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109 Le Bayon d’Angkor Thom
ANGKOR THOM
LE BAYOND’ANGKOR THOM Prononcer : Bayonne
Date : fi n du XIIe siècle ou début du XIIIe Roi constructeur : Jayavarman VII (nom posthume : Mahâ paramasangata pada) Culte : bouddhique Mission d’études : H. Dufour et Ch. Carpeaux (1901-1902-1904) Dégagement par Commaille de 1911 à 1913 Travaux de reprise du sommet du massif central par G. Trouvé en 1933 Anastylose des tours à visages et du massif central par M. Glaize de 1939 à 1946
Parmi les temples d’Angkor, c’est de beaucoup le Bayon qui a posé le plus d’énigmes aux archéologues. Dans les « notions préliminaires », parlant de la chronologie des monuments, nous avons brièvement exposé le débat qui s’était engagé à propos de la datation de sa construction, basée jusqu’en 1923 sur une fausse identifi cation du « Mont Central » mentionné dans l’inscription de Sdok Kak Thom : ce « Mont Central » correspondant au Phnom Bakheng et non plus au Bayon, ce dernier cessait d’être le « temple-montagne » de Yaçodharapura, capitale du roi Yaçovarman à la fi n du IXe siècle, pour devenir le sanctuaire offi ciel de la dernière ville d’Angkor Thom, reconstruite par Jayavarman VII à la fi n du XIIe siècle, après avoir été ravagée par les Cham. On cesse d’être surpris que, contrairement à l’usage, un temple de cette importance ait été dépourvu d’enceinte extérieure et de fossé dès que l’on admet que ceux-ci étaient constitués par les remparts mêmes d’Angkor Thom et par ses douves, les portes tenant lieu de gopuras.
L’enceinte extérieure
Les remparts d’Angkor Thom, dont la face sud se trouve à 1 700 m au nord de l’entrée axiale d’Angkor Vat, forment un carré de 3 km de côté enfermant un espace de 900 hectares. Hauts de près de 8 m, couronnés d’un parapet sans créneaux, ils sont construits en latérite, épaulés à l’intérieur par une levée de terre formant chemin de ronde, tandis qu’un fossé large de 100 m les borde extérieurement, coupé au droit de chaque porte de la ville par une chaussée en remblai. La pente générale des eaux semble avoir été établie à l’intérieur du carré selon une direction générale nord-est–sud-ouest pour aboutir en cet angle à une sorte d’étang dit « Beng Thom » qui communique avec le fossé extérieur par un groupe de cinq tunnels traversant la levée de terre et la muraille.
Les Prasat Chrung Prononcer : Tchroung
Aux angles, quatre petits temples, les « Prasat Chrung », renferment une stèle inscrite mentionnant la fondation par Jayavarman VII d’un « Jayagiri grattant de son faîte le ciel brillant et d’une Jayasindhu touchant par sa profondeur insondable au monde des serpents ». M. Cœdès a démontré qu’il ne fallait voir autre chose dans ces deux désignations que celle, quelque peu emphatique selon l’habitude des Khmers, des murailles et des fossés d’Angkor Thom, comparés à la montagne et à l’océan qui entourent la terre. Chacun des Prasat Chrung, du style du Bayon et dédié comme la ville même au bodhisattva Lokeçvara, se composait d’une tour sanctuaire en grès de plan cruciforme orientée à l’est, à double étage fi ctif en retrait et couronnement de lotus, augmentée de quatre avant-corps. Les murs extérieurs étaient ornés de devatâs dans des niches et de fausses fenêtres à balustres masqués en partie par des stores, et, vers l’est, se trouvait l’abri de la stèle, de plan carré et ouvert sur les quatre faces, voûté en arc de cloître. Un mur d’enceinte percé d’une seule porte du côté est entourait le tout. La visite d’un Prasat Chrung – par exemple, celui de l’angle sud-ouest – peut se faire à pied ou à cheval en saison sèche, en suivant le chemin de ronde si celui-ci est débroussaillé : c’est une promenade sous bois fort agréable (3 km), où, après avoir escaladé le talus au pied même de la porte sud, on en redescend à la porte ouest après avoir contourné le quart de la ville. On peut voir par endroits des vestiges de gradins en latérite mis au jour par M. Goloubew et qui correspondent à l’enceinte de bassins-fossés de l’Angkor Thom du XIe siècle.
Les portes d’Angkor Thom
La ville, dont les habitations étaient construites en matériaux légers et sur l’agencement de laquelle on dispose de bien peu de renseignements, était centrée sur le Bayon et divisée en quatre secteurs par quatre chaussées axiales probablement bordées de bassins-fossés. Une cinquième voie d’égale importance était axée sur le Palais Royal, se dirigeant vers l’est.
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Fig. 13-14. Bayon, plan et itinéraire de visite.
Cinq portes monumentales correspondaient à ces avenues. Venant de l’extérieur, la traversée de la douve se faisait, ainsi que nous l’avons dit, par une chaussée en remblai, formant pont aujourd’hui du côté nord sur une partie de la longueur, à la suite des travaux d’hydraulique récents. « Des deux côtés, nous dit Tcheou Ta-Kouan, il y a 54 génies de pierre, semblables à des généraux de pierre, gigantesques et terribles. Les parapets sont en pierre, taillés en forme de serpents à neuf têtes. Les 54 génies retiennent de la main le serpent et ont l’air de l’empêcher de fuir. » Si nous nous rapportons aux suggestions de MM. Cœdès et Paul Mus, cette double rampe en forme de nâga serait « une façon de représenter symboliquement un arc-en-ciel qui, dans la tradition indienne, est le trait d’union entre le monde des hommes et le monde des dieux, matérialisé sur la terre par la ville royale ». En y ajoutant les deux rangées de géants, devas d’un côté, asuras de l’autre, les constructeurs ont voulu suggérer le mythe du Barattement de l’Océan effectué de concert par les dieux et les géants pour en extraire la liqueur d’immortalité : la fi guration plastique du barattement, effectué avec le fossé pour océan et l’enceinte – plus spécialement la masse de la porte – pour montagne, est une sorte d’opération magique destinée à assurer au pays l’ambroisie de la victoire et de la prospérité. Seuls jusqu’à maintenant ont été reconstitués les cordons de devas et d’asuras de la Porte de la Victoire (porte de la face est axée sur le Palais Royal) et de la porte nord, où les faces grimaçantes des démons, particulièrement expressives, contrastent de façon frappante avec la sérénité souriante des visages des dieux. Les cinq portes, toutes semblables, étaient en médiocre état de conservation : deux d’entre elles, les portes nord et sud, ont été restaurées par M. Glaize de 1944 à 1946, retrouvant avec leurs motifs de couronnement, d’ailleurs inachevés en tant que sculpture, leur véritable aspect. Les meilleurs ensembles se voient à la porte nord et sur la face occidentale de la Porte des Morts (porte est dans l’axe du Bayon, à l’extrémité de la route Dufour), et les plus beaux visages sont à la porte ouest (route Carpeaux). La proportion des baies (3,50 m sur 7 m de hauteur) se trouve faussée par la disparition des linteaux et des frontons : elles étaient munies de portes en bois à deux vantaux montés sur pivot, et d’après les trous encore visibles dans les murs, semblent avoir comporté en outre des barres transversales de fermeture. D’une hauteur totale de plus de 23 m, construites en grès, elles formaient un groupe de trois tours alignées : la principale, à deux visages opposés, était fl anquée
114 de deux autres plus petites à un seul visage, en pénétration, qui correspondaient intérieurement à des renfoncements formant chambres de veille, communiquant chacune avec deux réduits obscurs. L’ensemble répondait de toute évidence à la même abstraction que les tours à quatre visages du Bayon : la puissance royale s’étendant aux quatre points cardinaux. À la base enfi n, les quatre angles rentrants étaient amortis par le superbe motif de l’éléphant à trois têtes, dont les trompes descendant verticalement formaient piliers, cueillant des touffes de lotus : ce n’est autre que la monture d’Indra, que l’on reconnaît notamment à la Porte de la Victoire, assis entre deux apsaras et tenant le foudre ou « Vajra ». Cette présence du dieu à l’extrémité de la chaussée d’accès confi rme l’hypothèse émise plus haut du nâga symbolisant l’arc-en-ciel, assimilable à l’arc d’Indra.
