Antigone by ISCPA- le magazine de l'Homme rebelle

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anarchiste

violence reac

antivax

AUTISME

ART franc macon

REVOLUTION

VEGAN

feminisme

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manifestation

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LA PAROLE REBELLE

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EDITO G

Directrice de publication : Isabelle Dumas Directeurs de rédaction : Dominique Humbert, Claire Pourprix, Raphaël Ruffier Rédactrice en chef : Julie Mermet

Maquettiste / Direction artistique : Arthur Brenac Secrétaires de rédaction : Marylou Fossot, Naomi Levannier, Kyllian Rivenet, Bastien Salles Photographes : Dylan Munoz, Raphaël Ripoll

Adresse de la rédaction : ISCPA Lyon, 47 avenue du Sergent Michel Berthet, 69009, Lyon Reproduction : Campus HEP Lyon - René Cassin

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Journalistes : Arthur Brenac, Grégoire Chapron, Tom Ciaravino, Léonie Dutrievoz, Marylou Fossot, Naomi Levannier, Julie Mermet, Thomas Monteil, Dylan Munoz, Mathis Raguin, Guillaume Resin, Chloé Riste, Kyllian Rivenet, Alexandra Sabadello, Bastien Salles


LIVRER BATAILLE Quand on pense rébellion, on pense dans un premier temps aux grandes révolutions : celle de 1776 en Amérique, celle de 1789 en France. On pense au printemps arabe, à mai 68, à la révolution des oeillets. On pense à ces instants d’Histoire où le peuple s’est révolté pour bousculer l’ordre établi. Moins grandiose, quand l’on pense à la rébellion, on pense aux cas les plus “isolés” : à la délinquance, aux rappeurs qui jouent sur les maux de notre société et aux graffeurs qui exposent leurs vérités sur les murs des villes. Si l’on réduit l’échelle davantage, on réalise qu’en France on râle beaucoup, et que la rébellion peut être un sujet bien plus large et concernant. La rédaction le décrit en un mot : “anti-système”, et l’illustre par une femme. Antigone, fille d’Œdipe et figure de la mythologie grecque. Incarnation d’une jeunesse rebelle, insubordonnée au pouvoir, qui ne défend aucune autre idée que celle du droit d’exister et de vivre en accord avec ses opinions. C’est ainsi qu’Antigone a pris la forme d’un magazine. Jeune et rebelle à sa façon, il a pour vocation de rendre visible les initiatives, aussi minimes soient-elles, qui s’opposent au système et à l’ordre établi. Antigone est de ceux qui pensent que la rébellion est une composante fondamentale de la société. Qu’elle entraîne la norme ou qu’elle soit oubliée, elle forme une alternance de dérèglements et de retours à l’ordre qui poussent le citoyen à la remise en question et à la réflexion. En cela, elle est un exercice d’esprit majeur, bénéfique à la démocratie et au débat public. Ce en quoi Antigone croit, c’est qu’il n’y a rien de manichéen dans la rébellion. À l’appréciation de chacun, il y a des révoltes utiles à la société et il y a des révoltes bêtes. Il y a des intelligents et il y a des cons. Antigone fait la promesse de ne pas les oublier et de faire l’éclairage sur un large panel de façons de contester le système. En adoptant une démarche de “journaliste rebelle”, la rédaction d’Antigone démontre que la rébellion, aussi légitime soit-elle, est nécessaire au bon fonctionnement d’une vie en communauté. Traiter les acteurs de la rébellion, c’est traiter la démocratie et ses citoyens au sens large. C’est tester les limites de la société et sortir des rangs. C’est être culotté. C’est donner la parole, choisir des sujets inédits, sortir des sentiers battus, monter ce que l’on n’a pas l’habitude de voir et ce que vous n’avez peut être encore jamais vu.

JULIE MERMET 3


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de père en fils /// réfractaires ! (p.12) RMES CITOYENS A X U A : R IE S S O D IE (p.18) IE DE LA TYRANN M O T A N A : IE T E O LA B

SISYPHE

20 Avec Dédale, Zeus ou encore Sisyphe, Antigone catégorise les révoltes d’aujourd’hui par des figures rebelles de la mythologie

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ADMETE

PROMET

LES HAC KERS A L ’ABORDA LA DELIN GE (p.22 QUANCE ) ENTRE 4 MURS (p .28)

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/// l’envers des

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HEE /// milit

maux

IQUE (p.32) ATTENTION CA P ILLE (p.34) AUTISME, MA BATA

volatile libido volatile /// libido ZEUS /// A, B, C, D, L, G, B T...(p.44) L’AMOUR A PLUSIEURS (p.48)

ants 2.0


DEDALE

/// c’était mieux

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avant !

IENDLY (p.54) NEO-NAZIS GAY FR 6) Y-FRIENDLY (p.5 ROYALISTE ET GA

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NARCISSE /// #balancetontoi PHOTO : PEDES, MAIS PAS DAMNES (p.7 0) DOSSIER : NOUS LES FEMMES, NOUS LE CHA

RME (p.76)

PENELOPE

0 9 ECHO

/// eux après nous

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JUSQU’A QUE LA FIN DU MONDE NOUS SEPARE (p.86)

AMPHION

MASTER OF REBELLES (p.96) L’ELEGANCE DU X (p.98)

l’informationn de l’informatio combat de /// combat ///

NI PUBS, NI SOUMISES (p.104) TU DETRUIS, JE DENONCE (p.110)

/// partition dissonante

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POLITIQUEMENT in CORRECT « L’ERREUR DE LA DICTATURE A ÉTÉ DE TORTURER SANS TUER » - Jair Bolsonaro

Le 1er janvier 2019, Jair Bolsonaro a pris ses fonctions de président de la République fédérative du Brésil. Partisan de l’extrême droite, l’homme politique de 63 ans est souvent au coeur de nombreuses polémiques. Entre sorties homophobes, misogynes ou racistes, il s’est également fendu de cette déclaration en 2016, apparaissant comme nostalgique de la dictature brésilienne en place de 1964 à 1985. Cette prise de position, à l’encontre de tout bon sens, a visiblement plu puisque Bolsonaro a remporté les dernières élections présidentielles.

@Alan Santos

« JE CROIS À L’INÉGALITÉ DES RACES » - Jean-Marie Le Pen

C’est lors d’un discours en 1996, aux universités d’été du FN, que Jean-Marie Le Pen a prononcé cette phrase. Dans une volonté de choquer et de marquer les esprits, il avait même ajouté « toute l’histoire le démontre, elles [les races, ndlr.] n’ont pas la même capacité ni le même niveau d’évolution historique ». On vous rassure, c’est bien évidemment faux, aussi bien moralement que scientifiquement. Ce côté rebelle et ce désir de se démarquer des autres plairont à une partie de la population. Cela servira à l’emmener jusqu’au second tour de l’élection présidentielle de 2002, où il se fera battre à plate couture par Jacques Chirac. @LyonMag 6


« DONALD LE GÂTEUX EST ATTEINT D’INCONTINENCE CÉRÉBRALE... COMME UN “GÂTEUX“ SOUFFRE D’INCONTINENCE D’URINE VOIRE DE MATIÈRES FÉCALES ET “GÂTE“ SES DRAPS. [...] N’INSULTE PAS MON PAYS, VIEILLARD! LA FRANCE T’EMBRASSE LE CUL ! »

- Joachim Son-Forget

Alors en pleine crise des Gilets Jaunes (acte IV), Donald Trump a déduit dans l’un de ses tweets que les Français se dressaient contre les accords de Paris sur le climat. Joachim Son-Forget, l’ancien député LREM (renvoyé en raison de ses dérapages sur les réseaux sociaux) s’est alors insurgé du ton « méprisant » du président des Etats-Unis dans cette déclaration qu’il juge « surréaliste ». L’ancien élu a déclaré avoir voulu « se mettre à son niveau » en adoptant « une intonation accessible au grand public ». C’est pour lui une manière différente de faire de la pédagogie. S’il faut choquer et parler différemment, l’homme politique met les deux pieds dans le plat.

@AFP

« EN POLITIQUE, SI VOUS VOULEZ DES DISCOURS, DEMANDEZ À UN HOMME. SI VOUS VOULEZ DES ACTES, DEMANDEZ À UNE FEMME. » - Margaret Thatcher

Une phrase énoncée lors d’une interview en 1975 par celle que l’on appelait la Dame de Fer. Bien qu’elle ne mettait rarement son genre en avant, elle a quelquefois évoqué les différences entre hommes et femmes en politique. Elle est elle-même la première femme devenue chef de gouvernement dans un pays d’Europe occidentale, et la première également à avoir dirigé aussi longtemps la Grande-Bretagne au XXe siècle, pendant 11 ans.

« LES ALLEMANDS NOUS ONT PRIS NOS JUIFS, ILS NOUS RENDENT DES ARABES » - Patrick Devedjian

En 2015, lors d’une conférence de presse, le député des Hauts-de-Seine Patrick Devedjian a osé sortir cette boutade qui n’a pas vraiment remporté un franc succès, de surcroît dans un contexte de crise migratoire. L’humour noir peut provoquer des casses lorsqu’il n’est pas judicieusement manié, d’autant plus quand on est un personnage politique. L’élu s’est excusé sur Twitter et a participé à l’accueil des migrants. Sauvé de peu donc, mais il faut lui accorder qu’il a tenté le beau jeu pour amuser la galerie. Mais il s’est trompé de salle et d’ambiance.

@LH Forums

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... CERTIFIÉS

S L I A F S O GR

ltes s réussies, certaines révo lle be re s ive iat nit d’i re ents i ses colonnes nomb de poing ratées et mouvem up Si Antigone compte parm co ns tio ac tre En . nt moins marqua d’être listés. ont connu un succès bien « gros échecs » méritent ins rta ce s, he ûc mb d’e s d’ampleur semé

GÊNANT

? Connaissez-vous le Huéscar ? Cette petite commune espagnole en Andalousie. En 1809, ses habitants se rebellent et déclarent la guerre au Danemark. Une bataille qui s’organise suite aux guerres napoléoniennes en Espagne durant lesquelles le Danemark était allié avec le Premier empire. Au fil des années, les deux parties oublièrent cette déclaration de guerre. C’est un historien qui, après l’avoir découverte, entraîna la signature d’un traité de paix entre la mairie de Huéscar et le Danemark, en 1981. 172 années sont passées sans qu’aucun coup de feu ne soit tiré, et sans LD aucune victime à déplorer. 8

ÉPIQUE S’il y a bien une rébellion ratée récente et proche de nous, c’est celle des indépendantistes catalans. Même si les velléités séparatistes catalanes existent depuis près de quatre siècles, la tentative de Carles Puigdemont a marqué l’actualité de fin 2017 et les tensions entre les indépendantistes catalans et l’exécutif espagnol restent vives. Le 1er octobre 2017, le “oui” l’emporte lors du référendum sur l’indépendance de la Catalogne, déclaré illégal par le gouvernement espagnol. Deux semaines plus tard, le 27 octobre, l’indépendance catalane est déclarée. Cependant, le gouvernement espagnol réagit en mettant sous tutelle la région indépendantiste, s’appuyant sur la Constitution espagnole, et en organisant de nouvelles élections régionales. Les principaux dirigeants de la brève République de Catalogne font aujourd’hui face à la justice pour rébellion. NL

WTF En 1929, des fermiers de la province de l’Australie occidentale se sont plaints du trop grand nombre de dromaiidae, communément appelés émeus (oiseau australien de 1,5 m courant jusqu’à 52 km/h), pour étendre leur culture. En 1932, l’armée détache des soldats et leurs équipements de la guerre mondiale pour tuer les quelque 20 000 oiseaux dans la zone. Une semaine et 12 000 munitions plus tard, seulement 500 émeus étaient tués. Dans son rapport, le major Meredith a défendu ce constat par cette phrase : « Si nous avions une division qui savait esquisser les balles comme le font ces oiseaux, celle-ci pourrait faire face à n’importe quelle armée dans le monde. Ils savent affronter les mitrailleuses avec l’invulnérabilité d’un tank ! » Ce fut la première guerre ouverte de l’humain contre une autre espèce, et également la première qu’il ait perdue. tM


SUJI Yukio Mishima est écrivain et auteur d’une tentative de coup d’Etat au Japon en 1970. Romancier reconnu, il est le mélange d’un nationalisme exacerbé et de la douce violence du rejet de son corps. Tout au long de sa vie, Kimitake Hiraoka de son vrai nom, subit la violence d’un père qui n’appréciait pas le goût prononcé de son fils pour la littérature. Une passion qu’il trouvait féminisante. Son réconfort, il le trouvera dans les livres, l’écriture et la musculation. Élève brillant, il intègre le Collège des Pairs, la plus prestigieuse université du pays. Ses œuvres littéraires seront traversées par des questionnements autour du corps et de sa destruction. Il découvrira tardivement son amour des hommes et tombera petit à petit dans un nationalisme très fort, jusqu’à en devenir un réactionnaire, nostalgique des valeurs japonaises qu’il ne retrouve pas dans la société actuelle. En 1968, il crée sa propre milice

nationaliste, Tatenokai, dite “La société du Bouclier ”, pour une « opposition au communisme, le maintien de l’esprit national et la défense de l’Empereur ». C’est en 1970 qu’il mettra son plan de coup d’Etat à exécution au ministère de la Guerre en prenant le général commandant en chef en otage. Face à l’échec de son discours et de ses idées, il finira par se donner la mort par “seppuku” (éventration selon la tradition samouraï). En 2005, des négatifs d’un film nommé Patriotisme, réalisé par Yukio lui-même en 1965, sont retrouvés au Japon. On y voit ce dernier jouer le rôle d’un lieutenant qui se révolte avec l’aide de quelques officiers, face au gouvernement, qu’ils estiment corrompu. Ce sera un échec, les officiers seront arrêtés puis fusillé et le lieutenant se suicidera par éventration. DM

Yukio Mishima, écrivain reconnu, a tenté un coup d’État au Japon en 1970.

SOLO Nicolas Dupont-Aignan, président du parti Debout la France @SEVGI

C’était un peu son mai 68 à lui. En 2015, Nicolas Dupont-Aignan lance une action coup de poing : ouvrir les barrières d’un péage... Mais dans le mauvais sens. Depuis 2012 et sa campagne pour l’élection présidentielle, le chef de Debout la France aime enfiler sa cape de rebelle, et il s’en vante. Car c’est lui le précurseur, l’inventeur des fameuses opérations ‘‘péages ouverts’’ associées aujourd’hui au mouvement des Gilets jaunes. Chaque année, c’est destination le péage de Saint-Arnoult, en banlieue parisienne. Accompagné de ses militants de la première heure, il mène alors une opération ‘‘péage gratuit’’ afin de dénoncer les prix des trajets qu’il qualifie de ‘‘racket autoroutier’’. Mais en 2015, c’est le drame. Le 25 mai, Nicolas Dupont-Aignan se dirige d’un

pas déterminé vers son péage favori, entouré de journalistes venant relayer son action coup de poing. Des tracts sont distribués aux automobilistes, pour lutter contre la hausse des prix, mais surtout, pour informer du point d’orgue de l’opération : soulever les barrières pour permettre aux conducteurs de passer gratuitement. Petit problème : Nicolas Dupont-Aignan est dans le mauvais sens. Il ne s’agit pas du côté où les gens payent, mais de celui où ils récupèrent leur ticket. Devant les médias venus observer son geste héroïque, l’homme politique tente de garder le sourire. Mais ce fail du 25 mai, il s’en souvient à coup sûr. Un échec sûrement difficile à digérer pour l’ancien candidat à la présidentielle qui a vu cette action faire à nouveau le buzz sur les réseaux sociaux, dès lors que ces actions aux péages ont été remises au goût du jour par les Gilets jaunes… JM 9


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RÉFRACTAIRES DE PÈRE EN FILS

e h p y s si Si rebelle avait été le deuxième prénom de Sisyphe, personne n’en aurait été étonné. Roi mythique de Corinthe, l’antique Sisyphe est rusé, voleur et maître chanteur. Il a été puni par Hadès pour avoir porté offense aux dieux, et condamné à faire rouler éternellement un rocher en haut d’une montagne. C’est par ailleurs sous des traits plus métaphoriques, que bien des siècles plus tard, Albert Camus représentera ce personnage dans Le mythe de Sisyphe. Un texte représentant l’homme contemporain, lui qui, tel Sisyphe et sa pierre, ne consent pas à se résoudre au dessein qui l’incombe. Celui qui voyait autrefois déferler sur lui les flammes de l’enfer, prend aujourd’hui les traits d’un héros se rebellant contre les lois et endossant la responsabilité de ses actes. Voir l’aboutissement de ses projets mis à mal ? Ou simplement décider de vivre sa peine en toute conscience ? Le parallèle avec notre héritage est ainsi tracé.

MARYLO U FOSSOT

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La liberté guidant le peuple, Eugène Delacroix.

R AT C O M E D ’UNE D E M TO P M Y S , N O LLI E B E R A L

E D A L A M

Aux yeux du monde, la France est l’un des pays les plus contestataires qui soit. L’Hexagone est en effet marqué par la Révolution de 1789 qui a profondément changé le cours de son histoire. Pourtant, si l’on en parle moins, d’autres révoltes ont aussi marqué leur époque. Paul Chopelin, maître de conférence en histoire moderne à l’université Lyon 3, explique ces contestations et leurs origines.

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NAOMI LEVANNIER & KYLLIAN RIVENET

Quelle est votre définition de la rébellion ? PC : « La rébellion est une contestation d’une autorité qui est devenue, à un moment donné, illégitime. Les raisons reposent souvent sur ce qui peut paraître comme une injustice. C’est une contestation qui révèle une crise de confiance entre les citoyens et le pouvoir pour des raisons multiples : la distance, une mauvaise administration.. La rébellion peut-être violente ou non violente, un phénomène très localisé ou non. Quelqu’un peut être victime d’une injustice et peut individuellement se rebeller, mais le plus souvent cela reste un phénomène collectif. »

Louis Philippe, roi de France durant la révolution de Février.

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Quelles rébellions contemporaines ont marqué l’Histoire de France ? PC : « Quand on pense rébellion, on pense Révolution Française. On n’étudie pas la Fronde ou d’autres formes

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de révoltes comme les révoltes paysannes. Le vrai moment fondateur, depuis la fin de la IIIe République, c’est 1789. Après, on va évoquer les révolutions de 1830, de 1848 ou plus récemment de mai 1968. Il y a aussi eu les grandes grèves de la fin du XIXe siècle, avec l’organisation syndicale du mouvement ouvrier pour manifester, concernant les conditions de travail. Il y a eu la commune de Paris, mais c’est un phénomène complexe. Il y avait des revendications sociales, mais aussi patriotiques avec la défaite de la guerre de 1870. »

« "L’Histoire nous enseigne que rien n’est éecrit à a l’avance et que tout est possible.»" Jean Froissart, miniature du XVe siècle

Combats de la rue de Rohan, le 29 juillet 1830. Hippolyte Lecomte, 1857 (Musée Carnavalet, Paris)

Certaines révolutions fondatrices de l’Histoire de France sont-elles passées au travers dans l’imaginaire collectif ? PC : « Avec la crise des Gilets jaunes, on a redécouvert une forme de révoltes qui était oubliée depuis des années : les “Jacqueries” du MoyenAge. C’était le mouvement des villes contre les seigneurs, ça se passe au XIe et XIIe siècle avec des villes qui veulent s’émanciper sous l’impulsion de la bourgeoisie. Le pouvoir d’un seigneur est alors jugé inutile et la ville veut s’administrer elle-même. C’est un phénomène de révolte qui a été fondateur dans l’histoire de certaines villes au Moyen-Age. Il y a aussi les révoltes paysannes du XVIIe siècle qui ont été très importantes. Les révoltes concernent une fiscalité souvent trop lourde dans un contexte de guerre, alors que la classe paysanne ne peut pas contribuer à cette demande toujours plus importante d’argent. Dans ce cas-là, ce n’est pas une révolution qui vise à renverser l’ordre établi. Une révolution, à proprement parler, est plutôt rare dans les rébellions. Il faut vraiment que ça aille très mal pour en arriver là, avec une violence exacerbée, où l’on ne trouve pas de solution… » Pensez-vous qu’une révolution est possible en 2019 ? PC : « L’Histoire nous enseigne que rien n’est écrit à l’avance et que tout est possible. Je ne lis pas dans l’avenir, je ne sais pas ce qu’il peut se passer mais il faut toujours prévoir toutes les possibilités. La France est une république “ par hasard ”, c’est un peu un concours de circonstances. Elle aurait très bien pu être une monarchie, comme beaucoup de pays d’Europe d’aujourd’hui. La vraie question concerne le pacte démocratique entre un peuple et son gouvernement. Peu importe l’époque, s’il y a un blocage insurmontable, il y aura révolution. » La rébellion est donc un symptôme d’une démocratie qui va mal ? PC : « Tout à fait, c’est une démocratie qui a du mal à exister dans le cadre du pluralisme. On doit suivre un cap politique, mais il faut aussi tenir compte de l’opposition. La démocratie doit avoir cette fonction intégratrice et quand cette fonction n’est plus remplie, les gens se sentent rejetés pour des raisons économiques, politiques et vont donc manifester. L’enjeu est d’éviter que tout ça dégénère car le pire qui puisse arriver à une société, c’est que les partis se radicalisent et qu’il y ait une guerre civile. » 13


L’HISTOIRE DES RÉVOLTES 1830...

ES IEUSES GLORIEUS TEGLOR TRENS TROI

1353...

Aussi appelée la révolution de Juillet, c’est la deuxième révolution française. Les Trois Glorieuses mettent fin à la Seconde restauration (qui ellemême avait mis fin au Premier Empire) et au règne de Charles X, qui avait durci ses positions lors de ses dernières années au pouvoir. La monarchie er de Juillet est celle de Louis-Philippe I . Porté au pouvoir par les barricades, il en fut chassé de la même façon.

LA GRANDE JACQUERIE Les Jacqueries sont des soulèvements paysans, venus des campagnes. La Grande Jacquerie, en pleine guerre de Cent Ans, est celle qui a été la plus retentissante, qui a le plus ensanglanté les campagnes françaises du Moyen-Age. Dix ans après une épidémie de peste et dans un contexte de crise politique, militaire et sociale, les paysans ont du mal à supporter les taxes des nobles, qu’ils accusent de trahir le royaume de France. La rébellion est matée, mais les Jacqueries poursuivront les années suivantes.

1789...

LA RÉÉEVOLUTION FRANCAISE France, comme on l’apprend Elle a bouleversé l’Histoire de retient particulièrement dans les manuels scolaires. On let, et la fin de la monarchie la prise de la Bastille, le 14 juil plus souvent, c’est qu’elle est absolue. Ce que l’on oublie le sombre que celle de la suivie d’une période bien plus mme : la Terreur, de 1792 à déclaration des droits de l’Ho exactions sont commises au 1794. De grandes violences et “menaçant” la Première répunom de l’Etat, sur les individus ure est suivie par une dictat e blique. C’est la guerre civile, qui . XIX du g sauts tout au lon militaire, puis par des soubre

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POUR LES NULS NAOMI LEVANNIER

1968...

MAI & JUIN §68 2013...

BONNETS ROUGES Plus récemment, ce sont les Bretons qui se sont soulevés contre le gouvernement. En octobre 2013, les Bonnets rouges veulent l’allègement des charges fiscales, contrer la mise en place de l’écotaxe (taxe sur les véhicules lourds) et plus de régionalisation. A la suite de la destruction de portiques écotaxes et une mobilisation endurante, Jean-Marc Ayrault, à l’époque Premier ministre, décide de suspendre la taxe poids lourds, sans fixer de nouvelle date butoir.

Les événements de mai et juin 1968 viennent d’un mouvement contestataire d’abord étudiant, puis ouvrier. Ce n’est pas une révolution mais une profonde rébellion qui s’installe en France, contre les autorités en place. Elle dénonce le pouvoir gaulliste, le capitalisme, l’impérialisme américain mais aussi les institutions traditionnelles. Ce mouvement, multiforme et sans leader attitré, est celui qui a le plus marqué le XXe siècle. La grève générale sauvage dure jusqu’aux accords de Grenelle, qui améliorent les conditions de vie des travailleurs, et jusqu’à la dissolution de l’Assemblée nationale.

1848...

RÉEVOLUTION DE FEVRIER tiMenée par les libéraux et les républicains, elle marque défini et ens vement la fin de la monarchie en France. Face aux Parisi er le à leurs barricades, Louis-Philippe I choisit de ne pas ouvrir ème Deuxi la jour, même Le feu et d’abdiquer le 24 février 1848. république est proclamée par Alphonse de Lamartine et les est révolutionnaires parisiens, puis un gouvernement provisoire formé. 15


NOUVEAU

LOOK RIXE !

POUR UNE NOUVELLE... La situation des Gilets jaunes l’a bien montré : le vêtement a une place centrale dans l’éclosion des révoltes. Son rôle relève-t-il davantage de l’insolite ou est-il une constante de la rébellion ?

L

« L’habit fait le moine ». C’est en tout cas ce qu’affirme Frédéric Monneyron, sociologue de la mode et auteur du livre La mode et ses enjeux, paru en 2010 aux éditions Klincksieck. Selon lui, les vêtements jouent un rôle extrêmement fort dans les rébellions : « Les vêtements sont fondateurs, c’est-à-dire qu’ils vont modifier nos comportements individuels et collectifs. On ne se comporte pas de la même façon selon ce que l’on porte. Le vêtement est le meilleur outil pour étudier les changements sociaux. A travers lui, on peut voir l’état souterrain d’une société. Selon Georg Simmel, sociologue allemand, “la mode est un acte d’imitation et de différenciation ”». L’appropriation des vêtements par les stylistes dénature le propos politique du mouvement de rébellion. Les modes, permettant de se distinguer par le vêtement, sont avant tout créées par des révoltes. La veste militaire en est un exemple emblématique. Les contestataires américains en portaient pour protester contre la guerre du Vietnam. Le vêtement, au-delà de son rôle de différenciation, peut aussi être un amplificateur de rébellion. On peut le voir avec le gilet jaune, lancé à l’origine par le styliste Karl Lagerfeld. Le mouvement des Gilets jaunes le reprend pour rendre ses membres visibles et gagner en considération. Les modes se sont plus ou moins bien étendues selon les idéologies prônées par les révoltés. Celle des hippies, qui se veut peace and love n’a pas eu de mal à s’imposer à tous. Au contraire, la mode punk, moins optimiste, s’est peu développée. Les rébellions adolescentes commencent par le vêtement et finissent par donner des sous-cultures. La mode des hippies et le sweat à capuche en sont des exemples forts.

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GILET JAUNE Le gilet jaune, au-delà d’être une obligation de protection routière, est devenu, de part le mouvement éponyme, un symbole du refus de la hausse des prix du carburant. Le gilet jaune est un symbole de rassemblement et d’unité. Il est également le symbole de la France qui travaille. Il est présent partout, sur les épaules de femmes et d’hommes, qui travaillent sur les chantiers, dans les usines, dans les champs ou les transports, dans la grande distribution. Le jaune est considéré comme une couleur négative, notamment en politique. Les effets de langue le rappellent : le verbe “ jaunir ” est très péjoratif et traduit le déclin, la pourriture. La couleur jaune a, selon Michel Pastoureau, historien des pratiques sociales et politiques des couleurs, été choisie pour deux raisons : d’une part pour signaler un danger lié à la voiture et l’essence, et d’autre part parce que cette couleur n’avait encore jamais été utilisée.

HOODIE Tantôt cheval de bataille d’une contre-culture anonyme, tantôt démocratique de par son amplitude, le hoodie – sweat à capuche – commençait à s’épanouir dans le dressing des working-classes dans les années 30. Or, il ne gagna sa fibre subversive qu’aux années 1970, décennie où le vêtement mutait en étendard des délinquances transatlantiques ; lesquelles l’invoquaient alors, peu coûteux, pour dissimuler leur visage. De là, le hoodie se vit greffer, malgré lui, une portée révoltée, voire réfractaire. 2012, Trayvon Martin, jeune Afro-Américain, est abattu par un homme blanc sous couvert que son hoodie le rendait suspect. À l’image du défunt, des milliers d’Américains capuchonnés ont conflué dans les rues du pays pour contester la banalisation du port d’arme à feu. Black Bloc, féministes, pro-LGBT… eux aussi ont, ponctuellement, assimilé le hoodie à leurs propos.


bonnet phrygien Outrepassant sa symbolique, nous tendons, à tort, à associer les origines du bonnet phrygien à la Révolution française. Or, il faut rembobiner à la Rome antique où Mithra, divinité indo-iranienne, se vêtait du couvre-chef de la Marianne. Une coiffe d’ailleurs analogue au “ pileus ”, un bonnet conique porté par les esclaves affranchis des maîtres romains ; lequel inspirera, à terme, la résurgence du chapeau phrygien lors de la Révolution. Début mars 1792, la coiffe se popularise, malgré les réserves de Robespierre et d’autres, qui optaient pour une singulière cocarde comme signe distinctif au sein des insurgés français. Aujourd’hui, s’il s’est inscrit dans la garde-robe patriotique, le bonnet demeure vecteur d’un mécontentement… Quelques manifestantes anti-mariage gay – les “ Phrygiennes ” – s’habillaient, en 2013, de la coiffe écarlate, à l’instar des Veilleurs, un mouvement intimement lié à la Manif pour tous.

KEFFIEH Héritage, certes, d’une longue tradition textile, le keffieh (ou shimâgh) – un foulard en coton pur – s’assimile à l’étendard des luttes palestiniennes. En 1936 déjà, l’année de la rébellion anti-britannique pilotée par Izzal-Din al-Qassam, l’habit servait un intérêt tactique. Lors d’initiatives violentes, les insurgés pouvaient disparaître dans la foule. Ce n’est qu’en entamant les années 1960 que le keffieh sera greffé à la garde-robe de Yasser Arafat et à la panoplie de la résistance palestinienne. Il est tissé alors en couleurs monochromes, quelques fois en rouge et blanc pour le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), ou même en vert pour le Hamas. Or, le keffieh assure deux fronts à la fois. Bastion fébrile face à la mainmise capitaliste, le foulard artisanal se bute à la production de masse chinoise, et même aux subtilisations des grandes maisons de mode, lesquelles dénaturent sa portée politique.

JEAN

@ARTHUR BRENAC

Le jean aura été le symbole de nombreuses révoltes. En 1940, le jean était le vêtement de la rebéllion pour les beatniks. Il est l’accessoire de ces contestataires qui rejettent en bloc toutes formes de conventions. 10 ans plus tard, le jean apparaît comme le signe distinctif des mauvais garçons. Pour les clubs de motards, il est l’élément incontournable d’une tenue de bikers. Le jean, alors considéré comme un vêtement de voyous, est interdit dans certaines écoles américaines. Le mouvement hippie, dans les années 1970, montre sa différence par une tenue haute en couleurs et un jean ; notamment lors des évènements de mai 68. Ce vêtement populaire bon marché leur permet de revendiquer leur rejet du capitalisme. Le jean, customisé, sera le transmetteur de messages lors de manifestations. Dans les années 1930, il représentera aussi l’émancipation de la femme, ce vêtement étant autrefois uniquement réservé aux hommes. Considéré comme un vêtement progressiste et avant-gardiste, le jean deviendra petit à petit une mode unisexe.

CHLOÉE RISTE & ARTHUR BRENAC 17


Etienne de la Boétie meurt à 32 ans d’une dysenterie foudroyante

QUAND LA BOÉTIE FAIT ETAT DE LA

TYRANNIE

Comment la servitude peut-elle être volontaire ? Dans son vibrant discours, Etienne de La Boétie utilise sa puissante verve pour servir le bien commun. Mais alors, comment ne pas être dupe d’un pouvoir supposément tyrannique ?

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Le tyran n’est puissant que parce que le peuple le veut bien. En retour, le peuple accepte d’endurer l’exercice de cette puissance contraignante et coercitive, alors qu’il en est autant la source que le remède. En 1549, Etienne de la Boétie écrit son fameux Discours de la servitude volontaire. À travers ces lignes, la jeune plume explique que pour combattre la tyrannie, mieux vaut en comprendre les mécanismes.

