagune. Enfin l'arrivée en 568 des Lombards ou Langobards, ce peuple d’envahisseurs venu de Scandinavie méridionale et de la Baltique dès le 1er siècle dans le nord-est italien déclenche une migration massive vers le littoral et ses îlots, la population fuyant devant l'envahisseur. La carte ci-dessous donne la répartition des territoires de la péninsule entre lombards et byzantins au 6ème siècle. L’implantation est diffuse, éparpillée, mais parfois mieux ancrée comme à Torcello, aujourd’hui petite terre paisible d’entre canaux au nord de Venise, qui semble au bout du monde et de celui du trajet des vaporettos. Cette population, issue de la terre ferme, trouve dans la lagune une double protection du milieu marécageux, contre les chevaux des Barbares qui ne peuvent le franchir, et contre les bateaux à quilles des envahisseurs par la mer, que les hauts fonds enlisent. L'insécurité persistante empêche le retour des réfugiés vers la terre ferme ; des travaux d'aménagements durables sont entrepris. Rapidement s'élèvent de petites cités et des églises comme la basilique de la Vierge à Torcello, en 639. La superbe majesté romane (ou byzantine) du site, un peu gâchée par l’échafaudage de la restauration en cours du clocher, témoigne de ce passé du haut Moyen Âge. D'agricole (pêche, vignes, arboriculture, sel), l'économie se diversifie vers l'artisanat dès le 7ème (travail du verre, de la corne, puis du bronze) et vers le commerce.


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Naissance de la Ré

publique

de Venise

Et la ville naissante commence à jouer l’intermédiaire commercial entre l'Occident et l'Empire byzantin (héritier de l’Empire romain d’Orient). Par Torcello transitent les produits d'Orient (soieries de luxe, épices, métaux précieux) et ceux d'Europe de l'Ouest (sel, bois, esclaves). Après la disparition de l'Empire romain d'Occident en 476, les Byzantins assurent en effet la défense de l'Italie contre les Barbares. Mais dans le haut Moyen Âge, les Lombards les chassent de Ravenne de l’autre côté du delta du Pô. Menacée par d'autres ennemis, Byzance s'appuie de plus en plus sur la richesse et la puissance navale croissante de Venise qui progressivement d'un statut de sujétion passe à celui d'alliée. En fait, dès le 7ème, un magistrat byzantin, l'exarque de Ravenne, étend son pouvoir jusqu'à Venise. Au 8ème, Venise commence à concentrer les hommes et les richesses à Rialto, l’un des centres de la lagune.

Certains datent de cette époque en 727 le début de ce qui est appelé « la République maritime de Venise ». Là, le commerce maritime bénéficie d’un accostage relativement facile (Rialto = « rive haute »). La prééminence de Rialto est renforcée en 810 par l'installation du chef de Venise, le doge (duc) Angelo Participazio. Cette année-là, la ville résiste à Charlemagne, empereur mais aussi roi des Lombards. Un fait symbolique marque l'émancipation de Venise à l'égard de

Jusqu’au 19ème, le seul pont qui reliait les deux rives du Grand Canal (ils sont 4 aujourd’hui) est celui du Rialto d’abord construit de bois, qui s’effondre en 1444, mais est cependant reconstruit en bois avec en son centre une partie mobile, puis de pierre d’Istrie entre 1588 et 1591, sur lequel sont établies des boutiques. Haut lieu de visite touristique aujourd’hui. Byzance : en 828, saint Marc, un saint latin dont les prétendues reliques venaient d'être ramenées par deux marins ou marchands depuis Alexandrie, devient patron de la ville à la place de Théodore, le saint grec dont se réclament les byzantins.


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La 4ème croisade Dès le 11ème, Venise est déjà reconnue comme la plus grande puissance économique de Méditerranée et s’impose comme le principal intermédiaire commercial entre l'Orient, dominé par les cultures musulmane et byzantine, et le monde chrétien. Une position de presque monopole gagnée grâce à l’aide apportée par Venise à l'Empire byzantin dans ses guerres contre les peuplades slaves telles que les Bulgares. De fait, Venise a le véritable monopole du commerce des épices. Le 1er arsenal est construit en 1104, et Venise se donne ainsi le moyen de ses ambitions de conquête avec sa puissante flotte. Quand en 1171 l'empereur byzantin Manuel Ier fait saisir toutes les possessions des vénitiens sur son territoire pour redresser les finances de son empire, la réaction vénitienne est opportuniste et radicale. Venise est sollicitée par les croisés de la 4ème croisade pour acheminer leurs troupes (30 000 personnes!!) notamment vers l’Egypte. Redevables d’une quote-part de 85 000 ducats d’argent aux vénitiens, les croisés partent vers l’orient sur les vaisseaux de la République. Après bien des péripéties, Venise finit par convaincre les croisés, leurs débiteurs peu argentés, -arguant notamment que les catholiques orthodoxes sont aussi peu estimable que les musulmans-,… de détrôner l’empereur byzantin du moment, ce qui est fait au bout du 2ème assaut en 1204. La 4ème croisade est donc détournée de l'Égypte vers Constantinople, la capitale byzantine, qui est prise par les croisés. Cette victoire constitue un empire insulaire pour Venise avec la Crète, les Cyclades ou encore les îles Ioniennes.

à l’exception de tout ce Les quatre chevaux dorés qui ornent aujourd'hui Cette conquête s’accompagne, par les ugle ave n ctio tru des la de , la basilique Saint-Marc sont de belles copies. Les qui est or et argent digieux trésors de l’an- originaux, bien protégés à l’intérieur, provienpro et ux cie pré s plu des croisés umulés à Constantinople nent du pillage de l'ancienne Constantinople. tiquité grecque et latine acc dias, Praxitèle, ouPhi de es rbr ma e, tur éra (art, litt dore,…). vrages de Démosthène, Dio


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nsion Organisa on et expa Les marchands sont au pouvoir ; Marco Polo revient d’Asie en 1295. Dans la seconde moitié du 13ème, la population atteint 100 000 personnes (aujourd’hui 60 000), auxquels s’associent d’autres groupes, juifs dans le quarUn historien dit (en 1451) que le gouvernement vénitien prit pour idéal la République de Platon. De fait, il règne l’ordre mais aussi une relative équité entre les tier du Ghetto, allemands, classes (noblesse au pouvoir mesuré qui s’allie aux marchands, clergé s’acquittant albanais (juste en face sur de ses taxes et sous contrôle de l’Etat, le peuple rassemblé en professions très l’autre rive de l’Adriatique), grecs chassés par les turcs. surveillées, mais rarement pauvre). Le commerce est l’axe central de l’activité, Elle atteint le niveau de avec une tolérance entre les diverses religions qui finit par dégager ce laïcisme populations des autres implicite introduisant une distance par rapport à celles-ci. grandes villes occidentales comme Paris, Gand, Florence, Milan, Gênes… et se trouve donc à la tête de cet état indépendant appelé la République de Venise.

En 1172, un gouvernement d’oligarques (« de quelques-uns ») est créé, avec un Grand Conseil qui élit le doge à vie (« doge » vient de duce, duc). L’Eglise n’y est pas représentée (première expression de la séparation de l’église et de l’état). Après une grande crise en 1309 où Venise s’oppose au pape, une instance exécutive, le Conseil des Dix est créée en 1310 pour assurer notamment la protection du pouvoir. Cet équilibre des pouvoirs confère une forte stabilité qui explique la longévité de la République.

La très forte expansion démographique nécessite d’agrandir la ville, en apportant de la terre, en asséchant les sols, en enfonçant des milliers de piliers dans le sol sur lesquels sont construits jusqu’à la fin du 11ème d’abord des bâtiments de bois (hormis le palais des ducs et quelques églises). Après des incendies ravageurs, le bois le cède à la brique et à la pierre d’Istrie (dont le pont du Rialto) pour les soubassements car elle résiste à l’eau salée. Depuis l’origine, on considère que presque la moitié de la surface a été gagnée sur l’eau, avec son réseau de canaux autour du plus grand d’entre eux, le Grand Canal (un organisme est créé en 1224 pour entretenir les canaux), Pétrarque au 14ème l’appelle pour toutes ses raisons « la cité très miraculeuse ». La Cité s’organise dès 1169 en 6 quartiers (sestersi) symbolisés par les 6 dents à la proue des gondoles.


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te et menacée Venise, triomphan À partir du 13ème, les rives du Canal Grande sont construites de belles demeures, les casa des notables. Commines, chroniqueur et conseiller du roi de France Louis XI écrit : Venise est « la plus triomphante cité que j'ai jamais vue » et le Canal Grande « la plus belle rue que je croy qui soit en tout le monde et la mieux raisonnée ». Au 14ème, Venise et Gênes règnent sur le commerce de la Méditerranée. La puissance navale des Vénitiens s'appuie notamment sur ses galères. Elles sont mues grâce à leurs voiles carrées portées par deux ou trois mâts, et par temps calme par des rameurs (jusqu’à 200 pour les plus grandes, de vraies forteresses sur l’eau!!!) qui deviennent immédiatement des combattants dans les abordages et les éperonnages. En 1325, débutent des travaux d'agrandissement de l'Arsenal d'où sortent ces bateaux. Mais le 14ème éprouve Venise : une terrible épidémie de peste décime la moitié de la population en 1348, la lutte contre Gênes s’intensifie et depuis la terre ferme, les puissantes seigneuries de Padoue, Ferrare et Milan manifestent une hostilité grandissante. De plus, la montée en puissance des Turcs en Orient et la découverte de l'Amérique en 1492 déplacent le centre de gravité du commerce mondial de Venise vers l'Europe atlantique. Du 13ème au 15ème s’affrontent les deux puissantes républiques maritimes que sont Venise et Gênes, pour contrôler les routes d’orient (St Jean d’Acre en Syrie, le détroit des Dardanelles,…). Cette période se ponctue par la révélation de la montée ottomane et de sa puissance maritime avec Mehmed II qui conquiert Byzance en 1453. Gênes et Venise se replient alors, l’une sur la finance internationale, l’autre vers la conquête terrestre.