Le Bayon
Mille cinq cents mètres de route droite séparent la porte sud d’Angkor Thom du Bayon ; nous conseillons, contournant celui-ci par la droite, d’accéder au monument par sa longue terrasse orientale à redents, garnie de lions et de nâgas balustrades, qui correspond à l’entrée principale ; on y remarquera le type de chaperons de la dernière époque où le motif du garuda tend à absorber celui du nâga, et de part et d’autre, des vestiges d’anciens bassins. C’est le matin que le Bayon se présente dans les conditions d’éclairage les plus favorables ; il ne faut point manquer d’y retourner par les nuits de lune, alors que les contours et les ombres s’estompent, que la pierre et le fond de verdure se composent en parfaite unité de valeur et de ton, que les faces plates et douces prennent une expression pathétique d’où se dégage, comme d’un chœur, une sorte de charme musical. Chaque visage, prodigieusement hors d’échelle, se double de son profi l et se multiplie à l’infi ni, on se sent fondre dans la sérénité de cette paix bouddhique, larve parmi des fantômes. Jadis, nous dit Pierre Loti, il fallait, « en pleine mêlée de ronces et de lianes ruisselantes, se frayer un chemin à coups de bâton. La forêt – poursuit-il – l’enlace étroitement de toutes parts, l’étouffe et le broie : d’immenses fi guiers des ruines, achevant de le détruire, y sont installés partout jusqu’au sommet de ses tours qui lui servent de piédestal. Voici les portes : des racines, comme des vieilles chevelures, les drapent de mille franges… » Comme Commaille, qui a effectué les travaux de dégagement, nous sommes les premiers à regretter cet « état
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41. Bayon, accès sud.
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42. Bayon, gopura est et tour centrale.
de nature » qui contenait en puissance tant de charme. Hélas, « chaque mois, peut-être chaque jour, quelques pierres tombaient. La ruine complète du temple n’était qu’une affaire de temps, et il fallait songer à l’enrayer le plus tôt possible ». Ce qui n’a pas empêché Paul Claudel d’accuser les archéologues d’avoir fait du Bayon « une espèce de jeu de quilles hagard ou de panier à bouteilles ». À moins d’un siècle de distance, le Bayon est l’antipode d’Angkor Vat. Tandis que celui-ci, à l’aise dans ses enceintes successives, réalise selon un plan largement aéré une vaste composition architecturale par l’harmonieux équilibre de ses tours et de ses galeries, l’autre, enclos dans le rectangle de 140 m sur 160 que constitue sa troisième enceinte (galerie des bas-reliefs) donne l’impression d’être comprimé dans un cadre trop étroit. Telle une cathédrale bâtie sur l’emplacement d’un temple de quartier, sa masse centrale est ramassée à l’intérieur de ses deuxièmes galeries de 70 m sur 80, dans une inextricable confusion de blocs amoncelés. De loin, avec la seule composante horizontale de la dernière enceinte en guise de soubassement, ce n’est qu’un entassement de pierres, une sorte de chaos en mouvement à l’assaut du ciel ; de partout, qu’on les prenne en diagonale ou bien de front, les cinquante tours à visages jaillissant de plans différents, donnant cette impression d’escalade. Sur la terrasse supérieure, le calme renaît. Saisi par l’impassibilité de ces faces de pierre, on ne pense plus à la vision d’ensemble, à la confusion du plan : errant de l’un à l’autre de ces 200 visages, loin des proportions usuelles et des canons d’architecte, on est pris par ces images plastiques où l’attention se concentre. Peu à peu le chaos s’ordonne, et l’on s’aperçoit que ce foisonnement de tours est fait d’éléments conjugués groupés au centre en une sorte de gerbe. La bâtisse ne compte plus, mais son symbole. Le Bayon est moins une œuvre d’architecte que la traduction dans le monde des formes des spéculations d’âme d’un grand mystique, le roi bouddhiste Jayavarman VII. Les quatre visages de chaque tour regardant aux quatre points cardinaux sont, en tant qu’images du bodhisattva Lokeçvara, le signe de l’omniprésence. Si, comme le croit d’autre part M. Cœdès, elles sont aussi le portrait même du souverain identifi é au dieu ; si, comme le suggère encore Paul Mus, les tours correspondent aux différentes provinces du royaume, leur multiplication devient la marque de la puissance du dieu roi s’étendant à l’ensemble du pays. Par ailleurs, les tours à visages étaient des sanctuaires : de courtes inscriptions gravées sur les piédroits le prouvent, mentionnant un nombre imposant de divinités, tant
118 brahmaniques que bouddhiques. Dans la tour centrale était érigée une image du Bouddha protégé par le nâga. Retrouvée brisée en 1933 par G. Trouvé au cours d’une fouille de 14 m de profondeur faite dans l’axe de la tour centrale, cette statue de 3,60 m de hauteur a pu être entièrement reconstituée. Remise solennellement à Sa Majesté Sisowath Monivong, roi du Cambodge, le 17 mai 1935, cette pièce de premier ordre a été érigée à nouveau en bordure sud de la route conduisant à la Porte de la Victoire, non loin de la Place Royale d’Angkor Thom, abritée dans un petit pavillon à toit de tuiles. Reste à connaître l’origine de la tour à visages, qui n’a point survécu à Jayavarman VII. Yi-Tsing, religieux chinois du VIe siècle, mentionne à Nalanda (Bengale) des tours en brique couronnées de « têtes de la grandeur d’un homme ». Par la suite, ce fut, sur différentes époques, la caractéristique des représentations de Brahmâ, que l’on crut un temps reconnaître sur les tours du Bayon : c’est toujours la même convention du regard du dieu s’étendant à toutes les régions de l’espace.