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JUSTICE QU’U « IL VAUT MIEUX UNE IN DÉSORDRE » Goethe

Comprendre que l’on vit en dictature est un exercice ardu, mais faisable. A l’inverse, à l’âge de 16 ou 18 ans, en connaître les rouages donne au texte toute la portée qu’on lui connaît aujourd’hui. Très jeune, c’est pourtant bien ce que La Boétie se permet d’expliquer. C’est d’ailleurs ce “reproche” qu’en fait Montaigne. Lui qui en parle comme d’un texte « remarquable et impeccablement construit », autant qu’il affirme que ces écrits n’arrivent pas au talon de ce que La Boétie aurait pu faire « si Dieu lui avait prêté plus longue vie ». Telle une plaidoirie de Cicéron, le texte est bien conçu et livre une analyse très précise des méfaits de la tyrannie et de ses modes de fonctionnements.

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Publié sous le titre du Contr’un par les protestants en 1574, comme outil de contestation politique contre le Roi de France catholique, « le discours repose sur trois axes, selon Thierry Gonthier, philosophe politique à l’université Lyon II. Ils sont la critique de la tyrannie, l’analyse psychologique du lien d’assujettissement à la tyrannie, et enfin, le remède ». Tout ceci reposant sur l’idée qu’il n’y a pas de tyran sans esclave. Lui, tout comme Machiavel ou encore Montaigne, ne conteste pas le pouvoir mais le décrit, donnant ainsi les raisons pour lesquelles il est si fort ou si faible. En somme, Etienne de La Boétie montre à tous ceux qui le lisent comment fonctionne le système. En décrivant un mécanisme tel que la tyrannie, il donne les clés pour le comprendre. Selon Thierry Gonthier, la thèse de La Boétie selon laquelle « le discours est un combat contre la paresse intellectuelle » rejoint donc celle de Rousseau qui affirme qu’ « il faut savoir se déposséder des bienfaits de l’Etat providence pour pouvoir le combattre ».


Le « Rimbaud de la philosophie » Alors qu’à 17 ans Rimbaud écrivait ses poésies, Etienne de la Boétie, lui, écrivait sur la servitude volontaire. Né au sein d’une famille de magistrats, ce dernier appartenait à une bourgeoisie cultivée qui le guida rapidement sur la voie du droit, puis de la philosophie qu’il étudia à Orléans. Considéré comme un pamphlet contre la monarchie, l’ouvrage est réimprimé à chaque période de lutte pour la démocratie.

Réédition de Bossard du Discours de la Servitude Volontaire écrit par Etienne de La Boétie

Pour certains, Etienne de La Boétie aurait rédigé son discours à l’âge de 16 ans dans le cadre d’un exercice. Pour d’autres, l’écrivain, alors âgé de 18 ans, se serait inspiré de la révolte de la Gabelle, une répression violente des Bordelais refusant de payer l’impôt royal. Une écriture qui poserait cette fois-ci, les bases de la construction d’une tyrannie. Malgré des siècles de questionnements, le mystère reste aujourd’hui encore intact. Certains de ces contemporains avancent même que Montaigne pourrait être la plume de l’ouvrage. Une influence de la philosophie politique occidentale Etienne de La Boétie est l’un des précurseurs intellectuels du libertarianisme et de l’anarchisme. Deux termes proches dans leurs causes mais qui se distinguent par quelques subtilités. Le libertarianisme est explicitement théorisé au milieu du XVIIe siècle par le philosophe politique, Bertrand Lemennicier. Ce terme cristallise une volonté de rejet d’un fonctionnement étatique et vise une société fonctionnant grâce à la liberté de ses citoyens et leur volonté de coopérer entre eux. Cette dernière admet l’importance de l’ordre qui en résulterait comme héritier légitime au pouvoir en place. La notion prendra de plus en plus d’importance au XXe siècle, en s’associant à la politique libérale qui encourage le système capitaliste. Mais le libertarianisme se distingue de ce dernier, par son refus d’une économie complice avec de grands acteurs dirigeant le tout. L’anarchisme prône une émancipation totale de toute forme de gouvernement au profit d’une liberté de groupe et individuelle inaltérable. Elle émerge réellement au XIXe siècle lors de la période anti-autoritariste des auteurs européens. Pour donner quelques exemples, l’anarcho-capitaliste est une mouvance anticapitaliste, le panarchiste refuse le droit d’un pays et reconnaît uniquement le droit international et les anarcho-collectivistes souhaitent l’imposition d’un pouvoir basé sur le bien-être du groupe plus que l’individu.

Ce “flou” sur l’origine de l’anarchisme met en cause sa légitimité par les libertariens. Ces derniers y voyaient une dérive pouvant mener à un chaos institutionnel. Si tant est que le discours et son fond restent dans des thématiques sociétales encore présentes aujourd’hui, le propos reste à nuancer. Un parallèle avec les Gilets jaunes est en effet impossible, en tout cas pour l’heure. « Il faudrait au moins une dizaine d’années pour avoir le recul nécessaire », selon Thierry Gontier. Même s’il admet que les causes de révoltes restent elles, atemporelles.

MARYLOU FOSSOT & THOMAS MONTEIL

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MILITANTS 2.0

E E É H T É E M O R P Aussi loin que l’on s’en souvienne, les rebelles ont toujours fait partie de notre monde. En voyageant à travers les époques, de nombreux rebelles et de nombreuses rébellions ont secoué la vie des Hommes. La Révolution française, Mai 68, les Gilets jaunes... Des mouvements importants qui laissent leur trace et leur identité aux générations suivantes. Dans la mythologie grecque, Prométhée, un titan, est l’allégorie de la rébellion. Volant le feu sacré de l’Olympe pour le donner aux humains, il fut condamné par Zeus à être attaché à un rocher au sommet d’une montagne, son foie dévoré chaque jour par l’Aigle Caucase. Et chaque nuit, Prométhée renaît, apportant un nouveau savoir aux hommes, une connaissance essentielle, une découverte qui évolue comme nos révoltes se transforment aujourd’hui. Telle une rébellion, il réssuscite à travers le temps et les générations.

LÉEONIE D UTRIEVOZ

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On compte aujourd’hui 4,12 milliards d’internautes, soit 54% de la population mondiale.

LES PIRATES INFORMATIQUES

LES

REBELLES

Les hackers sont les rebelles 2.0 de notre époque. Contrairement aux autres types de rebelles, ils n’agissent pas frontalement. Les contrer implique des enjeux de cybersécurité qui évoluent continuellement, et nécessite souvent l’aide d’autres hackers.

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Nous agissons de plus en plus sur le web et nous nous dévoilons davantage. Ainsi est nourrie la bête Internet : avec nos données et celles des entreprises et des institutions. Ceux qui arrivent à y accéder ont un pouvoir immense entre les mains, qui ne cesse de grandir. Gentils ou méchants, ces cracks de l’informatique maîtrisent ce que le commun des mortels ne comprend pas forcément. Il suffit d’un hacker talentueux et d’une pincée d’esprit rebelle pour obtenir un cocktail explosif. Contrairement à certains rebelles qui cherchent désespérément des moyens d’actions ayant un impact, ceux des hackers sont multiples. Fini les poubelles brûlées, les violences, et les manifestations : une tour, un écran, un clavier, et c’est parti. Une cyber sécurité encore embryonnaire dans certains domaines La plupart des internautes ne s’occupent même pas de la sécurité de base de leur ordinateur. Malgré un assez récent réveil, certaines entreprises et institutions n’accordent pas un budget suffisant à la cybersécurité malgré les dangers que cela représente. Quentin Meffre, étudiant en 5e année

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D’AUJOURD’HUI !

à l’école d’informatique Epitech, à Lyon, est gagnant de plusieurs concours de hacking. Il explique que « les enjeux de la cyber sécurité aujourd’hui sont très importants pour tous. En 2017 en Angleterre, des dizaines d’hôpitaux ont été paralysés suite à des cyber attaques », rappelle-t-il. « Les petites et moyennes entreprises (PME), qui ne sont pas spécialisées dans l’informatique, sont relativement faciles à pirater, et même les grands groupes ne sont pas infaillibles, ajoute-t-il, même s’il concède qu’il y a tout de même de plus en plus de monde qui s‘y intéresse ». Hacking éthique : les hackers ne sont pas tous des rebelles Heureusement, les hackers n’utilisent pas tous leurs compétences à des fins malveillantes. « Il y a les gentils et les méchants. Les gentils font du hacking éthique, tandis que les autres cherchent principalement à gagner de l’argent avec des virus, des spams, en récupérant des numéros de cartes bancaires par exemple », raconte Quentin Meffre. Les “experts en cyber sécurité”, les “pentester” et les “hackers éthiques” n’ont pas forcément les mêmes métiers mais sont tous des hackers qui ont choisi de pirater légalement. Le seul souci ? La cyber sécurité évolue continuellement, « il faut faire des mises à jour personnelles en permanence », explique Quentin Meffre.

NAOMI LEVANNIER


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ANTIGONE

il y a 2 min

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COMMENT LES RESEAUX SOCIAUX ONT CHANGE LA FACON DE SE MOBILISER

Et si la crise des Gilets jaunes était provoquée par Facebook, le réseau social aux presque trois milliards d’adeptes ? Derrière des allures complotistes, ce constat a été avancé dès décembre 2018 par certains médias et experts des réseaux.

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Pour assimiler que les réseaux sociaux ont une implication indirecte dans les révoltes, il faut d’abord comprendre leur but initial : rassembler et animer. Aussi, depuis leur création et popularisation ces dix dernières années, Facebook, Twitter, Instagram et autres concentrateurs d’attention optimisent leurs “algorithmes”. Algorithme roi Ce mot parfois qualifié de formule magique désigne ici l’utilisation des données engendrées par les utilisateurs. Une fois en sa possession, le réseau sait ce qui retient le plus l’attention, à l’aide de moyennes générales. Il sait également qui de ses utilisateurs aime le sport, la politique ou les vidéos de chatons sur Internet. Ainsi, le réseau social se personnifie pour chacun. Ces dernières années, Facebook a également développé son aspect communautaire en donnant de plus en plus de visibilité à des “particuliers”.

C’est alors que l’une des failles de ces algorithmes a commencé à poser question. En effet, les caractéristiques des publications mises en avant peuvent se retrouver dans d’autres contenus, plus véhéments. En janvier 2018, Facebook a une fois de plus amélioré son algorithme qui a davantage mis en avant les interactions privées et locales sur le réseau. Anil Narassiguin est data scientist, il analyse ainsi cette optimisation dans le contexte de la crise des Gilets jaunes : « Le regroupement et la mise en tension permanente de ces communautés sur les réseaux a participé à l’effervescence du mouvement. Mais il faut replacer cela dans son contexte. Les réseaux sociaux peuvent amplifier à court terme des petites phrases politiques ou des buzz. Mais si la mobilisation des Gilets jaunes n’était pas liée à un problème de fond, elle serait déjà terminée. »

Un nouveau communautarisme La montée de la colère des Gilets jaunes à l’aube des premières manifestations a été largement diffusée par les utilisateurs sur le réseau. Rapidement et indirectement, ils ont ainsi été mis en commun. Cela a participé à la rapide constitution et structuration du mouvement. Mais derrière cet algorithme se cache également une nouvelle façon d’appréhender ces contenus et l’information en général. Lucile Mera, docteure en sociologie, interprète cela comme une nouvelle forme de contestation : « L’instantanéité de ces partages d’opinions et de ces mises en relation change la façon de vivre une mise en opposition. Là où un groupe contestataire aurait mis des semaines, des mois ou peut-être plus pour se créer une base tangible, les réseaux sociaux permettent d’abroger ce délai. On parle ici de “théorie des minorités actives”, des groupes d’individus qui souhaitent changer la norme de la majorité. Cette cohésion rapide permet d’accélérer ces mouvements. Mais le manque de recul lié à cette croissance sur une courte période et les divergences de microcosmes parfois peu fiables sur les réseaux peuvent rendre les mouvements difficiles à appréhender, même par eux-mêmes ». S’il faudra des années avant de connaître le poids exact des réseaux sociaux sur le mouvement des Gilets Jaunes, il est avéré que cette nouvelle manière de contester et de se rassembler, demeurera une inconnue de l’équation, tant qu’elle ne sera pas considérée en tant que telle.

THOMAS MONTEIL

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SJW ON A TOUS UNE AME DE...

WA RR

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JUSTICE

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SOCI

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L’avènement des réseaux sociaux a participé à leur prolifération. Les SJW, justiciers des causes perdues, commencent à se montrer de plus en plus au nom de la bien-pensance présente dans leurs combats. Vous voulez devenir un parfait soldat de la justice ? Vous trouverez ici tous les ingrédients, à manier avec humour.

« Je pense donc je suis ». Tout laisse à penser que les SJW ont pris le cogito ergo sum du philosophe René Descartes au pied de la lettre. Ces soldats de la justice prennent d’assaut les réseaux sociaux et les médias pour crier leurs opinions. Pour exceller dans cet exercice et l’élever au rang d’art, il faut dans un premier temps aimer se montrer. « Il faut avant tout être motivé par un besoin de reconnaissance et être armé d’un sentiment d’injustice, de bonnes intentions et d’un soupçon de paranoïa » explique Super-SJW, satiriste sur le sujet et créateur du personnage éponyme. Le premier conseil pour devenir un bon justicier des réseaux : ne pas rester dans sa bulle et ne pas étouffer sa parole.

Dans un second temps, les pensées négatives de type « ça ne sert à rien que je donne mon avis » ou « de toute façon tout le monde se moque de ce que je pense » sont à bannir de votre esprit, sous peine de faillir à votre mission. Votre avis doit compter plus que celui des autres sur les réseaux sociaux, il faut en être convaincu ! Être un social justice warrior, c’est avant tout un mode de pensée qu’il faut savoir assimiler. Si un quelconque internaute ose vous défier et ne pas aller dans votre sens, ce n’est pas vous qui êtes en tort. C’est une attaque personnelle, rien d’autre. Ne vous laissez pas abattre et ne vous remettez pas en question ! « Cette alchimie bien précise permet au SJW de se sentir dans son bon droit tout en diffusant l’injustice au nom de la justice » précise Super-SJW.

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Super-SJW a été créé pour moquer les Social Justice Warrior @Super-SJW

« Le SJW, c’est l’anti-roi dans toute sa splendeur » Pourtant, au-delà de ces caractéristiques à connotation négative, les causes défendues par les SJW à l’origine sont nobles. Parmi les sujets les plus récurrents, on retrouve ce qui s’assimile aux discriminations. Ainsi, tout auteur de propos sexistes, racistes, xénophobes ou encore homophobes sur les réseaux est fermement réprimandé par les justiciers. « Il s’agit toujours de lutter contre une oppression dite systémique » précise Super-SJW. « Le SJW, c’est l’anti-roi dans toute sa splendeur », ajoute-t-il. Mais hors de question de défendre son argumentation comme tout le monde, il faut qu’il sache se démarquer et adopter un ton plus agressif. Si vous souhaitez devenir un SJW, notez que certains vont essayer de dénaturer votre combat. Or, tout ce qui ressemble à un social justice warrior n’en est pas forcément un. « Il y a une pléiade de trolls et d’activistes sur les réseaux sociaux qui se servent des SJW comme de bouc émissaire » conclut Super-SJW. Le but pour eux est de s’attaquer aux causes progressistes. Certains ont d’aileurs réussi à faire croire dans les médias que les militants LGBT+ plaidaient pour la légalisation de la pédophilie. Par-delà ces temps difficiles, si vous devenez un SJW, vous pourrez vous défendre en expliquant à juste titre qu’on a tous ce côté justicier en nous, une sorte de part d’ombre, de Mr. Hyde. Et puis de toute façon, si vous êtes le SJW ultime, vous nierez vousmême en être un. Pour vous, vous ne serez pas un social justice warrior, vous serez surtout un militant.

GUILLAUME RESIN


Acte X des Gilets Jaunes sur la place Bellecour à Lyon. @L’oeil du Lyon

GILETS JAUNES « UNE SOIF DE JUSTICE POUR LE BIEN COMMUN » Portrait. Des salles de classe à la garde à vue, il n’y a qu’un pas ou plutôt qu’un gilet. Nous avons rencontré Isaac, Lyonnais de 17 ans, gilet jaune depuis l’acte X. Nous avons parlé de ses débuts, de ses influences, de son vécu et de ses actions. Focus sur un jeune qui ne veut pas du système qui lui tend les bras.

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Derrière Christopher Dettinger en photo de profil se cache Isaac, un élève de terminale âgé de 17 ans, dont les parents sont divorcés. La semaine, il vit avec sa mère et son beau-père, directeur de banque et ancien franc-maçon, dans les quartiers aisés du 6e arrondissement de Lyon. Son père, chômeur, habite dans un HLM à Vichy et ne le voit que le week-end. Isaac partage pourtant les idées de son père dont il est éloigné. Ce dernier suit beaucoup de reportages et médias alternatifs comme Les moutons enragés. Il est allé manifester à Vichy, Clermont et Paris. Cela a donné à son fils un esprit de rébellion dès son plus jeune âge, lui qui avait déjà manifesté en dansant sur Anti Social du groupe Trust. « Anti social tu perds ton sang-froid »

Curieux, il souhaite suivre le mouvement, plus que depuis son canapé en tout cas. En compagnie de ses meilleurs amis, il décide d’aller sur le terrain, joindre « le peuple qui se retrouve ». La violence prend vite le pas, il est gazé et reçoit des coups dès le premier événement, marqué par les mouvements de foule qui lui rappellent la presqu’île lors de la coupe du monde. « Cela fait peur mais cela donne aussi envie d’y retourner. Répondre à cette violence et ne pas abandonner ».

Acte XI, après avoir reçu un tir de flashball, il est contrôlé par la Brigade Anti Criminalité (BAC) et un pavé est retrouvé dans son Eastpak. Pourquoi l’a-t-il ramassé ? Lui-même dit ne pas savoir, et direction le commissariat du 8e arrondissement. La garde à vue (GAV) dure 48 heures, de samedi à dimanche. Si le jeune homme n’a rien à se reprocher, il avoue avoir déjà lancé des pierres « une ou deux fois ». Lors de ces 48 heures, il est à côté d’un homme ayant lancé un cocktail molotov sur les policiers. Il condamne cet acte : « Les forces de l’ordre ne sont pas nos ennemis, en dessous du casque il y a un père de famille qui peut mourir. Mais il y a une escalade de la violence avec la politique de Castaner », déplore-t-il. Et après les gilets jaunes ? Selon Isaac, il y a toujours « une soif de justice pour le bien commun », même si le mouvement perd de la vitesse. Qui sait : si les gilets jaunes s’arrêtent, peut-être qu’un autre soulèvement aura lieu dans un an, souligne le jeune homme. Pour ce qui est de son avenir, le but est d’avoir ses idées et « d’être le plus libre possible ». S’il salue la réussite de son beau-père, la vie de son père n’est pas pour autant un échec à ses yeux. « Il n’a pas d’argent mais il a le temps », salue le jeune homme. Profiter du système et lutter contre, c’est le but, « être 100% contre ce n’est pas possible, ce serait être nu dans la rue ». Politiquement, il se porte vers des mouvements patriotes comme Action française ou Egalité et réconciliation. Il suit certains médias alternatifs comme RTFrance, ou le site d’E&R. Un bon moyen selon lui d’obtenir « des faits précis et de se rebeller contre ces médias tenus par 9 milliardaires ».

GREGOIRE CHAPRON 25


@AFP

MANIFESTATION Par ces temps de manifestations des Gilets jaunes en France et la violence qui les accompagne, des questions se posent sur l’essence même de la rébellion. Est-elle obligatoirement violente ? Un mouvement pacifiste a-t-il autant d’impact qu’un mouvement belliciste ? Cette violence peut-elle être légitime ?

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Depuis plusieurs mois, une vague de jaune s’étale sur la France chaque samedi pour tenter de renverser un pouvoir qui les oppresse. Ce sont des gens de toutes classes, de tous âges qui se retrouvent dans le mal-vivre et s’unissent pour créer une force de parole. La violence, la casse ne sont pas apparues par volonté, mais par un manque d’organisation et l’utopie de croire que les causes respectables et sincères ne pouvaient entraîner qu’une cohésion. Dans ce mouvement apolitique, certains groupuscules extrémistes se sont invités à la fête avec la volonté de renverser la démocratie par la violence. Peut-il alors avoir une manifestation sans violence ? On a envie de répondre oui instinctivement. Tout simplement parce qu’on a appris à l’école les noms de grands manifestants qui prônaient le pacifisme. Gandhi et Martin Luther King sont deux visages qui se sont battus pour leurs droits les plus chers. Ils ont déplacé des foules, bousculé une société, secoué un système qui ne leur convenait pas sans employer la violence.

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VIOLENCE

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« Il n’y a pas D’incompatibilité entre la rébellion et la non-violence. Tout ce monde sachant vivre ensemble dans lA BIENVEILLANCE ET dans le respect des cultures doit nous consolider dans nos idéaux de s’indigner ETde résister jusqu’à désarmer l’autre AVEC PACIFISME, par des alternativeS. » Olivier Filleule, professeur de sociologie politique Il serait naïf de croire que l’action révolutionnaire est violente ou n’est pas. Il existe, pour résister, une large panoplie d’actions non violentes. Les grèves, y compris générales et les manifestations constituent dans l’immense majorité des cas des actions non violentes. On peut relever des opérations plus spécifiquement labellisées « non violentes », comme la désobéissance civile, le refus de l’impôt, l’objection de conscience, les sit-in, les occupations… Pour Françoise Giroud, journaliste, écrivaine et femme politique, « Les révoltes qui se manifestent par les armes, on peut les mater. Celles qui naissent et se propagent par l’esprit sont par contre insaisissables. »


Peut-il alors avoir une manifestation sans violence ? Dans le cas des Gilets jaunes, la violence est très vite apparue dans le mouvement, mais surtout, elle est devenue « la vitrine » de la manifestation malgré elle. Selon Roy Baumeister de l’université de Princeton, les Hommes ont tendance à être plus sensibles aux informations négatives car il lui est important “d’identifier les dangers, de repérer ce qui est dangereux afin de trouver des moyens d’y échapper et de mieux vivre”. Par ailleurs, dès les prémices du mouvement gilet jaune, les scènes de chaos et de violence ont été relayées dans les médias et mises en avant sur les réseaux sociaux. Pour certains militants Gilets jaunes, comme Laeticia, jeune institutrice, ce traitement décrédibilise l’essence-même du mouvement et étouffe ses revendications.

« Je suis un Gilet jaune pacifiste présent depuis la première vague. La montée de la violence me dégoûte, car elle dénature complètement notre manifestation, et finalement on ne retient plus nos revendications, mais simplement le fait que l’on casse. Le fait d’être associé aux casseurs est très dur pour moi, beaucoup de gens ne comprennent pas que je sois encore un Gilet jaune, comme si ça ne valait plus le coup. » Laetitia, 23 ans, maîtresse d’école

Photo prise lors de l’acte X des Gilets jaunes à Paris.

La violence peut-elle être utile ? A terme, le recours à la « violence » a surtout deux intérêts : d’une part, permettre d’atteindre un objectif politique « tactique » (occuper un lieu, poursuivre une manifestation, effectuer un blocage) et d’autre part, permettre d’avoir une plus grande confiance en soi. Elle comporte, en revanche, des risques. La question est donc de savoir, au cas par cas, si le jeu en vaut la chandelle. « La question n’est pas celle de la massification, mais celle de la justesse et de la détermination. Chacun sait que ce qui fait reculer un gouvernement, ce n’est pas le nombre de personnes dans la rue, mais leur détermination. La seule chose qui fasse reculer un gouvernement, c’est le spectre du soulèvement, la possibilité d’une perte de contrôle totale », a par ailleurs déclaré Béatrice Tupin, journaliste pour Médiapart, au travers d’un billet d’humeur sur la rébellion et la mobilisation des Gilets jaunes.

TOM CIARAVINO

Photo prise lors de l’acte X des Gilets Jaunes à Paris. Un gilet jaune se prend en selfie devant une poubelle en feu.

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Des jeunes entre 15 et 18 ans placés par la justice pour multiples délits. Le Centre éducatif fermé représente pour eux une chance de se réintégrer dans la société. @Sami

LES CENTRES EDUCATIFS fermes QUAND LA VIOLENCE PREND LA PAROLE... Pour parler de rébellion, on peut aussi s’intéresser aux délinquants, qui sont de plus en plus jeunes. On les retrouve dans des Centres éducatifs fermés (CEF), après avoir été placés par la justice pour plusieurs délits. Des jeunes souvent sans repères, ayant parfois été eux-mêmes victimes d’agression. Pour exprimer leur rébellion, ils n’ont pas trouvé d’autres chemins que la

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Au CEF d’Ampepluis, douze jeunes âgés de 15 à 18 ans se retrouvent placés par la justice. Avec pour bagage un casier judiciaire particulièrement chargé. Vol avec violence, dégradation, agression... tous ont été disposés ici par un juge pour 6 mois (avec possibilité d’un seul renouvellement de 6 mois). Les jeunes du CEF sont perçus comme délinquants dans la société, et peinent à trouver leur place. Eux qui ne suivent pas les règles cherchent toujours à les contourner. Leur parcours scolaire est également teinté de contestations, et leur désintérêt total pour les études est omniprésent. A qui la faute ? Ces jeunes arrivent très souvent dans des institutions

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usées et polluées par les préjugés. Une situation difficile qui les conduit souvent à des actions rebelles. Par la violence, ils expriment leur colère, leur souffrance face à des établissements qui n’arrivent pas à les aider. Qui est responsable de la violence de ces jeunes ? Des adolescents qui ne veulent pas travailler ? Des parents qui les éduquent mal ? Un environnement social culturellement trop pauvre ? L’argent facile qui peut les détourner de la légalité ? Tous finalement. Ou personne. Lorsque ces jeunes lâchent l’école, ils n’ont plus aucune attache, plus rien qui ne les raccroche à la raisonnabilité. Ils empruntent alors des chemins détournés, bien loin des usages, pollués de déviance.

« Je regarde les voitures brûler Et je les brûle à mon tour pour dire au monde de se faire enc****» Niro – Mama t’avais raison


SAMI, EDUCATEUR EN CEF « Je pense que la rébellion est encore plus prononcée à l’adolescence. Au CEF, les jeunes sont placés judiciairement et cela accentue leur méfiance à l’égard de toute forme d’autorité, augmentant également leur fantasme sur celle-ci. Ils se rebellent contre une autorité qui, bien souvent, veut les protéger. Cela peut se traduire par un refus catégorique d’obtempérer par des violences verbales, mais aussi physiques qu’ils s’infligent eux-mêmes, ou qu’ils font subir aux autres. La rébellion, je ne suis pas sûr qu’ils en aient conscience. Pour eux, c’est nous qui faisons figure de rébellion en leur interdisant leurs ”habitudes”, qui sont néfastes pour leur développement personnel. »

Et les jeunes, qu’en pensent-ils ? Malgré l’idée que l’on se fait de ces jeunes, leur vision de la rébellion n’est pas violente. Ils s’identifient même aux Gilets jaunes qui contestent pacifiquement. Un paradoxe très intéressant pour des jeunes qui sont internés pour violence mais qui rattachent la rébellion au pacifisme : « Pour moi la rébellion c’est quand tu dis NON à l’adulte, que tu ne le respectes pas » (L - 17 ans) Pour ce jeune homme, la rébellion représente un détachement face à l’autorité parentale : se rebeller pour ne plus avoir à se justifier, faire ce que l’on a envie, être libre. « Se rebeller, c’est refuser quelque chose, faire le contraire de ce qu’on te dit », précise-t-il. Se rebeller, c’est aussi vivre selon ses règles, ses envies, ses pulsions. Pour beaucoup de jeunes, recevoir des ordres, c’est être placé au rang d’“esclave” de la société. Désobéir, c’est se mettre au même niveau que l’autorité. « Pour moi la rébellion c’est quelque chose qui ne nous plaît pas, et on se bat pour le changer. Si tu fais le zeub, on te nique » (S - 16 ans) Le parallèle entre les deux phrases est impressionnant, comme si d’un côté on avait une définition qui vient des parents, et de l’autre une idée que le jeune s’est construite au contact d’autres délinquants. Un parfait exemple de la complexité des problèmes que rencontrent ces jeunes. Eux qui ont souvent des idées derrière la tête, qui camouflent leurs craintes derrière un langage agressif, adoptent bien souvent une attitude tranchante et provocante. Pour finir, il est important de se demander si ce n’est pas la mise à l’écart de la société qui pousse ces jeunes à faire entendre leur voix par la violence ? A l’image des Gilets jaunes, la rébellion n’est-elle pas un rassemblement de personnes qui luttent pour la même cause ? Le plus violent n’est-il pas ce que vivent ces personnes, un quotidien menant bien souvent à la rébellion ? Il est très compliqué de rattacher tous les actes de ces jeunes à une forme de rébellion. Pour certains, la pensée est bien plus simple, “je casse parce que j’ai vu les gens casser ; je parle mal pour montrer que je suis fort”. Mais pour certains, la violence est aussi un moyen fort de se faire voir. C’est elle qui prend la parole, c’est elle, la voix de la rébellion.

TOM CIARAVINO Facade du CEF d’Ampepluis dans le Beaujolais. Ici se trouvent 12 jeunes âgés entre 15 et 18 ans. @Sami

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L'ENVERS DES MAUX

E T E M D A La maladie, c’est être confronté au couloir de la mort. C’est voir la fin de sa vie approcher. Face à cela, ce n’est plus le corps qui se bat mais l’esprit, la volonté de vivre. Admète représente cet instinct de survie. Porteur d’un prénom signifiant “insoumis” et ”indompté” en grec ancien, il incarne le symbole de la rébellion face à la mort. Il fût condamné par Artémis à une mort imminente, pour ne pas avoir suivi ses conseils. Mais Apollon a convaincu sa sœur de le laisser vivre sur terre si le jour de sa mort, il trouvait quelqu’un pour le remplacer et descendre en enfer. Seulement, Apollon fût abusé et Admète tomba rapidement malade. Sa persistance face à la mort et le fait qu’il n’ait pas accepté son sort font de lui un rebelle face à la maladie. Par son audace à quémander de l’aide auprès de ses proches, il a finalement déjoué la mort, sa femme Alceste s’est sacrifiée pour lui. Car malgré tout, un rebelle est aussi quelqu’un qui va à l’encontre de ce que le destin lui prévoit.

alexandra sabadello

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Vaccination d’un nourrisson @James Gathany, Judy Schmidt pour Pixniow

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VA IT N A “ T E É T N A S E D S L E N N IO S PROFES

R ADICTOIRES

PAS CONT IS A M S E E C N A U N S N DES POSITIO

Les vaccins sont au coeur d’une polémique sanitaire et les membres du corps médical peinent à redonner confiance aux familles. En début d’année 2018, ce ne sont pas 3 mais 11 vaccins qui deviennent obligatoires pour les nouveaux nés. Une loi qui provoque un tollé chez les “anti-vaccins” et que certains médecins déplorent.

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La méfiance des Français à l’égard des vaccins aurait-elle une incidence sur l’avis des médecins ? C’est ce que tend à prouver une consultation de la Société française de médecine générale menée pendant deux ans, et révélée au grand public en juillet 2018. Ainsi, 1 médecin généraliste sur 4 juge que « la présence d’adjuvants dans les vaccins est un frein » et deux-tiers d’entre eux soulignent « l’écueil de devoir prendre autant de temps pour expliquer, justifier et négocier avec les familles ». S’ils ne doutent pas en revanche de leur efficacité, dans le pays le plus réticent d’Europe vis à vis des vaccins, certains médecins veulent plus de liberté pour les parents, pour regagner la confiance des familles.

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L’omerta au sein du corps médical Catherine Gaches était infirmière. En 2008, elle développe une sclérose en plaques à la suite d’un vaccin contre l’hépatite B. Aujourd’hui, la jeune femme est devenue présidente du Réseau des victimes d’accidents vaccinaux et la porte-parole du collectif Vaccins Libertés, qui regroupe médecins, scientifiques, professionnels de santé et citoyens. Selon elle, « tous ne sont pas contre les vaccins, mais contre l’extension de l’obligation vaccinale imposées aux nourrissons ». La porte parole déplore l’omerta qui s’est développée dans le secteur médical autour de la vaccination. « Il est compliqué pour les médecins de remettre en cause l’obligation vaccinale aujourd’hui ». S’ils s’y opposent, ils sont menacés de sanction, voire de la perte de leur diplôme”, affirme-t-elle. En fin d’année 2017, le collectif Vaccins Libertés crée une pétition contre l’extension de l’obligation vaccinale, peu avant le passage de la loi controversée. Interrogé à ce sujet par Antigone, l’un des 180 médecins et pédiatres signataires, a souhaité garder l’anonymat. « Je dois respecter les règles du gouvernement. Je ne peux pas dire autre chose que ce que disent les autorités sanitaires, même si je le souhaite. Certains médecins ont été interdits d’exercice pour cela”, s’est-il inquiété.


pour cela”, s’est-il inquiété.