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e, contrse esni terr Ve ncede saue publisiq se,pu VeniRé voitée et cernée Au début du 16ème, grâce à son habileté politique et diplomatique (alliance avec Florence,…), son pouvoir commercial, sa force de guerre (recourant pour l’occasion à des mercenaires, condottieres,…qu’elle honore) et une remarquable administration, Venise devient l’une des premières puissances terrestres d’Europe, s’opposant alors par épisodes à Milan. Ses possessions sont nombreuses : une partie de la Lombardie, la majeure partie de la côte adriatique, beaucoup d’îles de la mer Egée, la Crète, Chypre, au nord jusqu’au lac de Garde, Ravenne et le pays de Romagne, mais aussi des comptoirs du Moyen Orient. La frontière de l’Adda (entre la république de Venise et le duché de Milan) reste ensuite stable pendant des décennies. Venise catholique reste très tolérante envers toutes les autres religions, est se trouve peu impliquée par exemple dans la Contre-Réforme. Sa puissance, son attitude indépendante et laïque (remarquable apport dans cette période) l’oppose naturellement aux Etats pontificaux, et au début du 16ème aux visées expansionnistes du pape Jules II (à gauche). Ce dernier crée la Ligue de Cambrai avec Louis XII de France (au entre) et Maximilien d’Autriche (à droite dit « grand pif » ; illustration probable des rejetons issus des mariages d’intérêt de la noblesse européenne et dont semblent exclus le sens de l’esthétique et la quête de la beauté,... mais bien sûr celle-ci est d’abord intérieure). La Ligue est repoussée par Venise en 1508, mais isole encore la Sérénissime. Elle est battue par une coalition plus large incluant Louis d’Aragon en 1508, puis par la France à Agnadel, non loin de Milan, le 14 mai 1509. Chez les Français s’illustre le chevalier Bayard. Machiavel a pu dire de cette ba-

taille qu'en un jour, les Vénitiens ont perdu ce qu'ils avaient mis 800 ans à arracher. Mais le pape renverse ensuite les alliances et se retourne contre les Français. Avec le doge de Venise et le roi d'Espagne, il crée cette fois une Sainte Ligue contre le roi Louis XII. En 1511, la Sainte Ligue (Angleterre, Espagne, Autriche, le Pape) obtient le retrait français ; mais les exigences autrichiennes envers Venise sont si élevées que celle-ci se rapproche de la France et de François 1er. Après d’autres péripéties, retournements, épisodes de cruauté, de saccages, de sièges épars, seule subsiste l’opposition entre Venise et Maximilien. A la fin des guerres d’Italie, Venise a certes consolidé ses territoires, mais se trouve encerclée par les puissances continentales : Espagne à Milan, Habsbourg au nord, Empire ottoman à l’est.


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nte contre les La bataille de Lépa e o'omans au 16èm Autour de l'année 1530, l'immense Empire Ottoman, sous le règne de Soliman le Magnifique, est à son apogée mais échoue devant Vienne. Cependant, l'Empire est établi depuis des années dans toute l'actuelle Grèce, en Macédoine, Bosnie, Serbie, Hongrie, l'actuelle Roumanie ; il s’étend jusqu’au Caucase, en Crimée, au sud de l'actuelle Ukraine, sans parler de toute l'Anatolie et de ses conquêtes plus récentes en Mésopotamie, Syrie, Egypte, et dans tout le nord du Maghreb... Face à lui, les deux derniers remparts sont la République de Venise (en rouge sur la carte ci-dessous) et le royaume des Deux-Siciles (ce dernier étant aux mains des espagnols). Selim II, fils et successeur de Soliman mort en 1566, n'est cependant pas aussi brillant que son père et laisse les affaires à son vizir, préférant une vie de débauche. Mais les raids des corsaires ottomans continuent à semer le désordre un peu partout, et l'esclavage est une fin courante pour les prisonniers des Turcs. Le 9 septembre 1570, une énorme flotte turque de 50 000 hommes et près de 360 navires prend Chypre que Venise perd. La conquête s'accompagne de massacres abominables. Intolérable pour l’Europe. Le pape Pie V lance alors une véritable croisade pour reconquérir Chypre et organise une coalition entre les états chrétiens faisant face aux turcs. L'alliance est concrétisée le 25 mai 1571 par la création d’une nouvelle Sainte Ligue regroupant en très large majorité les Habsbourg espagnols (royaume des Deux-Siciles), les vénitiens et les Etats Pontificaux de Rome, mais également les chevaliers de Malte, la république de Gênes ou encore le duché de Savoie. Une flotte de 30 000 hommes et plus de 200 navires est constituée, placée sous le commandement de Don Juan d'Autriche, demi-frère du roi d'Espagne Philippe II, et fils illégitime de feu Charles Quint. L'affrontement entre turcs et chrétiens a lieu au matin du 7 octobre 1571 : bataille maritime titanesque, comme on n'en avait plus vue depuis des siècles ; Ali Pacha commandant ottoman de la flotte est coincé, dos au golfe de Lépante ; la Sainte Ligue bloque toute sortie en faisant front depuis l'ouest.


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...et Venise s’épuise Rapidement, les navires fraîchement sortis des puissants arsenaux vénitiens font merveille au combat. La supériorité chrétienne ne fait aucun doute malgré un sous-effectif notable. Après de terribles canonnades, les galères turques se font éperonner, et les assauts se poursuivent à l'arme blanche. En début d'après-midi, le navire d'Ali Pacha est envahi : le commandant de la flotte ottomane est décapité, sa tête placée sur une pique. Les Turcs finissent par fuir. Le bilan est catastrophique pour l'Empire Ottoman : 30 000 morts, 8 000 prisonniers, la flotte détruite ou capturée aux trois quarts. Mais Venise paie un lourd tribut en hommes et se trouve contrainte de céder Chypre aux Turcs en mars 1573 pour pouvoir continuer à commercer avec eux. Malgré la victoire écrasante de la Sainte Ligue, aucun profit n'est tiré par le camp chrétien, sinon la certitude que désormais, l'Empire ottoman n'est plus invincible. Dans la bataille se distingue un espagnol de 24 nommée la Mar ans embarqué su quise. r la galère Après avoir fu i l'Espagne vrai semblablement suites qu'il enco pour échapper urt après avoir aux pourtué un homme un régiment d' en duel, il s'est infanterie espa enrôlé dans gnol, et, le 7 oc bataille de Lépa tobre 1571, il pa nte. Même fiév rticipe à la reux et faible, et reçoit trois il prend part au coups d'arqueb x combats, use : deux coup sième qui lui se s dans la poitri ctionne un nerf ne, un troide la main gauc incapable de s' he, le laissant en servir. Don in firme et Juan d'Autrich sa bravoure de e, récompense quatre ducats. (r oyalement) Il s’agit de Mig uel de Cervante Surnommé « le s. manchot de Lé pante », c'est de L'ingénieux ai ns i que le créate Hidalgo Don Qui ur chotte de la Man « pour la plus gr ch e perd sa main ga ande gloire de uche, la main droite », dira-t-il plus En 1575, retour tard. nant vers l’Esp agne, il est capt dont il reste ca uré par les barb ptif à Alger ju aresques, sq u’en 1580 où il gnols et regagn est racheté pa e son pays.. r les Espa-

Entre 1575 et 1577, une épidémie de choléra emporte 50 000 personnes sur une population vénitienne de 170 000 habitants. En 1618, Venise déjoue un complot espagnol de prise de la ville. En 1630, Venise alliée aux français s’oppose victorieusement à la prise de Mantoue par l’Espagne. Mais une épidémie de peste emporte là encore plus de 45 000 personnes, 50 ans après le choléra. Puis en 1669, les Turcs reprennent la Crète, et Venise qui a aussi perdu Chypre, sort exsangue de cette période malgré le soutien de la France et de Louis XIV vers la fin du 17ème.


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desnce au cate déan larv seetdeCe L’ivres... 18ème Entre 1500 et 1797, avec le déplacement des courants commerciaux, Venise entre en décadence politique et économique, même si par exemple l'Arsenal continue à étonner avec ses 2 000 ouvriers et son système de production intégré. La Sérénissime n'est plus le centre du monde. Les patriciens se sont détournés du négoce maritime. Ils ont acquis de grandes propriétés agricoles sur la terre ferme, dont ils font le seul secteur économique encore florissant. Venise abrite désormais une aristocratie de rentiers. Sa coûteuse neutralité armée la confine au rôle d’une puissance régionale, face à la montée des puissances étrangères. Surtout, les très conservateurs responsables de la ville décident avec trop de lenteur des réformes souhaitées par le négoce, qui est surtout détenue par l’aristocratie. Considérant comme parfait l’ordre politique et les institutions déjà anciennes, les gouverneurs s’opposent aux réformes dans un immobilisme complet qui confine à la paralysie. Longuement, avec une efficacité remarquable, Venise a accumulé les richesses (nombreux palais, jusqu’à 14 gondoles pour un patricien), qui la maintiennent encore prospère au 17ème siècle, économiquement peu productif. Sans les méconnaître, elle reste aussi à l’écart des grands bouleversements du 18ème et des sanglantes révolutions européennes. L’influence rationaliste du siècle des lumières et des encyclopédistes ouvre probablement aussi à ses très riches désoeuvrés de nouvelles ouvertures que la culture festive déjà ancestrale s’approprie dans une effervescence des esprits et des sens, dans la transgression des limites, dans de nouvelles dimensions de liberté qu’autorise une richesse qui paraît sans fond. Siècle du plaisir, du libertinage , riche de ses cafés, de ses théâtres, de ses casins (maisons de jeux, casinos), de la fête dans toutes ses variantes religieuses et laïques, de ses foires, de la création artistique, Venise s’étourdit et s’enivre dans les festivités, à longueur d’années et de décennies.