Description du monument La confusion du plan du Bayon et l’enchevêtrement de ses bâtiments viennent sans aucun doute des remaniements successifs qu’a subi le monument et dont on retrouve les traces un peu partout. Ces changements de parti peuvent d’ailleurs aussi bien avoir été adoptés en cours de construction qu’à des époques différentes, donc correspondre en totalité ou non au règne du seul Jayavarman VII. Dans l’état actuel, le temple se compose d’une galerie extérieure de troisième enceinte, à niveau constant, avec quatre pavillons d’angle et quatre gopuras ; d’une cour pourtournante avec, à l’est, deux « bibliothèques » haut perchées ; d’une galerie de deuxième enceinte à niveau variable, avec quatre tours d’angle et trois tours intermédiaires sur chaque face, celle du centre formant gopura ; d’un système de galeries formant croix redentée, avec tours d’angle et quatre courettes en équerre ; d’une terrasse supérieure suivant à faible distance le contour des galeries en croix qu’elle domine nettement ; d’un massif central circulaire dont la pointe est à 43 m au-dessus des chaussées de la ville, creusé de sortes de loggias, précédé à l’est d’une série de petites salles et de vestibules, fl anqué enfi n sur les autres axes d’une haute tour. Il semble probable, d’après les recherches de M. Parmentier et divers sondages : 1. Que le bloc central du monument correspondant aux galeries de deuxième enceinte est parti du dispositif

de galeries en croix redentée entourant un sanctuaire central surélevé ou non, pour être ramené peu après au rectangle par l’adjonction sur un plan intérieur des galeries enfermant les quatre courettes4 . 2. Que la terrasse supérieure en croix portant le sanctuaire central a été construite par Jayavarman VII en dernier lieu, après qu’il se fut décidé à faire du Bayon le « templemontagne » d’Angkor Thom, siège du Bouddha-roi. 3. Que le niveau actuel de la cour pourtournante correspond à deux opérations de remblai successives, les soubassements de grès des galeries de deuxième enceinte se continuant, avec parement simplement dégrossi, jusqu’à 2,50 m en contrebas et les fouilles ayant révélé la présence d’un premier dallage en latérite à ce niveau et d’un autre intermédiaire un mètre plus haut. 4. Que les galeries de troisième enceinte et les deux « bibliothèques » ont été édifi ées sur ce remblai, donc vers la fi n des travaux. 5. Que la cour pourtournante était divisée en courettes par 16 bâtiments aujourd’hui disparus – quatre sur chaque face – dont les assises de base en latérite restent visibles sur le terrain, joignant les galeries II et III au droit de chaque tour de la deuxième enceinte de part et d’autre des tours axiales.
Un escalier d’accès à la terrasse supérieure existait primitivement sur chaque axe : celui de l’est a été muré à une époque indéterminée, remplacé par deux autres symétriques, raides et glissants. Des marches en ciment établies sur une faible largeur facilitent la montée au nord, au sud et à l’est (escalier de gauche).
Abordant le monument par la terrasse orientale, on pénètre au milieu des piliers du gopura cruciforme de troisième enceinte, à la partie inférieure desquels on remarquera, sculptés en bas-reliefs dans des niches à contour polylobé se détachant sur un fond de décor « en tapisserie », de délicieux motifs à deux ou trois apsaras dansant sur des lotus. De là, tournant à gauche, on entre dans la galerie des bas-reliefs, que l’on suit dans le sens rituel du « pradakshinâ » (en gardant le monument constamment à sa droite jusqu’au gopura sud). Cette galerie était composée d’une nef bordée d’un côté par un mur plein de 4,50 m de hauteur, dont 3,50 m de partie sculptée, de l’autre par une double rangée de piliers formant bas-côté. Sur tout le pourtour les voûtes ont disparu comme celle des pavillons d’angle et gopuras, tous de plan cruciforme.
120 Le visiteur disposant de peu de temps examinera au passage les bas-reliefs de ce quart sud-est – le plus intéressant –, s’arrêtant au droit de chaque porte ouvrant sur la cour intérieure pour y jouir de la vue sur l’ensemble du monument sous différents aspects. Du gopura sud, où se trouve une curieuse statue de bossu, et dont la porte nord est encore surmontée d’une belle frise d’apsaras à grande échelle, on passe dans la cour pourtournante, que l’on traverse pour pénétrer par la tour-gopura axiale dans le système de galeries à niveau variable. L’axe général nord-sud du Bayon est fortement décalé vers l’ouest, laissant plus d’espace à la partie orientale du rectangle de deuxième enceinte, dont la partie extérieure des galeries, quoique simulant à l’extrados une demi-voûte, correspond intérieurement à une voûte complète abritant une série de bas-reliefs dont la continuité est rompue au droit de chaque tour. Tournant à droite au centre de la tour-gopura, on suit vers l’est la galerie intérieure à bas-côté, apercevant à l’extrémité, dans la tour d’angle sud-est située en contrebas, une statue de Bouddha assis abrité par les têtes du nâga, qui se détache admirablement sur un fond de lumière. Bifurquant vers le nord dès la première tour rencontrée, on continue par la galerie en croix redentée bordée d’un bas-côté à demi-voûte. De celui-ci la vue est bloquée à moins d’un mètre par le mur de soutènement de la terrasse supérieure rajoutée après coup, qui en suit exactement le contour et masque complètement les tympans à scènes de chacun de ses frontons d’angle. On descend dans la courette en équerre de l’angle sud-est et gagne par la tour sud du groupe de trois tours marquant le milieu de la face orientale de la deuxième enceinte le premier escalier qui, sur la gauche, monte à la grande terrasse. Ce parcours donne une idée très nette de l’effroyable complication du plan du Bayon et de ses innombrables dénivellations ; les cours qui devaient exister dans le premier état du monument sont réduites à de véritables boyaux sans air ni lumière, et l’on se sent vraiment très loin de la belle simplicité d’Angkor Vat. Sur la terrasse supérieure, dont on fera le tour complet, on se trouve soudain en plein mystère : où qu’on aille, on se sent dominé et suivi par ces faces aux multiples présences, écrasé d’autre part par la masse du groupe central. Ces tours qui saillissent de partout à des niveaux différents ne sont pas qu’une variante du type habituel des « prasat » carrés à quatre étages fi ctifs en retrait et couronnement de lotus, avec une face humaine variant de 1,75 m à 2,40 m de hauteur sur chaque axe, sculptée dans la hauteur des deux premiers de ces étages.
Fig. 15. Bayon, vue aérienne (EFEO).