Catherine Gaches accompagnée des membres du réseau des victimes d’accidents vaccinaux (Revav)

11 vaccins obligatoires au lieu de 3 : la polémique Dans un climat anti-vaccin grandissant, une réforme a mis le feu aux poudres. Celle du passage de 3 à 11 vaccins obligatoires, pour les nouveaux nés à partir du 1er janvier 2018. Ils concernent des maladies comme la coqueluche, l’hépatite B, la rougeole, les oreillons, la rubéole, la diphtérie, le tétanos ou encore la poliomyélite. Aujourd’hui encore, l’extension de l’obligation vaccinale continue de faire débat et certains médecins estiment « qu’il est difficile de déterminer si ce choix permet effectivement d’augmenter durablement la couverture vaccinale, qui doit d’abord reposer sur la restauration de la confiance des citoyens dans la vaccination », explique l’un des signataires de la pétition. Pour que la vaccination fonctionne, la science est limpide. Même si certains médecins craignent un rejet de “l’obligation” par les familles, il est nécessaire que la majeure partie de la population soit vaccinée. Pour le gouvernement, le choix s’impose de lui même. Plutôt renforcer la réglementation que d’éradiquer le processus de vaccination.

L’idée c’est que les 15 % des enfants (non vaccinés) qui mettent en danger les autres et qui favorisent la ré-émergence d’épidémies pour lesquelles il y a des morts aujourd’hui se mettent en ordre de marche pour protéger le reste de la population... ...avait argumenté Agnès Buzyn, ministre de la Santé à l’annonce des 11 vaccins obligatoires

« Il faut donner les pleins pouvoirs aux médecins » « Il y a eu beaucoup de mensonges proférés », dénonce Catherine Gaches, qui se dit « très inquiète de ce que peut donner une politique de vaccination massive ainsi menée chez les nourrissons ». Pour la présidente de l’association de victimes, le ton est ferme : « Il n’y a aucune baisse de la vaccination chez les nourrissons. Il n’y a aucune urgence médicale ni aucune preuve que les vaccins faits aux nourrissons soient des vaccins qui seront encore efficaces lorsque les jeunes seront adultes », affirme-t-elle, souli-

Agnès Buzyn, la ministre des Solidarités et de la Santé, à la tête du projet de loi sur l’élargissement de l’obligation vaccinale, promulguée en 2018.

-gnant le cas de l’hépatite B. À terme, son mouvement a pour ambition de “donner les pleins pouvoirs aux médecins concernant le choix ou non de vacciner les nourrissons. Les combats sont longs et coûteux. Nous sommes face à des lobbys extrêmement puissants. Notre objectif ultime est de faire reconnaître les victimes de vaccins », conclut-elle. Face à la salve d’actions anti-vaccins, certains membres du corps médical montent au créneau, taxant les anti-vaccins, même modérés, d’”inconscients”. « Ils sont en minorité, et ils ne se rendent pas compte des progrès qu’a pu faire la santé publique. Vouloir stopper la vaccination, ou même la limiter, est inconcevable et extrêmement dangereux. Vacciner, ça marche, ce n’est pas un mythe », fustige le Dr. Delmas, médecin généraliste dans le Rhône. Pour rappel, en janvier 2019, un médecin homéopathe a été condamné à deux ans d’interdiction d’exercer par l’Ordre des médecins. Il avait délivré un faux certificat de contre-indication à la vaccination à un jeune garçon, qui a transmis la coqueluche à sa petite sœur. Pour sa défense, l’ancien médecin a blâmé « le problème de la très difficile gestion des parents hostiles à la vaccination précoce de leurs enfants ».

julie mermet

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AUTISME PRÊTS À

TOUT

POUR SAUVER LEUR ENFANT

France. L’autisme touche des milliers de personnes en lique Souvent reconnue tardivement, la maladie imp s ou doutes et craintes pour les parents. Impuissant ils font désarmés face à la situation de leurs enfants, le choix de se révolter.

Estelle Ast a une relation très fusionnelle avec son fils, Allan, aujourd’hui âgé de 13 ans @Estelle Ast

L

L’autisme se manifeste généralement au cours de la petite enfance et persiste à l’âge adulte. Il s’agit d’un trouble du développement humain caractérisé par des difficultés de l’apprentissage social et de la communication, avec des comportements stéréotypés et persévératifs.

Selon une estimation réalisée en 2018, « 700 000 français seraient touchés par l’autisme, selon des degrés divers. 75 000 autistes sont médicalement diagnostiqués. Seulement 20 % d’autistes seraient scolarisés en primaire, 2 % trouvent un emploi et 1 % d’autistes disposent d’un logement personnel », explique le journaliste Jean-Christophe Batteria sur le plateau du 19/20 de France 3, en avril 2018. « C’était la seule solution pour que je sois entendue » Etre parent d’enfants autistes est éprouvant. Les sacrifices sont nombreux autant sur le plan financier que sur le plan professionnel, familial et social. S’occuper d’un enfant autiste nécessite d’engager des personnes formées, qu’on appelle des Auxiliaires de vie scolaire (AVS) pour aider au développement de l’enfant au sein de l’école et dans les activités parascolaires. En 2014, Estelle Ast, maman d’Allan,

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un petit garçon autiste aujourd’hui âgé de 13 ans va être confrontée à une situation inconfortable. L’AVS qui s’occupait de son fils à ce moment-là lui a annoncé ne pas pouvoir accompagner Allan jusqu’à la fin de sa scolarité, son contrat d’un an arrivant à terme. Scandalisée par cette situation, Estelle Ast décide d’appeler le rectorat pour rapidement trouver une solution. Au bout du fil, « une personne méprisante me répond de me débrouiller toute seule puisque je n’aurais pas d’autre AVS à ma disposition. J’allais devoir


déscolariser mon fils pendant un mois, il en était hors de question. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase »,explique-t-elle. C’est en rentrant chez elle, en voiture, que cette maman toulousaine de 39 ans eu l’idée qui allait tout faire basculer. « J’étais arrêtée à un feu rouge. En face de moi, une grue. Et là, j’ai réalisé que c’était la seule solution pour que je puisse être entendue. Je suis allée acheter le matériel l’après-midi même », poursuit Estelle Ast. Munie de banderoles, de deux sacs à dos, de nourriture et d’un téléphone, elle rentre par effraction dans le chantier et grimpe en haut de la grue de 30 mètres, à 4h30, le matin du 21 mars 2014. Ses revendications, écrites préalablement dans un communiqué de presse qu’elle avait elle-même rédigé, sont claires : « Je dénonçais la déscolarisation massive des enfants par manque d’AVS formées. Je dénonçais aussi le diagnostic tardif et les défauts de prise en charge. Et puis, personnellement, je demandais que le contrat de l’AVS de mon fils soit prolongé pour qu’il puisse terminer sa scolarité. Je voulais qu’elle devienne une Accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH), ce qui lui donnait droit à un CDD et pouvait déboucher sur un CDI ». Après 8 heures de chat perché, Estelle Ast obtient ce qu’elle veut et redescend : « J’étais hors de moi. Il était impossible que je laisse passer une chose pareille. Je savais pertinemment que c’était la solution ultime, ça aurait pris des mois si je m’en étais remise à l’administration », termine-t-elle. « C’est notre derniere chance » Si Estelle Ast a décidé de monter en haut d’une grue, Clara Balloffet, elle, s’est enchaînée et menottée aux grilles de l’école de son fils, le 17 février 2011. Son enfant autiste, Logan, âgé de 4 ans et demi, est scolarisé à Bellegarde, dans l’Ain, pendant trois heures par jour. Un temps d’école que la mère de famille estime insuffisant. « Je veux juste être une maman. Mais pas médecin, ni psychologue ni enseignante. Chacun son rôle. » Ces mots sont ceux d’une mère désespérée, qui en est arrivée à réaliser cette opération « coup de poing ». Accrochée autour de son cou, une pancarte avec les mots : « Aidez-nous. C’est notre dernière chance pour que notre fils ait une école adaptée à ces besoins ». « C’est un parcours du combattant » Tout comme Estelle et Clara, Chantal Pignal a dû s’arrêter de travailler pour subvenir aux besoins de son enfant autiste, âgé aujourd’hui de 30 ans : « J’étais ingénieure physicienne mais j’ai dû arrêter de travailler. Mon fils Valère était déjà

« JE SAVAIS QUE C’ÉTAIT LA SOLUTION ULTIME... » Estelle Ast

Estelle Ast s’est retrouvée en haut d’une grue le 21 mars 2014. @Estelle Ast

polyhandicapé quand j’ai appris, à ses 18 ans, qu’il souffrait d’autisme ». En 2008, Chantal Pignal décide de créer l’association Afirra (Agir, former, inventer et répondre aux réalités de l’autisme). Cette dernière compte aujourd’hui 10 salariés pour aider au mieux 40 familles d’enfants autistes. Elle l’affirme, les parents sont mal aiguillés, ce qui provoque chez eux panique, peur de l’avenir et culpabilisation. « Sans moyens financiers, ils doivent monter un dossier et sont rapidement confrontés aux listes d’attente à rallonge. C’est un parcours du combattant. Beaucoup de familles se déchirent et finissent par se séparer. C’est éprouvant », explique la présidente de l’association. En tant que mère d’enfant autiste, Chantal Pignal a fait face à toutes les difficultés que peuvent rencontrer les familles qui viennent dans son association : « Généralement, l’un des deux parents doit quitter son travail pour s’occuper de leur enfant. La vie sociale est très perturbée, il est quasiment impossible de recevoir de la famille ou des amis chez soi à cause de comportements parfois extrêmes ». Les révoltes de parents, Chantal les comprend parfaitement et sait qu’être entendu prendra du temps. Le manque de moyens financiers pour faire évoluer et marcher son association comme elle le voudrait lui donne des idées de grève de la faim. « Je sais que je ne peux pas abandonner toutes les familles qui comptent sur Afirra pour

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les aider mais parfois, le manque d’argent me donne envie de tout lâcher. Le gouvernement ne nous entend pas, je suis lassée. Depuis 10 ans, je fais un travail dantesque. Certains établissements font appel à nous, mais ils ne veulent rien dépenser. Comment voulez-vous qu’on s’en sorte ? Il y a de quoi désespérer en France », conclut-elle. « Nous pensons à notre avenir lorsque nous ne serons plus » Olivia Cattan est, quant à elle, présidente de l’association SOS Autisme France. Elle connaît par cœur le quotidien de familles, étant elle-même une mère et une sœur de personnes autistes. Au-delà des actions associatives qu’elle mène avec SOS Autisme, Olivia Cattan a décidé d’écrire à la première dame, en mars 2018 : « Voulez-vous chère Brigitte, que je vous raconte notre quotidien de maman ? J’aimerais tellement vous inviter à passer une journée avec moi afin que vous compreniez réellement la situation. » A travers cette lettre, assez longue, est décrite comme un réel cri de révolte, cri commun à de nombreuses familles. S’ensuit alors une véritable explication de la vie de parents. Elle évoque la complexité de trouver une AVS disponible et surtout formée convenablement. Elle parle des incessants allers-retours dans les Instituts médico-éducatifs (IME) souvent loin du lieu d’habitation des familles. Elle décrit les difficultés pour trouver des professionnels compétents et formés à l’autisme. Olivia Cattan interpelle également sur les crises à la maison, pendant les courses, dans la voiture à gérer, etc. « Lorsque notre journée est finie, nous pensons à leur avenir lorsque nous ne serons plus », se lamente la présidente de l’association dans sa lettre à Brigitte Macron. Olivia Cattan n’a pas donné suite à nos demandes d’interview. « en france, adam aurait ete condamne » Baptiste Zapirain, quant à lui, a décidé de quitter la France pour s’exiler au Canada, à Montréal. Il est l’heureux papa d’Adam, âgé de 10 ans. Ne trouvant pas de travail dans le domaine du journalisme et étant persuadé du comportement anormal de son fils, il décide de tout quitter pour me-

Olivia Cattan et son fils Ruben. La présidente d’SOS Autisme France se bat chaque jour pour les autistes. @Olivia Cattan

ner une autre vie. « Dans les parcs, Adam ne parlait pas, ne jouait pas avec les autres enfants. Je sentais qu’il n’évoluait pas normalement. Je suis allé voir des pédopsychiatres, des orthophonistes. Il me prenait tous pour un fou, un parano », explique le papa de 37 ans. Une fois arrivé au Canada, le diagnostic est tombé : son fils est autiste. Il l’affirme : lorsqu’il est parti de France, il n’était pas l’homme révolté qu’il est devenu face au déficit du système français en matière d’autisme. « En France, Adam aurait été condamné. Quand je vois comment ça se passe en France, je me dis que c’est juste dégueulasse ! Je trouve scandaleux que les parents soient obligés de faire des actes pareils pour se faire entendre. », explique Baptiste Zapirain. Partir était la meilleure chose à faire selon lui. quand les familles commettent l’irreparable... Ces situations compliquées finissent par anéantir la vie de familles. Certaines personnes, à bout, commettent l’irréparable. Une jeune maman de 32 ans s’est défenestrée du 8e étage le 26 octobre 2016, à Thiais. Ce passage à l’acte n’est malheureusement pas isolé : suicides, infanticides, dépressions sévères, coups d’éclat… La liste des parents d’enfants handicapés à bout s’allonge au fil des années. Ces parents à la vie si particulière tentent par tous les moyens de s’en sortir. Ils utilisent parfois des solutions extrêmes, qu’ils jugent comme étant leur dernière chance. Parents comme associations attendent des solutions concrètes de la part du gouvernement. Baptiste Zapirain soutient son fils Adam, ici à l’âge de 10 ans, qui a fait de nombreux progrès depuis qu’il est arrivé au Canada. @Baptiste Zapirain

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CE QUE PRÉVOIT LE GOUVERNEMENT... POUR LE 4ÈME PLAN AUTISME (2018-2022)

Engagements financiers Pour les années 2018-2022, le montant total est de 344 millions d’euros. Cet argent servira à améliorer la recherche, le dépistage et la prise en charge de l’autisme. 1500 places seront également créées entre 2018 et 2020. Le gouvernement souhaite mieux inclure les enfants et adultes au sein de la société.

Moins d’hôpital psychiatrique L’objectif, c’est qu’il n’y ait plus d’hospitalisation de longue durée en matière d’autisme en 2022, selon Matignon. Un plan national de diagnostic des adultes en établissements de santé et médicosociaux va être lancé. Pour les adultes autonomes, des colocations en logement social et l’accès aux «logements accompagnés» seront ouverts.

Scolarisation Diagnostic plus précoce Un «forfait intervention précoce» est entré en vigueur le 1er janvier 2019. Avant, le recours à des psychomotriciens ou des ergothérapeutes n’était pas pris en charge par la Sécurité sociale. Le reste a charge des familles est désormais pris en charge.

L’objectif serait d’atteindre 100% de scolarisation des enfants autistes qui rentreront en maternelle en 2021. Le gouvernement prévoit de porter le nombre de places en Unités d’enseignement en maternelle (UEM) des petites classes à 2100. Une centaine de postes d’enseignants spécialisés sur l’autisme seront créés. La scolarisation en primaire et au collège-lycée sera renforcée par les Unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis).

Aide aux familles Le repérage des adultes... Le gouvernement désire créer une « plateforme de répit » par département. Elles permettront des gardes temporaires d’enfants et adultes autistes pour faciliter le repos des familles ou leur départ en vacances.

...ayant des troubles autistiques sera réalisé afin d’adapter leur prise en charge et leur accompagnement vers l’emploi notamment. Les crédits destinés au dispositif d’emploi accompagné seront ainsi doublés.

Valoriser la recherche Des professionnels mieux formés La recherche sur les troubles neurodéveloppementaux devrait être développée afin de remettre la science au cœur de la politique de l’autisme.

Le gouvernement prévoit d’améliorer la formation initiale et continue des professionnels de santé et travailleurs sociaux car « tous les professionnels ne sont pas encore au niveau des meilleures pratiques ».

CHLOE RISTE

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ANOREXIE MENTALE QUAND LA PSYCHOLOGIE L’EMPORTE...

L’anorexie mentale allie la maigreur au psychologique. Axelle, Lucile et Marion ont toutes les trois vécu cette maladie. Des expériences différentes mais qui se rejoignent sur trois points communs : le fait de vouloir se différencier des autres, de vouloir avoir un corps parfait et d’être tombées dans un cercle vicieux.

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Axelle Nicolas est serveuse dans un restaurant parisien. Cette jeune femme de 22 ans, diagnostiquée anorexique mentale depuis deux ans, a commencé à en souffrir il y a cinq ans. Ses 20 kg en trop l’ont entraînée dans un cercle vicieux. Après avoir perdu confiance en elle, Axelle est passée par une phase de dépression : « J’avais l’impression de creuser ma tombe. » Complexée par son ventre, elle refuse de s’alimenter. Son objectif : résister aux aliments. Sa famille a tenté de lui faire entendre raison par de multiples réflexions. Elle n’est pas la seule : « Les gens dans la rue s’arrêtaient pour me dire de manger. Il ne s’agit pas seulement de ça, il y a tout le côté psychologique à gérer », poursuit Axelle. La rébellion, la jeune serveuse l’a perçue : « On ne s’écoute plus donc dans une certaine mesure, on cherche à se rebeller contre nous-même. » L’anorexie est, selon elle, paradoxale : « On veut s’effacer au niveau du poids mais on veut ressortir aux yeux de ceux qui nous entourent. » Bien qu’elle ne soit pas encore totalement guérie, Axelle lutte, notamment en faisant du sport : « Je le fais pour avoir du muscle, me construire un avenir et rendre le sourire à mes proches. » Le travail psychologique rend néanmoins la guérison plus compliquée.

UNE REBELLION ALIMENTAIRE L’anorexie mentale peut se reconnaître au travers de différents critères : la façon de s’alimenter, le poids, la perception et l’estime de soi, le ralentissement de la croissance. Les filles sont les plus touchées. Elles cherchent à se différencier des autres par la maigreur. D’autres trouvent dans l’anorexie une manière d’attirer l’attention. Des moyens financiers restreints, perte d’un être cher, rupture, problème de boulot, manque de confiance en soi, besoin d’attention, etc., sont autant de raisons pouvant conduire à l’anorexie mentale. Dans cette maladie, le psychologique joue un rôle essentiel et prend le dessus sur l’aspect physique. S’en 38

détacher est la phase la plus compliquée du processus de guérison. Les personnes se restreignent, évincent certains aliments, refusent de manger… Viennent alors la hantise de grossir et l’obsession du contrôle de son corps. En ces termes, l’anorexie mentale peut être considérée comme une rébellion alimentaire dictée par le côté psychologique. Mais ce n’est pas la seule rébellion. Refusant de reconnaître leur maigreur ainsi que la perception déformée de leur corps, les personnes finissent par se révolter contre tous ceux qui souhaitent leur faire prendre conscience du danger encouru.


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Lucile Deryde est âgée de 19 ans. Elle vit en région parisienne et suit des études de commerce. Vivant mal son homosexualité, Lucile est tombée dans l’anorexie mentale en 2015, durant 7 mois. Désirant avoir « un corps parfait », elle a commencé à restreindre son alimentation. Petit à petit, elle a fini par aimer maigrir. Par la suite, une fascination grandissante pour les corps maigres a pris le dessus : « J’étais fière de moi car déterminée à maigrir. Je me sentais belle à côté de tous ces gens qui mangeaient des cochonneries. » Lucile aimait se démarquer, être admirée. Des thérapies pour comprendre d’où cela pouvait venir, elle en a fait, mais elles n’ont jamais été concluantes : « Ils ont essayé de trouver des raisons, comme le divorce de mes parents. Je me suis rebellée car je n’aimais pas leur manière de vouloir me soigner. » Aujourd’hui, grâce à deux déclics, Lucile est complètement guérie : « Le premier a eu lieu quand je suis partie aux Etats-Unis, dans une famille d’accueil, pendant un mois. Les repas très caloriques m’ont fait prendre conscience que ce n’était pas si grave de manger. Lorsque je suis revenue en France, j’ai eu un autre déclic. A cette époque, j’alliais sport et études, mais je me suis vite résignée : il était très difficile de faire les deux. J’ai donc privilégié mes études au sport. »

Marion Boulme a 22 ans et vit dans le sud de la France, à Antibes. Manager d’un restaurant, elle considère être 100 % guérie. Les raisons de l’arrivée de cette maladie, alors qu’elle avait 16 ans, sont encore floues. Selon elle, il s’agirait d’un mal-être à la fois physique mais également familial. La relation compliquée avec son père l’a conduite à agir de cette manière pour montrer qu’elle existait. « Je me rebellais contre la nourriture. Elle est devenue mon ennemie, pourtant j’adorais manger », explique la jeune femme. Son anorexie mentale l’a coupée de son entourage et de tous ses amis : « Ils me disaient que j’étais un zombie squelettique. Ils ne me comprenaient pas et moi, je refusais de voir ma maigreur », poursuit-elle. Pendant ces quatre ans de maladie, les conflits sont devenus quotidiens. Marion mangeait peu voire pas du tout, et faisait du sport, qu’il pleuve, vente ou neige. « Avec le sport, j’ai perdu du poids rapidement. On m’a ensuite interdit d’en faire pendant plusieurs années. J’ai été hospitalisée et j’ai repris du poids », expliquet-elle. Désormais, sa vision du sport a changé. Elle veut en faire son métier, et ne s’en sert plus pour contrôler son image.

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CHLOÉE RISTE 39


Coq uelico tSs MOUVEMENT DES

SOUS LES FLEURS, LES

PESTICIDES Le coquelicot n’est plus seulement un hommage aux morts de la guerre outre-Manche. Il est désormais la figure de proue d’un mouvement anti-pesticide lancé en septembre 2018 par Fabrice Nicolino, journaliste à Charlie Hebdo. Après l’influence des industriels dans l’affaire du glyphosate apparaît celle des lobbies bio.

L LE COQUELICOT Fleur rouge au pistil noir, il tire son nom de sa couleur et sa forme qui rappellent la crête du coq. En dépit des nappes rouges que nous offre la fleur des champs, c’est une plante qui nuit au rendement des récoltes et à leur qualité. Considéré comme une mauvaise herbe, le coquelicot est donc éradiqué par les pesticides.

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Le plan Ecophyto prévoyait une baisse de moitié des pesticides sur le marché entre 2009 et 2016. La réalité est tout autre, et la quantité a même augmenté de 20 %. Le mouvement des coquelicots se réunit tous les premiers vendredis du mois, et est particulièrement populaire en Bretagne. Son but : rassembler au moins cinq millions de soutiens avant 2020. Signé à ses débuts par 100 citoyens et activistes, il compte aujourd’hui plus de 429 000 personnes sur la page Facebook “Nous voulons des coquelicots”, également titre du livre que Fabrice Nicolino a co-écrit avec François Veillerette. Selon lui, c’est « une sorte de Téléthon pour un pays enfin débarrassé de tous les pesticides. » Le mouvement a même son hymne, “Viens avec moi mon vieux pays”, écrit par Emily Loizeau. Les « Khmerverts » Initiative citoyenne pour certains, coup marketing pour d’autres, qui dénonce les manipulations de Générations Futures (GF). A l’origine du mouvement, l’association est menée par François Veillerette. Mais aussi par Maria Pelletier, membre du conseil d’administration de Synabio (syndicat nationale des entreprises bio). L’organisme est accusé de


dramatiser la situation via des rapports non scientifiques, « un rapport militant destiné à convaincre et non à étudier la réalité » selon le docteur Dominique Dupagne, chroniqueur sur France-Inter. Dernier acte en date, l’émission Envoyé spécial « Le glyphosate, comment s’en sortir ». Le titre parle de lui-même. Pour l’UFC-Que Choisir, « Générations Futures assume le rôle d’organisme de promotion d’une filière » dont les principaux partenaires sont : Biocoop, Bjorg, Bonneterre, Botanic et Ecocert. Et cela marche toujours selon UFC-Que Choisir, puisque 88 % des Français feraient confiance au label européen “Agriculture biologique”. To bio or not to bio Mis en avant dans les vœux au monde agricole d’Emmanuel Macron le 25 janvier, l’agriculture de conservation des sols (biologique) fait polémique. Entre agriculture biologique et conventionnelle, elle ne considère pas la chimie comme néfaste pour lutter contre les ravageurs et prône l’abandon du labour. En réalité, le système naturel peut être toxique, il n’y a pas de traitement sans impact négatif. Selon un rapport de 2014, le ratio efficacité/toxicité est faible, cela pour un rendement inférieur, environ 20 %. Utilisé dans les hôpitaux mais aussi dans l’agriculture, le cuivre, 3e pesticide le plus utilisé en France, est un élément naturel toxique. Mélangé avec de la chaux, on obtient la bouillie bordelaise, une des seules solutions autorisées pour la culture bio et possédant une cinquantaine d’usages, comme le traitement du mildiou, la maladie de la pomme de terre. Problème : le fongicide dégrade les sols et contamine les nappes phréatiques. On peut également parler de la roténone, une molécule accroissant les risques de Parkinson. En 2011,

Fabrice Nicolino, journaliste à l’origine du mouvement « Nous voulons des coquelicots » @Le Parisien

son interdiction par l’Union européenne a mis en avant un substitut, perturbateur endocrinien, l’huile de neem. Trouver une alternative ne suffit pas. Il y a peu de traitements en bio, « les agriculteurs sont amenés à utiliser souvent les mêmes, ce qui accélère l’apparition des résistances », relève Philippe Stoop, directeur de la recherche de la société d’agro-technologie montpelliéraine ITK. Lobby libre

Selon Planète sans visa, un tiers des oiseaux ont disparu en 15 ans ainsi que 80 % des insectes volants. 95 % des Guadeloupéens sont contaminés à la chlordécone, un insecticide interdit depuis 1990 et utilisée aux Antilles jusqu’en 1993. Il s’agit d’un perturbateur endocrinien, classé comme cancérogène possible par l’Organisation mondiale de la Santé depuis 1979.

En août dernier, Nicolas Hulot, ministre de l’Environnement, démissionne. En cause, la puissance des lobbies et la difficulté à avancer sans le soutien des citoyens. Une chose est sûre, aujourd’hui, les lobbies prospèrent. Du côté des industriels, les Monsanto Papers laissent entendre une influence du géant Monsanto sur les gouvernements. Et les multiples rapports “scientifiques“ publiés sur le glyphosate laissent perplexe. Cancérigène selon le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), des propos contredits par de nombreux organismes (FAO, OMS). Green Peace a même accusé l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), d’avoir laissé filtrer des informations pour changer son jugement. La toxicité d’une molécule naturelle ou non, tout est une question de dose ! Ce qui est reproché à GF lors de ses prélèvements, c’est de parler du nombre de pesticides trouvés sans indiquer de dose précise.

GREGOIRE CHAPRON 41


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LIBIDO VOLATILE

S U ZE La morale gangrénerait-elle la sexualité ? De nouveaux standards contemporains tourneboulent les fondations les plus robustes de la libido, de la passion et du désir. Or, dans une tendance inversée, quoique paradoxale, nous rejetons ces conceptions singulières sous couvert qu’elles ne calquent pas à nos archétypes persistants de l’amour. Zeus, assurément, rirait face à une telle étroitesse. Dieu des dieux, certes, mais Casanova à ses heures perdues, serait-il, en définitive, le paroxysme de la liberté sexuelle ? Tantôt mortelles, tantôt des divinités, un coup de somptueuses femmes, ponctuellement Ganymède, l’échanson des dieux, les conquêtes de Zeus ne suivent ni constante, ni préétabli. Au contraire, lui va où son cœur le guide. Peut-être devrions-nous faire de même… Cesser la prudence et plonger corps et âme dans le large bain du désir. Comme quoi, Zeus, lui seul, comprenait la double nuance du coup de foudre.

ARTH UR BRENAC 43


A B ASEXUEL

comme

C’est ne pas être attiré sexuellement par une personne. Il n’a pas besoin de faire preuve d’abstinence, puisqu’il n’en ressent pas de besoin. Nous pouvons être attiré “visuellement” et amoureusement, mais sans s’engager dans des rapports intimes.

comme

BICURIEUX

Certes hétérosexuels ou homosexuels, les bicurieux ne s’interdisent pas de vivre des relations à l’opposé de leur genre désiré. En revanche, ils ne s’identifient pas comme bisexuels.

G

comme

Dans la même veine sexuelle que l’éphébophilie, la gérontophilie regroupe des personnes attirées par des individus plus âgés. Le corps vieillissant devient alors objet de convoitise.

comme

ICULASEXUEL

Sous-branche de l’asexualité, l’iculasexuel n’est toujours pas dans une perspective de bâtir des relations sexuelles. Néanmoins, il n’est pas fermé à l’idée d’entretenir des actes intimes avec son partenaire, sans le désirer. 44

comme

CRUSH FETISH

Considéré comme une paraphilie (une déviance sexuelle), le crush fetish est un fétichisme où un individu est excité par l’écrasement d’objets ou d’invertébrés. Relève de l’hard crush, le broyage de petits animaux (comme des chatons).

E C E B L’A

GERONTOPHILE

i

C

comme

j

JAPANESE BONDAGE

Pareillement pointé comme kinbaku, le bondage japonais est une branche du ligotage sadomasochiste ; une pratique sexuelle pronant la douleur, la domination et l’humiliation.

U X E S des

K K

comme

KALOSSEXUEL

Aussi connu comme la cupiosexualité, la kalossexualité est une sorte d’asexuelité. Car il ne ressent pas l’attraction sexuelle, mais il désire néanmoins s’y abandonner.


comme

D e F DEMISEXUEL

Un demisexuel a besoin de nouer des liens forts avec son partenaire avant de ressentir des pulsions sexuelles. C’est une sorte de zone grise entre l’asexualité et la sexualité.

comme

EPHEBOPHILIE

Parmi les chronophilies (attirance envers un classe d’âge particulière), l’éphébophilie désigne l’ensemble des adultes attirés par les adolescents et jeunes adultes.

S E T I L UA

comme

LITHROMANTIQUE

Les lithromantiques ne sont pas insensibles à l’attraction sexuelle ou romantique envers un individu voulu. Or, ils souhaitent que leurs sentiments ne soient pas réciproques.

FLUIDE

Navigant entre deux genres, les fluides peuvent se considérer tantôt femmes, tantôt hommes - généralement en fonction de leur humeur. Sinon, ils s’estiment comme de “genre neurtre”.

h

E R I A ED

L

comme

comme

HOMOSEXUEL

Se dit homosexuelle une personne attirée par un homologue du même sexe. Gays, lesbiennes entrent évidemment dans cette division.

M comme

MACROPHILIE

Découlant de macros (large dans la langue d’Athènes), cette sexualité englobe ceux qui entretiennent un fantasme au vu de personnes plus grandes qu’eux, ou de géants.

N

comme

NOVIGENDER

Terme assez nébuleux, une personne dite “novigender” est dans l’incapacité de clairement décrire son orientation sexuelle ; ce dû à sa potentielle complexité.

45


o

comme

OMNISEXUEL

Souvent pointée comme un équivalent de la “pansexualité”, un omnisexuel ne prend pas en compte le genre de son partenaire ou même son orientation sexuelle.

P Q

comme

pomosexuel

La pomosexualité est la caractéristique d’une personne refusant de se catégoriser par une orientation sexuelle. La personne pomosexuelle considère le genre de son compagnon sans le prendre en compte.

comme

QUEER

Terme regroupant plusieurs symboliques. Les personnes s’y revendiquent non-hétéronormées, non-monoamoureuses, non-cisnormées. Se définit dans un spectre plus large à tout ce qui n’a pas attrait à l’hétérosexualité.