De célèbres artistes naissent à Venise ou s'y installent. Albrecht Dürer vient y consulter Giovanni Bellini de l'automne 1494 au printemps 1495. La peinture est représentée par Titien (1485-1576), la dynastie des Bellini, Le Tintoret et Véronèse (né à Vérone mais établi à Venise en 1556) puis plus tard Le Canaletto mort en 1768, les Tiepolo, Longhi, Guardi. L'architecte Andrea Palladio (1508-1580), originaire de Padoue mais installé à Venise, conçoit plusieurs demeures dans le style Renaissance. Le dynamisme touche aussi la musique avec des figures telles que Gabrieli, Monteverdi, Vivaldi et la littérature avec Apostolo Zeno, Goldoni, les frères Gozzi. Au 17ème, Venise héberge le physicien-astronome Galilée qui travaille sur la lunette d'approche et fait fabriquer ses lentilles d'optique à Murano.

Mais de fait, cette liberté des mœurs naît dès la Renaissance, où, en 1509, Venise compte 11650 courtisanes officielles parmi lesquelles celles de haut rang avaient de fameuses réputations, telle Veronica Franco (à gauche). À droite, un bal à Venise en 1580.


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s Des ors et des fête Autre témoignage des fêtes fameuses, à son retour de Pologne Henri III (de France) est reçu par la Sérénissime. Un témoin relate en 1574 : “Le dimanche, le prince fut convié à une fête donnée dans la salle du Grand

Conseil; il s’y rendit avec les ducs, le grand prieur et les seigneurs de sa suite. Deux cents patriciennes de grande beauté, toutes vêtues de blanc et de perles, couvertes de diamants, avaient pris place, adossées aux murs de la salle dont le milieu était resté vide… Le roi s’assit entre le doge, les ducs, les seigneurs et la seigneurie ; tout autour s’étalait cette corbeille de jolies femmes élégantes qui semblaient des choeurs de nymphes et de déesses. Avant de s’asseoir, le bon roi jeta un coup d’oeil sur ce magnifique ensemble, et, suivi d’une petite cour, s’avança vers les dames, qui se levèrent et lui firent la révérence. Sa Majesté leur rendit également leur salut. Puis peu à peu, deux à deux, groupe par groupe, au son de la musique, elles se mirent en danse en faisant des passes, chacun venant passer devant le roi”. Beau langage diplomatique ; on dit même qu’il eut une aventure avec Veronica Franco, mais que dire de ses mignons? Bisexuel probablement. Au 18ème, Tiepolo, Canaletto et bien d’autres peignent avec entrain la société qu’ils côtoient. e, cette fête traLe carnaval de Venis Goethe raconte qu’on y mène « une existence faremonte au Moyen ditionnelle italienne cile entre les plaisirs de la musique et ceux du 10ème siècle, il est Âge. Apparu vers le théâtre ». Vivaldi crée le concerto avec soliste, codifié » durant la institutionnalisé et « inspire même Bach dont il est de peu l’aîné, et se e période Renaissance. Après un trouve au sommet de sa gloire. ème siècle, il 20 d'éclipse au cours du L’expression littéraire bénéficie de la même liberforme actuelle, en est réapparu, sous sa té et le journalisme érudit, ouvert aux nouvelles 1979. idées explose. Goldoni trouve sa voie avec ses comédies réalistes inspirées de la Comedia dell’arte et de Molière, et Casanova le brillant aventurier, histrion séducteur publie en français son autobiographie « Histoire de ma vie », témoignant notamment de la vie à Venise en son temps. Et n’ayant pour seul regret que de été un grand auteur

n’avoir jamais littéraire. Ph. Sollers dans une vision assez extrême, siècle, Venise fut le bordel de l’Europe. On y venait de son corps ».

Etincelante décadence, sans que soit imaginable la chute. La ville vivante, saine (???), brillante sur le plan de l'esprit, reste culturellement triomphante. Le carnaval dure six mois de l'année. Tout est prétexte à festivités : théâtre, concerts, fêtes publiques, fêtes des saints patrons, anniversaires, baptêmes ou mariages, réception d'illustres étrangers. La fête de la Sensa au cours de laquelle le doge épouse symboliquement la mer marque surtout les visiteurs. C’est aussi l’époque où Venise inaugure les premiers théâtres publics d'opéra, et où chantent les fameux castrats à la Fenice.

en dit : « au 18ème pour savoir se servir


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La Fenice En 1789, le théâtre San Benedetto du quartier de San Marco de Venise brûle et la noblesse de la ville décide de faire construire une nouvelle salle, qui est inaugurée le 16 mai 1792. Appelé La Fenice (le phoenix en français, dont on sait qu’il renaît de ses cendres, titre prémonitoire que son histoire confirme étonnamment), ce haut-lieu des cultures italienne et européenne acquiert une grande renommée et présente des opéras, des pièces de théâtre, des ballets et des concerts de musique classique. En 1832, le théâtre est détruit par les flammes et reconstruit à l'identique en 1836. Dès 1844, Giuseppe Verdi y crée Hernani suivi de Attila, Rigoletto, La Traviata et Simon Boccanegra. En 1996, alors que le théâtre est l'une des références mondiales de l'art lyrique, il est à nouveau détruit, le 29 janvier, cette fois par un incendie criminel. La ville de Venise, aidée par l'État italien, par l’Unesco et par d'importantes donations du monde entier, fait reconstruire pour la troisième fois le théâtre à l'identique — « com'era e dov'era » (comme il était et où il était) — de son état d'origine, après 8 ans de travaux et un coût de 60 M€. Seules les tonalités de couleur (les couleurs initiales n’avaient pas plu) sont améliorées et l’on modernise à cette occasion la machinerie de la scène et de la fosse d’orchestre. Il est inauguré le 12 novembre 2003 avec La Traviata de Giuseppe Verdi, mise en scène par Robert Carsen. La loge centrale face à la scène est d’un raffinement et d’un luxe exceptionnels.


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Fin de la République Un recensement compte 149 500 Vénitiens en 1760. Au 18ème Venise se compose de la Vénétie, du Frioul, de l'Istrie, la Dalmatie, Kotor, une partie de la Lombardie et des Îles Ioniennes. La prise de Venise par Bonaparte, qui démet le 120ème et dernier Doge Ludovic Manin au terme de la campagne d'Italie, traduit l'effacement politique de Venise. Venise avait été le seul territoire italien à ne jamais avoir été occupé.

Après 1 070 ans d'indépendance, le 12 mai 1797 la ville se rend à Napoléon Bonaparte. C'est la fin de l'indépendance et de la glorieuse République de Venise.

Les Français emportent le tableau les Noces de Cana, de Véronèse ainsi que le quadrige de chevaux de bronze. La flotte commerciale est confisquée et envoyée en France, le Bucentaure (un fameux bateau amiral qui portait le nom de ce centaure dont le corps dans la mythologie grecque est celui d’un taureau et non d’un cheval), véritable œuvre d'art, est brûlé pour en récupérer l'or et soutenir l'effort de guerre napoléonien. Mais après avoir envahi la Vénétie, en échange de la Belgique Bonaparte l’abandonne à l’Autriche par le traité de Campoformio le 17 octobre 1797 (avec d’autres régions comme le Frioul, l’Istrie,…). A l’été 1798, les Autrichiens entrent dans Venise et l'empereur François II d'Habsbourg-Lorraine rassemble la Vénétie et le Frioul pour former la Province Vénitienne d'Autriche. Les retombées en termes de poids économique et politique sur la ville sont considérables. Cette domination est interrompue entre 1806 et 1814 par une ultime installation des Français.


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Venise à l’Italie Après le retour à l'Autriche qui, à l'issue du congrès de Vienne, crée le royaume lombard-vénitien, la montée du sentiment national proitalien culmine avec à Venise la mise en place de la République de Saint -Marc lors des mouvements révolutionnaires des années 18471849 conduite par Daniele Manin (quel lien avec le dernier Doge?). Mais l’Autriche reprend le dessus le 22 juillet 1849 et Venise (re) tombe. Même l’armistice du 20 juillet 1859 qui met fin à la 2ème guerre d’indépendance italienne laisse Venise aux mains des autrichiens. Après les poussées garibaldiennes aux maintes péripéties qui conduisent à l’unification du royaume italien le 17 mars 1861, Venise, indépendante pendant plus d’un millénaire est - paradoxe de l’histoire - l’un des derniers états sous le joug autrichien à être libéré, mais un peu contrainte d’accepter son rattachement au jeune royaume. Les Vénitiens votent cette annexion. Il faudra donc attendre août 1866 pour que Venise soit rattachée au Royaume d’Italie. La Vénétie constitue une des régions de fortes émigrations ; on estime à 4 millions le nombre de personnes qui la quittent de 1876 à 1915. Puis Venise perd aussi son insularité : entre 1841 et 1846 (1er train), un pont ferroviaire est construit jusqu'au Rialto puis une liaison routière. L'ouverture du canal de Suez en 1869 apporte une prospérité nouvelle. Venise devint le port favori des administrateurs coloniaux et des riches voyageurs européens en route vers l'Orient. La mode des bains de mer, l'engouement de la haute société et la création de la Biennale attirent à Venise des artistes de premier plan. En 1932 a lieu le premier festival du film de Venise. Lors de la Première Guerre mondiale, l'Italie déclare la guerre à l'Autriche-Hongrie en mai 1915. Le territoire terrestre de la Vénétie est dévasté, l'agriculture anéantie pour des années, mais la Sérénissime sanctuarisée. Le progressif développement d'un tourisme d'élite, une industrialisation de la lagune (au-delà des verreries de Murano) explosent après 1950. Dans la seconde moitié du 20ème, les Vénitiens prennent conscience des dangers que font peser ces évolutions de leur cité. La pollution atmosphérique attaque les vénérables monuments. La pollution aquatique menace la faune. Pour beaucoup, la lagune est considérée morte. L'inquiétude est à son comble quand en 1966, Venise subit une grande inondation qui alerte les autorités (il y aura 2m d'eau sur la place Saint-Marc ).