Ces tours, composées d’une ossature centrale en cheminée qui, généralement, a tenu, et d’un parement simplement accolé sans liaison aucune qui n’a pas résisté à l’action des racines, simplement après dégagement fêlées de haut en bas, les joints verticaux se superposant sans aucun chevauchement : cette malfaçon avait fait se fendre la masse de pierre comme un fruit trop mûr. Démonté et reconstruit par anastylose, le tout, maintenu par des crampons en fer qui demeurent invisibles, a pu être sauvé de la ruine complète qui le menaçait. Le massif central, de plus de 25 m de diamètre à la base, est – chose rare chez les Khmers – de plan circulaire (légèrement ovalisé). Au-dessus de son soubassement mouluré s’ouvrent, sur de petits porches à fronton formant péristyle, des sortes de loggias en triangle ou rectangulaires surmontées d’un étage d’autres cellules, d’ailleurs sans accès possible, éclairées par des fenêtres à balustres, puis, marquant les points cardinaux et collatéraux, de huit tours à visages dont une seule face est franchement accusée, ceinturant une sorte de chemin de ronde : grossièrement taillées ou martelées après coup, elles étaient peut-être recouvertes d’enduit. Le haut motif de couronnement enfi n, de forme imprécise, calé à la base par un dernier péristyle dont il reste bien peu d’éléments, était peut-être, lui aussi, sculpté de quatre visages de pierre comme les tours, à moins qu’il ait simplement servi d’ossature à quelque fl èche en matériaux légers. C’est, sans aucun doute, la « Tour d’or » dont parle Tcheou Ta-Kouan comme « marquant le centre du royaume, fl anquée de plus de 20 tours de pierre et de plus de 100 cellules de pierre ». Toute cette partie supérieure, absolument croulante, a pu être reprise et consolidée en 1933, après établissement d’échafaudages d’une conception hardie. Au-dessous, l’ossature ayant gardé sa stabilité, il a suffi de réviser les éléments d’architecture qui, venant en parement, lui servaient de contreforts.

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43. Bayon, façade est.
44. Bayon, façade sud.
45. Bayon, gopura sud, galerie extérieure, vue vers l’intérieur du temple.
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46. Bayon, gopura est, galerie extérieure, vue vers l’extérieur du temple.
47. Bayon, façade ouest. 48. Bayon, tours à visages, galerie du deuxième étage.
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49. Bayon, tours à visages, galerie du deuxième étage. Pages suivantes :
50. Bayon, visage de l’une des tours, galerie du deuxième étage.
51. Bayon, visage de l’une des tours, galerie du deuxième étage.
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52. Bayon, visage de l’une des tours, galerie du deuxième étage.
À l’intérieur, la cella obscure, de 5 m de diamètre, est ceinturée d’un étroit couloir : c’est là qu’était érigée la divinité protectrice du royaume, la grande statue du Bouddha mentionnée plus haut et dont les débris ont été retrouvés dans le puits central. On y accède du côté est par une série de locaux cruciformes, dont trois sommés de tours, séparés par de petits vestibules. De part et d’autre, deux bâtiments en longueur, également avec tour, occupent l’emplacement habituel des « bibliothèques ». On remarquera près de celui de la partie nord, en contrebas de la terrasse, à son angle rentrant nord-est, un fronton admirablement conservé qui, longtemps caché et protégé par le dallage, a comme fi gure centrale un Lokeçvara debout ; ce fut lui qui, le premier, attira l’attention sur le caractère bouddhique du Bayon. L’ornementation, très touffue comme il était d’usage en cette période fi nale de l’art khmer, reste soignée : à base de rinceaux et de feuillages, elle montre quelques détails charmants de fi nesse. On remarquera les fausses fenêtres à stores partiellement baissés cachant le haut des balustres – dispositif caractéristique de ce style comme les jupes à fl eurs et ceintures à pendeloques des souriantes devatâs, dont la coiffure est faite de petits disques fl ammés inscrits dans un triangle ; le relief assez accusé a permis de représenter les pieds presque de face. Nous signalons en outre les délicieuses apsaras jumelées qui garnissent les appuis de fenêtres du massif central, et l’intéressant panneau sculpté qui se trouve au-dessus de l’escalier sud d’accès à la terrasse, représentation probable de la légende de « l’Éléphant de gloire », chargé de rechercher l’homme désigné par le Destin pour accéder au trône vacant. Redescendant dans la galerie de deuxième enceinte par le même escalier qu’à la montée (sud de la face est), le touriste pressé pourra se faire une idée des bas-reliefs de ladite galerie en gagnant le renfoncement situé entre la tour axiale est et la tour immédiatement au nord : il y verra la légende du « Roi Lépreux ». Reprenant ensuite la galerie en croix vers l’ouest, il terminera sa visite par le puits couvert, d’une dizaine de mètres de profondeur, qui se trouve à gauche vers son milieu, protégé par un garde-fou.
Les bas-reliefs Le Bayon est le seul temple qui possède deux galeries concentriques sculptées de bas-reliefs, la galerie intérieure, dont le décor est achevé, était presque exclusivement réservée à des sujets mythologiques d’inspiration brahmanique, la galerie extérieure au contraire, accessible à la masse des fi dèles, étant consacrée, à côté de scènes de la vie courante, à certains épisodes historiques – défi lés et batailles – du règne de Jayavarman VII. Restés incomplets, ceux-ci devaient, au dire de Paul Mus, devenir sous le ciseau du sculpteur de véritables pages de mythologie contemporaine sous l’égide de Lokeçvara, le roi divinisé n’étant lui-même qu’une émanation de ce dernier. De facture assez fruste et souvent naïve, les bas-reliefs du Bayon, moins stylisés et plus profondément ciselés que ceux d’Angkor Vat, sont une source de documentation remarquable par le soin apporté à la représentation des moindres détails et les qualités d’observation dont ils témoignent ; c’est à peu près la seule dont nous disposions pour nous faire une idée des mœurs et des conditions de vie de l’ancien Cambodge. Ils sont du type à registres superposés, le registre inférieur représentant pour les Khmers ignorants des lois de la perspective le premier plan, et le registre supérieur l’horizon. Partant de l’entrée orientale, nous commencerons par la moitié sud de la face est, en gardant le monument à notre droite selon le rite du « pradakshinâ ».
