ANGKOR

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à nos relais de poste ». L’inscription de Prah Khan parle de cent vingt-et-un gîtes d’étape jalonnant les anciennes chaussées du royaume, dont cinquante sept d’Angkor à la capitale du Champâ (chaussée de l’est, passant par Beng Méaléa et Prah Khan de Kompong Svay), ce qui correspond à des relais espacés de 12,5 km en moyenne. En dehors de ces trois types particuliers de bâtiments, on trouve dans les enceintes successives toute sorte de constructions dont le caractère utilitaire s’affirme par la nature des maçonneries et surtout les toitures de tuiles sur charpente en bois, dont on retrouve les vestiges. C’étaient principalement, sur tout le pourtour, une suite de salles longues ou galeries, lieux d’habitation ou de retraite pour les desservants – la foule des laïcs attachés au service du temple étant sans doute logée dans des paillotes aux alentours –, magasins et dépôts, abris pour les fidèles. Abords des monuments Chaque temple en principe était entouré d’une ceinture de bassins-fossés qui, nous l’avons dit, représentait l’océan de ce microcosme ; ce pouvait être aussi un efficace moyen de défense. Au droit de l’entrée principale, ou même sur plusieurs axes, des lions ou « dvârapâlas » armés de massues faisaient office de gardiens. Puis, franchissant les douves, une large chaussée dallée s’étendait, parfois, sur plusieurs centaines de mètres, bordée de nâga balustrades sur dés – motif essentiellement khmer –, coupée de perrons latéraux, accompagnée parfois d’une vaste terrasse cruciforme propre aux cérémonies et danses rituelles, encadrée de pièces d’eau ; ailleurs, c’était une allée de bornes décoratives menant à quelque « baraï ». LA CONSTRUCTION « Au Cambodge, nous dit Henri Parmentier, il semble que la construction ait été une nécessité ennuyeuse qu’on bâclait le plus possible pour réaliser au plus vite la seule chose qui comptât, la forme, plus ou moins imposée par la tradition. » Il est de fait que les Khmers, spécialisés de tout temps dans l’architecture en bois, où ils se montraient fort habiles, ont fait preuve, dans l’art de bâtir en dur, de touchantes incapacités techniques, ignorant jusqu’aux rudiments de la stéréotomie. Trop souvent, les blocs de pierre n’étaient ni équarris ni réglés en hauteur par assise et les joints verticaux, filant du haut en bas d’un édifice sans aucun chevauchement, comme aux tours du Bayon, créaient de véritables plans de rupture. La masse des gros murs n’était pas homogène, le corps principal étant revêtu d’un parement simplement accolé, souvent fort mince et fait d’un matériau différent. Les porches ou galeries à larges travées voyaient tout le poids des frontons ou des voûtes réparti sur de longues architraves monolithes, reposant sur les piliers et qui, pres-

que invariablement, se brisaient sous l’excès de la charge. Partout, les erreurs et malfaçons sont flagrantes, sans que les corrige aucun chaînage autre que quelques ancrages d’une pierre à l’autre, en certains cas critiques, au moyen de fers plats en double té. Des encorbellements excessifs et l’emploi d’un matériau mixte dans la construction des voûtes, comme l’usage aux Xe-XIe siècles de poutres de bois doublant les linteaux de grès, ont provoqué maints éboulements. Constamment, la pierre est traitée comme le bois, avec les mêmes assemblages, et sans tenir compte du fait qu’elle ne peut travailler à la traction. Et, pourtant, l’ensemble a tenu, malgré les injures du temps et du climat. Tous ces défauts qui nous troublent ou soulèvent notre réprobation, les Khmers, en tant qu’Orientaux peu soucieux des pauvretés de détail, les toléraient sans que leur œil ni leur esprit en fussent choqués ; leur appréciation générale sur la qualité de l’œuvre ne s’en trouvait certainement pas modifiée. Les matériaux Les temples anciens du Cambodge sont construits soit en grès, soit en brique, plus ou moins combinés avec la latérite. Le grès. En cambodgien, « thma phok » ou pierre de boue, de couleur variable, est, à l’exception du grès rose, particulièrement dur, employé notamment à Bantéay Srei, une pierre tendre et peu résistante. Le grès gris surtout, qui domine, se décompose et devient friable sous l’action des agents atmosphériques, se brise sous l’effort des racines et, souvent posé en délit, se dégrade par lamelles : il garde rarement l’intégrité de ses profils et de son décor, ses faces nettes et ses arêtes vives. Son poids est de deux tonnes à deux tonnes et demie au mètre cube. D’importantes carrières à ciel ouvert ont été retrouvées à flanc de coteau entre le temple de Beng Méaléa et l’extrémité sud-est de la chaîne du Phnom Kulên, à une quarantaine de kilomètres d’Angkor. Le transport devait se faire partie par voie d’eau, partie à l’épaule ou par halage sur rouleaux : les trous ronds de quelques centimètres de diamètre et de profondeur que l’on voit plus ou moins régulièrement répartis dans les monuments sur la plupart des blocs étaient sans doute destinés au logement de chevilles en bois serrées par des liens végétaux, ou des ergots métalliques, des sortes de louves, dispositifs permettant les différentes manipulations de la pierre au cours de la mise en œuvre. Ces trous, en qui la légende voit les empreintes des doigts d’Indra, étaient obturés par la suite au moyen de tampons de grès taillés à la demande ou de bouchons de mortier. Le grès, employé avec parcimonie au début et presque uniquement pour les motifs d’entourage des baies et les fausses portes, devait fournir peu à peu la totalité des éléments de la construction, à l’exception toutefois des blocages intérieurs de murs épais, des bâtiments à caractère utilitaire et de certains dallages.

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