« L'image d'une cité en train de sombrer fait partie intégrante de l'imaginaire de cette cité également associée au romantisme amoureux : amarrée depuis quinze siècles dans les vases de sa lagune à l'abri d'un frêle cordon littoral, la fabuleuse cité vénitienne chancelle sous l'effet des marées de l'Adriatique et des poisons de la pollution industrielle... Accablée d'ans et de maux, de palais et de touristes, cette ancienne « république sérénissime » est aujourd'hui à la recherche d'un improbable salut. »


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Burano et Murano Burano

N

Murano

Venise

Burano est située au nord de la lagune de Venise, au nordest de Murano. Malgré ses 3 000 habitants, elle n'est qu'un simple bourg de Venise, à la différence de Torcello ou de Murano, qui portent le titre de villes de la Vénétie. Burano, probablement habitée pour la première fois à l'époque romaine, est une localité de pêcheurs, qui demeure indépendante jusqu'en 1923, date à laquelle elle est

rattachée à Venise. Le village est surtout réputé pour ses petites maisons aux couleurs vives. À l'origine, les pêcheurs les peignaient ainsi pour se repérer et reconnaître leur maison dans la brume, dans cette région où il est particulièrement dense en hiver. Aujourd'hui encore, mais plus pour la couleur locale que par nécessité, les habitants ont l'obligation de repeindre leur maison une fois par an de cette même couleur. Une palette exceptionnelle, et le plaisir chatoyant de ce patchwork cubique, captivant pour les touristes.


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Burano et Murano Ce n’est que vers le milieu du 16ème que naît à Burano la dentelle à l’aiguille. À l'époque, les femmes brodent au coin du feu, lors des longues soirées d'hiver en écoutant les récits des marins-pêcheurs qui reviennent de longs voyages en mer. La dentelle devient ainsi la spécialité de Burano et apporte la prospérité à l'île. Les ouvrages très raffinés rencontrent un succès croissant auprès des princes, nobles et riches bourgeois d’Europe. Ainsi l'île a produit aux 15ème et 16ème les plus belles dentelles d'Europe. Au 17ème, le roi de France Louis XIV interdit leur importation et crée, pour tenter de les concurrencer, la manufacture royale des « Poincts de France » (des dentelles françaises), en particulier à Alençon. C’est ainsi que se crée en France le « point d’Alençon » et les fameuses dentelles de cette ville, par opposition au « point de Venise » (de Burano en fait), Aujourd'hui quelques dentelières travaillent encore à Burano dans la grande tradition. Mais comme il faut 3 ans pour réaliser une nappe, là comme ailleurs les pièces abordables viennent maintenant le plus souvent de Hong Kong ou de Chine. Avec une tradition verrière qui remonterait au 6ème, et des premières créations qui dateraient de 982, Venise développe l’art de la verrerie et des glaces. Mais en 1201 (d’autres disent en 1291), le Sénat de Venise rédige un décret qui oblige les verriers de Venise à installer leurs fours sur l'île de Murano. Ces fours sont en effet de plus en plus à l’origine d’incendies dans Venise, alors beaucoup construite d’habitations de bois. C’est aussi déjà l’occasion d’isoler le secret des fabrications en concentrant les verriers en un seul endroit. Il subsiste aujourd'hui encore une centaine de ces fours (« fornace » en italien, proche de « furnace » en anglais). Chaque verrier conserve jalousement ses secrets transmis de père en fils. La production du verre était très réglementée, par exemple pour l'obtention des licences des maîtres-verriers, pour le nombre d'ouvriers employés, jusqu’au calendrier d’usage des fours (congé annuel de mi-août à mi-janvier) afin de mieux contrôler les prix.


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Murano La notoriété des productions de Murano s’étend jusqu’à l’Europe entière et même Constantinople. Les souverains de passage à Venise viennent y admirer et choisir leurs commandes. Au point qu’en 1275, pour protéger le savoir-faire, l'exportation du verre brut ainsi que des matières qui le composent, mais également celle du verre cassé, est interdite par le Sénat vénitien. Aux 15ème et 16ème, les familles de verriers Barovier et Ballarin jouissent d’une gloire extraordinaire. Connu à la cour de France sous le nom du “marchand vénitien”, Ballarin fournit ses splendides coupes de cristal au roi François Ier. Les chefs-d’œuvre créés pour les noces de son fils et futur roi Henri II avec Catherine de Médicis le 28 octobre 1533 furent particulièrement appréciés (ci-dessus à droite deux œuvres du Colbert en voyage là en 15ème). 1671 en disait : « J'ai été

aujourd'hui à Murano, qui Malgré les tensions de Venise avec l’empire ottoman, dans est une petite ville sépala seule année 1590 la commande turque s’élève à 900 rée d'environ un mille de pièces environ. Venise, où l'on fait toutes les glaces et toutes les Quand Louis XIV, encore lui, réussit à débaucher quelques verreries qui se font dans verriers de Murano pour les amener en France, le Conseil ce pays-ci. des Dix de la République de Venise va jusqu'à payer des J'y ai vu travailler aux sbires pour tuer les ouvriers transfuges qui refuseglaces ; les ouvriers qui raient de rentrer à Murano. Ceux d’entre eux qui trales font sont plus adroits hissaient le secret de fabrication pouvaient avoir la et plus habiles que ceux main tranchée. que nous avons vus en France. Je n'ai pourtant La ville tente aujourd’hui pas vu faire de plus de marquer sa tradition grandes glaces ; mais ce verrière avec des que j'y ai pu remarquer œuvres modernes plus ou m'a fait comprendre aisémoins réussies, comme ment de quelle sorte il se cette explosion bleue ou faut prendre à cette nace brasier écarlate dont ture de travail. » il n’est pas sûr qu’on en veuille même comme lampe de chevet.


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Murano

Aux palais, s’ajoutaient aussi sur cette île les « casins », lieux de plaisir mais aussi, plus tard, de jeux d'argent. Casin a donné naissance au mot casino. C'est ainsi là, dans le casin de Monsieur de Bernis, cardinal, mais aussi libertin et futur académicien, alors ambassadeur de France pour Louis XIV à Venise, que Casanova à 28 ans (fallait-il qu’avec un physique pareil, son art de la séduction ait été remarquable!!) partage avec le cardinal sa maîtresse « MM » (Marina Morosini), 23 ans, riche fille d’aristocrates dont on dit même qu’elle est héritière d’une famille de Doges, mais néanmoins nonne à Murano. L'île compte aussi de nombreux palais au 18ème, illustration de la réussite des verriers. Mais ils sont sauvagement détruits par Napoléon Bonaparte lors de son occupation de Venise en 1797. Pour le petit caporal si les Pyramides sont dignes de lui, il piétine sans vergogne (mot d’origine italien qui signifie « honte ») la culture vénitienne ; et c’est ainsi que l’on voit le petit caporal régresser en nabot. Un certain déclin se fait jour quand la Bohême commence à créer ses propres œuvres, à partir de verre d’une plus grande pureté, et avec des techniques de la taille et de la gravure plus performantes. Mais aujourd’hui, à Murano comme ailleurs, certains producteurs se réorientent vers des produits bon marché demandés par la masse des touristes ; avec la menace de la copie chinoise et des contrefaçons. Retour à Venise, au nord : l’église Ste-Marie et St-Donat (7ème siècle pour le 1er édifice) est un magnifique exemple d’architecture vénéto-byzantine, comme on en retrouve aussi sous une forme plus dépouillée, plus modeste, mais tout aussi majestueuse à Torcello.


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dican L’Ospedale di Men Dès les 12ème et 13ème, les premières institutions caritatives accueillent à Venise les pauvres, principalement des pèlerins de Terre Sainte parfois lépreux, mais les éloignent prudemment sur l’île de San Lazzaro en 1262. Malgré la disparition de la lèpre, dans les années 1520, de nombreux nécessiteux affluent vers les villes et Venise notamment, chassés par les guerres, les épidémies, les famines. A la suite du Concile de Trente, des ospedali sont créés pour les accueillir et les instruire. Ce sont surtout des indigents, d’anciennes prostituées, des hérétiques (?), des jeunes filles pauvres, des enfants abandonnés, des malades souffrant de maladies vénériennes, de la gale, des soldats démobilisés, d’anciens galériens…

le début à sa concepdeurs. Outre la séparation

En 1599 est décidée la construction d’un grand ospedale sur une zone marécageuse assainie en 1590 située au nord de Venise. Vite exigu, il est complété et remplacé par un édifice nouveau dont la construction prend 30 ans pour s’achever en 1631, sauf la façade de l’église dressée en 1673. Les gouverneurs de l’ospedale sont associés dès tion en tant que décides hommes et des femmes, il est tenu compte de la lutte contre les épidémies en séparant les différents types de maladie, et en s’inspirant de l’architecture monastique organisant la vie autour de deux cloîtres. Dès le début, l’instruction comporte aussi un enseignement musical. L’école de musique démarre de 1620 à 1630 et la conception de l’église, par son excellente acoustique et son isolement sonore par rapport aux bruits des canaux voisins, tient compte de cette activité. Les chœurs deviennent très célèbres, notamment au 18ème avec les compositions de Vivaldi qui en est l’un de ses plus éminents professeurs.