1. Galeries extérieures (3e enceinte) Galerie est, moitié sud C’est, sur trois registres d’excellente facture, un défi lé d’armée marchant du sud au nord. Les guerriers, armés de javelots et de boucliers, ont pour la plupart les cheveux courts et la tête nue ; cependant un groupe du registre inférieur porte la barbiche et d’étranges coiffures ajourées sur le sommet du crâne. Des musiciens les accompagnent, dont un petit personnage sautillant frappant de deux baguettes un énorme tam-tam. Ils sont fl anqués de cavaliers montant sans selle ni étriers, tandis que les chefs, armés d’arcs ou de javelots, entourés de parasols et d’enseignes sur un fond de forêt, sont assis sur des éléphants guidés par leurs cornacs brandissant le croc habituel. On remarquera, vers la fi n du défi lé, égayé de charmantes scènes prises sur le vif, le service de ravitaillement de l’armée, dont les charrettes converties à patins latéraux sont exactement semblables à celles encore en usage aujourd’hui. Au registre supérieur, passent trois princesses portées à bras dans de riches palanquins et, à l’autre extrémité, l’arche du feu sacré, que l’on retrouve en la « galerie historique » d’Angkor Vat. Passée la porte de communication avec la cour, le sens de la marche est inversé, et le registre supérieur, où l’on distingue des scènes d’intérieur et quelques ascètes, n’a plus que ses assises inférieures en place. C’est toujours
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la même nature de défi lé, mais où les éléphants ne sont plus montés que par leurs cornacs. Les cocotiers sont traités de façon réaliste, et l’on voit à l’extrémité gauche du second registre, attaché à un arbre, un bœuf voué sans doute au sacrifi ce. Au-delà enfi n se succèdent sur quatre registres des scènes d’intérieur. Les toitures des habitations sont fi gurées avec leurs épis de faîtage, sur lesquels sont perchés quelques oiseaux. Le caractère particulier des coiffures et des costumes des personnages, les objets suspendus au plafond, nous feraient croire volontiers que le sculpteur a voulu représenter des commerçants chinois en pleine discussion d’affaires.
Pavillon d’angle sud-est Les sculptures de ce pavillon sont restées inachevées : le premier panneau montre fort bien les méthodes de travail des Khmers. Partant d’un mur préalablement dressé (dont on remarquera l’appareil fantaisiste), ils procédaient par taille directe ; dessin gravé au trait, léger défoncement, mise en volume et fi gnolage. Deux charmantes apsaras dansent à droite, tandis qu’à gauche sont ébauchées trois tours surmontées d’un trident, celle du centre abritant un lingâ ( ?). Les autres panneaux sont consacrés à des scènes nautiques.
Galerie sud, moitié orientale Cette partie – l’une des mieux traitées – relate le combat naval qui, dans le dernier quart du XIIe siècle, mit aux prises les Khmers (représentés avec les cheveux courts) et les Chams (coiffés d’une sorte de fl eur de lotus renversée). C’est un enchevêtrement de jonques de guerre à la proue richement ornée, sorte de galères où les alignements des têtes des rameurs sont dominés par les combattants, armés de javelots, d’arcs et de boucliers ; des cadavres sont jetés par-dessus bord, parfois happés par des crocodiles. Le roi de haute taille est assis dans son palais à l’extrême droite, présidant aux préparatifs et donnant des ordres, tandis qu’au-dessous de lui un personnage gambadant rappelle les bouffons qui, à Phnom Penh, lors de la Fête des Eaux, excitent les rameurs. De nombreuses espèces de poissons sont représentées, souvent parmi les arbres – la forêt inondée de la saison des hautes eaux –, reproduisant très fi dèlement les caractéristiques de celles que l’on rencontre encore aujourd’hui dans le Grand Lac. Les rives de ce dernier, formant registre de base, dépeignent avec beaucoup d’esprit et de candeur tous les petits événements de la vie quotidienne, scènes de marché, de cuisine en plein air, de chasse ou d’attaque par des fauves. Une femme épouille un autre personnage, telle joue avec ses enfants, telle autre encore pleure sur une malade qui se tord de douleur entre ses bras : à l’extrême gauche, un chasseur se préparant à tirer un buffl e tend son arbalète, semblable à l’arme favorite des Cambodgiens actuels. Au-delà de la porte, c’est le tableau de la pêche à l’épervier : une jonque, qui semble montée par des Chinois, montre son curieux dispositif d’ancre sur poulie, tandis que les occupants d’une autre, beaucoup plus plate, se divertissent à toutes sortes de jeux. À la base, nouvelles scènes familières, dont un combat de corps admirablement composé et d’une grande intensité d’expression. Puis, sans transition, ce sont des scènes de palais : princesses entourées de leurs suivantes, danses, conversations, jeux d’échecs, et en dessous lutteurs et gladiateurs, combat de sangliers. Le tout surmonté d’un personnage couché de haute taille, à peine ébauché : c’était peut-être le roi prenant possession de son palais, selon le rite encore en vigueur de la cérémonie du couronnement. La bataille reprend ; c’est, à la base, l’arrivée des Chams sur leurs jonques de guerre, leur débarquement, et audessus la lutte terrestre contre les Khmers qui, sous forme de géants aux cheveux ras, le torse cerclé de cordes, dominent manifestement. La paix revenue, le roi, assis dans son palais, fête la victoire au milieu de ses sujets exerçant leurs différents métiers : charpentiers, forgerons, cuisiniers préparant un banquet. À l’extrême gauche, la dernière porte franchie, un étroit panneau montre encore trois registres de palabres au-dessus de scènes de lutte.
Galerie sud, moitié occidentale Toute cette partie, où le registre inférieur seul a pu être terminé tandis qu’un deuxième reste inachevé, est d’un intérêt médiocre. Ce sont encore des défi lés de caractère militaire où les éléphants jouent un grand rôle et qui donnent sur les machines de guerre du temps des indications précieuses : l’une est une sorte de grande arbalète portée à dos d’éléphant et manœuvrée par deux archers, l’autre une catapulte montée sur roues. À l’extrémité ouest, ce doit être le bain des éléphants sacrés, qu’abritent des parasols, menés à la rivière indiquée à la base par un bandeau sculpté de poissons.
Galerie occidentale, moitié sud Là encore bien des parties n’ont pas été ciselées. Au registre intérieur, des guerriers et leurs chefs, montés à éléphant, passent devant un fond de forêt et de montagnes (indiquées par de petits triangles accolés) tandis que vers le centre un ascète échappe à l’attaque d’un tigre en grimpant sur un arbre. Au-dessus sont indiquées quelques scènes intéressant la construction des temples ; ouvriers halant un bloc de pierre sur lequel est un contremaître armé d’un rotin, d’autres portent des matériaux, d’autres enfi n procédant au rodage des blocs suspendus à un bâti spécial. Plus loin, quelques fragments se rapportant à la vie des ascètes. Au-delà de la porte s’étend le long panneau que M. Cœdès nomme « la guerre civile » : ce sont de larges mouvements de foule évoluant devant toute une ligne d’habitations – fi gurant peut-être une rue –, hommes et femmes du peuple gesticulant et se menaçant, d’autres armés prêts
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à la lutte. Au-dessus, un personnage agenouillé à qui l’on apporte deux têtes coupées, semble les présenter à la population, et tout en haut un autre en palanquin se dirige vers quelque prince qui l’attend dans son palais. Plus loin, c’est la mêlée furieuse des combattants, guerriers presque nus ayant tous la coiffure habituelle des Khmers et que rien ne distingue les uns des autres : de nombreux éléphants participent à l’action.