U V w

comme

urolagnie

Attirance sexuelle d’une personne urophile. Personne qui érotise les fonctions urinaires ; est excitée par le fait d’uriner devant un ou plusieurs partenaires. Ne s’affilie à aucun genre particulier.

comme

variorienté

Personne dont les attirances sexuelles et romantiques ne sont pas en accord. Se dit dans le cas d’un aromantique (personne sans attirance romantique) ou d’un pansexuel (attirance non-basée sur l’identité de genre du partenaire).

comme

WOMA

Se dit d’une personne ayant une attirance totale ou partielle pour un individu s’identifiant entièrement ou non comme une femme. Par exemple, un homme hétérosexuel est woma, une femme homosexuelle est woma. Idem pour un homme attiré par un transgenre identifié femme.

, sexologue LA CATÉGORISATION SEXUELLE NE SERAIT-ELLE QU’UNE ILLUSION ? DAVID GOMBAUD

« La catégorisation sexuelle est une illusion, car nous avons plusieurs sexes. Nous avons notre sexe mental, notre sexe génétique – un corps d’homme, ou un corps de femme – et notre orientation sexuelle, le genre qui nous attire. De là, toutes les combinaisons sont possibles. La sexualité est multiple, com46

binatoire, et surtout évolutive ; les récents mouvements queer et asexuels, par exemple, lesquels seront suivis par de nouvelles sousbranches dans l’avenir. Or, j’estime que ladite catégorisation est nécessaire, notamment chez les adolescents. Eux sont en devenir et ne savent pas qui ils sont autant d’un point


r S T

comme

requiesromantique

Orientation romantique qui se caractérise par un épuisement émotionnel. Celui-ci empêche de ressentir une attraction / un intérêt et/ou de pratiquer une quelconque activité sexuelle. L’épuisement peut être lié à une maladie mentale.

X comme

xenogenre

Personne qui se définit par tout élément autre que ceux des hommes et des femmes. L’individu associe son identité à une alliance de caractéristiques d’autres genres ou non. Terme très large qui revendique des sexualités encore non-identifiées.

comme

sapiosexuel

Attirance sexuelle et/ou romantique basée sur l’intelligence. Le physique, l’âge et le genre sont secondaires et parfois même anecdotiques dans ladite attirance. Possibilité de refus d’affiliation à d’autres genre sexuel.

y

comme

YESTERGAY

comme

Fétichisme de la capillarité. La personne est excitée par les cheveux, poils et fourrures. Toute interaction avec provoque un stimuli sexuel (regarder, coiffer et manger). Possibilité de voler des objets liés de près ou de loin à la coiffure.

Z

comme

Personne ayant été homosexuelle pendant une longue période et qui se sent désormais hétérosexuelle. L’individu ne peut identifier qu’une des deux périodes comme étant un égarement, car elles sont parfaitement éclairées.

TRICOPHILE

ZIE & HIR

Prononcitation anglophone esquivant les influences de genre apposées aux pronoms. “Il” et “elle” pour Zie ; “son” et “sienne” pour Hir. On peut traduire Zie en français par “iel”. Aucun mot officiel ou officieux n’existe encore pour Hir.

ARTHUR BRENAC & THOMAS MONTEIL

de vue identitaire que sexuel. Les situer leur permet d’accepter leur différence et d’avoir une « ancre », leur sexualité n’étant ni déviante ni hors-norme (excepté pour les paraphilies). L’Homme a besoin de l’étiquette, mais celle-ci ne doit pas être rébarbative ou irréversible. Notre corps change, notre esprit

change… L’important étant d’avoir les bons outils pour appréhender ces sexualités. » ARTHUR BRENAC

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AMOUR

PAS CHOISIR» E N E D E ID C E D I ’A J AU PLURIEL... «

Polygynie ou encore polyandrie, ces formes d’amour multiple sont parmi les plus connues. Cependant depuis plusieurs années, une nouvelle sorte d’amour se développe : le polyamour. Pourquoi ressent-on le besoin de devenir polyamoureux ? Comment gère-t-on ce type de relations ? Antigone a mené l’enquête.

U

Un être polyamoureux est une personne qui ressent des sentiments amoureux pour plusieurs personnes à la fois. Cette relation va au-delà de l’attrait sexuel. « Le polyamour, c’est hyper large ». Selon le site polyamour.info, elle se base sur « l’acceptation du simple fait qu’une seule personne ne peut et ne doit pas être contrainte à combler tous vos désirs ou besoins ». Les personnes polyamoureuses ressentent l’envie de découvrir et d’aimer plusieurs individus à la fois. La comparaison est souvent faite avec les relations amicales qui peuvent être, elles aussi, multiples. D’après une étude réalisée en 2012, relayée par Les Inrocks, par l’association américaine Loving More sur un échantillon de 4 000 polyamoureux, 49,5 % des femmes seraient plus enclines à vivre des relations polyamoureuses. Alors que les hommes ne représentent que 35,4 %. Léa et Pierre* sont un couple toulousain polyamoureux, ils sont ensemble depuis bientôt 8 mois. Pierre est en relation avec d’autres femmes, dont une régulière. Quant à Léa, elle s’est lancée dans le polyamour il y a peu, et découvre les caractéristiques de ces relations. « Je me suis senti enfermé dans mes relations monogames, explique Pierre. J’aime plusieurs personnes, toutes différemment, et c’est cela qui me plait car elles ont toutes des goûts et des disponibilités divers ». Pour autant, le polyamour ne doit pas être confondu avec le libertinage ou l’échangisme. Malgré le principe de relation multiple, le respect de l’autre par la fidélité et l’honnêteté, est attendu. « On a tendance à cloisonner toutes les relations, alors qu’elles sont toutes différentes ». La relation polyamoureuse et ses multiples conditions Pour réussir dans une relation polyamoureuse, la conversation doit régner en maître au sein du couple. « Nous discutons beaucoup et de tout. Il n’y a pas de modèle établi comme avec les monogames. Tout se fait au fur et à mesure, il n’y a pas de formule magique », racontent Léa et Pierre. Le couple n’évoque que très peu les sujets d’avenir, comme le mariage et les enfants.

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POLYGAMIE

POLYAMOUR

Contrairement au polyamour, la polygamie serait exclusivement réservée aux hommes et concernerait des relations conjugales liées par le mariage. Pour les femmes, on appelle cela la polyandrie et pour les hommes, la polygynie. Dans la polygamie, un seul membre de la relation détient le droit d’avoir plusieurs relations. En 2011, 20 000 familles polygames étaient recensées en France. 80 % de ces couples seraient originaires d’Afrique subsaharienne et de religion musulmane. Aujourd’hui, la polygamie est attribuée, dans l’esprit commun, aux Mormons d’Utah (USA), bien que ceux-ci aient banni la polygamie en 1890.


D’après une étude réalisée en 2012, sur un échantillon de 4 000 polyamoureux, 49,5 % des femmes et 35,4 % des hommes sont enclins à être dans des relations polyamoureuses @RTL

Pour Léa, avoir une tierce personne impliquée permet à celui ou celle qui souhaite avoir des enfants de ne pas être bloqué par le choix de la personne de ne pas en avoir. Le plus compliqué est d’organiser son quotidien mais le couple ne se sent pas contraint : « On ne passe pas plus de temps avec l’un plutôt qu’avec l’autre ». La jalousie est un facteur à prendre en compte dans une relation polyamoureuse. Pierre et Léa avouent en ressentir parfois lorsque l’un d’entre eux est avec une autre personne. « Moi, j’ai parfois des pics de jalousie », se confie Léa. « Pour moi, la jalousie dépend de la confiance en soi et en l’autre », décrit Pierre. Autre inconvénient, leur entourage ne connaît pas tous les aspects de leur relation. La famille de Pierre ne sait pas qu’il partage une attirance pour plusieurs femmes, mais seulement pour une : « J’agis naturellement mais je n’entre pas dans les détails. Mes parents ne sont pas au courant. Avec mes collègues ou mes amis, c’est pareil ». La mère de Léa connaît le statut amoureux de sa fille et n’est pas entièrement d’accord avec le principe. « J’ai peur des gens qui pensent que je me fais abuser par un mec qui veut se mettre en situation polygame », indique Léa. « Être polyamoureux, c’est comme un coming-out » Être polyamoureux peut donc paraître tabou. Déjouant tous les plans du couple monogame et d’un droit chemin tracé sans accroc, le polyamour, au contraire, peut être vu d’un mauvais œil. La liberté d’avoir des relations avec qui l’on veut, sans se cacher, simplement parce que l’on se sent bien, peut tout de même poser problème. Pour la sexologue Cathline Fermet-Quinet, cette liberté affective gratuite a toujours été incomprise dans notre société : « En général, la plupart des personnes disent que ce n’est pas possible, qu’il est impossible d’aimer deux personnes, qu’il y a forcément un problème dans le couple. La notion de facilité intervient également ». Une notion dérisoire pour la sexologue qui, au contraire, insiste sur le fait que l’amour pluriel n’est pas qu’un effet de mode s’il est sincère et partagé. « A la différence de la polygamie, le polyamour, lui, n’est pas culturel. C’est une conception sentimentale.

Le film « À trois on y va », sorti en mars 2015, décrypte les relations plurielles. @Allociné

On peut être polyamoureux sans pour autant être dans une relation polyamoureuse. Ce n’est pas un pacte de fidélité que l’on peut faire à trois ou plus… Ce n’est pas une condition constante ». Pour Cathline Fermet-Quinet, le polyamour a toujours été présent. « Je pense que le polyamour a toujours existé. Ce n’est pas une tendance. Quand nous étions petit, nous étions inconsciemment polyamoureux. Les petits garçons aimaient souvent plusieurs filles à la fois, pareil pour les jeunes filles. C’est juste une façon d’aimer différemment. Les personnes qui ont ce genre de relation souhaitent juste écouter leur corps et être au plus proche d’eux-mêmes. Ils se retrouvent dans cette forme d’amour, en quelque sorte. Avant les personnes polyamoureuses cachaient leur relation. Aujourd’hui, vu que la question se pose, beaucoup de personnes en parlent, ce n’est plus si tabou. La société est plus ouverte qu’avant ». Restant tout de même normalisée par le biais de publicités, de magazines, de paroles qui font penser au simple couple monogame, notre société tend à changer. Finies, les publicités Moulinex mettant en scène l’épouse qui attend que son mari rentre du travail pour lui faire à manger. Finis, les conseils du banquier vis-à-vis d’un projet de couple. Cela dépasse désormais les mœurs. Chacun est libre de faire ce qu’il souhaite. A condition de « travailler un minimum sur son égo pour éviter les crises de jalousie », insiste Cathline Fermet-Quinet.

ALEXANDRA SABADELLO & BASTIEN VIENNOT 49


Avouer son homosexualité dans le sport « Ma plus grande

CRAINTE

A entendre les différents acteurs du milieu, il n’y aurait pas d’homosexuels dans le sport. Alors qu’ils représentent entre 5 et 10 % de la population, pourquoi seraient-ils moins nombreux sur les terrains ? Pourquoi aux Jeux olympiques et paralympiques de Londres, en 2012, sur les 10 500 athlètes, seuls une quinzaine de sportifs, dont trois hommes, ont affiché ouvertement leur homosexualité ?

D

Dans les milieux sportifs français, il est aussi difficile de cacher son homosexualité que de l’assumer. « Soit les sportifs mentent au quotidien, généralement par omission. Soit ils assument et font face à un risque de stigmatisation », explique Pascal Tarlu, ancien président du Paris Foot Gay (PFG). Selon lui, les Américains ont l’avantage d’être bien mieux encadrés, et leurs sponsors moins frileux. Le coming out de Michael Sam a été immédiatement salué par la National football league (NFL), et Jason Collins, premier athlète américain en activité à assumer son homosexualité, avait reçu le soutien de Barack Obama. C’est une situation que l’on peine à imaginer en France où « les fédérations et le ministère restent très timides, quand les politiques conduites en Angleterre, aux Pays-Bas, en Allemagne ou en Belgique pointent clairement du doigt le moindre signe

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c’était les vestiaires »

d’homophobie. Ici, un sportif qui avouera son homosexualité sera seul, il est normal qu’il préfère la cacher », souligne Pascal Tarlu. L’homophobie est ancrée dans le sport La question varie également en fonction du sport pratiqué. Les travaux d’Anthony Mette, psychologue et préparateur mental, montrent que les sports d’équipe, en particulier ceux où les joueurs passent beaucoup de temps ensemble, ont tendance à exacerber les valeurs viriles. Cette situation touche particulièrement le football. En 2013, un sondage du PFG consacré à l’homosexualité et au ballon rond révélait que 41 % des joueurs professionnels et 50 % de ceux évoluant en centre de formation la considèrent “avec hostilité“, quand ils ne sont que 8% dans les milieux amateurs. Pascal Tarlu l’explique : « C’est un spectacle qui, culturellement, est devenu un élément important de la construction virile des adolescents français. L’homophobie s’y est ancrée plus profondément : vous avez des chants homophobes, des banderoles homophobes. » Pour Pascal Tarlu, la balle n’est pas dans le camp des sportifs mais du côté des dirigeants : « Un sportif n’est pas un politicien. Ce qu’on lui demande, c’est d’avoir de bons résultats. C’est aux associations et aux institutions de faire en sorte que les choses changent. »


Le vestiaire : ange ou démon Faire son coming out n’est donc jamais une chose simple, que ce soit dans le sport amateur ou professionnel. Pour Florian 26 ans et joueur de volley, cela s’est plutôt bien passé. Le déclic a eu lieu un soir alors qu’il était seul dans sa chambre. Il raconte. « Je me suis dit que ça ne servait à rien de le cacher à mon équipe, mes coéquipiers qui étaient pour la plupart des amis de longue date. Mes parents savaient déjà pour mon homosexualité mais le dire à ses potes c’est autre chose. Un soir après l’entraînement, dans les vestiaires je les ai réunis et je leur ai avoué que j’étais gay ». Le jeune homme a ensuite dû faire face aux regards des autres. « Ma plus grosse crainte, c’était les vestiaires. Je n’étais pas sûr que mes coéquipiers continuent à m’accepter. » Mais c’est à ce moment qu’il dit avoir compris la notion de sport collectif et d’amitié. « Mon capitaine, avec qui je joue depuis la primaire, s’est exprimé la semaine suivante. Il a dit que personne ne devait me juger et que j’avais fait preuve d’un énorme courage d’avouer ça à toute l’équipe. Il a dit qu’on était comme des frères et qu’on devait se traiter les uns les autres de cette façon. Ses mots et son soutien m’ont vraiment aidé à me sentir mieux. » Cela fait 5 ans que Florian a avoué son homosexualité. Il joue toujours dans le même club aujourd’hui. « Franchir le pas a été un énorme soulagement, je me suis senti libéré d’un poids. Le fait que qu’aucun d’eux ne m’aient jugé m’a aidé à accepter encore plus la personne que je suis », conclut le jeune homme.

Léanne a décidé d’arrêter le handball après avoir subi des moqueries dans son club. Aujourd’hui elle ne veut plus entendre parler de sport collectif.

Malheureusement pour d’autres, avouer son orientation sexuelle dans un vestiaire peut avoir des conséquences moins heureuses. Léanne a 18 ans quand elle avoue à ses coéquipières de handball qu’elle aime les femmes. « Après un entraînement, la discussion de l’équipe tournait autour de ça et j’ai décidé de tout leur avouer. Je n’ai pas imaginé un seul instant l’enfer qui allait s’ensuivre », déclare-t-elle, visiblement émue. Au début, la quinzaine de jeunes femmes présentes sont un peu choquées et surprises par son annonce. « La première semaine, elles étaient compréhensives. Mais ça a vite dégénéré. Je me suis retrouvée seule pour les exercices à l’entraînement, dans les vestiaires, les filles à côté de moi laissaient une “distance de sécurité“, dans les douches. Ça m’a fait mal. » Les insultes et les moqueries vont se faire de plus en plus présentes par la suite. La jeune femme essaye d’en parler à son coach, en vain. « Elle m’a dit qu’elle allait les engueuler, elle l’a fait, mais les moqueries ont continué ». Léanne, alors en souffrance, commnce à rater des entraînements et des matchs. « Peu à peu ma passion pour ce sport à diminué et j’ai arrêté en cours de saison. Je n’ai jamais repris depuis », confie-t-elle. Aujourd’hui, la jeune femme ne pratique plus de sport en club et il est hors de question pour elle de reprendre, même ailleurs. Qui faut-il condamner dans ces cas-là ? Les coéquipiers qui manquent d’ouverture d’esprit ou simplement d’humanité ? Ou les administrations du sport qui ne protègent pas assez ces hommes et ces femmes qui voient leur passion devenir un poids dans leur vie ? Dans tous les cas, il faut savoir rendre hommage à ceux qui comme Léanne ou Florian cassent les codes et les barrières du sport et qui se rebellent contre la violence dont peut faire preuve un vestiaire de sportifs.

Quand Florian a avoué son homosexualité, ses coéquipiers l’ont soutenu. Il continue de les remercier aujourd’hui pour ce qu’ils ont fait pour lui.

MATHIS RAGUIN 51


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C'ÉTAIT MIEUX AVANT !

E L A D DEÉÉ Créateur du labyrinthe qui enferme le minotaure, il s’y retrouve à son tour piégé avec son fils Icare. Pour s’en échapper, il crée des paires d’ailes de cire et de plume pour protéger sa progéniture. Ainsi naît le fameux mythe d’Icare, perdant ses ailes en s’approchant trop près du soleil et mourant noyé en mer Egée. Et pour cause, il ignore les ordres directs de son père qui avait pourtant prédit cette fin. Mais est-ce aussi binaire ? Dédale a raison, Icare a tort. Si l’issue fatale légitime le propos, l’allégorie de la prise de risque fait que l’on se souvient plus du fils que du père. Ainsi le propos est déjà tout autre. Qui du jeune homme emprunt de liberté et de l’homme qui a créé le labyrinthe où ils sont enfermés a le droit de héros ? Le droit que l’on se souvienne de lui et que l’on donne son nom à un mythe ? Oedipe nous a montré que tout n’est pas toujours moral, Dédale que tout n’est pas simplement lié à l’ordre.

TH OMAS MONTEIL

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LES

NEO-NAZIS SONT-ILS GAY FRIENDLY ? À première vue, quand l’on parle des néo-nazis, on s’imagine que l’homosexualité est à l’opposé des idées qu’ils défendent. Pourtant aujourd’hui, il existe bien une branche du néo-nazisme qui se revendique gay-friendly.

Ce logo représente le mouvement G.A.S.H (les Skinheads gays aryens) qui est présent en Russie et qui compte exclusivement des néo-nazis gays

Le groupe G.A.S.H lors d’une de leurs manifestations dans les rues de Moscou @G.A.S.H.

H

« Homosexualité et fascisme ne vont pas de pair ». Le décor est planté. Quand on demande à Victor, si pour lui, le mouvement néo-nazi pourrait contenir des gays dans ses rangs, voici sa réponse. Pour cet homme de 32 ans qui a rejoint ce mouvement il y a 7 ans, il est impensable que des homosexuels puissent être en accord avec les idées du fascisme. Et inversement, le fascisme ne peut pas défendre le mouvement gay tant ils les ont malmenés et continuent de les malmener aujourd’hui. « C’était la seule solution pour que je sois entendue » Pourtant, quand on se penche de plus près sur les mouvements néo-nazi et LGBT, on s’aperçoit qu’il leur arrive de cohabiter. L’un des cas les plus célèbres est celui de l’anglais Kevin Wilshaw. Cet homme de 58 ans s’est engagé dans le mouvement fasciste quand il était adolescent. Pendant plus de 40 ans, il mène une double vie et fréquente des clubs gays. Il finit par faire son coming-out sur une chaîne anglaise : « Il y a toujours eu un milieu gay actif à l’extrême droite, à condition qu’on n’en parle pas et que tu ne te fasses pas prendre. Je fréquentais beaucoup les clubs gays, je ne me suis jamais fait prendre, je n’en ai jamais parlé », a-t-il déclaré. « Ces mecs-là sont des exceptions, il ne faut pas commencer à croire qu’il y a beaucoup de gars comme lui dans nos rangs. Et même s’il y en a, il ne vaut mieux pas qu’ils le

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gays, ils « Je dis juste que s’ils sont avec les ne sont pas en adéquation tre valeurs et les idées de no mouvement » Victor, néo-nazi.


montrent sinon ça va mal se passer pour eux » rétorque Victor quand on lui explique que certains homosexuels sont néo-nazis. Une réponse catégorique et presque menaçante. « Attention, je ne dis pas qu’on va les massacrer ou quoi. Je dis juste que s’ils sont gays, ils ne sont pas en adéquation avec les valeurs et les idées de notre mouvement. Donc, logiquement, ils vont se faire exclure ou alors ils sentiront que leur place n’est plus parmi nous et ils partiront d’eux-mêmes. »

d « L’homosexualité fait quan ire» même partie de notre histo Léon, néo-nazi.

Des mouvements néo-nazi gays

« L’homosexualité fait quand même partie de notre histoire » concède Léon. Ce néo-nazi de 54 ans, qui a épousé les idées du fascisme à l’âge de 19 ans, est conscient que l’homosexualité a toujours gravité autour de ces sphères. « Il faut savoir qu’en 1933, les S.A. comptaient plus de 2 millions de membres et des pratiques homosexuelles se déroulaient ouvertement, voire étaient encouragées », explique-t-il. Si ces deux mouvements ont toujours été liés, il ne faut pas se méprendre. Les gays appartenant à ces mouvements radicaux d’extrême droite ne seront pas défendus par leurs pairs. « L’homophobie s’est ancrée en nous. Ce n’est pas parce que par le passé, certains dirigeants nazis ont été gays, ou qu’il y a pu avoir des pratiques homosexuelles dans nos rangs que l’on va devenir gay-friendly », affirme Léon. Pourtant aujourd’hui, il existe bien un mouvement néonazi homosexuel : le G.A.S.H. (Gay Aryan SkinHead). Tous les membres sont ouvertement gays. Basé en Russie, ce groupe compte entre 1 500 et 1 700 membres. Dans une interview pour le média Vice, l’un de leurs membres explique ce qui les différencie des mouvements néo-nazi dits traditionnels. « On se bat contre les homophobes, peu importe la couleur de leur peau et leur nationalité. On ne comprend pas pourquoi nos frères se dressent contre nous. Après tout, on n’a rien contre les hétérosexuels et on a aucune intention de faire du monde entier un havre de gays. » Pour Victor, le ton est ferme. « Je ne comprends pas ces mecs-là. Ça n’a aucun sens. C’est contre les idées que l’on défend ». En parallèle, Bely, le néo-nazi gay interrogé par Vice, explique que même s’ils sont contre l’homophobie, travailler avec les associations LGBT classiques n’est pas une priorité. « Oui, on coopère un peu avec la communauté gay classique. Mais parfois, on les méprise, parce que chacune de nos actions produit un résultat alors que les leurs ne font qu’aggraver la situation entre la société, les homophobes et les gays. » Une explication douteuse et qui ne devrait pas aider la cause gay. « L’opinion publique considère que les nationalistes sont des barbares brutaux et des meurtriers, les observateurs extérieurs pensent sans

Kevin Wilshaw a avoué à la télévision anglaise son homosexualité alors qu’il était membre depuis 40 ans d’un groupe néo-nazi. Son interview a fait le tour du monde

doute que le nationaliste doit être un combattant costaud, alors que les gays évoquent plutôt la douceur, la bonté, ils paraissent inoffensifs. Dans l’imaginaire collectif, le fait que des mecs qui privilégient le côté beau et glamour de la vie puissent combattre, littéralement, pour leurs droits et leurs idées, ça n’a aucun sens », fustige Bely.

MATHIS RAGUIN

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ROYALISTES

POUR QUE VIVE LE roi,

VIVE

LES GILETS JAUNES La rébellion regorge de rebelles inattendus ! Chaque samedi, des milliers de Gilets jaunes manifestent en France pour renverser le pouvoir. Parmi eux se sont glissés des royalistes. Focus sur les partisans d’un régime monarchique.

s

Si les Gilets jaunes sont très souvent comparés aux “Sans-culottes” de 1789, ils ont à la différence de ces derniers le soutien des royalistes. Au recoin d’une rue, alors que des manifestants en jaune défilent dans les allées de Lyon, un groupe d’individus se démarquent de la masse. Sur le gilet, un pins de l’Action Française, un parti d’extrême droite composés de royalistes. Être royaliste c’est avoir une idée politique qui prône ou soutient la royauté, c’est-à-dire un régime politique dans lequel le chef d’une nation porte le titre de roi ou de reine, le plus souvent héréditaire mais aussi à titre méritoire. « Un président qui a beaucoup plus de pouvoir que le roi »

Pour les royalistes, manifester aux côtés des Gilets jaunes, c’est tenter de renverser un système avec un roi beaucoup trop puissant. « Notre président a beaucoup plus de pouvoir que Louis XIV n’en a jamais eu. Il a par exemple le pouvoir de mobiliser des milliers de CRS dans Paris pour empêcher toute tentative de révolution, pouvoir que n’ont pas eu les rois de France à la fin », affirme Mathieu, membre de l’Action Française à Lyon. C’est aussi pour eux une chance de tirer parti de cette situation. Dans une politique polluée par les affairistes, les magouilleurs, le roi lui est au service du peuple. Même le référendum d’initiative citoyenne (RIC) est défendu d’une 56

« Je suis là pour manifester avec ce qui reste de forces vives en France. Tout ceux qui veulent une vraie révolution et pas simplement 5 ou 10 euros de plus sur le salaire » Mathieu, membre de l’Action Française à Lyon

même voix par les royalistes. « Un RIC montrerait que le peuple gouverne. Dans notre façon de concevoir la monarchie populaire, le roi s’occupe des fonctions régaliennes et le reste est pris en charge par des institutions décentralisées », explique Mathieu.


Un nouveau pouvoir monarchique Si cette révolution des Gilets jaunes aboutit à l’effondrement du système actuel, par quoi le remplacerait-on ? Pour les royalistes, il serait temps de non pas revenir à un mythique et obsolète « Ancien régime », définitivement mort en 1789, mais de mettre en place un “nouveau régime” monarchique. Un système fondé sur un renforcement monarchique de l’Etat avec des institutions législatives plus décentralisées et des votes locaux plus fréquents. En attendant, les royalistes peuvent compter sur les symboles : les Trois Glorieuses de La Liberté guidant le peuple, tableau relié à tort à 1789 (qui n’est pour eux qu’une révolution financière) et repris par les « Gilets jaunes », ont porté le dernier souverain français, l’orléanisme Louis-Philippe, sur le trône. « On ne prétend pas être représentatifs du peuple, mais on veut faire quelque chose pour ce peuple » conclut Mathieu.

L’insigne des Royalistes présent sur les Gilets Jaunes à Lyon

TOM CIARAVINO

Le mouvement de l’Action française affiche son soutien aux gilets jaunes sur les réseaux sociaux. @Action française

ÊTRE ROYALISTE EN 2019

Le mouvement des royalistes repose toujours sur une nostalgie de la grande époque de la France. Une époque où le pays était la première puissance européenne. La Gaule était connue mondialement et même jusqu’aux pays asiatiques, où elle suscitait respect et admiration, elle était souvent considérée comme un exemple à suivre pour beaucoup de pays. Les royalistes n’ont jamais digéré la Révolution de 1789, qu’ils décrivent comme un coup de force des puissances de l’argent. Macron avait déclaré : « Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé

un vide émotionnel, imaginaire, collectif: le roi n’est plus là ! », de quoi raviver la flamme des royalistes. En 2019, de plus en plus de jeunes deviennent le mouvement des royalistes en rejoignant soit à l’Action Française, soit à la Nouvelle Action Royaliste. Une chose est certaine, les royalistes sont encore bel et bien présents en France. Certains d’entre eux, au cœur d’une crise de légitimité du régime, pourraient être tentés de tirer parti de la situation pour poser la question de la forme républicaine ou monarchique de la démocratie française. 57


e i r e n n o c a m c n fra NICATION 2.0 U M M O C A L A E S’OUVR

LA

La franc-maçonnerie intrigue depuis toujours et apparaît comme mystique, régie par des traditions anciennes et inchangées. Mais lorsqu’on se penche un peu plus en détail sur le mouvement franc-maçon, on découvre qu’il met tout en oeuvre pour être à jour, à ses risques et périls.

C

Cela fait maintenant une vingtaine d’années que la franc-maçonnerie essaye de s’ouvrir au monde “profane“, comme ils l’appellent, qui correspond au monde de ceux qui n’appartiennent pas à leur culture. Le but est de sortir de cette image de “secret” et de “repli” qui colle depuis toujours aux loges et coutumes maçonniques. C’est pourquoi depuis plusieurs années, avec l’arrivée d’Internet, s’observe une ouverture de la sphère maçonnique au monde extérieur. Les enjeux sont surtout au niveau de l’interactivité et du partage des informations. « La sociabilité se trouve au cœur même de la franc-maçonnerie. On fait du partage et de l’entraide. L’essentiel de ce que l’on considère comme un véritable réseau humain » décrit Louis, franc-maçon de 41 ans. Le mouvement franc-maçon a toujours voulu garder une part de mystère et de secret autour de lui. Mais aujourd’hui avec Internet et les réseaux sociaux, il est presque impossible de pouvoir garder ses secrets, surtout pour un groupe qui intrigue autant. Une autre problématique s’ajoute à cela, comment continuer à exister sans Internet ? C’est là toutes les questions auxquelles les franc-maçons se doivent de répondre. Internet au service de la loge maçonnique ?

Jiri Pragman est un franc-maçon connu pour son blog, ses ouvrages et ses interviews autour de la franc-maçonnerie. Il a notamment écrit sur leurs techniques de communication

58

La franc-maçonnerie est régie par l’adhésion de l’ensemble des membres à un certain nombre de principes et de projets communs, et aussi par la connaissance d’un système symbolique, comme l’explique Louis. « On possède un langage crypté avec des mots et des signes qui nous sont propres,


Ce blog est l’un des plus importants parmi les nombreux sites dédiés aux franc-maçons. Il participe à améliorer les échanges et à maintenir la franc-maçonnerie dans l’actualité @Capture d’écran

que seuls nous pouvons déchiffrer ». Ces secrets, auxquels s’ajoutent ceux relatifs à l’identité des membres de l’atelier et au contenu du rituel, renforcent les liens des individus qui les détiennent et permettent de garder cette part de mystère tout en étant présent sur Internet. Mais la loge maçonnique constitue aussi un espace public où l’on débat de questions diverses comme le rappelle Edouard, qui appartient à une famille franc maçonne depuis cinq générations : « A la fin du XIX siècle, en Provence et à Marseille, les loges maçonniques sont des lieux d’expression de la démocratie politique et des idées républicaines ». Aujourd’hui les réseaux sociaux ont remplacé ces lieux d’expressions et servent aux franc-maçons pour pouvoir s’exprimer et débattre avec les “profanes”. « C’est vrai qu’aujourd’hui Internet prend une place tellement importante dans nos vies qu’il serait impensable pour nous de ne pas être présent. Il faut savoir vivre avec son temps et parfois casser quelques codes pour le bien de tous », explique Edouard. Communiquer et débattre grâce à Internet Au fil du temps, les différentes loges ont mis en place plusieurs dispositifs pour pouvoir communiquer sur Internet. Le premier, qui semble être aussi le plus répandu, est la liste de diffusion. « La plupart de ces listes, grâce auxquelles les adhérents peuvent écrire des messages relayés à l’ensemble du groupe sont propres à une loge et exclusivement réservées à ses membres. Elles traitent généralement de sujets très variés, et sont fortement axées sur la sociabilité du groupe car tous les adhérents à la liste se connaissent déjà physiquement » explique Louis. Le deuxième de ces dispositifs est le forum de discussion. Un grand nombre d’entre eux sont apparus au cours des dernières années, à l’instar d’Atelier Mosaïque, de L’Alliance, qui n’appar-

« Internet prend une place tellement importante dans nos vies qu’il serait impensable pour nous de ne pas être présent» Edouard

-tiennent à aucune loge maçonnique spécifique. Edouard explique le principe « Comme pour les listes de diffusion externes à une loge, ce sont surtout les espaces publics qui prennent le pas dans la plupart des cas, même si c’est l’appartenance commune à la franc-maçonnerie qui rassemble les participants ». Les dispositifs participatifs comme les forums ou les listes sont en accord avec l’idée de réflexion et de partage et d’échanges entre membres qui est au coeur du mouvement. Mais pour Edouard, « ils sont peu utilisés car vu comme redondants et donc inutiles par les franc-maçons dont les rituels et les liens communautaires sont beaucoup trop importants pour être bousculés de la sorte ». En revanche, sur Internet, les groupes de discussion ouverts sont utilisés par une minorité de francs-maçons à des fins informatives ou contestataires. En quelque sorte, Internet sert plus de vitrine à la franc-maçonnerie pour se tenir au courant et rester au coeur des sujets de société. Mais en aucun cas, Internet ne viendra bousculer les codes ancestraux du mouvement, profondément ancrés.

