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La colocation

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Se dire bonjour

Se dire bonjour

La colocation Texte Cyril Fievet

La «coloc» est une configuration de vivre-ensemble particulière. En contrepied du foyer familial, elle s’est imposée au fil du temps, moins par envie que par nécessité de trouver des logements urbains abordables. Mais dans un monde de plus en plus connecté (avec la solitude qu’il engendre), où se développent de nouvelles pratiques (télétravail, coworking) et avec une planète en crise (sur les plans économique et écologique), la colocation ne serait-elle pas qu’une première esquisse de nos habitations futures?

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Plongée en 2030, dans un monde où, au-delà de la simple colocation, le coliving est presque devenu la norme. Le lieu de vie se fait communautaire et inscrit dans le partage et le développement durable. La séparation entre résidence, espace de travail et lieu de socialisation s’estompe au point de perdre toute signification.

Digital nomad ou pas, on ne choisit plus sa chambre ou son studio uniquement pour le prix, mais bien parce qu’il fait partie d’un tout cohérent exprimant des valeurs fortes. Dit autrement, on ne choisit plus seulement un toit, mais le style de vie qui s’y rattache. On ne cherche plus un « bon voisinage », mais une communauté de gens avec qui vivre en harmonie. Et l’on veut avant tout se sentir « chez soi » partout et n’importe où, même en changeant régulièrement de lieu.

Bâtiments et services s’adaptent à la tendance. Le coliving devient souple et smart, mais pas pour autant uniforme. Il reflète au contraire une forte diversité de styles, de priorités, de convictions.

Voici un panorama, au travers du quotidien de 7 individus, des futurs possibles de la colocation.

L’hôtel à vivre Marc, 52 ans, traducteur professionnel – «Changer d’endroit tous les trois mois»

Par essence lieu de passage, l’hôtel se transforme pour devenir une option viable de coliving à long terme, sous la forme d’hébergements repensés pour la vie à plusieurs – sans sacrifier la vie privée. Ils offrent des studios individuels loués au mois, tout équipés, petits mais fonctionnels. Chaque espace personnel est organisé autour d’une table multi-usage, contrairement à l’iconique chambre d’hôtel autrefois centrée sur le lit. Les parties communes abritent laverie et espaces pour cuisiner ou se socialiser. Une appli mobile en forme de réseau social privé connecte entre eux les locataires et sert à animer le lieu (événements) ou à simplifier le quotidien (maintenance, paiement des loyers).

C’est déjà là : À Amsterdam ou à Copenhague, Zoku propose des « hybrides bureau/domicile » en forme de mini-lofts assortis de services hôteliers. À Singapour ou au Japon, Lyft développe des appart-hôtels proposant des animations communautaires.

L’habitat modulaire et mobile Pierre et Amélie, 35 ans, digital nomads – «Bouger comme en caravane, vivre comme en immeuble»

Conjuguer constance et mobilité est rendu possible grâce à des programmes de cohousing caractérisés par des modules indépendants et autonomes qui se déplacent et s’installent au gré des envies. Ce sont soit des containers habitables qui viennent s’encastrer (parfois s’empiler) dans des structures fixes, soit des véhicules roulants qui viennent se parquer et servir d’espace de couchage. Le reste est apporté par des infrastructures fixes, qui fournissent l’eau, la nourriture, l’électricité et les espaces de socialisation. On peut facilement se déplacer d’une communauté à l’autre, en emportant son « chez-soi ».

C’est déjà là : Aux États-Unis, Kift accueille voitures et camping-cars via des infrastructures en dur offrant convivialité et services. Le projet Autonomous Travel Suite du studio italien Aprilli imagine un avenir où des voitures autonomes s’inséreraient dans des immeubles pour servir de chambres.

Le village bio Natasha et Anouk, 27 ans, assistantes médicales – «Minimiser notre empreinte carbone»

En périphérie des grandes villes apparaissent des « villages durables », avec un seul mot d’ordre : l’auto-suffisance énergétique et alimentaire. Emblématiques de la « techno-écologie », ils regroupent des « tiny houses » préfabriquées, mais high-tech, louées à l’année et organisées autour de fermes verticales basées sur l’aquaponie. On y produit collectivement fruits et légumes sans se soucier des saisons. Panneaux solaires, récupérateurs de chaleur, générateurs d’eau, recyclage de l’eau et des déchets finalisent l’ensemble, dans un espace de coliving devenu « éco-living », où l’on réside pour apprendre autant que pour marquer son engagement à un mode de vie plus respectueux de la planète.