Galerie occidentale, moitié nord Des guerriers armés simplement de bâtons semblent en harceler d’autres protégés par de petits boucliers circulaires et précédés d’éléphants : ils longent un bassin où l’on voit un énorme poisson avaler un petit quadrupède, une courte inscription l’identifi e, précisant que « le cerf est sa nourriture ». Un autre texte plus long, gravé sous une grosse crevette, indique que « le roi poursuit les vaincus en combattant ». Ce bas-relief est malheureusement resté en épannelage dans les parties hautes où devaient se trouver les personnages principaux. Au-delà de la porte, une dernière inscription mentionne qu’« ensuite le roi se retire dans la forêt au moment où il célèbre le saint Indrâbhisaka », ce qui permet à M. Cœdès de dire que « ce défi lé paisible dans un décor d’arbres représente le roi allant faire une retraite dans la forêt avant de célébrer le Sacre d’Indra », souvenir d’une vieille cérémonie védique. En queue du cortège se voient des femmes et des enfants ; on remarquera en outre le souverain, toujours d’une taille supérieure à celle des autres personnages, debout sur un éléphant, puis, en tête, l’arche du feu sacré.
Galerie nord, moitié occidentale Le mur n’est sculpté qu’à la partie basse, dont certains fragments même ne sont qu’ébauchés. Le premier panneau fait certainement suite au précédent, « les jeux auxquels prennent part des athlètes, des jongleurs, des équilibristes, des chevaux de course constituant évidemment ces réjouissances publiques qui sont un des éléments essentiels de l’Indrâbhisaka » (M. Cœdès). Au-dessus de la scène d’intérieur présidée par le roi, un curieux défi lé d’animaux donne une idée de la faune cambodgienne ; à l’autre extrémité, des ascètes sont assis dans la forêt, puis, sur le bord d’une rivière sinueuse, se tient un groupe de femmes auxquelles on apporte des présents, près d’un personnage de haute taille resté à l’état d’ébauche. Passée la porte, nouvelles scènes de combat, où les Chams réapparaissent comme ennemis traditionnels des Khmers.
Galerie nord, moitié orientale Le mur est presque entièrement écroulé, sauf à ses deux extrémités, où l’on retrouve les mêmes adversaires aux prises. Les Chams viennent de l’ouest par rangs serrés, mais cette fois, ce sont des Khmers qui s’enfuient vers la montagne, sans paraître opposer de résistance sérieuse. Toute la partie orientale, très animée, est traitée avec un curieux réalisme.
Pavillon d’angle nord-est Défi lés de guerriers khmers et d’éléphants sans intérêt spécial. Au centre du pavillon se trouve un très beau piédestal de forme circulaire, d’un type généralement réservé aux statues de Brahmâ ; on n’en peut connaître la provenance, son style étant très différent de celui du Bayon et le plaçant aux environs du Xe siècle.
Galerie orientale, moitié nord Dans un grand déploiement de forces, Chams et Khmers s’affrontent à nouveau, formant vers le centre une mêlée furieuse où les éléphants eux-mêmes participent à l’action : l’un d’eux cherche, de sa trompe enroulée, à arracher une défense à la bête qui lui est opposée ; un autre est exceptionnellement représenté de face. Étendards, enseignes et parasols, en nombre incalculable, forment une véritable toile de fond ; on y remarquera, du côté des Khmers qui semblent initialement prendre le dessus, de curieux panneaux grillagés destinés sans aucun doute à arrêter les fl èches de l’adversaire sans intercepter la vue.
2. Galeries intérieures (2e enceinte) Nous n’adopterons ici que pour la commodité de la visite le mode habituel de circulation qui, partant de l’entrée principale est, laisse constamment le temple à main droite. Il s’agit en effet non plus d’une galerie pourtournante d’un seul tenant, mais d’une succession de locaux indépendants, cellules et tronçons de galeries nettement séparés. Les divers panneaux de bas-reliefs doivent être considérés comme autant de tableaux et seulement certains d’entre eux ont un sens lié de toute évidence au développement du sujet représenté ; nous le préciserons lorsqu’il sera contraire à celui de notre marche.
Galerie orientale, moitié sud 1. Entre deux tours – À droite, ascètes et animaux dans la forêt, en pays de montagnes ; en face (très effacé), scène de palais, présidée par un personnage royal ; à gauche, autre scène de palais, personnage principal à l’état d’ébauche. 2. Petite pièce – À droite, roi dans un palais parmi des ascètes, au-dessus de scènes champêtres et de chasse ; en face, brahmanes autour d’un brasier à l’intérieur d’un temple survolé par des apsaras. 3. Galerie basse – À droite de la porte, princesse dans un palais au milieu de ses suivantes ; grand panneau de face et retour à gauche : défi lé d’armée habituel, mais où Khmers et Chams (?) sont mélangés ; personnage royal debout sur un éléphant, précédé de l’arche du feu sacré.
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53. Bayon, apsara, galerie du deuxième étage.
Angle sud-est Guerriers en marche et chef debout sur un éléphant.
Galerie sud, moitié orientale 1. Galerie basse – Panneau très corrodé et confus. Défi lé de guerriers (Chams ?), lutte entre deux personnages de haut rang, guerriers venant en sens inverse et paraissant de même nationalité. Scène de palais ; on voit ensuite un homme grimpé sur un cocotier, puis un énorme garuda et un gigantesque poisson symbolisant l’Océan dans lequel est censée plonger la base du Mont Meru, représenté comme une montagne peuplée d’ascètes et d’animaux. Reprise du défi lé, avec un nouveau personnage de haut rang, devant des façades de palais où des salles vides garnies seulement de quelques accessoires, alternent avec d’autres qu’occupent des princesses respirant une fl eur ou se coiffant devant un miroir. 2. Petite pièce – Lutte d’un personnage royal, très grand d’échelle, contre un lion (?) et, à gauche contre un éléphant qu’il vient de terrasser et dont il tient une des pattes postérieures. 3. Entre deux tours – Commençant par le mur en retour de la partie gauche, on voit, au-dessus d’un défi lé de guerriers, un roi quittant son palais dont la pièce principale reste vide, garnie seulement de quelques accessoires (arc, carquois et chasse-mouches), tandis qu’une princesse est assise au milieu de ses suivantes. En face et de gauche à droite, c’est une scène de combat, d’ailleurs peu développée, contre un autre prince et son armée, puis un palais au bord d’une pièce d’eau avec un autre bâtiment où quelques personnages entourent un brasier. Vient ensuite un cortège de musiciens et d’hommes portant à l’épaule un trône vide, sortant d’un palais occupé seulement par des femmes, le seigneur étant absent. Au registre inférieur, une princesse se prépare à enfermer un enfant dans un coffre : il semble que celui-ci soit destiné à être précipité dans l’étang voisin. Un pêcheur, monté sur une barque, y jette l’épervier en présence d’une princesse richement parée dont la somptueuse embarcation est auréolée par des apsaras ; de l’étang jaillit un énorme lotus servant de piédestal à quelque idole ou personnage dont l’image a été bûchée, près d’un groupe d’adorateurs qui lui rendent hommage. Il est vraisemblable que cette scène sert de prélude à la légende ciselée sur le panneau de droite en retour et qui a été identifi ée : c’est l’histoire de « Pradyumna, fi ls de Krishna et de Rukmini, jeté à la mer par le démon
136 Çambara. L’enfant est dévoré par un poisson, que des pêcheurs prennent ensuite dans leur fi let et viennent offrir à Çambara. En dépeçant l’animal, les pêcheurs trouvent Pradyumna (qui n’est autre que Kâma, le dieu de l’amour). Une servante de Çambara, Mâyâvati (incarnation de Rati, l’épouse de Kâma), élève en cachette celui qui doit être son époux et qui tuera plus tard Çambara » (G. Cœdès). On voit l’enfant vivant assis dans le ventre du poisson que le roi fait le geste de dépecer, puis présenté à Mâyâvati qui lui tend les bras.