MATHIS RAGUIN & bastien viennot 59


D U G RO UPE

NION

EFENSE

DANS LES PAS

D’UN ANCIEN MEMBRE

Gauthier, de son faux nom, a passé deux ans au sein du GUD, à partager le quotidien violent du groupuscule d’extrême droite. Alors qu’il pourrait traîner son passé comme une casserole, lui, dit ne rien « regretter ».

l

Le rendez-vous est donné sur la terrasse d’un café dans le 6e arrondissement de Lyon. Les traits tirés de Gauthier se mélangent à son visage d’enfant que le temps a choisi d’épargner. A 25 ans, il aura vécu le temps de deux années, le parcours d’un militant du Groupe Union Défense, groupuscule d’extrême droite, connu pour ses actions violentes. Il accepte de témoigner, mais à visage caché, à l’ombre d’un passé qu’il traîne depuis qu’il a décidé de quitter le groupe il y a deux ans. Quand il repense à ces longs mois au GUD, il regarde devant lui et dira simplement, « Ça été une période de ma vie assez particulière ». Lui qui a vécu dans un milieu aisé dans le centre de Lyon ne regrette pas ses choix et son parcours.

sont très chauds. Moi j’avais besoin de me battre et avec le GUD j’avais ce que je voulais. On allait dehors pour frapper, c’était tout ce qui comptait, le reste ne m’apportait pas grand chose », confie Gauthier. Les soirs après quelques tournées de bières, ils sortaient en groupe. « On pouvait être quatre comme on pouvait être quinze. On se donnait rendez-vous avec les Antifas pour se mettre sur la gueule. Sinon on prenait des gens au hasard pour se battre. On provoquait, on faisait en sorte qu’une situation dégénère ».

« On pouvait être quatre comme on pouvait être quinze. On se donnait rendez-vous avec les Antifas pour se mettre sur la gueule » «Gauthier», ex-GUD

« On sortait pour se battre » Il a la vingtaine passée lorsqu’il découvre le GUD au travers d’une salle de boxe où les membres viennent s’entraîner. « J’avais besoin de me défouler et ils proposaient des entrainements de boxes et de MMA. C’est à partir de là que tout à commencé ». Après avoir intégré la salle de sport, il commence à partager des moments, des soirées et des actions. Comme pour se désolidariser, et montrer qu’il n’est pas tout à fait comme eux, il s’explique : « Je n’étais pas forcément d’accord avec toutes leurs idées. Il y en a qui vont très loin. Les Néo-nazis, par exemple, ils 60

Un soir, sur les quais, Gauthier et ses amis frappent un homme. Des passants appellent la police. « On a fait de la garde à vue. J’ai eu de la chance, à ce moment-là ce n’est pas moi qui ai mis le coup ». Ces moments, c’était sa dose d’adrénaline. Une vague impression de se sentir invincible. Mais les mois passent, l’année se termine et Gauthier voit ses collègues faire des séjours en prison. De quelques jours à quelques mois, parfois plus. « J’ai une connaissance qui risque jusqu’à 3 ans de prison et 20 000 euros d’amende


dans son procès », s’inquiète-t-il. Il commence à se poser des questions. Sur son avenir, ses projets et ses envies, alors que le risque de la prison plane au-dessus de sa tête. Une période sur laquelle il reste discret Gauthier tire sur sa cigarette, prend une longue inspiration et se remémore le moment où il a claqué la porte. Le plus difficile dans ce genre de groupe, ce n’est pas d’en faire partie. Mais plutôt d’affronter la réaction de ses partenaires lorsque l’on veut le quitter. « Il y en a qui n’ont pas du tout apprécié. En même temps, je suis un peu parti comme un voleur. Mais ils seraient capables de te passer à tabac si t’es en face d’eux. Certains sont fous. Je me suis fait oublier. » Les raisons de ce départ précipité sont simples. « Je ne pouvais plus continuer à risquer d’aller en prison. Le jeu n’en valait plus la chandelle. Je ne sais pas si j’avais des choses à me prouver, en tout cas maintenant j’ai décidé de passer à autre chose », déclare Gauthier d’un ton ferme.

Le temps de quelques secondes il pense à ce qui l’a le plus marqué durant ces deux années. « Il y a une vraie solidarité entre les membres du groupe. C’était un peu ma deuxième famille. J’ai pensé partir à l’Action Française aussi mais eux ils ne font que discuter et il n’y a pas d’action plus directe. Ce n’était pas intéressant », conclut-il.

D YLAN MUNOZ

« Le jeu n’en valait plus la chandelle. Je ne sais pas si j’avais des choses à me prouver, en tout cas maintenant j’ai décidé de passer à autre chose » Gauthier, ex-GUD

Ses bribes de souvenirs continuent de lui traverser l’esprit de temps à autres. Comme l’affaire de la mort de Clément Méric, le militant d’extrême gauche tué par des membres du groupe Troisième voie, aujourd’hui dissous. « Quand on croisait les Antifas on chantait « On entend plus chanter Clément Méric, on entend plus chanter Clément Méric. Ça les rendait dingues. », s’amuse-t-il. Aujourd’hui Gauthier vit bien loin du GUD. Il tente de monter un projet de vente de voitures de collection. Il enchaîne les cigarettes, ce qui lui donne un côté addictif voire maladif. Aujourd’hui en couple avec une jeune femme, il préfère ne pas s’ébruiter sur son passé. « Elle ne sait pas que j’ai fait partie du GUD. Je préfère rester discret sur ce sujet, ça n’apporterait rien de bon ».

Ancien bastion social des GUD à Lyon.

Les photos de groupe aux visages floutés nourrissent le blog du GUD @GUD

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VEGANISME LE COMBAT QUE LES

VIANDARDS

SONT

EN TRAIN DE PERDRE

Le mouvement végan prend de plus en plus d’ampleur en France. Discret jusqu’alors, les incidents de l’année 2018 ont permis aux militants végans et antispécistes d’obtenir un écho dans les médias. Les anti-végans comme le politologue Paul Ariès élèvent la voix contre cette idéologie, et les antispécistes comme le philosophe Yves Bonnardel, sont maintenant pris au sérieux.

B

“Boucher, pas un métier”, “Élevage, Abolition !”, “La viande ne devrait pas vous mettre l’eau à la bouche, mais les larmes aux yeux !”. Les slogans sont réfléchis, les mots travaillés, et chaque militant antispéciste refuse de laisser les animaux mourir pour nourrir l’être humain. Aussi qualitatif que soit l’élevage, rien ne pourrait, selon eux, tolérer la souffrance d’un être vivant pour satisfaire l’Homme. Les pancartes pendant les rassemblements poussent inéluctablement le consommateur à se poser cette question. Voulez-vous vraiment participer à l’abattage massif des animaux ? Yves Bonnardel, philosophe, antispéciste et auteur du livre La révolution antispéciste, le dit haut et fort : il ne faut plus manger de viande du tout. « L’homme est complètement à la masse sur cette question, il raconte n’importe quoi pour défendre son bifteck », fustige Paul Ariès, de l’autre côté du miroir, pour répondre à « la folie végane ». Le politologue lyonnais crie à la démagogie et n’hésite pas à traiter les végans « d’idiots utiles du capitalisme et des biotechnologies, avant de poursuivre avec virulence, les végans sont du côté des biotechnologies alimentaires, de la fausse viande fabriquée industriellement à partir de cellules souches, des OGM, du transhumanisme, de l’intelligence artificielle ». « Il faut une prise de conscience collective » Le philosophe Yves Bonnardel n’hésite pas à critiquer bien plus haut que les industries et les grandes surfaces. « La loi organise l’exploitation et la souffrance animale. Elle ne fait clairement rien

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« Le véganisme est une idéologie urbaine, c’est-à-dire une idéologie qui a perdu tout contact avec la nature » Paul Ariès

pour protéger les bêtes de ses oppresseurs. » Ce qui serait béserait bénéfique aux lobbyistes qui n’auraient qu’une seule idée en tête, faire toujours plus de profit sur le dos de la souffrance animale. Pour sortir de cette impasse, il propose de « transformer les bases de notre civilisation pour que les choses changent. Pour cela, il faut qu’on soit entendus, il faut une prise de conscience collective. Chacun de notre côté on n’arrivera à rien ». De son côté, Paul Ariès tente de « déconstruire une idéologie qui repose sur des contre-vérités qui représentent un danger pour les animaux d’élevages et sauvages. Et surtout pour plus d’1,2 milliard de petits paysans éleveurs des pays pauvres de la planète ». La problématique d’un monde sans viande est d’en saisir les limites. Le petit éleveur perdu dans un coin de pays pauvre saura-t-il se passer de ses bêtes pour survivre ? Sans doute pas. Mais les habitants d’un pays aussi développé que la France peuvent-ils se passer de viande ou du moins diminuer leur consommation, probablement


que oui. Il y a donc deux poids deux mesures, une vision différente selon notre environnement. Nous ne pouvons pas juger une civilisation par le prisme de la nôtre, on ne peut alors pas non plus prétendre changer les habitudes et les coutumes d’un pays où les habitants vivent de cette agriculture animale.

D’après une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc), parue le 4 septembre 2018, la consommation de viande a chuté de 12 % en France en 10 ans.

Une tribune anti-végans ambigüe L’attachement de la France à la viande de par sa culture et son identité rend la tâche ardue pour les militants végans. D’autant plus que Paul Ariès a écrit une tribune dans Le Monde qu’il légitimise grâce aux soutiens qu’il aurait reçu de la part de « plusieurs dizaines de milliers de personnes à travers des mouvements paysans comme la Confédération paysanne, le MODEF, Nature & Progrès. Même des associations de mangeurs écolos comme les AMAP, slow food, des députés de toutes les familles des gauches et de l’écologie, des acteurs majeurs de l’altermondialiste, bref tout ce que la France compte d’écolos anticapitalistes ». Interrogé par Antigone, le politologue confirme ce qu’il a écrit dans sa tribune. Un vaste ensemble d’accusations et de mensonges de la part des végans qui vire très vite à une vision complotiste du mouvement. Dans sa tribune, le politologue confirme subtilement les propos de Peter Singer, le « père de l’antispécisme », en le citant. Si leurs dires se rejoignent, est-ce que cela signifie qu’il existe une réponse tranchée au débat ? Pour Paul Ariès, en tout cas, oui : « Le véganisme ne réglerait aucun problème car l’élevage n’est pas en soi responsable de la faim dans le monde, du réchauffement climatique, ni de la crise de l’eau potable ! La famine qui touche une personne sur huit n’est pas la conséquence d’un régime alimentaire mais d’un système économique, de la privatisation du vivant, du vol des terres notamment en Afrique, du gaspillage alimentaire qui concerne 36 % de ce qui est produit mondialement, une vache dans une prairie n’est pas en concurrence avec l’alimentation humaine, elle sait faire ce qu’un végan ne sait pas faire : brouter de l’herbe et la transformer en calories. », fustige-t-il. Si le politologue contextualise les critiques faites par le mouvement végan, il possède également une explication sur la montée en popularité de ce mode de vie ces dernières années : « Le véganisme est une idéologie urbaine, c’est-àdire une idéologie qui a perdu tout contact avec la nature, c’est aussi une idéologie qui dépolitise les questions agricoles et alimentaires, c’est enfin une idéologie totalement en phase avec des tendances lourdes du capitalisme […] Le végétarisme a été dans l’histoire une idéologie bonne à tout faire. ». Par ces mots au ton grave, Paul Ariès souhaite avancer la tendance « infantile et destructrice » que pourrait avoir un modèle institutionnel vegan. Des propos alarmistes qui sont repris par les antispécistes pour appeler à un manque de rationalité d’une société carniste en manque d’introspection. Yves Bonnardel, reste gêné sur ces actions

Des manifestants du syndicat d’agriculteurs Coordination rurale, font entendre leur désaccord avec les végans devant un abattoir en Gironde @Libération

contre les abattoirs et les boucheries, mais très content des vidéos diffusées par le mouvement L214 montrant l’horreur des animaux élevés en batterie. « Ce ne sont pas les actions coup de poing qui ont fait émerger la question. Je ne suis d’accord avec ces actions que dans la mesure où les gens prennent conscience ». Une joute verbale, devenue physique, qui met à mal le combat initial et la façon dont chacun vit et exprime son opinion, que l’on soit pro ou anti.

D YLAN MUNOZ & THOMAS MONTEIL

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BALANCE TON TOI

e s s i c r a n Si nous prenons la rébellion comme la définit le dramaturge norvégien Henrik Ibsen : « La seule vraie rébellion est la recherche du bonheur », alors l’identité en est une composante majeure. Car pour être heureux, il faut être en accord avec soi-même. La figure de Narcisse, qui est mort en contemplant son reflet, illustre le paroxysme de ce contentement de soi. Narcisse s’aime et s’accepte. Seulement, à sa naissance, un devin a prédit qu’il vivrait à un âge avancé uniquement « s’il ne se connait pas ». Contrairement à Narcisse, les Hommes ne sont pas voués à mourir une fois qu’ils apprenent à se connaître et à s’aimer. Certaines personnes vivent déjà avec fierté et revendiquent leur identité : par exemple les drag queens, les soeurs de la perpétuelle indulgence, ou encore les femmes qui refusent de se soumettre au dogme de l’épilation.

NAOMI LEVANNIER

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JE FURRY SUIS

Reconnus pour leur passion pour l’animal anthropomorphique, les furries peinent, aujourd’hui, à s’épanouir. S’il ne se bute pas à la perception biaisée du grand public, le furry lambda est confronté, quelques fois, à l’hostilité de sa propre communauté. Or, vivre furry est pour lui une nécessité, voire une composante essentielle de son identité.

I

« Bourré d’énergie », le fursona de Lavender porte son nom. @Lavender

« Il faut brûler les furries ! ». La poignée de mots s’époumone dans le brouhaha de la convention Paris Manga… Pour Estéban, ce commentaire indélicat, quoique bourru, relèverait presque de la routine. Le jeune homme de 19 ans ôte son masque – un loup figé dans une expression égayée – reprend brièvement ses esprits et rétorque : « Derrière un furry, il y a un humain ».

la rédaction, l’auteure de Le Sexe bizarre considère le sempiternel Mickey Mouse comme la source de « la mode des furries ». L’arrivée de l’anime Pokémon en 1997 ainsi que la montée en puissance du web n’ont fait que cristalliser la communauté.

Tantôt nébuleux de par ses terminaisons underground, tantôt le point de fixation de la communauté médiatique, les “furries” (ou “furs”, les deux se valent) se sont fait leur terrier dans le glossaire des réseaux sociaux… L’anglicisme pointe une fandom – un ensemble de fans – galvanisée par les animaux anthropomorphiques ; des bébêtes aux qualités humaines. Un béguin qui s’articule autour de la création d’une “fursona”, un alter-ego bestial. Lequel peut se manifester par un costume pelucheux, une “fursuit”, ou par le biais de dessins. Or, à contre-courant des contours “mignons” des furries, la fandom est ponctuellement le crachoir de l’internaute lambda. La communauté est perçue comme un embranchement, voire un culte, fétichiste et zoophile…

Fandom qui, dès l’amorce des années 2000, va souffrir de son traitement médiatique. Souvent pointé du doigt, l’épisode « Fur and Loathing » de CSI (Les Experts dans la langue d’Hugo) narrait le meurtre d’un fursuiter lors d’une convention de furries ; alors dépeinte comme une furpile – un câlin de groupe dans leur argot – aux allures d’orgie géante. Ça et une couverture médiatique unanime ont souligné les terminaisons sexuelles, bien minoritaires toutefois, de la communauté. Si bien qu’ont commencé à germer des groupes “anti-furries”, plus spécifiquement sur 4chan, Something Awful et des réseaux plus “classiques” (Facebook, Twitter et YouTube). « Ça peut devenir dangereux, renchérit

Une minorité au poids d’une majorité… Si l’anthropomorphisme est une constante de la fiction – Les Fables de La Fontaine en témoignent – la naissance de la fandom furry aurait coïncidé avec les premières manifestations de personnages de cartoon mi-humains, mi-animaux. Quelques-uns prennent officieusement le Robin des Bois de 1973 comme point de départ. Agnès Girard, elle, rembobine jusqu’à l’aube des années 1930. Contactée par

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RY, IL Y A UN

« DERRIÈRE UN FUR HUMAIN. »

Estéban, alias Tweak


Estéban, alias Tweak, au micro du Quotidien lors de la convention Paris Manga. @Tweak

Estéban. Une fois, j’avais organisé une sortie nocturne entre fursuiters. Un anti-furry a tapé l’incruste et nous a menacé au couteau. Puis, les insultes sont fréquentes. Au moindre signe, nous bloquons l’individu sur les réseaux sociaux. » Or, ladite sous-branche est bruyante, quoique omniprésente dans le débat public. En cause, la forte circulation d’images NSFW (pornographiques) dépeignant des anthropomorphes dans des saynètes érotiques, dites “furotica”. Sexes disproportionnés, connotation sadomasochiste… beaucoup de sites web furries, notamment Fur Affinity et des homologues spécialisés (U-18Chan), en ruissellent. Partant, aux yeux du grand public, la communauté est considérée dans son ensemble comme un attroupement de déviants sexuels. Orchestré par Alex Osaki, un anthropologue furry, un sondage officieux de 2008 signalait que 18.39 % des répondants se considéraient comme zoophiles. D’autres comportements sexuels inhabituels propres aux furries sont fustigés : la plushophilie (relation sexuelle avec une peluche) ou la toonophilie (attirance envers des personnages de dessin animés). « Ceux qui sont ouverts à propos de leurs intérêts dans le sexe furry [le yiff dans le jargon, ndlr.] se considèrent comme des furverts pour se distinguer des autres fans, développe Katharine Gates dans son ouvrage Deviant Desires. « Les furverts veulent, non seulement, devenir des animaux de cartoon

LEXIQUE DE LA COMMUNAUTE FURRY

1 FURSONA // animal totem qu’un furry va adopter. Il va agir comme une seconde identité.

2 FURSuit // costume - à la mode d’une mascotte Disney - qui représente la fursona d’un furry.

3 FUROTICA // du contenu pornographique mettant en scène des furries.

4 FURVERTS // la communauté sexuellement intéressée par l’acte sexuel avec un furry.

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mignons, mais veulent avoir des rapports sexuels avec eux également – que ce soit en personnage, en costume, en réalité virtuelle ou dans la vraie vie. » La perception publique des furries est telle que les dynamiques anti-furries chutent dans certains extrêmes. S’il est commun sur YouTube de découvrir des pamphlets contre ladite fandom (I HATE FURRIES de I Hate Everything par exemple), certains en sont arrivés à des mesures radicales. Décembre 2014, le Midwest FurFest, une convention furry, a été gazée à l’hypochlorite de calcium. 19 participants ont été précipités aux urgences… Une minorité au poids d’une majorité… En parallèle, la communauté furry, elle-même, est considérée comme ondoyante. À ce sujet, Estéban la décrirait comme « difficile, parfois méchante, mais souvent très agréable. Il peut y avoir des personnes adorables, prêtes à tout pour nous aider, comme d’autres qui seraient aptes à nous détruire intérieurement. » Ponctuellement, le jeune Nantais a subi le harcèlement continu d’homologues furries, par le biais de critiques chroniques – tantôt sur sa fursona, tantôt sur son physique – ce dans l’optique « de me pousser au suicide ». Interrogé sur les groupuscules pédophiles de la fandom, Estéban développe. « Ça m’est arrivé plusieurs fois quand j’étais mineur de me faire approcher par des furries majeurs. Après quelques discussions sur les réseaux sociaux, il va m’inviter à avoir des rapports sexuels, quitte à me forcer la main. Heureusement, je ne me suis jamais fait avoir. » Même topo pour Kothorix, un YouTubeur, qui annonçait, novembre dernier, son départ de la fandom furry. À l’occasion, l’ex-fur a publié une vidéo où il dévoilait ses expériences négatives au sein de la communauté. « Entre 14 et 17 ans, j’étais régulièrement approché par des furries majeurs, s’insurgeait-il. Si vous êtes mineurs au sein de la fandom, il est quasiment certain que vous tomberez sur des prédateurs sexuels. » Ladite vidéo invoque d’autres points tabous au regard de la fandom : le zoosadisme ou encore l’immaturité intellectuelle des plus jeunes furries. « Ceux qui ont entre 15 et 17 ans ont tendance à penser que leur vie doit graviter autour de la fandom, poursuit Estéban. Les parents les font chier, l’école aussi… Ils vont voir la communauté furry avec des lunettes roses. Ils ont besoin d’être accompagnés. » En regard, Lavender, furry de quinze ans, a bien conscience des problématiques greffées à la fandom. « La communauté est chaleureuse et bienveillante, pondère-t-elle. Pour moi, les pédophiles, les furverts etc. sont de faux-furries. » Estéban renchérit : « ce genre d’extrêmes se trouvent dans n’importe quelle fandom. La toxicité n’est pas exclusive qu’aux furries. »

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Exemple d’un dessin “furotica“, mettant en scène des fursonas dans des situations sexuelles. @ bearlovestiger13


Furry, une identité et une échappatoire En dépit de ces recoins gangreneux, Estéban ne renoncerait à son étiquette de furry pour rien au monde. Seize piges au compteur, le Nantais découvre, par le biais d’un ami « très proche », ladite communauté. Une nuit, le duo conçoit, « dans un fou rire », la fursona d’Estéban : Tweak, un loup au pelage gris, rouge, bleu et vert. Quelques jours plus tard, l’ami d’Estéban décède d’une leucémie. « Pour lui rendre hommage, j’ai décidé de conserver les croquis que nous avions de Tweak et de le faire vivre en l’adoptant comme fursona. » Estéban lui greffe quelques attributs de son ami défunt : joueur, excentrique et espiègle ; et obtient un costume à son image. « Quand je porte ma fursuit, je deviens le loup que j’aurais aimé être, en plus de faire en sorte que la personne que j’aimais vive. Je me sens heureux. » Partant, la fursona, et par extension la fursuit, a une réelle qualité thérapeutique. En enfilant leurs tenues, un furry va changer « d’identité », pour calquer le profil de son animal totem – dans l’image, certes, mais également dans le comportement. À l’occasion d’un reportage de Vice, Arrkay, co-créateur de la chaîne spécialisée Culturally F’d, avouait que « beaucoup de fursonas grossissent les meilleures qualités du furry, et se basent sur certains aspects sur lesquels il veulent travailler. »

Lavender, elle, jongle entre un carré de fursonas. Le premier, son chouchou, emprunte son alias, « c’est un renard hermaphrodite au pelage jaune, noir et blanc. Il a les yeux vairons – un bleu et un violet – et il a un bandana bleu. Il est très extraverti, loin donc de ma timidité. C’est un peu mon idéal. » Les trois restants s’imposent selon l’humeur de Lavender : Laam, un dutch angel dragon (animal fictif), reflète ses pics colériques ; Floffy, un dragon bleu, sa facette « fofolle » ; et Ramune, un bouc, le plus amical. « J’ai des douleurs chroniques au ventre et au dos. Les médecins n’ont pas su déterminer ce que ça pouvait être. Incarner l’une de mes fursonas me permet d’outrepasser ce genre de problématiques. Quand j’enfile la fursuit de Lavender, je ressens une énergie que je n’ai pas d’habitude – si bien que j’ai du mal à l’incarner. » Dessinant déjà, l’adolescente rêve, à terme, devenir un fursuit maker, donc de créer des fursuits pour les nouveaux venus de la fandom. La scène furry est, en outre, une scène d’épanouissement ’artistique (dessin, musique, danse, cosplay…). Sur le sujet des furries, le YouTubeur Mad Dog invoquait un point pertinent. « Dans les années 90 en France, les lecteurs de mangas étaient considérés comme de gros pervers. Avec le temps, on s’est rendu compte que les réduire à ça était débile, c’est la même chose pour les furries. » C’est à se poser la question : les furries

Tweak, inspiré d’un ami décédé, est le fursona d’Estéban. @Tweak.

«QUAND J’ENFILE LA FURSUIT, JE RESSENS UNE ENERGIE QUE JE N’AI PAS D’HABITUDE.» Lavender, furry.

parviendront-ils à s’ancrer dans les mœurs ? À en croire l’avènement du cosplay, la popularité crescendo du cartoon et de l’anime, les circonstances tendent à être optimistes. En attendant, les furries devront jouer la carte du rebelle : seuls contre légion.

Arthur brenac

Fursona de Kothorix, un YouTubeur qui annonçait son départ de la communauté furry le 1er novembre 2018. @Kothorix

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MERCI MON DIEU JE SUIS GAY

PHOTOS : D YLAN MUNOZ

RECIT : MARYLOU FOSSOT

Un sourire franc, de grands yeux rieurs, de fines pommettes relevées par un léger fard à joues, et la voilà. Soeur Lola-Rosa. Dans son costume de ville, celui qui a fait le vœu de devenir une soeur perpétuellement indulgente il y a 10 ans, ne quitte jamais ses bijoux de famille.

Des Soeurs de la perpétuelle indulgence, Lola-Rosa n’en tient pas uniquement le nom, car elle en a aussi l’esprit. Celui qu’elle a toujours eu. S’ouvrir aux autres, prôner la paix et la tolérance, défendre la cause LGBT. Au fil des années, l’engagement de ces sœurs de joie est devenu un combat. « L’homosexualité, c’était suprême tabou » « Je viens d’un milieu social ouvrier, mes parents travaillaient en usine. Alors la question de l’homosexualité n’était pas simple à aborder », confie-t-elle. Originaire du centre de la France, Lola-Rosa a très vite été confrontée à sa sexualité. Mais également à son entourage. Une jeunesse dont elle parle avec une pointe d’amertume. « Mes parents étaient plutôt ouverts, mais quand même ça ne se fait pas. T’es de la tapette et tu ne vas pas représenter le mâle ou la succession », développe-t-elle. A l’âge où d’autres enfants évoluent en toute insouciance, Lola-Rosa, elle, se bat avant de l’être à son tour. Les insultes, la crainte « que les copains te traitent de sale pédale » et la différence l’ont amenée à transformer son envie de l’autre en

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Lola-Rosa a son propre apparement, et ne vit pas en communauté dans un couvent avec les autres sœurs. Elle fête cette année ses 10 ans de sororat.

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Lola-Rosa porte également le nom de madone des Marécages, de gardienne des rideaux de grands-mères et des odieux délices des couronnes d’épines.

violence : « A ce moment, c’est plus facile de caresser un hérisson. Il faut savoir cogner avant de se faire cogner. » Pour vivre dans cette société “hétéronormée” et fuir la pression de la normalité, elle décide de partir. A l’âge de 17 ans. Mais pour réussir à vivre seule loin de chez elle, il lui faut trouver une solution : la prostitution. « Quitter mes parents m’a permis de me réaliser en tant qu’homosexuel » « A l’époque il n’y avait pas l’association Le Refuge. La seule solution pour un jeune pédé était donc de se prostituer. C’est ce que j’ai fait pendant au moins deux ans de façon intermittente. » Loin de chez lui, le jeune homme commence alors à fréquenter les lieux de drague, à rencontrer des hommes. Une situation qui lui a permis de subvenir à ses besoins pendant plusieurs années. « L’occasion à ce moment, c’était de rencontrer des personnes qui vivaient leur homosexualité d’une manière différente de la mienne, de parler de ses problèmes, etc. On comprend alors que l’on n’est pas seuls, que ce n’est pas un truc qui nous est tombé dessus comme les oreillons et que l’on peut guérir », explique-t-il. Ce n’est que quelques années plus tard que les souvenirs remontent à la surface. Les odeurs, aujourd’hui encore, Lola-Rosa s’en souvient. « J’étais un pédé plutôt follophobe » Après avoir rencontré celui qui partagera sa vie durant 6 années, avoir débuté une nouvelle carrière dans un foyer d’hébergement pour des personnes placées, et s’être stabilisée, Lola-Rosa découvre les sœurs pour la première fois. Dans les années 90, c’est au détour d’un JT présenté par Yves Mourousi que le charme opère.

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Trois des quatre soeurs confirmées du couvent des Traboules, se réunissent pour des actions militantes et distribuer de « saintes reliques ».

« A la télé, ils présentaient une manifestation. On était en pleine période de l’épidémie du sida. Les Soeurs de la perpétuelle indulgence étaient là et j’avais trouvé leurs personnages extraordinaires, avec leurs tenues hautes en couleurs et leur franc parler. C’était magique », dévoile-t-elle, visiblement émue. Puis une seconde rencontre lors a scellé son admiration. C’était sa toute première gay pride. Sa toute première bénédiction. Plutôt réservée par le passé, elle rencontre ces soeurs qui prônent l’autodérision et le maquillage à paillettes. « Les folles sont très discriminées dans la communauté homosexuelle car elles sont trop extraverties. Elles sont trop repérables », explique Lola-Rosa. Un facteur qui, selon elle, peut souvent attirer l’homophobie et la follophobie, au sein de la communauté homosexuelle. Dès le lendemain, et malgré cette crainte, elle envoie sa lettre au couvent de Chênaies. C’est ainsi que débute sa folle aventure au sein des Soeurs de la perpétuelle indulgence.

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« Allez chercher la Soeur qui someille en vous » Devenir soeur est attrayant : « Le côté flamboyant, les perles la cornette, tout le maquillage blanc, tout ça c’est la partie visible de l’iceberg », déclare Lola-Rosa. Mais leur combat est bien plus profond que celui de l’apparat. Il est militant, porteur de sens. « Devenir Soeur, ça ne vient pas du ciel, c’est plus profond que cela. Ça vient des tripes ». Et pour le devenir, il faut être patiente. Alors certains partent, ayant pensé un peu trop vite que la cause n’était que paillettes et beau maquillage. Puis d’autres restent car pour vaincre, il faut puiser en soi. « Je ne connais pas de soeurs qui n’aient pas eu de crise de foi, alors on a quand même des coups de cornettes », s’amuse la soeur. Mais ce qui les aide à garder la tête haute, c’est à la fois la forme que revêt l’action, basée sur l’humour et la joie, et toutes les rencontres qu’elles peuvent faire au quotidien. Un message d’amour et de paix sur lequel personne ne peut être en désaccord. Finalement, à chacun sa rébellion. De chrysalide à papillon, Lola-Rosa a, pas à pas, su prendre sa destinée en main. Un nom qu’elle porte aujourd’hui fièrement. Lui qui mêle le combat de la belle Lola de Jacques Demy, et celui de Rosa Parks, « mère du mouvement des droits civiques ».

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Soeur Anastasia et les autres prodiguent, entre autres, de nombreux conseils, participent à des manifestations, défendent les droits LGBT


Comme soeur Krystyna, les Soeurs de la perpétuelle indulgence ont les attributs des religieuses mais ne le sont absolument pas.

Comment devenir une Soeur ?

Pourquoi la Soeur ?

Un seul processus d’adhésion partout dans le monde, inventé par les sœurs américaines en 1979. Il faut écrire une lettre de motivation au couvent le plus proche. Participer à un entretien de motivation pour devenir postulante. Vivre alors la vie du couvent en tant qu’homme, dans le silence et l’observation. Si vous êtes sages,vous recevrez le statut de postulante et votre voile blanc. Vous débutez alors votre noviciat, durant lequel vous devez vous créer un personnage avec un prénom, une couleur et prononcer des vœux. Vous gagnerez ainsi votre cornette avant de recevoir vos lettres de noblesse de votre marraine, et du couvent.

Les fondateurs ont créé le mouvement sur une plaisanterie. Ils avaient acheté des robes dans un couvent qui fermait et sont sortis avec des mitraillettes en plastique dans les rues de Castro à San Francisco. Une démarche qui a recueilli de l’assentiment car c’était un pied de nez aux églises chrétiennes. La spiritualité des Sœurs n’appartient à personne. L’image appartient à tous. Elle est universelle et porte en elle toutes les valeurs de la féminité.

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QUAND LE

FEMINISME SE

REINVENTE...