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Le Ghe'o La première mention d'une présence juive à Venise date de 1090, alors probablement, des marchands juifs originaires d'Allemagne ou du Proche-Orient. Ils sont cependant relégués dans l'île voisine de Spinalunga (aujourd’hui la Giudecca). En 1366, ils sont autorisés à demeurer dans Venise, sauf les prêteurs d'argent, qui sont cantonnés à Mestre, sur le continent. Ils sont astreints (déjà) à porter un signe distinctif sur leurs vêtements : un cercle jaune, ou rouelle, qui sera remplacé un siècle plus tard par un béret ou un chapeau jaune (le jaune est la couleur infâmante du crime et de la folie!) puis en 1500 par un chapeau rouge. Il leur est interdit de posséder des biens fonciers, et de puiser de l’eau ailleurs que dans le territoire qui leur est assigné. Les prêcheurs antisémites - dont le plus célèbre est le franciscain Bernardino da Feltre - suscitent l'hostilité populaire contre eux. Cependant, dans une Europe où les Juifs sont partout pourchassés et exclus, Venise apparaît comme un havre de paix relatif. C'est ainsi qu'après l'expulsion des Juifs d'Espagne (1492) et du Portugal (1497) un grand nombre d'exilés y trouvent refuge. En mars 1516, les Juifs originaires d'Allemagne et d'Italie, principalement ashkénazes, sont relégués dans le quartier dit de geto nuovo (geto signifie l’endroit où sont déposées les scories de fonderies, en l’occurrence celle de canons) : c'est le premier cas de ségrégation physique des Juifs. En 1541, les raphe ghetto (ce sera son orthog Juifs d'origine orientale, sépharades, sont à leur tour relégués Le mot l'histoire. Cermoderne) entre ainsi dans dans le quartier de " la vieille fonderie " (geto vecchio), et en ster un gètes disent qu’il peut exi 1633 l'ensemble est complété avec la création du geto nuovis- tains exé sio o (fu n de jeu de mot entre l’’italien get simo destiné aux Juifs d'origine occidentale. ue « ghet » qui Le ghetto se trouve dans l’actuel quartier Canareggio, du nom du canal secondaire mais néanmoins important qui le traverse.

fonderie) et le mot talmudiq -séparation de la signifie séparation : fusion quartier. communauté au sein de ce


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Le Ghe'o Chaque soir on fermait les portes du ghetto. Aucun juif ne devait plus circuler dans le reste de la ville ; ...comme cependant en ce temps pour d’autres communautés en pays étranger (ainsi les vénitiens à Alexandrie,…). Les juifs jouent un rôle important dans les affaires de la République vénitienne, grâce aux liens qu'ils entretiennent avec d'autres communautés juives, contribuant à l'expansion économique et commerciale de la ville. Les autorités leur accordent une certaine protection dans les périodes de crise. De fait, leur nombre passe de 1300 en 1152 à 4 800 en 1655. A cette époque sont édifiées les grandes et magnifiques synagogues du ghetto. Les imprimeurs produisent de remarquables ouvrages, ses artistes et ses intellectuels sont renommés sur tout le continent. Le confinement dans ce quartier, et la croissance de sa population conduisent la communauté à construire des bâtiments en hauteur, plus que partout ailleurs dans Venise, et cela dès le Moyen Âge. C’est ainsi que le ghetto est appelé aujourd’hui « le petit Manhattan », toutes proportions gardées puisque les plus hauts des bâtiments n’excèdent pas 7 à 8 étages. Le déclin commence au 18ème. Le poids des impôts, les revers de fortune des armateurs, l'attraction exercée par la ville de Livourne, réduisent les fortunes des Juifs de Venise En 1766, on n'en compte plus que 1 700. Les discriminations dont ils sont l'objet affectent considérablement leur position sociale : la plupart font désormais office de fripiers. En 1797, quand Napoléon occupe Venise, il abolit (et le petit caporal grandit) les réglementations antijuives et fait brûler symboliquement les portes du ghetto. L'émancipation légale des Juifs vénitiens sera remise en question sous la domination autrichienne, réinstaurée dans le cadre du royaume d'Italie créé par Napoléon (1805-1814), puis sujette aux variations politiques qui affectent la ville jusqu'à son annexion au royaume d'Italie en 1866 - date à laquelle la communauté juive de Venise devient partie intégrante du judaïsme italien. La Shoah ne l'épargnera pas: 205 Juifs vénitiens sont déportés. A la fin de la guerre, on ne dénombrait plus que 1050 Juifs à Venise.


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L’Accademia Le musée de l’Accademia dans le quartier Dorsoduro au sud est l'un des plus importants de Venise. A l’origine, le bâtiment hébergeait la Scuola de la Carità. Il occupe l’emplacement du 1er théâtre de bois de Venise (en 1565), lui-même construit à la place d’un monastère, nommé Santa Maria della Carita. Tout tournait là autour de la charité. Le musée présente des œuvres fameuses depuis l'époque byzantine jusqu'aux peintres de l’école vénitienne : Bellini, Carpaccio, Giorgione, Titien, Tintoret, Véronèse, Tiepolo, Canaletto, Guardi, Bellotto, Longhi… En 1750, le Sénat vénitien crée une école d’architecture, de peinture et de sculpture. Il s’agissait alors de reproduire des institutions officielles majeures qui existaient à l’époque à Rome, Bologne ou Milan. L’académie de Venise en tant que telle, voit officiellement le jour le 12 février 1807 par un décret de Napoléon Bonaparte. L’entrée du musée fait face à l’une des extrémités d’un vaste pont de bois jeté par dessus le Grand Canal, nommé bien sûr pont de l'Accademia. Mais on l’appelle aussi le pont de la Carità. L'idée d'un pont à cet endroit de Venise n'était pourtant pas nouvelle puisqu'une chronique du 15ème fait état d'un projet de pont qui devait relier le Campo de San Vital au Campo de la Carità. Mais ce projet présenté pour approbation en 1488, est resté sans suite.


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L’Accademia

Jusqu'au milieu du 19ème, le Grand Canal à Venise ne compte qu'un seul pont, celui du Rialto. Les autrichiens, qui occupent alors Venise, confient la construction d’un premier pont métallique à des anglais. Ouvert le 20 novembre 1854, il enjambe le Grand Canal et relie le quartier de San Marco et celui du Dorsoduro. Remplacé par un pont de bois temporaire en 1934, celui-ci est toujours présent (pont de l’Accademia ou de la Carità) et ne manque pas d’allure avec son arche unique très aérienne au-dessus du Grand Canal. L’oeuvre définitive en pierre n’a jamais vu le jour. Un autre projet de pont en verre, conçu en 1985 est aussi resté lettre morte. La restauration que ce pont de bois a subie en 1983-84 atteste certainement de sa pérennité. Il rejoint aussi le passé dans lequel tous les ponts vénitiens étaient faits de bois à l’origine. Il est traversé par 1500 personnes chaque jour entre 11 et 12h, belle preuve de sa vitalité. Du sommet de son arche apparaît dans une brume ténue et bleutée la sortie du Grand Canal où se profilent les dômes de l’immense église de Santa Maria della Salute, à la manière d’un Canaletto blafard (il pleuvait presque ce jour-là). Et à l’autre extrémité du pont, ce magnifique palais est maintenant reconverti en hôtel luxueux.


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6 quan Place St-Marc et tu Et bien sûr l’incontournable, la Place St-Marc et sa basilique, le Palais des Doges et le campanile.

Parcourus par les immenses fourmilières, les cohortes de touristes dont nous sommes, parfois si différents qu’on les croirait venus de tous les confins de l’univers, mais partageant tous la même fascination. Qui se croisent, vocifèrent, s’enchevêtrent, guide ouvert d’une main, caméra de l’autre, qui se dandinent d’un pied sur l’autre dans les longues files d’attente, déboulent dans la foulée de leur guide dont on n’aperçoit que le fanion brandi, tentent, dans cette tour de Babel au ras des flots de dialoguer entre eux autour de vues partagées, s’embarquent en grognant dans les vaporettos, paressent doucement dans les gondoles en croyant atteindre des sommets de romantisme, s’attardent quelques instants devant les orchestres des grands cafés de la Place, provoquent un envol de pigeons pour capturer la bonne image au bon instant, soupirent devant le Pont dont les soupirs n’étaient que ceux des condamnés du Palais des Doges amenés vers la prison voisine d’outre-canal, tentent de saisir une mouette qui plane en ricanant, se fascinent de la perspective des édifices rectilignes et majestueux qui délimitent la place, contournent les chantiers encombrés de grues,...


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Place St-Marc

gravissent les marches inégales de l’escalier pentu conduisant au balcon de la basilique St-Marc, admirent les ors inestimables et vénérables, font crépi-

ter leur flash précisément sent, s’amusent et s’émerveilmates superbes sonnent les groupe repérables grâce à

quand les panneaux l’interdilent de l’horloge dont des autoheures, se rassemblent en cette sorte d’uniforme propre à leur pays ou au tour opérateur, leur casquette, à leur embonpoint, slaloment sur les ponts longeant les quais entre les vendeurs, à la sauvette mais pour-

à

tant bien installés, croisent des vénitiens vaquant à leur travail, parfois excédés qui se libèrent dans les ruelles d’un coup d’épaule appuyé,

se gavent des images rebattues des gondoles au repos qui ondoient mollement,…


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Place St-Marc

Pour finalement être absorbés et disparaître dans les ruelles environnantes, comme digérés par les borborygmes des boyaux vénérables de la Sérénissime, qui en vomit d’autres plus loin, vers d’autres quartiers, d’autres ruelles, d’autres canaux, d’autres ponts, d’autres cafés et restaurants. Mais ils se font d’autant plus rares qu’on s’éloigne du cœur. Ah! L’effort de la marche...