Galerie sud, moitié occidentale 1. Entre deux tours – Panneau de droite en retour très effacé : on distingue un personnage couché dans un palais, dont l’épouse, assise à son chevet, semble se lamenter. En face, panneau çivaïte de facture déplorable ; le dieu est représenté deux fois debout, sur un trône, puis sur un lotus épanoui, au milieu de ses adorateurs, dont l’un est allongé sur le sol ; une sorte de coffre ou de reliquaire est porté sur une charrette. À gauche en retour, autre Çiva difforme tenant le trident au-dessus d’apsaras dansant avec accompagnement d’orchestre. 2. Petite pièce – À droite en retour, on voit à la base une scène d’intérieur ; des pigeons sont perchés sur la toiture. En haut, architecture de temple, d’où un Vishnou à quatre bras semble descendre vers un Çiva debout tenant un trident. En face, scène analogue, mais sans personnage à quatre bras. 3. Galerie basse – Apsaras volantes et personnage debout (Çiva ?) ceint du cordon brahmanique, recevant les hommages de brahmanes. Paysage de montagne peuplé de fauves (un tigre dévore un homme) servant de fond à un temple aux portes closes. Des princesses se promènent sur un étang, de part et d’autre d’un charmant groupe de trois apsaras dansant sur des lotus ; au-dessus, c’est sans doute Çiva assis dans son palais céleste au milieu de sa cour. Au-delà, c’est le temple de Çiva (représenté debout), érigé au milieu d’un étang dont les rives sont peuplées d’ascètes et d’animaux ; un tigre poursuit un ascète, tandis que d’autres religieux conversent dans un palais et que plusieurs adorateurs se prosternent devant le dieu. Au centre du panneau, c’est Vishnou à quatre bras, debout, sous forme de statue au bord d’un bassin, entouré d’apsaras volantes : une foule se prosterne, dont un personnage étendu sur le sol, qu’accompagne le même coffre monté sur roues que nous avons mentionné plus haut. Des chevaux fi gurent

54. Bayon, trois apsaras dansantes, pilier, gopura, galerie extérieure. Pages suivantes :
55. Bayon, armée en marche, galerie extérieure est, aile sud.
dans le cortège, qui vient d’un palais fi guré à gauche et dont l’escalier est gardé par des lions ; un haut personnage paraît y donner des ordres, tandis que de nombreux serviteurs préparent fi évreusement le départ. À l’extrémité, en retour, des princesses se promènent dans un jardin, au bord d’un étang où l’une d’elles cueille des lotus. Nous assistons sans aucun doute à l’organisation de quelque pèlerinage royal au sanctuaire du dieu.
Galerie occidentale, moitié sud 1. Galerie basse – À droite, femmes dans un palais dont la salle principale est vide. En face, Vishnou à quatre bras, armé de ses attributs habituels, debout sur garuda et « subjuguant, pour son propre compte ou pour celui du personnage qui se trouve derrière lui, une armée d’Asuras » (G. Cœdès) ; puis scène dans un palais dont une place est vide. 2. Petite pièce – Nouvelle scène dans un palais, avec apsaras dansant aux sons d’un orchestre ; à gauche, femmes nageant et cueillant des lotus dans un étang au bord duquel se tient un ascète ; au-dessus, danses, et tout en haut, scène de lutte à deux personnages et couple enlacé. 3. Entre deux tours – À droite, scène d’adoration du dieu Vishnou à quatre bras, surmontant quelques épisodes de la construction d’un temple, traités de façon plus complète que sur les bas-reliefs de la galerie extérieure : des coolies halent un bloc de pierre glissant sur des rouleaux, d’autres procèdent au rodage des blocs à l’aide d’un système spécial à levier et en effectuent la pose, d’autres enfi n transportent des matériaux sous la menace du rotin. En face, nouvelle scène d’adoration de Vishnou, dont la statue se trouve au-dessus d’un orifi ce d’évacuation des eaux provenant de l’intérieur du monument ; apsaras volantes et foule de serviteurs portant des plateaux. C’est sans doute la cérémonie d’inauguration du temple. Scène nautique, avec joueurs d’échecs dans une jonque richement décorée et entourée de barques, et combat de coqs : même sujet que la « Fête nautique de Dvâravati » du pavillon d’angle sud-ouest d’Angkor Vat. À gauche en retour, sous une scène de palais (Çiva, avec Vishnou dansant sur sa droite), diverses pages de la vie des ascètes, les uns méditant dans des grottes, d’autres nageant parmi des lotus près d’un oiseau qui tient un poisson dans son bec.
Galerie occidentale, moitié nord 1. Entre deux tours – À droite en retour, scènes de palais très effacées. En face, sur trois registres, défi lé de guerriers, principalement de cavaliers, avec deux hauts per-
138 sonnages assis dans leurs chars traînés par des chevaux. À gauche en retour, suite du défi lé. 2. Petite pièce – À droite en retour, entretien de deux seigneurs dans un palais, jeunes princesses aux mains de leurs habilleuses, et, sur la gauche, temple abritant un dais dressé sur une pyramide à gradins (pavillon d’incinération ?). En face, au milieu d’une assemblée de brahmanes dont certains entourent une sorte de foyer dressé sous un toit, un archer décoche sa fl èche, tandis qu’un autre prépare son arme. 3. Galerie basse – Autre épreuve de tir à l’arc, avec, à gauche un seigneur dans son palais. Le grand panneau est écroulé sur une bonne partie de sa longueur ; il montre le Barattement de la Mer de lait, et ses vestiges présentent d’excellentes qualités plastiques. C’est d’abord une assemblée de brahmanes, puis, sous un vol d’oiseaux et d’apsaras, le corps du serpent avec les asuras du côté de la tête et les devas, aidés du singe Hanuman, du côté de la queue. Une réplique du serpent rampe au fond de la mer, représentée par un registre de poissons. Au centre, le pivot est fi guré par une colonne reposant sur la tortue (avatar de Vishnou) ; le fût est enlacé par le dieu sous sa forme humaine à quatre bras, tandis qu’un autre personnage surmonte la scène, comme à Angkor Vat, au-dessus du chapiteau en forme de lotus. On aperçoit les deux disques du soleil et de la lune, ainsi que le fl acon destiné à contenir l’amrita, liqueur d’immortalité convoitée par les dieux et les démons. À gauche, un dieu assis sur un oiseau semble vouloir apaiser le groupe d’asuras en bataille qui termine la composition ; leur chef est debout sur une charrette traînée par de superbes lions.