C’est déjà là : Depuis 2016, le projet ReGen Villages entend bâtir en Suède ou aux États-Unis des villages hautement technologiques, basés sur le développement durable et les énergies renouvelables. L’immeuble à partager Martin, 42 ans, et Alice, 72 ans – «Rester dans un grand pavillon avec ma mère n’avait pas beaucoup de sens»

Si la colocation relevait parfois de l’improvisation forcée, elle est devenue partie intégrante du développement immobilier. On rénove d’anciennes bâtisses ou l’on construit des immeubles entiers dans une logique de coliving (et de respect rigoureux des standards environnementaux). Les espaces personnels sont de taille réduite, tandis que les espaces collectifs sont vastes et confortables, avec le même parti pris : renforcer l’esprit communautaire et mieux mutualiser les coûts. Jardins extérieurs ou intérieurs, atelier, jacuzzi partagé ou salle de fitness servent autant au confort qu’à briser la solitude. Ce sont d’ailleurs des lieux volontiers hybrides et intergénérationnels (accueillant un quota de seniors) où les anciens colocataires co-optent les nouveaux.

C’est déjà là : Dans plusieurs grandes villes des ÉtatsUnis, Common dispose d’une vaste offre d’appartements en coliving. En France, à Bordeaux, Vitanovae adapte des bâtisses anciennes à un coloving axé sur la convivialité.

«les espaces de vie sont “tokénisés” et l’on peut en acquérir des fractions. La colocation évolue en “co-propriété” au sens premier du terme: les habitants partagent la propriété»

Le coliving en mode virtuel Arnaud, 19 ans, étudiant – «Pour moi, la vraie vie, c’est le metaverse»

En 2030, les smartphones laissent place aux lunettes connectées, tandis que les mondes virtuels immersifs en 3D ont remplacé pour de bon les anciens réseaux sociaux. Le metaverse est omniprésent et les représentants de la Gen Z y passent l’essentiel de leur temps libre. Signe des temps, apparaissent des espaces de coliving dépouillés, ultra-minimalistes, voire rudimentaires (parfois d’anciens entrepôts) où s’alignent des lits et un point d’eau (et qu’on loue à bas prix). Le reste est virtuel. Qu’importent les murs et les espaces communautaires, puisque tout se décore d’un clic en réalité augmentée et que des mondes virtuels illimités et hauts en couleur apportent divertissement et socialisation.

C’est déjà là : Basée en Floride, la start-up Magic Leap crée des lunettes de réalité virtuelle pour aboutir à terme à l’avènement d’un MagicVerse : un monde virtuel organisé en couches (travail, loisirs, culture, communautés…) superposables à la vie réelle.

Des communautés thématiques Alex, Karim, Ivan, Bella, 27 ans – «Pour monter notre start-up, vivre ensemble fait sens»

Si beaucoup d’espaces de coliving se veulent hybrides et transversaux, d’autres se spécialisent sur des niches ciblées. On choisit son espace en fonction de ses goûts, de ses besoins et de ses aspirations du moment.

Il peut s’agir d’espaces de coliving/coworking dédiés spécifiquement aux start-ups en création (avec salle de réunion connectée), ciblant les fans de yoga (avec terrasse zen), adaptés à la pratique de la permaculture (avec serre intégrée), réunissant des passionnés de cinéma (avec écran géant) ou spécifiquement conçus pour les mères isolées (avec nurserie et crèche partagée).

C’est déjà là : HackerHouse, concept venu de la Silicon Valley, et maintenant présent aussi à Paris, propose des espaces de vie et de télétravail pour « geeks ». Le but : construire des projets ensemble à l’envi.

La copropriété blockchainisée Sophie, 39 ans, responsable marketing – «Je possède un vingtième de maison dans trois villes différentes»

Blockchains et crypto-monnaies facilitent de nouveaux modèles de propriété partagée. Les espaces de vie sont « tokénisés » et l’on peut en acquérir des fractions. La colocation évolue en « co-propriété » au sens premier du terme : les habitants partagent la propriété d’un même lieu (appartement, maison ou immeuble). Les tokens peuvent facilement s’échanger (y compris à d’autres endroits d’un même réseau) et procurent des avantages aux résidents (droit de vote sur les choix de décoration ou d’organisation du lieu). Certains endroits sont d’ailleurs gérés comme des DAO (Organisations autonomes décentralisées), reposant entièrement sur des blockchains et un code informatique.

C’est déjà là : Sur une île de Thaïlande, House of DAO est un projet communautaire de coliving et coworking géré via une DAO et centré sur les blockchains.

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