Indifférents à la patine des sols, dont on ne sait s’ils sont jamais nettoyés, aux odeurs sporadiques d’égouts, parfois inquiets le soir de traverser des ruelles désertes et étroites dans lesquelles ils se retrouvent seuls, qui débouchent sur une impasse prenant ici la forme ouverte d’un canal, ailleurs sur une place vide, plus loin sur un pont qui amorce d’autres ruelles,...


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Place St-Marc

s’extasient devant le panorama de la perspective du Lido au pied du Campanile, et, sous la fameuse lumière vénitienne (un pâle soleil pas vraiment doré ce jour-là) scrutent du haut de celui-ci les toits de tuiles rouges, les dômes, les canaux, la lagune, après avoir emprunté un ascenseur aveugle, plutôt un monte-charge sans grâce, dans lequel on s’empile pour aboutir à son sommet, puis soudain se pressent à l’appel de la corne d’un paquebot en croisière dont la haute masse se profile comme un immeuble en mouvement dans l’enfilade d’un canal donnant sur la lagune, surmontant d’une tête palais et églises.


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ux et lagune Ponts, ruelles, cana

Images mythiques mille fois reproduites, les perspectives des plans d’eau de la lagune butent sur le profil du Campanile, des palais et des dômes posés sur l’horizon, tandis que quelques gondoles découpent leur parfaite silhouette acérée, juste détachées des hauts poteaux d’amarrage. Sans lasser jamais, le parcours pédestre à travers la Sérénissime ouvre des découvertes toujours renouvelées, que l’on parcoure les riva (les quais qui longent le Grand Canal et la lagune) ou bien les fondamenta, ceux qui longent les canaux, ou même les simples ruelles, les calle (voir page suivante) dont la courte perspective dévoile un palais, un clocher, une haute terrasse. Les sotoportego, ces sortes de ruelles recouvertes, passages étroits surmontés d’habitations, ne manquent pas de surprendre aussi.


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ux et lagune Ponts, ruelles, cana

Quelques calle… où parfois les vives couleurs défraîchies des murs crépis, bien décrépits, se rehaussent de celles du linge séchant en guirlandes


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ux et lagune Ponts, ruelles, cana

Sombres et courts tunnels ou vastes places et rives inondées de lumière, hors de la place St-Marc, les seuls fanions sont ici le linge qui s’enfle mollement au vent de la lagune.

Non loin, c’est l’île cimetière de San Michele, juste au nord de Venise tout à côté de Murano : pour des raisons sanitaires, Napoléon décide de le faire construire en 1804, en y ramenant toutes les tombes de Venise, encore alors situées contre les églises, les synagogues...


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ux et lagune Ponts, ruelles, cana Les ponts en eux-mêmes méritent des pages, jamais semblables, curieusement construits parfois comme au hasard des envies d’architectes fantasques et toujours inspirés. Arche simple et manteau plat, pont en arc, souvent décoré de balustrades à colonnettes de pierre ou de ferronneries métalliques ornementées , pont effilé comme cou de girafe, pont débusqué au sortir d’un sotoportego, pont sévère, pont élégant,

pont simplement fonctionnel, pont robuste et ramassé, jamais pont lourdaud, pont lien entre deux façades, pont de brique ou de pierre blanche, pont moucharabieh qui pontifie en soupirant, pont furtif surgi d’une terrasse ou d’un jardinet, ...


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ux et lagune Ponts, ruelles, cana

… pont des spirales de farandoles et de fêtes, pont qui peut en cacher un autre, pont de dentelle et de grâce, pont supportant les pas pressés, pont sous le ventre duquel les gondoles passent en se courbant un peu, pont en un jet de pierre élancé, pont au débouché de lagune, pont brisant les verticales, trait d’union entre maisons, pont qui se mire Narcisse en l’eau, pont discret d’arrière-palais,


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ux et lagune Ponts, ruelles, cana

...vieux ponts de bois, arche d’acier pour aller vers la voie ferrée, harmonies de marbre, de brique et de pierre, pont pont pont petit pata...pont.

Mariages permanents des ocres et de l’azur sur fonds d’ogives, de dômes et de clochers, de cheminées en forme de tiare de doge.


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ux et lagune Ponts, ruelles, cana

La simple magie des reflets dans l’eau embellit les plus mornes canaux, jusqu’à la lèpre et la décrépitude des façades et des murs qui, au gré de la lumière changeante composent des tableaux incertains au charme irrésistible. Surtout ne pas restaurer?


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ux et lagune Ponts, ruelles, cana


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es Sonne'es et sorne'

Même les sonnettes et les interphones prennent ici une forme et une allure typiques, un tour vénitien aux portes des immeubles, des maisons, des palais. Prétentieuses ou frivoles comme des masques de carnaval, des paravents d’alcôve ou des portes dérobées, der-

rière lesquels s’expriment les sornettes cyniques et séductrices des Don Juan à leurs maîtresses. L’incandescente et tragique passion de Roméo et Juliette leur préférait les balcons de Vérone.


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a on L’eau de consomm

Citernes d’eau Pour recueillir et conserver les eaux pluviales, la collecte se faisait par des gouttières de pierre et des tuyaux spéciaux creusés dans l’épaisseur des murs. Les vénitiens ont imaginé dès les 6ème et 7ème des citernes à parois imperméables non rigides, dont la technique est restée en vigueur jusqu’à la fin du 19ème. Impossible en effet, dans un sol aussi meuble, de recourir à des réservoirs maçonnés qui se seraient fracturés avec le très lent et très puissant mouvement des fonds. Pour construire un telle citerne, il fallait : - creuser une tranchée en forme de pyramide renversée de 3m de profondeur, dont les parois et le fond étaient couverts d’une épaisse couche d’argile (30 cm) de très bonne qualité, supportée par un bâti de bois ; cette couche imperméable permettait de séparer l’eau collectée de l’eau saumâtre de la lagune quelques dizaines de cm sous la surface - implanter un tuyau central de brique - remplir ensuite de sable fin et bien lavé le volume autour du tuyau central - recouvrir l’ensemble d’un manteau d’argile scellé pour protéger de la pénétration directe des eaux et des marées hautes (acqua alta) - surmonter enfin le tout d’une margelle appelée la Vera da Pozzo, par laquelle l’eau est puisée. Margelle souvent joliment décorée dans le style Renaissance ou baroque, et qui fait le charme des petites places. Des très nombreuses citernes (6.782 pozzi recensés en 1858), il en reste environ 2000 aujourd’hui (dont 177 étaient publiques), maintenant inutiles, qui occupent le sous-sol de Venise. Elles représentaient une capacité de 200 000 m3. On calcule qu’en moyenne annuelle, la pluviométrie permettait de les remplir 5 fois, mais donc que chaque habitant ne pouvait en boire plus de 16litres (!!!??quelle vraisemblance d’un tel chiffre? Mais quand on sait que Louis XIII ne se lavait que tous les 20 ans…).


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a on L’eau de consomm

Au 19ème, les porteurs d’eau (ou plutôt porteuses) sont de jeunes tyroliennes, appelées « bigolante », originaires du Frioul en réalité. La capacité limitée des citernes devait dès le 16ème, en cas d’insuffisance pluviale ou de sécheresse être complétée par des bateaux à citernes ouvertes (!!!) amenant l’eau de la Brenta, petit fleuve voisin. Dont on disait déjà au 18ème qu’il était pollué et son eau impropre à la consommation. L’idée d’un aqueduc germe vers la fin du 18ème, pour finir par se concrétiser avec des concessionnaires anglais puis la Compagnie Générale des Eaux en 1879. L’aqueduc est opérationnel à partir de 1844, rendant dès lors obsolète toutes les citernes.

Mais une question fondamentale subsiste : que faisait-on des eaux usées et qu’en fait-on aujourd’hui?


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Les eaux usées

En dehors des sites internet faisant la promotion de produits ou de systèmes de traitement des eaux usées, on trouve très peu d’information publique sur ce sujet éminemment sensible. L’information récente (2010) ci-dessous ne permet pas de rassurer, malgré les progrès accomplis.

Sans préjuger de la cause, même en avril où la température n’est pas très élevée, il émane à certains endroits des odeurs d’égout bien identifiables, mais d’intensité limitée. Pendant des siècles, les rejets urbains des bâtiments ont été livrés à la lagune sans aucun traitement, via des conduites issues des canaux, pour enfin finir dans la mer. Ce système d'élimination naturel, simple et pratique, s’il a été longtemps efficace, est devenu insuffisant avec le développement économique et la forte expansion du tourisme. De plus, le flux des fortes marées inondait périodiquement les canalisations des égouts. Le gouvernement italien, via le « Magistrato alle Acque » (l’autorité vénitienne pour l’eau), a décrété que tous les émetteurs de rejets industriels, d’effluents commerciaux, touristiques, ceux des restaurants et ceux des activités domestiques de la ville de Venise, sont obligés d'installer des systèmes pour le traitement des eaux usées qu’ils génèrent, et d’en assurer la maintenance. Pour les rejets domestiques (maisons, hôtels, bureaux publics, etc...), le type de technologie choisie dépend du nombre d’équivalent habitant (EH) à traiter : - en dessous de 100 EH, les fosses septiques sont permises mais les restaurants et les bars doivent installer des trappes à graisse supplémentaires en amont de la fosse septique. - au-dessus de 100 EH, une unité de traitement plus adaptée doit être utilisée. Ce sont des systèmes aérobies ou d’autres systèmes plus élaborés qui sont installés. Les effluents des hôpitaux et des autres services sanitaires doivent également prendre en compte les normes de qualité, et sont soumis à des traitements supplémentaires de désinfection. Pour les effluents autres que les eaux usées domestiques, telles que ceux qui résultent des activités industrielles, des traitements spécifiques physico-chimiques sont requis.