Angle nord-ouest Défi lé de guerriers.
Galerie nord, moitié occidentale 1. Galerie basse – Scènes de palais sur trois registres. Puis, sur deux registres, défi lé de serviteurs semblant porter des offrandes et se dirigeant, à la suite d’un personnage de taille plus élevée, vers une montagne peuplée de fauves (éléphants, rhinocéros, nâgas et autres serpents, etc.), coupée par un étang et couronnée par un sanctuaire aux portes closes. On voit ensuite un autre temple plus important, également fermé, dont l’entrée est gardée par deux dvârapâlas. Des ascètes agenouillés semblent recevoir un autre cortège venant de la gauche et mené par deux personnages de haute taille porteurs du trident. Peut-être, viennent-ils de débarquer sur le rivage, car la scène devient nautique,





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56. Bayon, armée en marche, galerie extérieure est, aile sud. 57. Portrait présumé de Jayavarman VII. Provenance Krol Romeas, Angkor Thom (Musée national, Phnom Penh).
avec un groupe de trois jonques richement ornées et de grande dimension, les deux premières montées par des hommes aux cheveux ras et un seigneur tenant le trident, l’autre par des personnages dont la tête est couverte d’une fl eur renversée, entourant un couple central et se livrant à toutes sortes de divertissements sous une nuée d’oiseaux. On revient enfi n sur la terre ferme où, dans un palais de montagne et parmi les ascètes, traînent plusieurs personnages dont l’un au moins armé du trident (Çiva ?). 2. Petite pièce – En face, sous un vol d’apsaras et très gauchement représenté, c’est Çiva à dix bras dansant le « tândava », qui doit régler le rythme de l’univers ; Vishnou est à sa droite, Brahmâ aux quatre visages à sa gauche, avec Ganeça, tandis qu’au-dessous apparaît un Râhu dévorant. Sur le pan de mur en retour, en haut d’une montagne peuplée d’ascètes, autre aspect de la « Trimûrti » : Çiva assis entre Vishnou et Brahmâ, au-dessus d’un énorme sanglier chargeant. 3. Entre deux tours – À droite en retour, toujours Çiva assis, entouré d’ascètes et de femmes, dont la première doit être son épouse Pârvati ; le taureau Nandin se tient à proximité. En face, dans un paysage de montagnes où des ascètes sont en prière, une femme arrangeant d’un geste gracieux sa chevelure apparaît dans l’embrasure d’une porte, entre un prince ou un dieu et un ascète ; sur le linteau, on aperçoit une sorte de lézard. Ce serait, selon les uns, la légende, déjà représentée à Angkor Vat, de Râvana prenant la forme d’un caméléon pour s’introduire dans l’appartement des femmes du palais d’Indra ; selon d’autres, ce serait la descente sur la terre de la déesse Ganga (le fl euve Gange). Puis c’est la scène également visible à Angkor Vat, de Kâma, dieu de l’amour, décochant une fl èche à Çiva qui méditait au haut d’une montagne avec Umâ à ses côtés : le dieu rendu furieux foudroie Kâma, que l’on voit étendu sur le sol, son épouse Rati à ses pieds. Là encore le taureau Nandin est représenté, gravissant la pente. Le panneau se termine par une scène imprécise où un prince siège dans son palais au faîte d’une montagne. À gauche en retour, Çiva monté sur Nandin, d’une exécution très médiocre.
Galerie nord, moitié orientale 1. Entre deux tours – À droite en retour, Çiva sur Nandin, avec son épouse Umâ assise sur sa cuisse, passe devant un palais où l’on voit le roi des nâgas, à têtes multiples de serpents ; en bas, danses d’apsaras. En face, il semble qu’on assiste aux préparatifs de l’incinération d’un personnage que l’on voit transporté à bras
144 sur le registre inférieur ; au-dessus, l’urne funéraire et le pavillon crématoire, surmonté d’une tête de Kâla. Puis c’est un épisode de Mahâbhârata : « le duel entre Arjuna et Çiva déguisé en Kirâta, à propos d’un sanglier que l’un et l’autre prétendent avoir tué, et qui n’est autre que le râkshasa Mûka ; Çiva vainqueur se laisse reconnaître et donne à Arjuna l’arme Pâçuputa qui doit lui servir dans ses exploits futurs » (G. Cœdès). À gauche de la porte, personnage assis dans un palais au sommet d’une montagne, entouré de femmes. Puis c’est « la légende de Râvana à demi écrasé par Çiva, sous la montagne qu’il prétendait secouer, bien connue par un bas-relief d’Angkor Vat et où les sculpteurs n’ont eu garde d’oublier le char Pushpaka », attelé de hamsas (G. Cœdès). Sur le panneau en retour, deux scènes de palais superposées. 2. Petite pièce – Défi lé sans aucune particularité. 3. Galerie basse – Serviteurs porteurs d’offrandes (?). Puis, au-dessus d’un registre d’ascètes en prière, faisant suite à un bassin parementé en gradins, riche palais dont les trois tours sont surmontées d’un trident, sur un fond de cocotiers : le trône central est vide, et les sanctuaires latéraux abritent les statues de Vishnou et de Lakshmî. Plus loin, c’est Çiva bénissant ses adorateurs sous un vol d’apsaras ; il semble que ce soit un roi, suivi de son armée, qui vienne implorer la faveur du dieu. Défi lé habituel de fantassins aux cheveux ras avec musiciens, éléphants et chevaux ; des princesses suivent, portées dans des palanquins, ainsi qu’un énorme coffre et une charrette avec rouf attelé de bœufs. On passe devant des habitations désertées, puis on voit le roi montant dans son char à six roues au sortir de son palais, où des danses ont égayé la soirée des adieux.
Angle nord-est Fragments de défi lé sans intérêt.
Galerie orientale, moitié nord 1. Galerie basse – Grand défi lé d’armée, où l’on relève deux sortes de coiffures ; cheveux ras et fl eur renversée. En bas passent musiciens, fantassins encadrés de cavaliers, charrette princière tirée par des chevaux et d’autres avec rouf, traînées à bras. En haut, grand char-litière à six roues monté sur hamsas et porté ou tiré à l’épaule, occupé par un prince, entre deux de ses femmes ; princesses en palanquin, entourées d’enfants ; arche du feu sacré (?), trône vide et le roi armé d’un arc assis à éléphant, suivi par deux autres chefs. Passée la porte, un petit panneau montre un prince – peut-être le roi implorant la faveur du dieu avant de partir