Résister à la pression d’une société patriarcale stéréotypée. Depuis le #metoo et #balancetonporc, une vague de féminisme a déferlé sur les idées préconçues du monde. Des visions féministes sont prônées depuis plusieurs années, mais les médias commencent seulement à les révéler. Que veulent les femmes aujourd’hui ? Rencontre avec les figures de cette révolte. ALEXANDRA SABADELLO

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Carolina Gonzalez a arrêté de s’épiler il y a quatre ans et ne voit que les bons côtés @Carolina Gonzalez

TOUS A P O IL s ! La tendance de l’arrêt de l’épilation est revenue sur le devant de la scène lors du mouvement “Januhairy “, lancé sur le réseau social Instagram. Ce mouvement consistait à arrêter de s’épiler et ce, durant tout le mois de janvier 2019. Pourtant, cette démarche empreinte de Body positive, certaines ne l’ont pas attendue. Une forme de révolte assumée contre le diktat de la beauté uniforme.

C

Carolina Gonzalez, alias “La Carologie” sur Youtube, a décidé de laisser le rasoir au placard. Pour cette jeune femme de 22 ans, le déclic s’est fait progressivement. L’épilation, commencée pour elle a 14 ans, s’est définitivement terminée à l’âge de 18 ans. Un travail de recherches sur le sexisme réalisé alors qu’elle était au lycée l’a fait réfléchir sur les pratiques du genre. Pourtant, passer de la réflexion à la pratique n’a pas été chose facile. La révolte du poil

Nombreuses sont les femmes qui décident, sur un coup de tête ou après une mûre réflexion, d’arrêter de s’épiler. Elles s’accordent toutes pour dire que s’épiler fait mal. Cire chaude, rasoir, épilateur, laser. « La peau devient sensible, des rougeurs, boutons et coupures apparaissent, sans parler des poils incarnés qui grattent et font mal à cause du contact avec les vêtements », poursuit la jeune femme de 22 ans. Pour certaines, il s’agit simplement de s’accepter comme elles sont. Tant de raisons qui poussent les femmes à arrêter de s’épiler. Et tant pis si les hommes sont mécontents. « Moi je trouve ça juste répugnant, ça fait vraiment négligé. Je ne me vois pas partager la vie d’une femme ayant autant de poils », affirme Lucas, 25 ans, à la recherche d’un emploi dans le commerce. « Ce débat sur les poils ne devrait même pas exister puisque c’est normal d’en avoir ! Mon action est féministe car elle a une dimension militante. Je compte poster davantage de photos de mes poils sur Instagram et tant pis si ça dérange ! », poursuit Carolina Gonzalez. En parler, les montrer, les assumer est, pour certaines, perçu comme une revendication féministe. Selon Elisabeth Azoulay, anthropologue, les critères esthétiques se rapprochent davantage d’un corps plus naturel, moins travaillé : « Les femmes qui

arrêtent de s’épiler prennent la parole pour le montrer, c’est une référence au féminisme. Le fait de ne pas vouloir rentrer dans les codes du genre permet de marquer une distance. » Le poil vu d’un mauvais œil La société impose un diktat de la beauté uniforme, obligeant les femmes à éradiquer le moindre poil. « Les cultures ont de plus en plus cherché à distinguer l’homme de l’animal. Pour les femmes, plus rien ne doit dépasser. C’est devenu une obsession », poursuit l’anthropologue. « Ma mère a toujours eu du mal à les voir, c’était quelque chose d’inhabituel. Elle éprouvait même une forme de répulsion. Elle avait peur que personne ne m’accepte comme je suis », explique Carolina Gonzalez. Les réactions venant des autres femmes sont parfois virulentes. « Sale », « Dégueulasse », « Tu ne te respectes pas ». Des mots auxquels les “femmes à poils” sont très souvent confrontées. Les publicités télévisuelles, dans les rues, à la maison, sur les réseaux sociaux… La société impose une forme de beauté bien définie et ce, depuis le plus jeune âge. Flora, jeune femme de 18 ans, est étudiante en licence de biologie. Pour elle, l’épilation a commencé à l’âge de 13 ans. Elle comprend et respecte le choix de ces femmes, néanmoins elle affirme ne pas pouvoir être en mesure de faire comme elles : « Je les soutiens mais je ne pourrais jamais faire pareil. J’ai trop peur du regard des autres. » Arrêter de s’épiler n’est pour l’instant pas devenu une décision universelle. Rasoir, cire, épilateur et autres méthodes de rasage ont encore de beaux jours devant eux.

CHLOE RISTE 77


R U E T C O D ô l l A

ES SORTEZ MES OVUL DU CONGÉLO Et s’il existait un moyen pour les femmes d’attendre le bon partenaire ou le bon moment pour avoir des enfants ? Bien que cette pratique soit illégale en France, Myriam Levain a décidé de congeler ses ovocytes afin de se protéger de la pression d’une baisse de la fertilité avec l’âge. Rencontre avec l’auteure de Et toi tu t’y mets quand ?

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« J’ai eu 35 ans et je me suis rendu compte que c’était un âge où la fertilité commençait à décliner. » Myriam Levain, co-fondatrice de Cheek magazine, a décidé de congeler ses ovocytes. Pour faire face à la forte baisse de 30 % du taux d’ovocytes à l’approche de la quarantaine, les femmes décident de prélever leurs ovules afin de les conserver et d’éviter la pression de se trouver un partenaire rapidement. Myriam Levain a effectué un voyage en Espagne dans une clinique spécialisée pour effectuer l’intervention. Seulement, cette pratique est coûteuse et n’est pas donnée à toutes les femmes car le prix peut dépasser les 4 000 €. Et les chances de réussite varient d’une femme à l’autre.

« Si c’était légal, les femmes auraient le choix » En France, la pratique est illégale. Pour congeler leurs ovocytes, les femmes se déplacent dans des cliniques en Belgique, aux Pays-Bas ou en Grande-Bretagne. « On interdit de fait de le faire, mais si c’était légalisé, les femmes auraient le choix. Je trouve que c’est infantilisant pour les femmes de ne pas avoir accès à cette technique scientifique qui a fait ses preuves dans les pays voisins. » Actuellement, les femmes françaises souffrant d’endométriose, d’insuffisance ovarienne prématurée ou qui prennent un traitement compromettant leur fertilité, sont les seules à pouvoir prélever leurs ovocytes légalement. Ce cas s’applique également aux donneuses d’ovocytes sans enfant qui, depuis 2015, ont le droit de conserver une partie des leurs ovules. « C’est un acte féministe car elles se réapproprient leur corps avec cela, et on les laisse décider, déclare Myriam Levain. 78

La congélation d’ovocytes n’est pas légale en France, excepté certains cas comme l’endométriose @Genethique

De même que l’on décide d’interrompre une grossesse ou prendre une contraception, ça leur permet de décider si elles veulent une chance en plus. » Et les réfractaires à cette pratique sont nombreux : « En général, ceux qui m’envoient leurs critiques sont des hommes de 50 ans, père de plein d’enfants. Ils ne savent pas du tout ce que c’est d’être une femme de 35 ans, sans enfant, et de voir le temps passer. » Désireuse d’augmenter ses chances, Myriam Levain est prête à recommencer : « Les femmes ne sont pas obligées de passer par là, mais c’est bien de se poser la question et de savoir ce que l’on veut. »

ALEXANDRA SABADELLO

Congeler ses ovules ne garantit pas de tomber enceinte. D’après l’Agence de biomédecine, une femme de moins de 25 ans qui prélève ses ovocytes a 27 % de chances de tomber enceinte. Alors qu’au-delà de 35 ans, le taux tombe à moins de 20 %. « C’est un pari, confie Myriam Levain. Il y a beaucoup de variables et d’incertitudes. »

Myriam Levain a écrit un livre sur son histoire et cette pratique


IRAN

ELLES SE DEVOILENT AU GRAND JOUR Le 27 décembre, une Iranienne, Vida Movahed, enlève son voile en public dans les rues de Téhéran. Ce qu’on croit être le début d’une révolte féministe au sein du pays, n’est que la poursuite d’une lutte menée par les femmes depuis de nombreuses années.

A

Alors que le pays est agité par les revendications économiques des habitants, le mouvement du #Whereisshe (Où est-elle ?) apparait en décembre 2017, avec Vida Movahed. Lorsqu’une femme se dévoile en public sans son voile, la loi permet qu’elle soit arrêtée et mise en détention. Mais depuis l’arrivée des nombreux mouvements, tels que #Mycameraisaweapon (Ma caméra est une arme), contre le harcèlement de rue, ou le #Whitewednesdays, la police est plus souple sur les règles du port du “hijab”. “C’est un pays qui est ouvert, qui s’ouvre de plus en plus, et qui reprend sa puissance ancestrale”, explique Eddy Chabah, membre de l’ordre des experts internationaux en géopolitique, à Genève. C’est la révolution islamique de l’Ayatollah Khomeini (révolution islamique de 1979) qui a fait en sorte de normaliser, de réduire le voile à une obligation carcérale. Beaucoup de femmes musulmanes portent le voile pour montrer qu’elles ne sont pas que des vulgaires objets de désir. »

La contestation existe depuis plusieurs années. « Ce sont des mouvements qui ont toujours existé, enseigne Eddy Chabah. C’est vraiment l’image que l’on donne en Occident de l’Islam, qui découvre actuellement qu’il y a des mouvements assez anciens. Les médias commencent seulement à s’y intéresser aujourd’hui. » Masih Alinejad a débuté sa propre campagne en 2014, My stealthy freedom (Ma liberté furtive), après avoir publié une photo d’elle sans voile, en Iran. « La réelle popularité de la campagne m’a fait réaliser à quel point les femmes iraniennes avaient besoin de parler pour être entendues. Notre campagne a montré que, quand les femmes ont le pouvoir de choisir, elles sont prêtes à se battre contre les lois restrictives de notre société », explique la féministe.

« Ne croyez surtout pas que la femme musulmane est une femme soumise » D’après une interview réalisée par 20 Minutes, de Thierry Coville, chercheur à l’Iris et spécialiste du pays, « en Iran, il y a 50 % de filles à l’université, c’est aussi le premier pays en termes d’ingénieurs femmes diplômées ». Malgré leurs révoltes, les femmes sont discriminées dans de nombreux domaines de la société : le divorce, l’emploi, l’héritage et la politique. Cependant, selon Eddy Chabah, « les femmes ont toujours parlé. Ne croyez surtout pas que la femme musulmane est une femme soumise, déclare-t-il. Je dirais que proportionnellement la femme française peut être beaucoup plus soumise qu’une femme voilée. C’est ça la stigmatisation. » Les Iraniens ont moins de difficulté à accepter ces mouvements, selon Eddy Chabah, car « c’est la culture qui régit la société avant le droit ». Masih Alinejad explique en effet que les commentaires qui ont afflué ont été positifs : « Nous avons reçu un déferlement de soutien de la part de citoyens iraniens. Beaucoup d’hommes nous ont énormément soutenues et informées de leur incompréhension sur le fait que les femmes n’étaient pas autorisées à s’habiller comme elles le souhaitaient. » Malgré tout, le gouvernement n’approuve toujours pas ces rébellions. « Nous avons aussi récolté des commentaires négatifs, notamment de la part des élus du gouvernement, dévoile Masih Alinejad. Leur argument était qu’il y a des choses plus importantes à traiter que l’obligation de porter le voile. »

ALEXANDRA SABADELLO

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COUP DE SANG chloé.riste : Depuis plusieurs années, le féminisme s’invite sur les réseaux sociaux. A coups de création de comptes Facebook, de hashtags sur Twitter et de photos osées sur Instagram, le féminisme occupe une place de choix dans la sphère numérique. Rencontre avec une féministe révoltée de la première heure.

Irene a 20 ans et fait des études d’art à Paris. Le vendredi 1er février, elle décide de passer la journée d’une étudiante lambda, à un détail près. Elle ne porte pas de protection hygiénique. Pourtant, elle a bel et bien ses règles. Elle déambule dans les rues, va en cours, se rend à une exposition, va prendre un verre. Au total, elle aura déambulé dans les rues parisiennes sans serviette hygiénique pendant douze heures. Son objectif : que l’Etat prenne en charge les serviettes hygiéniques.

Quelles ont été les réactions ?

J’ai reçu de nombreuses insultes, de messages de dégoût du type « c’est sale », « c’est dégueulasse », « si tu ne peux pas te payer des serviettes alors reste chez toi ». Les gens qui critiquent sont ceux qui, généralement, ne font rien. Les gens disent que ça ne les concerne pas. Au final, ça concerne tout le monde parce que si l’on décide de ne plus mettre de serviettes hygiéniques, ce sera l’espace commun de tout le monde qui en payera les conséquences. Nous n’avons pas choisi d’être menstruées. J’ai lu des messages de femmes qui me soutenaient mais qui pensaient que ce n’était pas la bonne manière de faire. Je n’ai pas eu que des messages négatifs. J’ai aussi reçu pas mal de soutiens et ça me fait plaisir car ça montre que je n’ai pas fait ça pour rien. D’ailleurs, j’ai reçu un message d’une femme sénégalaise qui me remerciait de parler des règles car là-bas, elles doivent arrêter complètement l’école à cause de ce problème.

Qu’est-ce qui fait qu’à 20 ans vous choisissez de réaliser cette action ?

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Quand j’étais petite, je n’ai pas pu faire de grandes actions. Alors, lorsque j’ai déménagé à Paris, à mes 18 ans, je suis directement allée m’inscrire dans des associations, je me suis fait des contacts dans le réseau activiste, suis allée à des conférences, c’est à partir de là que ma vie d’activiste a commencé. A Paris, les choses bougent, je n’ai pas perdu mon temps.

Vous considérez-vous comme féministe ?

Je me suis toujours Quandconsidérée j’étais petite, comme je n’aiféministe. pas pu faire Depuis de grandes que je suis actions. en primaire, Alors, je lorsque fais dej’ai petites déménagé actions.à J’étais dans une Paris, ville à mes sans18association. ans, je suisAdirectement ce moment-là, alléejem’inscrire me focalisais danssur desdeassociations, petites choses je me artistiques suis fait et un peu d’écriture. des contacts Je pense dansqu’être le réseau féministe activiste, estsuis logique alléevoire à desvital. conférences, On vit dans c’estunà partir mondedequi là que tue ma les femmes, que ce viesoit d’activiste directement a commencé. ou indirectement. A Paris, les Parchoses exemple, bougent, de nombreuses je n’ai pas femmes perdu mon meurent temps.à cause de leurs règles. Elles sont également mises à l’écart à cause de ça.

Considérez-vous votre action comme une forme de rébellion ?

Irene pose fièrement au milieu de la place de la Réplique, à Paris @irenerose

Oui c’est unepetite, formejeden’ai rébellion le tabou autour des Alors, règles lorsque et le corps femmes.à Quand j’étais pas pucontre faire de grandes actions. j’ai des déménagé Ce n’est pas normal que ce soit aux personnes menstruées d’assumer financièrement les Paris, à mes 18 ans, je suis directement allée m’inscrire dans des associations, je me suis fait règles. Je pense mon action a servi montrer les menstruations, dansde notre sociédes contacts dans que le réseau activiste, suisàallée à desque conférences, c’est à partir là que ma sont encore diabolisées.A Paris, les choses bougent, je n’ai pas perdu mon temps. vieté,d’activiste a commencé.

Est-il, selon vous, nécessaire de se rebeller ?

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Irene n’hésite pas à prendre la pose à l’intérieur de sa faculté d’art @irenerose

Oui, il est essentiel de se rebeller quand on voit quelque chose qui nous déplaît. Si on est mécontent et qu’on ne fait rien, alors on est complice de cela. Il ne faut pas attendre que les autres agissent pour nous. L’action que j’ai faite vendredi a marché, cela a fait le tour du monde, les médias ont mis la précarité menstruelle en avant. Attirer l’attention n’est clairement pas assez. Relayer cette action représente un petit pas mais il faut continuer. Pour moi, il n’y a pas de solution ultime pour se faire entendre. L’activisme doit être équilibré en écrivant, en faisant des actions, en étant relayé dans les médias. C’est une question de complémentarité.

Pensez-vous que les mouvements féministes sont en passe de faire changer les mentalités ?

Je pense que changer les choses et les mentalités mettra du temps car l’Etat ne collabore absolument pas. Les gouvernements ne font rien. C’est très difficile de faire bouger les choses si la loi n’est pas derrière. Les associations et les militantes proposent des solutions concrètes mais l’Etat ne les adopte pas. Néanmoins, toutes les actions, qu’elles soient grandes ou petites, font évoluer les mentalités. Cela permet aux hommes de se rendre compte de ce qu’est réellement le quotidien des femmes. Ne se proclame pas féministe qui veut. Si on ne fait rien, on ne peut pas se considérer activiste. Je fais des choses extrêmes mais tout le monde n’est pas obligé de faire comme moi. Il faut échanger, écrire, échanger, débattre. L’accumulation de petites actions finit par donner de grandes actions. Les femmes doivent se manifester pour faire changer les choses. L’important est de faire, il n’y a pas de meilleure façon de se réaliser.

Pensez-vous que les réseaux sociaux aident à la transmission des messages féministes ?

Les réseaux sociaux peuvent être considérés comme négatifs mais ce sont des outils extraordinaires si on sait les utiliser. Grâce à eux, j’ai rencontré des filles activistes donc oui, le message féministe est bien transmis par les réseaux sociaux. Ils sont une bonne chose pour le féminisme car ils réunissent les personnes. Néanmoins, il ne faut pas se limiter à eux, il faut partager et relayer.

Propos recueillis par Chloé Riste... 82


JE SUIS UN homme, JE DEFENDS LES INTERETS FEMININS

Les hommes, de nos jours, se revendiquent davantage comme féministes. Ce phénomène apparaît dans des milieux tels que le sport, la politique, l’entreprise, etc. Leo Varadkar, Maxime Ruszniewski et Andy Murray, font partie des personnalités défendant les intérêts féminins.

ANDY MURRAY

@The Independent

Andy Murray, célèbre tennisman écossais, est un féministe convaincu. Il prône l’égalité des femmes dans le sport, notamment dans le tennis, mais aussi dans la société en général. L’homme a été le premier à s’aventurer sur un terrain méconnu, celui d’un joueur entraîné par une femme et pas des moindres, la tenniswoman française Amélie Mauresmo. Les remarques sexistes avaient alors fusé. Le traitement inégal des femmes, pour un travail similaire aux hommes, dans le monde du sport, a alors été un déclic pour lui. Depuis, l’homme n’a cessé de rembarrer les propos sexistes qu’il pouvait entendre. CR

@Gibraltar Chronicle

Leo Varadkar

Successeur de Enda Kenny depuis juin 2017, le Premier ministre irlandais, Leo Varadkar, est un fervent soutien de la cause des femmes. Il a permis la mise en place d’un référendum sur le droit à l’avortement, dont le ‘oui’ a été remporté à 66% des voix. Il a lancé un appel aux femmes d’Irlande du Nord à pratiquer l’Interruption volontaire de grossesse (IVG) dans son pays, est interdite dans le leur. Cependant, à ses débuts au gouvernement, Leo Varadkar affichait des positionsASanti-avortement assumées. AS

Maxime Ruszniewski Co-fondateur de la Fondation des femmes, Maxime Ruszniewski a été élu homme féministe de l’année 2018 par média Club’Elles. Dans une vidéo du Huffpost, il a encouragé la gente masculine à promouvoir l’égalité homme-femme. « On a tous intérêt à ce que cette égalité se fasse », a ajouté l’ancien journaliste de Canal+. Avec son entreprise de production, il a créé une série de trois mises en scène de journalistes de France Télévisions qui évoquent des clichés sexistes, diffusées pour la journée internationale des droits des femmes. AS 83


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NOUS APRÈS EUX

E P O L E N E P Ils ont été élevés entre ces barres d’immeubles, ces grandes tours de quatorze étages, ornées d’antennes paraboliques, d’étendoirs usés, et de fumeurs maladifs. Les saisons s’enchaînent, les bâtiments jaunissent, et entre deux tags qui marquent l’histoire du quartier les gens se rencontrent, se quittent, et s’oublient. Certains se rêvent ailleurs, d’autres, le temps d’un songe, osent à peine penser à ce qu’ils auraient pu faire autre part, dans un autre monde dont les limites seraient autrement plus grandes que les murs du quartier. De ces banlieues sont nées des histoires. D’amour pour les plus chanceux. De destruction pour les plus violents. De révoltes pour les plus fatigués. Qu’importe le chemin, le temps choisira un destin à ceux qui n’ont pas voulu le saisir. Dans la mythologie grecque, Penelope a attendu Ulysse pendant 20 ans après la guerre de Troie. Le temps s’est figé mais la Grèce a évolué. Les nouveaux prétendants défilaient mais jamais elle ne cèdera sa main à un autre homme que son mari. Elle croyait en quelque chose de plus grand qu’elle-même, elle s’est insurgée contre l’injustice, pour enfin saisir sa propre destinée.

D YLAN M UNOZ

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AUTO NCE SUFFISA SUFFISANCE

POUR EVITER

LA FIN DU MONDE...

Depuis quelques années, de nombreuses personnes veulent être plus indépendantes dans leur façon de vivre, de leur alimentation à leur consommation énergétique. Une façon de faire qui répond autant à des envies personnelles qu’à une véritable prise de conscience sur l’état de la planète.

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Pierre, cinquantenaire vivant dans les monts du Lyonnais, s’est lancé en 2013 avec sa famille dans un projet d’autosuffisance énergétique et partiellement alimentaire. Un choix qui, s’il satisfait grandement l’intéressé, s’est imposé de lui-même : « Le choix était évident pour des questions écologiques, au sens très large. Nous sommes au devant de l’extinction massive de plusieurs espèces, on rentre selon les scientifiques dans l’ère de l’anthropocène où l’homme a influencé de manière conséquente l’état de la planète. Nous sommes sur une planète finie, qui avait à la base un certain nombre de ressources sur lesquelles on s’est beaucoup appuyés et on ne peut pas continuer sur ce modèle-là. » Les installations mises en place sont nombreuses et concernent énormément de domaines : pour être autosuffisant, il ne suffit pas de planter quelques graines et de les arroser. C’est un plan complexe et clair qu’il faut avoir en tête. Il concerne l’alimentation, l’énergie, le transport, l’élevage, la fabrication d’outils du quotidien comme un barbecue ou, dans ce cas-là, un poulailler. Si l’exercice semble compliqué, Pierre est là pour guider ceux qui voudraient se

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lancer dans l’aventure de l’autosuffisance. Via des partenariats avec des associations, des groupes et des entreprises, il accompagne ceux qui sont dans le doute : « Je fais beaucoup de recherche et développement sur le terrain, c’est une grosse partie de mon travail. Je conçois ensuite des modèles et une fois qu’ils sont validés, je diffuse l’information pour qu’ils soient reproduits. Cela permet de soulager toutes les personnes qui auraient envie de se lancer mais qui n’en auraient pas les moyens. C’est comme une sage-femme : ce n’est pas moi qui fabrique l’enfant, ce sont les gens. Ce n’est pas moi qui vais nourrir cet enfant, ou l’éduquer. Par contre, je suis là pour rassurer les gens, comme une préparation à l’accouchement. » Ce mode de vie demande beaucoup de travail et de rigueur, mais c’est un mal nécessaire aux yeux de Pierre qui, de par son vécu et ses voyages, s’est rapidement aperçu de l’importance de changer les choses. Lui-même père, il veut pouvoir offrir un monde sain à ses enfants : « En France, la plupart des parents achètent un bien immobilier en se disant

nt de « Nous sommes au deva plusieurs l’extinction massive de espèces » Pierre.


“mes enfants en hériteront”, mais ils ne sont pas dans la posture où ils se disent “De quoi vont-ils hériter au niveau écologique ?”. Pour moi, c’est un non-sens que de se dire “je vais mobiliser de l’énergie transformée en capital dans un bien immobilier” en sachant qu’à côté, on peut avoir une eau impropre à la consommation, des terres non cultivables et un air qui ne soit pas respirable. Ce mode de vie s’impose car il y a eu une prise de conscience écologique, une envie qu’une autre fin soit possible et qu’elle soit plus reluisante que celle vers laquelle on se dirige. »

-sageable sur le long terme pour cause de multiplications de tâches. Avant de se concentrer uniquement sur ce mode de vie, il en est du devoir des chercheurs de trouver une autre solution, plus appropriée.

KYLLIAN RIVENET & BASTIEN VIENNOT

Pour Anthony Brault, l’autosuffisance est un mythe @Capture d’écran YouTube

L’autosuffisance, une solution contrastée Avec l’augmentation du nombre de catastrophes naturelles dues au changement climatique, l’autosuffisance peut parfois paraître comme une forme de survivalisme. Se préparer à une crise économique, un effondrement social ou tout simplement à une catastrophe environnementale rentre désormais dans la conscience collective. Les survivalistes, par définition, se préparent à des techniques de survie, que ce soit par la nourriture ou encore la construction d’abris. C’est de là que la collapsologie apparaît. Développée notamment par Pablo Servigne à partir de 2015, cette dernière sert à « informer le mieux possible un maximum de personnes pour que notre société puisse se préparer à la fin des civilisations ». Toutefois, Pablo Servigne souhaite rappeler que cette science n’est pas exacte et que son seul souhait est de « donner des outils conceptuels aux gens pour que tout un chacun arrive à se mettre en mouvement avec ses propres sensibilités ». Pour lui, « il ne faut pas tout miser sur le rôle sauveur de l’Etat » car ce n’est pas une solution pérenne, d’après des propos relayés dans le journal Le Monde en décembre 2018. Mais alors sur quoi miser ? Pour Anthony Brault, formateur dans le champ de l’éducation populaire, l’autosuffisance ne peut pas être une solution pérenne, « c’est un mythe ». Organisant des conférences articulées autour de la crise énergétique, il souhaite avant tout rappeler à son public que « l’effondrement est tout autant avéré qu’à venir » et insiste sur le fait que « le pic de pétrole a déjà été dépassé en 2008, au niveau énergétique. » Un seuil donc dépassé qui risque de s’empirer d’années en années. Des solutions doivent donc être apportées. Cependant, pour Anthony Brault, l’autosuffisance ne peut pas être prise en considération. « Ce n’est pas la fin du monde. C’est la fin d’un monde, celui des pays riches, qui gaspillent énormément. L’autosuffisance c’est un leurre. On ne peut pas croire que se débrouiller tout seul de son côté va fonctionner. Qu’on en ait envie ou pas, nous ferons de plus en plus de choses par nous-même mais je ne pense pas que cela se fera seul dans son coin. Nourrir une famille par soi-même, c’est déjà un travail à plein temps. S’il faut rajouter à cela la construction, l’éducation, cela fait des grosses journées. L’autosuffisance à l’échelle individuelle, pour moi, est un mythe. » Si le retour à l’autosuffisance peut être légitimé par la réduction de la dépendance alimentaire, elle n’est toutefois pas envi-

Micro-poulailler créé avec 99% de matériaux recyclés @pierre1911

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Les agriculteurs reprochent aux supermarchés d’écraser les prix des produits.

LA VENTE DIRECTE

PRENDRE LE TAUREAU PAR LES CORNES

I

De nombreux fermiers peinent à vivre de leur métier, alors que l’agriculture est au centre de l’alimentation. Aujourd’hui, pour ne plus se laisser dominer par l’écrasement des prix des supermarchés, ils ont fait le choix du circuit court. La vente directe, c’est aussi la décision des consommateurs de promouvoir le local.

Il est 10 heures du matin et les producteurs locaux de la Ruche se réunissent dans un local de la ville de Nantua (Ain). La Ruche, c’est une start-up parisienne qui a développé le concept de la vente de productions locales. Le but, selon Baptiste Blondel, le gérant, est de « reprendre une habitude alimentaire saine et rapporter de l’argent aux producteurs, non aux lobbyistes ». Alexis Perroud, fromager au Groupe agricole d’exploitation en commun (GAEC) du Champ du puits, fait partie des 17 producteurs réguliers. Il préfère passer par des organisations comme la Ruche, car « quand on passe par la plateforme des supermarchés, ils établissent leurs promotions sans nous demander ». Cependant, le GAEC du Champ du puits vend ses produits à l’Intermarché du coin, avec qui ils ont passé un accord. Faire de la vente directe est également un moyen de survivre pour les

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agriculteurs : « Si on veut vivre, on utilise ce système. Les agriculteurs meurent car ils vendent à perte. Ils ne peuvent pas compter sur l’Etat pour s’en sortir mais sur des initiatives comme celle-ci, affirme Baptiste Blondel. L’avenir est basé sur le local par Internet. » Nombreux sont les agriculteurs qui ont dépassé le cliché du rural sans connexion, et qui ont développé leurs sites internet et leur présence sur les réseaux sociaux. Pour Adrien Levrat, éleveur de bovins et gérant du GAEC des sapins, dans l’Ain, faire de la vente directe est une « priorité » pour un agriculteur. « C’est le seul moyen pour être reconnu dans notre métier. Pouvoir vivre sans les aides, sans rien », déclare ce dernier. Depuis qu’ils ont commencé la vente directe avec sa femme, en février 2018, le chiffre d’affaires du GAEC des sapins a augmenté de 50 %. Même avec les frais d’abattoirs et autres charges, le résultat reste plus élevé qu’en diffusant par la grande distribution. « On ne veut pas vendre en grandes surfaces, ils tirent déjà assez sur les prix de nos courses pour la maison », se révolte l’agriculteur. Le circuit court, favoris des consommateurs D’après un recensement, effectué par la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt Auvergne-Rhône-Alpes, 9 416 exploitations agricoles vendent


leur production via la vente directe. Et si ce système marche aujourd’hui, c’est que les consommateurs veulent connaître la provenance et la description des produits qu’ils achètent. Un reportage de nos confrères, France Info, a reporté le fait que « le “made in France” est désormais plus qu’un gadget marketing ». Selon un sondage récent, il est devenu un critère d’achat pour 53% des entreprises. « On constate que les gens préfèrent la vente directe car ils peuvent échanger avec le producteur. En plus, il y a une meilleure qualité des produits. L’humain joue beaucoup car cela manque dans les supermarchés », explique Alexis Perroud. Ce à quoi Adrien Levrat ajoute : « On a beaucoup de discussions avec nos clients. Ils veulent savoir comment on élève nos bêtes, ce qu’on leur donne à manger, etc. » Quand il a ouvert cette Ruche, Baptiste Blondel n’avait qu’un seul objectif : « Je voulais que l’on se sente comme à la maison. » Seulement, les consommateurs ont une remarque : le prix. « Les gens ne comprennent pas que ce soit plus chers qu’en magasin. Ils sont habitués à l’écrasement des prix des supermarchés », déclare l’organisateur. Mais, pour Baptiste Blondel, les choses doivent changer : « Le meilleur moyen de faire changer les choses est de taper dans le porte-monnaie. Il faut donner l’occasion aux gens de consommer autre chose. » Contrairement aux autres, Adrien Levrat indique que leurs 250 clients ne se sont jamais plaints des tarifs.

La vente directe, c’est aussi la vente à domicile. Parmi les marques les plus connues, on retrouve Vorverk, Charlott’ lingerie et le fameux Tupperware. D’après un reportage de France Info, « si le secteur est florissant et touche de plus en plus de domaines (habillement, lingerie, produits de beauté, d’entretien, électro-ménagers...), c’est aussi parce qu’il crée du lien social en particulier en milieu rural ». En 2017, selon la Fédération de la vente directe, plus de 691 000 personnes ont travaillé dans le secteur de la vente directe et ont engendré un chiffre d’affaires de 4, 451 milliards d’euros. Ce secteur cartonne car les personnes s’en servent de complément de revenus. Certains quittent même leur travail, afin d’avoir la possibilité de gérer son planning et ses horaires.

« LES GENS PREFERENT LA VENTE DIRECTE CAR ILS PEUVENT ECHANGER AVEC LE PRODUCTEUR » Alexis Perroud

« Aujourd’hui, les gens ne vont plus aux supermarchés car les gens ont peur d’être volés sur la qualité. La vente directe, c’est manger moins mais mieux ». Contactées, les grandes enseignes n’ont pas souhaité répondre à nos questions.