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Les eaux usées

L'inventaire du recensement effectué par le « Magistrato alle Acque» montre en 2007 qu’il y avait environ 4500 points de rejets pour les différentes activités, ce qui représente de l’ordre de 40% du total des rejets de la ville (où passe le reste ???). 20% de la population utilise des fosses septiques, et 23% des systèmes aérobies. Aucune information n'est disponible sur les systèmes de traitement qui ne sont pas inclus dans l'inventaire, mais celui-ci est continuellement mis à jour (sic). L’inventaire montre que 80 % des rejets sont traités par les fosses septiques, (éventuellement complétés par des pièges à graisse), et seulement 5 % sont soumis à des traitements aérobies. Les fosses septiques traitent généralement les petits bâtiments (de 7 à 10 EH) tandis que les unités de traitement aérobies traitent des bâtiments plus grands comme les hôtels, les immeubles,… Toutes les unités de traitement de Venise peuvent être inondées par les eaux de la lagune lorsque la marée est très haute. Elles entrent par l’émissaire de sortie. Alors dans ce cas, la vanne de sortie est fermée et les eaux usées sont dirigées directement vers la lagune. Ci-dessous, la localisation des 134 usines de traitement des eaux usées sous télécontrôle en 2010 (?). Mais le sens à accorder à cette notion d’usine de traitement n’est pas clair.


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gune Construire sur la la

La très faible résistance mécanique des limons, sables, argiles, incapables de supporter des charges importantes, leurs déplacements lents mais inéluctables ont constitué les principaux problème pour l’édification de Venise. Le contexte de la lagune avec ses lais, ses marais, ses terres à peine émergées, ses canaux tortueux, l’absence de pierre de taille, de bois à construction, d’eau douce, ont conduit architectes et maçons à élaborer des techniques particulières, uniques dans le monde médiéval. La conception de la construction à Venise est donc tout à fait singulière. Elle intègre les mouvements du sol, et l’élasticité nécessaire aux bâtiments pour y faire face, à l’inverse du principe de rigidité qui prime partout ailleurs. Venise est une ville artificielle par excellence, grand vaisseau immobile conçu remarquablement pour encaisser la très lente et patiente houle des déformations multiséculaires des sables et des vases de la lagune.

Les fondations Selon l’importance et donc le poids des bâtiments à construire, le choix des fondations peut être différent. Pour les plus légers, on recourt à une couche de planches épaisses reposant directement sur le fond. Pour les plus imposants, et à partir du 15ème, on plante dans la vase et le sable d’innombrables pieux (pali) de chêne ou de mélèze (celui-ci est réputé imputrescible), longs de 2 à 4 m et de 20 cm de diamètre environ, qui renforcent le terrain et le figent. Du contour extérieur vers le centre, ils sont plantés en cercles concentriques ou en spirale, et sont espacés entre eux d’environ 60 à 80 cm. Auparavant (avant le 15ème), les pieux étaient plus courts et faits de bois d’aulne, technique qui ne garantissait pas la même pérennité des bâtiments. NB- La représentation ci-dessus manque probablement de réalisme quand elle fait apparaître une aussi importante couche d’eau entre le fond et la plateforme de construction (voir page suivante pour une illustration plus proche de la vérité). Pour planter les pieux, on construit un caisson sur la surface à construire, que l’on assèche de son eau et au fond duquel ils sont ensuite enfoncés. La méthode est bien sûr très artisanale dans cette époque sans machine (ceci jusqu’au début du 20ème !!) : plusieurs hommes soulèvent en cadence une énorme masse de bois qu’ils laissent retomber sur le pieux.


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Construire sur la la

gune

Les travaux sont impressionnants et font (déjà) disparaître des forêts entières. Ainsi, l’église Santa Maria della Salute qui est certes l’une des plus monumentales à la sortie du Grand Canal utilise plus d’un million de pieux. Le campanile de la place Saint -Marc a nécessité 100 00 arbres, le pont du Rialto 12 000 pieux en bois d’orme pour les deux piles.

L’édification Sur la base que les pieux constituent de cette façon, des poutres et madriers croisillonnés sont fixés. Dans les deux cas (fondations directes ou pieux), c’est cette plateforme sur laquelle sont montés les blocs de pierre d’Istrie -provenant des Balkans, longtemps possession vénitienne- qui constituent l’assiette d’un soubassement de briques et de mortier support de l’édifice à construire. Les pieux et les plateformes qu’ils supportent sont enfouis dans la vase, à l’abri des micro- organismes qui dégradent le bois : leur pérennité est très grande. NB- Ce n’est pas le cas des basses pièces de bois hors du limon qui pourrissent, ni des parties métalliques, tirants,… qui s’oxydent, et provoquent des défaillances structurelles pouvant conduire à des flexions dangereuses et à la déformation destructive des bâtiments. Le poids reste l’ennemi des maçons et des architectes sur la lagune. La recherche de la légèreté est un principe permanent. Elle explique la finesse des membrures des bâtiments, les très nombreuses ouvertures, les colonnettes, l’épaisseur plutôt modeste des murs, l’usage de la brique et du bois crépi, la finesse des revêtements de marbre. Ainsi, grâce au génie des architectes, cette recherche de l’allègement s’incarne dans l’élégance des palais et des maisons, quand la fonction rejoint admirablement l’esthétique. C’est aussi la conjugaison du poids de certains bâtiments et des déformations des fonds qui expliquent la perte de verticalité, particulièrement visible pour certains clochers.


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gune Construire sur la la

Au travers de générations, les vénitiens ont donc recherché et mis au point les techniques de construction qui permettent aux bâtiments de pouvoir se déformer, d’accepter une certaine élasticité sans perdre la solidité ni l’équilibre général. Ainsi, on sépare les murs extérieurs des cloisons intérieures, les cloisons intérieures entre elles. Les liens retenus pour les associer et assurer la cohésion mécanique d’ensemble sont des tirants métalliques qui lient aussi les planchers à la maçonnerie verticale. Il va de soi que seule la richesse accumulée des vénitiens a permis dès le Moyen-Âge de recourir à ce précieux métal ; le fer n’est en effet utilisé à cette échelle en Europe qu’à partir du milieu du 18ème.

Les terrasses vénitiennes Sur les plateformes de bois sont construits des planchers de terre battue « à la vénitienne » (petits fragments de brique et de pierre malaxés avec du sable et de la chaux fine, battus longuement au prix d’un travail épuisant). Cette fabrication monolithique et de forte épaisseur est parfaitement adaptée pour absorber les déformations même notables sans créer de fractures (qualités de plasticité et faible réaction thermique). L’origine antique de cette fabrication est prouvée. Elle a permis, même sur de vastes sols, d’utiliser des pavements durables, aux beaux motifs réguliers reproductibles.

Le maintien en l’état des édifices Hors du limon, le pourrissement des poutres de bois, l’oxydation des tirants et des parties métalliques, l’exposition à l’érosion du sel marin du pied des ouvrages de maçonnerie, du mortier, des briques et de la pierre dégradent lentement le rez-de-chaussée des édifices, qui finit par ne plus être habité. Le remplacement des briques et des autres matériaux, l’insertion de lames de plomb imperméables sont parfois entrepris, mais souvent avec grande difficulté et à des prix exorbitants. L’acqua alta qui submerge les RdC a conduit aussi préventivement à surélever ces derniers. Depuis 1950, des bassins en béton armé avec vannes ont été construits sous le pavage pour intercepter les infiltrations, opérations là aussi complexes, et devant tenir compte de l’ancrage de ces bassins pour éviter que par flottaison, ils ne soulèvent le pavage… Enfin, de tels travaux ne peuvent être approvisionnés que par les bateaux en mesure d’emprunter les plus petits canaux, et nécessitant souvent des manipulations exclusivement manuelles. Ce qui accroît encore le coût des opérations.


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La gondole

La gondole demeure le plus célèbre des symboles de Venise. Il en est fait mention pour la première en 1094. Alors massive et armée de tout un équipage de rameurs, au fil des siècles, elle s’orne de décorations, à la poupe et à la proue, s’allonge, se dote de cabine amovible, s’agrémente de couleurs vives, de soie, de velours et d’un blason. Au 17e s, une esthétique plus austère s’impose, où gagne la couleur noire. Cette couleur est en effet imposée par décret en 1633 afin d’éviter qu’elles ne soient outrageusement décorées par leurs propriétaires qui surenchérissaient dans le faste pour faire état de leur fortune. Venise possède 14000 gondoles (!!!) au 18ème, 350 aujourd’hui. La gondole est dissymétrique, elle mesure près de 11 m de long, 1,42 m de large et se compose de 280 pièces de bois de 8 essences différentes (mûrier, sapin, cerisier, mélèze, tilleul, noyer, orme, acajou). Délaissée des Vénitiens au profit des canots à moteur, elle est principalement réservée à la promenade des touristes, mais est toutefois utilisée dans la vie quotidienne, via le traghetto permettant de traverser le Grand Canal.

Ci-dessous, un gondolier desoeuvré attend... le chaland.


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La gondole

Son esthétique remarquable que rehausse l’élévation de la proue et de la poupe, l’élégance obligée (de par sa position sur la gondole et sa longue rame) du mouvement du gondolier et l’habileté de ce dernier à se faufiler dans les canaux en font un spectacle toujours captivant. Nous n’avons pas eu l’occasion d’entendre le gondolier crier « Pope!! » pour avertir de son arrivée au croisement des canaux. Spectacle qui n’a d’intérêt que d’être vu de l’extérieur. Il est donc bien inutile et vain de vouloir s’y embarquer comme le font encore certains touristes peu soucieux de leurs euros. Le ferro de prova ou ferro se trouve à la proue : l’ample

partie supérieure symbolise le bonnet du doge, la dent arrière, l'île de la Giudecca (juste en face, au sud de Venise ; pourquoi cette référence?) , les lames horizontales les 6 sestieri (quartiers). La rame de 4,20 m s’appuie sur la forcola, le tolet fait de bois, qui est parfois une véritable oeuvre d'art. Au point qu’on le trouve dans des galeries de design et au Metropolitan Museum de New York !