ALEXANDRA SABADELLO

Le GAEC des sapins, le Gaec du Champ du puits et le Gaec de la ferme de Marnod participent à la Ruche tous les 15 jours. @ Alexandra Sabadello

Adrien Levrat veut pouvoir vivre de son métier. @Alexandra Sabadello

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PARTITION DISSONANTE

N O I H P AM Le milieu de la culture est empreint d’un esprit de rébellion. Quand au début XXe siècle, Duchamp introduit le dadaïsme en proposant des toilettes comme œuvre d’art, c’est un acte novateur et rebelle. Quand à la fin des années 70, les punks donnent un nouveau souffle à la musique, c’est aussi un acte rebelle. Dans la mythologie grecque, c’est le personnage d’Amphion qui casse les codes. Accompagné de sa flûte et de sa lyre, il a su faire lever la pierre, et a érigé les murailles de Thèbes. Ce musicien mythique a utilisé son art et défié le divin pour se dresser face aux lois de la nature et construire une architecture nouvelle de ses propres mains. C’est ainsi qu’est vue la culture : on se rebelle pour créer, et on crée pour se rebeller. L’art n’est pas fixe, il évolue constamment. Comme Amphion, chacun peut s’approprier la culture à sa manière, l’ingérer et la transformer sous une forme qui lui est propre.

BASTIEN SALLES

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“Papa, papa ! J’ai envie d’aller sur les lieux de Tchernobyl, il y a eu plein de morts, ça m’intéresse beaucoup !” On ne va pas se mentir, absolument personne n’a déjà entendu un enfant prononcer cette phrase pleine d’enthousiasme. Il faut dire que le Dark Tourism est une activité touristique encore très récente chez les générations adultes et qui commence à peine à se démocratiser. Comment définir ce qu’est le Dark Tourism, ou plutôt le tourisme sombre pour les moins anglophones ? Le terme, apparu en 1996 par l’intermédiaire de John Lennon et Malcom Folley, implique toutes les formes de tourisme en lien avec la visite de lieux associés à la mort, au morbide, au deuil et à la destruction. On ne parle pas forcément d’aller dans le cimetière du coin où dans la petite crypte de la région ayant connu des crashs de bateaux. On va plutôt parler de catacombes, de lieux sordides, ou même par exemple de lieux tels que celui de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. « Il y a 30 ans ce lieu était l’enfer sur Terre. C’est ça qui est excitant ! » La question qui nous vient naturellement à l’esprit : “Pourquoi aller dans ces lieux si c’est si dérangeant ?” Les touristes eux-mêmes se posent parfois encore la question. Prenons l’exemple du site de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl . « Je ne sais pas trop pourquoi cet endroit me plaît. C’est un peu comme une fascination que l’on ne contrôle pas. Je suis extrêmement curieuse de nature, ça doit jouer aussi beaucoup je pense », explique Julie, 29 ans, qui est allée sur le site à l’été 2017 grâce à une agence spécialisée. La jeune femme se dit très contente de son voyage et en garde des souvenirs marquants. « Ce qui est clair, c’est que l’atmosphère sur place est spéciale. Je voulais essayer d’y aller pour

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La grande roue de Prypiat est l’une des attractions principales de la zone sinistrée de Tchernobyl @podhol

changer un peu des plages ou des lieux clichés dit « paradisiaques », être à contre-courant. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que je n’ai pas été déçue, c’est une expérience qui marque à vie. » Chernobyl Welcome, l’une des principales agences basées en Ukraine qui organisent en toute légalité ces excursions explique que de vraies motivations se dessinent chez les visiteurs, au-delà de la recherche de sensations fortes. « Les gens sont différents, certains sont curieux de la ville post-apocalyptique, d’autres s’intéressent à la nature qui n’a pas été touchée depuis presque 33 ans, d’autres veulent voir des chiens autour de la ville de Prypiat. Il y a vraiment une grande diversité dans les motivations de chacun. »


Sur les forums, les récits de personnes ayant fait cette expérience se multiplient. La grande majorité d’entre elles racontent que c’est avant tout le dépaysement qui est recherché. Si pour cela, il faut aller dans les lieux “interdits” et moralement gênants, certains ne se privent pas une seule seconde. Au contraire, c’est cette sensation d’interdit qui génère une excitation particulière et une envie importante de se rendre sur ces lieux. A Tchernobyl, c’est vraiment cette sensation d’être dans un endroit où l’on se dit « c’est fou, il y a 30 ans, ce lieu était probablement l’enfer sur terre » qui est le pied total. C’est ça qui nous excite encore plus et qui nous fait ressentir un peu cet élan rebelle » raconte Alexis*, 38 ans. Lui aussi a visité la zone périphérique de l’ancienne centrale de Tchernobyl. Il a même concédé être allé dans la zone d’exclusion sur quelques centaines de mètres « pour l’adrénaline ». Cette zone est normalement totalement interdite d’accès aux touristes, d’ailleurs toute personne vivante n’est pas autorisée à s’y rendre.

La marque X au sol, véritable lieu de pèlerinage du dark tourism, représente l’endroit où JFK a pris la balle qui l’a tué @LM Otero

Le phénomène n’est pas à l’abri des dérives Bien que l’auteur voulait à la base faire rire ses amis, il s’est félicité du message que ses réalisations ont pu faire passer et a retiré toutes ses photos de son site une semaine après leur mise en ligne. « Le site a été vu par plus de 2,5 millions de visiteurs. La chose folle, c’est que le projet a atteint les douze personnes que j’avais montrées. » Il a expliqué ensuite que presque toutes les personnes concernées ont compris le message et se sont excusées, motivant le retrait des photos.

L’artiste s’est principalement focalisé sur les lieux de commémorations du génocide juif @Shahak Shapira

« Le tourisme noir n’est pas for cément une mauvaise chose » Taïka Baillargeon

La controverse se cristallise généralement autour de la question suivante : le mariage entre l’histoire douloureuse et l’industrie du tourisme est-il concevable ? Un problème d’ordre moral se pose. « Les dérives du tourisme noir sont essentiellement les mêmes que le tourisme de masse. Il y a l’irrespect des locaux, des traditions et des mémoires, par exemple. Mais c’est vrai qu’on ne peut pas passer à côté de la spectacularisation d’un drame ou d’une catastrophe, c’est un peu dérangeant », explique Taïka Baillargeon, chercheuse en Etudes urbaines et touristiques, et chargée de cours au département Géographie de l’UQAM (Montréal). Ce tourisme est parfois apparenté au voyeurisme. Pour que le grand public se fasse son propre avis, Netflix a créé une série-documentaire sur le Dark Tourism. « C’est bien si la série réussit à démystifier la pratique. Le tourisme noir n’est pas forcément une mauvaise chose. Aller visiter Auschwitz ou Verdun dans une visée mémorielle, c’est du tourisme noir », ajoute Taïka Baillargeon. C’est une pratique tout à fait «humaine» et la plupart des gens en font ou en feront un jour ou l’autre, sans même le savoir. ». En effet, il ne faut pas occulter le fait que la plupart des personnes le pratiquent dans un but « sain ». Certaines veulent simplement se recueillir sur un lieu qui a marqué l’Histoire.

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Quand

CLASSIQUES

LES SE

REVOLTENT

Si la musique est seulement constituée de 12 notes, elle représente pour chaque artiste, chaque compositeur, une façon d’exprimer ce qu’ils ressentent et ce qu’ils pensent. C’est aussi une façon pour eux de se rebeller et de se démarquer. Pierre Crispi est un ancien professeur de spécialité musique au lycée Claude Bernard de Villefranche-sur-Saône, il nous éclaire sur ce que représente la rébellion dans la musique. Jean-Philippe Rameau compositeur français et théoricien de la musique. 1683-1764

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Avant de commencer, il faut revenir aux origines. Pierre Crispi redéfinit les mots musique et rébellion. « Beaucoup de personnes pensent à la chanson quand on leur parle de musique, mais ce n’est pas la même chose. Pour moi la musique, c’est quelque chose qui n’est pas chanté, sans paroles. Un art de l’indicible qui communique d’une autre façon », explique Pierre. Du côté de la rébellion il pense tout de suite à la révolte qu’il divise en deux pensées distinctes : « C’est toujours difficile de faire la différence entre l’attitude d’une rébellion des personnes qui voudraient être contre et l’attitude des personnes qui voudraient être autrement. Faire autre chose sans forcément rejeter ». Cette rébellion est le plus souvent exprimée par des paroles, des phrases, des mots, etc. Viennent donc en premier lieu les chants révolutionnaires comme la Marseillaise. « Ce sont des chants de lutte contre d’autres gens. Ils sont utilisés pour fédérer des socialistes, des révolutionnaires, etc. C’était de la rébellion qui passait par les paroles. Des chants qui avaient cette idée de résister », explique l’ancien professeur. Mais lorsqu’on parle simplement de musique, les mots ne sont plus et tout passe par les sons. Si Pierre Crispi voit en quelques artistes une forme de rébellion par rapport à ce qu’ils ont créé, il ne pense pas que celle-ci est très présente en musique. « La musique a toujours été un peu en retard par rapport aux autres arts. La rébellion n’était pas une volonté primordiale dans ce domaine culturel ».

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iellement 12 notes « La musique est essent octave. 12 notes et entre n’ importe quelle ) Tout ce que l’octaves se répète (… monde, c’est la l’artiste peut offrir au notes » façon dont il voit ces 12 Born Elliot dans A Star is Sam

Expressionnisme, impressionnisme et autres courants : la rébellion se fait discrète Pierre commence par évoquer les artistes expressionnistes du début du XXe siècle avant la Première Guerre mondiale, notamment ceux présents à Vienne en Autriche. Des rebuts de la société qui avaient une sorte de volonté de casser toute cette bourgeoisie ambiante présente à Vienne. « Ils ont cassé les codes de la musique et ont transformé la musique tonale (tonalité majeure ou mineure), une musique sérielle* très âpre et dissonante ». Dans cette idée de sérialisme, on retrouve alors des compositeurs comme Schönberg qui étaient persuadés qu’il fallait sortir de ce système de tonalité. Très vite la tendance est revenue au majeur et au mineur. « Des gens comme Pierre Boulez disaient que si on retourne dans la musique tonale c’est qu’on n’a rien à dire de spécial », affirme Pierre Crispi. Au XVIIIe siècle


beaucoup de disputes éclatent entre les “anciens” et les “modernes”. « C’était l’époque des querelles entre les Lullystes et les Ramistes. » Une controverse qui oppose les défenseurs des traditions de l’Académie royale de musique fidèle à l’esthétique de Jean-Baptiste Lully au style trop “italien” de Rameau et de ses partisans, éblouis par la complexité de cette nouvelle musique. Pendant longtemps les artistes étaient au service d’un roi ou d’un prince.

Jean-Baptiste Lully, compositeur et violoniste d’origine italienne, de la période baroque. 1632-

Leurs compositions étaient commandées par la noblesse de l’époque et ces compositeurs étaient payés pour ça. Ils était donc difficile pour eux de se rebeller au niveau musical. Arrivée au XIXe siècle les artistes cherchaient à se placer en décalage avec ce qui les précédait. « Ils étaient comme des visionnaires et donc petit à petit en fonction de leur monde, de leur génération, ils se décalaient par rapport aux autres ». En peinture l’impressionnisme est venu casser les codes, les expositions n’étaient plus les mêmes et personne n’avait l’habitude de voir ça. En musique l’impressionnisme n’a pas fait de grande vague. On peut tout de même retenir Debussy qui a cassé les codes de l’harmonie. « L’harmonie est la science des accords et l’enchaînement des accords. Il y a des règles très strictes à suivre. On faisait souvent des mélodies dans un sens et l’accompagnement, la ligne de basse était dans l’autre sens. Le parallélisme était interdit, on trouvait ça creux ». Mais Debussy, lui, faisait des accords parallèles, il trouvait ça beau. Dans ce sens Pierre Crispi considère cet acte comme quelque chose de rebelle chez Debussy. Rock et Rap : générations et jeunesses rebelles Lorsque la rébellion en musique est évoquée, on pense habituellement au rock, au punk, ou au rap. Des genres musicaux souvent associés à cette thématique et qui sont apparus pour plaire à une jeunesse rebelle. Pierre Crispi relève surtout le fait que jeunesse et rébellion sont liées. D’après lui le rap et le rock sont deux formes d’expression de la jeunesse. « Pour le rap, on retrouve cet esprit rebelle dans les paroles, mais aussi dans le ton, le fait d’accentuer certains mots. Le rock est un peu expressionniste, dans le cri, la dissonance, etc. Le cri est une expression manifeste de ce genre musical ». Lorsqu’on pense rock, on pense notamment à son avènement avec les radios pirates, et ces artistes qui amenaient avec eux un élan de rébellion.

Eminem, compositeur et interpète américain de rap. Il est l’un des artistes ayant vendu le plus de d’albums dans le l’histoire de l’industrie musicale @Aftermath Entertainment

« C’était le début d’une musique pour les jeunes qui n’existaient pas avant. Tout cet esprit rebelle était lié aux jeunes. Aujourd’hui le rock a toujours le même discours, mais la génération a changé. Cet esprit rebelle convient aux jeunes d’aujourd’hui », explique l’ancien professeur de musique. Pour lui la rébellion du rock est liée à l’âge et à la jeunesse. Dans ce sens, Pierre Crispi catégorise cet acte comme rebelle chez Debussy.

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REBELLE TO

HELL

s grande force s musicaux qui puisent leur plu nre ge s de rtie pa t fon tal mé ure de Le rock et le amplis jusqu’à onze, il est l’he les ez uss po et irs cu vos tez de la rébellion. Alors sor lourds et rebelles. découvrir quelques morceaux

STRAIGHT EDGE

// MINOR THREAT (1981)

PUNK HARDCORE

A une époque où le sexe et la drogue régissent le rock’n roll, certains décident de vivre une vie plus saine. Pas de drogue, d’alcool ou de sexe dangereux, Minor Threat est le précurseur du mouvement straight edge. Extrait : « Je suis une personne comme toi, mais j’ai de meilleurs choses à faire, que de m’asseoir et de me défoncer la tête ».

FUNERALOPOLIS // ELECTRIC WIZARD (2000)

DOOM METAL

Quand trois jeunes en colère contre le monde entier s’enferment pour composer, on obtient un morceau comme celui-ci. Une ode à la fin du monde, dénonçant au passage l’arme nucléaire. Extrait : « Missiles nucléaires prêts à frapper, le monde est foutu, finissons-en ce soir ».

HOLY WARS… THE PUNISHMENT DUE

// MEGADETH (1990) THRASH METAL

Inspiré par les tensions religieuses, Holy Wars est un morceau culte et virulent. Dénonçant les absurdités et les violences au sein de la religion, on ressent l’aversion du groupe pour ce sujet. « Les frères tuent leurs frères, éclaboussant leurs sangs à travers le pays. Tuer pour la religion est une chose que je ne comprends pas. Et les idiots comme moi qui traversent la mer pour des terres étrangères. Demande au mouton, pour leurs croyances est ce qu’ils tuent au commandements de Dieu ».

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Peinture d’Ayman Baabaki, un combattant palestinien, le visage enveloppé d’un keffieh.

ART

CONTEMPO RAIN CONTEMPORAIN

L’INDISCIPLINE COMME GAGNE-PAIN La rébellion dans la culture peut se manifester sous différentes formes. L’art contemporain est souvent lié à ce thème. Qu’il dérange ou qu’il plaise, il est utilisé par ces artistes pour dénoncer.

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« Pour comprendre l’art contemporain, il faut le regarder lentement, doucement, réfléchir et compléter le message grâce à notre capacité à juger et à critiquer. L’art contemporain c’est une réflexion, c’est de la rébellion pacifique, de l’agitation de la pensée. Sauf que la plupart du temps, les gens n’ont même pas le temps de regarder le ciel ». Voilà la réponse de Dalia Ferreira, photographe et artiste au style pop, lorsqu’on lui parle de l’art contemporain. Souvent reliée à la rébellion, cette pratique peut être interprétée différemment suivant celui qui la contemple. Contester par thématique

En plus des spectateurs et de leur interprétation, les artistes eux aussi ont un discours qui peut être différent. « Chaque artiste aura sa propre rébellion. Elle n’est pas toujours politique », explique Dalia. Un propos appuyé par Pascal Odille, expert en art moderne et contemporain au Moyen-Orient. Il évoque le fait que dans cette région les artistes se rebellent face à un gouvernement, à sa lenteur, mais aussi « face à une religion, une mémoire, une société. Toujours avec une forme de respect ». Il soutient le fait que leurs œuvres d’art sont souvent rattachées à une période et un contexte bien précis. « Par exemple Ayaman Baalbaki, peintre libanais, a peint le portrait d’un combattant palestinien, le visage enveloppé dans un keffieh. Il s’inspire de son passé et de sa vie d’exode lors de la guerre civile libanaise », explique Pascal. Il se rattache alors à une période qui rentre dans la thématique de la mémoire. De nombreux artistes parlent du monde d’aujourd’hui et de ce qui peut les déranger.

Une oeuvre de Dalia Ferreira @Dalia Ferreira

« Par exemple Koons et Hirst se moquent du monde. Wei Wei utilise la métaphore pour dénoncer. Richter nous transporte dans des mondes inexplicables. Abramovic nous dérange. L’art contemporain ne donne pas de réponses. Il nous interpelle », déclare Dalia. Une révolte discrète Bien que ces artistes passent par leur art pour faire passer un message, ils ne vont pas aller manifester. D’après Pascal Odille, « il n’y a pas de contestation visible et directe. Ces artistes ne peuvent pas être totalement rebelles, ça n’a pas un grand intérêt puisqu’il faut pouvoir en vivre après. Ils recherchent des collectionneurs qui pourraient être intéressés par leurs œuvres, il y a un certain jeu de séduction, ils ne peuvent pas toujours être dans la contestation ». Dalia utilise une technique appelée la photo-thérapie. Elle invite des personnes à prendre des poses étranges qui les représentent comme victimes de la société. Un combat qu’elle porte donc face à cette société. « L’art contemporain est le moyen de communication le plus efficace existant pour dénoncer, parce qu’il est libre et indépendant », conclut l’artiste.

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X X L’ art DU

Rocambolesque de par son irréalisme, la pornographie est ponctuellement pointée comme une tumeur au sein du microcosme sexuel. Or, des déviations alternatives, bien distantes des terminaisons capitalistes du X, promeuvent un porno “plus léché”. Ethique et intellectuelle, la pornographie artistique porte un discours inédit sur le sexe, moins trash, moins acrobatique, moins complexant...

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NECESSAIRE

Eux qui s’étaient rencontrés au cours d’un repas ont tout de suite accroché. Après un dîner, quelques conversations et un désir incontrôlable, ils décident de passer à la phase suivante. Jusqu’au petit matin. Au cœur de draps blancs froissés, les rayons du soleil colorent les grains de leurs silhouettes dénudées. Les regards se croisent, les cœurs se désirent, les corps se répondent. Puis vient l’instant: la jouissance. Celle de la femme, celle de l’homme. Celle de l’unité du double. Des scénarios “réalistes X réalisables” comme celui-ci, des femmes comme Erika Lust en ont fait leur cheval de bataille. Redonner son éthique à la sexualité, redonner à la femme son désir et l’accord de ses formes, voici le combat que la pornographie féministe entend mener. Une vision légère et édulcorée

« Les femmes sont utilisées pour satisfaire les hommes, jamais elles-mêmes », révèle Erika Lust dans une interview accordée à La Voix du X. Écouter les fantasmes de vraies personnes 98

UNE MUTATION

Féministe prosexe, Erika Lust réaffirme l’égalité des plaisirs dans le monde du porno @IMDB


pour en faire des films, c’est le propos éthique qu’a alors choisi d’embrasser Erika Lust avec X Confessions. Dans ces productions, la réalisatrice prône le consentement, le respect, le plaisir à l’état brut et scande pour une consommation plus consciente. Elle souhaite ainsi mettre en avant le plaisir de la femme conjugué à celui de l’homme, et donner un sens au cinéma pour adultes. Un propos calqué par Four Chambers, un collectif lequel muta en boîte de production à vocation obscène, or “artistique” et “humaine”. Leur optique étant, certes, de greffer une fibre artistique à un contenu X, mais aussi de moins les distancer de ce que nous pouvons retrouver dans une vie de chambre lambda. En outre, le process de production de Four Chambers tend à se désarticuler autour de l’acteur, étiqueté comme un “performer”, et non un vulgaire “acteur porno”. « Are you right for the project ? ». Etablie sur leur site web, la question, en bref, synthétise le propos de la production. À la convenance des acteurs, des séquences entières peuvent être coupées ou altérées ; sous couvert qu’elles ne colleraient pas à l’état présent des performers. Dans une même veine, Melinda Gebbie, pierre angulaire du comics underground, fustigait un X gras dans les colonnes d’Evene. Lost Girls, une de ses bande-dessinée phares, dépeignait les intrigues érotiques d’un trio de femmes au début du XXe siècle ; conçue comme une “Bible érotique” selon les dires de l’auteure. « Nous tenions à traiter de la pornographie avec délicatesse, avec une sensibilité féminine. Ici chaque image devait être chaleureuse et rassurante, à l’inverse de la pornographie répugnante qu’on [les femmes] leur propose habituellement […] Or le langage sexuel est le plus difficile à retranscrire : on peut facilement être ridicule, être dégoûtant, ennuyer le lecteur ou pire, le faire rire… »

Sur le choix de la ligne artistique, Melina Gebbie défendait : «notre volonté était de montrer aux lecteurs qu’il était devant de la pornographie hautement culturelle.» @Lost Girls

La valeur intellectuelle du X artistique Outrepassant sa portée politique, l’art pornographique encourage la dédiabolisation du sexe. A contrario, il établit un dialogue entre la chair et l’intellect. Hier déjà, ces liens intimes tourneboulaient les conceptions les plus farouches de la sexualité. Pièce maîtresse, tantôt de l’histoire nipponne, tantôt de l’art érotique asiatique, le shunga porte la curieuse particularité de confluer pornographie et humour. C’est lors de l’époque Edo (1603-1868) que ces estampes ubuesques germaient chez le Japonais lambda ; lesquelles servaient la fonction de “décomplexer” et “d’enjoliver” les plaisirs de chambre. « [Les shunga] sont étroitement liées au rire, explique Asi Ishigami, historienne de l’art dans les colonnes du Monde. Le sexe n’est en rien ici quelque chose de sombre, à taire, ou à cacher, mais quelque chose de joyeux. C’est une pratique à laquelle il faut s’initier. » Car oui, en occultant les terminaisons capitalistes du X, la pornographie, à terme,

Sur ce shunga, une ama (pécheuse nippone) subit un cunnilingus d’une pieuvre.

peut outrepasser sa finalité “consommatrice”, pour porter un propos éducatif et déculpabilisant. Au regard des mineurs ? Pas réellement… À l’état brut, le X s’avère être une composante gangreneuse de l’épanouissement sexuel ; dans l’idée où l’adolescent va calquer sa libido aux rapports graveleux retrouvés sur les longs-métrages “obscènes”. « Vue par des enfants prépubères, la pornographie occasionne des dégâts relevant du trauma psychique, développe David Gombaud, sexologue. Comportement violent, échec scolaire, renfermement… les ado99


-lescents, eux, vont être davantage sujets à des troubles de la représentation de soi, de la construction de la libido, ainsi qu’une image biaisée de la vie sexuelle. » Perturbations qui vont du stress de la performance, à des mutations comportementales plus “délicates” : déconsidération de la femme, banalisation de la péripétie sexuelle, etc.

Le Guide du Zizi sexuel est un album réalisé par ZEP en 2001, ensuite adapté dans une exposition à la Cité des sciences.

Or, est-ce qu’associer le X et l’art estomperait lesdites finalités ? « La pornographie biaise la réalité, rétorque David Gombaud. Si on le mêle à l’art, nous en sommes encore bien plus distants. » Le sexologue note une unique fois où “le porno artistique” se fondait élégamment dans un circuit éducatif… Le Guide du Zizi sexuel, tantôt une bande-dessinée, tantôt une exposition, défendait un propos audacieux : celui d’éclaircir auprès des jeunes pousses les mutations du corps de l’adolescence à l’âge adulte. Sur le cas présent, néanmoins, la bande-dessinée servait l’intérêt tactique de grossir à l’envi l’imagerie sexuelle « pour ne jamais déranger les enfants , surlignait la commissaire d’exposition Maud Gouy. C’est important d’exagérer, parce que si on est trop réaliste, ça fait peur. »

Icône hot du cinéma X hexagonal, Brigitte Lahaie a été l’invité d’honneur de l’édition 2019 du Only Porn. @Pinterest

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À la rigueur, la “pornographie artistique”, à motif purement intellectuel, s’épanouirait davantage chez les adultes ; eux étant « capables de comprendre que ce qu’ils voient est anormal » renchérit David Gombaud. De là se désarticule le cheval de bataille du festival Only Porn – un évènement lyonnais volontairement « à contre-courant de l’industrie pornographique » selon Olivier Rey, directeur du Lavoir Public et hôte de la manifestation. La programmation se veut hétérogène, jonglant entre les diverses extrémités du X artistique ; tantôt des ciné-concerts improvisés sur des classiques du porno, tantôt des conférences sur le “sexe du futur”. L’ambition étant « d’exciter la curiosité, adjoint Olivier Rey. La pornographie dicte des prétendus “prérequis” pour s’épanouir sexuellement. L’homme doit avoir un long sexe, doit être endurant… Nous voulions contrecarrer ces idées reçues. Même, modestement, nous voulions par le biais du porno que les gens aient une meilleure perspective de leurs pratiques sexuelles. L’optique est de dédramatiser et décomplexer le rapport intime. » Partant, Only Porn mise sur la carte de l’interactivité. Une poignée d’ateliers participatifs ponctuent la programmation. Parmi eux, des lectures orgasmiques où un individu donné devra mener à bout une lecture alors qu’il est stimulé par son partenaire ; ou des dégustations de vins où, de concert, des performeurs pratiqueront le shibari (du ligotage nippon). De nos jours, la réalisation pornographique est devenue plus engagée et rebelle. Pourtant, tous ses défenseurs ne sont pas résolument enclins à sa transformation. Et même si ces nouvelles valeurs se veulent encourageantes pour son image, le travail est encore loin d’être abouti. « Nous vivons dans une société beaucoup trop permissive. Jamais la pornographie ne s’était étalée avec impudeur. Et, en plus, les films sont flous ! » s’insurgeait déjà Woody Allen. Encore et toujours, à méditer...


L’HISTOIRE D’UN Dans l’Antiquité grecque et romaine, les images pornographiques sont légion et se trouvent à tous les coins de rues. Sur les murs, sur les céramiques, les peintures érotiques s’invitaient aux yeux de tous ; et à Rome, la prostitution se répand comme une traînée de poudre. Une monnaie existe d’ailleurs à cette époque spécifiquement destinée aux “échanges commerciaux” entre les prostituées et leurs clients. Plus à l’Est, en Chine et en Inde, de nombreux artefacts et représentations murales dans les temples témoignent d’une réelle valorisation culturelle de la sexualité dans sa dimension “sacrée”. C’est aux Indes, entre le VIe et le VIIe siècle, que le livre très connu du Kamasutra est rédigé. Un ouvrage comportant de nombreuses illustrations considérées comme étant en adéquations avec le concept traditionnel de l’hindouisme. Le Kamasutra est un recueil hindou traitant de la vie privée de l’Inde ancienne.

INTERDIT

Ce n’est que bien plus tard que les premiers textes “libertins” naissent, en réponse alors à la censure excessive de l’Eglise catholique. A cette période de Contre-Réforme, l’Europe est encline à un puritanisme exacerbé, dont les principaux acteurs vont jusqu’à faire repeindre les fresques de Michel-Ange avec des feuilles de vignes. En réponse à cela, de nombreux textes érotiques feront leur apparition, s’opposant ainsi aux dogmes de l’Eglise durant le XVIe et le XVIIe siècle. Désormais, on distingue la frontière entre “l’érotique” (ex: bu artistique) et “le pornographique” (illicite). Une nouvelle forme de littérature “libertine”, fait alors son apparition au XVIIIe siècle. Parmi les oubliés Diderot, Fougeret de Monbron...etc, le Marquis de Sade, lui, active les rouages d’une littérature bien plus crue et imagée. Évocations de scènes de pédophilie, d’incestes, de tortures, de viols ou encore de meurtres. On comprend ainsi pourquoi le néologisme “sadisme” a été inventé en 1834. A la fin du XIXe et au début du XXe, la France devient leader dans l’édition de romans érotiques, que les américains appellent dirty french novels, comme Les confessions de Lady M, ou encore Le démon de la chair. A cette même période, la France excelle également dans la photo “osée”. Dès lors, la pornographie s’adapte aux nouvelles technologies et très vite, dans les années 1920, le film pornographique voit le jour.

Vient alors le Moyen-âge et la montée du catholicisme qui mène à la quasi disparition de la pornographie. Pour la voir réapparaître, il faut attendre 1524 pour que le graveur Marcantonio Raimondi publie I Modi, un ouvrage pornographique défiant tous les puritains. Un véritable pied de nez à l’église catholique, que ce “guide des positions sexuelles” repris à maintes reprises sur des gravures. A cette même époque, en 1533, Pantagruel de Rabelais est condamné comme “ouvrage obscène” par La Sorbonne. Mais pour autant pas “pornographique” étant donné que le mot n’avait, pour l’heure, pas encore été inventé.

Dans les années 1960, les États-Unis reprennent le monopole avec de grandes productions très éloignées des anciennes réalisations. Puis en 1972 sort le film Deep Throat réalisé par Gerard Damanio. L’un des premiers films pornographiques modernes à comporter un scénario et un développement des personnages. L’ère du “porno chic” est ainsi lancée, mais décline progressivement avec l’arrivée de la VHS et d’Internet. Désormais, le gonzo est le principal type de contenu pornographique consommé aujourd’hui. C’est-à-dire des scènes crues, sans scénario, réalisées en peu de temps et avec peu de moyens.

MARYLOU FOSSOT & ARTHUR BRENAC

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COMBAT DE L'INFORMATION

O H EC Selon le journaliste Nordine Nabili, « l’information est un véritable sport de combat pour les journalistes ». Dès l’antiquité, nombreux ont été les combats menés pour diffuser et transmettre librement ce qui doit être partagé et entendu. Écho fait partie de ces personnages qui ont cherché à exprimer ce qu’ils ressentent, à faire passer une information. La nymphe était tombée amoureuse du célèbre Narcisse, mais Héra en décida autrement et la priva de la parole. Écho ne pouvait pas dire ce qu’elle pensait et partager ses ressentis sur son amour pour Narcisse, il s’en est alors lassé et l’a laissée tomber. C’est ainsi qu’elle mit fin à ses jours, rongée par le regret. Il est intéressant de faire le parallèle avec le combat des journalistes et des lanceurs d’alerte d’aujourd’hui. Écho n’a pas eu le droit à la parole, de dire ce qu’elle pensait, contre sa volonté. C’est l’objectif de chacun de nos jours : se nourrir d’informations juste et vraies afin de pouvoir les délivrer.

GUILLAUME RESIN

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Les militants rivalisent d’idées et de slogans originaux pour faire des affiches @Plein la vue

L’OBJECTIF DES ANTIPUBS TRE

MET N E S U O N

! E U V A L N I E L P

La pub, la pub, la pub… On la voit partout : sur Internet, au cinéma avant un film, mais surtout dans la rue. Bien que certaines soient de franches réussites quand elles sont bien pensées, des personnes expriment leur ras-le bol face à son abondance. Elles n’hésitent pas à s’organiser pour riposter.

T

« Tiens, il y a une pub. Ici aussi ! Là-bas également ! Il y en a marre. » C’est de manière caricaturale ce que se dit une partie de la population, excédée de vivre entourée de publicités. Il y en a dans les rues, dans les bouches de métro, etc. Certains s’en accommodent sans faire de vague. Pour d’autres, c’est inconcevable. C’est le cas du collectif Plein la vue qui, depuis 2017, regroupe des personnes qui veulent se rebeller en menant des actions contre ce fléau. « Notre objectif est de faire diminuer la pression publicitaire dans la métropole de Lyon. On parle de la publicité en extérieur : les panneaux dans les abribus ou les publicités en haut des immeubles, entre autres », expose Chloé, membre du collectif. Elle fait partie des personnes qui ont créé une consultation en ligne, en collaboration avec l’Union des comités d’intérêts locaux de Lyon (Ucil), pour recueillir le plus d’avis possible sur le sujet des pubs dans la rue. « Les questions reprennent les grandes orientations suggérées par la métropole lors de nos réunions. Au fur et à mesure, on leur fait tout remonter pour qu’il y ait du concret », affirme-t-elle. De nombreuses actions de sensibilisation La consultation est faite sur un ton neutre. « On est objectifs pour rester crédibles auprès des élus quand on leur apporte les résultats. Sinon c’est facile de nous reprocher de l’avoir retouchée, se défend Chloé. Les profils de l’Ucil ne sont pas vraiment les mêmes que dans le collectif Plein La vue. Ça

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« On sait qu’on n’a pas vraiment le droit de faire ça, les policiers aussi. Mais généralement ils ne disent rien, on ne fait de mal à personne. » Clément, membre de

R.A.P

permet de rajouter une subjectivité et de toucher de plus larges publics. » Il est vrai que la métropole peut vouloir se méfier des initiatives menées par les antipubs. Le collectif est soutenu par une trentaine d’associations issues de domaines différents (féminisme, écologie...). Certaines associations comme Résistance à l’agression publicitaire (R.A.P.), qui est affiliée à Plein la vue, n’hésitent pas à faire du recouvrement d’affiches sur l’espaces public, notamment sous les abribus à la place de celles qui sont en place. Cette pratique flirte avec l’illégalité, étant donné que l’affichage sauvage est interdit. « On sait qu’on n’a pas vraiment le droit de faire ça, les policiers aussi. Mais généralement ils ne disent rien, ils voient qu’on est non-violents, on ne fait de mal à personne et on ne dégrade rien », explique Clément, membre de R.A.P. En effet, le côté “sombre” de cette rébellion est minoritaire. Il y a de nombreuses marches sur le thème de la publicité menées dans le calme. La prochaine échéance importante est celle du 25 mars 2019, lors de la Journée mondiale contre la publicité.


Clément, un des nombreux visages de la lutte antipub à Lyon @Plein la vue

CLEMENT,

A L’ASSAUT DE LA PUBLICITE

DE «RESISTANCE A L’AGRESSION PUBLICITAIRE»

La pub, ça n’a jamais été son dada. Petit, Clément se dit « esclave » de la publicité, en proie à la télévision et la radio, comme beaucoup d’enfants. « Comme je suis de la campagne, je n’ai pas eu toute cette agression visuelle de la ville. » Mais chez lui, la télé et la radio tournent en permanence, et tout ça a finit par « le saouler ». Avec sa sœur, il s’amusait à savoir qui reconnaîtrait telle ou telle pub en premier. Un jeu enfantin, mais qui lui fait prendre conscience de l’omniprésence de la pub dans son quotidien. Les années passent, et Clément continue de s’intéresser à la question. Il déménage et vient s’installer à Lyon. Très vite, un ami le contacte, et lui propose de participer à une action anti-pub. C’est sans hésiter que Clément accepte. L’action consiste à recouvrir des pubs par d’autres affiches, hautes en couleurs et dessins, aux slogans contestataires. « C’était un matin à 7 h en plein automne », se rappelle Clément. Depuis, le jeune homme suit les réunions du groupe et s’implique au sein de Résistance à l’agression publicitaire. Clément a appris à lutter contre la publicité, selon les différentes formes sous lesquelles elle apparaît. Certaines enseignes laissent par exemple leur boutique allumée toute la nuit, générant une pollution visuelle et énergique, ainsi qu’un problème pour les oiseaux et les insectes. Il n’est donc pas rare, de nuit, que Clément et d’autres antipubs éteignent les lumières à l’aide de perches spéciales, comme le feraient les pompiers. Et ce n’est pas la seule action antipub à laquelle il participe. Encore plus originales, ce sont les actions dans le métro. Amenant chaises et popcorn, Clément et ses amis s’installent, afin de « regarder » les publicités du métro, comme au cinéma. Des actions faites pour dénoncer l’abondance surréaliste de publicité, nécessaires pour Clément : « Je ne sais pas si c’est être un rebelle, mais c’est être conscient des problématiques qui existent, et lutter pour un monde meilleur. »

BAstien salles & guillaume resin Le collectif Plein la vue mène ses actions sans violence et sans dégradation @Plein la vue

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Jérôme Trotignon @DR

SOLIDARITE & SYSTEME FINANCIER DEUX OPPOSES QUI S’ATTIRENT Qui n’a jamais rêvé à une alternative au système d’épargne bancaire classique ? Grâce au club d’investissement des CIGALES, les cigaliers viennent accompagner entrepreneurs et entreprises dans leurs projets. Antigone vous dit tout de ces « rebelles » de l’économie.

U

Un principe qui remonte aux années 80 avec l’association ALDEA (Agence de Liaison pour le Développement de l’Économie Alternatif), mais qui s’est développé tardivement en région lyonnaise. Aujourd’hui grâce à l’ALDEA, le Club d’Investisseurs pour une Gestion Alternative et Locale de l’Épargne Solidaire (CIGALES) est né. Le principe est simple, chaque CIGALES regroupe entre 5 et 20 particuliers qui retirent une partie de leur épargne dans un pot commun. La somme versée chaque mois peut varier entre 8 euros et 450 euros. Une épargne qu’on appelle alors solidaire et qui permet d’investir dans des projets et des petites entreprises. Aujourd’hui la métropole lyonnaise compte 7 CIGALES : trois sont sur Caluire, deux à Lyon, une à Villeurbanne et une à Rillieux-la-Pape. permet de rajouter une subjectivité et de toucher de plus larges publics. De nombreuses actions de sensibilisation Le principe de ce système d’épargne est de ne pas passer par un intermédiaire bancaire pour leurs investissements. Ils mettent donc en avant la transparence des investisse-

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-ments en opposition avec le système d’épargne bancaire classique. « C’est une technique qui nous permet de passer par un système court de la finance, sans que notre argent passe par plusieurs mains », explique Jérôme Trotignon, animateur des trois Cigaluire (les CIGALES de Caluire). Pour que le projet puisse fonctionner correctement, les cigaliers s’appuient sur des valeurs bien précises. « Nous choisissons d’investir dans des sociétés locales qui ont des valeurs sociale, écologique et démocratique », poursuit-il. L’initiative des CIGALES repose notamment sur la démocratie locale. « Nous accompagnons aussi les entrepreneurs et les projets. Nous allons à la rencontre des porteurs de projets ». Leur rôle est d’apporter un regard extérieur et de soutenir les entrepreneurs. Une CIGALES dure 5 ans, au bout de ces années les investisseurs commencent à être remboursé par les différentes sociétés. UNE REBELLION FINANCIERE ? Ce qui motive les cigaliers est de pouvoir donner un sens à leur épargne. Jérôme insiste sur le fait qu’ils sont là pour « proposer une alternative, ce projet à un aspect constructif ». Un système qui porte une part de rébellion face au manque de transparence du système financier actuel, sans pour autant pousser la révolte jusqu’au bout. « On pense qu’on se réapproprie un certain pouvoir, on a une certaine influence mais à notre niveau. Par contre on ne va pas au bout de cette rébellion, ce n’est pas notre but », conclut Jérôme.

LEONIE DUTRIEVOZ


DONNEES

personnelles SUR INTERNET, VOUS DEVRIEZ VOUS EN SOUCIEZ...

En plein scandale, après que Facebook ait été accusé (à juste titre) de vendre les données personnelles des utilisateurs aux grandes entreprises, l’expression s’est invitée dans le débat public. Pourquoi les protéger est un enjeu majeur ?

S

Selon la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), une donnée personnelle se définit comme : “Une information relative à une personne physique susceptible d’être identifiée, directement ou indirectement.”. Cela inclut donc photos, nom, adresse email et postale, mais également numéros de sécurité sociale, identifiants de connexion informatique ou enregistrements vocaux. Tout ce qui permet de près ou de loin d’identifier une personne par des éléments présents sur internet est considéré comme une donnée personnelle. Et c’est là que les enjeux monétaires entrent en scène, et ironiquement, les problèmes. Comment ça marche ? Les entreprises présentes sur Internet ont tout intérêt à se constituer une base de personnes en adéquation avec leur produit. De ce constat, l’exemple de l’affaire Facebook prend tout son sens. Le réseau social sur lequel la moitié de l’humanité se rend possède les données personnelles nécessaires pour indiquer à une entreprise ciblée quel type de personne sur sa plateforme sera la plus à même d’acheter un produit plutôt qu’un autre. C’est par les heures de défilement dans votre fil d’actualité, par les publications que vous aimerez ou les pubs qui retiendront plus ou moins votre intention, qu’indirectement vous créerez votre propre cercueil

de pub. Un fond de commerce gargantuesque, potentiellement sans fin tant le nombre d’entreprises sur internet est aussi grand que les envies de changement soudaines de ses consommateurs. La protection a un prix Au sens commun où on l’entend, il est virtuellement impossible d’être invisible sur internet. De plus, tous les modèles économiques d’entreprises se sont adaptés aux habitudes de consommation et basent leur marketing sur des démarches de plus en plus détournées. Demander de liker un produit, inviter des amis à regarder, vous envoyer sur un site partenaire. Enlever “argent” des premiers mots de ces sites leur permet de créer plus de confiance et donc, de mieux vendre. Les protections vis-à-vis de ce cercle vicieux, en apparence indétournable, existent pourtant. Tout est structuré autour de l’habitude de consommation. Sans considérer le “vendeur” comme le diable, il faut lui donner le moins de champ possible à exploiter, sans pour autant se priver d’internet. Surveiller ses habitudes au quotidien tel que la fiabilité des sites utilisés ou être attentif à comment se composent nos interfaces personnalisées sur les réseaux sociaux permet de se prémunir. Il n’y aucune obligation de partir en sens inverse pour s’extirper d’une logique de marchandage de votre identité virtuelle. Grand bien vous fasse si c’est le cas.

THOMAS MONTEIL

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32 États du conseil de l’Europe ont bafoué les libertés des journalistes en 2018.

LA LIBERTÉ DE LA PRESSE

DU PLOMB DANS LA PLUME La liberté de la presse constitue une valeur française majeure et est souvent l’objet de polémiques. Le durcissement de la loi sur le secret des affaires et le musèlement des lanceurs d’alerte, les agressions de journalistes et l’irrespect du secret des sources… Qu’en est-il vraiment de la liberté de la presse en Europe aujourd’hui ?

LA LOI SUR LE SECRET DES AFFAIRES

E

En 2018, 110 journalistes étaient retenus en détention en Turquie. Il arrive également que des professionnels de la presse soient victimes d’agressions physiques et verbales en raison de leur travail. Ces actes vont à l’encontre de nombreuses lois adoptées par les Etats et notamment à la première promulguée : la loi du 29 juillet 1881. Cette liberté est fondée sur le droit d’expression des citoyens, inscrit dans l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948. Quand les médias européens se font museler Dernièrement, le Conseil de l’Europe a tiré la sonnette d’alarme pour annoncer ses inquiétudes à la suite de la publication d’une enquête établie par douze organisations, dont Reporters sans frontières. Le rapport évoque les menaces pesant sur les journalistes actuellement : « La liberté de la presse en Europe est plus fragile maintenant qu’à n’importe quel moment depuis la fin de la Guerre froide. »

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...

La loi sur le secret des affaires rend illégale l’obtention d’une information, dès lors qu’elle répond à 3 critères

1

L’information n’est pas connue et n’est pas accessible à des personnes extérieures à l’entreprise

2

Elle revêt une valeur commerciale justement parce qu’elle est secrète

3

Elle fait l’objet d’une mesure de protection raisonnable de la part des entreprises


140 “violations sérieuses” à la liberté de la presse ont été évoquées sur 32 des Etats membres du Conseil de l’Europe. Au Monténégro, la voiture d’un journaliste a été piégée. A Milan, l’un de ses confrères s’est fait attaquer au couteau. Une menace qui plane au-dessus de la tête des journalistes européens depuis plusieurs années. En 2017, la journaliste maltaise Daphné Caruana Galizia a été assassinée. En France, le Parlement a adopté, en octobre 2016, une proposition de loi permettant renforcer l’indépendance des médias. Le texte, qui évoque notamment la protection des sources des journalistes, a été voté plus d’un après l’attentat dans les locaux de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015. Comme rébellion, les journalistes poursuivent leur lutte contre la censure de l’information. Les conséquences du durcissement de la loi sur le secret des affaires Le 14 juin 2018, la loi sur le secret des affaires est votée à l’assemblée nationale, à la suite d’une directive européenne. Elle vise à protéger les entreprises contre le vol ou le partage d’un brevet, d’un secret de fabrication ou encore d’un document interne par un employé. Cette loi a provoqué un tollé et a suscité l’inquiétude auprès des médias et de certaines associations qui y voient un instrument de censure pour les grandes entreprises. Si l’espionnage dans les entreprises est une menace réelle qu’il faut combattre, il est délicat de différencier une information volée pour des raisons économiques d’une information d’intérêt public.

Lundi 4 février, des magistrats se sont présentés devant les locaux du journal Médiapart afin d’effectuer une perquisition. Cette intervention s’est effectuée dans le cadre de la diffusion d’enregistrements, évoquant l’enquête sur Alexandre Benalla. Les journalistes de Médiapart ont refusé cette perquisition, avec pour motif : la protection des sources. Fabrice Arfi, interviewé par France Info, s’est exprimé sur le sujet : « Il y a des diligences pour trouver nos sources, c’est une situation particulièrement inquiétante ». Selon la loi française, la perquisition des locaux d’un média n’est pas légale s’il s’agit d’identifier une source. Dans le cadre d’une enquête préliminaire, comme c’est le cas avec cette affaire, une intervention peut être refusée.

« La directive fait porter la charge de la preuve sur les lanceurs d’alerte et pas sur les entreprises, sur le plus faible et non le plus fort » Nicole Marie Meyer, chargée de mission au sein de la branche française de Transparence International.

Si le journaliste viole ce “secret des affaires”. Il encourt 3 ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende. La mise est doublée en cas d’atteinte à « la souveraineté, à la sécurité ou aux intérêts économiques essentiels à la France », précise le texte, qui spécifie qu’il peut y avoir violation du secret des affaires dès l’obtention de l’information. Si l’entreprise lance une procédure de justice, la personne concernée devra prouver qu’elle est de bonne foi devant un juge.

Daphné Caruana Galizia, journaliste maltaise, a été assassinée en 2017 @Corinne Vella

Alexandra Sabedello & julie mermet 109


Marine Martin se bat depuis des années contre le laboratoire Sanofi pour une meilleure information autour des risques engendrés par la prise de Dépakine pendant la grossesse.

MARINE MARTIN

« sanofi

EST DANS LA PHARMACO- DELINQUANCE

Son combat a démarré il y a dix ans. Marine Martin est lanceuse d’alerte, épileptique et maman de deux enfants, tous deux victimes de troubles neuro-développementaux. En cause : la prise de Dépakine pendant sa grossesse, un antiépileptique du laboratoire Sanofi.

J

Vous estimez-vous rebelle ? MM : Je suis un peu une rebelle dans l’âme. J’estime que ce côté me vient de mon épilepsie, de ma propre maladie qui m’a marginalisée, même au sein de ma famille. J’ai commencé à prendre de la Dépakine dès l’âge de 6 ans, et une certaine différence est apparue. J’étais ralentie notamment au niveau scolaire, et j’étais en quelque sorte le vilain petit canard de la famille. Je me suis alors investie dans différentes causes pour compenser. Très jeune, j’étais quelqu’un avec du caractère et l’envie d’aider les autres. J’ai été militante anti-raciste, j’ai travaillé pour les Restos du cœur, j’étais toujours dans les manifestations et les mouvements sociaux. J’ai toujours eu l’envie de me battre contre ce qui était injuste. La commercialisation de la Dépakine a débuté en 1967. Pourtant, aucun scandale n’a éclaté avant que vous ne le portiez aux yeux de tous en 2010. En voulez-vous

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»

aux familles qui n’ont pas alerté ? MM : Une famille a porté plainte en 2008 mais il n’y a eu aucun bruit. Je n’en veux pas aux familles de ne pas avoir fait ce que j’ai fait car il s’agit d’un sacrifice énorme. J’ai totalement arrêté ma vie professionnelle, je consacre tout mon temps à mon combat. Ma famille m’en veut, je ne peux plus trop voir mes amis car je suis moins disponible. Je suis capable de m’arrêter en faisant mes courses, de tout laisser en plan et de faire demi-tour pour une interview. Il m’est arrivé d’être complètement déprimée et d’en pleurer à la maison, je n’aime pas que mes enfants me voient dans un état pareil. Ils en ont marre.

« Les choses n’avancent que parce que ces personnes viennent faire bouger les lignes. D’une certaine manière, je me sens seule. J’ai le sentiment que si j’arrête, tout s’arrête aussi ».


Pensez-vous que les autres victimes sont trop “passives” ? Vous sentez-vous seule dans le combat que vous menez ? MM : Je comprends que tout le monde ne soit pas prêt à réaliser ces sacrifices. Mais il n’y a jamais assez de rebelles. Les choses n’avancent que parce que ces personnes viennent faire bouger les lignes. D’une certaine manière, je me sens seule. J’ai le sentiment que si j’arrête, tout s’arrête aussi. Certains membres de l’association sont là pour m’aider, je suis bien entourée, mais l’on se repose beaucoup sur moi. Si je n’étais pas là sans cesse pour imaginer des stratégies, des nouveaux angles d’attaque, pour obtenir gain de cause, personne ne le ferait à ma place. Personne ne veut de ce boulot. Avez-vous déjà pensé à tout arrêter ? MM : A certains moments, j’ai eu envie de tout lâcher. Personne ne voulait ma place. Je me suis dit que si j’arrêtais, on risquait de ne plus jamais entendre parler des dangers de la Dépakine, et ce n’est pas concevable pour moi. Je ressens vraiment cette pression et ce poids que personne d’autre ne bougera les choses à ma place. Je suis devenue le visage, le symbole de cette affaire. Quelle leçon tirez-vous de cette lutte que vous menez depuis près de dix ans ? MM :J’ai le sentiment de réparer le préjudice que j’ai pu faire sans le vouloir à mes enfants, c’est une forme de thérapie que je préfère largement à celle d’un psychologue par exemple. Quand ça ne va pas, j’essaye de me remonter le moral en me disant que j’ai la chance de rencontrer des gens formidables, c’est ce qui me fait avancer. Quand je repense à ce qui a pu être fait, le chemin parcouru est motivant. J’ai contribué à faire changer une loi européenne quant à la prescription de Dépakine pendant la grossesse, j’ai permis la création d’un fonds d’indemnisation pour les familles des victimes… Ce sont de petites victoires, même s’il y a encore beaucoup de chemin à faire. Vous vous intéressez de près à l’industrie pharmaceutique. Pensez-vous que d’autres scandales méritent des Marine Martin ? MM : De manière générale on ne dénonce pas suffisamment et on ne dit pas les choses assez franchement. C’est dommage, car cela éviterait bien des écueils. Le peuple français a une réputation de rebelle, on a tout de même décapité un roi ! On est peut-être encore les plus militants à l’échelle européenne, mais la France s’encroute et n’est plus assez rebelle. Socialement, nous sommes en train de perdre nos acquis sociaux et cela me fait peur, tant au niveau des soins, de la Sécurité sociale que de la liberté d’expression. Notre société est très individualiste et parfois les gens ne réalisent pas que l’accès à l’information est primordial et qu’il faut lutter pour le conserver.

La Dépakine est un anticonvulsivant. En juin 2018, grâce au combat de Marine Martin, la prescription du médicament est interdite aux femmes enceintes sauf exception @AFP

« J’ai le sentiment de réparer le préjudice que j’ai pu faire sans le vouloir à mes enfants, c’est une forme de thérapie que je préfère largement à celle d’un psychologue par exemple »

Avez-vous un message à faire passer aux lanceurs d’alerte de demain ? MM : Il faut oser et savoir bien s’entourer car ce sont nos libertés qui demain se retrouveront entravées. Il faut penser à nos aînés, à ceux qui ont fait la guerre, à ceux qui ont libéré. Les modèles de dictature ne sont pas très loin : il faut ces barrières, ces individus qui lèvent la main et qui disent “stop”. Il faut arrêter, il faut dénoncer. D’autres se sont sacrifiés avant nous. Il faut penser à l’intérêt général.

JULIE MERMET

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WANTED REBELLES FICTIFS, DEAD OR ALIVE

HAROLD

21 ANS

1M85 DRAGONNIER

Sur l’île de Beurk, dragons et Vikings sont comme chiens et chats ; l’entente semble tout aussi inconcevable qu’utopique… Harold, fils de Stoïk la Brute, le chef du village, est, certes, ingénieux, mais se situe à des années-lumière de l’archétype du guerrier sanguinaire. Gringalet, manchot, pacifiste, il refuse, d’autant plus, de mettre à mort ses ennemis reptiliens. Or, tout change lorsque Harold se lie d’amitié avec un Furie Nocturne blessé ; lequel deviendra, sous le nom de Krokmou, son premier réel ami. De là, Harold entreprend une tâche herculéenne : convaincre ses homologues opiniâtres que le vivre-ensemble entre Vikings et dragons est bien possible. Et tel un révolutionnaire, Harold force le dénouement de siècles de traditions. Beurk mute en un asile pour dragons de tous horizons, où eux et Vikings sont sur un même pied… AB

EDDIE

13 ANS

1M60

LOSER ASTHMATIQUE

Jeune garçon aux cheveux bruns et aux yeux marron, Eddie Kaspbrak habite la petite ville de Derry, dans le Maine. Son instinct rebelle se réveille pendant l’été 1989, période où Grippe-Sou le clown terrorise la ville. Eddie passe tout son été avec ses amis à traquer Grippe-Sou pour l’empêcher de faire plus de victimes.Toujours surprotégé par sa mère qui est hypocondriaque à souhait, elle lui fait croire qu’il est atteint d’asthme pour qu’il évite de faire de trop gros efforts et se blesse. Manque de chance, il se casse le bras alors que la bande d’amis essaye de s’échapper des griffes du tueur. Suite à ce drame, sa mère lui interdit de retourner jouer avec son club. Celle-ci ne se doute pas le moins du monde qu’ils essayent de stopper le clown tueur d’enfant qui terrorise la ville, sinon le pauvre Eddie serait déjà enfermé derrière les barreaux des fenêtres de sa chambre. Mais à l’âge de 13 ans, on ne veut plus écouter ses parents. Alors Eddie vient tenir tête à sa mère en la confrontant aux placebos qu’il utilise pour son asthme et s’enfuit de chez lui pour aller combattre « Ça ». LD 112


D

EMMA BOVARY

LORELAI

26 ANS

FEMME AU FOYER

Le fossé béant entre réalité et idéal est-il un mal ? Les sensés riront face à cette notion ; les songeurs, eux, seront plus dubitatifs. Née Rouault d’un fermier fortuné, Emma est éduquée au gré d’ouvrages populaires, quoique niais. Si elle s’imaginait un mariage mondain, elle se bute, une fois mariée, à un régime de vie ennuyeux. Son mari, Charles Bovary, est un médecin inapte, la vie de campagne l’enquiquine… Ce jusqu’à être invitée au bal du marquis d’Andervilliers où ses fantaisies juvéniles refont surface. De là, Emma réfute sa condition. Elle noie ses ressources dans l’achat de babioles exotiques, mène de concert une activité de mère négligente et d’infidélités exacerbées, et cherche, sans cesse, un point d’entrée vers une utopie à l’eau de rose… Une quête autodestructrice ? Certes, mais pas illégitime pour autant. Car, n’y a-t-il cause plus noble que tenir tête face à notre condition sociale pour revendiquer sa propre identité ? Rebelle, Emma Bovary résonne dans le propos contemporain : nos envies insensées qui tiennent tête à la platitude de l’existence. AB

40 ANS MANAGER DE DRAGONFLY ILL

Lorelai Gilmore, de la série télévisée américaine Gilmore Girls, est la définition même de la rébellion par l’identité. A 16 ans, elle quitte la maison de ses parents et s’émancipe, alors qu’elle est enceinte de sa fille, Rory. Futée et insolente, elle est en guerre constante avec ses géniteurs, Emily et Richard Gilmore. Tout les oppose : elle aime vivre simplement, ils vivent dans un monde bourgeois où les relations sont maître-mots. Au fil des années, Lorelai et ses parents connaîtront de nombreuses disputes, notamment au sujet de Rory. Maître de l’ironie, Lorelei tient d’une main de fer son auberge, dont elle est la co-propriétaire. Courageuses et déterminées, Lorelai et Rory ont mené, pendant plus de sept saisons, des échanges empreints de références culturelles et d’humour. Parce que la révolte se décrit aussi par la satire et la manière de se comporter. AS

JUDY

20 ANS

FLIC

Lapereau déjà Judy Hopps rêve de changer le monde. Son objectif, devenir officier de police. Un poste encore jamais occupé par un lapin. Car le monde ne reconnait que deux types d’animaux, les prédateurs, et les autres. Pas de place pour un gentil rongeur parmi les buffles, rhinocéros et hippopotames de la brigade de police. Mais Zootopie est la ville où chacun peut devenir ce qu’il veut. Malgré les craintes de ses parents, elle quitte le terrier familial bombe anti-renard en main, direction l’école de police, Judy Hopes. Sortie major de sa promotion, la lapine est assignée au stationnement, avant de promettre à la femme de M. Otterton qu’elle retrouvera sa loutre de mari. Le chef Bogo est hors de lui, notre lapin à 48 heures pour résoudre l’enquête ou elle devra donner sa démission. Sans indice, elle s’en remet à faire équipe avec son supposé ennemi naturel, le renard, Nick Wilde ! Face à un complot, nos aventuriers vont grandir ensembles et s’émanciper des statuts qui leur colle à la fourrure. gc

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LE FUTU B

ond de 30 ans vers l’avenir ! La rédaction d’Antigone vous a imaginé des rebellions futures à partir de faits d’actualité. Loufouques ou prémonitoires, elles ponctuent la quotidien des citoyens de 2049...

STEA-CACHÉ FÉVRIER 2019 : 2,7 TONNES DE VIANDE AVARIÉE ONT ÉTÉ DISTRIBUÉES DANS TREIZE PAYS EUROPÉENS.

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12 JUIN 2018 : UN ÉTUDIANT AMÉRICAIN FAIT UN EXPOSÉ SUR LA NATION FICTIVE DU WAKANDA. SON PROFESSEUR LE CROIT…

WAKANDA FOREVER

Plus de poulet, ni de boeuf ni de porc, non plus rien. La viande a été effacée de la surface de la planète Terre. Tous les animaux ont été proscrits du globe et ont été envoyés sur Mars. La raison : un énième scandale alimentaire. Avec la montée du bio poussée par les lobbyistes, les Etats ont établi le bannissement de tout être animal. Plus question de végétariens, viandards ou autres. Aujourd’hui, le monde est végan. Le métier d’éleveur de viande n’existe plus. Jean-Eude, petit-fils d’un ancien fermier, raconte : « Mon grandpère est maintenant vétérinaire pour robot. Il me raconte parfois sa vie d’éleveur de bovins. Il en pleure même. » De nombreux mouvements sont nés de cette loi internationale, dont #Pleaseleavemysteakalone qui revendique le droit de pouvoir manger du boeuf. Aujourd’hui, les membres du G2 (anciennement G8), la Chine et l’Inde, doivent voter le retrait des légumes de la distribution alimentaire. AS

Tôt dans la soirée du 16 février 2049 – 31e anniversaire de la sortie du film Black Panther – de multiples groupuscules bordant les frontières du Kenya ont incendié les locaux provisoires des Casques bleus. Depuis quelques années déjà, la région du nord du lac Turkana est étrillée par les revendications indépendantistes du For a free Wakanda (FFW) qui milite pour la création de la nation afro-américaine dépeinte dans le blockbuster de Marvel. « La race noire mérite une terre de salut, s’insurgeait la tête du mouvement, T’Chapa, lors d’un meeting à Addis-Abeba. Le Wakanda sera le leader d’une nouvelle Afrique. » Souvent revêtu de son masque de panthère noire, le leader de l’insurrection se bute, toutefois, à un manque de cohésion au sein de ses ambitions idéologistes. Les branches les plus fantaisistes, or détachées, du FFW s’inscrivent dans une logique d’ésotérisme. Selon nos collègues du Monde Afrique, ils tenteraient de créer du vibranium… AB


URISTE n°32. 17/03/2049

51.3°

“41°C AU JAPON”, “ 43 °C À OMAN DANS LA PÉNINSULE ARABIQUE”, “51°C DANS LE SAHARA DU CÔTÉ DE L’ALGÉRIE”. DEVANT SA TÉLÉ ET LA MÉTÉO, IL Y A LE PETIT MARTIN. UN JEUNE GARÇON DE 5 ANS, CHÉTIF ET MAL DANS SA PEAU.

Martin a un job moyen avec des collègues moyens, dans un appartement moyen. Mais tout cela lui importe peu. Aujourd’hui, 5 juillet 2048, le petit garçon chétif a décidé de rejoindre un groupe d’activiste pour lutter contre le réchauffement climatique. Il comprend qu’il est trop tard

JUILLET 2016 : LE JEU POKÉMON GO SORT ET FAIT UN TABAC.

Il est samedi, 12 h 30. A la télévision, les cris de fureur qui émanent du reportage traversent la pièce. Les images d’une nouvelle manifestation apparaissent à l’écran. Des gens, obnubilés par leur téléphone, foncent tête baissée dans toutes les directions. Au début, les raisons semblent un peu floues. Des pancartes levées à bout de bras aident à comprendre la raison de cette manifestation : « Chassez les cons ! » On a tous une petite idée en tête du gros con par excellence. Celui en voiture, au boulot, celui en vacances, au supermarché, à la piscine, etc. De bonnes têtes à claques, n’est-ce pas ? Le jeu Pokémon Go prend de l’ampleur, et pour une bonne raison. Le jeu ne servira plus à capturer des créatures mais bel et bien des cons. Ce dernier indiquera leur position en temps réel. Il ne restera plus qu’à suivre leur piste et les capturer. Ils seront coincés à jamais dans une petite carte Sim. Une manière très utile et plutôt ludique de se débarrasser d’eux, une bonne fois pour toute. Alors, une petite manifestation, ça tente quelqu’un ? CR

et qu’il s’agit désormais de limiter les dégâts pour les prochaines générations. Son association rassemble près de 14 000 membres, qui ont à leur actif la mise hors service de trois centrales nucléaires, la destruction d’une plateforme pétrolière, et ils ont réussi à faire plier Total devant la justice pour non-respect des lois environnementales. Aujourd’hui, il fait 42 dans toutes les villes de France. Martin embrasse une dernière fois ses enfants avant de rejoindre son groupe d’activistes pour entrer de force dans la réunion où se déroule la COP55. Il s’agit cette fois de tenter une énième prise de conscience de l’opinion publique. Avant que la télé ne se coupe. DM

NOVEMBRE 2018 : LE ROBOT HUMANOÏDE SOPHIA ÉTAIT PRÉSENT LE MARDI 13 NOVEMBRE, LORS DU SALON INNOVATION DE MASTERCARD DE PARIS.

On ne connaît que trop bien les guerres entre humains. En restera-t-il pour assister aux guerres entre robots ? En tout cas, ça risque d’être spectaculaire. La vie dans un monde de robots humanoïdes est belle : pas de disputes, des tâches affectées à chacun, un réglage à la minute près pour ne pas être en retard aux rendez-vous, pas de pollution sur la planète car tout est nettoyé. La vie est belle jusqu’au jour où leurs propriétaires décident de leur ajouter une conscience. Et là, c’est le drame. Les rébellions s’enchaînent. Mais des rébellions contre quoi au juste ? Contre la quantité de services rendus à leurs propriétaires, inégale en fonction des robots. Parce que oui, les robots se critiquent et refusent de faire plus que les autres. Après tout, pourquoi n’aurait-il pas le droit de se prélasser dans leur canapé en métal ? S’il reste encore des humains à ce moment-là, ils feraient mieux de se cacher et ne plus jamais ressortir. Les programmes informatiques cachés sous ces petits corps automatisés risquent de faire des dégâts. CR 115


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SAUCE

Chez Antigone, être dans la sauce, c’est se retrouver dans des situations handicapantes ou embarrassantes, mais savoir le prendre avec humour. Ou alors, il peut simplement s’agir d’une chose qui nous fait rire. On vous propose ici quelques comic strips avec, au programme, les aventures de la rédaction pendant la réalisation d’Antigone. Ou quand ses journalistes se retrouvent dans la sauce. Bienvenue au sein de la rédaction !


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