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par les canaux La vie quo dienne

Pas d’autre moyen de transport que le bateau. La vie quotidienne des vénitiens et de tous ceux qui viennent à Venise dépend donc totalement de ce mode de locomotion, que l’on y parvienne par l’air (aéroport Marco Polo), par bus, en voiture (un immense parking accueille les véhicules à l’ouest où on n’a pas d’autre choix que de les y laisser pendant tout le séjour), ou par train. Ainsi voit-on des garages à bateau, ouverts dans les parois des palais ou des bâtiments, dont l’accès se trouve bien sûr en direct sur un canal. A gauche, un garage à bateau de la police et à droite un garage privé.

L’approvisionnement se fait aussi par bateaux, notamment avec des bateaux citernes pour le fioul, ainsi que pour le transport de toutes autres denrées, les gravats liés à des travaux dans les immeubles.

Police, médecins, ambulances, taxis empruntent bien sûr le même moyen.


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par les canaux La vie quo dienne

Outre le bel et grand marché qui se tient tout près du Rialto, des marchés sur l’eau permettent d’acheter fruits et légumes à partir de pé-

niches accostées. Bien sûr, le vaporetto réguliers, ses lignes multiples, ses embarquements qui à certaines heures n’ont rien à envier au métro parisien, ses remous qui se croisent et heurtent les parois des vieux palais.

est roi, avec ses arrêts


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par les canaux La vie quo dienne

Le motoscafo est un moyen de transport public plus petit que le vaporetto, plus rapide, mais avec moins d’arrêts . Sur les fondamenta, les rives qui longent souvent une partie de certains canaux, la livraison des denrées comme les boissons pour les bars se fait avec de petites remorques robustes qui en leur bord avant sont souvent munies de deux roulettes ; pour parvenir à leur destination, les livreurs sont en effet amenés à franchir un ou plusieurs ponts avec escaliers (jamais de pente continue). Ces roulettes permettent aux livreurs habiles et habitués de monter ou de descendre successivement les marches sans trop d’encombre. De la même façon, c’est avec cette sorte de petite remorque que les éboueurs, à pied pour l’occasion, collectent les sacs poubelle que les habitants pendent à un crochet de leur façade dans les ruelles. L’exclusif usage des canaux a structuré depuis longtemps l’urbanisme des chemins piétons et celui des canaux. Ainsi, les bricola sont ces groupe de pieux qui délimitent les voies navigables dans la lagune. Les bricole peuvent aussi servir à amarrer les embarcations. La palina est un pieu Les palines souvent décofamille, délimitent en réservée de peintes et en

d’amarrage des barques. rées aux couleurs d'une quelque sorte une place parking. Parfois non bois pourrissant.


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L’Arsenal

La nécessité d’un véritable arsenal d’Etat (ici dans son acception de chantier naval)s’est faite très tôt ressentir, tant au plan commercial que militaire. L'arsenal de Venise est construit en 1104 à la demande du doge Ordelafo Faliero dans l’actuel sestersi de Castello. Il joue un rôle déterminant dans la construction de l'empire vénitien et sa puissance commerciale. Un chantier naval existe sur ce site depuis le 8ème alors que Venise est un fournisseur de l'Empire byzantin. NB- L'origine du terme proviendrait de l'arabe « Dar-al sina » qui signifie « atelier ». Le développement du site se poursuit en 1143 après la création du Grand conseil de Venise, puis à nouveau en 1169. L’arsenal fabrique les navires transportant les chevaliers de la quatrième croisade en 1204. En 1295, le retour de Marco Polo (né à Venise le 15/09/1254, et qui y est mort en 1324) ouvre les routes maritimes vers l’Asie (soies et épices) . Le développement de la laine toscane (avec le blocus anglais contre la France qui limite l’importation de la laine brute des îles britanniques) sollicite la flotte de Venise, néanmoins concurrencée par Gênes. Entre 1304 et 1325, le site s'agrandit encore avec L'Arsenale nuovo qui quadruple sa surface, et surtout en 1297 du fait de la mise en œuvre d'un système d'enchères, « l’Incanto (encan) des galées du marché ». Habile et précurseur, avec ce système de partenariat, l'État vénitien met aux enchères l'usage marchand des galères militaires, permettant ainsi aux négociants ou capitaines de navires de partager les coûts de l'affrètement avec des actionnaires, qui peuvent être eux-mêmes d'autres marchands ou de simples artisans et retraités (déjà les fonds de retraite) de la ville. Ci-contre, le « chef des maîtrises » de l’arsenal.


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L’Arsenal

La première galère marchande dont l’usage relève de ce principe voit le jour la même année 1297. La volonté vénitienne est aussi de parvenir à un usage optimal des galères, armées à usage militaire et donc rapidement mobilisables en temps de guerre, mais utilisables en temps de paix pour le commerce qui prend son essor, sur des distances plus longues. Une galère s'équipe alors en une seule journée. Ainsi, l'arsenal maintient toujours en alerte une réserve de 100 galères en état de fonctionnement immédiat. À partir d'une première enchère réussie qui en entraîne d'autres, la mainmise de la République vénitienne sur la construction des flottes marchandes conduit à l'agrandissement de l'arsenal sur une surface de 25 ha, clôturée par un haut mur d’enceinte. L'arsenal devient ainsi aux 14ème et 15ème siècles la plus grande usine du monde. Les anciennes techniques romaines classiques de construction navale (construction de la coque) sont abandonnées au profit d’un système novateur de travail quasi à la chaîne où l'infrastructure du bateau en chantier se déplace le long d'une ligne de production, sur laquelle les différentes composantes sont assemblées selon un ordonnancement bien établi. Ainsi en standardisant les modèles produits et en ayant recours à des opérateurs spécialisés et différenciés, l'arsenal vénitien est capable de

produire au début du 16ème un bateau par jour. Au plus fort de son activité, l'arsenal, emploie 16 000 ouvriers sur les 25 ha de l’enceinte, répartis sur les chantiers et bassins, assurant l'activité des fonderies, des fabriques (fusils, canons, cordages, rames et mâts), des entrepôts de bois, de charbon, de poudre, l'entretien des hangars d'artillerie, des cales sèches et la surveillance des résines.


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L’Arsenal

Au 14ème, la taille des galères augmente. Les rameurs peuvent combattre en cas d'attaque et la galère est plus maniable. La réactivité de l’Arsenal répond aux nécessités,. Ainsi pour défendre sa colonie de Chypre menacée par les Turcs, l'arsenal équipe et arme 150 navires de guerre en deux mois. La galera de mercato (galère marchande) passe de 100 à 300 tonnes et peut charger ses cales avec l'équivalent d'un train de marchandises de cinquante wagons. Elle embarque les ballestieri, qui trouvent un emploi comme archers ou frondeurs et encadrent les rameurs, qui sont des salariés.

Au plan militaire, le Galion constitue aussi une innovation importante en accroissant le tonnage et en embarquant les premières pièces d'artillerie légère. Lors de la longue période de paix qui suit la victoire de 1381 contre la rivale Gênes, l'arsenal devient le pivot de la puissance marchande, Venise s’adjugeant « la plus grosse part des achats de poivre et d’épices du Levant ». L'arsenal est plusieurs fois remanié et embelli, en 1460 pour l'entrée de terre principale qui est due à l'architecte Antonio Gambello. C'est l'un des tout premiers ouvrages du courant Renaissance à Venise, qui allie l'élégance des sculptures à d'authentiques colonnes antiques récupérées ailleurs. Ci-dessus, l’entrée maritime au 16ème et aujourd’hui, et ci-contre, à sa gauche quand on lui fait face, l’entrée dite « terrestre ».


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L’Arsenal

Le succès du commerce drapier, des villes de la Toscane à celles du Nord de l'Europe, Bruges et Gand, pose un nouveau défi à Venise, dont les galères doivent assurer des liaisons de plus en plus longues. Les dimensions de l'arsenal sont à nouveau doublées en 1473, en gagnant du terrain vers l'extrémité est, où abondent désormais bassins, cales sèches, fonderies, et magasins de stockage, adaptés aux nouveaux navires et aux nouvelles marchandises. Mais avec l’ouverture vers les Amériques, malgré des tentatives de relance du commerce des épices, par la Méditerranée puis la route terrestre orientale, les volumes s’effondrent rapidement et les arsenaux vénitiens n'emploient plus alors que 2 000 ouvriers (le 8ème de la grande époque!!), mais peuvent encore fournir 100 galères en deux mois, grâce au progrès technique et surtout à des navires de réserve. En 1571, la victoire navale de Lépante, qui porte un coup d'arrêt à l'expansionnisme ottoman en Méditerranée occidentale, doit beaucoup aux capacités techniques et tactiques de la flotte vénitienne. La domination de la flotte vénitienne dans le commerce mondial trouve finalement, pour cette partie du monde, une véritable concurrence en 1602 avec la création à Amsterdam d'une société par actions, la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, qui règne sur trois océans pendant 150 ans. En 1686, l'ouverture de l’entrée de mer à l’est est élargie pour permettre le passage aux vaisseaux et frégates. Les deux anciennes tours du 13ème sont démolies et reconstruites. Ci-contre, l’entrée maritime (à l’est) de l’arsenal. D’autres transformations se déroulent entre 1750 et 1778 et notamment la Salle des modèles, où les ingénieurs tracent les plans des navires en grandes dimensions. Puis à nouveau dès 1797 sous les dominations successives françaises et autrichiennes.


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